Archéologie urbaine et suburbaine en région Centre-Val de Loire : propos introductif
Urban and suburban archaeology in the Centre-Val de Loire region: introductory remarks
p. 17-18
Texte intégral
1La tenue à Chartres en 2021 du colloque de l’Association française d’Archéologie mérovingienne qui, malgré son appellation, prend en compte depuis longtemps déjà un long haut Moyen Âge, a été l’occasion si ce n’est de dresser un bilan régional tout du moins de présenter des travaux fondés pour la plupart sur des opérations de terrain récentes et correspondant à différentes échelles d’analyse.
2Chartres, et c’est bien normal, se taille la part du lion, avec quatre contributions qui couvrent une grande diversité de thématiques : sites d’habitat, religieux et funéraire d’une part, et système défensif d’autre part. Pour l’autre chef-lieu de cité représenté, Orléans, la très longue durée est privilégiée pour un premier bilan de la fouille conduite en 2019 sur le site de la Vinaigrerie Dessaux qui éclaire les relations entre habitat et enceinte tardo-antique. Enfin deux agglomérations de rang intermédiaire, Loches et Blois, sont représentées, l’une par une réflexion synthétique sur la topographie de cette agglomération connue comme vicus et comme castrum au vie s., sous la plume de Grégoire de Tours, l’autre par deux contributions de nature très différente. Un caisson en bois découvert dans le lit de la Loire, datant du milieu du xie s., pourrait témoigner d’un pont établi par le comte de Blois Thibault III, après la perte de la Touraine en 1044, et donc du pont construit à Tours par son père en 1034-1037 : une contribution qui témoigne à elle seule de l’importance des investigations subaquatiques pour la compréhension de la fabrique urbaine dans laquelle les points de franchissement jouent un rôle majeur. À quelques centaines de mètres en amont du pont médiéval, sur la rive gauche, une fouille a révélé une occupation agro-pastorale comprise entre les ve-vie s. et le xiie s. en périphérie orientale de ce qui deviendra le faubourg de Vienne : ce type d’investigation, tout en livrant des structures de type rural, éclaire les abords d’un espace urbain attesté en rive droite depuis l’Antiquité.
3Quelques mots sur les travaux chartrains qui soulèvent des questions importantes sur les transformations de l’espace urbain pendant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge et notamment sur la mise en place de la topographie chrétienne. Chacun comprendra que j’évoque d’abord le site de Saint-Martin-au-Val, église suburbaine implantée à proximité immédiate d’un vaste sanctuaire antique du Haut-Empire. Les campagnes de fouille menées de 2013 à 2018 ont permis d’identifier des vestiges susceptibles d’appartenir à l’église dans laquelle l’évêque de Chartres Lubin (544-557) a été inhumé, d’après sa Vita rédigée au ixe s., et après lui d’autres évêques des vie-viie s. Malgré les destructions occasionnées par les reconstructions successives de l’église et par des fouilles anciennes, 23 sarcophages datés entre le milieu du ve et le ixe s. ont été mis au jour, les uns taillés dans des blocs antiques prélevés dans le sanctuaire voisin, les autres importés de Touraine ou de Bourgogne, ce qui témoigne d’emblée du haut statut des inhumés. Le caractère privilégié des individus est corroboré par la richesse du mobilier, porté ou déposé, et par le traitement des corps dont plusieurs ont été embaumés, au moins superficiellement. On a donc affaire à une élite indubitablement chrétienne mais encore attachée à des pratiques funéraires ostentatoires, expression de son statut social, ce qu’illustre parfaitement la célèbre tombe de la reine Arégonde dans la basilique de Saint-Denis. Espérons que la poursuite de la fouille dans le chœur actuel en 2024 permettra de compléter le plan de l’église primitive – ainsi que sa relation avec le sanctuaire païen antérieur – et livrera d’autres inhumations privilégiées.
4Les sites de Saint-Chéron et du Bourgneuf quant à eux, malgré la forte différence de superficie entre ces deux opérations, soulèvent la double question des structures d’habitat observées en milieu suburbain et celle de la proximité entre les vivants et les morts.
5Chacune de ces opérations archéologiques n’a livré qu’un petit nombre de fonds de cabane mais pas d’habitations sur poteaux, extrêmement rares, voire quasi inexistantes, à ce jour, en milieu urbain et suburbain (voir Ferdière 2022 : § 2.2.2. à ce sujet). Ces sites implantés en limite de la ville antique révèlent donc le même type de structures domestiques, au sens large, que les habitats ruraux environnants, comme cela a déjà été observé à Chartres (Ben Kaddour 2014) ou ailleurs. Dans les deux cas, la présence de sépultures globalement contemporaines des structures excavées suggère une certaine proximité entre les vivants et les morts mais seule une datation plus précise des tombes comme des structures domestiques permettrait de le confirmer. Dans les deux cas aussi, la proximité d’un lieu de culte est suggérée sur la base des seules sources écrites, la fouille n’ayant livré aucun vestige attribuable à une église du haut Moyen Âge. Le repérage – très partiel – de ces structures domestiques est important même si de nombreuses questions demeurent sur leur fonction : révèlent-elles la proximité d’un habitat plus vaste et, si tel est le cas, quel lien existait entre cet habitat et le lieu de culte adjacent suggéré par les textes ? Dans le cas de Saint-Chéron, où est attestée la production de peignes en os et en bois de cerf, a-t-on affaire à l’habitat de familles dépendant du monastère et cette activité artisanale était-elle destinée au seul usage des moines ou à des échanges avec l’extérieur ?
6Enfin, la quatrième contribution dédiée à Chartres reprend une question majeure de la topographie ancienne de la ville, celle de l’enceinte tardo-antique, à partir de la découverte d’un tronçon de fossé sur le boulevard Chasles. La réflexion est fondée sur un va-et-vient entre les données archéologiques (fouilles et étude de caves) et les sources textuelles comprises entre les années 470 (Paulin de Périgueux) et les xie-xiie s. (cartulaire de l’abbaye Saint-Père), auxquelles s’ajoute une analyse morphologique du parcellaire pour restituer l’enceinte du haut Moyen Âge. Si ce type de démarche a été généralisé depuis les travaux précurseurs de Bernard Gauthiez en Normandie, il n’en demeure pas moins un exercice difficile en raison de la nature profondément différente des sources et de leur datation respective. Il faudra attendre d’autres fouilles ou observations archéologiques pour valider les hypothèses proposées.
7L’article consacré à la récente fouille du site des Vinaigreries Dessaux à Orléans contribue à une meilleure connaissance de l’impact d’une enceinte – ici l’enceinte tardo-antique – sur l’environnement urbain. Son apport s’ajoute à de multiples opérations réalisées depuis les années 1980 qui permettent de bien saisir désormais les conditions de la construction de cette enceinte, son entretien au cours du haut Moyen Âge et les occupations qui l’ont entourée. Celles-ci témoignent d’usages domestiques (fosses-dépotoirs, possibles silos, latrines) qui attestent la proximité d’habitations de part et d’autre de l’enceinte, entre les vie-viie s. et les ixe-xe s. Au-delà, l’extraction de calcaire pratiquée dans ce secteur pendant plusieurs siècles témoigne de la construction en pierre de nouveaux quartiers, dont un lotissement en parcelles laniérées créé au xiiie s.
8Quittons les chefs-lieux de cité pour Loches, l’une des nombreuses agglomérations de rang intermédiaire connues en Touraine par les écrits de Grégoire de Tours. Grâce à l’investissement de longue durée des archéologues du service départemental, le Sadil, toute la topographie de ce site pendant l’Antiquité et le haut Moyen Âge est éclairée d’un jour nouveau, sur la base d’une confrontation très serrée entre sources matérielles et textuelles. Tout en laissant au lecteur le plaisir de découvrir ces nouvelles hypothèses, à confirmer pour certaines par de nouvelles fouilles, j’aimerais souligner l’importance d’étudier ce type d’agglomérations : rarement touchées, et on peut s’en réjouir, par des aménagements contemporains de grande ampleur, elles ne peuvent être mieux connues que par des opérations de fouille programmée, facilitées à Loches par l’appartenance d’une grande partie de l’éperon à des institutions publiques (le département d’une part, pour les sites castraux, la commune d’autre part pour l’ancienne collégiale Notre-Dame). Ce type d’agglomération constitue de véritables conservatoires aux abords des monuments médiévaux et permet de saisir la fabrique d’un site urbain complexe, ici bipolaire (vicus/castrum), pendant le très haut Moyen Âge, une possibilité que les chefs-lieux de cité, plus densément occupés et davantage remaniés au fil des siècles, n’offrent guère ou plus difficilement. Espérons que cette approche exemplaire fera des émules dans d’autres “petites villes” de la région, et au-delà.
Bibliographie
Ben Kaddour 2014. Ben Kaddour C. - Chartres et sa proche campagne au haut Moyen Âge (fin ve-fin xe siècle). Topographie urbaine et péri-urbaine, analyse de structures et étude du mobilier : un premier bilan, Revue Archéologique du Centre de la France [En ligne], 53, mis en ligne le 15 avril 2015, consulté le 24 novembre 2023, http://journals.openedition.org/racf/2104
Ferdière 2022. Ferdière A. - Barbares, militaires et fonctionnaires dans le centre et le centre-ouest de la Gaule durant l’Antiquité tardive. 1re partie : les données, Revue Archéologique du Centre de la France [En ligne], 61, mis en ligne le 13 décembre 2022, consulté le 24 novembre 2023, http://journals.openedition.org/racf/5590
Auteur
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Élisabeth Lorans
Université de Tours, UMR 7324 CITERES-LAT, Institut universitaire de France.

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