Le site de Terrefort à Corbarieu (82), un témoignage important de l’occupation rurale en Occitanie à l’époque mérovingienne
The site of Corbarieu (82), Terrefort: an important evidence of rural occupation in Occitanie during the Merovingian period
p. 205-211
Résumés
La fouille réalisée en 2019 à Terrefort, sur la commune de Corbarieu (82), a permis de mettre en évidence des vestiges liés à un habitat rural du haut Moyen Âge, occupation peu observée dans la région toulousaine pour cette période. Si l’essentiel du site pourrait se développer plus au nord de l’emprise de fouille, toutes les composantes de ce type de site ont pu être observées, à savoir des cabanes excavées, des fours, un bâtiment sur solin, un autre sur poteaux et un silo. Trois sépultures peuvent également être associées à cette occupation. L’attribution chronologique du site repose sur l’étude d’un mobilier découvert en position secondaire. Il concourt à donner une datation mérovingienne centrée sur les vie-viie s. et permet de mettre en évidence des activités davantage relatives à des besoins domestiques courants qu’à des activités artisanales.
The excavation carried out in 2019 at Terrefort, in the commune of Corbarieu (82), revealed remains associated with a rural dwelling from the Early Middle Ages, a type of site rarely observed in the Toulouse region during this period. Although the main part of the site could be found further north, all the components of this type of habitat were observed, including sunken featured buildings, ovens, wooden-framed and postholes buildings and a silo. Three burials can also be associated with this settlement. The chronology of the site is based on the study of material discovered in a secondary position. They help to give a Merovingian date centered on the 6th-7th centuries and highlight activities more related to everyday domestic needs than to craft activities.
Entrées d’index
Mots-clés : Époque mérovingienne, cabane excavée, four, sépulture, silo, grenier, solin, céramique, faune, mobilier métallique, scories, verre, Tarn-et-Garonne, Occitanie
Keywords : Merovingian Period, sunken featured building, oven, burial site, silo, granary, ceramics, fauna, metal furniture, slag, glass, Tarn-et-Garonne, Occitanie
Texte intégral
1Réalisée en 2019, la fouille archéologique de Terrefort à Corbarieu a mis en évidence quatre occupations distinctes par leur chronologie et leur localisation en limite nord de l’emprise. Toutefois, les vestiges ont tous en commun d’être en lien avec de probables habitats ruraux qui pourraient se développer plus au nord. En effet, l’emprise de fouille se situe au niveau de la frange méridionale d’un replat orienté nord-sud localisé à environ 500 m de la rive droite du Tarn, bordé au sud par le ruisseau du Guitardio et à l’est par un coteau abrupt (Fig. 1).
Fig. 1 - Contexte topographique des occupations mises en évidence sur le site de Terrefort.

DAO : C. Michel Gazeau, Éveha 2021, d’après la carte topographique IGN, www.geoportail.gouv.fr).
1. Les principaux vestiges du haut Moyen Âge
2Après une première occupation datée du ier s. de n. è., il faut attendre le début de l’époque mérovingienne pour que la parcelle soit à nouveau le théâtre d’une activité humaine. Les vestiges se caractérisent par des structures fossoyées bien connues pour cette période et qui sont des composantes essentielles des sites d’habitat (Fig. 2).
Fig. 2 - Plan des vestiges du haut Moyen Âge découverts sur le site de Terrefort à Corbarieu.

DAO et relevé topographique : C. Michel Gazeau et T. Le Flécher, Éveha 2021.
1.1. Un bâtiment à la fonction indéterminée
3Un bâtiment d’au moins 10 m de côté a été découvert en limite nord de la fouille (Fig. 2, édifice 1). Il se matérialise par des solins de galets installés dans un léger surcreusement du niveau de circulation (Fig. 3). Aucune information n’a permis de restituer son élévation complète ou son type de couverture. On peut toutefois envisager des sablières posées sur les solins et supportant des murs de terre et de bois, comme c’est généralement le cas pour ce type de bâtiment (Peytremann 2003 : 287-288). L’absence d’aménagement interne n’offre aucun indice quant à sa fonction. Il peut tout aussi bien être considéré comme un bâtiment annexe, une grange, ou un habitat, d’autant qu’il n’a pas été reconnu dans sa totalité.
Fig. 3 - Vue générale de l’édifice sur solin de galets.

Cliché : C. Michel Gazeau, Éveha 2019.
1.2. Les cabanes excavées
4À proximité, se développent quatre cabanes semi-excavées qui présentent toutes la même typologie avec une fosse principale quadrangulaire associée à quatre poteaux d’angle (Fig. 4). Aucune de ces fosses n’a livré de reste de paroi dans son comblement, nous serions donc tentés de penser que les poteaux portaient directement la toiture (Gentili, Lefèvre et Mahé 2003 : 34). Néanmoins, les légers surcreusements le long des parois des cabanes 2 et 3 (Fig. 2) pourraient correspondre à des sablières basses marquant le départ d’une élévation en matériaux légers. Deux trous de piquet observés au fond d’une rigole renforcent cette hypothèse.
Fig. 4 - Vue zénithale d’une cabane excavée et de ses poteaux d’angles.

Cliché : J. Moquel, T. Vernat, Éveha 2019.
5Les surfaces excavées sont comprises entre 10 et 12,4 m² et les rares aménagements observés ne permettent pas d’envisager leur vocation. Seul l’édifice le plus profond (Fig. 2, édifice 1) comportait quelques surcreusements pouvant évoquer un métier à tisser (Gentili 2009 : 37-38). Les marques sont toutefois trop ténues pour le confirmer et aucun mobilier témoignant de cette activité n’a été retrouvé à l’intérieur des édifices. D’ailleurs, aucun niveau d’occupation lié au fonctionnement des cabanes n’a été mis en évidence, ce qui tend à privilégier l’absence d’activité génératrice de déchet à l’intérieur ou un nettoyage constant et minutieux des espaces internes.
6Interprétées comme des annexes d’habitation, ces structures sont couramment observées sur les sites de la moitié nord de la France dès la fin du ve s. tandis que dans la moitié sud, les exemples sont peu nombreux et peu fournis. En effet, les densités observées sont très en deçà de celles des sites du nord de la France, qui en livrent parfois plus d’une centaine comme c’est le cas en Île-de-France. À Corbarieu, bien que le site qui s’étend hors emprise n’ait pas été totalement circonscrit, il est peu probable qu’elle ait connu la même densité d’occupation que celle observée au nord de la France.
1.3. Les structures de combustion
7Autres composantes généralement rencontrées dans les habitats de cette période, deux fours viennent également étoffer un peu plus le corpus des fours méridionaux. Aucun rejet ou déchet lié à une activité artisanale n’a été retrouvé à proximité, ce qui suggère que les deux structures étaient probablement destinées à une utilisation domestique1.
8Le premier four (Fig. 2, structure 4) se caractérise par une chambre de chauffe peu encaissée dont la longueur a été estimée à 1,80 m de long pour une largeur conservée de 0,84 m2, avec une sole légèrement plus basse que le niveau du sol de circulation. Une pelle-bêche, qui aurait pu servir de pelle à feu, était directement posée sur la sole (Fig. 5). Devant la bouche, des blocs de grès, servant probablement à obturer le four pendant son utilisation, étaient localisés dans une fosse attenante. Généralement qualifiée de fosse-cendrier, l’excavation est avant tout une aire de travail destinée à la personne qui entretient le four, même si elle peut aussi être vouée aux rejets de combustion (Bruley-Chabot 2003).
Fig. 5 - Le four à la chambre de combustion peu encaissée, avec une pelle-bêche posée sur la sole.

Cliché : M. Marteau, J. Moquel, Éveha 2019.
9Le deuxième four (Fig. 2, structure 5) présente une chambre hémisphérique creusée en sape dans les limons naturels, et accessible depuis une grande et profonde fosse de travail. Cette dernière a servi de base de travail pour le creusement de la cavité de combustion depuis sa paroi nord. Un niveau de galets tapissait le fond de la fosse et servait probablement de niveau de circulation, tout en assurant une fonction drainante. Les dimensions du four ont pu être évaluées de manière exhaustive, ce qui en fait un témoin non négligeable de ce type de structure. L’entrée se matérialise par un arc outrepassé de 0,55 m. qui s’ouvre sur un conduit de 0,33 m de long, permettant d’accéder à une chambre de chauffe de 0,84 m de haut et matérialisée par une sole de 1,84 m de diamètre.
10La présence des deux types de fours sur un même site, l’un enterré et l’autre visiblement semi-enterré, est singulière. En effet, le contexte sédimentaire étant propice à l’encaissement de ce type de structure, nous pouvons nous interroger sur l’intérêt de construire un four en surface. Une fois abandonnées, les deux fosses servent de dépotoir, au même titre que les cabanes excavées situées à proximité. La forte densité de charbons, ainsi que la présence de nombreux nodules d’argile rubéfiée dans certains niveaux de comblement laissent peu de doute quant à l’existence d’autres structures de combustion qui auraient pris le relais.
11Deux autres structures présentant des traces de combustion (Fig. 2, structure 6) ont été interprétées comme des fosses-foyers liées à une activité sidérurgique (Veyssière 2014 : 26). Bien connues en Occitanie, ces fosses allongées aux parois rubéfiées sont en général datées de l’époque antique. Or, leur localisation, ainsi que le mobilier associé, bien que peu abondant, incitent à les rattacher à la période mérovingienne.
1.4. La présence de sépultures dispersées
12Trois sépultures individuelles distantes les unes des autres ont été découvertes à proximité des cabanes excavées. La plus ancienne (Fig. 2, structure 7) correspond à un sujet adulte dont l’inhumation pourrait être contemporaine de l’occupation mise en évidence. L’usage d’inhumer ses morts au sein ou non loin de l’habitat étant relativement courant à cette époque, sa présence n’a donc rien d’exceptionnel (Corrochano, Hernandez et Sneed-Verfaillie 2014).
13En revanche, les deux autres sujets (Fig. 2, structures 8 et 9) sont des immatures et semblent avoir été inhumés autour des années 666-7713, soit plus d’un siècle après le comblement des cabanes. Ces deux sépultures pourraient donc indiquer que l’occupation du site se poursuit jusqu’à la seconde moitié du viie s., du moins sous une forme restreinte car cette hypothèse n’est pas corroborée par le mobilier récolté.
2. Attribution chronologique et caractérisation de l’occupation d’après l’étude du mobilier
14La chronologie de l’occupation mérovingienne repose essentiellement sur du mobilier découvert en position secondaire. La céramique est issue d’un vaisselier commun et domestique, elle se compose majoritairement de céramiques à pâte grise sableuse que l’on retrouve dans les niveaux datés des vie-viie s. dans plusieurs sites de la région toulousaine. Des céramiques Dérivées-de-Sigillées-Paléochrétiennes (DSP) grises ont également été reconnues mais dans une moindre mesure. Elles sont parfois associées à des fragments de DSP à pâte orange, ce qui pourrait confirmer une chronologie au moins postérieure au ve s. On notera la présence de tessons recollant entre eux dans les comblements de deux cabanes, permettant d’établir une contemporanéité au moins entre deux édifices. L’analyse du mobilier en céramique permet donc d’établir une première fourchette chronologique correspondant aux vie et viie s. Elle complète le corpus céramique régional et trouve des correspondances à Rodez, à Tautavel et à Toulouse, mais également dans l’Hérault sur le site des Causses à Saint-André de Sangonis par exemple (Ginouvès et Forest 2017 : 10-18).
15La vaisselle en verre, plus rare mais relativement éloquente, tend à circonscrire cette occupation entre la fin du ve s. et le milieu du vie s. Elle illustre parfaitement les mutations stylistiques et techniques que les productions connaissent entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Les formes identifiées ont été observées dans divers autres lots régionaux et notamment toulousains, ce qui renforce l’hypothèse d’un ou plusieurs centres de production régionaux.
16Le mobilier métallique est principalement constitué de quincaillerie en fer, témoin de la place qu’occupaient les constructions en bois. Seule une boucle d’oreille correspond à un modèle souvent retrouvé dans des contextes mérovingiens datés entre la fin du ve et le courant du vie s. (Fig. 6). Nous retiendrons également une agrafe à double crochet dont la datation pourrait toutefois être un peu plus tardive (fin de l’époque mérovingienne au plus tard).
Fig. 6 - Boucle d’oreille à pendant polyédrique et agrafe à double crochet découvertes dans des contextes mérovingiens du site de Terrefort à Corbarieu.

DAO et clichés : A. Corrochano, Éveha 2020.
17Enfin, un petit lot de déchets métallurgiques liés au travail du fer permet de soupçonner un atelier dans le secteur. Néanmoins, les investigations n’ont révélé aucun aménagement de ce type au sein de l’emprise. Compte tenu de la localisation des éléments, nous pouvons imaginer que l’atelier se situait plus au nord. Tandis que le type de scories permet d’envisager une activité traitant des masses de fer brutes de réduction, très certainement dans le but de former de la matière première forgeable en l’état. Il est donc peu probable que cet atelier fabriquait des objets, même si les artisans présents sur le site devaient être complètement capables de remettre en état leurs outils de travail.
18La fonction de dépotoir des structures repose également sur la présence de nombreux restes carpologiques. Bien qu’une forte densité de graines ait été observée dans le comblement d’une des cabanes, cela ne correspond pas à une concentration caractéristique d’un stock, mais plutôt à une accumulation de restes alimentaires.
19L’analyse des restes fauniques illustre également une consommation carnée reposant sur les animaux de la triade. Les éléments s’apparentent à des rejets de consommation et ne sont liés à aucune pratique bouchère. Aucune trace de découpe particulière n’a été observée mais plusieurs éléments permettent d’envisager la présence d’un élevage de porcs probablement de faible envergure.
Conclusion
20Les aménagements relatifs à la seconde occupation mise en évidence sur le site se caractérisent donc par un mobilier daté de l’époque mérovingienne (vie s. principalement) avec quelques traces plus tardives, sinon d’habitation du moins de fréquentation (agrafe, sépultures). Or la période du haut Moyen Âge n’est attestée sur la commune que grâce à des installations religieuses et funéraires. Cette occupation rurale contribue donc à mieux cerner l’histoire de ce territoire à cette époque. C’est également un type de site peu courant au sud de la Loire et même assez inédit pour la région toulousaine. Toutes les composantes du site rural mérovingien sont réunies mais il est fort probable que l’on se situe sur la frange méridionale d’un site d’habitat beaucoup plus vaste et que d’autres aménagements aient existé plus au nord.
21L’attribution chronologique de cette occupation repose donc principalement sur l’étude de mobilier découvert en position secondaire. Comme à Jossigny en Île-de-France (Gentili 2017 : 41), bien que les structures soient peu nombreuses, le mobilier recueilli ne donne pas l’impression d’un faible niveau social. De plus, si aucune activité artisanale ne se détache, il permet d’envisager quelques activités domestiques liées à un habitat rural autonome.
Bibliographie
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Gentili 2017. Gentili F. - Agglomérations rurales et terroirs du haut Moyen Âge en Île-de-France (vie-xiie s.). L’apport des grandes fouilles préventives (Plateau briard, Plaine-de-France), thèse de doctorat d’archéologie médiévale, sous la direction d’Anne Nissen, Panthéon-Sorbonne, Université de Paris 1.
Ginouvez et Forest 2017. Ginouvez O. et Forest V. - Le site des Causses à Saint-André de Sangonis (vie s.) et la place alimentaire des animaux dans la moyenne vallée de l’Hérault durant le haut Moyen Âge, Archéologie du Midi Médiéval, 35 : 339.
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Veyssière 2014. Veyssière F. - Midi-Pyrénées, Tarn-et-Garonne, Corbarieu, Zone d’aménagement de Terrefort, Rapport final de diagnostic archéologique, Inrap Grand-Sud-Ouest, SRA Occitanie.
Notes de bas de page
1Ce type de four se retrouve souvent en périphérie des habitats, principalement pour limiter la propagation d’un éventuel incendie (Gentili 2017 : 61). Ce qui conforte un peu plus l’idée que l’essentiel de l’occupation se développe plus au nord, au-delà des limites de fouilles.
2Seule la moitié occidentale du four a pu être observée durant l’intervention, l’autre moitié ayant été fouillée lors du diagnostic archéologique (Veyssière 2014 : 28-29).
3Faute d’élément stratigraphique et de mobilier caractéristique, des fragments d’os prélevés sur les trois squelettes ont fait l’objet d’une datation radiocarbone par AMS.
Auteur
-
Céline Michel Gazeau
Éveha.

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