L’habitat rural du haut Moyen Âge dans le département de la Nièvre, un état de la recherche
Early medieval rural settlements in Nièvre department, a research issue
p. 197-204
Résumés
La Nièvre est un département rural du centre de la France peu impacté par les projets d’aménagement du territoire et par conséquent peu concerné par l’archéologie préventive. Cela étant, plusieurs opérations, généralement localisées le long de la vallée de la Loire, apportent tout de même des informations sur les formes et les composantes des établissements ruraux du haut Moyen Âge. Plusieurs fermes composées d’un bâtiment sur fondations de pierre et de constructions en terre et bois, parfois excavées, ont ainsi pu être étudiées. Quelques interventions en centre-bourg ont également permis d’appréhender leurs occupations pendant la période, démontrant l’ancienneté de certains villages. Un site de hauteur complète le corpus.
Nièvre is a rural department in the center of France little impacted by land development projects and therefore preventive archeology. Several operations, generally located along the Loire Valley, still provide some informations on the forms and components of the rural settlements of early medieval period. Several farms made up of a building on stone foundations and constructions in clay and wood, sometimes excavated, have thus been studied. A few interventions in the town center have also made it possible to understand several occupations from this period. A hilltop site completes the corpus.
Entrées d’index
Mots-clés : haut Moyen Âge, habitat rural, four, cabane excavée, bâtiment sur poteaux, fondations de pierre
Keywords : early medieval period, rural settlement, oven, pit-house, building on posts, stone foundation
Texte intégral
1. Un bref historique des recherches
1La Nièvre est un département rural situé à l’ouest de la région Bourgogne-Franche-Comté, pris entre le massif du Morvan à l’est et le cours de la Loire au sud et à l’ouest. À l’instar du reste du territoire français, la Nièvre connaît l’émergence des questions concernant l’habitat rural du haut Moyen Âge puis leur développement avec la réalisation des premières opérations d’archéologie préventive dans les années 1990, même si de rares opérations programmées antérieures s’étaient intéressées à des sites de la période. C’est ainsi le cas des recherches consacrées à l’habitat de hauteur du “mont Châtelet” à Varzy, conduites de 1983 à 1986 (Adam 1986). Le faible dynamisme économique du département limite le nombre d’aménagements et les opérations se situent à l’ouest et au sud, là où se concentrent la population et les activités économiques. Le nombre de sites découverts est donc restreint, aussi le corpus exploitable se limite à neuf habitats, dont quatre seulement ont fait l’objet d’une véritable fouille ces 25 dernières années (Fig. 1, 2 et 3).
Fig. 1 - Localisation des établissements ruraux du haut Moyen Âge étudiés dans le département de la Nièvre.

IGN et A. Guicheteau.
Fig. 2 - Plans des principaux établissements ruraux.

A : Coulanges-lès-Nevers, “l’Ermitage” ; B : Nevers, “18-22 rue Mademoiselle Bourgeois” ; C : Saint-Parize-le-Châtel, “Aménagement de la RN7” ; D : Magny-Cours, “Seneuil, Pré-de-Seneuil” ; E : Neuvy-sur-Loire, “le Champ du Fourneau 1 et 2”.
A. Guicheteau.
Fig. 3 - Générique, type de vestiges et chronologie des habitats du haut Moyen Âge.

A. Guicheteau.
2Il s’agit le plus souvent d’établissements étudiés lors d’aménagements routiers, comme “le Champ du fourneau” à Neuvy-sur-Loire (Tilmant 1997) et au “Pré de Seneuil” à Magny-Cours (Jolly 2009), mais aussi en amont de la construction de lotissements, comme au “18, 22, rue mademoiselle Bourgeois” à Nevers en 2013 (Chopelain 2013) ou à “l’Ermitage” à Coulanges-lès-Nevers (Guicheteau 2021). Par ailleurs, les résultats de plusieurs diagnostics non suivis de fouille complètent le panel des données disponibles, comme au “Champ des Pierres” à Saint-Parize-le-Châtel (Venault 2009), au “Domaine du Grand Bois” à Gimouille (Chopelain 2009) ou au “Pré Plantin” à Nevers (Chevrier 2018). Le développement de l’archéologie en cœur de bourg et les suivis de travaux de restauration des églises médiévales offrent également l’opportunité d’appréhender le sous-sol au cœur des villages anciens, ainsi à Parigny-les-Vaux “église Saint-Jean-Baptiste” (Guicheteau 2018). À l’avenir, il sera possible de compléter ce corpus avec l’établissement de Cercy-la-Tour “les Fourneaux”, fouillé à l’été 2021 par une équipe d’Archeodunum dirigée par Jonathan Javelle, en cours d’étude lors de la rédaction de cet article.
3La chronologie des occupations se fonde presque exclusivement sur la chrono-typologie de la céramique, dont le référentiel local est désormais bien établi (Ravoire 2013). Seules trois opérations plus récentes ont pu bénéficier de dates archéométriques. Au “Pré de Seneuil” à Magny-Cours, la datation archéomagnétique (515-645 AD à 95 %) d’une structure de cuisson étaye celle de la céramique. Les niveaux du haut Moyen Âge mis au jour à “l’église Saint-Jean-Baptiste” à Parigny-les-Vaux sont situés sous des tombes, dont l’une est datée par 14C des xie-xiie s. (1025-1160 AD à 95,4 %, Beta-481830). À “l’Ermitage” à Coulanges-lès-Nevers, une datation radiocarbone (774-993 AD à 95,4 %, Poz-135949) et trois monnaies du ixe s. complètent la chronologie du site.
2. Les formes de l’habitat
4Les données disponibles pour la fin de l’Antiquité tardive et le début du haut Moyen Âge sont peu nombreuses. À Parigny-les-Vaux, les sondages réalisés autour de l’église paroissiale Saint-Jean-Baptiste ont permis d’identifier un niveau d’occupation des ve-vie s. composé pour partie d’éléments réemployés d’un édifice antique maçonné doté d’enduits peints. La forme de l’occupation reste difficile à déterminer. Par la suite, le site est mentionné comme villa, cum ecclesia et edificiis omnibusque suis adjacentis, voire comme siège d’un pago patriniacense, en 849 suggérant l’existence d’un centre administratif, peut-être sous une forme proche de l’établissement de Cluny antérieur à l’installation de l’abbaye (Cartulaire de Saint-Cyr-de-Nevers, p. 7-9 ; Baud et Sapin 2019). Cela étant, le terme de pagus est délicat à interpréter dans le cas présent, Parigny-les-Vaux se situant dans celui de Nevers. La terminologie renvoie plutôt ici à un échelon administratif intermédiaire qu’à un véritable centre de pagus. La présence de tessons de poterie du haut Moyen Âge dans les strates du cimetière médiéval postérieur suggère la présence d’un habitat à proximité, peut-être déjà groupé, mais ses formes nous échappent totalement.
5Les campagnes de sondages programmés réalisées sur le site de hauteur du “mont Châtelet” à Varzy de 1983 à 1986 (Adam 1986) ont permis de documenter une forme d’occupation désormais bien connue dans un large quart sud-est de la Gaule (Billoin 2020 ; Martinez 2017 ; Schneider 2004). Le mont est occupé depuis la Protohistoire puis abandonné à l’époque antique avant d’être à nouveau habité à partir des vie-viie s. jusqu’au xiiie-xive s. Le rempart protohistorique est encore entretenu au haut Moyen Âge, et plusieurs couches d’occupation et sols ont livré une importante quantité de matériel attribuable à la période, de la céramique, mais aussi une agrafe à double crochet et une épingle de vêtement. Les formes précises de l’occupation demeurent délicates à cerner, mais il est possible d’envisager l’hypothèse d’un établissement fortifié et/ou aristocratique, d’une superficie d’environ 2 ha. Ce site de hauteur est associé à Varzy, alors probable agglomération secondaire mérovingienne mentionnée comme un domaine de Saint Germain d’Auxerre durant la première moitié du ve s., puis comme l’une des principales paroisses du diocèse d’Auxerre dès la fin du vie s. dans le règlement de l’évêque Aunaire (Mémoires concernant l’histoire ecclésiastique et civile d’Auxerre…, p. 41 et 116). La découverte de plusieurs cuves de sarcophages au pied de l’actuelle église paroissiale au cœur du bourg tend à confirmer l’ancienneté de l’occupation.
6Dans la vallée de la Loire, deux fouilles préventives ont permis d’appréhender un type d’établissements évoquant des fermes, peut-être à statut élevé. En effet, au “Champ du fourneau” à Neuvy-sur-Loire (Tilmant 1997) comme au “Pré de Seneuil” à Magny-Cours (Jolly 2009), le cœur de l’occupation consiste en un vaste bâtiment maçonné, doté de foyers et peut-être d’un étage. Le soin de la construction et la présence d’une véritable cheminée pour l’édifice du “Pré de Seneuil” semblent suggérer un statut aristocratique, en tout cas privilégié, des occupants. Plusieurs bâtiments sur poteaux et cabanes excavées abritant sans doute des activités agro-pastorales ou artisanales complètent le plan de ces établissements, équipés de plusieurs fosses de travail ou de stockage, mais aussi de vastes fours culinaires. Sur le site “le Champ du fourneau”, une grande cabane excavée, mesurant 7,8 m de long sur 4,3 m de large, se situe plus au sud et matérialise peut-être un pôle d’activité spécifique. La découverte en diagnostic d’une petite occupation composée d’une construction sur fondation de pierres et de quelques trous de poteau sur “le Pré Plantin” à Nevers pourrait évoquer un autre habitat du même type (Chevrier 2018), aussi leur fréquence questionne-t-elle sur leur statut (Peytremann 2013). Les deux établissements fouillés sont implantés à proximité d’un chemin, démontrant ainsi la qualité de leur insertion dans un plus large réseau de peuplement.
7La présence d’une voie importante constitue un élément structurant majeur dans l’organisation de l’occupation de Coulanges-lès-Nevers (Guicheteau 2021), véritable village-rue des ixe-xie s. situé à proximité de la ville de Nevers. L’emprise de la fouille se trouve à moins de 300 m de l’église paroissiale, dans laquelle une mosaïque attribuée aux ixe-xe s. a été découverte au xixe s. Le village de Coulanges est également mentionné à plusieurs reprises comme villa dans des textes carolingiens (Cartulaire de Saint-Cyr-de-Nevers, p. 8 et 28). La densité de creusements est très importante avec près de 1 200 structures en creux sur une emprise de 6 700 m2. Les bâtiments en terre et bois, plus rarement sur solins de pierre, s’implantent le long de la voie Nevers-Auxerre, selon un schéma évoquant la mise en place d’un véritable lotissement. Ces édifices sont souvent de grandes dimensions, d’une superficie fréquemment supérieure à 60 m2, et apparaissent équipés de foyers, suggérant une fonction résidentielle pour au moins une partie de leurs espaces intérieurs. En arrière, des fosses et des constructions sur poteaux de plus petites tailles semblent associées aux bâtiments principaux et forment autant d’unités d’habitat. En outre, de petits secteurs spécialisés, composés de fours, cabanes excavées, silos ou petites constructions sur poteaux, sont intégrés entre les zones bâties selon un schéma largement reconnu pour la période (Peytremann 2003 vol. 1 : 274-316 ; Gérard 2012).
8L’absence de fouille sur le site du “Domaine du Grand bois” à Gimouille (Chopelain 2009), en dépit d’une surface reconnue d’environ 5 000 m2, et la faible superficie de la fenêtre décapée au “18-22, rue Mademoiselle Bourgeois” à Nevers – 450 m2 (Chopelain 2013) – limitent considérablement les interprétations. La présence de solins de pierre généralement associés à des trous de poteau dans l’architecture de bâtiments de ces deux sites est à noter.
9Enfin, l’établissement découvert en diagnostic à Saint-Parize-le-Châtel “le Champ des Pierres” consiste en des bâtiments sur poteaux et des fosses à fonction indéterminée dont l’organisation suggère une petite exploitation à vocation agro-pastorale des xe-xie s. Ce type de gisement, perçu ici grâce à une large fenêtre, est probablement sous-représenté du fait de la difficulté à le caractériser dans sa forme et sa chronologie au stade du diagnostic.
3. La culture matérielle et les activités
10Tessons de poterie et restes de faune constituent de loin les types d’éléments les plus fréquemment rencontrés, mais l’absence d’études systématiques et surtout de corpus suffisamment fournis ne permet généralement pas de tirer des conclusions quant à l’économie des sites. Les données disponibles témoignent sans surprise d’une large domination des pratiques agro-pastorales, l’artisanat n’étant que rarement représenté.
11Avec plusieurs milliers d’artefacts récupérés, notamment près de 800 objets ou fragments d’objet métalliques dont trois monnaies d’argent, et une étude des restes carpologiques – le seul à avoir fait l’objet de ce type d’étude dans le corpus, les données du site de “l’Ermitage” à Coulanges-lès-Nevers permettent de dépasser le stade des suppositions. Le répertoire faunique – limité à 257 restes identifiés – apparaît largement dominé par le bœuf, devant le porc et les ovi-caprins, illustrant une nouvelle fois l’importance de cet animal dans l’économie des sites ruraux du haut Moyen Âge (Faure-Boucharlat et al. 2001). L’étude carpologique, fondée sur plus de 3 700 carporestes, montre l’importance des céréales nues (blés nus et seigle), panifiables, au côté de céréales d’été (orge vêtue ou millet). Cette association conférait une certaine sécurité alimentaire. Les légumineuses – fèves, pois et lentilles – complétaient l’assiette des habitants de Coulanges-les-Nevers. Reste à s’interroger sur la représentativité de ces échantillons et les modes de stockage, un seul litre d’une petite fosse située au cœur d’un édifice sur poteaux concentrant 1 656 macrorestes végétaux. L’étude anthracologique, conduite à partir de quelques contextes, montre des bois de petits calibres et suggère un environnement assez ouvert. L’approvisionnement s’effectue par des prélèvements sur des haies ou en lisières, pour des raisons d’état des ressources forestières ou juridiques.
12D’une manière générale, les éléments récoltés (notamment plusieurs monnaies et artefacts liés au transport) témoignent a priori d’une bonne insertion dans les circuits économiques du temps, que l’importance de la voie, démontrée par l’étude des sources écrites, suggérait déjà. La présence d’une forge au sein de l’habitat est peut-être également liée à la voie. L’artisanat textile apparaît également important dans l’économie du site, et semble se dérouler à l’échelle domestique, au sein même des bâtiments résidentiels, et non dans un secteur spécialisé. Cela étant, forge et textile sont des activités régulièrement rencontrées au sein des habitats groupés du haut Moyen Âge (Peytremann 2003 vol. 1 : 343-349).
4. Synthèse et perspectives
13Bien que les données disponibles soient encore limitées – la quasi-absence d’observations pour l’est du département dans le massif du Morvan est à signaler –, elles suggèrent une certaine diversité des établissements ruraux du haut Moyen Âge. De l’habitat de hauteur au village, en passant par des exploitations agro-pastorales, de plans et de statuts divers, elle s’accorde avec notre connaissance de l’habitat rural du haut Moyen Âge en Gaule (Hernandez et al. 2020). Les composantes de l’habitat apparaissent ainsi tout à fait comparables à celles de la région Centre-Val de Loire toute proche ou du département de l’Allier (Jesset et al. 2020 ; Loubignac et al. 2020 ; Charmoillaux et Gaime 2019). Toutefois, la fréquence de l’emploi de la pierre dans la construction est à noter, non seulement comme sols ou fondations mais aussi parfois même dans l’élévation de bâtiments résidentiels civils. Les gisements de calcaire, dont la “pierre de Nevers”, sont en effet abondants et facilement accessibles dans le secteur, ce qui constitue un début d’explication, même si d’autres facteurs sont sans doute à considérer.
14La question du statut et de la hiérarchisation de ces sites se pose également. Dans une période de restructuration de l’habitat, on ne peut, pour l’instant, faute de données suffisantes, qu’esquisser le canevas d’un maillage territorial en mouvement, axé sur la trilogie carolingienne pagus-ager-villa mentionnée dans les textes – ainsi la villa de Lurcy : “…in pago Nevernenese, in agro magniacense, in villa Lursiaco…” (Cartulaire de Saint-Cyr-de-Nevers, p. 47). L’abandon de certains de ces habitats est-il corrélé à un phénomène de concentration autour de nouveaux centres ? L’actuelle dispersion de l’habitat caractéristique de la Nièvre est-elle au contraire l’héritière de ces sites qui se sont simplement déplacés à proximité ou résulte-t-elle d’un processus plus récent ? La réalisation d’opérations en cœur de bourg devrait permettre d’avancer sur ces problématiques (Mahé-Hourlier et Poignant 2013).
15À terme, la multiplication des opérations et des données, notamment paléoenvironnementales, permettra d’avancer sur les questions de morphologie des établissements ou de modes de consommation de leurs occupants et donc de mieux appréhender les campagnes nivernaises du haut Moyen Âge. La question de l’importance du bâti en pierre apparaît ainsi importante dans le développement de travaux futurs. La recherche sur l’habitat rural du haut Moyen Âge en Bourgogne pâtit du faible nombre de publications et surtout de synthèses, alors même qu’un bilan publié en 2012 suggérait la faisabilité d’un programme collectif (Saint-Jean Vitus 2012). L’intérêt de ce type de recherche d’ampleur n’est plus à démontrer (Gentili et Lefèvre 2009 ; Valais 2012 ; Charmoillaux et Gaime 2019, etc.) et le présent article s’inscrit dans le but de susciter une telle démarche.
Bibliographie
Sources imprimées
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Auteurs
-
Patrick Chopelain
Inrap Bourgogne Franche-Comté, UMR ArTeHiS.
-
Antoine Guicheteau
Inrap Bourgogne Franche-Comté, UMR 6298 ArTeHiS.
-
Virginie Jolly
Archeodunum.
-
Pierre-Hugues Tilmant
Agence wallonne du Patrimoine.
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