Le cimetière de Crotenay (Jura), ve-xe siècle : des pratiques funéraires originales
The cemetery of Crotenay (Jura), 5th-10th century : original funerary practices
p. 105-123
Résumés
Le cimetière de Crotenay (Jura) est un des plus grands ensembles funéraires du haut Moyen Âge de l’actuelle région Bourgogne Franche-Comté avec plus de 400 sépultures fouillées. À l’issue de l’opération archéologique menée de la fin des années 60 au milieu des années 70, ce lieu d’inhumation était considéré comme celui d’une population peu aisée. La présence de tissu avait été révélée lors de la fouille, puis de façon ponctuelle sur des objets métalliques l’ayant minéralisé, mais de façon assez anecdotique. Les choix méthodologiques effectués par les responsables de l’opération associés à l’utilisation des outils informatiques actuels ont permis, lors de l’étude des structures funéraires, de mettre en évidence le recours à de nombreux éléments en matière organique. Les défunts étaient pour l’essentiel vêtus, chaussés et enveloppés dans des pièces d’étoffe. Ils bénéficiaient de nombreuses dotations, certaines en matière pérenne (fer, bronze, pierres), mais surtout d’objets en cuir ou en vannerie (sac, ceinture…) pouvant parfois être emballés dans du tissu. Le cercueil bénéficiait outre sa couverture ajustée d’un apport de planches supplémentaire.
The cemetery at Crotenay (Jura) is one of the largest burial sites from the Early Middle Ages in what is now the Bourgogne Franche-Comté region, with over 400 burials excavated. At the end of the archaeological operation conducted from the late 1960s to the mid-1970s, this burial site was considered to belong to a less affluent population. The presence of cloth had been revealed during the excavation, and then on a selective basis on metal objects that had mineralised it, but in a fairly anecdotal way. The methodological choices made by those in charge of the operation, combined with the use of modern computer tools, enabled the study of the funerary structures to highlight the use of numerous organic matter elements. For the most part, the deceased were clothed, shod and wrapped in cloth. They were provided with a number of items, some made of durable materials (iron, bronze, stones), but above all leather or wickerwork objects (bags, belts, etc.) that could sometimes be wrapped in fabric. In addition to its fitted cover, the coffin also benefited from additional planks.
Entrées d’index
Mots-clés : haut Moyen Âge, sépultures, tissus, vêtements, cuir, dotations, pratiques funéraires, architectures funéraires
Keywords : Early Middle Ages, burials, fabrics, clothes, leather, endownents, funerary practices, funerary architectures
Texte intégral
1En 1968, à la demande du directeur d’un établissement scolaire spécialisé, actuel “établissement régional d’enseignement adapté La Moraine de Crotenay”, situé sur le plateau morainique, C. Mercier et M. Mercier-Roland avaient été sollicités afin de venir constater la présence de squelettes humains. Ceux-ci se trouvaient dans les parois bordant le chemin pédestre qui monte du village au plateau morainique et dans les fondations d’un théâtre de plein air en construction, lié aux activités de l’école. La prévision d’un terrain de sport entre ce dernier et les bâtiments scolaires a conduit la Direction des Antiquités Historiques de Franche-Comté à engager des campagnes de fouilles sous la double direction de C. Mercier (médecin) et de M. Mercier-Roland (éducation nationale) de 1969 à 1977 avec une équipe régulière de fouilleurs bénévoles, sur une durée d’un mois chaque année. C. Mercier et M. Mercier-Roland avaient été sollicités parce qu’ils avaient déjà conduit la fouille de Monnet-la-Ville (Jura ; Mercier et Mercier-Roland 1974).
2Le site de Crotenay, par son nombre de sépultures, compte parmi les plus vastes cimetières du haut Moyen Âge (mérovingien et carolingien) de l’actuelle région Bourgogne Franche-Comté. C’est aussi le site qui est occupé pendant la plus grande période, c’est-à-dire pendant plus de quatre siècles et demi avec une continuité des pratiques funéraires.
3Au milieu des années 2000 s’est achevée une première phase de l’étude bénéficiant de budgets obtenus après le dépôt d’une demande d’aide à la préparation d’une publication (APP) déposée auprès du Service régional de l’archéologie de Franche-Comté. Les financements ainsi obtenus ont été gérés par une association proche du musée municipal de Lons-le-Saunier (Jura). Ceci a permis de recruter deux personnes. G. Desplanque assura l’étude du mobilier pérenne, essentiellement en métal et le dessin de celui-ci. F. Gilles fut chargée de l’étude de restes humains (sexe, âge, stature, état sanitaire, schémas de conservation des squelettes par tombe, photographies, etc.). Chacun de ces deux chercheurs a présenté leurs résultats dans deux articles (Desplanque 2008 ; Gilles 2008).
4Il restait alors toute l’étude de la position des squelettes utile à la restitution des structures sépulcrales, d’éventuels accessoires funéraires tels que les repose-têtes, à expliquer les espaces entre les parties libres des membres supérieurs et les parois latérales des cuves funéraires. C. Mercier et M. Mercier-Roland sont venus demander l’aide d’une des autrices (G. D.) de cette contribution. Ne bénéficiant plus de budget, il a fallu aménager ce travail dans un emploi du temps déjà bien rempli et c’est avec l’arrivée de S. Lefebvre1 comme directrice de l’UMR 6298 ArTeHiS, à Dijon, que des plages d’une à deux semaines de travail chez M. Mercier-Roland ont pu être programmées régulièrement. Cette phase d’étude s’est arrêtée au début de l’année 2021, et si le travail continue, le temps qui peut lui être consacré n’est plus aussi régulier.
5Si aucune des deux autrices n’est spécialiste des restes textiles anciens, la reconnaissance de ceux-ci lors de l’étude n’a pu être ignorée. Ne disposant pas des financements nécessaires pour faire étudier un tel échantillon, nous avons tenté à l’occasion des journées de l’AFAM à Chartres de rendre compte des observations effectuées avec un vocabulaire visiblement peu adapté. Après retour des commentaires des relecteurs, nous avons bénéficié de l’aide de F. Médard2 que nous remercions chaleureusement pour avoir consacré du temps à nos demandes et avoir répondu rapidement à nos questions. Nous espérons ainsi avoir évité de trop grosses erreurs d’identification ou d’interprétation.
6En effet, une des missions fondamentales de chaque archéologue est de publier les faits archéologiques sans forcément les interpréter (ils ne le sont pas toujours), sans connaître toutes les spécificités de chaque discipline. Publier c’est donner à la communauté scientifique non seulement l’information brute, analytique, mais offrir également la possibilité aux spécialistes de bénéficier de l’information sur l’existence et l’état de conservation des artefacts qui les concernent et leur permettre d’en approfondir la connaissance par l’étude détaillée et spécialisée.
7L’objectif de cette contribution est donc de présenter les détails des architectures funéraires et des premières redécouvertes du mobilier en matière périssable grâce aux données de terrain complétées par des observations poussées en utilisant les outils informatiques actuels.
1. Le site de Crotenay (Jura)
1.1. Présentation
8Le site sur lequel s’est installé le cimetière du haut Moyen Âge de Crotenay (Jura) se situe sur un lobe morainique qui surplombe la combe d’Ain, à l’entrée nord de cette dernière (Fig. 1, d), à 520 m d’altitude NGF. Cette combe se caractérise comme étant “[…] une dépression d’orientation générale Nord-Est/Sud-Ouest, [elle s’étend] de Crotenay au Nord à Largillay au Sud, sur une trentaine de kilomètres pour une largeur qui va de 2,5 km au niveau de Crotenay à 6 km au niveau de Largillay” (Campy 1982 : 364, fig. 133). Cette ancienne vallée glaciaire est, dès le Néolithique au moins, un lieu de passage (Pétrequin 1992). L’étroitesse de la combe au niveau de Crotenay fait de ce secteur un lieu privilégié de surveillance et de contrôle.
Fig. 1 - Localisation du site.

a. Position du département (https://www.cartesfrance.fr/carte-france-departement/carte-departement-Jura.html) ; b. Emplacement dans le département (https://gifex.com/fr/fichier/carte-du-jura/) ; c. Emplacement par rapport à la Combe d’Ain (https://draaf.bourgogne-franche-comte.agriculture.gouv.fr/IMG/html/combe_d_ain_39.html) ; d. Photographie aérienne (cliché d’origine inconnue conservé chez M. Mercier-Roland).
9Le cimetière de Crotenay n’est pas isolé. Il se situe à l’ouest de l’Ain comme ceux de Blye et Largillay, alors que les cimetières de Monnet-la-Ville et Soyria (commune de Clairvaux-les-lacs) se trouvent sur la rive est de la rivière (Billoin et al. 2006, fig. 2 : 227). Ces nécropoles se répartissent sur une surface d’environ 300 km².
Fig. 2 - Plan du site. Le carroyage a été installé sur plan après la fouille pour permettre une recherche plus facile.

Infographie G. Depierre d’après plan de fouille C. Mercier.
10L’essentiel des tombes appartient à ce que l’équipe archéologique a nommé le “secteur 2” qui occupe la surface du plateau, en opposition au “secteur 1” qui se trouve entre 10 et 15 m plus bas (Fig. 1 d et Fig. 2). Les sépultures de cette zone ont toutes été attribuées à l’époque carolingienne grâce à une datation 14C effectuée sur les os du sujet de la sépulture 13.
11S’il est tentant d’y voir la prolongation tardive du cimetière initial, rien ne nous permet d’en assurer la véracité, puisque rien ne permet de les relier. Il peut s’agir de deux ensembles funéraires distincts. L’étude des pratiques funéraires ne nous est d’aucune aide, puisqu’elles sont semblables pour tout le premier Moyen Âge (voir ci-dessous).
12Il est donc difficile d’estimer la surface initiale du cimetière, voire des cimetières. Si des sépultures ont été très probablement détruites lors du terrassement inhérent à la construction du théâtre, d’autres comme celle de la pointe est et celle qui occupe l’essentiel du bord sud ont glissé sous l’effet de l’érosion due à la pente du terrain. Peut-on voir dans la raréfaction des tombes, dans le quart sud-ouest, l’amorce d’une interruption sépulcrale ?
13À l’issue de ces campagnes de fouilles, ce sont plus de 460 sépultures (Fig. 2) qui ont été mises au jour, sépultures dont les datations s’étendent du milieu du ve jusqu’au début du ixe s. Il est difficile de dénombrer avec exactitude le nombre de sépultures. Au nord, une série de tranchées a permis d’attester que le cimetière ne s’étend pas plus loin. À l’est, l’absence d’inhumations a vite été attestée. En revanche, nous ne pouvons pas estimer le nombre de structures disparues dans la partie sud, à cause de l’érosion de la pente. D’autres tombes étaient amenées à disparaître à moyen terme, telles que les structures 95, carré G2/3, 359 et 360, carré E1, par exemple. Par ailleurs, il a été prouvé au cours de la fouille que le théâtre de plein air avait dû recouvrir un certain nombre de tombes. Si la densité moyenne reste la même qu’à proximité de cet édifice, leur quantité peut être estimée à une petite centaine. Il est impossible d’estimer le nombre de tombes détruites dans les environs du secteur 1 qui n’a livré que 29 sépultures à la fouille.
14La prise en compte de tous ces paramètres porterait le nombre de sépultures à plus de 600, ce qui rapproche quantitativement le cimetière de Crotenay de celui de la Grande Oye à Doubs (Doubs ; Urlacher et al. 1998)
15Pour faciliter la localisation des tombes sur le plan du secteur 2, nous avons installé sur ce dernier un carroyage a posteriori.
16L’étude du mobilier pérenne (métal, etc.), effectuée par H. Gaillard de Sémainville3 et G. Desplanque4, a permis de distinguer six phases d’occupation du site : phase I de 430/50 à 530/40, phase II de 530/50 à 590/600, la phase III de 600 à 630/40, la phase IV de 630/40 à 670/80, la phase V de 670/80 à 710/20 et une phase VI récente qui s’étend jusqu’à la fin du ixe s. et qui correspond à la période carolingienne. Celles-ci pourront être légèrement modifiées par la prise en compte d’autres paramètres comme les datations 14C, l’orientation et la profondeur des tombes, leur situation stratigraphique, le contexte général… Des modifications sont déjà survenues depuis l’article de F. Gilles (Gilles 2008).
1.2. Modes d’inhumation
17Au premier abord, ce cimetière apparaît comme une zone d’inhumation classique de plein champ, les sépultures étant organisées en rangées et les défunts disposés selon un axe est-ouest, la tête à l’ouest. Toutefois, dans certains secteurs les tombes se succèdent alors qu’en d’autres lieux apparaissent d’emblée des vides et une absence totale de superposition. La datation des sépultures 51, 55, 53, 33, 52 (carré E2) s’étend de la phase ancienne I-II (milieu ve s.-fin du vie s.) à la phase IV-V (milieu viie s.-début viiie s.), avec une chute du nombre d’inhumations en phase III (1re moitié viie s.). La sépulture 38 (carré E2) recouverte par la tombe 39 (carré E3 ; phase V : fin viie s.-début viiie s.) fait partie des rares structures à pouvoir appartenir à cette période de faible utilisation du cimetière.
18Ces zones de moindre densité et celles dans lesquelles les structures sépulcrales se succèdent dans des espaces restreints pourraient témoigner de l’existence de secteurs réservés à des groupes familiaux ou sociaux. Les membres de ces entités ont pu quitter la région, alors que d’autres seraient restés, voire revenus.
19Les premières sépultures semblent occuper le centre du cimetière qui contient les tombes les plus profondes, celles qui ont livré le mobilier le plus ancien (Desplanque 2008). Malheureusement toutes ces tombes ne contiennent pas d’artefact.
20Lors de la fouille, les archéologues se sont fondés sur les mêmes observations que celles de P. Pétrequin quelques années plus tard (Pétrequin et al. 1980 : 194) : “[…] l’orientation granulométrique linéaire des sédiments constitu[e] une preuve sérieuse de la présence d’un contenant”. C’est-à-dire que les parois des cuves, les bords des planches ou encore les contours des repose-têtes sont surlignés d’un contour plus ou moins continu de petits galets de moraines de la taille de quelques millimètres à quelques centimètres. Lorsque ceci n’avait pas été enregistré par le ou les fouilleurs, nous avons eu recours à des agrandissements avec des outils informatiques tels que logiciel Adobe Photoshop®.
21Les types d’architecture funéraire sont assez standardisés. Les tombes sont constituées d’une fosse rectangulaire ou subrectangulaire, aux angles plus ou moins arrondis et aux parois verticales. Dans cette fosse, peut avoir été déposée une cuve en bois contenant le défunt ou avoir été construit un coffrage en pierre ou en pierre et bois. Dans le premier cas, la cuve peut être rectangulaire ou trapézoïdale à la tête, à section quadrangulaire. Il existe également des contenants à fond concave, l’épaisseur des parois comprise entre 0,05 m et 0,10 m suggère qu’il s’agit de troncs d’arbre évidé. Dans tous les cas, les cuves sont fermées formant ainsi des cercueils, puis l’ensemble est recouvert d’une superposition de quatre niveaux au moins de planches (Fig. 3). Celles qui reposent directement sur le couvercle sont orientées longitudinalement ou transversalement. Le nombre de ces dernières varie de deux à près de 10, exceptionnellement plus. Les planches placées longitudinalement sont au nombre le plus souvent de trois, rarement deux ou quatre. Ce sont évidemment les plus longues. Sur cet aménagement, reposent deux autres lits de planches disposées de façon oblique. Si le premier est oblique de l’amont vers l’aval et de la droite vers la gauche, l’autre niveau sera également oblique de l’amont vers l’aval, mais de la gauche vers la droite. Leur variation en nombre est plus grande que pour les deux lits de planches précédents, mais ceci ne représente pas forcément la réalité. Il était plus difficile de suivre ses planches dans les premiers niveaux de fouille.
Fig. 3 - Restitutions schématique de la disposition de quatre épaisseurs de planches non équarries placées sur le couvercle du cercueil.

DAO : G. Depierre.
22Quelle que soit leur orientation, ces pièces de bois débordent largement des parois de la cuve, qu’il s’agisse des parois latérales, de celle de la tête ou des pieds. La place requise pour poser ces planches explique la largeur des tombes qui rappelle celle des chambres funéraires.
23Les superpositions latérales de planches placées longitudinalement et leurs éventuelles différences de largeur à la tête, par rapport aux pieds, nous permettent de supposer que ces planches étaient faites de dosses et/ou de contre dosses ; elles n’étaient donc pas équarries. Le CNRTL5 définit la dosse comme étant une “planche que l’on détache d’une grume au début ou en fin de sciage et dont la face externe bombée reste couverte d’écorce”. La contre dosse est la planche qui suit immédiatement (Fig. 4). Il nous est impossible de savoir si l’écorce était conservée ou non.
Fig. 4 - a. Localisation de la dosse et de la contre dosse sur une grume ; b. Premières propositions de la disposition des planches non équarries placées directement sur le couvercle ou sur des planches obliques.

DAO : G. Depierre.
24La quasi-absence de clous dans la composition des cuves nous invite à proposer que l’assemblage des pièces de bois se faisait grâce à des tenons et des mortaises. La position générale des squelettes en appui contre le bord droit ou gauche de la cuve laisse suggérer que le défunt était placé dans celle-ci avant l’inhumation. Dans certains cas, des déplacements de segment anatomique, non liés à la décomposition du cadavre, vont dans ce sens. Les segments anatomiques ainsi déplacés n’étant pas remis en position, soit ceci n’avait pas d’importance pour les contemporains du défunt, soit cela était impossible parce que la cuve était déjà munie de son couvercle. Le soin pris à différentes étapes de la construction de la structure nous incite à retenir la deuxième hypothèse. Ainsi, ce serait dans une cuve fermée, un cercueil, que le défunt serait descendu dans la fosse, les quatre niveaux de planches venant ensuite le recouvrir.
25Les contenants à fond concave bénéficient de la même quantité de planches débordantes. Leur stabilité est assurée grâce à des billots de bois latéralement et légèrement sous les bords latéraux de la cuve pour maintenir la stabilité de celle-ci. Le substrat sédimentaire de Crotenay est très proche de celui de Soyria où ce sont des galets de moraines disposés en ligne qui jouent cette fonction (Pétrequin et al. 1980). Il aurait été possible de faire de même à Crotenay, ce qui aurait probablement été plus simple que de scier et tailler des billots.
26Les constructions en pierre utilisent des moellons et/ou des dalles. Elles peuvent bénéficier d’un fond en dalles ou en bois, mais dans certains cas nous ne pouvons pas affirmer que le fond ait été aménagé. Les couvertures, lorsqu’elles sont encore observables, sont constituées de dalles qui se chevauchent. Nous avons pu noter une superposition maximale de trois dalles ou fragments de dalles. La volonté de rendre étanche la couverture en pierre est marquée par l’utilisation de galets placés judicieusement entre les dalles (Fig. 5) et/ou de mortiers à la jonction de ces dernières (Fig. 6). Dans de rares cas, nous supposons que des planches de bois ont été utilisées pour pallier l’absence de pierre de bouchage. Ces structures en dalles et/ou moellons sont assez rares, une trentaine sur l’ensemble du site (Gilles 2008). Elles apparaissent et se développent au viie s. et ne sont plus utilisées à la fin de celui-ci. Aucun sarcophage n’a été employé dans ce cimetière, cette absence a en partie contribué à qualifier socialement la population inhumée.
Fig. 5 - Sépulture 80, carré F3.

Couverture d’une tombe à dalle rendue étanche par l’utilisation de galets de moraines figés verticalement dans les interstices que ménage l’irrégularité des bords des dalles.
Cliché C. Mercier.
Fig. 6 - Sépulture 63, carrés E/F3.

a. Vue du sud de la structure visible après la fouille de la sépulture 65 montrant le tertre qui la recouvre, le creusement et le négatif du piquet ; b. Vue supérieure de la couverture de la tombe dalle avec creusement et négatif du piquet.
D’après photo C. Mercier ; DAO G. Depierre.
27L’emplacement de la sépulture est souvent marqué par au moins un poteau ou piquet dont nous ne retrouvons généralement que la base du creusement nécessaire à son installation, ce qui ne nous donne pas d’information quand la définition du marquage (poteau ou piquet). Dans certains cas, nous pouvons suivre la trace de celui-ci dans les limites de fouille de la sépulture. Le nombre de poteaux par sépulture est très variable. Dans la tombe 125, carré G4, un neurocrâne de mouton a été découvert dans la partie supérieure du comblement de la tombe 125. Après enlèvement
28des cornes, utiles à différents usages, les faces frontale et ventrale du neurocrâne ont été perforées, ménageant sur chaque face un trou quadrangulaire probablement pour être fixé au bout d’un piquet (Cantuel et al. 2009). Cette tombe est celle d’un homme adulte accompagné d’un mobilier abondant pour ce cimetière : une garniture de ceinture tripartite, une grande épée associée aux éléments d’un baudrier, un sac contenant plusieurs outils, une pierre de touche et une bague en alliage cuivreux. Tout ceci semble indiquer un personnage d’un rang remarquable. La sépulture est attribuée à la phase III.
29Lorsque les sépultures se superposent et que la dernière a détruit tout ou partie de la précédente, il nous est arrivé de reconnaître des bases de poteau sous la dernière sépulture, ce qui sous-entend que le ou les marqueurs ont été détruits et donc qu’ils étaient visibles lors de l’installation d’une nouvelle sépulture. Se pose alors la question du devenir de l’individu dont la sépulture et son marquage ont été détruits dans l’esprit collectif de la collectivité.
30La constitution de la tombe peut être complétée par un tertre et son emplacement également marqué par au moins un poteau comme pour la sépulture 63 (carrés E/F3 ; Fig. 6). Le système de marquage peut aussi utiliser des dalles dressées ou des stèles en bois dont les traces quadrangulaires et noirâtres ont été reconnues dans la berme proximale des limites de fouille de certaines tombes.
31Initialement et jusqu’il y a quelques années encore, le cimetière était considéré comme celui d’une population peu aisée, ayant recours à des compositions ou des réparations de garnitures de ceintures employant des objets récupérés comme la garniture de ceinture de la sépulture 236 (carré D5 ; Fig. 7). Mais en 2008, G. Desplanque a montré, par l’étude du mobilier pérenne, que le cimetière comptait des tombes dites “de chef”, des sépultures “privilégiées” en phase I et III et des tombes de guerrier (Desplanque 2008).
Fig. 7 - Sépulture 236, carré D6 - garniture de ceinture à trois éléments en alliage cuivreux.

a. Plaque boucle gravée, autrefois étamée. La chape de la boucle est restaurée avec une lanière de cuir ; b. contre plaque à décor similaire provenant d’une plaque boucle dont la chape et la boucle ont été volontairement séparées ; c. plaque dorsale en fer damasquinée de laiton.
Dessins G. Desplanque.
32Les observations que nous venons de présenter contribuent à donner de cette population une image plus “riche” que celle initialement envisagée. Chaque tombe nécessite un apport non négligeable de matière première qu’il faut façonner, même de façon peu poussée.
2. L’utilisation de textiles et autres matières organiques
2.1. Les observations au cours de la fouille
33Pendant les fouilles, les responsables de l’opération ont largement utilisé un produit consolidant, l’“imperplex” qui est actuellement connu comme une résine d’étanchéité pour toiture, terrasse, mur… Ceci a permis de conserver des fragments de tissus tels que ceux qui ont servi à envelopper les anneaux de suspension en bronze (Fig. 8) de la sépulture 156 (carré F3), celle d’un enfant mort aux environs de 8 ans6, accompagné d’un mobilier habituellement réservé aux femmes. L’enveloppement de ces anneaux a nécessité au moins deux types de tissus fins superposés sur plusieurs épaisseurs, sur une des faces il semble qu’un fragment de textiles se différencie du reste (Fig. 8 b).
Fig. 8 - Sépulture 156, carré F3 - paquet en tissu contenant des anneaux de suspension (châtelaine ?).

a. Les deux tiers du paquet initial, face d’apparition lors de la fouille avec la localisation de l’agrandissement qui suit ; b. agrandissement montrant au moins deux types de tissu. Celui qui est délimité par un pointillé jaune est plié au moins deux fois sur lui-même et plus épais que le tissu qui compose l’emballage ; c. Vue de profil du dernier tiers du paquet montrant les différentes superpositions du (ou des) tissus.
Clichés C. Mercier.
34L’oxydation de certains objets en métal a favorisé la minéralisation d’autres textiles comme celui préservé au revers de la boucle en fer hachurée d’argent, associée à un homme probable (St. 157, carré F3), mature voire âgé (Fig. 9 a), ou comme celui conservé sur la plaque-boucle ronde, en fer damasquiné d’argent, qui accompagnait un sujet adulte de sexe indéterminé (Sujet 352, carré D2) ; Fig. 9 b). L’objet du premier exemple est attribué à la phase I, celui du second à la phase III. Le tissage de l’étoffe minéralisée sur la boucle du sujet 157 dessinait des losanges alors que sur l’exemple donné par la sépulture 352, il s’agissait de chevrons. Ces deux motifs correspondent à un travail en base d’armure sergé7 (Médard 2016, 4C). Ces découvertes ne concernaient que des éléments évidents. Dans un rapport rendu au musée de Lons-le-Saunier qui a accueilli pendant un temps la collection8 (os humains et mobilier), mais non daté, nous disposons des premiers résultats de l’examen effectué alors par C. Moulhérat, travail effectué sous la double tutelle du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et du Centre international d’étude des textiles anciens (CIETA)9. Cette étude portait sur une sélection de restes textiles minéralisés au contact d’objets en fer et/ou en alliage cuivreux (Moulhérat s. d.). Sur 27 échantillons examinés, 19 étaient tissés de laine, alors que huit utilisaient du lin ; ceci pour toute la période d’utilisation du cimetière. Il constate également la présence de laine et de lin associés à une même pièce de métal, disposition suggérant plusieurs types d’étoffe associés au défunt et/ou aux objets qui l’accompagnaient (st. 125, carré G4 et 432, carré B3 par exemple).
Fig. 9 - Deux exemples de tissus fixés par l’oxyde métallique.

a. Sépulture 157, carré F3 : étoffe dont le tissage dessine des losanges ; b. Sépulture 352 (D2) : étoffe dont le tissage dessine des chevrons.
Clichés C. Mercier.
35La sépulture 63, carrés E/F 3 (première moitié viie s.), un coffre en dalle contenant le squelette d’un homme âgé portant une plaque herniaire faite d’une âme de bois d’orme recouverte de cuir10 avait, elle aussi, attiré l’attention dès la fouille sur la présence de tissus et plus particulièrement sur l’existence de vêtements. Lors de sa découverte, la couverture en dalles n’avait pas été perturbée (Fig. 6). Après son ouverture, les fouilleurs ont constaté que très peu de sédiments avaient percolé à l’intérieur de la cuve (Fig. 10). Au fil des siècles l’humidité avait toutefois créé des concrétions blanches recouvrant ponctuellement le squelette. De véritables fragments de tissus appartenant en particulier au col d’un vêtement (Fig. 11) ont été découverts à cette occasion ainsi que d’autres plus épais formant des manches ou des bandes étroites au-dessus de la cheville.
Fig. 10 - Sépulture 63, carrés E/F3, après enlèvement de la couverture en dalles.

L’étanchéité de cette dernière a perduré jusqu’à nos jours.
Cliché C. Mercier.
Fig. 11 - Sépulture 63, carrés E/F3 - tissu non fossilisé prélevé au niveau du cou.

a. Vue générale indiquant l’emplacement d’un décor en bouton ( ?) ; b. Agrandissement du "bouton".
Clichés G. Depierre.
36La manche droite était particulièrement bien conservée en dépit d’une déchirure longitudinale (Fig. 12). La bande étroite de la cheville droite recouvrait un fragment de tissus qui s’étendait selon le sens longitudinal du tibia (Fig. 13), c’est pourquoi nous émettons l’hypothèse d’un galon fermant ou décorant le bas des jambes d’une paire de braies11 ou de jambières. L’épaisseur du tissu des manches était assez proche de celui des jambes, alors que le tissu à chevrons prélevé au niveau du cou est plus fin (épaisseur du fil : 0,4 mm) ; il porte une décoration ( ?) en forme de bouton (Fig. 11 b). Par conséquent, le défunt lors de son inhumation portait plusieurs pièces vestimentaires composées d’au moins un vêtement fin doté d’un col à revers, d’un possible manteau en étoffe épaisse avec des manches et un col à revers et de braies ou de jambières.
Fig. 12 - Sépulture 63, carrés E/F3, manche droite.

Dans le cercle en pointillés blancs les restes d’un décor en losanges
Cliché C. Mercier.
Fig. 13 - Sépulture 63, carrés E/F3, bande étroite de textile (flèche noire) au niveau de l’extrémité distale de la jambe et le tissu qu’elle entourait (flèche blanche).

Cliché C. Mercier.
37Initialement, une centaine de sépultures avaient été sélectionnées pour être dessinées et paraître avec une illustration dans le catalogue des tombes. Comme nous l’avons déjà énoncé, les critères de sélection étaient la conservation de la structure, celle des squelettes, la présence de mobilier(s) particulier(s), la qualité des informations liées à la description de la tombe (limites de la cuve, fragment de couverture pérennisé…) et la présence d’accessoires funéraires. La ré-observation de la documentation de fouille nous a encouragé à changer de stratégie en prenant en compte toutes les tombes. Chaque cliché photographique pertinent a été soumis à un très fort grossissement là où les fouilleurs avaient noté de la matière organique. Les deux méthodes utilisées lors de la fouille (photographie et consolidation) nous ont permis de restituer en grand nombre des éléments en matière organique (cuir, tissu, osier, bois…) que l’on ne perçoit habituellement que très rarement.
38Le fait de passer chaque cliché ou presque à un très fort grossissement nous a contraint à changer de stratégie, c’est-à-dire à prendre en compte toutes les tombes. Ce travail colossal est toujours en cours mais ô combien enrichissant.
2.2. Quelques exemples d’apports inattendus
2.2.1. Méthodes
39C. Mercier, féru de photographie, utilisait un appareil 6×6 pour l’essentiel des clichés noirs et blancs (développés par M. Mercier-Roland) et au moins un appareil 24×36 pour doubler les premiers clichés par des diapositives. Celles-ci avaient, avant l’ère du numérique, l’avantage d’être projetables, lors de conférences, mais également de servir de support à des tirages papiers sans perdre leur fonction première. De cette manière, nous disposons d’une quantité considérable de supports photographiques (négatifs, tirages contacts, tirages papier, diapositives) d’excellente qualité puisque presque tous les clichés ont été faits avec un grand temps d’exposition. Ce choix donne peu de grains aux photographies et permet de faire de très forts agrandissements après numérisation. Si à un certain niveau d’agrandissement la zone observée devient floue, l’information reste exploitable à défaut d’être publiable. Par ailleurs, les os étant mal conservés dans la plupart des cas, les responsables de la fouille ont fait le choix de s’attacher à la matière organique se présentant souvent sous la forme de plaques ou de tas plus ou moins épais de matière grasse au toucher, très souvent noire ou foncée, se distinguant du sédiment environnant (sable, graviers et galets de moraine), et du sédiment placé à l’intérieur de la fosse. Sédiment vraisemblablement spécifique, puisqu’il contient clairement beaucoup moins d’éléments lithiques que la terre naturelle dans laquelle les tombes étaient creusées. À chaque avertissement des fouilleurs, la zone concernée était recouverte du consolidant utilisé pour les objets bien identifiés. Si ceci n’a pas permis de prélever toutes les traces consolidées ainsi, cela a joué le rôle de fixateur, figeant les ultimes traces de l’objet. Celles-ci étaient photographiées sous différents angles. Ces deux méthodes cumulées, photographie et consolidation in situ, ont fourni un stock de données qui, manipulées ensuite sous Adobe Photoshop®, nous ont permis de restituer les éléments en matière organique (cuir, tissu, osier, bois, etc.) dans des proportions que personne ne pouvait imaginer.
40Avant de décider de prendre en compte toutes les sépultures, nous avons testé celles qui avaient été jugées comme trop abîmées pour apporter des informations pertinentes. Le test a été fait à l’aveugle, sans regarder la documentation archéologique. Les observations les plus inattendues ont été présentées à différents collègues archéologues afin d’être sûres que nous ne nous étions pas laissées emporter par les résultats. La présentation aux 41es journées internationales de l’AFAM, à Chartres (Eure-et-Loir) en 2021, a également validé nos interprétations qui étaient présentées pour la première fois au public.
2.2.2. Quelques résultats
41Les restes organiques de Crotenay étaient à l’état de ceux décrits par F. Médard et C. Moulhérat à propos de la nécropole du haut Moyen Âge d’Hégenheim (Haut-Rhin) : “[…] les textiles n’étaient pas systématiquement minéralisés, mais parfois simplement “transformés en matière sédimentaire […] parfois, le textile était réduit à l’état de traces uniquement repérables en raison de leur couleur différente de celle du sédiment” (Médard et Moulhérat 2008 : 123-124). L’intervention de spécialistes a permis, sur ce site, de sauver un certain nombre de ces textiles, ce qui n’était pas envisageable à l’époque de la fouille de Crotenay.
42La première structure à être testée est la sépulture 82, carré G3 (Fig. 14), celle d’un sujet masculin comme semble l’indiquer le mobilier qui accompagne le défunt. La sépulture et le squelette sont effectivement mal conservés et le mobilier métallique (plaque-boucle en fer uni, phase III) dans une position peu courante. L’examen des clichés a permis de retrouver à l’emplacement d’une zone de matière organique enregistrée par les fouilleurs, un sac en cuir dont les montants et le fond étaient renforcés par des tiges métalliques. Celles-ci n’avaient pas été entièrement vues lors de la fouille en raison de la matière organique préservée. De fait, ce qui avait été enregistré n’avait pas été interprété correctement. Le rôle de fixateur que jouait involontairement le consolidant a permis de mettre au jour non seulement la partie contenant du sac quadrangulaire, mais également le décor de la partie inférieure de ce dernier, c’est-à-dire au moins trois pampilles (Fig. 14 b). La suivante fut la structure 30, carré E2, celle d’un adolescent, peut-être un homme selon le mobilier qui l’accompagnait. Elle était presque complètement détruite (Fig. 15), mais dans le secteur d’une garniture de ceinture avait été reconnue une tache de matière organique que nous avons pu détailler comme suit : une ceinture très probablement en cuir, ornée d’éléments géométriques obtenus par la méthode du repoussé, un sac probablement en cuir, un tissu enveloppant un briquet… or dans le premier inventaire des objets n’apparaissait que le mobilier métallique. Dans la sépulture 290, carré D4, celle d’un homme probable, âgé, nous avons retrouvé les limites d’une chaussure remontant sur la jambe. Sa partie supérieure était formée d’une bande de cuir perforée afin de faire passer un lacet et maintenir la chaussure lors de la marche (Fig. 16).
Fig. 14 - Sépulture 82, carré G3.

a. Vue générale de l’état de la structure. Dans le rectangle limité par des pointillés blancs, l’emplacement du zoom présenté dessous ; b. Vue in situ des montants métalliques d’un sac en cuir (flèches noires) et le décor d’au moins trois pampilles (flèches blanches) (cliché C. Mercier) ; c. Restitution graphique du sac (DAO G. Depierre d’après cliché C. Mercier).
Fig. 15 - Sépulture 30, carré E2.

a. Vue générale de l’état de la structure et localisation de l’agrandissement présenté ensuite (pointillés noirs) ; b. Etat de la zone lors de la fouille (clichés C. Mercier) ; c. Restitution graphique (G. Depierre d’après cliché C. Mercier).
Fig. 16 - Sépulture 290, carré D4.

a. Vue in situ de la chaussure recouvrant partiellement le pied ; b. Restitution graphique, les traits en pointillés permettent d’associer les deux images.
DAO G. Depierre d’après cliché C. Mercier.
Fig. 17 - Sépulture 25, secteur 1.

a. Vue générale de la structure ; b. Agrandissement du secteur en amont du crâne montrant plusieurs bandes de tissu (ligatures ?) ; c. Sépulture 311 – Deux bandes de tissu déplacées lors du pillage de la tombe.
Cliché C. Mercier.
43Cet exercice nous a également permis de reconnaître des bandes de tissus (Fig. 17) que nous n’avions pas su voir lors de nos premiers examens de la documentation de fouille (St. 25, secteur 1, 311, carré D3 par exemple). Nous avons pu les attribuer à des ligatures maintenant le défunt, vêtu, dans un enveloppement en étoffe. Les ligatures peuvent sembler peu contraignantes, mais il faut non seulement imaginer la disparition du volume corporel, mais également la disparition du vêtement et d’éventuelles pièces de tissus. De telles ligatures ont été observées sur le sujet 10 de la collection Châtelet (Belgique), décédé en 1902 et exhumé en 2006 (Bouquin 2019).
44De cette manière nous avons multiplié par trois au moins le nombre de sépultures contenant du mobilier d’accompagnement, des défunts vêtus et/ou chaussés. À la fin des années 2000, ce mobilier d’accompagnement était estimé à environ 1 000 objets pérennes. Seules les sépultures des phases I et II étaient considérées comme renfermant peu de mobilier. Il s’avère que ces structures peuvent livrer également des objets en matière organique et des tissus liés à l’aménagement des sépultures, à l’enveloppement des corps, au vêtement qui les habillait et aux accessoires qui les accompagnaient. Nous avons pu constater ainsi que les contenants de type sac évoluaient avec le temps, que l’on passait de formes simples (quadrangulaires) à des formes plus souples, plus complexes et élaborées comme l’exemplaire mis au jour dans la sépulture 140, carré H4, celle d’un homme âgé, attribuée à la phase IV ou V (Fig. 18).
Fig. 18 - Sépulture 140, carré H4.

a. Vue de la zone de matière organique enregistrée lors de la fouille (cliché C. Mercier) ; b. Restitution graphique d’un sac de forme globuleuse.
DAO G. Depierre d’après cliché C. Mercier.
45Alors que nous avions entamé la reprise d’étude du site avec en tête l’idée d’une population peu aisée, nous nous dirigeons désormais vers une image plus nuancée. La présence de tombes de “chef” sous-entend une hiérarchisation reconnue et établie. L’essentiel des défunts, sans distinction de sexe ou d’âge, étaient vêtus, chaussés, placés dans une enveloppe en textile maintenue fermée par des ligatures. A priori, tous sont dans des architectures assez élaborées : coffres de dalles et/ou de murettes, cercueils quadrangulaires ou à fond concave, dont le couvercle reçoit la même quantité de planches, là encore sans distinction de sexe ou d’âge. Un grand nombre a bénéficié d’une dotation souvent composée de sac ou de ceinture en cuir. En effet, celles-ci semblent avoir été exceptionnellement portées dans la sépulture. Nous avons donc affaire à une population dont les membres devaient disposer de tous ces éléments pour leurs funérailles, ce qui nécessitait d’être prévoyant. Il est possible que chaque vivant au cours de sa vie, et peut-être dès sa naissance, recevait et/ou achetait tout ce qui lui serait nécessaire après son trépas. Cette homogénéité des pratiques est tellement forte qu’elle doit répondre à des rites spécifiques et ceci pendant tout le premier Moyen Âge.
46Comme nous l’avons déjà évoqué, l’absence de budget n’a pas permis de faire étudier les restes encore préhensibles prélevés sur le terrain par des spécialistes des textiles et des cuirs. Il est bon de souligner que les objets en matière pérenne, à l’issue de chaque campagne de fouille ont été confiés à A. Thouvenin, du laboratoire d’archéologie des métaux de Jarville-la-Malgrange, près de Nancy (Meurthe-et-Moselle) afin qu’ils soient nettoyés et stabilisés, tout en insistant sur la possible présence de restes de matière organique. Ces opérations ont été réalisées sur les finances propres des responsables de la fouille, tout comme les tirages papier des clichés noir et blanc, ainsi qu’au moins trois datations 14C.
47Rappelons également que si A. Geijer a publié dès 1938 une étude pionnière sur des fragments de textile (laine, lin, chanvre, soie, or et argents) ainsi que des restes de fourrures de divers animaux (de l’écureuil au mouton) associés à des morts inhumés dans des structures en bouleau à Birka (Geijer 1938), il a fallu des dizaines d’années avant que l’on puisse reproduire de telles observations. Il s’agissait d’un site aux vestiges exceptionnellement bien conservés, comme le sont les restes textiles de Bülach (Canton de Zürich ; Amrein et al. 1999) et ceux de la tombe d’Arégonde (Fleury et France-Lanord 1998 ; Périn 2018).
48C. Moulhérat précise en 2008 que si la détermination des caractéristiques techniques pouvait s’avérer possible à cette époque, il a fallu attendre la fin des années 1990 (Moulhérat 2000) pour que l’identification de la nature des fibres soit envisageable “quel que soit leur état de conservation” (Moulhérat 2008).
Conclusion
49La population de ce cimetière originellement présentée comme peu aisée, mais incluant des élites, s’est avérée capable de mobiliser et de se séparer d’une grande quantité de matières premières comme le bois des cercueils, des planches, les dalles ou les moellons pour la construction des tombes, mais également les fibres textiles diversifiées (la laine et lin ont été identifiés) utilisées pour la confection des différentes étoffes qui accompagnaient les défunts : vêtements ou enveloppes maintenues fermées par des ligatures, cuir pour les chaussures et les ceintures, ainsi que pour des contenants de type sac. Ceci sous-entend l’accès à ces matières, la préparation, l’acquisition et le stockage de ces éléments tout au long de la vie de celui ou celle qui trépassera. Pour les enfants et les adolescents (ces derniers très probablement des adultes sociaux), le temps n’a pas pu être suffisant pour obtenir tous ces objets. Il est donc envisageable que les adultes, probablement leurs proches, palliaient les manques puisque tous les défunts, quel que soit leur âge, ont bénéficié des mêmes apports, des mêmes dotations. Il semble donc que les vivants se constituaient, seuls ou en groupe, un trousseau pour faire face au moment de leur décès. Ce trousseau du mort est le point le plus fondamental qui ait été reconnu sur ce cimetière où les pratiques funéraires ne varient pas de façon notable de la fin du ve au début du ixe s., à l’exception de la courte période des tombes à dalles et/ou murettes.
50Nous sommes arrivés à un point de l’étude où il nous faut publier la monographie du site, avec autant de détails possibles, et espérer que cela suscitera un intérêt parmi les spécialistes des matières organiques et des textiles pour en approfondir un jour l’analyse.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1Professeure d’histoire romaine à l’Université de Bourgogne.
2Anatex, UMR 7044, université de Strasbourg.
3À l’époque, enseignant à l’université de Bourgogne et directeur de la Revue Archéologique de l’Est.
4Archéologue au service archéologique de l’Aisne.
5https://www.cnrtl.fr/definition/dosse, consulté le 7 novembre 2023.
6Détermination fondée sur le degré d’éruption dentaire (Ubelaker 1979).
7Informations données par F. Médard que nous remercions fortement.
8Celle-ci est maintenant gérée par le musée départemental de Champagnole (Jura).
9Ce travail n’a malheureusement pas abouti faute de financements.
10Étude effectuée par M.-F. Turlier il y a une dizaine d’années, à l’époque maître de conférence en biologie végétale à l’université de Bourgogne.
11Le terme de pantalon tel qu’on l’emploie aujourd’hui date de la deuxième moitié du xviiie s. (CNRTL en ligne).
Auteurs
-
Germaine Depierre
Ministère de la Culture et de la Communication, UMR 6298 ArTeHiS, Dijon.
-
Monique Mercier-Roland
Co-responsable de l’opération, retraitée éducation nationale.

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