Se vêtir au premier Moyen Âge : quelques propos en guise d’introduction
Clothing in the early Middle Ages: a few words by way of introduction
p. 11-13
Texte intégral
1Les 41es journées de l’AFAM, qui se sont déroulées à Chartres à l’automne 2021, ont été animées par une trentaine de communications et autant de posters qui concernaient trois thèmes distincts relatifs à l’archéologie altomédiévale. La présente publication, parue en deux volumes et près de trois ans plus tard, correspond aux actes du colloque et concerne principalement, dans le présent volume, la session intitulée “Se vêtir au premier Moyen Âge : productions, usages et représentations”.
2Vêtement, habit, costume, parure… nos connaissances sur ces objets d’étude au cours des premiers siècles du haut Moyen Âge sont étroitement liées à l’évolution de l’archéologie mérovingienne, probablement à son histoire même puisqu’on pourrait faire remonter ses origines à la découverte en 1655 de la sépulture de Childéric à Tournai en Belgique. Dans les années 1950 et 1960, ce sont les découvertes majeures de plusieurs sépultures princières (à Saint-Denis et à Cologne) qui ont apporté, grâce à Édouard Salin et Albert France-Lanord, un nouvel éclairage sur la présence jusqu’alors insoupçonnée (et généralement non perçue) de restes organiques minéralisés autour et sur les objets métalliques vestimentaires, de parure ou d’armement dans les tombes.
3Si dans les années 1970 à 1990 le thème semble être un peu retombé, il est revenu en force depuis ces quinze dernières années, notamment avec la reprise des recherches autour de la sépulture de la reine Arégonde et menées sous la direction de Patrick Périn (Périn 2015) et probablement, en parallèle, à la multiplication des découvertes de sépultures mérovingiennes (parfois bien conservées) provoquées par l’accroissement de l’archéologie préventive. Le sujet a fait l’objet de plusieurs journées d’étude dans les universités francophones : par exemple des séminaires de Master d’archéologie médiévale et moderne à Paris 1 en 2008 et 2009, une journée d’étude spécifique en 2014 à l’université libre de Bruxelles et, pour la seconde partie du Moyen Âge, un séminaire pluriannuel de l’EHESS à Paris autour des textiles (qui a abouti à un colloque et une importante publication collective : Alexandre-Bidon et al. 2022). Le thème a également été au centre d’un projet collectif de recherche, coordonné par Florence Carré à partir de 2012, intitulé “L’étude des matériaux organiques dans les tombes du haut Moyen Âge : un apport à la connaissance des pratiques funéraires et des vêtements ?” et portant sur l’étude des sépultures d’époque mérovingienne en Haute-Normandie. Le collectif normand ayant publié récemment un bilan de ses travaux dans la revue Archéologie médiévale (Carré et al. 2018) et sachant qu’un autre projet collectif en Alsace a également abordé ces aspects dans l’un de ses axes (Médard et al. 2019), il apparaissait essentiel de contribuer à cette dynamique, en élargissant l’aire géographique et le débat, dans le cadre des journées de l’AFAM.
4Or ce thème, qui est directement inspiré par les travaux des historiens des textes et des images (Piponnier et Mane 1995 ; Chausson et Inglebert 2003 ; Tissus et vêtements… 2004) et par des synthèses menées par les spécialistes des textiles anciens (Cardon et Feugère 2000 ; Desrosiers 2004), n’avait jusqu’à présent pas véritablement été consacré au début du Moyen Âge du point de vue de l’archéologie, pourtant largement dotée en restes organiques et autres indices de parure et de vêture.
5À l’occasion du colloque de Chartres, on a constaté que les découvertes, qu’elles soient issues des opérations d’archéologie préventive ou de campagnes programmées, enrichies par les apports combinés des spécialistes des textiles et des cuirs (notamment : Médard et Moulhérat 2008 ; Rast-Eicher 2016 ; Médard et Routier 2017), de l’archéothanatologie (Bizot et Signoli 2009), de l’étude du petit mobilier (par la localisation de la parure, des accessoires vestimentaires, etc.), de l’archéozoologie (par exemple pour l’identification d’ateliers textilotechniques, etc.), de l’iconographie ou encore de la reconstitution historique, ont permis le temps d’une journée d’alimenter cette thématique aux multiples entrées et d’en explorer plusieurs maillons de la chaîne opératoire. Si l’exploitation des matières premières (végétales et animales) et la confection des vêtements ont été abordées très ponctuellement, ce sont les étapes de l’utilisation des vêtements (leurs implications socio-culturelles) dans le monde des vivants et de leur mise en scène lors des funérailles qui ont été le plus souvent illustrées.
6Ainsi, un premier ensemble de contributions porte plus spécifiquement sur le mobilier et les accessoires comme indices du vêtement. C’est bien toujours par l’étude archéologique des sépultures mérovingiennes qu’on aborde le plus souvent la question des vêtements au cours du haut Moyen Âge. Or il faut souligner le développement, depuis quelques années seulement en France, des analyses sur les textiles et les cuirs, à la différence des pays du nord de l’Europe (germanophones, anglophones et scandinaves) dont les travaux pionniers restent des références (cf. notamment : Bender Jørgensen 1992).
7La première contribution de la session aborde la thématique des vêtements mortuaires dans les sources littéraires (V. Hincker). Les contributions suivantes concernent le mobilier métallique funéraire associé à la parure et au vêtement et étudient les questions récurrentes à propos du costume et des modes romano-barbares (M. Kazanski et A. Mastykova), de la distinction entre le mobilier porté et le mobilier déposé (F. Carré ; Th. Fischbach), de l’identification des coiffes (W. Bougraud et al.) et enfin de la restitution de la mise en scène vestimentaire lors des funérailles à l’époque mérovingienne (St. Desbrosse-Degobertière et M.-C. Truc).
8Un second ensemble de contributions présente des études de cas ayant permis la reconnaissance des traces matérielles organiques de textiles d’origine animale et végétale dans les sépultures et sur des objets métalliques, qu’il s’agisse de nécropoles découvertes en France dans le Nord (D. Cense-Bacquet et al.), en région parisienne à Sarcelles (G. André et M. Bernard) et Saint-Pathus (A. Mayer et al.), en Lorraine à Saulxures-lès-Nancy (F. Médard, Th. Fischbach et al.), dans le Jura à Crotenay (G. Depierre et al.), ou encore dans la sépulture de nourrisson du site de Saint-Martin-au-Val à Chartres (F. Médard et al.).
9Un dernier groupe restreint de contributions propose une ouverture sur l’archéologie du vêtement du haut Moyen Âge, à travers des sujets variés, tels la reconstitution graphique du costume de la défunte de Saint-Dizier (cf. Truc 2019), les apports des sciences médico-légales dans l’analyse des relations entre la décomposition du cadavre et la reconnaissance de vêtements disparus (D. Bouquin) et enfin la production textile à Chiry-Ourscamp dans l’Oise (G. Cuvillier). Cette dernière contribution, concernant un habitat au sein duquel de nombreuses structures archéologiques et du mobilier ont permis d’identifier un probable artisanat, offre une belle transition avec les contributions suivantes relatives à la session “Actualités” ainsi qu’avec le thème régional du second volume de cette double publication, qui porte majoritairement sur l’archéologie rurale du premier Moyen Âge en région Centre-Val de Loire.
10Rappelons que la dernière demi-journée du colloque de Chartres était dédiée, comme à l’accoutumée, aux actualités nationales sur le haut Moyen Âge. Elles ont permis de présenter plusieurs découvertes récentes issues de régions et de pays limitrophes. Les contributions sont jointes à ce volume par souci d’équilibre avec l’imposant volume 2 qui présente les découvertes archéologiques récentes de la région du colloque.
11Ainsi, dans cette session d’actualités on pourra découvrir des contributions sur l’habitat rural dans la Nièvre (P. Chopelain et A. Guicheteau) et, plus au sud, dans le Tarn-et-Garonne (C. Michel Gazeau), sur des ensembles funéraires, en Alsace à Eschau (G. Alberti) et en Gironde à Mérignac (H. Réveillas) et enfin deux présentations originales : l’une sur la remise en valeur des collections mérovingiennes du musée de Mariemont en Belgique (M. Demelenne), l’autre sur le crâne de saint Aubert (fondateur du Mont-Saint-Michel) qui a fait l’objet d’une nouvelle étude paléopathologique (C. Chapelain de Seréville-Niel).
12Le thème de ces journées de l’AFAM s’est volontairement porté sur un sujet en plein essor mais qui reste difficilement identifiable et encore assez peu valorisé, sachant que la France accuse probablement un retard sur les pays d’Europe du nord. On constate que, si c’est bien dans le cadre de l’archéologie préventive que des travaux interdisciplinaires et collectifs sur les restes organiques minéralisés ont pu se développer, il n’en faut pas moins continuer d’encourager la prise en compte de leur étude dans les cahiers de charges accompagnant les prescriptions de fouille.
13On a bien noté par ailleurs que les découvertes de textiles et de cuirs étaient presque systématiquement issues de contextes archéologiques funéraires, à l’exception des indices de textilotechnie que révèlent assez souvent les sites d’habitat ou d’atelier. À ce propos, il serait certainement utile de reprendre les recherches sur ces derniers contextes, comme cela avait été réalisé pour la Normandie (Séhier 2013), en croisant par exemple les apports du mobilier (aiguilles, poinçons et plaquettes en tabletterie, fusaïoles et pesons en terre cuite, lissoirs en pâte de verre, etc.), avec les structures archéologiques associées (forme et localisation des bâtiments, etc.) ainsi que les données archéozoologiques qui peuvent permettre d’identifier des ateliers spécialisés, comme ce fut le cas à Dieue-sur-Meuse avec l’exploitation de la fourrure d’écureuil au xie s. (Rodet-Belarbi et Gazenbeek 2019).
14Enfin, il resterait probablement à explorer d’autres approches qui peuvent enrichir l’archéologie du haut Moyen Âge, comme les travaux socio-anthropologiques menés sur le paraître et le rôle social des vêtements au cours du second Moyen Âge (Bartholeyns 2010).
15On ne peut que souhaiter, pour conclure, que les travaux menés en France ces dernières années puissent être diffusés plus largement à l’avenir, à destination de la communauté internationale, par exemple à l’occasion des colloques annuels du North European Symposium for Archaeological Textiles (NESAT) ou des publications de la revue anglaise Medieval Clothing and Textiles.
Bibliographie
Alexandre-Bidon et al. 2022. Alexandre-Bidon D., Gauffre Fayolle N., Mane P. et Wilmart M. (dir.) - Le vêtement au Moyen Âge : de l’atelier à la garde-robe, Actes du colloque, EHESS (Paris, 27 et 28 septembre 2016), Brepols, Turnhout, 344 p.
Bartholeyns 2010. Bartholeyns G. - Pour une histoire explicative du vêtement. L’historiographie, le xiiie siècle social et le xvie siècle moral, in : Fashion and Clothing in Late Medieval Europe. Mode und Kleidung im Europa des späten Mittelalters, Herausgegeben von Rainer C. Schwinges und Regula Schorta unter Mitwirkung von Klaus Oschema, Abegg-Stiftung (Riggisberg) und Schwabe Verlag (Basel) : 209-230.
Bender Jørgensen 1992. Bender Jørgensen L. - North European Textiles until AD 1000, Aarhus University Press, Aarhus, 285 p.
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Cardon et Feugère 2000. Cardon D. et Feugère M. (dir.) - Archéologie des textiles des origines au ve siècle, Actes du colloque (Lattes, 1999), Mergoil, Montagnac, 300 p.
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Chausson et Inglebert 2003. Chausson Fr. et Inglebert H. (éd.) - Costume et société dans l’Antiquité et le haut Moyen Âge, Picard, Paris, 168 p.
Desrosiers 2004. Desrosiers S. - Soieries et autres textiles de l’Antiquité au xvie siècle, Catalogue du musée national du Moyen Âge, Thermes de Cluny, Réunion des Musées Nationaux, Paris, 507 p.
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Médard et Moulhérat 2008. Médard F. et Moulhérat Ch. - Les textiles mérovingiens : état des recherches et nouvelles découvertes dans l’Est de la France, in : Guillaume J. et Peytremann É. (dir.), L’Austrasie. Sociétés, économies, territoires, christianisation, Actes des XXVIes journées internationales d’archéologie mérovingienne (Nancy, 22-25 septembre 2005), Association française d’Archéologie mérovingienne, Chelles : 123-132 (Mémoires de l’AFAM ; 19).
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Rast-Eicher 2016. Rast-Eicher A. - Fibres. Microscopy of Archaeological Textiles and Furs, Archaeolingua, Budapest, 359 p.
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Tissus et vêtements… 2004. Tissus et vêtements dans l’Antiquité tardive, Actes du Colloque de l’Association pour l’Antiquité tardive (Lyon, Musée historique des tissus, 18-19 janvier 2003), Brepols, Turnhout, 464 p. (Antiquité tardive ; 12).
Truc 2019. Truc M.-C. (dir.) - Saint-Dizier “La Tuilerie” (Haute-Marne), Trois sépultures d’élite du vie siècle, Presses universitaires de Caen, 304 p.
Auteur
-
Alexis Corrochano
Éveha, UMR 5608 TRACES.

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