Rennes et la Vilaine, la ville et son fleuve de l’Antiquité tardive à la fin du Moyen Âge
Rennes and the Vilaine, the city and its river from Late Antiquity to the end of the Middle Ages
p. 195-207
Résumés
Les rapports entre la ville de Rennes et le fleuve qui la traverse, la Vilaine, ont fait l’objet de peu d’études archéologiques et historiques jusqu’à récemment. La fouille de la place Saint-Germain, en bordure immédiate du fleuve, a été l’occasion d’aborder cette question, à partir de l’étude pluridisciplinaire d’une stratigraphie puissante, en milieu humide. Elle est complétée par les informations d’une fouille récente, située face à la place Saint-Germain, sur la rive opposée. Cette première approche brosse les grands traits de l’évolution des aménagements du fleuve. Un premier franchissement est mis en place, en lien avec l’établissement de la ville antique. Les premiers aménagements du cours d’eau sont perceptibles dès le haut Moyen Âge et se multiplient avec le développement urbain, d’abord sur la rive droite, puis sur la rive opposée, notamment lors de la construction de deux enceintes successives.
The relationship between the city of Rennes and the river that crosses it, the Vilaine, has until recently been the subject of few archaeological and historical studies. The excavation of the Place Saint-Germain, on the immediate edge of the river, was an opportunity to address this question, based on the multidisciplinary study of deep stratigraphy, in a waterlogged environment. It has been complemented by information from a recent excavation, located in front of Place Saint-Germain, on the opposite bank. This preliminary approach outlines the main characteristics of the evolution of transformational changes to the river. The first crossing was established in connection with the antique city. The first reworkings of the water-course are perceptible from the early Middle Ages and multiplied along with the town’s development, first on the right bank, then on the opposite bank, in particular during the construction of two successive city walls.
Entrées d’index
Mots-clés : géoarchéologie, paléoenvironnement, pont, moulins, fortifications urbaines
Keywords : geoarchaeology, paleoenvironment, bridge, mills, urban fortifications
Texte intégral
1. Un sujet d’étude peu exploré
1On admet couramment que le toponyme de Condate, nom romain de Rennes, provient d’un terme gaulois signifiant confluence. De fait, la ville antique a été implantée sur un plateau délimité au sud et à l’ouest par les deux cours d’eau qui ont donné le nom au département dont Rennes est devenu le chef-lieu à la Révolution : l’Ille et la Vilaine (Fig. 1). La confluence est située à quelque distance à l’ouest de la ville antique et les deux cours d’eau ont été depuis longtemps canalisés, si bien que pour les Rennais, l’Ille est devenue « Le Canal » (canal d’Ille et Rance), tandis que la Vilaine, endiguée, a été partiellement recouverte par un parking automobile et rendue quasiment invisible dans le centre-ville. Ce rapport très distancié s’explique peut-être par la modestie du fleuve, accentuée par la position de la ville en amont des principaux affluents. C’est peut-être également ce qui explique que les rapports entre la ville et son fleuve n’ont jamais été réellement étudiés par les historiens et les archéologues.
Fig. 1 - Localisation de la ville de Rennes dans son contexte topographique et hydrographique.

S. Jean, Inrap.
2Il est vrai que ces derniers ne disposent que de peu de données, les opérations de fouille préventives s’étant essentiellement cantonnées à la ville antique, installée sur le plateau (Pouille 2008). Ce n’est que depuis peu que les investigations s’étendent hors de ce périmètre, et s’intéressent à la ville basse, dont la dynamique d’urbanisation fait encore largement débat (Fig. 2). La fouille préventive de la place Saint-Germain, réalisée en 2014-2015 en préalable à la construction d’une station de métro souterraine, a été l’occasion d’étudier une très importante séquence stratigraphique, depuis les niveaux actuels jusqu’au socle, sur plus de 7 m d’épaisseur, en bordure immédiate de la Vilaine (Beuchet 2017). Les résultats, complétés par les données de la fouille de la station de la place de la République (Aubry 1999) et par un réexamen des études géomorphologiques réalisées préalablement à la création des deux lignes de métro, permettent une première approche de la dynamique du lit majeur du fleuve (Arthuis 2017). La fouille récente à l’angle du quai É. Zola et de la rue A. Dreyfus (dite îlot Dreyfus), dirigée par Marie Millet durant l’hiver 2021-2022, confirme les hypothèses formulées alors et apporte quelques éléments complémentaires, intégrés à notre réflexion (Millet à paraître). Ces données archéologiques sont complétées par quelques informations issues d’une thèse récente consacrée à Rennes médiévale (Le Boulc’h 2020). Notons toutefois que le sujet de l’eau dans la ville n’occupe qu’une très faible partie de cette recherche (moins de vingt pages au total).
Fig. 2 - Localisation des fouilles mentionnées dans leur environnement urbain actuel (a) et ancien (b).

L. Beuchet, Inrap, d’après T. Lhoro, SRA Bretagne.
3La ville actuelle a été très largement redessinée à la suite de l’incendie qui a ravagé son centre en 1720. Le plan conçu par Robelin en 1721, repris par Forestier en 1726, prévoit un schéma d’urbanisme très géométrique, armé sur la canalisation du fleuve (Fig. 3). Il n’a pu être totalement mis en œuvre mais a guidé l’urbanisme rennais Jusqu’à la fin du xixe s. Une compilation du cadastre ancien et d’un plan terrier levé après le sinistre permet de restituer la topographie urbaine avant la reconstruction et les grands travaux des xixe et xxe s. La perception que l’on a du fleuve est totalement différente. L’emprise de la fouille de la place de la République, aujourd’hui en rive sud, se situe en fait sur la berge nord. Celle de l’ilot Dreyfus était notablement plus éloignée du fleuve qu’aujourd’hui. Son cours apparaît par ailleurs beaucoup plus sinueux, souvent dédoublé de canaux ou d’anciens méandres. Mais ce cours n’est pas lui-même totalement naturel, ce que démontre une première analyse de la documentation à notre disposition.
Fig. 3 - Plan de la ville levé par Forestier, 1726.

AM Rennes, 1Fi44.
2. Avant la ville
4L’importante stratigraphie étudiée par la fouille de la place Saint-Germain montre, à la base, une accumulation de graviers et de galets, signalant la présence de terrasses anciennes datables de la période périglaciaire (Arthuis 2017). Elles sont surmontées de sédiments plus fins formés de dépôts éoliens (lœss), qui marquent de faibles reliefs et dessinent en creux des paléo-chenaux. Le tout est très oxydé et atteste un assèchement et un niveau d’eau moyen assez bas. On note, dans les dépressions, des dépôts d’argiles grises et de limons de débordement dus à la décantation lors des crues du fleuve. Au sud, la fouille de l’îlot Dreyfus permet d’affiner la chronologie, en mettant en évidence à la base des dépôts de limons une couche argileuse contenant des débris végétaux datés du début de l’Holocène. Ces éléments montrent que la Vilaine a peu divagué dans son lit majeur durant toute la période (Fig. 4). Son débit reste relativement faible, en tout cas trop faible pour creuser de nouveaux paléo-chenaux. Les anciens bras morts peuvent être ennoyés lors de crues mais le fleuve conserve une ligne d’eau moyenne plus basse qu’aujourd’hui, jusqu’à l’Antiquité.
Fig. 4 - Géomorphologie du lit de la Vilaine dans la traversée de Rennes.

L. Beuchet, d’après R. Arthuis, Inrap.
3. L’Antiquité et le haut Moyen Âge
3.1. Un chemin antique menant à un pont
5C’est dans ce cadre que s’inscrivent les premières traces d’aménagement de la berge du fleuve sur la place Saint-Germain. Elles sont matérialisées par le creusement des limons gris holocènes comblant une ancienne dépression, jusqu’à découvrir les graves de la terrasse alluviale. Ces matériaux, à la fois solides et drainants, forment une chaussée large de 5 m environ, dont le tracé marque une courbe de l’est vers le sud-ouest (Fig. 5). Des ornières se sont creusées en surface de cette chaussée, qui a fait l’objet de multiples recharges et dont l’épaisseur totale peut atteindre 0,20 m. Les apports sont composés de matériaux issus de l’ancienne terrasse mêlés de quelques gravats (fragments de briques ou de tuiles). Au nord, le chemin est bordé par un fossé creusé dans les limons holocènes. Il est comblé de remblais constitués d’un mélange de blocs décimétriques, de graviers et de sables, qui livrent un abondant matériel monétaire formé de 21 monnaies frappées entre 161 et 361, avec une très nette prédominance des monnaies émises à partir de la fin du iiie s. (Besombes 2017). La répartition du mobilier (monnaies et céramiques) dans la stratigraphie montre un brassage des matériaux et permet de proposer une utilisation de ce chemin au plus tôt à partir du iiie s. et une mise en place des remblais pour son entretien jusqu’à la fin du ive s. au moins. On peut rapprocher ces objets de la découverte de plus de 30 000 pièces, couvrant la totalité de la période romaine, quelques dizaines de mètres en aval de la place Saint-Germain, lors de la canalisation de la Vilaine dans les années 1840 (Toulmouche 1847 : 38-115). Ce dépôt particulièrement riche, issu du lit du fleuve, a amené les archéologues à placer à cet endroit un franchissement antique à moins de 50 m en aval de la fouille. On peut, dès lors, raisonnablement supposer que les remblais observés sur la fouille proviennent de travaux sur ce franchissement, étalés pour assainir le bas du coteau et recharger le chemin annexe. On remarque par ailleurs que le tracé du chemin s’incurve nettement vers le sud, en direction du point supposé de franchissement et valide par là même sa position.
Fig. 5 - Plan restitué de Rennes à l’époque antique et au haut Moyen Âge.

L. Beuchet, Inrap, d’après D. Pouille.
6Ce franchissement est le seul réellement attesté par les découvertes anciennes. Il permet le passage de la voie reliant Rennes à Angers, dont l’itinéraire est bien connu (Leroux 2000), et peut-être également de la voie vers Nantes, dont le tracé reste incertain dans la zone urbaine actuelle. Par ailleurs, l’altitude du chemin mis au jour, à la cote moyenne de 21,50 m environ, montre que le niveau de la Vilaine était alors situé ordinairement à une cote plus basse, vraisemblablement en dessous de 21 m. La fouille réalisée lors du creusement de la station de la place de la République en 1999, environ 200 m en aval de la place Saint-Germain, avait permis d’observer le fond du fleuve, à l’altitude de 20 m NGF environ (Aubry 1999). Ces éléments laissent entrevoir une lame d’eau bien faible, notamment en période d’étiage. Cette faible hauteur d’eau explique la position très basse d’une poterne, observée en aval lors de travaux dans les années 1960, percée dans la muraille du castrum construit à la fin du iiie s. (Pouille 2008).
3.2. Un moulin du haut Moyen Âge ?
7Ce chemin est recouvert par un épais niveau de limons argileux gris-bleu extrêmement homogène, dont l’analyse micromorphologique montre qu’il forme un dépôt sédimentaire lié à une remontée de la lame d’eau et à une stabilisation du niveau vers 22 m. Cette interprétation est confirmée par la présence conjuguée de diatomées (Vissac 2017 : 1555) et de pollens de plantes aquatiques, notamment des nymphéas (Barbier-Pain 2017 : 1626-1627). Cette brusque remontée de l’eau n’est pas naturelle et correspond sans doute à la mise en œuvre d’un barrage en aval, dont on ignore la position exacte. Il est possible qu’il s’implante sur l’ancien franchissement antique et corresponde à la mise en place d’un moulin. La datation d’une brindille, recueillie à la base des sédiments, fournit une datation vers 720-895, fixant la mise en place des dépôts à partir du viiie s. au plus tôt. Les études micromorphologiques et palynologiques montrent le développement d’une activité biologique en surface de ces dépôts et indiquent, en fin de séquence, de longues périodes d’exondation liées à un léger abaissement de l’eau.
4. Un pont neuf et un nouveau quartier au xie s.
4.1. Le pont
8En bordure occidentale de la fouille, les niveaux de décantation sont recoupés par trois files parallèles de pieux, orientées du nord au sud, délimitant une bande longue de 22 m et large de 4 m environ (Fig. 6). On peut également restituer des alignements transversaux, montrant une organisation par travées ou palées. Les pieux, épointés à la hache, sont le plus souvent simplement taillés dans des grumes de chêne (Bernard 2017). Leur diamètre varie de 0,20 à 0,40 m. Quelques-uns sont équarris et présentent des sections similaires. Les caractéristiques techniques et la disposition de ces éléments permettent d’identifier l’ensemble comme formant la fondation d’un pont, partant du sommet de la berge au nord, pour enjamber la Vilaine juste au sud de l’emprise de la fouille. Une trentaine de pieux ont fait l’objet d’une étude dendrochronologique, situant l’abattage des bois entre 1008 et 1128 (Le Digol 2017). La confrontation des datations avec la distribution des pieux dans la stratigraphie des sédiments montre de multiples réparations avec de fréquents réemplois, rendant difficile l’établissement de phases homogènes. Un niveau d’empierrement lié à un aménagement très particulier permet toutefois d’envisager deux phases principales d’aménagement, la première entre 1008 et 1050 environ, la seconde entre 1075 et 1128. L’absence de datation postérieure à 1128 ne signifie pas l’abandon de l’ouvrage. Le pont Saint-Germain apparaît en effet à de multiples reprises dans la documentation postérieure et il ne fut détruit que lors de la canalisation du fleuve au milieu des années 1840. Une importante épaisseur sédimentaire s’accumule en amont du pont et dessous et le croisement des études montre une composition des dépôts à la fois d’origine anthropique (rejets de déchets) et naturelle (dépôts de crues), qui provoque un exhaussement rapide et le développement de prairies humides (Arthuis 2017 : 1521-1524 ; Hallavant 2017 : 1583-1587 ; Vissac 2017 ; Barbier-Pain 2017). Des travaux sont entrepris vers le milieu du xiie s. pour tenter de drainer davantage les eaux de ruissellement sous le pont et limiter les dépôts mais on préfère finalement remblayer la partie du pont située sur la berge et la transformer en chaussée. Les poteaux soutenant l’ancien tablier sont alors conservés pour renforcer et stabiliser les remblais. L’actuelle rue du capitaine Dreyfus reprend exactement l’axe de l’ancienne rue Saint-Germain et du pont. Un fossé mis au jour lors du diagnostic de l’îlot Dreyfus, parallèle à la rue, peut marquer l’emprise occidentale de la voie (Millet 2020 : 40).
Fig. 6 - Plan de détail des deux phases du pont médiéval de la place Saint-Germain, et restitution des mutations urbaines du xie s.

L. Beuchet, Inrap.
4.2. Le développement de l’habitat et la création d’un nouveau bourg
9En amont du pont, les prairies humides sont très tôt colonisées. Le bâti s’inscrit dans un parcellaire marqué par des clôtures de clayonnages constitués de baguettes, essentiellement de noisetier, palissées sur des pieux de chêne, parfois d’érable ou de frêne (Bernard 2017 : 303 360). D’autres claies posées au sol ou des fascines de branchages forment des cheminements, tandis que des fossés drainent les eaux et assainissent les prairies. Trois souches de saules plantés sur leur bordure attestent la culture de l’osier. Le milieu, particulièrement favorable, a permis la conservation d’un abondant mobilier céramique, métallique, mais également organique qui révèle la présence de bouchers et d’équarisseurs (Borvon 2017 : 1469-1472), ainsi que de cordonniers dont plusieurs modèles attestent une façon propre à Rennes au xie s. (Barracand 2017 : 1047-1083). Tous ces métiers usent de couteaux dont de nombreuses lames ont été retrouvées en fouille. On note aussi des traces d’activités textiles, aussi bien par la présence de dents de peignes à carder que de pollens et d’abondantes graines de chanvre et de lin. Les restes de nourriture attestent par ailleurs une alimentation carnée relativement variée et un milieu social assez élevé. À la triade habituelle (porc, mouton bœuf) s’ajoutent quelques exemplaires de poules, canards et oies, un peu de poisson, et même un peu de gibier (sanglier, cervidés) (Borvon 2017). Cette hypothèse est encore renforcée par la qualité de la céramique où abondent les récipients pour la consommation et le service du vin (Labaune-Jean 2017 : 594-597). L’activité du quartier ne semble donc pas particulièrement liée au fleuve, et seules quelques gaffes rappellent la présence proche de la Vilaine et la batellerie qu’on y pratique (Portet 2017).
10Ces éléments mettent en évidence la fixation d’un nouvel habitat lié au débouché nord du pont, sans doute dès le début du xie s., et son développement progressif. Il est notable que cette création soit contemporaine de la fondation de l’abbaye Saint-Georges, située à quelques centaines de mètres à l’est. Son établissement par le duc Alain III pour sa sœur Adèle reste mal daté mais il se situe certainement entre 1008 et 1032 et apparaît donc contemporain du nouveau pont, qui remplace le franchissement antique. Ces deux constructions, mises en œuvre par Alain III, semblent être entreprises par son père le duc Geoffroy Ier, avant sa mort en 1008. Il est possible de voir dans ces deux équipements structurants une volonté politique de développement urbain vers l’est, le long de la Vilaine. L’organisation du quartier centré sur l’église implantée au débouché du pont plaide en faveur de cette hypothèse. Cette urbanisation nouvelle fait écho au burgus Saint-Georges cité en 1164 dans une bulle papale (Bachelier 2013 : 406).
4.3. L’hydrographie comme élément de défense
11La naissance même de la ville de Rennes est liée à la confluence de l’Ille et de la Vilaine. Au Bas-Empire, la ville se rétracte dans un castrum qui occupe la pointe sud-ouest du plateau, délimité au sud par la Vilaine et par les terrains marécageux liés à la confluence, distante de quelques centaines de mètres à l’ouest. La ville médiévale reste longtemps cantonnée dans cette enceinte antique, bien que les courtines fassent l’objet de réparation (Esnault 2021). La défense des portes semble également renforcée. C’est le cas notamment à l’ouest, où l’étude des portes Mordelaises montre la mise en place d’un ouvrage dont on peine à restituer le plan (tour ou barbacane, Esnault 2020 : 113-119). Le bourg fondé au xie s. au débouché du pont est relativement éloigné du castrum. Cependant, la fouille a mis au jour un exceptionnel ensemble de mobilier métallique, rassemblant matériel équestre et armement tant défensif qu’offensif, en lien avec un empierrement grossièrement aménagé autour d’une probable mare. Cet aménagement s’inscrit dans l’importante stratigraphie liée au pont, dont les multiples datations dendrochronologiques et les découvertes mobilières (mobilier métallique, céramique et monétaire) concordent pour situer sa mise en œuvre dans le troisième quart du xie s. Une source écrite permet d’affiner encore la chronologie en la rapportant à un échange de terres entre le comte de Rennes Geoffroy Gregonnat et l’abbaye Saint-Georges entre 1066 et 1077, pour l’édification d’une fortification.
12Malgré les fortes contraintes techniques et l’exiguïté des fenêtres d’exploration, la fouille de l’îlot Dreyfus apporte quelques éléments qui peuvent être rapportés à cet épisode. Un fossé large de plus de 6 m et profond de plus de 2 m a longuement marqué le parcellaire. Son comblement montre à la base des signes évidents d’une circulation de l’eau, puis un envasement progressif, avant un comblement rapide et définitif (Millet, à paraître). Le creusement recoupe les limons de débordement et ne peut être daté. Le rare mobilier recueilli dans ses comblements montre que ceux-ci se sont mis en place progressivement, à partir du xiiie s. au plus tard, tandis que le remblaiement volontaire et définitif peut intervenir dans la première moitié du xve s. Le tracé du fossé, ainsi que les signes d’une circulation d’eau dans ses premiers comblements, montrent une connexion avec la Vilaine, aussi bien en amont, à l’est, qu’en aval, au nord. On peut en retrouver les traces dans le parcellaire ancien où il semble avoir été au moins partiellement repris par un chemin. Son profil, large et profond, aussi bien que son tracé, encadrant l’axe de circulation menant au pont, laisse évidemment entrevoir une fonction défensive, bien qu’il ne puisse être rattaché ni directement ni avec certitude à l’occupation militaire de la rive droite.
4.4. Moulins et ponts
13« à lire les archives, Rennes est une ville de moulins » écrit A. Chédeville (Chédeville et Tonnerre 1987 : 419). La plupart ne sont pas situés précisément. L’abbaye Saint-Georges en reçoit six lors de sa fondation au début du xie s. par le comte Alain III. L’évêque possède trois moulins mentionnés en 1179, dans le Bourg-l’Évêque, et probablement installés sur l’Ille. On mentionne également des moulins à Saint-Hélier, sans doute situés sur la Vilaine en amont de la ville. Si certains moulins sont éloignés de la cité (le moulin du comte, notamment, installé plusieurs centaines de mètres en aval de la confluence), d’autres en sont très proches. Ainsi, un moulin est installé sur le Pont de Vilaine au sud du castrum antique. On en détruit les batardeaux pour abaisser le niveau de l’eau et permettre la construction de la muraille et de la porte Saint Germain en 1444 (Martineau et Schmitt 2008 : 41-42). Le pont sur lequel il est construit est nommé soit « de Vilaine » soit de « la Poissonnerie ». Il ouvrait sur la porte de Vilaine, aménagée au sud du castrum. On ignore la date de sa construction. Le seul autre pont mentionné est celui de Saint Germain. Il est mieux connu, notamment à partir des comptes de la ville. On sait ainsi qu’un « vieux pont de pierre » existe avant 1425, date de sa reconstruction en maçonnerie et charpente. Ce nouveau pont est à nouveau rebâti en pierre lors de l’édification de la muraille dans les années 1440 (arch. Mun. Rennes, CC805, f o8, cité par Martineau et Schmitt 2008 : 36-42).
5. Le développement urbain (xiiie-xvie s.)
5.1. Le développement du bourg Saint-Georges
14Le bourg, fondé au xie s. sur la rive droite, se développe rapidement. De nouvelles maisons sont construites, sur pieux, de part et d’autre de la chaussée menant au pont. Leur alimentation en eau se fait par des puits creusés dans les prairies. Ils sont de faible profondeur en raison de la proximité du fleuve et cuvelés par l’empilement de tonneaux dont on a retiré les fonds (Fig. 7). Des dalles de schiste posées au fond du creusement assurent la solidité de celui-ci et facilitent sans doute le curage. Un dépotoir en fosse livre d’abondants déchets d’activités de coutellerie et de divers métiers du cuir. Des bacs contenant des résidus de lanoline, utilisée pour le corroyage, ont été découverts au plus près de l’eau. Tous ces éléments attestent que le quartier reste voué à l’artisanat.
Fig. 7 - Vue d’un puits en cours de fouille, place Saint-Germain (début xve s.).

On note la douelle du tonneau du bas, ainsi que le cerclage de noisetier, laissés en place. Les douelles du second tonneau, plus haut, montrent l’entaille pour le maintien du fond.
A. Chéroux, Inrap.
15Au sud de la Vilaine, l’espace étudié ne montre pas de signes d’urbanisation aussi dense. Seul un puits a été observé, également aménagé par la pose de tonneaux dans un creusement peu profond. L’essentiel de l’activité semble davantage concentré plus à l’ouest, près de la Cité, en lien avec le second pont, où se développe un quartier voué à la boucherie, aux tanneries et teintureries appelé Champ Dolent. C’est probablement pour ces différentes activités que sont creusés les canaux que l’on voit encore sur l’ancien plan cadastral.
5.2. La construction de nouvelles enceintes (1420-1448, 1449-1476)
16Le développement de la ville amène le duc Jean V à lancer un chantier de fortification qui enserre les nouveaux quartiers situés au nord de la Vilaine, à partir des années 1420 (Fig. 8). Mais les travaux traînent en longueur et la muraille n’est achevée qu’en 1448. Le passage obligé formé par le pont Saint-Germain entraîne la construction d’une porte et d’un nouveau pont, déjà évoqués, et le quartier reste donc une entrée de la ville. Les déblais des terrassements liés à la construction sont utilisés pour rehausser de plus d’un mètre les sols à l’intérieur de la ville et assainir les terrains gagnés sur les prairies humides. En revanche, la muraille coupe les habitants de l’accès à l’eau et les plaintes sont nombreuses, aussi bien de la part de drapiers installés au vau Saint Germain que des moniales de l’abbaye Saint-Georges, située à l’intérieur des murs (Poilpré 2017 : 525-526 ; Martineau et Schmitt 2008 : 42).
Fig. 8 - Plan du développement urbain et des enceintes au xve s.

L. Beuchet, Inrap, d’après T. Béthus, Inrap et T. Lhoro, SRA Bretagne.
17De plus, la construction de l’enceinte, partiellement dans le lit majeur du fleuve, le prive de terrains où s’étendre lors des crues et aggrave leurs conséquences sur les quartiers de la rive sud. C’est sans doute en partie en raison de ces effets, ainsi bien entendu que pour protéger les nouvelles extensions urbaines, que le duc décide la construction d’une troisième enceinte dès 1449, enserrant ce qui sera appelé la « nouvelle ville ». Le fossé est creusé dans un premier temps, suivi par l’édification de deux nouvelles portes, la courtine et les tours ne sont achevées qu’en 1463. La nouvelle muraille se greffe donc sur les fortifications antérieures jusqu’ici bordées au sud par la Vilaine. Deux portes d’eau sont aménagées, nommées « pont des arches Saint-Georges », à l’est et « pont des arches Saint-Yves » à l’ouest. On décide en 1458 également la construction de deux batardeaux pour réguler le débit de l’eau, diminuer les crues et éviter l’étiage dans la ville. L’un des ouvrages est décrit, percé d’une bonde de 1 m de diamètre environ. Il ne fut construit qu’à la fin du xve s. On ne connaît rien de ces constructions, en dehors de quelques descriptions et d’une vue dans un document de 1543, adressé par les marchands de Rennes au roi François Ier pour améliorer la navigabilité de la Vilaine (BnF Res Ge EE146). On y voit le pont des arches Saint-Yves avec ses grilles qui se lèvent pour permettre aux bateaux d’entrer en ville dans le port Saint-Yves (Fig. 9).
Fig. 9 - Vue de la ville de Rennes et détail du pont des Arches Saint-Yves en 1543.

BnF Res Ge EE146, pl. XXII.
18À l’intérieur de la nouvelle ville close, l’ancienne enceinte qui coupait les habitants du fleuve est démolie dès 1467, moins de vingt ans après son achèvement. Une halle est construite sur le pont Saint-Germain, et il faut attendre la fin du xvie s. pour voir la construction d’un pont neuf, approximativement à mi-distance des deux précédents. Ses fondations sur pieux battus ont été partiellement mises au jour lors de la fouille de la station de la place de la République (Aubry 1999). Malgré les aménagements, les problèmes perdurent dans la ville, et les inondations et débordements entraînent des dégâts consignés dans les comptes des miseurs. Par ailleurs, le fleuve est un véritable égout à ciel ouvert, où se déversent des ruisseaux aux noms évocateurs : Merdereaux, Merdron. De plus, les grilles des arches bloquent les débris et déchets, jusqu’à obstruer le passage et perturber le rendement des moulins en aval. L’abbesse de Saint-Georges menace ainsi d’excommunication les responsables de ces accumulations qu’elle estime à deux ou trois cents charretées (Le Boulc’h 2020 : 179-183).
19Les choses évoluent peu durant la période moderne. La navigation sur la Vilaine est améliorée jusqu’à l’entrée de la ville, à la suite de la requête des marchands rennais, mais aucune transformation notable n’est réalisée passé les arches Saint-Yves. Il faudra attendre les années 1840 pour voir le projet de canalisation mené à bien.
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