Itinéraire d’un passeur, de l’Apennin au Morvan
p. 13-15
Texte intégral
1Dans son parcours entre l’Apennin et le Morvan, du Monte Bibele à Bibracte, Daniele Vitali a joué un rôle déterminant dans le rapprochement de l’archéologie « celtique » et de l’étruscologie. En ce sens, il a largement contribué à donner corps à la démarche comparative à l’origine de l’archéologie celtique, dont l’acte fondateur peut être identifié au court article de Gabriel de Mortillet à l’issue du 5e Congrès international d’Anthropologie et d’Archéologie préhistoriques tenu à Bologne en 1871 (Mortillet, 1870-1871), article qui mettait en évidence les similarités entre les mobiliers des nécropoles « gauloises » de Champagne et celles de la région de Bologne. Le colloque international que Daniele organisa à Bologne en 1985, Celti ed Etruschi nell’Italia centro-settentrionale dal V secolo a.C. alla romanizzazione, peut à cet égard être considéré comme le « match retour » de celui de 1871 (Vitali, 1987). Opérant le parcours inverse de celui de Mortillet, c’est au même moment qu’il passe physiquement les Alpes – sans abandonner le Monte Bibele – et pose le pied au Mont Beuvray, en étant invité à siéger au conseil scientifique du nouveau programme de recherche dès sa fondation en 1985, pour finalement y ouvrir un chantier en 1989 et devenir, durant vingt ans, un des piliers de la coopération internationale qui s’est instituée autour du site de la capitale éduenne.
2Daniele a donc été un passeur entre les mondes cisalpin et transalpin. Rappelons encore à cet égard qu’il a été l’une des chevilles ouvrières de la magistrale exposition I Celti, la prima Europa, tenue en 1991 au Palazzo Grassi de Venise, dont l’ambition ouvertement déclarée était d’explorer une réalité ancienne alors entendue comme « la mère de toutes nos cultures européennes », ainsi que l’indiquent de façon appuyée les textes introductifs de son monumental catalogue (Moscati et al., 1991). Trois décennies plus tard, cette ambition peut paraître quelque peu datée, à l’heure où la construction européenne suscite nettement moins d’euphorie. Mais il n’en reste pas moins que, dans les mêmes années, l’exposition de Venise, comme la montée en puissance du programme de recherche sur le Mont Beuvray, ont montré que les protohistoriens européens formaient une véritable communauté scientifique, qui était parvenue à retisser les liens qu’avaient si bien exprimé les congrès internationaux d’Anthropologie et d’Archéologie préhistoriques du siècle précédent, liens qui n’avaient pas résisté à la division durable de l’Europe entre 1914 et les années 1980. Daniele aura été un des artisans majeurs de cette entreprise de reconstruction – et il décrit lui-même en détail son rôle en ce sens dans un article très documenté (Vitali, 2016).
3Nous souhaitons encore souligner ici un autre rôle de passeur que Daniele a assumé de façon exemplaire tout au long de sa carrière, en marge de ses préoccupations scientifiques de protohistorien. Nous voulons parler de son attention permanente à transmettre au public le plus large les résultats de la recherche archéologique. L’exposition de Venise peut être considérée comme le point d’orgue de son action dans le domaine, mais il a affiché cette préoccupation bien plus tôt, et ne s’en est jamais départi. Dès la reprise des fouilles du Monte Bibele en 1978, il se préoccupe de partager les résultats des découvertes et de faire en sorte que celles-ci servent à la communauté locale. Le musée de Monterenzio, fruit d’un partenariat exemplaire entre la municipalité et l’université de Bologne, ouvre en 1983 avec l’ambition de replacer les découvertes archéologiques dans la perspective d’une présentation totale de l’histoire de la vallée de l’Idice, comme en témoigne l’épais catalogue qui accompagne son inauguration (Vitali, 1983). Un projet de musée plus ambitieux sera mis sur les rails à l’occasion du colloque Celti ed Etruschi de 1985 (Vitali et Gottarelli, 1988), mais il faudra attendre l’année 2000 pour voir son inauguration dans des locaux neufs qui comportent des espaces d’accueil pour les chercheurs et un petit laboratoire de restauration (Dore et al., 2006 ; www.montebibele.eu). Depuis lors, le musée est devenu la porte d’entrée d’un projet territorial plus ambitieux à vocation archéologique et paysagère, largement reconnu à l’échelle italienne, sous le nom d’Arc.A – Monte Bibele, Archaeologia e Ambiente. Dans une analyse rétrospective de l’aventure du Monte Bibele, Daniele exprime clairement son souci que la recherche archéologique contribue au développement du territoire où elle se déroule et au bien-être de ses habitants :
« De la comparaison dialectique entre les besoins de développement d’un territoire et/ou d’une ville et les sites archéologiques établis ou potentiels qui y sont associés, il peut résulter une valeur ajoutée insoupçonnée, donnant aux communautés ou territoires des ressources, une qualité de vie, une culture, une identité et des perspectives nouvelles en termes de développement » (Vitali, 2010, p. 125).
4Daniele a donc montré en actions tout au long de son parcours d’archéologue, d’un versant à l’autre des Alpes, son attention à ce qu’à Bibracte, on aime aujourd’hui désigner sous nom de « gestion intégrée » du patrimoine archéologique, c’est-à-dire un mode de gestion qui, s’appuyant sur la connaissance issue de l’expertise scientifique, dépasse l’ambition de conserver le patrimoine pour un faire un facteur de cohésion sociale et de bien-être de la communauté qui en est le dépositaire (Ayache et Guichard, 2019). C’est un exemple pour les archéologues du xxie siècle, qui ne doivent jamais oublier que le patrimoine qu’ils explorent et sur lequel ils bâtissent leur carrière scientifique est un bien appartenant à une communauté à qui ils ont l’obligation de rendre des comptes.
Bibliographie
Ayache et Guichard 2019
Ayache Laïla et Guichard Vincent, « Archéologie, musée et territoires », Culture et recherche, 139, printemps-été 2019, p. 61-63.
Dore et al. 2006
Dore Anna, Guidi Federica, Minari Laura et Vellani Stefania (dir.), Guida al Museo Archeologico di Monterenzio “Luigi Fantini” : archeologia e storia delle Valli dell’Idice e dello Zena (Quaderni del Museo Archeologico “Luigi Fantini”, 1), 2006.
Mortillet 1870-1871
Mortillet Gabriel, « Les Gaulois de Marzabotto dans l’Apennin ». Revue archéologique, XXII, 1870-1871, p. 288-290 et pl. XXII.
Moscati et al. 1991
Moscati Sabatino, Frey Otto Hermann, Kruta Venceslas, Raftery Barry, Szabó Miklós, Arslan Ermanno et Vitali Daniele (dir.), I Celti, Catalogo della mostra, Venise, Palazzo Grassi, 1991, Milan, 1991.
Vitali 1983
Vitali Daniele (dir.), Monterenzio e la valle dell’Idice, archeologia e storia di un territorio, Catalogo della mostra, Bologne, 1983.
Vitali 1987
Vitali Daniele (dir.), Celti ed Etruschi nell’Italia centro-settentrionale dal V secolo a.C. alla romanizzazione, Atti del colloquio internazionale, Bologna, 12-14 aprile 1985 (Fonti e studi per la storia di Bologna e delle provincie emiliane, 10), Bologne, 1987.
Vitali 2010
Vitali Daniele, « Ricerche sui Celti e valorizzazioni territoriali : da Bibracte (Francia) a Monterenzio (Bologna) », in Saracino Massimo (dir.), Pianificazione territoriale, Urbanistica e Archeologia : una sintesi possibile, Atti della 1a Giornata di Studi di Verona, 9 maggio 2009, Vérone, 2010, p. 125-141.
Vitali 2016
Vitali Daniele, « Da Monte Bibele a Bibracte : destini incrociati e trent’anni di archeologia dei Celti », in Vitali Daniele et Goudineau Christian (dir.), Il mondo celtico prima e dopo la conquista romana/Le monde celtique avant et après la conquête romaine, Studi in onore /Mélanges en l’honneur de Jean-Paul Guillaumet, Bologne-Monterenzio, 2016, p. 215-244.
Vitali et Gottarelli 1988
Vitali Daniele et Gottarelli Antonio, « Prospettive di valorizzazione della zona archeologica di Monte Bibele », in Amendolea Bruno, Cazzella Rosanna et Indrio Laura (dir.), I siti archeologici, un problema di musealizzazione all’aperto, Atti del primo Seminario di Studi, Roma, 1988, Rome, 1988, p. 195-200.

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