Conclusion
p. 193-194
Texte intégral
1La seconde partie de cet ouvrage aborde l’exercice de la fonction de secrétaire régional, dans ce qu’il signifie au jour le jour pour les militants. Des éléments importants de ce quotidien ont pu être reconstitués. Les secrétaires régionaux ne ménagent pas leur peine et, pour ceux qui ne sont pas « fonctionnaires du parti », usent de tout leur temps libre à l’exercice de leur fonction, cumulant leurs responsabilités politiques locales avec d’autres, syndicales, associatives, voire nationales et/ou d’élus. Le rythme effréné du militantisme se ressent sur la santé des militants, et sur leurs difficultés à concilier engagement, vie familiale et vie professionnelle. Poussés par une foi en un avenir meilleur en partie incarné par l’Union soviétique, confortée par les succès électoraux et d’influence du PCF au moment du Front populaire, les secrétaires régionaux acceptent les contraintes, les efforts, les sacrifices nécessaires à l’accomplissement de leur militantisme. L’« endogamie » forte de leur vie de couple n’est pas le moindre des facteurs d’aide qu’ils reçoivent dans cette course contre le temps et la fatigue. Leur activité s’appuie ainsi bien souvent sur la complicité sans faille de leur conjoint ; le couple constituant alors un acteur inattendu de notre étude. Le don de soi au parti ne peut en effet se concevoir sans cette part de bonheur militant qui permet d’accepter les sacrifices et de trouver du sens à l’existence. Devenir permanent ne va pas de soi pour nombre de militants dont ce statut heurte « l’éthique militante ouvrière1 ». Mais le PCF est ici pour la canaliser, et montrer que l’on peut « parvenir » dans les rangs du parti sans trahir la classe à laquelle on appartient. Maurice Thorez incarne ce modèle auquel les militants sont invités à s’identifier. Être « appointé » implique une vie vouée au parti, qu’il faudrait ici écrire avec une majuscule, tant le mot a valeur de symbole, et d’incarnation de l’idéal, au point de s’amalgamer totalement avec celui-ci. Pour autant, loin d’une vision figée du statut de permanent, notre étude dévoile des parcours faits d’interruptions et de reprises, de casse-têtes financiers… Si des cadres rechignent à retrouver le chemin du « travail », d’autres quittent sans regret le monde des militants professionnels.
2Le contrôle du centre ne se relâche pas en période d’ouverture. Sociologiquement, si le fil rouge du recrutement ouvrier continue de se dérouler, la direction du PC doit cependant composer avec des spécificités locales qui, brouillant la clarté des organigrammes officiels, révèlent des réalités plus complexes, où la place des enseignants n’est pas à négliger. Là aussi, il s’agit d’apporter une variante au modèle ouvriériste affiché et revendiqué, qui donne une place importante à celui qui permet d’instruire le peuple. Ce « hussard noir » peut devenir éclaireur de l’émancipation pour une république démocratique et sociale, tout en conservant la méfiance de l’institution partisane. Comme l’ensemble du parti, les secrétaires régionaux sont soumis à la « vigilance » qui cherche à préserver l’organisation des ennemis extérieurs et intérieurs. Loin d’être passifs face à ce processus, les dirigeants locaux s’en emparent, même si leur direction tend à critiquer ce qu’elle estime être une certaine nonchalance dans la traque aux « trotskistes », terme servant d’habillage à toute dissidence critique de l’orientation mise en place depuis 1934-1935. On aurait cependant tort d’imaginer une structure excluant à tour de bras. D’abord parce que le groupe étudié est relativement épargné par cette sortie brutale, qui ne concerne que huit militants (4,28 % du corpus). Ensuite parce que les procédures lancées à l’encontre de cadres locaux – comme les limogeages – sont le plus souvent mûrement préparées, tentant de tenir compte le plus possible des particularités locales, du « milieu », et tâchant d’empêcher toute crise ou départs collectifs. L’existence de « zones grises » dans les modalités de sortie du mandat révèle la complexité des cas singuliers qui interdit toute approche trop globalisante sur cet aspect du parcours. Différents phénomènes entrent en jeu pour expliquer ces situations : dissimulation de la part de l’institution ou du militant, perméabilité entre différentes modalités de sorties, absence de sources suffisamment précises pour éclairer ce processus. Enfin, des exemples locaux existent pour montrer que si la discipline vis-à-vis du centre est la norme, il demeure des formes, tantôt discrètes et implicites, tantôt ouvertes et franches, de résistance aux injonctions, conseils, recommandations du centre.
Notes de bas de page
1 Pudal Bernard, Prendre parti..., op. cit.

Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Itinéraires d’hommes, trajectoires d’objets
Mélanges offerts à Daniele Vitali
Arianna Esposito, Nicolas Delferrière et Andrea Fochesato (dir.)
2021
Les secrétaires régionaux du Parti communiste français (1934-1939)
Du tournant antifasciste à l’interdiction du Parti
Dimitri Manessis
2022
La Bresse et le pouvoir
Le Papier journal de Jean Corton, syndic du tiers état (1641-1643)
Olivier Zeller
2023