Conclusion générale
p. 287-288
Texte intégral
1Les secrétaires régionaux du Parti communiste français ont, durant le moment Front populaire, occupé une position non négligeable au sein de ce qui est convenu d’appeler « l’appareil » de l’organisation. Premiers responsables de l’échelon local, leur fonction les amène à articuler la ligne politique de leur parti en fonction des réalités du territoire dont ils ont la charge, mais aussi de la sociologie et de l’ampleur ou non de l’implantation militante. Si la prudence est de mise lorsque sonne l’heure des conclusions générales, particulièrement dans le cadre d’une biographie collective, nous esquissons ici quelques éléments pour un bilan.
2Le secrétaire régional n’est pas un « petit Thorez » local. Il est en proie aux critiques, informelles comme formelles. Même s’il y a une tendance à la personnalisation (et parfois des manifestations de célébrations des secrétaires) il reste un militant, non pas « comme les autres », mais qui n’est pas épargné par la critique de sa base. Confronté à ce type de situation, il cherche alors des appuis, soit parmi sa base, soit auprès de la direction représentée par son envoyé. Ce dernier n’a donc pas seulement une fonction de contrôle et de vigilance. Il se fait aide du dirigeant local, ou à tout le moins arbitre de potentiels conflits. Contre une surévaluation d’une sorte de bureaucratie militante, ce travail dévoile au contraire toute la part d’amateurisme, de débrouille voire de « bricolage » qui peut exister au parti communiste. De plus, la part de sacrifices n’est guère atténuée par l’obtention d’un poste de permanent, qui se révèle fort précaire et qui est perçu en réalité, par-delà les réticences, comme étape supplémentaire du « don de soi ».
3Le Front populaire est une période fondamentale de l’histoire des communistes français, dont l’expérience et la mémoire les imprègnent sur de longues années, aussi bien sur un plan politique que culturel. Pour les cadres locaux, il s’agit d’une intense période d’apprentissage. Celui d’être un cadre communiste à l’échelle d’un parti de masse, avec toutes ses contradictions. En tout cas la capacité d’adaptation de ces cadres ne fut pas la moindre de leur qualité, capacité qui ne peut se réduire à un suivisme du « bas » vers le « haut », quand bien même cette dimension existe. Le parcours d’un cadre se réalise ainsi dans une tension permanente entre distinction et conformité. Ne fut-ce pas là une des difficultés les plus aiguës à laquelle furent confrontée les secrétaires régionaux, et plus largement, les militants communistes : être « taillés dans une étoffe à part1 » et faire corps avec la société ? Être des hommes et des femmes d’exception et, pour reprendre une métaphore stalinienne, les « Antée » de leur époque, dont l’attachement permanent au peuple, leur immersion dans la société, est la condition de la réussite politique2 ? Un attachement qui les ferait passer de l’exceptionnel au banal ? Nous ne sommes pas les premiers à évoquer cet apparent paradoxe, mais il surgit avec force dans notre étude.
4La focale réalisée ici sur l’échelon intermédiaire de l’appareil permet de saisir, dans un aller-retour permanent entre le haut et le bas, ce moment où les cadres, loin d’être de simples exécutants, des « subalternes » de leurs dirigeants nationaux, se font les acteurs de la nationalisation de leur parti. Une nationalisation, qui, nous l’avons vu, se conjugue aussi avec le local. Cette articulation centre-périphérie montre des militants, certes emportés dans un courant antifasciste large, mais qui sont capables à travers lui de raccorder le combat prolétarien, « bolchevique », dans un tissu national qui le rende efficace. Ces militants trouvent un cadre culturel global leur permettant d’assimiler (sans théorisation d’ailleurs) la nouvelle ligne politique.
5L’exercice prosopographique, permet, nous le croyons, d’évaluer la part entre les déterminismes socio-culturels et d’autres facteurs intervenants dans la vie des individus : leur libre arbitre, leur vie de couple, leur culture territoriale… Gageons que malgré d’inévitables raccourcis, notre souci de la complexité aura permis d’appréhender, interpréter et comprendre l’existence d’une organisation politique, de ses femmes et de ses hommes, qui marquèrent durablement la vie politique, sociale et culturelle de la France au xxe siècle.
Notes de bas de page
1 STALINE, Discours prononcé au palais du Kremlin à l’occasion de la promotion des élèves de l’Académie de l’Armée rouge, 4 mai 1935, Éditions sociales, 1945.
2 Pour une formation bolchevique, rapport présenté par Staline à l’Assemblée plénière du CC du PC de l’URSS, 3 mars 1937 ; LAZAR Marc « La culture politique communiste », in BERSTEIN Serge (dir.), Les cultures politiques en France, Paris, Seuil, 2003, p. 235-236. Antée était un héros de la mythologie grecque, invincible tant qu’il restait en contact avec Gaïa, la Terre, sa mère. Héraclès parvint à le vaincre en le soulevant du sol.

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