I. Le populisme : essai de définition
p. 11-18
Note de l’auteur
Les mots en italique suivis d’un astérisque sont définis dans un lexique à la fin de l’ouvrage ou https://books.openedition.org/eua/6858.
Texte intégral
1Malgré les difficultés pour aboutir à une définition uniforme, un accord minimal peut être trouvé sur le fait que peut être désigné comme populiste celui qui prétend parler au nom du peuple et en être l’incarnation. Première précaution, le populisme serait d’abord une prétention ou une intention. Il y a donc risque de confusion entre ce que prétend être le populisme et ce qu’il est effectivement. Le seul usage même du terme « populisme » sert à le faire exister. En effet, désigner certains mouvements politiques comme populistes c’est en quelque sorte reconnaître leur prétention à parler au nom du peuple. C’est une manière de les légitimer dans un contexte où la défiance à l’égard de la politique est particulièrement accentuée. Être populiste devient alors un moyen de se rapprocher de ce peuple que les élites politiques ignoreraient.
2Ainsi, qu’il soit revendiqué ou utilisé pour désigner un mouvement ou un responsable politique, ce terme acte inévitablement la coupure entre un peuple et une élite. Il ne permet pas d’interroger la réalité de cette coupure, il la valide comme un état de fait des rapports contemporains entre les gouvernants et les gouvernés. Les mouvements populistes deviennent alors une sorte de fatalité mais aussi la seule voie que puisse emprunter le peuple pour concurrencer les élites dans l’accès au pouvoir. Il y aurait, aussi, construction d’une relation directe entre le peuple et les leaders populistes qui prétendent incarner la vraie démocratie face à un système parlementaire qui serait à bout de souffle. Les leaders populistes contestent donc en premier lieu la légitimité des institutions représentatives. S’ils acceptent de jouer le jeu de la représentation démocratique, c’est pour la bousculer ou la transformer en prétendant redonner voix au peuple ou à la volonté générale.
3On confond derrière l’appellation « populisme » des mouvements d’extrême-droite qui menacent de verser dans des régimes autoritaires (type le FN, dans lequel la rhétorique de l’obéissance au chef demeure centrale) et des mouvements d’extrême-gauche ou plus difficiles à classer qui souhaitent le gouvernement par le peuple (type Podemos en Espagne ou le Mouvement 5 étoiles en Italie). En France, ce terme a pu ainsi être attribué au leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, lors de la campagne présidentielle 2017, un terme qu’il revendique par ailleurs. Du point de vue des définitions, il est d’autant plus difficile de s’y retrouver que, historiquement, le mot « populisme » a surtout servi à désigner des mouvements caractérisés par des formes de manipulation des ressentiments des classes populaires.
4Dans nos démocraties modernes, les phénomènes populistes se développent pour au moins deux raisons. La première est la confrontation à la mondialisation, une confrontation qui offre un espace de développement pour des formes de nationalisme que prennent en charge les populismes. Le terme national-populisme est d’ailleurs utilisé assez fréquemment pour décrire ces mouvements de repli sur l’unité d’un peuple mythique qu’il conviendrait de défendre contre un extérieur menaçant. D’un autre côté, cette évolution des populismes se nourrit également du déclin des identifications partisanes et, parallèlement, de l’emprise des médias, des sondages, du marketing et de la communication politique sur la compétition ou le marché politique (ce que l’on désigne dans le langage anglo-saxon par le terme Politics*). Nos démocraties représentatives sont devenues pour une large part ce que Bernard Manin appelle des « démocraties d’opinion » (Manin, 1995). La conséquence principale de cette évolution est la relégation des programmes politiques au second plan ; voilà qui offre une large place aux candidats qui se présentent hors système, non issus du sérail politique, ou à ceux qui endossent des postures pseudo-révolutionnaires. Ces derniers peuvent, ainsi, dire à peu près tout et son contraire sans perdre en crédibilité, pourvu qu’ils parviennent à faire le « buzz ». C’est un boulevard pour une multitude de dérives confondues sous le terme de « populisme » et qui se traduisent le plus souvent par des votes extrêmes. Le terme extrême doit être compris ici comme éloigné des formes d’expression politique les plus consensuelles ou modérées. L’appellation populisme dissimule les singularités de ces mouvements extrêmes contribuant à les rapprocher et donc à opérer un certain nombre de raccourcis qui brouillent l’analyse plus qu’ils ne l’éclairent.
5Pour prendre un exemple récent de cette confusion, les comparaisons systématiques entre l’arrivée au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis lors de l’élection présidentielle de novembre 2016 et la possible victoire de Marine Le Pen lors du scrutin 2017 en France sont totalement abusives. Elles finissent toutefois, à force d’être répétées, par construire des cadres d’interprétation évidents pour tout le monde. Les commentateurs médiatiques se sont en effet concentrés sur le point commun qui unirait ces deux personnalités, à savoir la question du rejet du système ou de l’élite, dont on a vu qu’elle sert à définir pour partie le populisme. Or, si on regarde les choses d’un peu plus près, il est difficile de les comparer pour au moins deux raisons. D’abord le mode d’élection : le système américain indirect qui donne un poids différentiel aux grands électeurs selon les États n’a rien à voir avec celui de la France qui repose sur le suffrage universel direct et un système majoritaire à deux tours. Le système français impose ainsi des alliances partisanes que le positionnement à l’extrême-droite du Front National n’a justement pas permis de concrétiser. Par ailleurs, Donald Trump a forcé la porte du Parti républicain et réussi, par ce coup de maître, à évacuer totalement son appartenance à l’élite financière et économique. Marine Le Pen, de son côté, est l’héritière d’une PME politique, une professionnelle de la politique qui a multiplié les efforts pour s’entourer de cadres compétents formés dans les plus grandes écoles. Leurs discours anti-élite ou anti-establishment doivent être non pas confondus mais bien interrogés à partir de ces singularités. Bref, qualifier indistinctement ces mouvements de populistes, c’est en fait les servir en leur permettant de dissimuler leurs différences et notamment le positionnement indiscutable, sur le plan historique, du Front National à l’extrême-droite de l’échiquier politique. Le Front National qui se prétend populiste, ni à droite, ni à gauche, est en réalité à l’extrême-droite comme le démontre l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet.
6Ces usages confus du terme populisme s’expliquent pour partie par l’équivalence problématique entre « populisme » et « peuple ».
7Pour y voir un peu plus clair il faut revenir, comme le suggère Pierre Rosanvallon, sur l’un des paradoxes de notre système démocratique. En effet, « l’histoire de la démocratie est confondue avec celle d’un flottement entre une idéalisation abstraite de ce qu’est le peuple et les manières concrètes de l’associer aux décisions » (Rosanvallon, 2011). On peut faire référence de ce point de vue à l’inépuisable débat, encore largement mobilisé par la nouvelle présidence Macron, sur la nécessité de recourir aux référendums* pour laisser s’exprimer la voix du peuple sur les sujets d’importance. Or le référendum n’a pas lieu d’être dans une démocratie représentative dans laquelle les espaces d’expression du peuple s’incarnent dans les élections. Débattre du référendum c’est implicitement reconnaître que les élections ne suffisent pas. Le référendum est toujours envisagé comme plus démocratique et déqualifie, par son seul recours, le principe même des élections. C’est une des raisons pour lesquelles les leaders populistes font du recours au référendum le gage de la relation étroite qu’ils auraient avec le peuple. Ainsi le populisme se développerait quand le peuple se sent mal représenté. Bien évidemment, les populismes se nourrissent des différentes formes de ressentiment alimentées par l’impuissance des responsables politiques à résoudre les difficultés, notamment économiques, rencontrées par les individus dans nos sociétés contemporaines. Pourtant le peuple ne choisit pas d’une seule voix les populismes. Par ces glissements du populisme au peuple, on tend à accréditer l’idée que les mouvements populistes incarnent ce peuple que les élites peineraient à représenter.
Bibliographie
Pour aller plus loin
Agnes Akkerman, Cas Mudde, Andrej Zaslove, « How Populist Are the People? Measuring Populist Attitudes in Voters », Comparative Political Studies, 2014, 47/9, p. 1324-1353.
Bernard Manin, Principe du gouvernement représentatif, Paris, Calman-Lévy, 1995.
Chantal Mouffe, L’illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016.
Pierre Rosanvallon, « Penser le populisme », La Vie des idées, 27 septembre 2011. URL : http://www.laviedesidees.fr/Penser-le-populisme.html.
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