La boîte translucide
|Conclusion
Texte intégral
1L’intelligence artificielle consiste à explorer les différentes capacités du cerveau humain, en étudiant ses fonctions ou sous-fonctions les unes après les autres et en cherchant à transférer ces capacités à des machines. Cependant, quand nous parvenons à créer un artifice capable d’imiter, voire de dépasser, une capacité du cerveau humain, nous réalisons que ce que nous avons saisi n’était pas de l’intelligence.
2On doit à Larry Tesler (1945-2020), le célèbre inventeur du « copier-coller », cette définition de l’intelligence citée par Douglas Hofstadter : « Tout ce que les machines n’ont pas encore fait » (Hofstadter, 2008, p. 674).
3En effet, il est possible que la plus grande force du cerveau humain réside dans sa préconfiguration, particulièrement bien adaptée au monde dans lequel il ressent, raisonne et imagine. Ces avantages innés sont issus d’un processus d’évolution génétique par sélection naturelle qui a duré plusieurs milliards d’années. Lorsque l’on garde cela à l’esprit, on mesure mieux la difficulté de l’objectif que se donnent les chercheuses et chercheurs en intelligence artificielle : leur objectif s’éloigne au fur et à mesure qu’elles et ils s’en approchent.
4Mais si l’intelligence est « tout ce que les machines n’ont pas encore fait », comment donner un nom à « ce que les machines ont déjà fait » ? Ce nom n’est-il pas la fameuse « intelligence artificielle » ? Et dans ce cas, pour quelle raison devrait-on limiter cette définition aux dernières approches en vogue dans le domaine ?
5Pour ma part, les termes « intelligence artificielle » et « informatique » font référence à un même objet. En effet, même la plus simple des machines à calculer est capable de réaliser automatiquement un traitement de l’information qui était auparavant l’exclusivité de son concepteur : l’esprit humain.
6Aujourd’hui, ce sont les développements des réseaux de neurones artificiels qui sont les plus spectaculaires en matière de systèmes opérationnels. Ils sont souvent critiqués pour leur opacité, en particulier dans des cas d’utilisation sensible. Ce « défaut » est une source de surprises, bonnes ou mauvaises. En programmation informatique traditionnelle, on sait que la machine fait ce qu’on lui demande et non ce que l’on croit lui avoir demandé. C’est parfois la source d’une mauvaise surprise : le bogue.
7De même, la bonne ou la mauvaise surprise issue d’un réseau de neurones artificiel est rarement perçue comme une preuve de créativité, d’autonomie ou de conscience. Nous n’avons donc pas encore confié la recherche en intelligence artificielle aux systèmes produits par cette recherche.
8Si l’on cherche à tracer le cheminement intellectuel qui a permis le développement de ces technologies, on peut très vite remonter à l’époque de Charles Babbage (1791-1871), mathématicien britannique qui a énoncé pour la première fois le principe de l’ordinateur : la machine analytique. On pourrait également poursuivre un peu l’exploration épistémologique et accepter que cette apparition n’a pas pu se produire sans la formalisation de « lois du raisonnement » introduites par Georges Boole (1815-1864) et Augustus de Morgan (1806-1871). Par ailleurs, il serait passionnant de tracer les successions d’héritages jusqu’à l’Antiquité, aussi bien occidentale qu’orientale : on rencontrerait ainsi un grand nombre de philosophes et de logiciens, dont Muhammad al-Khwarizmi (780 env.-850 env.), mathématicien perse qui a donné son nom au mot « algorithme ».
9L’invention de l’informatique en général et de l’intelligence artificielle en particulier est donc un exploit collectif, international, multidisciplinaire. Celui-ci n’est rendu possible que par l’accumulation, le partage et la remise en cause des découvertes réalisées au cours du temps par de multiples générations d’êtres humains confrontées à une immense diversité de questions et de problèmes.
10Ainsi, lorsque nous tentons de percevoir l’intérieur de cette boîte translucide qu’est notre cerveau, comme lorsque nous concevons ces automates artificiellement intelligents, notre principal atout est sans surprise… l’ouverture d’esprit !
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