L’eau
| ,3. Les usages de l’eau
Note de l’auteur
Les mots en gras italique suivis d’un astérisque sont expliqués dans le lexique de fin de volume, pages 95-97 ou https://books.openedition.org/eua/6582.
Texte intégral
Manger, produire, vivre
L’agriculture
1À l’échelle internationale, on estime qu’en moyenne 69 % de l’eau prélevée est utilisée pour l’agriculture (irrigation, élevage, aquaculture). Bien sûr, cette proportion varie d’un pays à l’autre. De manière générale, on observe que l’agriculture prend une place beaucoup plus importante dans les pays les plus pauvres (jusqu’à 99 % en Somalie, dont le PIB par habitant est de 320 dollars/an). À l’inverse, les Pays-Bas n’utilisent que 0,5 % de l’eau prélevée pour l’agriculture (AQUASTAT, 2017). Cependant, dans ce cas, on peut penser qu’il s’agit aussi d’une question démographique : le territoire des Pays-Bas est peu étendu (41 543 km2) et densément peuplé (52 295 hab./km2), ce qui laisse peu de place aux terres cultivables (moins 10 % de la population est rurale). Au sein d’un même pays, la part consacrée à l’agriculture peut varier : en France, par exemple, entre 0,5 % (en Normandie) et 23 % (sur l’île de La Réunion) des surfaces sont irriguées, et la part de l’eau prélevée pour l’irrigation varie entre 83 % (Gers) et 0 % (dans certains départements de l’Est et en Île-de-France). Ces disparités sont dues à la fois au climat, à la proportion de terres cultivées et aux types de cultures sur ces territoires (OFB, 2016).
2La question de l’irrigation est essentielle, car les populations les plus pauvres dépendent très souvent de l’agriculture pour leurs moyens de subsistance et leur sécurité alimentaire. Or, les cultures irriguées sont généralement plus productives que les cultures dites pluviales, soumises aux aléas de la météo (ONU, 2019, p. 117). On notera ici que la production agricole s’inscrit pleinement dans le cycle de l’eau : l’eau de pluie et l’eau prélevée alimentent les cultures et les élevages ; une partie de cette eau est directement réintroduite dans le cycle par ruissellement ou par infiltration, tandis qu’une autre partie sera rejetée plus tard par les végétaux (évapotranspiration) et les animaux (déjections). Au passage, cette eau peut être souillée, dans la mesure où elle peut avoir été en contact avec des produits utilisés pour améliorer les rendements (pesticides, engrais, antibiotiques…) qui seront alors introduits dans le cycle.
3À l’intérieur même du secteur agricole coexistent des disparités importantes de besoins en eau (voir fig. 8 page suivante). On distinguera d’un côté l’agriculture (production végétale) et l’élevage (production animale). De manière générale, la production de viande est bien plus gourmande en eau que celle des végétaux ; elle requiert entre six et vingt fois plus d’eau. Ainsi, la production d’un kilogramme de volaille nécessite entre 4 000 et 6 000 litres (notre-planete.info, 2019 ; FAO, 2004). Les bovins consommeront 4 000 m3 par tête au cours de leur vie et la production d’un kilogramme de bœuf frais demandera 15 m3 d’eau. Au sein de la production végétale aussi, des différences existent. Les légumineuses, racines et tubercules demandent moins d’eau (1 000 l/kg en moyenne, 487 l/kg seulement pour la pomme de terre) que la culture des céréales (1 500 l/kg en moyenne) ou la production d’huile de palme (2 000 l/kg), qui pose par ailleurs d’autres problèmes environnementaux et sociaux (déforestation, réduction de la biodiversité, pollution des sols, cultures extensives, etc.). En réalité, si chaque plante a des besoins aussi différents en eau, c’est qu’elle est adaptée à son climat d’origine. Le blé, cultivé depuis l’Antiquité au Proche-Orient et dans nos sociétés occidentales au climat tempéré, requiert 625 litres d’eau par kilogramme produit, presque cinq fois moins que le riz (3 000 l/kg), qui pousse littéralement les pieds dans l’eau. Pour cette raison également, la culture du maïs en France pose de sérieuses questions. Pour ses plus farouches défenseurs, cette plante (la deuxième céréale la plus cultivée en France derrière le blé) serait plus économe en eau que la plupart des autres céréales. Sur le site « Maïs, culture durable » – une initiative de l’Association générale des producteurs de maïs –, on apprend même que le maïs serait, avec le sorgho, « la culture qui sait le mieux gérer sa consommation d’eau ». Cette défense est pourtant discutable : importé d’Amérique centrale par les explorateurs de la fin du xve siècle, le maïs est à l’origine une plante tropicale, qui fleurit sous nos latitudes en plein été. Or c’est justement à cette période, alors que la ressource est la plus rare, qu’elle a le plus besoin d’eau. Ingénieur de recherche à l’école toulousaine de Purpan, Simon Guiliano ajoute même : « Comme le maïs valorise très bien la lumière, on le cultive surtout dans le Sud, là où, en été, le stress hydrique est le plus fort » (Mougey, 2015). De fait, 36 % de ses surfaces se situent dans le grand Sud-Ouest, en Nouvelle-Aquitaine et en Occitanie (AGPM, 2020), et 41 % des surfaces irriguées en France sont des cultures de maïs (eaufrance, 2019c).
4Au-delà de la culture, la transformation des produits issus de l’agriculture consomme également de l’eau. Alors que la culture d’une tonne d’oranges demande environ 560 m3, la production d’une tonne de jus d’orange nécessite 1 018 m3 (Mekonnen, Hoekstra, 2011), c’est-à-dire deux fois plus d’eau. De même, la production de bière (298 m3/tonne ; Mekonnen, Hoekstra, 2011) ou de lait (790 litres d’eau par litre produit ; notre-planete.info, 2019) requièrent une quantité importante d’eau. Il s’agit ici de considérer non seulement la culture, mais aussi les processus de fabrication des produits : au quotidien, nous consommons essentiellement des produits transformés issus de l’industrie.
L’industrie
5L’industrie représenterait entre 19 et 22 % des prélèvements annuels d’eau dans le monde. Comme pour l’agriculture, cette proportion est en réalité extrêmement variable en fonction des pays. Pour reprendre les exemples cités, les Pays-Bas consacrent 92 % de leurs prélèvements à ce secteur, quand il ne représente que 0,06 % des prélèvements somaliens (AQUASTAT, 2017).
6La consommation d’eau dans le secteur industriel est de deux types. D’un côté, elle est privilégiée pour ses capacités calorifiques : excellente régulatrice thermique, elle est utilisée « comme liquide de refroidissement ou pour emmagasiner et transporter l’énergie » (Maréchal, 2000). C’est le cas de l’industrie nucléaire, qui s’en sert pour transporter la chaleur produite par le réacteur ou faire tourner les turbines. En général, l’utilisation de l’eau comme régulateur thermique n’a pas d’impact sur le cycle, hormis des déperditions (sous forme de vapeur) ou une modification de sa température (qui peut tout de même perturber les écosystèmes des sites de rejet ; voir Chotard, 2000). Cependant, dans le cas de l’industrie nucléaire, l’eau qui sert à transporter la chaleur est polluée (elle est radioactive) et ne peut donc être rejetée telle quelle dans la nature. C’est plus souvent le cas des eaux utilisées directement dans les procédés industriels, pour la fabrication ou le nettoyage des produits. Elles nécessitent alors une épuration et un contrôle accru des rejets, ce qui ne peut être effectué que dans un environnement en mesure d’absorber leur charge polluante.
7Certaines industries sont particulièrement gourmandes en eau. C’est par exemple le cas de l’industrie du papier. En dehors des problèmes de déforestation qui pourraient à terme avoir un impact sur le climat et notamment sur la pluviométrie, la fabrication d’un kilogramme de papier nécessite en moyenne 40 litres d’eau. Selon l’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses (COPACEL), les Français ont consommé en 2019 127 kg de papier, toutes utilisations confondues (graphique, hygiène, emballages, etc.). Dans le monde, la même année, ce sont 419,72 millions de tonnes de papiers et cartons qui ont été produites, soit 16,79 millions de mètres cubes d’eau consommés. Heureusement, l’usage de plus en plus fréquent du papier recyclé et l’amélioration des techniques de production permettent de diminuer la consommation d’eau induite par l’industrie du papier. De plus, 71 % des papiers et cartons utilisés, tous secteurs confondus, sont recyclables. Cependant, des efforts peuvent encore être faits dans ce domaine, notamment en ce qui concerne les emballages : ils représentaient en 2019 en France 78 % des papiers et cartons consommés. Des analyses similaires peuvent être menées avec d’autres matières premières de l’industrie, comme l’aluminium – qui nécessite de souiller 1 000 litres d’eau par kilogramme produit – ou le plastique − 2 litres d’eau/kg, mais aussi 1 kg de pétrole, et seulement 5 % de matière recyclée à l’échelle mondiale.
La consommation courante
8Le gros de la consommation d’eau dans le monde n’est pas le fait des individus. Car, si dans nos pays il suffit d’ouvrir le robinet pour que l’eau coule en abondance, ce n’est pas le cas de beaucoup d’endroits dans le monde. Nous l’avons vu dans le chapitre précédent : la consommation d’eau directe par habitant et par jour varie drastiquement d’un pays à l’autre, entre 10 et 600 litres en moyenne (AQUASTAT, 2017). Or, selon l’OMS, « pour boire et satisfaire [ses] besoins d’hygiène, chaque personne a besoin, chaque jour, de 20 à 50 litres d’eau ne contenant ni produit chimique dangereux ni contaminant microbien » (OMS, Eau et santé). Pour un réel confort, l’organisme recommande même 100 litres par jour et par personne. Au-delà, il est raisonnable de penser que la consommation en eau ne satisfait à aucun besoin vital : elle peut donc, dans un sens, être considérée comme un simple confort.
9Selon les données fournies par la FAO (AQUASTAT, 2017), ce seuil de « confort » serait atteint, voire largement dépassé, dans 117 pays. 22 pays supplémentaires attendraient ou dépasseraient le seuil de « décence » (50 l/jour). Sur les 183 pays dont les données sont disponibles, 44 restent en dessous de ces seuils ; 12 n’atteignent même pas le minimum vital de 20 litres/jour. Le rapport des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau confirme ce tableau. En 2015, 89 % de la population mondiale utilisait au moins un service élémentaire d’eau potable ; 844 millions d’individus en restaient encore privés (ONU, 2019, p. 20). Les habitudes de consommation en eau potable sont donc extrêmement variables d’une région à l’autre du globe. Nous nous attarderons ici sur l’exemple français, qui est sans doute transposable à l’ensemble des pays à « forte » consommation d’eau (voir fig. 9).
Figure 9 : Répartition de la consommation d’eau dans les foyers français

Source : Centre d’information sur l’eau (2007)
© Catherine Julia — © PICTOS ICON-ICONS
10En France, un foyer de 2,5 personnes utilise en moyenne 329 litres d’eau par jour, selon le Centre d’information sur l’eau. Ce chiffre est susceptible de varier en fonction du niveau de revenu, de l’âge, du mode de vie ou de la géographie (climat, jardin, etc.). La figure 9 illustre la répartition moyenne de cette consommation. Force est de constater que la portion d’eau utilisée pour nos besoins alimentaires est faible (7 %). En ajoutant les 39 % consacrés aux bains et douches (qui peuvent s’apparenter aux besoins d’hygiène), nous atteignons déjà 150 litres par jour. Il faut ici souligner qu’une douche (30 à 80 litres) consomme entre deux et trois fois moins d’eau qu’un bain (150 à 200 litres). De même, le nettoyage d’une voiture nécessite 200 litres d’eau ; associé à l’entretien du jardin, cela représente 6 % de notre consommation quotidienne. Une part non négligeable de notre consommation est consacrée à l’entretien de la maison : 10 % de l’eau utilisée part dans la vaisselle et 12 % dans l’entretien du linge. Enfin, 20 % de notre consommation d’eau est liée aux sanitaires. S’ils sont bien sûr un besoin essentiel et un confort évident de nos sociétés, il est légitime d’interroger ce chiffre. Cela semble d’autant plus important qu’en France, pour des raisons de sécurité sanitaire, les constructeurs n’installent pas de double réseau d’alimentation en eau – un réseau d’eau potable d’un côté, et un autre de moindre qualité de l’autre, pour les sanitaires par exemple. Il s’agit là d’un principe de précaution : en cas de changement de propriétaire, on évitera ainsi de mélanger les deux réseaux lors de travaux futurs, et de se retrouver avec de l’eau non potable dans toute la maison. Cette possibilité reste cependant de la responsabilité individuelle de chacun.
11Toutes ces données permettent de construire un tableau général des usages qui sont faits de l’eau prélevée. En fonction des régions du monde, cette consommation déborde plus ou moins des besoins primaires (boire, manger, se laver) pour s’inscrire dans des usages plus larges (production, loisirs, etc.) qui ne sont pas toujours nécessaires ou raisonnables : trop souvent, l’eau est simplement gaspillée. Surtout, l’analyse à l’échelle nationale tend à gommer un point essentiel : l’eau, comme n’importe quel autre bien, n’échappe pas à la mondialisation.
Un bien mondialisé
L’empreinte de l’eau
12L’empreinte eau* d’une entité (personne, structure, pays…) est définie comme le volume d’eau douce utilisée directement ou indirectement pour produire les biens et services consommés par l’individu, la communauté ou l’entreprise agricole ou industrielle (Empreinte écologique, juillet 2010). Mise au point en 2002 par le professeur Arjen Y. Hoekstra pour l’UNESCO, cette mesure se calcule à la fois du point de vue du producteur (empreinte eau de production) et du consommateur (empreinte eau de consommation). Elle s’inscrit dans un contexte international de plus en plus tendu, où les conflits pour la gestion et l’accès à l’eau sont de plus en plus fréquents, notamment au Moyen-Orient.
13L’empreinte de l’eau est établie en mesurant le type d’eau utilisé pour la fabrication de chaque produit, selon une division de l’eau en quatre composantes : eau verte, eau bleue, eau grise et eau virtuelle.
14L’eau verte est l’eau accessible à la végétation (forêts, prairies, cultures non irriguées) mais qui n’est pas exploitable par l’être humain. Il s’agit de flux invisibles de vapeur d’eau, présents dans les sols et la biosphère, qui repartent directement dans l’atmosphère par évapotranspiration. L’eau bleue, à l’inverse, constitue « la réserve et les flux en surface et au sein des sols qui cheminent par gravité vers le point bas que constituent les océans » (Anctil, 2008, p. 119). En d’autres termes, c’est l’eau facilement accessible à l’être humain, celle qui est utilisée pour la distribution d’eau courante, l’industrie ou l’irrigation. Ces deux premières distinctions sont essentielles. Sans être directement utilisable par l’être humain, l’eau verte supporte une part importante de la production agricole (en plus de l’ensemble de l’écosystème terrestre). L’eau bleue, quant à elle, peut être recyclée et réutilisée jusqu’à l’exutoire du bassin-versant. L’eau peut aussi passer du bleu au vert : par exemple, une partie de l’eau captée pour l’irrigation des cultures (eau bleue) s’évapore directement dans l’atmosphère et devient donc de l’eau verte. Une étude plus approfondie permet de classer l’eau verte en deux catégories : l’eau verte « productive » − qui « participe pleinement à la production de biomasse (transpiration) » − et l’eau verte « non productive » − « qui s’évapore depuis le sol, les flaques en surface et le feuillage des plantes » (Anctil, 2008, p. 119-121).
15Les eaux grises désignent selon la loi française les « eaux usées produites par les activités domestiques » (J. O., 2017). Sont donc incluses les eaux provenant des baignoires, des douches et des lave-linges, mais non les eaux souillées par les matières fécales et l’urine, appelées « eaux noires ». Ces dernières n’ont en effet pas vocation à être réutilisées, alors que les eaux grises sont généralement réintroduites dans le circuit de distribution après avoir subi un traitement. De manière plus large, l’eau grise désigne « le volume d’eau douce requis pour diluer les polluants dans des proportions suffisantes pour que la qualité de l’eau corresponde aux normes en vigueur » (The Water Footprint Assessment Manual, 2011). En ce sens, l’eau grise englobe toutes les eaux usées (c’est-à-dire polluées par l’usage), qu’elles soient domestiques ou industrielles. Il faut également inclure dans cette catégorie « certaines eaux de ruissellement, qui, notamment en milieu urbain, sont souvent plus contaminées que les eaux usées d’origine domestique » (J. O., 2017).
16Le concept d’eau virtuelle permet enfin d’introduire les échanges mondialisés dans l’analyse de l’empreinte de l’eau. Il fut introduit par John Anthony Allan à la fin des années 1990. Constatant une inadéquation entre la demande en eau et la ressource disponible dans de nombreux pays, le chercheur propose de transférer les surplus d’eau existant dans certains pays vers les pays en stress hydrique, notamment par l’importation des biens nécessitant de grands volumes d’eau pour leur production (Allan, 1998). La notion d’eau virtuelle désigne les quantités d’eau nécessaires à la fabrication d’un produit agricole ou manufacturé importé ou exporté. Nous l’avons vu plus haut, la production agricole ou industrielle consomme des quantités importantes d’eau. L’industrie de l’habillement est particulièrement gourmande : la production d’un t-shirt en coton nécessite 2 000 litres d’eau, celle d’une paire de chaussures en cuir 8 000 litres. À l’échelle mondiale, on estime que l’empreinte eau annuelle de chaque humain s’élève en moyenne à 1 243 m3 (Centre d’information sur l’eau, « Eau virtuelle & empreinte eau »). Cette eau est en quelque sorte déplacée d’un bassin à un autre, tout comme l’eau acheminée via des aqueducs, mais de manière indirecte. On estime qu’un cinquième de l’eau consommée dans le monde est virtuelle. La méthodologie de calcul de l’empreinte de l’eau à l’échelle d’un pays (voir WWF, 2012, p. 9 pour le détail du calcul) est illustrée ci-après (voir fig. 10 page suivante).
Figure 10 : Schéma de la comptabilité nationale de l’empreinte eau

Source : WWF, 2012
© Catherine Julia
L’exemple français
17Pour mieux comprendre cette notion d’empreinte eau et son impact concret, intéressons-nous au cas français (voir fig. 11 page suivante). Cette figure présente la répartition entre l’eau verte (300 km3/an) et l’eau bleue (180 km3/an). Force est de constater qu’il y a globalement beaucoup d’eau en France. Sachant que nous consommons environ 106 km3 par an, la ressource en eau bleue devrait en théorie suffire à satisfaire nos besoins). Pourtant, lorsqu’on analyse réellement l’empreinte eau, on s’aperçoit qu’elle est bien plus importante. Le budget eau virtuelle de la France s’élèverait à environ 170 km3 (WWF, 2012), soit presque la totalité de la ressource en eau bleue disponible.
Figure 11 : Bilan des ressources eau verte/eau bleue en France

Source : Conférence Ghislain de Marsily – L’eau au 21e siècle
© Catherine Julia
18À l’échelle individuelle, chaque Français consomme, toutes empreintes confondues, 1 786 m3 par an (voir fig. 12 page 70). En détaillant l’empreinte eau de consommation pour chaque type de produit, on constate le poids écrasant de la production de viande (36 %). En ajoutant la production de celle du lait, on observe que près de la moitié (46 %) de l’empreinte eau de consommation est d’origine animale. Le maïs, que nous évoquions plus haut, représente à lui seul la moitié de l’empreinte eau bleue de production agricole nationale. Cette céréale est aussi la première contributrice de l’empreinte eau grise de production agricole (30 % ; WWF, 2012, p. 24-26). Il est également intéressant de noter que la consommation d’eau potable (incluse dans les 9 % « autres ») ne représente qu’un faible pourcentage de notre consommation globale.
Figure 12 : Empreinte eau de consommation de la France, par catégories de produits

Source : WWF, 2012
© Catherine Julia
19Selon le rapport du WWF sur l’empreinte eau en France, « 53 % de l’empreinte eau de consommation nationale est interne (c’est l’eau utilisée en France pour fabriquer les produits consommés par la population nationale), 47 % est externe (c’est l’eau utilisée à l’étranger pour fabriquer les produits importés puis consommés en France) » (WWF, 2012, p. 15). En d’autres termes, la France dépend de l’étranger pour près de la moitié de l’eau qu’elle consomme. Il s’agit principalement d’eau verte (76 %), issue des cultures agricoles. Par ailleurs, l’empreinte en eau virtuelle d’importation (78,3 km3) est supérieure à l’empreinte en eau virtuelle d’exportation (65,5 km3) : la France importe plus d’eau virtuelle qu’elle n’en exporte, affichant un déficit de 12,8 km3 par an. Cela s’explique par l’importation de nombreux produits de consommation courante, comme les oranges, certaines céréales… ou encore le thé et le café, que nous ne produisons pas en France et qui représentent à eux seuls 10 % de l’empreinte eau de consommation.
20L’un de ces produits d’importation sort particulièrement du lot : le coton et ses dérivés. Il représente 56 % de l’empreinte eau bleue dans les importations d’eau virtuelle, soit 5,9 km3 par an. La plante a longtemps été considérée comme impossible à cultiver en France, du fait du climat défavorable. S’il existe désormais une petite exploitation dans le Gers qui prouve le contraire (voir Denis, 2019), toute la matière première doit en réalité être importée. Le coton s’illustre ici comme un symbole de la mondialisation de la ressource en eau : utilisé à très grande échelle dans l’industrie textile, il pousse essentiellement grâce aux réserves du bassin de la mer d’Aral en Ouzbékistan. L’utilisation extensive des ressources en eau dans cette région pour une culture exportée dans le reste du monde a profondément bouleversé l’écosystème et l’économie locale. Dès lors, si la consommation d’eau sur le territoire français reste raisonnable, l’analyse de notre empreinte globale montre des impacts importants dans le reste du monde. Dans le cas de la mer d’Aral, les relevés récents font craindre, à terme, un assèchement de la ressource (voir chapitre 4).
21La notion d’empreinte de l’eau nous oblige à repenser nos modes de consommation. Elle donne un autre relief à la question des circuits courts : sans tomber dans l’autarcie, la nécessité de consommer régulièrement des aliments cultivés à l’autre bout du monde (les bananes par exemple) ou ayant une forte empreinte en eau (la viande) doit être mise en cause. De même, des initiatives comme l’introduction d’une culture de coton sans irrigation dans le Gers (alors que cette plante demande, pour un meilleur rendement, beaucoup d’eau) interrogent nos pratiques actuelles. Car l’eau, sans laquelle il n’y a pas de vie, peut aussi mettre en péril les sociétés humaines lorsqu’elle n’est pas gérée durablement.
Bibliographie
Pour en savoir plus
Fonds mondial pour la nature (WWF), L’empreinte eau de la France, d’après Ercin A. E., Mekonnen M. M., Hoekstra A. Y., The Water Footprint of France, Enschede, université de Twente, 2012 (Value of Water Research Report Series, 56).
Les agences de l’eau, Les usages de l’eau. Disponible sur : http://www.lesagencesdeleau.fr/wp-content/uploads/2012/07/16-Fiche-usage-de-leau_web.pdf (consulté le 06/06/2021).
Table des illustrations
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Titre | Figure 8 : Besoins en eau de la production agricole |
Crédits | © Catherine Julia — © PICTOS ICON-ICONS |
URL | http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/6574/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 176k |
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Titre | Figure 9 : Répartition de la consommation d’eau dans les foyers français |
Crédits | Source : Centre d’information sur l’eau (2007) © Catherine Julia — © PICTOS ICON-ICONS |
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Titre | Figure 10 : Schéma de la comptabilité nationale de l’empreinte eau |
Crédits | Source : WWF, 2012 © Catherine Julia |
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Titre | Figure 11 : Bilan des ressources eau verte/eau bleue en France |
Crédits | Source : Conférence Ghislain de Marsily – L’eau au 21e siècle © Catherine Julia |
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Titre | Figure 12 : Empreinte eau de consommation de la France, par catégories de produits |
Crédits | Source : WWF, 2012 © Catherine Julia |
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© Éditions Universitaires d’Avignon, 2021