Le Festival et la redécouverte du patrimoine

1Selon le poète René Char, Avignon a connu, grâce à Vilar et son Festival,

[…] une de ces doubles fleurs qui se produisent quelquefois dans l’histoire : un haut lieu admiré, visité, glorifié pour un événement et des fastes anciens, redevient disponible dans un second destin, tout aussi fameux que le premier1.

2Ce second destin est notamment permis par la réutilisation d’une partie de son patrimoine architectural en lieux d’arts et de spectacles. Ainsi, en septembre 1947, la « Semaine d’art en Avignon » investit le Palais des Papes pour une exposition d’art contemporain, des concerts de musique sacrée et profane, des créations théâtrales (Richard II de Shakespeare, L’Histoire de Tobie et de Sara de Paul Claudel), dans la Cour d’honneur et le Verger Urbain V².

3Avignon s’inscrit dans une lignée de festivals qui allient les arts, les monuments historiques et le plein air : dès 1869, la première des Chorégies d’Orange, sous l’appellation « Fête romaine », occupe le Théâtre antique d’Orange, même si le rendez-vous est marqué par sa discontinuité (1874, 1886, 1888, 1894, 1897, 1899 pour les Chorégies suivantes)³ ; plus tard, le Festival d’Aix-en-Provence s’implante dans la cour de l’Archevêché (1948).

4Le Festival d’Avignon investit le monument-roi de la ville mais également des vestiges d’édifices laissés à l’abandon : en 1967, le cloître des Carmes en est un exemple parmi d’autres. Sur ce même emplacement, en 1963, la Nouvelle Compagnie d’Avignon s’installe dans un immeuble construit ex-nihilo qui jouxte l’église Saint-Symphorien-les-Carmes et c’est là, en 1966, que naît le « hors-Festival ». Il s’agit de savoir ce qui motive la réutilisation de ces deux lieux.

5Une partie du fonds Jean Vilar, déposé à la Maison Jean Vilar, porte sur ses réflexions sur les monuments historiques. Elle est constituée de sa correspondance avec Roland Cadet, président de la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (1965-1969) et de notes prises pour un entretien avec André Malraux, le 8 novembre 1966⁴.

6L’une des intentions de Jean Vilar et de ses équipes est de rendre vie aux lieux dits historiques pour leurs contemporains, de « le[s] sortir de [leur] gloire historique pour le[s] replacer dans le siècle […]⁵ ». En revanche, il ne s’agit pas d’y faire n’importe quoi. Ainsi, Jean Vilar s’oppose à l’utilisation des monuments historiques pour les spectacles son et lumière qu’il juge assez vains, où « le spectateur n’en tire qu’une sorte d’ébahissement historique⁶ ». Il dénonce le coût élevé pour le peu d’intérêt que de tels événements provoquent chez le spectateur. Il prend pour exemple une manifestation qui, à ses yeux, demeure un échec : le son et lumière projeté au château de Chambord, durant l’été 1952, sur le thème des Très riches heures de Chambord, accompagné d’un texte de Jacques Charpier, ancien premier adjoint chargé des Beaux-Arts, et d’une musique de Maurice Jarre⁷.

7Selon Vilar, le meilleur moyen de rendre vie aux lieux historiques est le spectacle vivant⁸. L’homme ne se contente pas de l’aventure du Palais des Papes et multiplie les expériences avec la troupe du Théâtre national populaire (TNP) : il investit l’abbaye bénédictine du Bec Hellouin (1953), la mairie de Marseille (1954) et le château de Beauregard en Normandie (1955)⁹.

8En 1966, lorsqu’André Malraux le sollicite pour animer le château de Versailles, Vilar s’interroge sur la meilleure manière d’« utiliser » un monument si prestigieux. Géographiquement, le palais est situé sur un territoire (l’ouest et le sud-ouest de la région parisienne) qui n’est pas favorisé par l’offre culturelle, contrairement au nord, au nord-est et à l’est où sont respectivement implantés le Théâtre de la Commune de Gabriel Garran (Aubervilliers), le Théâtre des Amandiers de Pierre Delouche (Nanterre) et le Théâtre de l’Est Parisien de Guy Rétoré (Saint‑Denis)¹⁰.

9Pour redynamiser la vie culturelle de l’agglomération, Vilar désire implanter sur le site du château de Versailles des représentations dramatiques, lyriques et chorégraphiques tous les week-ends, de Pâques à la Toussaint. Afin de susciter l’intérêt du public à l’égard du monument historique, Vilar souhaite y installer de vastes espaces théâtraux (de 700 à 3 000 spectateurs) dont le prix des places demeure très modique (de 5 à 12 francs) et dont l’absence de loges ne permet pas de diviser l’assistance¹¹. Le projet du château de Versailles n’a pas abouti, mais il montre clairement les valeurs que Vilar souhaite porter lorsqu’il réutilise des monuments historiques pour les besoins du spectacle vivant.

10Cette philosophie se retrouve dans l’aménagement du cloître de l’ancien couvent des Carmes.

11À Avignon, depuis 1948, les représentations théâtrales ont exclusivement lieu dans l’enceinte du Palais des Papes. Toutefois, en 1958, Le Triomphe de l’amour de Marivaux, mis en scène par Jean Vilar, est joué à la Chartreuse de Villeneuve‑lès‑Avignon¹².

12Au début des années 1960, le Festival d’Avignon connaît un succès public très important : la Cour d’honneur voit sa jauge (deux mille neuf cent vingt-deux places) très souvent dépassée (entre 1962 et 1965, son taux de remplissage oscille entre 95 et 107 %). Vilar ne veut pas cependant que le Festival se complaise dans le succès et souhaite appliquer un certain nombre de réformes afin de lui donner un nouveau souffle¹³.

13En octobre 1965, il présente au maire de l’époque, Henri Duffaut, ses principales mesures dans une étude intitulée « Le Festival d’Avignon, son avenir. Célébration de son 20^e anniversaire ». Il souhaite alors doubler la durée du Festival, la faire passer de deux semaines à un mois. Cette première décision en entraîne d’autres : le TNP ne pouvant plus assumer seul la programmation sur une si longue période, Vilar doit faire appel à d’autres compagnies. Pour que plusieurs troupes puissent jouer en alternance, il faut trouver un nouveau lieu scénique en plus de la Cour d’honneur.

14En 1965, depuis son appartement parisien, Jean Vilar envoie à son amie avignonnaise, Élisabeth Barbier, ses vœux en matière d’implantation théâtrale. Lors de l’édition 1966, pour permettre l’accueil de Roger Planchon et de son Théâtre de la Cité de Villeurbanne, Jean Vilar souhaite un lieu pouvant accueillir jusqu’à deux mille personnes, à l’abri des bruits de la ville (habitations, circulation, trains). Élisabeth Barbier s’appuie alors sur l’étude d’un plan d’Avignon qui lui donne un ordre de grandeur pour les surfaces.

15Dans une note dactylographiée datant de septembre 1965, elle lui fait part de ses découvertes. Parmi les possibilités, on trouve le Petit Palais, occupé jusqu’en 1958 par l’école professionnelle et dont le chantier du futur musée a débuté en 1961 (la scène serait construite devant la façade, au fond de la place, ou à l’intérieur, dans l’espace qui servait de cour de récréation) ; le jardin du musée Calvet, aménagé style xvii^e siècle par le conservateur de l’époque, Deloye ; le cloître de l’ancien couvent des Célestins ; l’ancien cloître du Grand Séminaire (rue Saint-Charles) ; le jardin de l’hôtel de Mons, ancien archevêché, propriété de la Mutualité agricole (où il n’est pas possible d’accueillir un public nombreux) ; trois très grands jardins privés (mais les propriétaires ne semblent pas disposés à les céder) ; le cloître des Carmes. Dans l’extra-muros, on trouve la place abandonnée du quartier Saint-Ruf sur laquelle se trouvent les ruines de l’abbaye (il s’y donnait les années précédentes les représentations de la compagnie Hubert Jappelle, à l’intérieur de la nef) ; l’île de la Barthelasse qui dispose de terrains municipaux. Enfin, hors de la ville, elle trouve le champ de courses de Roberty, propriété de la famille Jouet-Pastré, situé sur la commune du Pontet, sur la route de Carpentras et qui sert seulement durant les courses de printemps. Certes, le cloître des Carmes est évoqué dans cette note, mais il n’y figure pas comme un premier choix (« J’oubliais de te dire¹⁴ »).

16Au cours de son histoire, certains de ces lieux sont investis par le Festival : le cloître des Carmes (1967), le cloître des Célestins (1968), l’île de la Barthelasse (1972), l’abbaye Saint-Ruf, le musée du Petit Palais (1992) et le champ de courses de Roberty (2006). En revanche, le musée Calvet n’a jamais été utilisé à ce jour¹⁵.

17En 1966, c’est le parvis du Palais du Vice-Légat (ou Petit Palais) qui est utilisé par Roger Planchon et le Théâtre de la Cité de Villeurbanne pour la création de Richard III de Shakespeare et la reprise de George Dandin de Molière. L’architecte et scénographe Camille Demangeat construit pour l’occasion un large plateau de plus de vingt mètres d’ouverture et une salle de plein air en gradins de près de deux mille cinq cent places. Très vite, l’endroit s’avère mal commode : « les bruits de la ville sont incessants », ce qui perturbe l’acoustique ; « le vent s’y engouffre à pleine puissance, faisant vibrer les travées, saisissant les acteurs, jouant avec les décors et les costumes¹⁶ ». Le lieu est abandonné.

18Ainsi, pour l’édition 1967, un nouveau lieu doit être réinvesti par le Festival. Jean Vilar souhaite, cette fois-ci, un espace plus intime, qui réponde mieux aux nouveaux besoins de la création. Dans la note dactylographiée d’Élisabeth Barbier, son choix s’arrête sur le cloître des Carmes.

19À la Révolution, comme tout bien religieux, le couvent devient bien national, il est vendu par lots. Des immeubles sont ainsi construits sur son emplacement, dont certains autour du cloître. Le 8 juin 1928, par arrêté du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, une partie du cloître, propriété d’un dénommé Manon, est classée monument historique. Deux autres arrêtés (du 11 décembre 1928 et du 7 novembre 1932) classent respectivement l’autre partie du cloître, propriété privée de mademoiselle Jouet-Pastré, et l’église Saint-Symphorien. Entre temps, en novembre 1931, Manon lègue à la Ville les immeubles qu’il possède, place des Carmes et rue des Infirmières, ainsi que sa moitié de cloître. L’une des conditions de la vente est l’aménagement d’un jardin public autour du cloître. La municipalité est seulement co-propriétaire du cloître, puisque l’autre partie (propriété de Jouet-Pastré) abrite des œuvres sociales d’aide et protection : le projet de son dégagement par la Ville est donc annulé¹⁷.

20Le classement monument historique et la copropriété municipale n’empêchent pas l’état de ruine dans lequel se trouve l’édifice au milieu des années 1960. Tout d’abord, revenons sur ce qu’en disait Élisabeth Barbier dans sa note dactylographiée :

[…] en ville, on te parlera peut-être aussi du cloître des Carmes. Mais il me semble malaisé d’envisager quoi que ce soit, avec les pauvres bougres de harkis qui occupent les abords immédiats (certains logés sur le cloître même) avec tout [sic] une marmaille. C’est la misère et la pouillerie dans toute leur désespérante horreur. Une des plaies secrètes, honteuses, de la ville18.

21Paul Puaux et Jean Vilar visitent le cloître des Carmes pour en faire les premiers repérages avant de le proposer au metteur en scène. Voici la description qu’en donne Paul Puaux, dans son livre de souvenirs publié en 1983 :

Il a été coupé de murettes, les pièces en ruine sont squatterisées par une population marginale, les galeries sont transformées en cloaques. Pour y conduire Vilar, je jette des planches pour faire un chemin. On peut en tirer quelque chose, mais quel travail ! Là encore, la complicité des services municipaux permettra un premier curetage : cinquante-quatre camions de détritus enlevés, on y voit plus clair19.

22Outre celui de la mauvaise conservation de son patrimoine, le Festival se heurte, avec le cloître des Carmes, à l’important problème social que connaît alors Avignon : l’accueil et l’installation précaires des harkis. En avril 1963, cette population (Pieds-Noirs et Français musulmans) compte un peu plus de 150 000 personnes dans les Bouches-du-Rhône, 60 000 dans les Alpes-Maritimes et un peu moins de 30 000 en Vaucluse, soit 12 % de la population de ce département. 10 000 rapatriés s’installent en Avignon. Dans un Vaucluse en pleine mutation démographique et économique, les Français musulmans vont constituer une communauté²⁰.

23En 1964, ils sont plus de cent cinquante, hommes, femmes et enfants en bas-âge, dans les rues de La Balance, Ferruce, du Limas, de La Juiverie, Saint-Étienne, Grande Fusterie et de l’Aigarden, derrière l’Archevêché. La situation sanitaire des familles des Carmes ressemble à toutes les autres : des immeubles vétustes et surpeuplés sans eau, sans électricité et sans chauffage²¹. Durant les années 1965 et 1966, la construction de la cité du Soleil, à Monclar-Sud, avec ses quarante logements, permet l’évacuation de ces familles des immeubles insalubres de l’intra-muros vers les quartiers neufs de l’extra‑muros²².

24Durant les mois qui suivent, plusieurs visites sont organisées dans le cloître par Paul Puaux, en compagnie de l’adjoint aux Beaux-Arts de la Ville et de l’architecte départemental des Monuments historiques, afin de faire le point sur les travaux à entreprendre pour l’aménagement du lieu. Camille Demangeat est chargé de tracer le plan d’occupation des sols. Les gradins du cloître des Carmes sont issus d’une partie de ceux de la Cour d’honneur, en cours de réaménagement ; la régie est installée à partir d’un vieux jeu d’orgue²³.

25En 1967, le Centre dramatique du Sud-Est y joue Silence, l’arbre remue encore de François Billetdoux, La Baye de Philippe Adrien, Le Métro fantôme et L’Esclave de LeRoi Jones²⁴. Ce nouveau site du Festival s’ouvre à quelques mètres du premier lieu « hors-Festival » d’Avignon : le Théâtre des Carmes de la Nouvelle Compagnie d’Avignon.

26Au début des années 1960, à l’exception du Festival qui n’est présent que deux semaines dans l’année, la vie théâtrale avignonnaise s’anime autour du Théâtre municipal, où se produisent notamment les troupes de la décentralisation invitées par les Amis du Théâtre populaire, autour de la Maison des Jeunes et de la Culture de la Croix-des-Oiseaux (construite en 1964) et autour de deux compagnies permanentes, la Compagnie Hubert Jappelle (1959) et la Nouvelle Compagnie d’Avignon²⁵.

27La Nouvelle Compagnie d’Avignon est créée le 15 juillet 1961 par André Benedetto, Jacqueline Benedetto, Bertrand Hurault et Michèle Hurault. Ils arrivent tous d’Aix-en-Provence. Ils sont respectivement instituteur, documentaliste, enseignant et secrétaire. Les autres comédiens amateurs qui les suivent sont mécanographe, étudiant, aviculteur, cheminot ou vendeuse. André Benedetto estime que cette situation est un avantage, « les comédiens ne sont pas ainsi coupés de la société, ce qui contribue à maintenir entre le théâtre et la vie quotidienne des liens constants²⁶ ».

28La Nouvelle Compagnie d’Avignon, comme la Compagnie Hubert Jappelle, reçoit une subvention annuelle de la part de la municipalité qui frappe par sa modicité : les premières années, elle ne dépasse pas 1 000 francs. C’est bien en-deçà de ce que la mairie investit dans d’autres structures culturelles et artistiques : le Théâtre municipal, exploité en régie municipale directe, voit sa subvention atteindre 1,2 million de francs en 1965. Ces écarts nous semblent montrer le peu d’intérêt accordé par la municipalité à ces compagnies d’amateurs ; elle préfère investir dans des structures et manifestations qui confèrent à la ville un prestige national et international. Cela a une incidence sur la vie de ces jeunes compagnies aux conditions financières et matérielles difficiles.

29La précarité financière des troupes les empêche de bénéficier d’un lieu de travail, de répétition et de représentation. Elles doivent se débrouiller seules, demander de l’aide à des amis ou à des commerçants et se retrouvent souvent dans des lieux très précaires, éphémères, non dévolus à l’acte théâtral. Ce sont les prémices du OFF. Ainsi, en 1961, la Compagnie Hubert Jappelle dispose de l’arrière-salle – un dancing – du restaurant de l’hôtel des Sources (porte Saint-Michel). C’est dans ce même lieu que débute, cette même année, la Nouvelle Compagnie d’Avignon : André et Jacqueline Benedetto jouent aux côtés de Bertrand Hurault et Jean Quioc, le spectacle Edgar Poe, composé de nouvelles et poèmes de l’auteur américain – Le Cœur révélateur, Annabel Lee, La Cité en la Mer, Le Corbeau et La Chute de la maison Usher. En 1963, la Nouvelle Compagnie d’Avignon monte un spectacle à partir des textes de Paul Éluard, à l’Hôtel de Ville ; un autre, intitulé Quelques-uns parmi nos plus grands poètes français, comprenant des poèmes de La Fontaine, Verlaine, Prévert, Daudet, Hugo et Musset, est joué dans les jardins suspendus de l’Hôtel de Crochans.

30Faute d’aide municipale, les deux compagnies trouvent chez des Avignonnais le soutien dont elles ont besoin pour obtenir un lieu dont l’occupation peut s’avérer temporaire ou permanente :

Alors que nous venions en 63 de donner un Récital Paul Eluard à la Mairie, puis dans les Carrières des Baux, là où se trouve aujourd’hui la Cathédrale d’Images, et puis sur la terrasse de l’Hôtel de Crochans, là où le Festival a servi ses cocktails pendant des décennies, Marie-Blanche Abdellaoui nous a mis en contact avec le Père Jacques de la Celle et grâce à lui nous nous sommes installés dans une salle fermée depuis quelques temps, sur la Place des Carmes, entre l’église St Symphorien et l’hôtel finissant de la Croix‑Blanche27.

31En effet, dans les années 1930, sur l’emplacement d’un vieux cimetière qui jouxte l’église des Carmes, on fait ériger une salle dite de patronage dans laquelle sont jouées des pastorales et des revues. Après la guerre, le père Jacques de la Celle, chanoine régulier de l’Immaculée Conception y projette des films de cinéma :

[La salle] était équipée de fauteuils en bois scellés dans le ciment par ensemble de cinq. Le manteau d’arlequin de l’origine avait été muré vers 1950. Pour raison de sécurité, on avait donné le choix au Père Jacques – dénoncé pour concurrence déloyale par le Roxy qui venait d’ouvrir ! – d’équiper la scène d’un rideau de fer, ou de le plafonner pour briser l’effet de hotte, ou encore de le murer. Comme il faisait des projections cinématographiques, il a fait murer et peindre en blanc pour avoir un écran28 !

32C’est contre ce mur que la Nouvelle Compagnie d’Avignon monte sa scène en 1963.

33Le vendredi 15 juillet 1966, à 22 heures, elle y joue la cinquième représentation de Statues, pièce écrite et mise en scène par André Benedetto. Pour la première fois, un spectacle a lieu en même temps et en marge de la programmation du Festival d’Avignon. En effet, à la même heure et à quelques rues de là, dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, s’ouvre la vingt et unième édition du Festival, avec la première de Dieu empereur et paysan de Julius Hay, mis en scène par Georges Wilson et joué par la troupe du TNP. Jusqu’à présent, personne n’avait osé enfreindre la règle – non-écrite – qui impose la trêve des spectacles aux artistes qui n’ont pas été invités par le directeur du Festival. André Benedetto et ses amis sont conscients du coup porté à l’institution. En revanche, ce qu’ils sont loin d’imaginer à ce moment-là, c’est qu’ils ouvrent la voie à d’autres compagnies qui viennent jouer à Avignon dès l’année suivante et qui sont ensuite de plus en plus nombreuses. Le OFF vient de naître.

34Ainsi, sept siècles après sa construction, deux siècles après son démantèlement et son abandon par les pouvoirs publics locaux, le couvent des Carmes est sorti de l’oubli. Deux collectifs, le Festival d’Avignon d’une part, André Benedetto et la Nouvelle Compagnie d’Avignon d’autre part, le convertissent, lui assignent une nouvelle fonction.

35Le cloître est réinvesti par le Festival pour acquérir un nouveau plateau de théâtre, nécessaire au succès des manifestations de juillet et à la réforme que son directeur entend mener. Ce choix découle également de la prédilection de Jean Vilar pour les édifices anciens, redécouverts par le biais du spectacle vivant.

36L’installation d’André Benedetto et de la Nouvelle Compagnie d’Avignon au Théâtre des Carmes est davantage le fruit du hasard. Aucune attention particulière à l’égard des édifices patrimoniaux n’a motivé ce choix. Ce dernier est mu par la nécessité de trouver un lieu permanent, susceptible de permettre à la troupe de créer et de diffuser son art tout au long de l’année.

37Aujourd’hui, chacun de ces lieux est clairement identifié au festival qui l’occupe au mois de juillet. Cependant, il est arrivé que des passerelles se créent entre les deux sites. Ainsi, en 1973, André Benedetto met en scène sa pièce Pourquoi et comment on a fait un assassin de Gaston D. dans le cloître des Carmes. Le Théâtre des Carmes est inscrit dans la programmation du Festival d’Avignon en 1978, 1991 et 2000.

38Au cours des éditions suivantes, Vilar poursuit sa politique de réutilisation de lieux patrimoniaux avignonnais pour de nouvelles manifestations : en 1968, le site des Célestins ouvre et accueille, pour la première fois dans l’histoire du Festival, la musique contemporaine. Confronter l’inscription des arts vivants dans les deux couvents offrirait un précieux prolongement à notre étude.