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Rome : éduquer et combattre

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Catherine Wolff

Pour Catherine

Par Bruno Bertherat

Texte intégral

1Il y a, à l’université d’Avignon, à l’embranchement sans issue d’un dédale de couloirs menant au département des historiens, non loin de l’entrée et assez proche de la sortie, glacé l’hiver et chaud l’été, un bureau. Ce bureau est partagé par deux collègues : l’un spécialiste des mondes contemporains quoique peuplés de morts, l’autre d’un temps que l’on dit antique avec sa cohorte de langues mortes, d’armées disparues et de temples en ruines. Le territoire du premier, joyeux amoncellement de divers dossiers dont l’origine lui échappe et de copies oubliées aux lendemains tardifs d’une orgie de corrections, contraste avec le paysage impeccable, aussi bien rangé qu’une armée romaine avant (et pendant ?) la bataille ou au moment du triomphe, où trône l’autre, l’œil dubitatif. L’un quitte à regret le rivage ensoleillé de la Méditerranée, tandis que l’autre vient des brumes lyonnaises où elle semble se complaire. Un monde vraiment les sépare. Et pourtant.

2Le plaisir de l’échange survient rapidement et ne cesse pas au cours de la journée, malgré les absences diverses pour enseigner et aller chercher des livres, deux plaisirs partagés par l’un et l’autre, l’un étant en général en retard et pas l’autre, ou ces longues réunions dans les instances qu’elle fréquente sans les affectionner, mais avec la satisfaction du devoir accompli. Puis vient le soir, et le départ pour la gare, l’hôtel ou le foyer d’une collègue accueillante, chère à l’un et à l’autre. La routine est agréable, parfois. Année après année, elle a affronté avec stoïcisme (mais non sans énervement) les vagues bureaucratiques dont l’université française est si friande et qui, à la différence des épidémiques, n’ont pas encore (l’espoir fait vivre) trouvé leur vaccin, tout en contribuant à faire vivre le service public de l’enseignement et de la recherche, y compris dans sa dimension administrative, à hauteur d’homme et de femme, sans duperie. Son humour qui tempère son exigence est bienveillant ou glacé en fonction de l’interlocuteur et non du statut, qui l’indiffère, collègue, étudiant, quidam ou VIP, et qui parfois l’indispose.

3Et le savoir enfin, surtout, partagé avec celui qui partage déjà son bureau et tous les autres, collègues et étudiants, dans les cours, les séminaires, les couloirs, son bureau et autour de projets collectifs où elle s’engage sans calcul et avec générosité, dans tout ce qui fait la vraie vie universitaire, ouverte à toutes, à tous et sur tout. Sans prêt-à-penser, le savoir ici se dispense sans retenue, par l’enseignement aux étudiants du premier cycle jusqu’à ceux qui préparent les concours de l’enseignement à la réussite desquels elle contribue grandement. De l’agencement et de l’origine des mots, qu’elle maîtrise avec finesse, à la critique érudite et implacable des sources et à l’attention portée à la longue durée, sans laquelle l’histoire n’est pas l’histoire. Les langues mortes reprennent alors vie, les centuries se redressent et les temples s’animent. Polyglossie de la longue durée où le passé antique s’enracine dans le présent qui l’instrumentalise parfois avec bonheur (Goscinny nous fait ici un clin d’œil) ou avec des arrière-pensées idéologiques (une spécialité régionale) et dont elle sait démêler les fils.

4Pendant ces 12 années passées parmi nous, Catherine s’est engagée dans les multiples tâches de la République universitaire avec honnêteté, rigueur, humanité, humour toujours, et sans jamais faillir. Elle fut notre hussard noir.

© Éditions Universitaires d’Avignon, 2022

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