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Les sources du funéraire en France à l'époque contemporaine

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Bruno Bertherat

CHAPITRE 1 : les enjeux de la conservation et de l'exposition

L’ossuaire municipal des Catacombes de Paris, source imprécise et fragile de l’histoire funéraire parisienne

Sylvie Robin

Texte intégral

  • 1 On assiste à Paris comme ailleurs au retour aux préconisations de l’Antiquité, la séparation de la (...)

1En 1785, le cimetière des Innocents, le plus central et le plus densément occupé des cimetières parisiens, est définitivement fermé pour des raisons de péril sanitaire : les ossements des charniers et des fosses communes sont alors évacués vers d’anciennes carrières désaffectées hors Paris1. Les morts y sont doublement écartés, rejetés en dehors des limites de la ville et cachés sous terre. Dans la foulée, d’autres cimetières médiévaux sont transférés ; l’ossuaire municipal est ainsi créé et, par référence à l’Antiquité, prend le nom de catacombes.

2Le site des Catacombes, dont l’entrée est située au 1 avenue du Colonel-Henri-Rol-Tanguy (place Denfert-Rochereau dans le XIVe arrondissement, est aujourd’hui l’un des quatorze musées municipaux de Paris et l’un des plus fréquenté, accueillant aujourd’hui quelque 400 000 personnes. Les visiteurs viennent contempler un étrange parcours paysager et souterrain fait de murs d’ossements. Le décor macabre attire un public différent de celui des musées d’histoire et de beaux-arts, plus sensible à l’ambiance funèbre et à la recherche d’impressions fortes qu’au patrimoine géologique et historique du site. Ouvertes au public le 1er juillet 1809, les Catacombes s’inscrivent parmi les premières créations muséographiques parisiennes mais constituent également une source d’information pour l’histoire funéraire parisienne.

Des ossements peu documentés

  • 2 M.-A. Thouret, Rapport sur les exhumations du cimetière et de l’église des Saints-Innocents, lu dan (...)
  • 3 Louis-Étienne François Héricart de Thury, Description des Catacombes de Paris, précédée d’un précis (...)

3L’implantation de stèles commémorant le lieu de prélèvement des ossements est traditionnellement mise en avant comme preuve des regroupements des restes humains par provenance de cimetière. Pourtant seuls les transferts des Innocents sont décrits avec minutie par le docteur Michel Thouret qui procède à la purge méthodique du cimetière2. Entre les premiers versements de 1786 et l’organisation imaginée par Louis-Étienne François Héricart de Thury, inspecteur général des carrières en 1809, nul ne sait précisément comment s’est faite la répartition des ossements après leur déversement d’un puits haut de 20 mètres3.

  • 4 Illustration, page 312.
  • 5 B. Boulestin et H. Duday, « Ethnologie et archéologie de la mort : de l’illusion des références à l (...)

4Si le nombre d’individus conservés dans l’ossuaire est toujours dit de 6 millions, l’estimation doit être aujourd’hui revue à la baisse, des démontages récents ayant démontré que derrière les hagues d’ossements4 apparaissaient assez vite les déchets de carrière. Une étude de l’ossuaire, dans une démarche plus globale d’archéothanatologie5, est prévue, portant sur le volume d’ossements, sur le NMI (nombre minimum d’individus) ainsi que sur les pathologies des restes. D’autres recherches sont à faire sur les inhumations mentionnées dans les Catacombes, celles des morts pendant les émeutes révolutionnaires entre 1788 et 1792. Elles auraient été pratiquées dans de la chaux en fosses communes mais n’ont jamais été localisées.

Une gestion patrimoniale complexe

5Les conditions climatiques de l’ossuaire, en sous-sol, aggravées par des risques d’infiltrations des réseaux urbains et des copropriétés, sont peu propices aux matériaux organiques. Les ossements déjà fragilisés par leur chute depuis la surface sont soumis à une humidité relative trop élevée et dégradés par l’adjonction de ciment utilisé par le passé pour stabiliser les murs d’ossements. Enfin la proximité et le nombre de visiteurs favorisent les risques de dommage, voire de vol. Si les ossements ne peuvent être traités individuellement, la conservation préventive de l’ossuaire est depuis quelques années au centre des préoccupations du musée Carnavalet dont dépendent les Catacombes.

  • 6 S. Robin, J.-P. Gély et M. Viré, Au Cœur des ténèbres. Les Catacombes de Paris, Paris, Paris Musées (...)

6Le projet est préventif, améliorer l’ambiance du parcours - ventilation, éclairages non chauffant, revêtement de sol neutre et stable - et curatif, entretenir les hagues d’ossements en état précaire. De nouvelles procédures de maintenance définies sur la base d’un bilan d’état (laboratoire de restauration Utica) incluent notamment le tri/sélection des fragments désagrégés et la construction d’un hérisson en pierre à la base des hagues6.

7Enfin l’ossuaire étant établi dans une carrière, à la conservation des ossements s’ajoutent les problématiques propres aux lieux souterrains. Les carrières sont aujourd’hui considérées comme un patrimoine à protéger ; la carrière des Capucins située sous l’hôpital Cochin (27 du Faubourg-Saint-Jacques, XIVe arrondissement) est valorisée depuis plusieurs années par la Société d’études et d’aménagement des anciennes carrières des Capucins (SEADACC), tandis que celles dites de la Brasserie à Vincennes sont mises en valeur par l’IGC (Inspection générale des carrières). Plus récemment, le rachat par la Mairie de Paris de la ferme Montsouris (rue de la Tombe-Issoire, Paris, XIVe arrondissement) inclut un projet global de restauration et de valorisation de la carrière.

Illustration. Hague d’ossements montée dans une galerie de carrière, dans le parcours de l’ossuaire des Catacombes.

Illustration. Hague d’ossements montée dans une galerie de carrière, dans le parcours de l’ossuaire des Catacombes.

Hague d’ossements montée dans une galerie de carrière, dans le parcours de l’ossuaire des Catacombes. C’est l’agencement de fémurs et de crânes le plus fréquent : en arases alternées et sans décor particulier selon la tradition médiévale.

(Photo Marc Le Mené)

Notes

1 On assiste à Paris comme ailleurs au retour aux préconisations de l’Antiquité, la séparation de la ville des morts et des vivants : M. Vovelle La Mort et l’Occident de 1300 à nos jours, Paris, Gallimard, 1983. Voir aussi S. Barles, La Ville délétère. Médecins et ingénieurs dans l’espace urbain, XVIIIe - XIXe siècles, Seyssel, Champ Vallon, 1999.

2 M.-A. Thouret, Rapport sur les exhumations du cimetière et de l’église des Saints-Innocents, lu dans la Séance de la Société royale de médecine, tenue au Louvre le 3 Mars 1789, Paris, impr. de Ph.-Denys Pierres, 1789.

3 Louis-Étienne François Héricart de Thury, Description des Catacombes de Paris, précédée d’un précis historique sur les catacombes de tous les peuples de l’ancien et du nouveau continent, Paris, Bossange et Masson, 1815 ; Paris, CTHS, 1999.

4 Illustration, page 312.

5 B. Boulestin et H. Duday, « Ethnologie et archéologie de la mort : de l’illusion des références à l’emploi d’un vocabulaire », Les Pratiques funéraires à l’âge du bronze en France. Actes de la table ronde de Sens-en- Bourgogne (Yonne), éd. C. Mordant et G. Depierre, Paris, Éditions du CTHS, 2005, p. 17-30.

6 S. Robin, J.-P. Gély et M. Viré, Au Cœur des ténèbres. Les Catacombes de Paris, Paris, Paris Musées, 2014.

Table des illustrations

Titre Illustration. Hague d’ossements montée dans une galerie de carrière, dans le parcours de l’ossuaire des Catacombes.
Légende Hague d’ossements montée dans une galerie de carrière, dans le parcours de l’ossuaire des Catacombes. C’est l’agencement de fémurs et de crânes le plus fréquent : en arases alternées et sans décor particulier selon la tradition médiévale.
Crédits (Photo Marc Le Mené)
URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/5037/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 358k

Auteur

Sylvie Robin est conservatrice en chef au musée Carnavalet à Paris, responsable du département d’archéologie. Depuis 2008 elle s’occupe de la conservation et des expositions de la Crypte archéologique puis en 2010 des Catacombes de Paris, en particulier du programme de rénovation, prévu à partir de 2015, qui doit associer muséographie et conservation préventive de l’ossuaire et nouvelles études sur les sources des dépôts et sur les restes des populations parisiennes depuis le Moyen Âge.

© Éditions Universitaires d’Avignon, 2015

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