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Introduction

p. 261-264


Texte intégral

1Conserver les restes, les monuments, les souvenirs, ou du moins en conserver des traces, et aussi faire mieux connaître ce patrimoine. Telle est la problématique des études rassemblées dans cette partie.

2Les tombeaux naguère établis sur concessions perpétuelles (les seuls, il convient de le rappeler, qui soient parvenus jusqu’à nous, sauf exceptions) constituent un aspect inventif de la création architecturale et statuaire des temps contemporains et forment un témoignage sur les attitudes devant la mort que seule l’enquête de « terrain » permet de prendre en compte. Guénola Groud résout une question majeure des recherches d’histoire de l’art : comment passer du foisonnement des paysages bâtis de la ville des vivants ou ici des morts à une description écrite et photographique qui soit une source d’étude et un instrument de gestion d’un cimetière. Cette méthode de relevés a été mise au point pour le Père-Lachaise en particulier, l’un des plus riches sinon le plus riche en œuvres originales des cimetières français. En contrepoint de l’exemple français, Xavier Deflorenne prouve à travers celui de la Wallonie combien l’inventaire est l’outil efficace d’une politique de préservation du patrimoine funéraire particulièrement remarquable. Valoriser pour mieux donner à voir : aux enjeux de la conservation répondent les vertus de l’exposition. Emmanuelle Héran montre comment une grande exposition très remarquée peut à la fois révéler à un large public des objets tels que les masques mortuaires ou un type de photographies, celles réalisées au lit de mort, et en même temps aider et encourager la recherche, par la constitution d’un corpus à partir d’éléments très dispersés, parfois en collections privées, par l’affinement des identifications et attributions, et parce qu’un catalogue de référence inspire d’autres publications.

3Les deux contributions suivantes examinent le cas de l’exposition publique de restes humains dans l’aire occidentale, marquée par cette spécificité des régions chrétiennes qu’est la possibilité reconnue à la puissance publique d’exhumer les restes des morts, à condition de les traiter avec respect. Bérengère Gleize analyse le statut très spécifique des fragments humains que possèdent les musées et l’exposition à fins commerciales de cadavres conservés par plastination. Sylvie Robin démontre le caractère patrimonial de l’ossuaire établi à partir de l’Ancien Régime dans les Catacombes de Paris. Réalisation étonnante, où crânes et tibias de cimetières désaffectés ont trouvé refuge tout en contribuant à la méditation du visiteur, qui se démarque par son épigraphie spiritualiste de ses précédents confessionnels, les catacombes des capucins de Rome ou Palerme. Yann Ardagna montre combien continue de se poser le problème de la conservation en ostéothèques scientifiques ou de la réinhumation des restes osseux issus des fouilles menées par les archéologues ou les anthropologues.

4Centrée sur les enjeux dont sont investies les sources du funéraire (enjeux mémoriels de leur préservation, enjeux éthiques de leur exposition), cette ultime partie invite également le lecteur à traverser les frontières. Cette intrusion en territoire étranger épouse les contours d’une histoire partagée pour ce qui est de la création du cimetière contemporain. De la même façon les similitudes, notamment chronologiques, qui relient le combat crématiste français et italien sont patentes. Si cet environnement contextuel mérite d’être rappelé, ce n’est pas lui cependant qui justifie ce détour par d’autres pays, mais bien le regard croisé qu’il permet de porter sur les sources du funéraire. De ce point de vue, deux enseignements se dégagent des articles de Gian Marco Vidor et de Serenella Nonnis : que les graffitis qui constellent les tombes des cimetières parisiens, italiens ou barcelonais constituent pour les chercheurs en sciences humaines une source d’un exceptionnel intérêt, en dépit ou en raison de leur caractère éphémère ; que si dans sa matérialité, la source funéraire se fait souvent objet, s’inscrit dans la pierre ou le marbre, l’archive écrite reste néanmoins une voie d’accès privilégiée pour reconstituer l’histoire des pratiques crématistes en Italie. Cette dernière moisson d’articles témoigne enfin que les sources du funéraire renvoient aussi à des histoires singulières, comme celle que raconte le tombeau du poète Antonio Machado, mort en exil à Collioure, devenu un lieu de mémoire pour l’Espagne républicaine, étudié par Verónica Sierra Blas et son équipe.

5Toutes ces contributions soulignent la spécificité et la fragilité des restes et des traces des morts, alors que le cimetière hérité du XIXe siècle tendait à inspirer la pérennité par sa végétation à feuilles persistantes et les concessions perpétuelles qui bordaient ses allées, avant que le temps n’altère ses futaies et ses tombeaux ou que la crémation n’offre une alternative à ses monuments sur caveaux. Aujourd’hui que la question des modalités et des limites de sa protection se pose, le rôle de l’historien comme celui du conservateur (cette charge existe dans les cimetières depuis presque aussi longtemps que dans les musées) ou de l’édile passe par des choix d’enregistrement et de préservation des éléments de ces paysages denses et complexes. L’empire des morts qui renferme une part de notre passé acquiert ainsi statut patrimonial alors qu’il achève de devenir objet d’histoire.

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