La publicité funéraire : faire l’histoire d’une publicité discrète
p. 252-254
Texte intégral
1La publicité funéraire est controversée, de par son inscription au sein d’un marché traversé par la contestation morale. La figure de l’entrepreneur de pompes funèbres est constamment soupçonnée de spéculer sur la vulnérabilité des familles endeuillées : la mise en visibilité des identités marchandes doit mettre à distance le rapport marchand.
2Au XIXe siècle, elle est indissociable de premières formes de concurrence entre délégataires officiels du monopole communal (régie ou pompes funèbres de la ville) et « maisons funéraires » ou « agences de funérailles »1. Faire l’histoire de la publicité funéraire conduira donc en premier lieu aux archives municipales et départementales, mais également aux archives des établissements de pompes funèbres (syndicats de commune, régies, entreprises délégataires – en particulier PFG - syndicats de travailleurs)2. On trouve, par exemple, les planches publicitaires des délégataires de la ville valorisant la « pompe » à travers les personnels costumés des corbillards3. Mais une autre histoire, moins officielle, est aussi celle qui identifie les supports en tout genre, souvent inédits, inventés par les courtiers des agences concurrentes : tracts, encarts des concierges, cartes photo, buvards, prospectus, etc.4. L’importance des acteurs confessionnels au XIXe siècle (fabriques catholiques, consistoires protestants et juifs, puis l’émergence d’acteurs marchands spécialisés au cours de la période contemporaine (pompes funèbres catholiques, musulmanes et juives suggèrent d’investiguer d’autres types de sources (archives des fabriques et consistoires, journaux des communautés au sein desquelles la publicité funéraire exprimerait des appartenances religieuses ou corporatistes (confréries, sociétés de charité) attachées au culte des morts5. De même, à partir de la fin du XIXe siècle, les mouvements crématistes ont été porteurs de discours promotionnels de défense de la crémation6, mais sans nécessairement chercher une forte visibilité publique.
3À partir de la seconde moitié du XXe siècle, alors que l’industrie privée s’est fortement développée et que le marché s’institutionnalise, les procédés publicitaires adoptent des formats plus classiques tels que les encarts dans les quotidiens nationaux (Le Monde) ou les spots télévisés. Les archives audiovisuelles et de la presse constituent les principales sources pour retracer cette histoire en pointillé. De telles initiatives restent rares, principalement à l’actif du groupe leader PFG, et rarement bien accueillies par le public, bien qu’elles recourent à un discours publicitaire très euphémisé7. Dans les années 1990, le groupe PFG privilégie des canaux plus indirects, tels que l’animation d’un réseau de professionnels et associations dans le domaine de la fin de vie et du deuil (conférences, journal Passage). À l’échelon local, les entreprises – TPE, régies comme les filiales des grandes entreprises - privilégient systématiquement la presse régionale (gazettes, quotidiens, magazines à destination des seniors) ou ciblent plus directement les établissements hospitaliers et maisons de retraite (jeux de carte, brochures, agendas). On peut également repérer un ancrage fort, celui des rubriques nécrologiques, auxquelles sont attachées des publicités sur les monuments, couronnes ou contrats obsèques (archives de la presse locale). Enfin, au sein même de l’industrie funéraire, une publicité intensive sur les produits (cercueils, capitons) et équipements (véhicules, chambres funéraires) est accessible via la presse spécialisée (Funéraire Magazine, Résonance) et les salons professionnels.
4Au tournant du XXIe siècle, l’avènement de l’assurance obsèques consacre une véritable banalisation du marché et, avec elle, celle de la publicité funéraire8. Celle-ci se diffuse très largement à partir des supports marketing classiques : courriers, campagnes télévisuelles, affichage en ville, diffusion Internet9. Les supports se démultiplient, même si les messages tendraient à s’uniformiser ; l’accès aux sources peut s’appuyer de façon privilégiée sur les outils numériques et les espaces documentaires dédiés sur la Toile.
Notes de bas de page
1 T. A. Kselman, Death and the Afterlife in Modern France, Princeton, Princeton University Press, 1993.
2 Voir les Archives de Paris, les Archives départementales de la Seine, ainsi que celles de grandes villes dans le cadre de la mise en place des services funéraires de la ville telles que Lyon, Angers, Troyes, etc. Des publicités funéraires sont présentées dans des travaux sur l’histoire des pompes funèbres à Paris et dans la région parisienne. Voir E. Bellanger, La Mort, une affaire publique. Histoire du syndicat intercommunal funéraire de la région parisienne, Ivry-sur-Seine, Les Éditions de l’Atelier, 2008 ; B. Bertherat et C. Chevandier, Paris dernier voyage. Histoire des pompes funèbres (XIXe-XXe siècles), Paris, La Découverte, 2008. D’autres sources pourront être investies, telles que les archives privées d’anciens employés et cadres des PFG ou encore les collections de photographies constituées dans le cadre d’associations telles que la collection « Les Amis du Musée Funéraire National ».
3 Voir, par exemple, les planches publicitaires présentées par Emmanuel Bellanger dans son ouvrage (op. cit., photos issues des Archives communales de Thiais, p. 57, 237, 239).
4 Voir notamment M. Balard, Les Mystères des pompes funèbres de la ville de Paris dévoilés par les entrepreneurs eux-mêmes, Paris, impr. de E. Allard, 1856 ; A. Girault, Autour des funérailles (contre les abus). Les vampires, Paris, Librairie E. Rodes, 1910 ; H. Taudière, Les Pompes funèbres à Paris, Paris, V. Giard et E. Brière, 1906.
5 P. Hidiroglou, Rites funéraires et pratiques de deuil chez les juifs en France, XIXe-XXe siècles, Paris, Les Belles Lettres, 1999 ; Y. Chaïb, L’Émigré et la mort. La mort musulmane en France, Aix-en-Provence, Édisud, 2000 ; A. Aggoun, Les Musulmans face à la mort en France, Paris, Vuibert, 2006.
6 Sur les sources de la crémation, on renvoie au texte de Jacqueline Lalouette dans ce livre.
7 Y. Corbaux, Discours de la promotion funéraire, thèse de doctorat de sciences de l’information et de la communication, Université Paris 7, 1991.
8 B. Véron, Préparer sa fin de vie et ses obsèques : pratiques, enjeux, socialisation familiale. Le cas de la prévoyance funéraire, thèse de doctorat en sociologie, Institut d’études politiques de Paris, 2012.
9 On renverra au texte de Fabienne Duteil-Ogata sur les nouvelles sources du funéraire, le numérique et Internet, dans cet ouvrage.
Auteur
Pascale Trompette est sociologue, directrice de recherche au CNRS et membre du laboratoire PACTE, Université de Grenoble Alpes Savoie. Ses travaux de recherche portent sur la construction politique et morale des marchés. À partir d’une approche ethnographique, elle a développé une recherche sur l’histoire de l’industrie funéraire et les transformations récentes du marché des pompes funèbres en régime de concurrence. Ces travaux ont donné lieu à plusieurs publications notamment un ouvrage en 2008 (Le Marché des défunts) et plusieurs articles au sein de revues nationales (Revue française de sociologie, Le Mouvement social, Terrain) et internationales (Journal of Cultural Economy, Management and Organizational History, Science Studies).
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