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Les sources du funéraire en France à l'époque contemporaine

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Bruno Bertherat

CHAPITRE 1 : autres sources, autres méthodes

L’Outre-Mer et le cas particulier des cimetières d’esclaves

Thomas Romon

Texte intégral

  • 1 T. Romon, P. Courtaud, D. Paya, D. Bonnissent et L. Verrand, « La place des esclaves dans les cimet (...)
  • 2 Après l’abolition, les anciens esclaves ont accès aux cimetières communaux. Certains continuent tou (...)

1Outre-Mer, notamment aux Antilles françaises, l’époque contemporaine correspond à la seconde moitié de l’époque coloniale. Cette dernière débute en 1625 avec la prise de possession de Saint- Christophe (aujourd’hui Saint-Kitts-et-Nevis) et prend fin avec la départementalisation de la Guadeloupe et de la Martinique en 1946. Un des caractères de l’époque coloniale est la ségrégation, y compris dans la mort : à chacun son cimetière1. Ainsi, la population libre est inhumée dans le cimetière paroissial ou, pour l’élite de la société coloniale, dans le cimetière familial sur l’habitation, c’est ce que l’on appelle « cimetière des maîtres », ou au sein même de l’église. À l’autre bout de l’échelle sociale, la population servile, jusqu’en 1848 - année de l’abolition définitive de l’esclavage dans les colonies françaises - est inhumée dans des cimetières réservés aux esclaves, à l’époque appelés « cimetière des Nègres »2. Ces derniers sont peu connus en raison du faible nombre des recherches historiques engagées dans cette direction et de la rareté des informations contenues dans les archives. De ce fait, les informations apportées par l’archéologie sont de premier ordre. Elles possèdent cependant des limites assez importantes.

  • 3 S. Kacki and T. Romon, « From burials to population identity : archaeological appraisal of the stat (...)

2En premier lieu, il faut identifier le cimetière comme étant un cimetière des esclaves. En effet, le statut libre/servile n’est pas porté par le squelette. En l’absence de documents historiques éclairant l’identité certaine du cimetière fouillé, ce qui avec le développement de l’archéologie préventive est très souvent le cas, la problématique première des archéologues sera de tenter de déterminer cette identité. Ce travail est bien entendu multidisciplinaire et est le fruit de la collaboration entre historiens, archéologues, anthropologues, généticiens, biochimistes, etc. Il s’appuie sur la mise en analogie des résultats des précédentes découvertes et études et donc sur un corpus en expansion. Il n’en est toutefois encore qu’à ses débuts, au stade de l’acquisition des données et des premières réflexions. Cette méthodologie a été appliquée au cimetière de Rivière-des-Pères à Baillif en Guadeloupe3.

  • 4 Nous utilisons le terme recoupement, car c’est l’image que nous avons à la fouille, une sépulture r (...)

3Les données archéologiques apportent aussi de nombreuses informations souvent absentes des textes. Il apparaît par exemple que les pratiques funéraires des esclaves sont peu différentes de celles des libres. Elles sont catholiques, avec inhumations sur le dos, le plus souvent tête à l’ouest, en cercueil. Des recoupements4, traduisant la volonté de rapprocher des défunts, et par conséquence la connaissance de l’identité et de l’emplacement de ceux-ci, sont fréquents. Les ossements perturbés sont alors redéposés dans la fosse du dernier inhumé comme cela est pratiqué dans le cimetière paroissial. Les fouilles archéologiques permettent également d’accéder à la démographie, à l’âge et au sexe de la population inhumée. Les analyses biochimiques permettent d’aborder la créolité de cette population. En effet, les os enregistrent l’empreinte environnementale de la dernière année de vie alors que les dents enregistrent celle de la petite enfance. Comparer les deux permet de distinguer les individus nés dans les îles de ceux déportés d’Afrique. Enfin, les recherches permettent d’accéder à la biologie des individus, en particulier en mettant en évidence des pathologies et traumatologies spécifiques au travail servile.

4Ces études, également en cours dans le reste du « monde colonial » n’en sont qu’à leurs prémices. Seuls quelques cimetières d’époque coloniale ont été fouillés. Ceux renfermant des esclaves et ayant livré des résultats significatifs sont inférieurs à une dizaine. Aussi, beaucoup de découvertes restent à faire comme le montre la fouille en cours du cimetière des Raisins clairs à Saint-François en Guadeloupe. Elles permettront assurément d’affiner ces premiers résultats.

Notes

1 T. Romon, P. Courtaud, D. Paya, D. Bonnissent et L. Verrand, « La place des esclaves dans les cimetières coloniaux : trois exemples guadeloupéens », Archéopages, 25, avril 2009, p. 46-51.

2 Après l’abolition, les anciens esclaves ont accès aux cimetières communaux. Certains continuent toutefois durant quelques années à être inhumés dans les anciens cimetières d’esclaves (en témoigne une médaille de la Vierge postérieure à 1850 retrouvée associée à un défunt d’Anse Sainte-Marguerite en Guadeloupe) qui, pour certain, accueilleront également les engagés non catholiques (Indiens, Chinois, Africains) venus remplacer les anciens esclaves. Voir notamment P. Courtaud, « Le cimetière, comme miroir de l’esclavage : approche archéologique. Le cimetière d’Anse Sainte-Marguerite (Guadeloupe) », In Situ. Revue des patrimoines [En ligne], 20, 2013.

3 S. Kacki and T. Romon, « From burials to population identity : archaeological appraisal of the status of a Lesser Antilles colonial cemetery (Baillif, Guadeloupe) », Antiquity, vol. 87, n° 337, 2013, p. 829-839, et T. Romon, P. Courtaud, D. Paya, D. Bonnissent et L. Verrand, « La place des esclaves dans les cimetières coloniaux…. », Art. cit. L’identité du cimetière de Rivière-des-Pères, qui n’était pas connue au démarrage de l’opération, a été définie en particulier par l’archéologie comme étant le cimetière de l’hôpital militaire de Basse-Terre durant la première moitié du XIXe siècle.

4 Nous utilisons le terme recoupement, car c’est l’image que nous avons à la fouille, une sépulture recoupée par une autre, et cela traduit aussi le geste du fossoyeur. Le recoupement peut être fortuit (par exemple lié à une densité importante dans un espace clos). Ce n’est pas le cas pour les cimetières que nous avons fouillés (espace ouvert et zones denses et moins denses). D’où notre hypothèse que les défunts étaient regroupés.

Auteur

Archéologue en Guadeloupe depuis 1996, Thomas Romon intègre l’Inrap en 2004 comme responsable d’opération. Il est rattaché au Laboratoire d’Anthropologie des Populations du Passé et du Présent de l’Université de Bordeaux I (UMR 5199 – PACEA). Ses spécialités en archéologie funéraire l’ont amené à collaborer à la plupart des chantiers archéologiques de Guadeloupe ayant livré des sépultures, tant amérindiennes que d’époque coloniale.

© Éditions Universitaires d’Avignon, 2015

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