1La recherche de l’origine de certains gestes funéraires actuels peut se trouver dans les pratiques anciennes. Il est d’ailleurs tout aussi intéressant pour un archéologue médiéviste de trouver les sources de pratiques médiévales dans l’Antiquité païenne, que d’observer des gestes et des sentiments actuels nés durant le Moyen Âge. Observer les conservatismes, les ruptures et les innovations dans les pratiques funéraires et tenter d’en connaître les raisons est un moyen d’appréhender les mentalités face à la mort dans un cadre diachronique qui ne peut être que large.

2Ce type de réflexion est toutefois récent et les buts que poursuivaient les premiers archéologues étaient différents. C’est l’apport et le développement d’autres sciences qui placent désormais les archéologues en situation privilégiée pour connaître l’histoire des cimetières, des pratiques funéraires et des populations inhumées, ceci depuis le début du Moyen Âge à l’époque contemporaine. Notre but, ici, est de montrer comment l’archéologie funéraire a évolué en fonction des problématiques, des moyens scientifiques et matériels qui se sont développés au fil des décennies¹.

À l’origine

3D’abord, ce furent certaines tombes qui ont attiré l’intérêt des chercheurs, et ce pour les objets qu’elles contenaient et/ou pour le caractère luxueux de la structure funéraire. Les notes de fouilles du XIX^e siècle et de la première moitié du XX^e siècle montrent ainsi des dessins et descriptions de structures imputrescibles : coffres en pierre, en tuiles romaines (tegulae), sarcophages… Apparaissent aussi la disposition des objets découverts dans ces dernières et, au mieux, un croquis, parfois très schématisé du squelette présent. Dans ce type de recherche, certaines périodes étaient délaissées, car peu ou non pourvoyeuses de dépôts funéraires. Les objets voire les structures funéraires comme les sarcophages historiés ont été longtemps les seuls moyens d’attribuer une datation aux tombes explorées.

4Dans ce contexte scientifique, certains moments de l’histoire ont été jugés sans intérêt. Ainsi pour ce qui concerne les tombes chrétiennes, si les structures de la fin de l’Antiquité et celles de la période dite « mérovingienne » ont eu droit à une attention particulière, les plus récentes n’ont eu aucun succès, à part les tombes extraordinaires de l’aristocratie laïque ou religieuse, puisque le sujet qu’elles contenaient était parfois identifié. Comme pour le reste du monde archéologique de la période historique, on ne prenait que peu en considération les humbles marqués du sceau de « l’inintéressant » ou de « l’inexploitable ». Il semblait pour beaucoup que l’archéologie n’avait rien d’utile à apporter à des périodes postérieures à l’an 800, année qui limitait le champ d’application de la loi de 1941, validée en 1945 et règlementant alors l’archéologie en France². La fouille d’ensembles funéraires postérieurs à cette date ne fut donc pas considérée comme une priorité et l’archéologie médiévale a pris longtemps le visage de l’histoire de l’art et d’études d’édifices.

Le développement et les apports de certains outils

5Au fil des décennies d’autres questionnements se sont heureusement mis en place et doivent leurs origines aux développements d’outils et de sciences qui ont fait de l’archéologie de la tombe et du cimetière une science pluridisciplinaire. Les possibilités de datation d’une tombe se sont, dans une certaine mesure, libérées de la présence obligatoire d’objets « datants », les analyses par le radiocarbone permettant désormais une attribution chronologique à un sujet inhumé. L’utilisation de cet outil pour les périodes historiques s’est développée à partir des années 1960, mais est financièrement plus accessible et plus précis pour les périodes historiques depuis les années 1980³. C’est depuis cette période que l’on voit d’ailleurs se développer les études sur les tombes postérieures au VII^e siècle. Les dates d’apparition et de disparition de lieux d’inhumation peuvent être établies, remettant parfois en cause certains a priori historiques. Ainsi, la transition rapide du cimetière « en campagne » mérovingien, souvent sans édifice de culte, au cimetière paroissial, enclos et lié à une église, a été pondérée par l’archéologie.

6Malheureusement les publications et les travaux universitaires sur ce sujet restent encore rares⁴. Le polymorphisme des aires d’inhumation du haut Moyen Âge est désormais un fait avéré, alors que les données textuelles sont peu nombreuses à laisser entrevoir cet aspect des pratiques. Il faut aussi dire que les travaux de synthèses historiques sur les cimetières et leurs évolutions, comme ceux de Michel Lauwers⁵ par exemple, sont certes de grande qualité, mais ne peuvent aborder le « non-écrit », sans un croisement approfondi avec les observations archéologiques. À ce jour, cette démarche reste trop ponctuelle.

7Si l’archéologue peut observer ce « non-écrit », il peut avoir des difficultés à tout comprendre face à une tombe. C’est à ce moment que l’anthropologie biologique gagne la part qui lui est due. Elle fut d’abord considérée comme une science annexe de l’archéologie en s’intéressant d’abord à l’évolution humaine. Hors de ce cadre, parfois et pendant longtemps, ce fut après la fouille, que les squelettes prélevés, chose qui n’était pas systématique auparavant, étaient envoyés dans un laboratoire où les anthropologues procédaient à des études métriques menant à l’identification du sexe et de l’âge des sujets à leur décès. Bien que ne travaillant que sur l’os, les anthropologues ont commencé à identifier des pathologies, mais aussi des caractères pouvant lier certains sujets entre eux (caractères discrets⁶), voire à une activité le plus souvent manuelle. Évidemment de tels résultats ne peuvent être assurés pour chaque défunt, puisqu’ils dépendent de la conservation parfois partielle d’un squelette. Des cartographies ont pu être établies pour certaines aires d’inhumation. Des statistiques ont commencé à être établies concernant les âges au décès, une approche du statut social, d’éventuels liens familiaux avec le développement, toujours en cours, de nouveaux outils concernant l’ADN ancien. Ces études, encore marginales, peuvent permettre de lier génétiquement certains individus, ou encore de les rapprocher de certains cadres géographiques. Elles permettent aussi de déceler des traces spécifiques d’ADN de certaines maladies, encore présents dans les os ou les dents⁷. La tombe est ainsi redevenue le lieu où un être humain fut déposé, un être, généralement anonyme, mais avec son histoire biologique. L’archéologie de la tombe tend aussi par ce biais à s’intéresser au cimetière, source d’études de paléodémographie, de paléoépidémiologie⁸. Ces études permettent enfin de voir des changements éventuels dans les populations inhumées, ce que les anthropologues qualifient de « recrutements »⁹ . Ces derniers peuvent être qualifiés de « naturels » comme ceux d’un cimetière paroissial, voire de « spécifiques », comme les lieux d’inhumation d’esclaves, d’institutions, de temps d’épidémies ou de guerres.

8Sous l’impulsion de chercheurs comme Henri Duday, formé simultanément à l’anthropologie biologique et à l’archéologie¹⁰, les anthropologues ne sont pas restés seulement sur ce type d’études et sont de plus en plus intervenus au cours des fouilles. Les travaux sur le processus de décomposition des corps en fonction du milieu dans lequel il se déroule permettent parfois de discerner indirectement des structures contenant le corps et totalement disparues au moment de la fouille. Au tournant des années 1970-1980, une science est née : « l’anthropologie de terrain ». Elle a connu un essor reposant sur le fait que, sur un plan purement anthropologique, il est plus efficace de pratiquer certaines mesures et observations in situ, plutôt qu’après un prélèvement de squelette qui s’avère parfois en partie destructeur et implique donc une perte parfois notable d’informations.

9Ces observations, à même la tombe, ont bouleversé les connaissances sur les structures funéraires, leur diversité et leur évolution. Ainsi, par exemple, la sépulture « en pleine terre »¹¹, c’est-à-dire une fosse immédiatement comblée après le dépôt d’un corps incinéré ou pas. C’est l’étude des processus de décomposition de certains corps qui a montré qu’ils n’étaient pas contenus dans des structures putrescibles comme des coffres de bois ou des cercueils. Les datations par les études stratigraphiques, les datations d’éventuels mobiliers accompagnant la sépulture et celles obtenues par le radiocarbone ont montré que les sépultures en « pleine terre » ne pouvaient pas être postérieures au II^e siècle de notre ère et antérieures au XIII^e siècle ; leur réapparition étant liée à un véritable bouleversement concernant les pratiques funéraires. Un fait absent des textes. En effet, l’Église n’ayant jamais spécifié comment un chrétien devait être inhumé, la tombe est restée un fait familial ou communautaire, très rarement décrit.

De la fouille de tombes à celle des cimetières

10Les études de sites funéraires complets ont longtemps été rares. Dans le cadre de fouilles programmées, avec des périodes de fouilles de quelques semaines par an, il fallait prévoir de nombreuses semaines, réparties sur plusieurs opérations annuelles, pour étudier un cimetière comportant plusieurs centaines de sépultures. Le développement de l’archéologie préventive, à partir des années 1980, a permis à des professionnels d’intervenir en nombre en une seule opération, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois sur des sites archéologiques avant qu’ils ne soient détruits. Les financements de ces travaux étant, le plus souvent, pris en charge par les aménageurs, les moyens destinés à l’archéologie se sont multipliés. Ces possibilités nouvelles ont aidé à l’extension des études de l’évolution des cimetières. Encore fallait- il que les problématiques développées par les archéologues prennent en compte toute l’histoire d’un lieu d’inhumation. L’histoire « tardive » d’un cimetière, qui a pu être en fonction jusqu’au début du XIX^e siècle, n’a souvent suscité que peu d’intérêt. Il faut bien avouer que, pour gagner du temps et de l’argent, les tombes de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne ont été bien souvent sacrifiées, dès l’établissement des cahiers des charges scientifiques. Et pour ceux qui n’ont pas voulu occulter les strates les plus récentes, il a fallu prouver l’intérêt de se pencher sur l’aspect tardif d’un cimetière.

11Ainsi, si avant le XIII^e siècle un cimetière est le plus souvent une juxtaposition de tombes destinées à perdurer et se recoupant rarement, il en est autrement pour les siècles suivants. L’apparition du Purgatoire dans la géographie de l’au-delà donne un lieu d’attente à l’âme indépendant de la tombe qui jusqu’alors était la protectrice de l’âme avant la résurrection. En 1274, le deuxième concile de Lyon reconnaît officiellement le Purgatoire¹² : la rétribution des âmes a lieu immédiatement après la mort, au Paradis, en Enfer ou au Purgatoire¹³. Il en découle un abandon du corps et une modification importante en ce qui concerne les structures funéraires du corps dont les restes appartiennent tôt ou tard à cette tombe collective qu’est désormais la terra cimiteria du cimetière consacré¹⁴. Archéologiquement, cela s’observe sous la forme de l’abandon des types de structures dites « anthropomorphes »¹⁵ pour, le plus souvent une « sépulture en pleine terre » ou un cercueil¹⁶. Une fois les corps décomposés, les restes de ces derniers sont désormais soumis aux recoupements de tombes, et les « rotations des sépultures » créent de véritables ossuaires quand il ne s’agit pas d’une simple dispersion des éléments squelettiques. Cela aboutit à des densités de sépultures souvent très endommagées qui ont pu décourager les archéologues.

12S’il avait fallu jadis négocier la fouille des tombes médiévales, le combat demeure tout aussi dur pour faire accepter l’étude d’un cimetière dans sa période tardo-médiévale et moderne. Il ne faut pas le cacher, certains décideurs et scientifiques, peu intéressés par le sujet, se demandent encore si le gain d’informations présente une certaine rentabilité quant aux moyens financiers déployés¹⁷. Pourtant les sources historiques sont évidemment plus nombreuses que pour le début de la période chrétienne et on ne peut qu’apprécier les possibilités de croisements des sources archéologiques, anthropologiques et textuelles.

13Ce sont les « sépultures de crises » qui ont fait reculer les limites chronologiques des fouilles de lieux d’inhumation. Par définition, ces dernières sont la conséquence d’épidémies, de catastrophes naturelles ou de guerres. Ce geste existe bien évidemment pour des périodes antérieures, mais le polymorphisme des lieux d’inhumation chrétiens antérieurs au XIII^e siècle ne facilite pas leur identification sans études anthropologiques et historiques poussées. Ces grandes fosses ou les tranchées que l’on voit utilisées durant l’époque moderne ne sont pas en adéquation avec une norme reposant sur l’individualité de la sépulture, indispensable pour le temps de décomposition du corps. Les informations données par de telles tombes collectives sont essentiellement d’ordre anthropologique, voire social. Les ensembles sont logiquement ponctuels sur le plan chronologique et généralement éloignés des cimetières paroissiaux. Dans le cadre de l’archéologie préventive, ils ont été fouillés avant destruction des sites. Ce fut le cas, par exemple, pour le charnier du couvent de l’Observance daté de 1722, lié à la peste qui ravagea Marseille¹⁸. En ce qui concerne les fouilles de charniers militaires, celui découvert à Vilnius a été largement médiatisé¹⁹. Plus proche de nous, signalons la fouille de neuf fosses contenant 159 corps consécutives à la bataille du Mans en 1793²⁰ . La découverte de ces inhumations liées à la guerre nous interroge un peu plus sur l’évolution des rapports que les sociétés ont pu entretenir avec la mort massive²¹. Une réflexion qui peut s’étendre à toutes les « sépultures de crises ».

14D’autres contextes ont aussi aidé à promouvoir les fouilles de lieux d’inhumation modernes, voire de l’époque contemporaine. C’est le cas des opérations préventives ou programmées situées dans les départements d’Outre-Mer qui sont encore à ce jour plus nombreuses que pour la métropole. La ségrégation des sociétés coloniales est un fait historique qu’il faut assumer et cela a une incidence sur la recherche archéologique et anthropologique qui a très vite pris en compte les lieux d’inhumation abandonnés de la période dite « coloniale » qui englobe l’époque moderne et s’étend jusqu’à 1945. Alors qu’un cimetière métropolitain n’aurait pas été automatiquement fouillé, la recherche des lieux anciens d’inhumation d’esclaves a parallèlement permis le développement d’une archéologie funéraire postmédiévale quelles que soient les origines du « recrutement »²² (voir également le texte de Thomas Romon).

15Désormais, il semble clairement admis que dans le cadre de l’archéologie préventive tous les lieux d’inhumation désaffectés peuvent être un objectif de fouille. Le fait est relativement nouveau, puisque ce n’est qu’en 2003 que le Conseil national de la recherche archéologique a officiellement considéré qu’un lieu d’inhumation n’était pas une simple addition de tombes, mais un espace funéraire qui devait être perçu dans ses dimensions topographiques et sociales²³. Notons que les problématiques des archéologues ont donc été entérinées, que l’étude d’un cimetière implique de ne plus opérer de choix, parfois discutables, dans les tombes à fouiller et qu’aucune date n’est donnée pour limiter le champ d’action des chercheurs. En quelques décennies nous sommes passés de l’archéologie de l’objet contenu dans une tombe à celle des cimetières. Bien sûr les lieux d’inhumation antérieurs à la création des grands cimetières urbains hors de la ville de la fin du XVIII^e siècle et des années 1830 sont concernés. Cela doit permettre, en principe, à l’archéologie de développer des problématiques liées aux études diachroniques des pratiques et aux évolutions de populations découvertes et observées dans ces lieux d’inhumation où l’individu n’est que rarement identifié.

16En principe, il est désormais possible de fouiller les nouveaux cimetières, mais ceux-ci restent rarement accessibles aux archéologues à moins d’être désaffectés et susceptibles d’être détruits. Ils dépendent des pouvoirs publics et l’intervention d’archéologues ne serait pas automatiquement considérée comme « adéquate ». Les considérations actuelles sur les restes humains récents ne prêtent guère aux traitements de ces derniers comme « informations archéologiques » et encore moins comme « objets archéologiques ». Malgré les évolutions de notre société, les vivants ne peuvent se détacher complètement du corps et de ses restes. Le corps fut longtemps perçu comme « une machinerie biologique » par le droit. Ce dernier a toutefois évolué en imposant le respect des restes humains et un traitement décent. En effet, le cadavre récent et ses restes ont acquis une dimension sacrée les reliant à l’espèce humaine, même s’ils ont perdu leur aspect individuel²⁴ (voir aussi le texte de Bérengère Gleize).

17L’intervention sur une tombe récente, qui peut être définie, en France métropolitaine, comme postérieure au XVIII^e siècle, implique donc plus qu’une simple étude archéologique et anthropologique. Il faut qu’elle se justifie en outre par d’autres considérations comme la volonté d’identifier un défunt, de connaître les circonstances de sa mort, de lui donner une autre sépulture. C’est encore le domaine de « la sépulture de crise » et plus particulièrement celui des sépultures de guerre ou de morts ensevelis au cours des combats. En 1991, la fouille de la tombe de l’écrivain Alain-Fournier et de vingt camarades tombés le 22 septembre 1914, lors de combats à Saint-Remy-la-Calonne (Meuse)²⁵, a soulevé quelques discussions, notamment sur l’opportunité d’une telle fouille d’une structure funéraire ne courant, a priori, aucun danger de destruction²⁶. Il faut bien stipuler que, selon les lois du 4 avril 1873 et du 29 décembre 1915, les sépultures militaires, collectives ou individuelles, doivent être protégées et entretenues²⁷.

18Cette fouille est pourtant considérée par beaucoup comme fondatrice de l’archéologie de la Grande Guerre. Nous sommes, en effet, historiquement peu renseignés sur les descriptions des inhumations souvent rapides de cette période. Comment les soldats s’occupent- ils du corps de leur ami, de leur allié, de leur ennemi ? Quelle différence de traitement peut-on observer entre la tombe du « héros » et celle du « traître ». Ce type de questionnement est à l’origine de la fouille de la tombe du soldat Chassaigne, fusillé le 30 juillet 1915 et enterré dans le cimetière d’Hartennes dans l’Aisne²⁸. D’une part, il fallait identifier sa tombe avant une réduction de sépulture. D’autre part, les historiens et les archéologues étaient aussi curieux de savoir quels gestes avaient été appliqués au corps d’un réprouvé²⁹. Les archéologues en charge de ce type d’opération ne restent pas insensibles à ces tragédies récentes et mettent en avant le fait qu’il ne s’agit pas seulement d’une pratique technique applicable à toutes les époques, mais d’abord d’un geste de respect à l’égard de ces hommes jeunes dont la mort fut violente³⁰. Encore une fois, c’est l’archéologie préventive qui effectue le plus souvent ce type de découvertes, quand elle n’est pas appelée pour les prendre en charge³¹.

19L’archéologie funéraire peut désormais être acceptée comme un processus de recherche exempt de toute considération chronologique. Les méthodes de travail des archéologues sont vues comme respectueuses des corps et des structures. Même dans un cadre contemporain, ces derniers s’appliquent à identifier et décrire des normes, leurs évolutions, certaines ruptures, voire les adaptations qu’elles ont subies, parfois dans des contextes de crise. Ainsi, la fouille d’une zone d’inhumation contemporaine désaffectée est envisageable. Le cimetière situé dans l’îlot Saint-Jacques à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), implanté à partir de 1581 sur d’anciens vignobles et en usage jusque 1831, est un des premiers lieux d’inhumation des temps modernes et contemporains à avoir été fouillé (en 2009) en tant que tel en métropole³². On peut citer également les opération menées sur une partie du cimetière des Trois Maisons à Nancy qui fut utilisée entre 1779 et 1842 (en 2010)³³ ou sur une portion de l’ancien cimetière des Petites-Crottes à Marseille, en service entre 1784 et 1905 (en 2013-2014)³⁴. D’une part, les recherches sur ces sites ont permis de mettre en évidence les ruptures et les évolutions des pratiques funéraires et des modes de gestion des tombes, surtout durant les périodes révolutionnaire et postrévolutionnaire (ainsi la croissance du nombre de sépultures habillées par rapport aux sépultures enveloppées en linceul). D’autre part, d’intéressantes données sur l’augmentation de l’espérance de vie ont été observées à Nancy, ce qui pourra être comparé avec Marseille où les conditions d’existence, parfois difficiles, de populations évoluant sous l’influence de l’immigration, sont susceptibles d’être mises en évidence. L’un des intérêts de ces recherches est de pouvoir croiser les données archéologiques et anthropologiques avec les renseignements issus des archives de la période concernée.

20Les réflexions des archéologues sur le traitement des morts se développent désormais dans un cadre diachronique très large, susceptible de concerner nos temps actuels. Des réflexions qui peuvent d’ailleurs être appréciées dans certaines circonstances. Ainsi, il n’est plus rare de voir la gendarmerie ou la police demander une intervention aux archéologues qui sont souvent seuls à pouvoir déterminer la différence entre une tombe correspondant à des normes funéraires et une sépulture clandestine.

Conclusion

21L’histoire des pratiques funéraires peut encore s’enrichir et évoluer. Il manque encore des d’études sur le pourquoi de certaines évolutions et le croisement des données archéologiques et historiques reste encore peu développé. Notons en effet la rareté et le caractère tardif de publications synthétiques et archéologiques comme celles de Michel Colardelle ou de Marc Durand³⁵, alors que parallèlement des travaux d’historiens sont déjà nombreux, comme ceux de Philippe Ariès, Michel Vovelle, Hugues Neveux ou Cécile Treffort³⁶. Ces historiens ont développé des travaux sur la mort, alors qu’un sociologue comme Louis-Vincent Thomas créait la thanatologie qui se veut le regroupement de tous les savoirs théologiques, philosophiques et scientifiques relatifs à la mort³⁷. L’histoire des pratiques funéraires et du sens des gestes ne peuvent être le seul fait des archéologues, mais d’une collaboration de spécialistes de divers horizons que sont les anthropologues, historiens, historiens de l’art et sociologues. Il est clair que l’archéologie funéraire ne peut qu’être une alliée d’importance dans cette quête de la compréhension des mentalités face à la mort parce qu’elle en donne une image conservée, même si elle n’est que partielle.

22Comprendre l’origine des pratiques funéraires implique aussi l’établissement d’études diachroniques sur des durées parfois longues en se soustrayant au trop fréquent cloisonnement par périodes qui est un handicap. Ainsi, l’archéologie de la mort est encore timide quant aux résultats potentiels qu’elle pourrait mettre en évidence. Il faut désormais tendre vers l’exhaustivité des études. Les observations archéologiques permettent d’établir des phases chronologiques reposant sur les organisations des cimetières et leurs évolutions ainsi que cela a pu être démontré, par exemple, pour le cimetière Saint-Michel de Toulouse³⁸. Par ce biais on peut observer et dater des évolutions voire des ruptures dans les pratiques concernant le corps et les structures funéraires. Désormais, il est possible de répondre à certaines questions. Depuis quand un lieu d’inhumation existe-t-il ? Comment évolue-t-il et pourquoi ? Quelles sont les pratiques qui lui sont liées ? Quelles populations y sont inhumées et pour quelles raisons ? Ce questionnement est applicable à n’importe quelle période pourvu que les moyens nécessaires soient utilisés.

Illustration 1. Sépulture « en pleine terre »

Illustration 2. A - Tombe rupestre « anthropomorphe »

Illustration 2. B - Coffre « anthropomorphe » du XI^e siècle

Illustration 3. Charniers consécutifs à la bataille du Mans (1793)

Illustration 4. La position du corps de Henri Chassaigne dans la fosse sépulcrale