Introduction

1Si depuis une cinquantaine d’années l’historiographie liée à la mort concerne différentes disciplines, le chercheur se doit d’appréhender la diversité des ressources disponibles afin de mieux croiser les domaines complémentaires à explorer. Aussi les contributions de cette première partie déclinent-elles de nouvelles perspectives de recherche en lien avec des méthodologies intéressant tant l’histoire des cimetières et des entreprises du funéraire que celle qui prend en compte la sensibilité face au corps mort et au devenir de ce dernier.

2En premier lieu Régis Bertrand présente de manière générale un grand nombre de sources possibles dès lors que l’historien s’attache à l’étude d’un cimetière particulier. Distinguant les sources « papiers » et iconographiques des sources de « terrain », il livre des pistes pour mieux se frayer un chemin notamment dans les différents types d’archives, selon les périodes et lieux concernés. Parmi les thématiques auxquelles ces fonds nous permettent d’accéder, il y a toutes celles liées à l’espace public et à sa gestion, de la salubrité et de la police, celles liées à l’architecture et l’art funéraires ou encore celles qui vont concerner les pratiques et l’évolution des mentalités en matière de culte aux morts. Cette variété de sources, on la retrouve également dans les articles suivants qui s’appuient non seulement sur les sources des administrations, institutions ou associations, mais également sur des actes privés, registres de notaires, testaments, littérature…

3Parmi les sources longtemps négligées, il y a notamment celles des marbreries qui participent à l’économie de la mort et à l’esthétique du souvenir et qui permettent également une meilleurs compréhension des modes de recueillement et des normes du culte aux morts propres à chaque époque. Ainsi Véronique Belle, en recensant et étudiant les fonds des marbreries funéraires lyonnaises, souligne la nécessité d’inventorier, avant qu’elles ne disparaissent, ces entreprises tant sur le plan des ateliers, des personnels et des diverses activités qui y ont été menées. Outre le témoignage des techniques artistiques, avant la concurrence des pierres et monuments importés, et au delà du funéraire, une partie non négligeable de ces fonds archivistiques permet également de faire sortir de l’anonymat des sculpteurs et artistes ayant participé à la naissance ou la diffusion d’un art local. L’inventaire des divers acteurs de la mémoire du funéraire est enrichi par un entretien mené avec une sculpteuse funéraire, directrice de la marbrerie Favre, encore en activité et fondée par son grand-père un siècle auparavant. Ainsi au cours d’une recherche toutes sortes de sources se croisent : cette fois orales et même audio-visuelles puisque l’entretien a été filmé sur les lieux mêmes et dans les locaux de l’entreprise.

4Un nouvel axe de l’histoire du monde funéraire qui doit aussi et encore être exploré en France est celui de la crémation. Jacqueline Lalouette se livre au recensement des diverses sources qui contribuent à retracer le parcours de cette idée réapparue à des moments de la Révolution, mais qui ne connaîtra ses plus d’ardents défenseurs que sous la Troisième République. L’éventail des sources est large  : il va des publications des sociétés de crématistes aux textes de lois et réglementations d’administration publique, de la littérature médicale et hygiéniste à la presse généraliste lorsque les débats sur la crémation atteignent le grand public. Parmi les autres sources à utiliser dans cette recherche, soulignons aussi les sources architecturales et techniques des crématoriums ou encore celles qui se constituent actuellement sur la Toile.

5D’autres sources ou les mêmes, dans les communications suivantes, témoignent des spécificités religieuses, régionales, politiques dans l’inhumation, traces de la politique funéraire napoléonienne ou témoignages des représentations identitaires, morales ou politiques portées sur le corps de certains défunts.

6Grâce à un inventaire systématique des monuments, du mobilier et des inscriptions funéraires du cimetière protestant de Montpellier, Pierre-Yves Kirschleger va suivre sur deux siècles l’expansion spatiale du cimetière local et ses transformations. Créé en 1809, ce cimetière protestant reste l’un des rares cimetières à la fois privé et confessionnel en activité aujourd’hui. En s’appuyant sur les archives de l’Église réformée ainsi que sur celles du cimetière, en les croisant avec d’autres sources de terrain, il amorce une sociographie de la minorité protestante montpelliéraine. Aussi, outre la valeur historique de cet inventaire, l’auteur a-t-il créé une base informatique utile pour d’autres recherches et pour garder trace de ce patrimoine unique qui pourra ainsi être mieux valorisé.

7Ce sont ensuite deux traits originaux des pratiques corses d’inhumation que Tony Foggaci permet d’appréhender : d’une part l’arca, sépulture collective que l’on trouvait également dans le Comté de Nice, d’autre part les tombeaux familiaux qui ont progressivement remplacé l’arca au cours du XIX^e siècle, investissant les terrains familiaux, souvent hors des cimetières ou des espaces consacrés.

8Anne Carol et Nicolas Picard pour leur part se sont penchés sur l’usage et le traitement du corps des condamnés à mort ou des suppliciés de l’époque moderne et contemporaine. Ils détaillent la violence faite à ces restes humains, qu’ils aient été accaparés par des écoles de médecine ou exposés dans des galeries anatomiques et musées criminologiques.

9C’est d’autre part en direction d’un bel et inédit sujet - mourir en terre coloniale, en l’occurrence l’Algérie -, que Yann Scioldo-Zürcher signale les fonds qui permettraient de renforcer cette histoire en France, en rappelant qu’une exploration dans les cimetières d’Algérie demeure la première étape de la construction d’un tel sujet.

10Enfin, l’actuelle question des morts dans la rue, - en particulier des SDF et du devenir de leur dépouille -, tout comme celle pertinente de la conservation des informations sur leur décès et des traces laissées par leur vie sont abordées dans un entretien réalisé par Bruno Bertherat auprès d’une responsable de l’association laïque Collectif Les Morts de la Rue.

11Approcher l’étude de la mort par l’exploration d’un cimetière, scruter et inventorier toutes les traces laissées par le temps, les associations ou les institutions, croiser les sources et les méthodes, c’est ce à quoi nous invitent d’une manière ou d’une autre les auteurs. On l’aura compris, cette première partie est très novatrice, tant par les approches originales ou inédites des recherches présentées, que par le croisement de sources très diverses auxquelles nous pouvons désormais accéder.