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Les faiseurs de notes

 | 
Aurélien Gras

Chapitre 4

Gagner sa vie : les stratégies professionnelles des musiciens

Volltext

  • 1 AM Cavaillon, CC 25, fol. 28, 1773.
  • 2 Fragilité inhérente à la condition d’artiste en général : Graceffa, « Le statut de l’artiste… », art (...)

1Parvenir à se faire engager par un employeur de manière permanente ou le temps d’une prestation ne suffit pas toujours pour qu’un musicien puisse vivre correctement de son art. Il est par exemple difficile d’imaginer que le fifre et les deux tambours au service de la communauté de Cavaillon se contentent de leurs squelettiques gages de quatre livres annuelles, incompatibles avec l’entretien complet d’un feu et d’une famille1. Le métier de musicien se caractérise aussi par une dépendance vis-à-vis de son ou de ses employeurs. Cette dépendance engendre une fragilité professionnelle indiscutable2. Face à ces risques, les musiciens mettent en place un certain nombre de stratégies professionnelles. Voyons desquelles il s’agit.

Assurer et multiplier ses sources de revenus

2Pour un musicien, réussir à vivre de son art nécessite de disposer de plusieurs cordes à son violon. L’idéal est alors de maîtriser plusieurs volets professionnels. Il s’agit d’abord d’assurer ses revenus musicaux en les consolidant par différentes méthodes d’optimisation. Il convient ensuite d’élargir son panel d’offres musicales en pratiquant la polyactivité. Enfin, si, malgré tous les efforts du musicien, la musique ne suffit pas à le nourrir entièrement, il lui reste encore la possibilité d’exercer un autre métier en parallèle.

Des stratégies musicales multiples

  • 3 AD 84, 6 G 136, 6 septembre 1721.

3Conserver son emploi ou enchaîner efficacement les engagements ponctuels oblige les musiciens à acquérir et à maintenir une bonne réputation par le bouche-à-oreille. Ne négligeons pas ce paramètre, car de la réputation découle la carrière. La réputation détermine en effet la fréquence des clients des musiciens et leur assure une embauche au sein d’une institution pérenne (Église, municipalité, académie, etc.). C’est bien grâce à « des relations avantageuses à son propos » que le musicien avignonnais Guillaume Guigue, qui se présente pour la place de maître de chapelle à la cathédrale de Vaison, décroche le poste en 17213. Entretenir sa réputation passe par diverses stratégies. La première consiste tout simplement à se forger un bon niveau musical ainsi qu’une solide capacité d’exécution afin de pouvoir combler n’importe quel auditoire. Le talent conditionne l’engagement. Si les modalités de l’apprentissage initial déterminent en partie la qualité de la musique produite par un musicien – toujours subjective selon les personnes –, seule la pratique régulière et intensive du chant ou de l’instrument lui permet de rester au niveau et de s’améliorer. Quotidienne ou hebdomadaire, cette pratique s’insère naturellement dans le mode de vie des musiciens.

  • 4 Perrenoud, « Formes de la démultiplication… », art. cité, p. 85.

4La constitution d’une bonne réputation passe également par les capacités d’adaptation du musicien aux exigences de ses employeurs. L’objectif est alors de satisfaire pleinement le client pour, in fine, l’inciter à faire appel de nouveau aux services du praticien à l’avenir. Il s’agit d’abord d’intérioriser les pratiques et les codes inhérents à chaque institution visée, mais également à chaque milieu social. Jouer à un bal privé aristocratique ne mobilise pas la même tenue gestuelle et vestimentaire que l’animation d’une soirée dans une auberge ou qu’une prestation à des noces d’artisans. Le répertoire musical, notamment, varie selon les publics et les lieux. Le musicien sélectionne ses morceaux en fonction des circonstances. Il semble ainsi délicat d’exécuter une bourrée ou un rigaudon à des funérailles. Par conséquent, le musicien doit se montrer attentif à ce qu’il joue tout autant qu’à son attitude corporelle. Payés pour instaurer une atmosphère sonore – solennelle ou propice à la danse par exemple – et susciter des émotions – l’allégresse, le recueillement, la piété, etc. –, les musiciens choisissent vraisemblablement les morceaux adéquats afin de maximiser leur efficacité et satisfaire leur employeur. Pour être bon musicien, il faut pouvoir tout jouer, hier comme aujourd’hui4. L’animation d’une taverne implique logiquement des chansons à boire, tandis que les musiques de baptême ou de mariage célèbrent probablement plus la parenté, à l’image du célèbre air Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? d’André Grétry, composé en 1769. Les sources ne se révèlent guère bavardes à ce sujet, mais il est probable que les praticiens engagés pour des fêtes particulières modulent leur répertoire au gré de l’évolution de l’événement, comme le passage d’un joyeux cortège dans la rue à un banquet et des danses dans la cour d’une habitation.

  • 5 BM Marseille, cote 4223, Journal de Provence, t. XXV, no 27, 2 juillet 1789, p. 210.
  • 6 AD 13, 1 J 686, s. d., XVIIIe siècle.
  • 7 Traversier, Gouverner l’opéra…, op. cit., p. 581.
  • 8 Cité par Requier, « Les luthiers marseillais… », art. cité, p. 216.

5Lorsqu’ils ne sont pas encore assez connus, par exemple au moment où ils s’installent dans une nouvelle ville, les musiciens peuvent se servir de la renommée d’un autre afin de vendre leurs talents. S’ils se sont formés aux côtés d’un professeur connu, ils n’hésitent pas à le mettre en avant auprès de leur clientèle. Arrivé à Marseille en 1789, le compositeur claveciniste milanais Jacques Bianchi se revendique « élève du célèbre Joseph Sarti » dans l’annonce qu’il passe dans le Journal de Provence5. Les musiciens se servent également de la réputation musicale d’une région ou d’un lieu à leur avantage. L’estampille « Italie » représente un véritable argument publicitaire chez les luthiers, qui mentionnent l’utilisation de matières premières venues de la péninsule sur leurs cartes de visite. Le fabricant et marchand de mandolines phocéen Pietro Lippi précise ainsi que ses cordes proviennent de Naples6. La cité napolitaine passe à cette période pour la capitale de l’opéra ainsi que pour « le cœur du monde de la musique7 ». Y faire référence dans un cadre musical professionnel constitue un gage de qualité aux yeux des contemporains. Outre l’Italie, Paris brille aussi d’une aura particulière par son foisonnement artistique et intellectuel et son statut de centre européen des Lumières. S’en réclamer en affirmant en venir ou s’y être formé s’avère un atout de poids pour un musicien. Neveu du fameux faiseur de violes et de violons Louis Guersan, installé à Marseille dans les années 1780, le luthier parisien Jean Charles cumule une double référence parent célèbre/lieu illustre dont il se sert sur les étiquettes de ses instruments. Il s’y présente en qualité de « Maître Luthier de Paris, Neveu du sieur Guersan8 ».

  • 9 AM L’Isle-sur-la-Sorgue, fonds Joannis, vol. 20, pièce XXIX, p. 346, 26 octobre 1786.
  • 10 ASV, Congregazione Avignone, liasse no 200, 4 août 1787.
  • 11 V. A. Stoichiţă, Fabricants d’émotions. Musique et malice dans un village tsigane de Roumanie, Nant (...)

6Bâtir et entretenir une solide réputation représente le principal défi des musiciens désireux de vivre de leur art, mais cela ne suffit cependant pas toujours pour y parvenir. Dans le cas des troupes musicales, le paramètre de la concurrence rentre aussi en ligne de compte. Il s’agit alors pour les musiciens de se démarquer de la concurrence afin de pousser les employeurs à choisir préférentiellement les services de leur troupe plutôt que ceux d’une autre. Pour y parvenir, il faut d’abord une prestation musicale soignée susceptible de satisfaire le client et de le fidéliser, mais aussi et surtout un habillement caractéristique. Beaucoup de bandes de musique adoptent le port d’un uniforme spécifique qui leur permet d’être reconnues au premier coup d’œil et qui leur donne parfois leur nom. Les membres de la « musique rouge » d’Alexandre Roland, qui animent les festivités religieuses et municipales de L’Isle à la fin des années 1780, portent un costume écarlate9. Ces vêtements de couleur voyante remplissent une fonction esthétique en donnant un aspect propre et professionnel à la compagnie musicale. Ils flattent l’œil du client autant que la musique charme son oreille. Les huit instrumentistes à vent du corps des chevau-légers d’Avignon vont plus loin encore. Dirigés par le roublard cavalier-musicien Agricol Hill, ils se servent explicitement du statut et de l’habit prestigieux des troupes pontificales auxquelles ils sont attachés afin de dominer la vie musicale de la cité et « être employés de préférence à leurs concurrents » en se produisant sous l’uniforme des chevau-légers10. Que ce soit visuellement ou à travers les négociations avec les employeurs en vantant la qualité de sa bande, vendre la musique fait autant partie du métier de musicien que la jouer11.

  • 12 AD 84, 3 E 26/2093-2, fol. 81, 11 avril 1719.
  • 13 AM Aix-en-Provence, FF 78, fol. 119 v., 12 janvier 1728.
  • 14 AM Marseille, GG 189, 25 septembre 1786.

7Se démarquer de la concurrence, c’est bien, mais le mieux reste encore de la supprimer totalement. S’inspirant de l’esprit corporatif qui imprègne une bonne partie du monde du travail d’Ancien Régime, de nombreuses bandes cherchent à obtenir un monopole musical. L’une des clauses de la formation d’une troupe carpentrassienne l’exprime par exemple clairement en 1719 : « l’intention desd. sieurs associés est qu’il n’y est dans cette ville aucune autre bande de violons que la leur12. » Cette ambition reflète l’idéal de captation et d’accaparement des occasions musicales qui motive les membres de bandes. Lorsque plusieurs troupes se produisent dans la même ville, elles entrent couramment en conflit et s’affrontent afin de prendre l’ascendant l’une sur l’autre. À Aix, les deux bandes de violons en exercice s’opposent régulièrement sur la question des étrennes accordées par les autorités civiles et ecclésiastiques13. En 1786, deux compagnies de symphonistes cohabitent difficilement à Marseille, chacune utilisant un costume spécifique. Michel Audibert, le chef de la « compagnie rouge », emploie des techniques pour le moins filoutes afin d’éliminer la concurrence. Il « cherche par tous les moyens possibles à faire tomber » la bande adverse de Pierre François Allaud, et n’hésite pas à cet effet à soudoyer les musiciens de son rival afin de les faire venir dans sa propre troupe14.

  • 15 Ibid., EE 65, 28 octobre 1789.
  • 16 Ibid., FF 311, fol. 129, 28 juillet 1758.

8Plusieurs musiciens cherchent à obtenir l’approbation des édiles afin d’engranger officiellement un monopole musical incontestable. Le malheureux Pierre François Allaud s’associe finalement avec Jean Vergasse afin de former un imposant corps de musique militaire composé de 15 praticiens habillés d’un uniforme rouge analogue à celui de la troupe bourgeoise phocéenne. En 1789, les deux hommes demandent aux échevins « un titre de musiciens de la ville » au service des édiles et des troupes bourgeoises, pour que seule leur bande ait le droit de jouer aux occasions solennelles, particulièrement « les sérénades de la Noël15 ». Le recours au pouvoir passe aussi par des demandes de protection. Les chefs de bande marseillais s’assurent fréquemment de ne pas être dérangés pendant leur prestation en s’enregistrant à l’avance au bureau de police. À la tête d’une troupe et « ayant intérêt dans les occasions qu’il sera employé à n’être point troublé », le symphoniste François Dangelin de Champfor se fait connaître des lieutenants généraux de police en juillet 1758, qui défendent expressément à quiconque de l’importuner sous peine d’amende16.

  • 17 J. Élart, « Les origines du concert public à Rouen à la fin de l’Ancien Régime », Revue de musicolog (...)
  • 18 AM Marseille, FF 308, fol. 258 et 308 v., 11 avril 1737 et 28 mars 1738.
  • 19 BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 30 décembre 1774.

9En termes de stratégies visant à consolider les revenus musicaux, les musiciens d’académie disposent d’un atout que ne possèdent pas leurs collègues qui travaillent pour d’autres structures : le concert à bénéfice. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un concert organisé par des musiciens qui s’en partagent la recette. Ces derniers se servent des moyens et des infrastructures de l’académie de musique locale (salle, orchestre, éclairage, réseau de diffusion publicitaire, etc.) afin d’assurer la réussite de leur spectacle. Répandue un peu partout au sein du royaume de France dans la seconde moitié siècle, cette pratique concerne le plus souvent un artiste renommé en tournée, qui offre en échange bénévolement ses services dans les séances musicales privées de l’académie. Cela permet aux organisateurs des sociétés de concert d’obtenir une affiche exceptionnelle en produisant un musicien talentueux de passage, par exemple un artiste du Concert spirituel de la capitale, tandis qu’il s’agit du cadre de production indépendant le plus lucratif qui soit pour les virtuoses17. En 1737, Laurent Belissen et François Deville demandent, en qualité de chef d’orchestre et de musicien du Concert de Marseille, la permission aux lieutenants généraux de police de donner « quelques concerts spirituels » dans la salle de l’académie de musique pendant la quinzaine de Pâques au prix de 24 sols la place, autorisation qu’ils obtiennent. Ils réitèrent l’opération, manifestement couronnée de succès, l’année suivante en avertissant le public par des affiches18. Le concert à bénéfice permet également aux académiciens de récompenser un bon musicien en lui octroyant une entrée d’argent supplémentaire lorsque les finances de l’institution ne suffisent pas à lui donner de gratification extraordinaire. Les sociétaires de l’académie aixoise autorisent ainsi le hautbois Gautier à faire un concert à son profit et à ses frais dans le courant de l’année 1775, attendu « la modicité de ses appointements ». Certains de ces messieurs auraient préféré augmenter les gages du praticien compte tenu « de son utilité au Concert », mais « l’état de la caisse » ne le permet pas19. Il s’agit donc bien d’une solution de repli.

  • 20 AD 06, 7 B 943, 3 septembre 1761.

10Se forger une bonne réputation, s’adapter aux exigences des employeurs, se démarquer, voire éliminer la concurrence… Toutes ces stratégies visent à assurer et à optimiser les revenus musicaux. Pour les praticiens indépendants, elles conduisent à multiplier les occasions de jouer contre rémunération, quitte à se retrouver parfois dans l’illégalité. En 1761, le fifre vençois Élie Figuière passe ainsi délibérément outre les interdictions du seigneur de faire danser la jeunesse au son de son instrument. Lorsque le procureur juridictionnel de la femme du seigneur se rend directement chez lui afin de lui défendre explicitement de jouer du fifre fin janvier, il n’en tient pas compte. Interrogé à ce sujet par le lieutenant criminel de la sénéchaussée de Grasse huit mois plus tard, il répond simplement « qu’il cherche à gagner sa vie20 ». La poursuite de cet objectif guide vraisemblablement les stratégies professionnelles de tous les musiciens. Pour y parvenir, un certain nombre d’entre eux va plus loin encore en pratiquant la polyactivité.

Diversifier son panel d’offres musicales : la polyactivité

11La polyactivité consiste à exercer un faisceau d’activités rémunératrices transversales à l’intérieur de son champ professionnel principal. Pour les musiciens, il s’agit de toute occupation en lien avec la musique, directement ou indirectement. Lorsque leur revenu musical prépondérant – animations au sein d’une bande, place dans l’orchestre d’une académie, etc. – ne suffit pas, les praticiens diversifient leur panel d’offres musicales afin de mieux vivre de leur métier en explorant et en exploitant toutes les possibilités professionnelles induites par les compétences artistiques qu’ils ont acquises après de longues années de formation. Ce faisant, ils ne sortent pas de leur domaine de prédilection, mais ils utilisent au maximum les atouts de celui-ci sous des formes plus ou moins hybrides.

  • 21 SHDT, 2 E4 59, fol. 51, janvier 1785 ; AD 83, 1 L 1133, 24 mars 1791.

12Le premier avatar de la polyactivité musicienne conduit tout simplement à jouer de plusieurs instruments. Si les musiciens se spécialisent souvent dans un outil musical qu’ils manient en priorité au cours de leurs prestations, la polyvalence instrumentale représente une facette importante de leur panoplie professionnelle. Maîtriser plus d’un instrument ouvre des marchés plus larges permettant de satisfaire plusieurs types d’employeurs et d’être ainsi engagés par un nombre de clients plus conséquent. Joseph Granon sait par exemple sonner à la fois du hautbois et de l’orgue à Toulon dans les années 1780. Grâce à ses talents, il joue du premier parmi les gardes de la Marine et touche le second au couvent des Minimes21. Cette polyvalence le sert du même coup grandement d’un point de vue financier.

13De manière globale, 310 musiciens de notre corpus jouent d’au moins deux instruments de musique, soit 15 % de l’échantillon étudié. Ce pourcentage peu élevé doit toutefois être vraisemblablement majoré, car la pluri-instrumentalité ne transparaît pas toujours dans les sources. La proportion varie de 10 à 33 % des musiciens en fonction des villes observées – respectivement Apt et Cavaillon pour les deux extrémités. Elle monte à une moyenne de 25 % des musiciens à Avignon et dans le Comtat Venaissin, zones où le phénomène paraît le plus répandu – ou le mieux documenté. Le poids démographique et l’offre musicale institutionnelle de chaque cité semblent influer sur la pratique multi-instrumentale de ses praticiens. En effet, moins une ville compte d’habitants et d’occasions d’engagements potentiels, plus le pourcentage de musiciens jouant de plusieurs instruments s’accroît. Les plus grosses cités du corpus – Marseille, Avignon, Aix, Toulon et Arles – ne dépassent pas les 17 % de pluri-instrumentistes ; leur moyenne se fixe à 15 %, à savoir le taux global de l’échantillon urbain. A contrario, les petites villes dont la vie musicale s’articule essentiellement autour de l’axe Église-municipalité atteignent souvent les 20 %. Trois d’entre elles, Cavaillon, Vaison et Vence, peuvent aussi dépasser les 30 % d’individus polyvalents. La moyenne de cette catégorie urbaine s’établit à 21 %. Il est ainsi possible de poser comme hypothèse qu’un marché musical étroit incite les musiciens à diversifier leur offre instrumentale afin de maximiser leurs chances de se faire embaucher par les autorités civiles et religieuses ou par des particuliers. Dans une cité avec des potentialités d’emplois fortes, il s’avère plus aisé de trouver du travail avec un seul instrument, car la multiplicité des opportunités musicales permet au musicien de choisir plus facilement l’employeur adéquat, facilité de choix qui existe beaucoup moins dans les petites villes.

  • 22 I. Handy, Musiciens au temps des derniers Valois (1547-1589), Paris, Honoré Champion, 2008, p. 74.
  • 23 BM Marseille, cote 4223, Journal de Provence, t. XXIV, no 1, feuille du 1er janvier 1789, p. 4.

14La polyvalence instrumentale constitue la norme chez les musiciens depuis de nombreux siècles22. Le plus souvent, chaque musicien maîtrise deux instruments. Il arrive néanmoins qu’un individu en joue trois ou quatre, voire parfois davantage. Installé à Marseille en 1789, le joueur de cor de chasse allemand Jean Simon Thénard sait aussi chanter et pincer la guitare, la harpe et le harpéon23. Sans grande surprise, les différents instruments joués par les musiciens appartiennent fréquemment à la même famille. Un violoniste a ainsi de fortes chances de savoir manier également un alto, une basse de violon, de viole ou un violoncelle. De même, les organistes maîtrisent sans trop de problèmes les autres instruments à clavier comme l’épinette, le clavecin ou le piano-forte. Les aérophones se marient également plutôt bien entre eux, et ne sont pas rares les praticiens qui jouent du serpent et du basson, du hautbois et de la flûte, ou de la trompette et de la clarinette. Beaucoup de musiciens choisissent en outre des instruments complémentaires, à l’instar des fameux tambourinaires qui joignent vent et percussion en mêlant mélodie et accompagnement. Galoubet et tambourin, fifre et tambour, violon et hautbois font partie de ces combinaisons non exhaustives.

  • 24 W. Weber, « The Musician as Entrepreneur and Opportunist, 1700-1914 », dans W. Weber (ed.), The Mus (...)

15Maîtriser différents instruments de musique facilite les chances de travailler pour plusieurs employeurs, ce qui est très souvent nécessaire aux musiciens désireux de vivre uniquement de leur art. Aussi certains faiseurs de notes décident-ils d’étendre leur palette professionnelle en s’engageant auprès de plusieurs institutions ou personnes privées à la fois. Multiplier les employeurs successifs ou simultanés constitue un autre volet de la polyactivité visant à contrer la précarité du métier. Les musiciens de cour et aristocratiques eux- mêmes exercent fréquemment leurs talents en parallèle au théâtre ou à l’église, en France comme en Angleterre24 ; cela est d’autant plus vrai dans les espaces provençaux, privés d’une cour stabilisée.

  • 25 P. Gerbault, Le personnel des chapitres cathédraux et collégiaux du département de Vaucluse au mome (...)
  • 26 Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 1 048.
  • 27 AD 13, 6 G 443, 24 septembre 1727.
  • 28 Ibid., 2 G 496, 6 mai 1773.
  • 29 AD 13, 6 G 444, 4 décembre 1737.
  • 30 Ibid., 4 G 88, 13 juillet 1756.

16Cette stratégie de diversification professionnelle concerne un peu plus d’un praticien sur cinq de notre corpus. 450 musiciens provençaux et pontificaux passent souplement d’un domaine d’activité musicale à l’autre au cours de leur carrière. Les catégories les plus polyvalentes sont les musiciens municipaux et, surtout, ceux qui travaillent seuls ou en bande au service de particuliers. Les premiers ne disposent pas de beaucoup d’engagements ordinaires et sont parfois payés des mois après leur prestation, ce qui les incite à aller voir ailleurs. L’indépendance des seconds les pousse à multiplier les embauches ponctuelles auprès du plus grand nombre d’institutions et de personnes privées possibles, car ils n’ont pas, contrairement à la plupart de leurs confrères, d’appointements fixes et réguliers. Au contraire, l’Église semble être une institution capable d’assurer suffisamment d’occasions à ses musiciens pour les dispenser de s’engager simultanément ailleurs grâce au service quotidien du culte. Pour autant, cela n’empêche pas certains d’entre eux de s’assurer aussi un complément de revenus. Les organistes, notamment, peuvent cumuler les tribunes dans des églises différentes afin de multiplier leurs gages. Hyacinthe Pilat tient ainsi les orgues des collégiales avignonnaises de Notre-Dame-la-Principale et de Saint-Geniès au moment de la Révolution25. Il s’agit d’une pratique classique qui se rencontre un peu partout, que ce soit à Paris, au Mans ou à Rennes26. Les musiciens au service de Dieu doivent néanmoins compter avec l’anathème souvent lancé par leurs supérieurs sur la musique profane, supérieurs qui ne les encouragent pas à se produire dans un cadre laïc. Les chanoines de La Major de Marseille font ainsi « défense aux musiciens de l’église d’aller servir à l’opéra et aux gens de l’opéra à venir dans le chœur27 ». Cela n’empêche pas certains praticiens de passer outre ces interdictions, au grand scandale des chapitres. En mai 1773, les chanoines de la cathédrale aixoise apprennent « avec indignation » que des serviteurs ont osé chanter à l’académie de musique, « même les airs profanes », et leur interdisent de récidiver28. L’hostilité des employeurs ecclésiastiques envers la musique profane force les musiciens à demeurer discrets lorsqu’ils décident d’en jouer. S’ils sont découverts, ils n’ont pas d’autre choix que de quitter le service laïc, à l’image d’Antoine Peyron, prêtre du diocèse de Toulon reçu en qualité de musicien récitant à la cathédrale phocéenne en 1737 à la condition expresse qu’il se retire du Concert, « où il ne convient qu’un prêtre paroisse en qualité de musicien29 ». Il existe cependant des exceptions à ces interdictions formelles. Les musiciens de la cathédrale d’Arles, qui exercent un monopole absolu sur la musique religieuse dans la cité camarguaise, ont ainsi le droit de jouer pour des clients laïcs autant que pour les paroisses et d’autres églises. Les chanoines s’assurent même qu’ils puissent assurer en toute tranquillité l’animation de ces occasions civiles, appelées « musiques de ville », en ponctionnant les gages des absentéistes, « attendu que les absences fréquentes de certains musiciens peuvent nuire notablement aux autres en faisant manquer la musique faute de sujets30 ».

  • 31 Ibid., 140 J 48, pièce justificative no 65, 1er juillet 1767.

17En dehors des serviteurs ordinaires de l’Église, la multiplication des employeurs s’effectue sans heurt dans les autres domaines d’activité. À Marseille, par exemple, les instrumentistes de la Comédie s’emploient aussi dans l’orchestre du Concert. La composition des deux orchestres est ainsi identique dans les années 1780. Les fabricants d’instruments pratiquent également cette stratégie afin de diversifier leurs revenus. Spécialisés dans la construction monumentale d’Église, les facteurs d’orgues peuvent aussi raccommoder des instruments de particuliers, particulièrement ceux des riches familles aristocratiques. Toujours dans la cité phocéenne, « monsieur Eustache », qui entretient et accorde annuellement l’orgue de La Major, reçoit 36 livres pour la réparation du clavecin de mademoiselle Claire Julie de Rémusat le 1er juillet 176731.

18Outre l’intérêt pécuniaire, travailler pour plusieurs employeurs comporte un autre avantage pour les musiciens. Ces derniers ont en effet la possibilité de se servir de la réputation d’une institution qui les emploie pour se promouvoir dans un autre cadre professionnel. La multiplication des employeurs apparaît doublement intéressante d’un point de vue stratégique.

  • 32 Ibid., 2 G 494, 23 mai 1725.
  • 33 BM Arles, ms. 379, p. 207, septembre 1786.
  • 34 AD 13, 6 G 442, 9 novembre 1701.
  • 35 C. Demasures, Pieces de Simphonie à quatre parties pour les violons fluttes et hautbois rangées ensu (...)
  • 36 D. Hennebelle, « Un observatoire du patronage musical au XVIIIe siècle : les épîtres dédicatoires » (...)
  • 37 Desmasures, Pieces de Simphonie…, op. cit., cité par Maillard, « Existe-t-il une musique… », art. c (...)

19Un autre volet de la polyactivité musicienne réside dans la composition. Si la virtuosité vocale ou instrumentale représente indéniablement un atout majeur pour un musicien, composer le place à un autre niveau. En composant, le musicien s’extirpe de sa condition manuelle d’exécutant et accède aux hautes sphères de l’esprit par le biais de la création. Aux yeux de ses contemporains, il passe alors véritablement du statut d’artisan à celui d’artiste. C’est bien par la composition que les musiciens provençaux et pontificaux les plus célèbres de notre période – Campra, Gilles, Mouret – acquièrent une renommée nationale. S’il est difficile d’estimer avec précision combien de nos praticiens sont aussi compositeurs, le fait que cette compétence figure au programme de l’apprentissage musical des enfants de chœur nous incline à penser qu’un bon nombre de musiciens d’Église en maîtrise au moins les bases. Le maître de chapelle, notamment, compose régulièrement de nouvelles partitions afin de renouveler le répertoire de l’église où il travaille, ce qui fait partie de ses attributions ordinaires. Encouragée par les chanoines, cette pratique participe à la réputation de la cathédrale ou de la collégiale en produisant des fêtes, si possible plus brillantes que celles du chapitre voisin. Savoir composer avec talent constitue ainsi un argument de choix pour se vendre auprès d’un employeur, surtout ecclésiastique. En 1725, le clerc mâconnais Michel Labrorel remporte les suffrages des chanoines de Saint-Sauveur d’Aix car « il sait la musique à fond » ; non seulement il chante la haute-taille et « joue parfaitement de la basse de viole », mais il connaît en plus la composition32. La composition permet surtout au musicien de s’assurer un surcroît de revenus en plus de ses prestations vocales ou instrumentales. En diffusant les œuvres qu’il compose autour de lui, le musicien contribue également à accroître sa renommée et, par conséquent, sa clientèle. En 1786, l’organiste arlésien Jean-Baptiste Vallière envoie ainsi des partitions de sa main au vicaire général de la cathédrale de Nîmes dans l’espoir avoué de se mettre en réputation dans une cité où lui et ses ouvrages ne sont pas encore connus33. Certains compositeurs diffusent leurs œuvres plus largement encore en les faisant graver et publier. Cette manœuvre se révèle rare pour les musiciens de notre corpus, car il s’agit d’une opération coûteuse financièrement. Ceux qui se lancent dans cette entreprise sont souvent des maîtres de musique ou des organistes, c’est-à-dire les plus « savants ». L’organiste Charles Desmazures demande et obtient une avance de 400 livres sur ses appointements aux chanoines de La Major de Marseille en novembre 1701 afin de l’aider à la dépense qu’il effectue « pour donner au public un livre de pièces de musique qu’il a faites34 ». Paru en 1702, ce recueil de Pièces de symphonie contient sept suites instrumentales à quatre parties sur tous les degrés de la gamme. Desmazures profite de la venue du roi Philippe V d’Espagne et de son épouse dans la cité phocéenne cette année-là pour faire exécuter ses symphonies devant Leurs Majestés Catholiques. Il dédie alors son livre à la reine Marie-Louise de Savoie35. Placer une composition sous les auspices d’un dédicataire prestigieux passe en effet pour un gage de qualité auprès du public éclairé de connaisseurs et contribue au futur succès de l’œuvre36. Charles Desmazures vise une clientèle professionnelle et aristocratique pour ses pièces : elles « pourront être de grand usage aux bandes de violons, & encore plus particulierement aus Seigneurs qui ont Musique entretenüe37 ».

  • 38 Granger, Musiciens dans la ville…, op. cit., p. 85.
  • 39 BM Carpentras, ms. 1441, 9 juillet 1755.

20En plus de la composition, un certain nombre de musiciens enseignent. Chaque musicien représente effectivement « un maître de musique en puissance38 ». L’enseignement est l’un des aspects essentiels de la polyactivité musicienne, activité transversale qui concerne toutes les catégories de praticiens, y compris ceux qui détiennent un poste fixe dans une église. Le chantre Jean-Baptiste Legier donne par exemple des leçons en ville en sus de son emploi à la cathédrale de Carpentras au milieu du siècle39. L’enseignement musical s’effectue aussi bien au sein d’une institution que pour des clients privés. À l’instar de la composition, il fait partie des attributions du maître de chapelle, qui éduque plusieurs enfants de chœur. Il s’agit ici de former de futurs musiciens. Les professeurs prennent aussi des aspirants en apprentissage ou donnent des cours particuliers. S’il est chef de bande, le maître y intègre fréquemment son élève, qui en étoffe favorablement les effectifs.

  • 40 AD 84, 3 E 12/1683, fol. 329, 14 mai 1786.
  • 41 40 Sur les Hill, voir A. Gras, « Des musiciens anglais à Avignon au XVIIIe siècle. Les mécanismes d (...)

21Outre l’avantage pécuniaire, l’enseignement permet à un musicien d’accroître et d’étendre son influence sur la vie musicale locale. En formant des disciples, il se crée un réseau d’obligés qui le place au cœur de la toile professionnelle musicienne d’une ville. À la tête d’une troupe composée de ses élèves et de ses frères cadets, Agricol Hill domine dans les années 1770-1780 la musique militaire avignonnaise, et constitue probablement un acteur majeur de la vie musicale de la cité pontificale40. Il prend la suite de son père, Joseph Hill, un trompette des chevau-légers et professeur de violon influent à partir des années 1740. L’hégémonie musicale de la famille se traduit par la nomination de l’un de ses membres comme bayle de la confrérie des musiciens de Sainte-Cécile en 176641. La valeur d’un maître se mesure au nombre et à la qualité de ses élèves.

  • 42 AM Aix-en-Provence, FF 86, fol. 64 v., 23 octobre 1738.
  • 43 Ibid., fol. 196, 21 mars 1740.
  • 44 AD 13, 140 J 48, no 65, 1767-1768.
  • 45 Ibid., 140 J 56, 19 avril 1794 ; AM Marseille, 2 I 172, no 1598, 26 octobre 1793.

22En plus de former de futurs confrères, les musiciens donnent des leçons à des particuliers. Il s’agit vraisemblablement de leur type de clientèle le plus courant. La population urbaine un peu aisée fait appel à leurs services, comme le fils du maître cordonnier aixois Sébastien Letellier qui reçoit quelques leçons de basse de la part d’André Honoré en 173842. Les cours ne se limitent pas nécessairement à la musique. Toujours à Aix, le violoniste Jacques Colomby apprend le salut et le pas de menuet au garçon marbrier François Mariat43. La clientèle la plus convoitée par les musiciens reste néanmoins la noblesse des grandes villes. Les enfants de cette dernière, surtout, constituent un enjeu professionnel élevé, car la musique complète l’éventail de compétences acquis par toute bonne éducation aristocratique, particulièrement celle des filles. En 1767, la jeune aristocrate marseillaise Claire Julie de Rémusat dispose par exemple d’un maître de clavecin ainsi que d’un maître de musique44. 27 ans plus tard, son fils Marie Paul Augustin de Foresta apprend le violon avec l’Italien Jean-Baptiste Finetti. Celui-ci possède par ailleurs une place dans l’orchestre du théâtre de la cité phocéenne45. Les leçons particulières sont ainsi une manne financière importante et elles permettent souvent au musicien de vivre.

  • 46 AM Arles, GG 208, 24 octobre 1731, 21 août 1735, 7 avril 1742 et 12 juillet 1744.

23En matière d’exploitation des ressources à la fois techniques et musicales, il existe des passerelles très intéressantes entre la construction et le jeu des instruments. Certains musiciens disposent d’aptitudes mécaniques qui leur offrent la possibilité de fabriquer des instruments. Ils décident parfois d’user de leurs talents en qualité de constructeurs et de vendre leurs instruments dans une boutique en sus de leur casquette de praticien. Violoniste à la cathédrale d’Arles, Joseph Avy fabrique également des violons, des basses de viole et des basses de violon dans les années 1730-1740. Son identité professionnelle oscille et alterne entre joueur de violon et luthier dans les registres paroissiaux46.

  • 47 J.-R. Caïn, R. Martin, L’Orgue dans la ville. Le Marseille des organistes, Marseille, Parenthèses, (...)
  • 48 Ibid., p. 321 ; Gardeton, Bibliographie musicale de la France…, op. cit., p. 583.

24Toutes ces formes de polyactivité – polyvalence instrumentale, multiplication des employeurs, composition, enseignement et passerelles entre construction et jeu instrumentaux – se combinent bien sûr entre elles. Un musicien peut choisir d’en adopter plusieurs en fonction de ses aptitudes techniques et de son entregent professionnel. À la fin du siècle, l’organiste du couvent des Récollets puis de l’abbaye Saint-Victor de Marseille, Jacques Génoyer, tient un magasin de clavecins, d’épinettes et de piano-forte qu’il loue et accorde. Il exerce également comme fabricant d’orgues, et la qualité de sa production le fait qualifier de « meilleur facteur de la ville47 ». Quant à son fils, Jean-Baptiste, il est à la fois organiste, constructeur d’orgues et professeur de piano en 1822, exemple parfait de polyactivité cumulée transgénérationnelle48.

  • 49 C. Barjavel, Dictionnaire historique, biographique et bibliographique du département de Vaucluse. R (...)

25La pratique de la polyactivité montre une bonne capacité d’exploitation des ressources musicales dans le cadre professionnel, et par là même une certaine débrouillardise du musicien. D’un autre côté, elle dénote aussi l’incapacité à vivre de son art. Si, pendant la période révolutionnaire, le violoniste, violoncelliste et compositeur l’islois Esprit Aymond élabore une sorte d’orgue de barbarie qui fait danser des automates tout en jouant des airs, c’est avant tout parce qu’il est « pressé par le besoin ». Il fait actionner cet instrument par un « musicien de carrefour » dans les rues phocéennes afin de se procurer « quelque profit pécuniaire49 ».

26Lorsque la polyactivité ne suffit toujours pas pour vivre, le musicien peut adopter une autre stratégie, plus radicale. S’il décide de sortir du champ musical à l’intérieur duquel il se cantonnait, il a le choix de pratiquer en parallèle un autre métier dans un secteur professionnel différent. À l’inverse, un artisan ou un journalier peut planifier de diversifier ses revenus en muant son talent musical en activité annexe. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de pluriactivité.

Se tourner vers d’autres secteurs professionnels : la pluriactivité

  • 50 A. Antoine, M. Cocaud, « La pluriactivité dans les sociétés rurales. Approche historiographie », da (...)
  • 51 A. Poitrineau, Remues d’hommes. Essai sur les migrations montagnardes en France aux XVIIe et XVIIIe(...)
  • 52 C. Gurvil, « La pluriactivité des paysans parisiens au XVIe siècle : signe de précarité ou d’aisanc (...)
  • 53 Antoine, Cocaud, « La pluriactivité dans les sociétés rurales… », art. cité, p. 19-20.
  • 54 Ibid., p. 20-22.

27La pluriactivité consiste pour un individu à pratiquer plusieurs métiers en parallèle. Il s’agit d’un phénomène largement répandu au sein des sociétés modernes, bien connu des historiens ruralistes depuis les années 1980. Il domine notamment le monde agricole et campagnard, tout comme celui des populations littorales et maritimes50. La pluriactivité sert aussi d’épine dorsale aux migrations temporaires ou saisonnières des montagnards, successivement cultivateurs et ouvriers, paysans et scieurs de long, maçons, ramoneurs ou cordonniers51. Elle représente en somme un moyen très répandu de gagner sa vie sous l’Ancien Régime. Véritable stratégie professionnelle, elle peut être soit choisie, soit contrainte52. Elle se conçoit dans le premier cas comme une volonté de diversification de revenus conduisant à la consolidation de sa position sociale. Elle devient également un moyen d’ascension sociale en permettant d’échapper à la condition paysanne ; c’est, par exemple, le marchand-fermier des campagnes beauvaisiennes, le paysan-marchand de toile breton ou encore le paysan-fermier de droits seigneuriaux d’Île-de-France, figures théorisées à travers le modèle du « coq de village ». Cette pluriactivité de mobilité sociale vers le haut se révèle la plupart du temps temporaire, prélude à l’abandon du métier agricole à la génération suivante53. La seconde interprétation de la pluriactivité induit une contrainte économique qui force les acteurs à avoir recours à cette pratique s’ils veulent survivre. Justifiée par la précarité, la « pluriactivité de misère » est une réponse à la pauvreté structurelle de certaines régions, réponse qui se combine aux migrations temporaires ; tel individu travaille la terre chez lui, puis se fait artisan ou journalier ailleurs. Ce type de pluriactivité s’observe fréquemment dans les sociétés rurales anciennes, mais il ne s’applique pas fatalement à tous les paysans, ce qui reviendrait à établir une vision simpliste et caricaturale des campagnes de l’époque moderne54.

  • 55 Graceffa, « Le statut de l’artiste… », art. cité, p. 17.
  • 56 Voir par exemple J.-F. M. Heintzen, « Du ’’Joueur d’instruments’’ au ’’Maître-sonneur’’. L’instrume (...)
  • 57 Perrenoud, « Formes de la démultiplication… », art. cité, p. 88-92.

28La pluriactivité s’avère la norme en ce qui concerne les professions artistiques anciennes. La fragilité professionnelle inhérente aux métiers de l’art conduit naturellement les artistes à adopter un autre métier plus alimentaire55. Il s’agit ici d’une pluriactivité de survie. Pour un musicien, la pluriactivité se traduit par l’exercice d’une activité professionnelle complètement extérieure à la musique56. Aujourd’hui encore, elle constitue une réalité concrète pour une bonne partie des musiciens contemporains57.

2936 % des musiciens de notre corpus sont pluriactifs. À l’inverse, seuls 15 % semblent vivre uniquement de la musique. Nous ne pouvons nous prononcer pour les 49 % restants. La pluriactivité demeure donc un phénomène difficile à saisir. Bien entendu, les pourcentages de musiciens pluriactifs changent en fonction des cités. Ils varient spectaculairement de 14 à 88 %, respectivement à L’Isle et à Vence, avec une moyenne générale autour de 42 % par communauté. Une fois encore, l’offre musicale institutionnelle paraît influencer le taux de pratique pluriactive. La proportion de musiciens exerçant un ou plusieurs métiers en dehors de la musique est effectivement beaucoup moins élevée dans les grandes cités avec de nombreuses institutions que dans les petites villes abritant un marché musical plus resserré. Elle tourne entre 16 et 44 % de la population musicienne à Marseille, Aix, Avignon, Toulon et Arles, alors qu’elle atteint ou dépasse souvent la moitié au sein des autres communautés : 50 % à Apt, 63 % à Grasse, 78 % à Forcalquier et 88 % à Vence. Le taux de pourcentage de musiciens à plein temps suit une spectaculaire corrélation inversée. Il se monte en moyenne à 21 % dans les cinq gros centres urbains suscités, et jusqu’à un quart de la population musicienne à Aix et à Arles. Il ne dépasse pas les 12 % à l’intérieur des petites villes du reste du corpus. Avec une moyenne globale de 7 %, cette proportion peine généralement à excéder les 10 %. Seuls 9 % des musiciens de Carpentras se nourrissent entièrement grâce à leurs notes, 6 % à L’Isle, 4 % à Apt, 2 % à Grasse et… aucun à Vence. Une offre institutionnelle diversifiée augmente mécaniquement les chances de vivre à plein temps de son art en multipliant occasions et employeurs.

30La pluriactivité représente donc une stratégie professionnelle assez répandue parmi les musiciens provençaux et pontificaux du siècle des Lumières. Les 752 individus pluriactifs de notre échantillon exercent 70 activités différentes. Dans ce panel émerge l’activité ecclésiastique. 421 musiciens sont aussi des hommes d’Église, soit plus de la moitié des pluriactifs (54 %). Clercs tonsurés ou non, prêtres, diacres, chapelains, acolytes ou curés, beaucoup plus rarement chanoines, ces musiciens servent tous dans les ordres. Plus d’un bon tiers d’entre eux (44 %) possèdent un bénéfice, dont ils tirent un revenu substantiel. Les autres musiciens ecclésiastiques remplissent parfois une fonction liturgique en plus de chanter ou de jouer d’un instrument sous les voûtes – sacristain, vicaire, hebdomadier, etc. Déjà importante en elle-même, la proportion de prêtres musiciens approche ou dépasse même les 80 % de pluriactifs dans certaines cités comme Aix (79 %), Carpentras (82 %), Arles, Vaison (85 % chacun) ou Vence (87 %). En y ajoutant les quelques métiers laïcs rattachés à la sphère religieuse (campanier, serviteur de messe, aide du curé et exacteur de dîme), nous obtenons une domination incontestée de l’Église.

31Le théâtre fournit le deuxième contingent de professions parallèles aux musiciens, qui s’y produisent essentiellement sur les planches en qualité d’acteur ou de comédien. Nulle surprise pour ces activités ; nous avons vu qu’en dehors de l’orchestre, nombre de comédiens chantent sur scène comme solistes ou dans les chœurs. La musique fait pleinement partie de leurs attributions. 16 musiciennes-danseuses et musiciens-danseurs virevoltent en outre pour agrémenter les planches de leurs pas au cours des intermèdes. Un gérant de théâtre, un répétiteur des ballets et un machiniste complètent le panorama professionnel lié au sixième art. Malgré leur importance numérique, les métiers théâtraux ne concernent logiquement que la minorité de villes disposant d’une salle des spectacles en leurs remparts, notamment Marseille. Les musiciens cumulant un emploi à la Comédie représentent en effet les pluriactifs les plus nombreux du port phocéen (40 %) ; ils y devancent même leurs collègues ecclésiastiques (30 %). L’effet de sources explique probablement en partie ce résultat. L’Almanach historique de Marseille contribue en effet grandement à notre connaissance du personnel de la Comédie sur la décennie 1780 grâce à ses listes détaillées. De même, les nombreux registres capitulaires et comptes d’administration des églises nous permettent de documenter beaucoup plus facilement les musiciens ecclésiastiques que ceux pratiquant un autre métier, ce qui tend à expliquer la visibilité accrue des premiers et contribue à leur prépondérance. Il convient une fois de plus de toujours conserver ce biais à l’esprit en établissant nos résultats et de les nuancer.

  • 58 AM Marseille, EE 158, 10 octobre 1723 ; AM L’Isle-sur-la-Sorgue, CC 62, fol. 36, no 52, 1712.
  • 59 BM Avignon, ms. 3206, fol. 124, 28 février 1784 ; AM Carpentras, BB 261, fol. 368, 2 mars 1766.

32Quoi qu’il en soit, l’armée suit l’Église et le théâtre en tant que pourvoyeuse de postes pour les musiciens pluriactifs, le plus souvent comme simples soldats. L’un d’entre eux exerce les fonctions de grenadier au sein de la Marine à Marseille, tandis que le trompette municipal l’islois est aussi sergent à l’aube de la période58. Dans les États enclavés de l’Église, deux musiciens servent dans les troupes pontificales comme chevau-léger et cavalier de la maréchaussée59. Enfin, du côté de l’intendance, un fourrier, un boulanger de la garnison et un sous-employé à l’hôpital militaire clôturent le champ des professions qui gravitent dans le giron de Mars.

  • 60 Ce qui explique peut-être ses absences répétées au Concert en 1766 (Jeanselme, « L’Académie de musi (...)
  • 61 L. Teisseyre-Sallmann, L’industrie de la soie en Bas-Languedoc (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, École (...)

33L’artisanat arrive ensuite. 65 musiciens sont aussi des artisans, soit 8 % des pluriactifs. Parmi eux, 14 exercent cette activité en tant que maîtres, ce qui montre à la fois leur haute compétence technique et leur insertion réussie au sein du monde corporatif de leur branche. Plus de la moitié des musiciens artisans pratiquent un métier lié à l’habillement (60 %), comme perruquier, formier ou chapelier. La profession de cordonnier se classe en tête avec 12 praticiens. Un tiers des artisans est dans le textile. Nous avons ainsi des taffetassiers, des fabricants ou des ouvriers en bas ou en bas de soie, des tailleurs d’habits, des passementiers, un cardeur à laine, un maître mercier, un maître tisseur à toile, un ravaudeur et une directrice d’atelier de fabrication de dentelles en soie, Marie Fargues, la diva de l’académie d’Aix60. Les travailleurs du textile, et les taffetassiers qui y sont en majorité, se rencontrent principalement à Avignon. Rien d’étonnant : la cité pontificale constitue une capitale de la soie sous l’Ancien Régime, en concurrence directe avec Lyon61. Globalement, l’artisanat représente presque le tiers des deuxièmes métiers des musiciens d’Avignon (32 %) ; seule l’Église dépasse cette proportion. Dans les autres villes, l’artisanat est souvent le troisième pôle professionnel des pluriactifs. Il s’avère minoritaire à Marseille et à Aix (respectivement 2 et 4 % des activités annexes), tandis qu’il se positionne second dans des cités comtadines comme Carpentras (10 %), L’Isle (33 %) ou Cavaillon (22 %). En dehors du domaine textile, les artisans musiciens travaillent dans des branches aussi variées que le bâtiment, l’alimentation ou encore la construction navale. Il y a des tourneurs, des menuisiers, des boulangers, des ferblantiers, un traiteur, un batteur d’or, un ébéniste, un imprimeur, un maître calfat, un maître cordier, un mécanicien, un serrurier, un tabletier, un tailleur de pierres et un tanneur.

  • 62 AM Cavaillon, CC 315, no 13, 3 janvier 1701.
  • 63 Ibid., CC 29, fol. 175 et 203 v., no 53 et no 17, 7 avril 1766 et 16 mai 1767.
  • 64 AM Vaison, BB 29, p. 569-570, 26 décembre 1760.

34Un autre employeur propice à la pluriactivité est la municipalité. Les gages que paient les édiles à leurs musiciens leur suffisent rarement pour vivre. Par conséquent, une partie d’entre eux se tournent vers d’autres offices communaux afin d’assurer leur subsistance. Le tambour cavaillonnais Antoine Courcy, par exemple, remplit parallèlement la fonction de valet consulaire en 170162. Les trompettes municipaux cumulent souvent leur place avec celle de valet dans les petites villes provençales, que ce soit à Grasse, Apt ou Forcalquier. Ces postes concernent aussi l’entretien de l’espace public. Le trompette et jardinier de la ville Jean Plassy cultive et arrose les arbres des cours de Cavaillon dans la seconde moitié des années 1760. Moins valorisant, il en purge également les fosses63. D’autres emplois sont plus prestigieux. À Vaison, le trompette Louis Constantin se voit chargé avec un collègue du soin de la messagerie pour Avignon en 176064. De manière générale, les offices subalternes des communautés permettent aux musiciens municipaux les moins fortunés d’échapper à la misère grâce à cette pluriactivité.

  • 65 AM Apt, CC 210, 30 juillet 1775.

35Habitant et évoluant en ville, les musiciens pluriactifs pratiquent le plus souvent des métiers urbains. Toutefois, une minorité d’entre eux, 22 individus, possède une deuxième profession rurale ou liée à la terre (travailleur, ménager, cultivateur, berger). Ces paysans se concentrent essentiellement dans les petites villes de Haute-Provence tournées vers la ruralité : Forcalquier, Digne, Vence, Apt et Grasse. Les métiers ruraux représentent le deuxième réservoir professionnel après l’Église à Apt, où ils atteignent 21 % des pluriactifs. Un certain nombre de travailleurs battent la caisse ou jouent du fifre pour le compte de la municipalité lorsqu’ils ne cultivent pas la terre dans cette cité. La musique leur permet d’améliorer leur quotidien et d’accroître leur prestige social65.

  • 66 Cité par Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 73.

36Le reste des professions recensées ne forme pas un bloc cohérent. 12 musiciens évoluent dans le milieu de la boutique et du commerce et sont marchands ou négociants. Ils se répartissent entre Arles, Grasse, Toulon, Forcalquier et Marseille. Liés au petit artisanat local, ils vendent des bas, du taffetas, des cartes ou des gants. S’y ajoute un courtier de commerce qui officie à Avignon sous l’Empire. À un échelon supérieur, 12 musiciens adoptent un métier éducatif, ce qui présuppose un niveau d’instruction conséquent. Maître ou régent d’école, instituteur, éducatrice ou régent de rhétorique, ce sont la plupart du temps des musiciens d’Église qui rentabilisent leurs talents. La chanteuse Panon, « pensionnaire du Concert », tient une école de filles où elle enseigne la lecture, l’écriture et la musique à Aix en 177266. Ce petit échantillon confirme la capacité d’enseignement des musiciens, qui se muent parfaitement en professeurs aussi bien en musique que dans d’autres domaines. Huit faiseurs de notes travaillent en outre dans un autre domaine artistique. Six d’entre eux sont des maîtres de danse, presque exclusivement au sein des grandes villes – Marseille, Aix, Avignon et Arles, avec une exception à Carpentras –, alors que les deux derniers manient le pinceau dans le port phocéen. Cette minorité numérique semble indiquer qu’il n’existe guère de vases communicants entre les arts sonores et figuratifs en Provence et dans les États pontificaux transalpins du siècle des Lumières.

37Ces résultats montrent que la pluriactivité dépend fortement de l’environnement professionnel quotidien. Il apparaît effectivement normal de devenir ecclésiastique en travaillant à l’église ou soldat en évoluant au sein de l’armée. En pratiquant une deuxième profession liée à l’institution où il joue déjà, le musicien renforce également sa position auprès de son employeur et multiple ses chances de recrutement.

  • 67 AD 84, 3 E 6/262, fol. 967, 16 juillet 1788 ; AM Avignon, 1 E 319 et 321, no 716 et no 83,

38La pluriactivité pose également la question de la formation. Comment le musicien apprend-il ces autres métiers, notamment ceux de l’artisanat, qui demandent un réel savoir-faire ? Une partie de la réponse est à chercher du côté familial. On observe en effet dans certains cas que la seconde profession exercée par le musicien est également celle d’un ou plusieurs autres membres de sa famille, qu’il s’agisse du père, de l’oncle, du frère, etc. Par exemple, l’Avignonnais Jean-Louis Avias est taffetassier en plus de jouer dans une bande de musique à la fin des années 1780. Avec un père tisserand et un frère cordonnier, il s’insère parfaitement dans le monde textile de l’habillement de la cité pontificale67. Comme dans l’apprentissage de la musique, le musicien apprend parfois son deuxième métier au sein de sa parentèle.

  • 68 Barjavel, Dictionnaire historique…, op. cit., t. I, p. 124-125.
  • 69 Ibid.
  • 70 AD 84, 1 L 236, isle 113, no 8, an IV.
  • 71 AD 13, 2 U 2/4618, 15 août 1801.

39Comment interpréter cette pluriactivité musicienne ? S’agit-il plutôt d’une pluriactivité contrainte ou d’une pluriactivité choisie ? Difficile de répondre à cette question avec précision, ne serait-ce que parce que les informations données par les sources se révèlent trop fragmentaires pour trancher. Comme dans le reste de la société d’Ancien Régime, plusieurs cas de figure cohabitent chez les musiciens. Pour un certain nombre d’entre eux, avoir recours à un ou plusieurs métiers annexes est clairement alimentaire. Ils n’ont pas vraiment le choix s’ils veulent échapper à la misère. Reprenons l’exemple du L’Islois Esprit Aymond qui, « pressé par le besoin », conçoit un orgue de barbarie manié par un instrumentiste de carrefour dans les rues de Marseille sous la Révolution. Aymond est incontestablement un musicien de grand talent : directeur du petit ensemble du comte de Rantzau à Ménerbes, compositeur et violoncelliste salué par Rodolphe Kreutzer en personne, il obtient l’honneur d’une notice post mortem dans le Dictionnaire historique vauclusien de Casimir Barjavel en 1841, qui affirme que, de l’avis des connaisseurs, Aymond interprète et retranscrit la musique de Luigi Boccherini mieux que quiconque à son époque68. Pourtant, malgré sa réputation, Esprit Aymond se voit contraint d’exercer plusieurs autres professions pour vivre pendant une longue partie de son existence. Il devient ainsi successivement tourneur, cordonnier, tailleur de pierres et mécanicien69. Un musicien doit également diversifier ses activités lorsqu’il traverse une mauvaise conjoncture économique. Nous pensons évidemment en premier lieu aux nombreux musiciens d’Église qui perdent leur emploi à la Révolution. Certains n’ont alors pas d’autre option que de se reconvertir dans une autre branche professionnelle, comme Jacques Girouin, le ci-devant organiste du couvent des Grands-Augustins d’Avignon, qui devient taffetassier après la fermeture de l’établissement religieux70. En dehors du choc révolutionnaire, moment charnière un peu spécial, une période de creux musical suffit aussi à déclencher une pluriactivité. Le luthier Dominique Gardier en offre une bonne illustration à Marseille. Fabricant de cordes de violon de profession, il essuie « de grosses pertes » vers 1796, ce qui le contraint à suspendre un peu sa production et à se lancer dans l’achat et la revente de marchandises afin de compenser71.

  • 72 Gras, « Des musiciens anglais… », art. cité, p. 157.
  • 73 BM Carpentras, ms. 1441, 30 décembre 1768.
  • 74 AD 13, 4 G 90, 17 mars 1772 ; AM Arles, GG 138, fol. 14 v., 20 novembre 1777 ; CC 117, fol. 428 v, (...)
  • 75 AD 84, 1 L 403, 5 novembre 1797.

40Au contraire de cette pluriactivité de précarité, l’exercice de la musique en parallèle d’un autre métier représente pour plusieurs musiciens un véritable moyen d’ascension sociale permettant de s’extraire du travail manuel. Ce cas de figure implique alors l’abandon progressif de la profession non musicale. À Avignon, la famille Hill passe de l’artisanat textile à la musique en un siècle. Le glissement de l’activité artisanale à l’activité artistique scande les étapes de cette élévation. L’ancêtre, Guillaume Hill, travaille uniquement en qualité de marchand ouvrier en bas ; ses enfants exercent à la fois comme artisans et musiciens ; enfin, la plupart de ses petits-enfants vivent entièrement de la musique en ayant abandonné l’artisanat. L’évolution professionnelle s’avère pratiquement totale en trois générations72. À l’échelle individuelle, le choriste Véran Courcy présente un profil intéressant. Ce cordonnier de Cavaillon possède « une belle et bonne voix » qui le fait repérer par les chanoines de la cathédrale de Carpentras. Ils le reçoivent haute-contre le 30 décembre 1768, et Courcy abandonne son métier en même temps que sa ville73. Entré à Saint-Trophime d’Arles quatre ans plus tard, il ne se qualifie désormais plus que comme « musicien » dans les registres paroissiaux et à la capitation de la cité camarguaise74. À l’instar du reste de ses collègues, Courcy voit sa place balayée par la Révolution et finit par retourner à Cavaillon pour s’y établir instituteur particulier75. Comme pour les Hill, la musique accompagne l’ascension de l’ancien cordonnier en l’extrayant de la masse laborieuse des artisans. À l’inverse, sa relative déchéance le coupe du quatrième art et l’oblige à se réinsérer dans un autre secteur d’activité, sans toutefois le faire retomber dans une activité manuelle.

  • 76 AM Grasse, AA 6, 19 octobre 1774.

41Enfin, dans une dernière configuration pluriactive, la musique constitue seulement un revenu d’appoint pour un individu, en sus d’une profession principale. Pratiquée en pointillé, elle sert à la fois de rentrée financière supplémentaire et de moyen de briller au sein de la communauté. La mise en avant d’un talent musical rehausse en effet l’identité sociale du travailleur ou de l’artisan par rapport à ses pairs. Nous pouvons ranger dans cette catégorie tous les faiseurs de notes dont les documents présentent l’autre métier en premier. À Grasse, la majorité des musiciens qui participent à la messe à la cathédrale pour le service funèbre de Louis XV, en dehors du maître de chapelle et des enfants de chœur, sont avant tout des artisans explicitement désignés en tant que tels : il y a « Gay, tailleur, taille », « Bourges, serrurier, basse » et « Augustin, menuisier, cor de chasse76 ». Ces résultats sont à mettre en corrélation avec la faible proportion de musiciens vivant complètement de leur art au sein de ces communautés. Ils permettent alors de théoriser un modèle, celui du travailleur ou de l’artisan- musicien qui se sert de la musique comme d’un vecteur de valorisation aussi bien économique que sociale.

  • 77 AD 13, 203 E 5, fol. 4, 17 décembre 1798.

42L’étude de la pluriactivité musicienne nous conduit finalement à émettre l’hypothèse suivante : le degré de professionnalisation des musiciens varie en fonction de l’offre musicale institutionnelle au XVIIIe siècle. Deux grands modèles théoriques s’opposent parmi notre corpus. Celui, en premier lieu, du musicien à plein temps qui n’a pas besoin d’un autre métier pour subsister. Il se croise surtout dans les grandes cités de Basse-Provence ainsi qu’à Avignon, là où se situent des employeurs variés et une clientèle nombreuse. En face de lui évoluent le musicien-travailleur et le musicien-artisan, qui n’exercent pas à temps plein, soit pour échapper à la précarité, soit parce que la musique ne constitue qu’un valorisant revenu d’appoint. Nous rencontrons ce dernier modèle en priorité dans les petites villes de Haute-Provence et du Comtat Venaissin. Nous pensons même pouvoir l’étendre aux communautés rurales où se retrouvent des agriculteurs et joueurs de tambour comme à Alleins en 1798, hameau à mi-chemin entre Aix et Cavaillon77.

43Optimisation des revenus musicaux, polyactivité ou pluriactivité, les musiciens provençaux et pontificaux emploient de multiples stratégies professionnelles afin de contrer la fragilité de leur statut. Un autre facteur influence indirectement leurs pratiques professionnelles et impacte leur vie quotidienne : le choix de l’adresse de résidence.

De l’art de choisir son adresse de résidence

  • 78 P. Guignet, Les sociétés urbaines dans la France moderne, Paris, Ellipses, 2006, p. 192-193.
  • 79 L. Coste, Les bourgeoisies en France. Du xvie au milieu du XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2013, (...)
  • 80 Guignet, Les sociétés urbaines…, op. cit., p. 195.
  • 81 Coste, Les bourgeoisies…, op. cit., p. 94 ; I. Castaldo, Le quartier Mazarin. Habiter noblement à A (...)

44Les sociétés urbaines se caractérisent par un mélange de mixité sociale et de ségrégation dans la France d’Ancien Régime. Héritages du bas Moyen Âge, les partages sociaux puisent leurs racines dans les rues professionnellement spécialisées qui abritent certains métiers dont les contraintes d’exercice incitent à des localisations durables – travail du cuir au bord des cours d’eau, par exemple, ou activités commerciales autour des places de marché78. Les historiens relèvent généralement une double différentiation de l’habitat. Il existe d’une part une ségrégation verticale qui reflète le mélange social des villes : au sein d’un même immeuble cohabitent souvent des familles aisées aux premiers étages et des milieux plus pauvres jusque sous les combles. D’autre part s’observe une ségrégation horizontale : les diverses strates de la société urbaine habitent des quartiers différents, opulents ou populaires79. Ces contrastes zonaux tendent à se renforcer au siècle des Lumières du fait des rénovations urbaines. Les grands travaux édilitaires qui marquent la cité de cette période – agrandissements, modernisation du bâti, édifications de vastes cours, de promenades et de jardins, installation d’un éclairage public, etc. – renforcent l’inscription spatiale des inégalités sociales et amplifient la ségrégation résidentielle par la migration des élites vers un habitat construit à leur intention80. En Provence, ce mouvement d’aménagement urbain se traduit, à Marseille, par l’extension de la nouvelle ville de l’autre côté du Vieux-Port, à Aix par la construction du quartier Mazarin au sud de la ville à la fin du XVIIe siècle81.

  • 82 Comme l’écrit Sylvie Granger, dont nous partageons entièrement l’avis : « Le choix d’un logement ré (...)
  • 83 Ibid., p. 65-78 ; Mussat, Musique et société…, op. cit., p. 77-80 ; M.-C. Mussat, « Un groupe socia (...)
  • 84 M. Traversier, « Le quartier artistique, un objet pour l’histoire urbaine », Histoire urbaine, 26, (...)

45Du point de vue des citadins, cette répartition sociale en ségrégation induit des choix de résidence différenciés en fonction de leur statut. L’adresse d’un individu reflète en partie son positionnement au sein de la société et influence l’image qu’il renvoie aux autres. La question de la domiciliation se révèle par conséquent loin d’être anodine. Elle s’inscrit au contraire dans une véritable stratégie de présentation de soi. Voilà pourquoi il nous semble intéressant d’analyser les adresses des musiciens dans la ville82. Les localisations de leurs résidences ont été étudiées au Mans, dans les villes bretonnes de Rennes, Nantes, Vannes et Brest, à Paris, à Madrid et à Rome83. Par ailleurs, la répartition topographique des professions artistiques en général apparaît historiquement marquée par deux dynamiques contradictoires avec, d’un côté, un processus de territorialisation et, de l’autre, un mouvement inverse de dissémination, les deux se développant parfois de manière concomitante84. C’est dans ce cadre que nous nous proposons d’effectuer l’analyse comparative des adresses des musiciens au sein des cités provençales et pontificales.

46Quelles sont les stratégies de domiciliation des musiciens ? Notre étude s’appuie sur un corpus de 276 adresses collectées pour le siècle des Lumières et un peu au-delà, que ce soit grâce aux registres de capitation, aux listes de recensement, aux actes notariés, à la presse, aux registres paroissiaux ou à l’état civil. Ces 276 domiciles se répartissent entre les villes de Marseille, d’Aix, d’Avignon et d’Arles. Le peu de résidences musiciennes dénichées dans les autres cités ne nous permet malheureusement pas de tirer des conclusions pertinentes. Voilà qui nous cantonne à une représentativité cloisonnée aux grands centres urbains de Basse-Provence et de l’État d’Avignon, tout en laissant dans l’ombre les communautés plus modestes de la Haute- Provence et du Comtat Venaissin.

47Nous avons choisi de reporter les domiciles de nos musiciens sur des cartes afin de saisir d’un coup d’œil leur inscription spatiale dans le paysage urbain. Ces adresses sont retranscrites en pastilles de couleurs différentes en fonction du domaine d’activité du musicien, accompagnées des lieux qui produisent de la musique dans la ville. Débutons donc avec Marseille, pour laquelle nous avons retenu deux cartes à lire ensemble : une générale, et une en forme de zoom sur le nouveau quartier théâtral (voir pages 212 et 213).

48Les deux cartes phocéennes présentent des temporalités différentes. La première, basée sur un plan de Jean-Pierre Besson levé en 1773, contient l’arsenal au sud-est du Lacydon. La seconde, élaborée à partir du plan de Campren de 1790, prend en compte la démolition de l’arsenal en 1784 et se concentre sur le quartier édifié à sa place. Celui-ci s’articule notamment autour du nouveau théâtre de la rue Beauvau – inauguré, rappelons-le, en 1787.

  • 85 AM Marseille, EE 158, 10 octobre 1723.
  • 86 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1771 et 1785, p. 52 et p. 67.
  • 87 Granger, « Musiciens dispersés dans la ville… », art. cité, p. 70 ; Granger, Les métiers de la musi (...)
  • 88 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1770, p. 193.
  • 89 AM Marseille, 2 I 172, no 8, 13 novembre 1793.
  • 90 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1775 et 1777, p. 56 et p. 68.

49Nous avons retrouvé 100 adresses de musiciens à Marseille. Les dates de ces lieux de résidence s’étalent sur un siècle, de 1723 à 1824, et commencent au lendemain de la grande peste de 1720, au moment où le port commence à doucement se remettre de sa saignée démographique. La première adresse repérée est la maison de deux tambours de la Marine, probablement frères, Jean-Baptiste et Étienne Beauregard. Ils résident chez un maçon rue Notre-Dame-du-Mont en 1723, au sein du lacis dense des ruelles de la vieille ville85. Cette partie de la cité au nord du Lacydon n’attire cependant guère les professionnels de la musique en général. Encore médiévale dans son bâti, elle concentre surtout les musiciens d’Église qui travaillent à la cathédrale. Ces derniers s’installent en effet fréquemment dans les quartiers autour de La Major par commodité, à l’image de l’organiste Pierre Benoît Peyre, qui habite rue de la Foire dans les années 1770 et 178086. La propension des musiciens au service de Dieu à se fixer près de leur lieu de travail se révèle assez fréquente dans le XVIIIe siècle français87. Cette habitude n’est par ailleurs pas propre à cette unique catégorie de professions musicales. En visualisant les cartes de Marseille, nous constatons que les musiciens des théâtres et ceux du Concert habitent généralement non loin des salles des spectacles et de l’hôtel de l’académie – situés respectivement rue Vacon, rue Beauvau, rue du Pavillon et place de la Tour. Certains d’entre eux logent dans l’enceinte même de ces bâtiments, à l’instar des maîtres de musique du Concert qui disposent d’un appartement de fonction à l’intérieur de l’hôtel de l’académie88. En 1793, le musicien transalpin Antoine Costa, « attaché au spectacle des variétés » – c’est-à-dire au théâtre de la rue Pavillon –, reside « dans l’ancien théâtre italien », à savoir la salle des spectacles de la rue Vacon, fermée six années auparavant89. Le logement de fonction concerne aussi une partie des musiciens d’Église, notamment le maître de chapelle, qui loge parfois dans la maison capitulaire auprès des enfants de chœur. Le sous-maître de musique Jean-Baptiste Thadée Tourcat réside ainsi « au chapitre » de La Major, derrière la cathédrale, entre 1775 et 177790. Enfin, les musiciens militaires habitent collectivement en garnison avec leur régiment de rattachement.

Carte n 1 : La répartition des musiciens marseillais dans la ville (1723-1824)

Carte n 1 : La répartition des musiciens marseillais dans la ville (1723-1824)

Carte n 2 : Le quartier du nouveau théâtre de Marseille (à partir de 1787)

Carte n 2 : Le quartier du nouveau théâtre de Marseille (à partir de 1787)

Carte n 3 : La répartition des musiciens aixois dans la ville (1695-1822)

Carte n 3 : La répartition des musiciens aixois dans la ville (1695-1822)

Carte n 4 : La répartition des musiciens arlésiens dans la ville (1750-1808)

Carte n 4 : La répartition des musiciens arlésiens dans la ville (1750-1808)

Carte n 5 : La répartition des musiciens avignonnais dans la ville (1713-1829)

Carte n 5 : La répartition des musiciens avignonnais dans la ville (1713-1829)
  • 91 M. Vovelle, Les sans-culottes marseillais. Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme (...)

50Si les musiciens délaissent globalement la vieille ville pauvre et laborieuse au pied du fort Saint-Jean, ils privilégient les nouveaux quartiers plus aérés de l’est et du sud-est de la cité. Ils se rassemblent particulièrement dans les parages de la collégiale Saint-Martin, quartier qui abrite de nombreux artisans et de petits commerçants, repaire des maçons, des cordonniers, de la friperie ou de la ferraille91. Ils s’installent ainsi dans un paysage urbain intermédiaire, à la frontière entre la sinuosité des rues du Vieux-Port et la largesse des avenues de la nouvelle ville symbolisée par le cours Belsunce. Plusieurs choisissent d’ailleurs de résider sur ou à proximité de ce cours, principalement des musiciens du Concert.

  • 92 Ibid., p. 72.

51En descendant vers le sud, nous arrivons au croisement du Cours et de la Canebière, « épicentre de toutes les activités, commerces de luxe, auberges, théâtre avec sa présence tapageuse et ses abords fréquentés92 ». Les abords de la nouvelle salle des spectacles dégagés par la destruction de l’arsenal recèlent une forte concentration musicienne. Pas moins de 11 faiseurs de notes y déclarent leur adresse à la fin du XVIIIe siècle. Nous nous rappelons que la plupart des musiciens de la Comédie exercent aussi leurs talents à l’académie de musique. La proximité géographique de ces deux bâtiments, seulement séparés par quelques centaines de mètres, incite fortement les musiciens à s’établir dans les parages.

  • 93 Ibid., p. 43 et p. 73.
  • 94 AM Marseille, GG 252, 11 janvier 1754 ; Cheilan-Cambolin, Un aspect de la vie musicale…, op. cit., (...)

52Au-delà de la Canebière s’étend « le Marseille des Lumières », où vit l’élite négociante et aristocratique de la cité phocéenne à l’intérieur de somptueux hôtels particuliers. Les rues Paradis, Saint-Ferréol, de Rome et d’Aubagne en forment les axes réguliers93. Ces trois dernières avenues réunissent justement un nombre non négligeable de domiciles de musiciens, tout comme les artères autour du théâtre de la rue Vacon. Les musiciens décident ainsi de s’installer près de leur riche clientèle. Ils lui renvoient du même coup une image à la mode, moderne, propre, et donc susceptible de la séduire – ce qui augmente les chances qu’on fasse appel à eux. Le « maître musicien » Jean Bérenger, qui exerce en qualité de maître de musique dans la première moitié de la période et enseigne vraisemblablement aux familles aisées, habite par exemple rue de Rome au moment de sa mort en 175494.

  • 95 Vovelle, Les sans-culottes marseillais…, op. cit., p. 43.
  • 96 Ibid., p. 72.
  • 97 AM Marseille, 2 I 172, no 2659, 5 novembre 1793 ; 1 E 116, 7 février 1798.

53À l’inverse, les musiciens désertent complètement le sud- ouest de la ville, dit de Rive-Neuve. Il s’agit d’une partie urbaine relativement récente autour de l’arsenal, à la densité de population faible95. Le peu de clients à y espérer explique probablement le manque d’attractivité pour les musiciens, malgré la présence de l’abbaye de Saint-Victor. Quelques-uns logent dans le quartier du quai du Port, « lieu des affaires et du pouvoir » où les négociants se pressent et l’hôtel de ville se dresse96. D’autres, plus rares, résident hors les murs, à proximité des remparts. Cette configuration concerne surtout des étrangers ou de nouveaux arrivants, comme le fabricant de cordes d’instruments napolitain Philippe Palme, qui habite « hors la porte d’Aix » en 1793, ou encore Agricol Hill et son fils Jean Joseph Agricol, émigrés d’Avignon qui vivent ensemble « hors la porte de Rome » cinq ans plus tard à la suite d’un exil forcé en 179197. De leur côté, les fabricants d’instruments s’implantent à peu près de la même manière que leurs collègues musiciens, à savoir dans les beaux quartiers modernes de l’est et du sud-est. Ils marquent toutefois une préférence plus prononcée pour les abords du quai du Port autour de l’hôtel de ville, là où règne une activité commerciale effervescente qui favorise les ventes. Ils s’installent également près des lieux artistiques, notamment dans la rue Saint- Ferréol et aux alentours du théâtre et du Concert, proches à la fois de leur clientèle privée et de leur clientèle professionnelle par un phénomène de concentration par aimantation.

  • 98 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1787, p. 68 ; Cheilan-Cambolin, « L’Académie de mu (...)
  • 99 AM Marseille, GG 283, 11 juillet 1785 ; 2 I 172, no 1190, 23 octobre 1793.

54Les stratégies de domiciliation que nous venons d’évoquer semblent fonctionner pour l’ensemble du siècle et ce, sans réelle variation. Bien entendu, cela ne signifie pas que les musiciens demeurent à une adresse identique toute leur vie durant. Lorsqu’ils changent d’adresse, les faiseurs de notes phocéens tendent à demeurer ou à se rapprocher des zones urbaines neuves et aérées qui abritent une population aisée, tout en privilégiant une proximité avec leur lieu de travail et leur clientèle. Jacques Genoyer passe ainsi de la rue Sainte- Barbe, dans un quartier artisanal proche de l’église Saint-Martin, à la rue Longue-des-Capucins, de l’autre côté du Cours, au début des années 179098. De même, le violoniste de la Comédie Ange Chiompi quitte la rue du Grand-Puits, également près de Saint-Martin, pour s’installer rue du Pavillon, à deux pas du nouveau théâtre des Variétés et de celui de la rue Beauvau après l’inauguration de ce dernier. Il se rapproche de son institution de rattachement, peut-être après la mort de sa femme en 178599.

55Proximité du lieu de travail, rapprochement de la clientèle aristocratique, concentration autour des bâtiments artistiques – théâtre, académie de musique – et installation au sein des quartiers artisanaux à mi-chemin entre un bâti médiéval et une construction moderne, les stratégies de domiciliation adoptées par les musiciens marseillais se révèlent variées en fonction de leur profil personnel et professionnel. Ce modèle d’implantation résidentielle s’étend-il à d’autres villes de la Provence au siècle des Lumières ? Pour le savoir, transportons-nous à Aix. L’échantillon des résidences musiciennes de la capitale parlementaire s’élève à 67 adresses échelonnées entre 1695 et 1822 (voir page 214).

  • 100 E. Le Roy Ladurie, « Les cités du sang bleu », dans G. Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, (...)
  • 101 Castaldo, Le quartier Mazarin…, op. cit.
  • 102 J. Carrière, La population d’Aix-en-Provence à la fin du XVIIe siècle. Étude de démographie historiq (...)

56Aix correspond pleinement au modèle de la « cité du sang bleu » décrit par Emmanuel Le Roy Ladurie, à savoir une ville dominée par les membres de la noblesse100. Cette hégémonie du second ordre se répercute visuellement sur l’espace urbain. Comme à Marseille, de grands travaux publics agrandissent la capitale provençale vers le sud à la fin du Grand Siècle, avec l’édification de larges artères et de brillantes façades d’hôtels particuliers sur un plan hippodamien. Ces nouvelles bâtisses sont clairement à destination des élites aristocratiques et parlementaires. Le Cours représente une véritable ligne de démarcation et symbolise la frontière entre les vieilles habitations entassées du nord et les quartiers nobiliaires de Mazarin et de Saint-Jean aux belles maisons alignées au sud et au sud-est101. Cité d’Ancien Régime, Aix se caractérise toutefois autant par une certaine mixité sociale que par des quartiers spécialisés. À l’aube du siècle des Lumières, les groupes sociaux se mêlent et continuent de cohabiter au sein des mêmes rues malgré l’originalité des divers quartiers102.

  • 103 Ibid. ; J.-P. Coste, La ville d’Aix en 1695. Structure urbaine et société, Aix-en-Provence, La Pens (...)
  • 104 AM Aix-en-Provence, CC 16, quartier Saint-Jean, isle 44, maison 4, 1704 ; Jeanselme, Deux cents cin (...)
  • 105 Carrière, La population d’Aix…, op. cit., p. 96.
  • 106 I. Castaldo, « Une opération politique d’urbanisme à Aix-en-Provence. Mutations de l’habitat et de (...)
  • 107 Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 492 ; Coste, La ville d’Aix en 1 (...)

57Qu’en est-il des musiciens ? Tout comme leurs confrères phocéens qui possèdent des quartiers de prédilection à Marseille, les faiseurs de notes aixois habitent globalement les mêmes lieux. Des similarités s’observent dans les stratégies de domiciliation des musiciens des deux cités. Pour commencer, la majorité des musiciens d’Aix se concentre fortement au cœur de la ville ainsi que dans les quartiers ouest, ceux des Augustins et des Cordeliers au-dessus du Cours. Il s’agit de zones densément peuplées qui abritent le plus grand nombre d’artisans et de marchands de la cité, points de rassemblements du commerce et de l’artisanat aixois103. Toujours considérés comme des artisans, les musiciens s’immergent logiquement dans une atmosphère de ce type. Une petite poignée d’entre eux choisit de quitter la vieille ville et de traverser le Cours pour s’établir dans le prestigieux quartier Mazarin au sud ou au sein du quartier Saint-Jean à l’est, non loin du théâtre. Le joueur de violon Joseph Beaudin réside par exemple en chambre garnie avec sa famille rue du Roi de 1695 à 1704, à côté de la chapelle des Dames104. Les musiciens aixois paraissent ainsi à première vue moins enclins que leurs homologues marseillais à s’installer près de leur clientèle aristocratique. Cette affirmation est toutefois à nuancer du fait de la mixité sociale qui caractérise les rues de la capitale provençale. Même le populeux quartier du Bourg autour de la cathédrale Saint-Sauveur, relativement riche en adresses de musiciens, recèle des hôtels particuliers105. D’ailleurs, si la noblesse de robe parlementaire en pleine ascension sociale privilégie le sud et le sud-est d’Aix, celle, plus traditionnelle, d’épée tend à bouder le quartier Mazarin et à demeurer dans les ruelles de la vieille ville106. Il résulte de cette mixité sociale que certains musiciens habitent malgré tout à proximité de l’aristocratie même sans loger aux quartiers Mazarin ou Saint-Jean. L’organiste et professeur de musique François Antoine Lapierre vit ainsi rue Beauvezet en 1793, l’un des endroits où les familles de distinction maintiennent leur résidence, dans le quartier des Cordeliers, tandis qu’un demi-siècle plus tôt, le musicien Lafarge avait comme voisin au quartier du Bourg le puissant président d’Albert107.

  • 108 Ibid., CC 16, quartier des Cordeliers, isle 1, maison 1, 1704.
  • 109 L’ennui ressenti par une partie de la bonne société aixoise oisive est assez célèbre aux XVIIe et X (...)
  • 110 Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 78.

58Comme à Marseille, les musiciens aixois s’implantent presque invariablement intra-muros. La centralité topographique des domiciles des musiciens confirme en outre leur profil professionnel tourné essentiellement en direction de la société urbaine. Les stratégies de localisation résidentielle font aussi généralement la part belle au facteur de proximité du lieu de travail. L’illustration extrême en est bien entendu les quatre trompettes municipaux qui logent directement à l’hôtel de ville108. Cet appartement de fonction constitue l’un des privilèges de leur poste – ils effectuent en contrepartie de multiples tâches de valet comme garder le bâtiment propre et en faire tirer le fumier. Les autres musiciens qui exercent leur talent au service des édiles s’établissent non loin de l’hôtel de ville, le plus souvent dans le quartier du Bourg, un peu plus au nord. De la même façon, les musiciens de Saint-Sauveur vivent le plus fréquemment à une distance assez proche de la cathédrale, alors que ceux qui travaillent à l’académie de musique – installée à l’intérieur de l’hôtel de ville – se trouvent aussi souvent – mais pas toujours – proches du Concert. À l’inverse, et c’est une différence notable avec Marseille, la Comédie n’attire pratiquement aucun musicien dans ses parages. Ceux qui jouent en sa fosse préfèrent habiter au sein des quartiers artisanaux de l’ouest. De manière générale, les musiciens ne semblent guère intéressés par les quartiers à la mode, contrairement à leurs confrères phocéens. Les rares individus qui posent leurs valises dans le quartier Mazarin sont en définitive plutôt les fabricants d’instruments, probablement pour capter la riche clientèle locale qui pratique sûrement la musique afin de tromper son ennui109. Le raccommodeur de violons Saurin habite ainsi au sud de la cité en 1753110. Les autres faiseurs d’instruments suivent la tendance musicienne à demeurer au nord du Cours, dans la vieille ville.

59Le modèle d’implantation résidentielle des musiciens d’Aix se révèle finalement relativement similaire à celui de leurs collègues marseillais. La concentration dans les quartiers artisanaux ainsi que la proximité avec le lieu de travail et la clientèle y dominent. Nous relevons en revanche, dans la capitale provençale, une tendance à éviter les nouveaux quartiers chics – peut-être pour des raisons financières liées au coût des loyers ? – et une inclinaison à la centralité plus marquée qu’à Marseille. Les musiciens aixois ont en effet globalement tendance à installer leurs pénates au cœur de la cité, probablement afin de desservir plus facilement les moindres recoins de la ville en cas de multiplication des employeurs.

60Achevons notre comparaison des grandes communautés de Basse-Provence par la troisième et dernière cité pour laquelle nous disposons de suffisamment d’adresses de musiciens pour pouvoir effectuer une analyse de leurs stratégies de domiciliation : Arles (voir page 215).

  • 111 O. Caylux, « Le cadre urbain et architectural de la société arlésienne aux XVIIe et XVIIIe siècles  (...)
  • 112 P. Payn-Échalier, « La noblesse et la bourgeoisie ou l’élite arlésienne au XVIIIe siècle », dans Ro (...)
  • 113 O. Caylux, Arles et la peste de 1720-1721, op. cit., p. 25. Voir aussi G. Pichard, « Le monde paysa (...)
  • 114 P. Payn-Échalier, Les Marins d’Arles à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Publications de l’univers (...)

61À la différence d’Aix et de Marseille, les consuls d’Arles ne procèdent pas à la construction de nouveaux quartiers au XVIIIe siècle. Ils se soucient néanmoins des problèmes de circulation et font agrandir les deux principales places de la cité, la place Royale devant l’hôtel de ville ainsi que la place aux Herbes, tout en pratiquant une politique d’alignement des habitations. Après la tragédie de la peste, les édiles font aussi bâtir une grande boucherie et une grande poissonnerie en 1724 et 1727111. Particulièrement importante, la noblesse arlésienne édifie de splendides hôtels particuliers dans les paroisses du centre- ville, où elle réside, à partir des années 1730112. De son côté, la population agricole – ménagers, jardiniers, bergers, travailleurs, etc.– investit les abords de la ville. Elle vit principalement dans la paroisse Notre-Dame-de-la-Major, à l’est d’Arles113. À l’inverse, les marins forment un groupe social soudé et cohérent qui se concentre sans surprise au sud-ouest, près du Rhône, surtout au sein des paroisses Saint-Laurent et Sainte-Croix114.

6236 adresses de musiciens ont été repérées au milieu de ce paysage urbain. Elles se répartissent sur un peu plus d’un demi-siècle, de 1750 à 1809 à première vue, les musiciens arlésiens s’installent essentiellement dans les quartiers périphériques non loin du fleuve, à l’ouest et au sud- ouest de la cité. Pas moins de 18 d’entre eux y résident, soit la moitié de l’échantillon résidentiel. A contrario, les musiciens semblent délaisser le prestigieux centre-ville au sud ainsi que la zone populaire et très densément peuplée qui abrite principalement les métiers agricoles à l’est. Ils se révèlent de même complètement absents de la rive droite du Rhône, et aucun n’habite dans le faubourg de Trinquetaille. Les musiciens se placent ainsi une fois de plus dans un espace urbain intermédiaire, ni pauvre ni aisé, dominé par l’artisanat, au sein duquel ils paraissent se sentir parfaitement à l’aise. La proximité avec le lieu de travail est aussi à nouveau respectée, puisque les domiciles des musiciens d’Église et ceux qui servent la municipalité forment une couronne autour de la cathédrale Saint-Trophime et de l’hôtel de ville, qui peut aller jusqu’à l’amphithéâtre romain.

63Ces résultats, déjà éclairant en eux-mêmes, s’affinent lorsque nous nous plaçons à l’échelle paroissiale. Si nous ne connaissons pas toujours l’adresse exacte d’un musicien, nous disposons parfois de sa paroisse d’habitation. Nous connaissons ainsi la domiciliation paroissiale de 41 musiciens de la cité camarguaise, ce qui représente cinq localisations supplémentaires par rapport aux adresses précises. Le graphique suivant détaille leur distribution :

Illustration n 2 : La localisation paroissiale des musiciens arlésiens au XVIIIe siècle

Illustration n 2 : La localisation paroissiale des musiciens arlésiens au XVIIIe siècle
  • 115 AM Arles, EE 22, paroisse Saint-Lucien, isle no 81, 1789.
  • 116 Payn-Échalier, « La noblesse et la bourgeoisie… », art. cité, p. 244.

64Ce graphique confirme l’implantation des musiciens au sein des paroisses limitrophes au fleuve à l’ouest d’Arles, à savoir celles de Saint-Laurent et de Sainte-Croix. Il révèle en outre une installation un peu plus prononcée dans la paroisse Notre-Dame-de-la-Major que ne le laissaient entendre les adresses seules, ce qui n’a, au final, rien d’étonnant étant donné qu’il s’agit de la zone la plus peuplée de la cité. À l’inverse, la plus petite paroisse de la ville, Saint-Lucien, n’accueille qu’un seul musicien connu, le haute-contre Véran Courcy en 1789115. Surtout, cette répartition laisse apparaître une tendance qui nous échappait sur la carte précédente : une stratégie de domiciliation largement axée sur les paroisses du centre-ville, Sainte-Anne en premier lieu, mais aussi Saint-Julien et, dans une moindre mesure, Saint-Martin. Or, il s’agit précisément des paroisses qui abritent la noblesse et ses beaux hôtels particuliers116. Finalement, à l’instar de leurs homologues marseillais, une bonne partie des musiciens arlésiens choisit de résider non loin de l’aristocratie, clientèle potentielle autour de laquelle gravite toute la vie de la cité camarguaise.

  • 117 AM Arles, EE 22, paroisse Sainte-Anne, isle no 96, maison 13, 1789.

65Les rares circulations interparoissiales retrouvées corroborent ce rapprochement vers le centre-ville au cours du siècle. Quatre musiciens quittent ainsi la populeuse paroisse Notre-Dame-de-la-Major pour s’installer dans une zone plus centrale comme Saint-Julien ou, surtout, Sainte-Anne, la paroisse la plus prestigieuse en termes de voisinage. Elle abrite à la fois la cathédrale et l’hôtel de ville. Sur les neuf déménagements de musiciens arlésiens recensés au siècle des Lumières, cinq aboutissent à une installation dans la paroisse Sainte-Anne. Il semble véritablement s’agir de la paroisse la plus recherchée par les faiseurs de notes en quête de reconnaissance sociale. Le trompette municipal Philippe Chambourdon passe ainsi de la paroisse Notre-Dame-de-la-Major à la paroisse Sainte-Anne au milieu des années 1780117. Non seulement il se rapproche des beaux quartiers, mais il réduit aussi la distance qui le sépare de son lieu de travail – l’hôtel de ville.

66Arles, Aix, Marseille. Les musiciens de ces trois cités provençales adoptent en définitive des stratégies de domiciliation proches. Souvent contaminés par l’influence de leur puissant voisin français, les États pontificaux rhodaniens suivent-ils la même logique dans les adresses de musiciens de ses grandes villes ? Rendons-nous pour nous en assurer à Avignon et observons la façon dont les musiciens peuplent ses rues au XVIIIe siècle (voir page 216).

  • 118 Granger, « Musiciens dispersés dans la ville… », art. cité, p. 76.
  • 119 AD 84, 1 L 236, isle 97, no 7, an IV.
  • 120 Ibid., B Rote 204, fol. 884 v., 11 avril 1784.

67En ce qui concerne la cité pontificale, 73 adresses différentes de musiciens ont été relevées entre 1713 et 1829. Comme à Aix, la première caractéristique qui frappe est une centralité résidentielle musicienne très prononcée. Les musiciens avignonnais s’installent globalement au cœur de la ville et délaissent ses franges. Cette centralité urbaine du logement répond au besoin de mobilité permanente des musiciens. Avignon n’étant pas une cité très étendue en taille – 20 minutes suffisent pour se rendre dans les rues les plus reculées à pied –, habiter en son centre permet aux musiciens de s’y déplacer rapidement en fonction de leur emploi du temps, qu’il s’agisse d’aller donner une leçon à un particulier, de se rendre à une noce ou d’assister à un office ou une procession. Une situation analogue s’observe au Mans à la même époque118. Cette centralité résidentielle se double sans vraie surprise d’une prédilection marquée pour un habitat situé à peu de distance du lieu de travail principal du musicien. Les musiciens au service de Dieu logent une fois encore fréquemment près de l’église qu’ils desservent, à l’image du chantre André Ignace Fauverges qui vit à deux pas de la collégiale Saint-Pierre, rue de l’Épicerie119. Les quelques symphonistes des troupes pontificales demeurent non loin de leur caserne au palais des Papes, tandis que ceux qui œuvrent à la Comédie résident souvent dans ses parages. Le haute-contre théâtral Delaris Clarivelle habite ainsi « dans la petite rue près de la salle des spectacles » en 1784120.

  • 121 BM Avignon, ms. 2064, p. 233, 3 décembre 1791 ; AM Avignon, 1 E 3, no 403, 12 mai 1796.
  • 122 A. Bourde, « Recherches récentes sur la musique et les musiciens en Provence, à Avignon et dans le (...)

68Même s’il n’existe pas de quartier musicien à proprement parler, le secteur autour de l’hôtel de ville abrite un nombre assez considérable de domiciles de musiciens. La rue Géline, en particulier, accueille pas moins de cinq praticiens. Le trompette consulaire Joseph Xavier Fialon y loge par exemple avec sa famille en 1796, après avoir déménagé depuis la rue Philonarde, artère plus périphérique121. Le cœur du pouvoir municipal attire ainsi les professionnels de la musique, tout comme probablement la collégiale Saint-Agricol, pratiquement attenante à l’hôtel de ville. Celle-ci constitue en effet l’église la plus prestigieuse d’Avignon au niveau musical, avant même la cathédrale122. Il ne faut en outre pas oublier que Saint- Agricol abrite la confrérie Sainte-Cécile, ce qui joue vraisemblablement dans l’attraction que le bâtiment religieux exerce sur les musiciens, qui s’y rassemblent une fois l’an. Au voisinage de plusieurs institutions pourvoyeuses d’emplois – collégiale, hôtel de ville, Comédie –, cette zone aux alentours de l’actuelle place de l’Horloge représente l’épicentre des stratégies de domiciliation des musiciens de la cité pontificale.

  • 123 S. Gagnière, J. Granier, J-P. Poly (dir.), Histoire d’Avignon, Aix-en-Provence, Édisud, 1979, p. 47 (...)

69En termes d’immersion sociospatiale, les quartiers du centre- ville où choisissent principalement de s’installer les musiciens sont pour la plupart des secteurs commerçants, artisanaux et bourgeois. À l’inverse, les franges délaissées d’Avignon s’avèrent plus pauvres et abritent beaucoup d’ouvriers et de paysans123. Cela ne signifie pas, bien sûr, que les musiciens abandonnent entièrement ces zones périphériques. Au contraire, un certain nombre d’entre eux décide d’habiter non loin des remparts – mais toujours intra-muros –, au sud-est et à l’est, notamment les fabricants d’instruments. En somme, les musiciens avignonnais ne dévient guère de leurs confrères provençaux en ce qui concerne la localisation de leurs résidences. Leurs stratégies de domiciliation se révèlent globalement identiques : choix de l’intra-muros, proximité privilégiée avec le lieu de travail, concentration au sein de quartiers aux profils urbains marqués par l’artisanat et le commerce, souci d’adaptation à la clientèle en s’implantant dans des zones centrales permettant de desservir efficacement les moindres ruelles de la cité.

  • 124 Outre le fait que les musiciens sont eux-mêmes considérés comme des artisans par la majorité de la (...)

70Finalement, les stratégies de domiciliation des musiciens provençaux et pontificaux procèdent à la fois de leur environnement social, de leurs envies personnelles, de leurs contraintes financières et de leurs besoins professionnels. En fonction du profil géomorphologique de la cité au sein de laquelle ils vivent – taille, répartition sociospatiale, etc. –, les adresses où nous les trouvons varient de l’implantation en plein centre urbain à l’installation privilégiée dans certains quartiers, qu’ils soient neufs et aristocratiques – surtout à Marseille – ou, le plus souvent, dominés par l’artisanat, milieu dans lequel les praticiens se sentent visiblement le plus à l’aise124.

  • 125 AD 06, 7 B 907, 17 mars 1742.

71Bien entendu, ces constatations ne doivent pas oblitérer l’existence de mouvements internes à la ville à travers les déménagements qui émaillent l’existence des musiciens et qui induisent des changements de paradigme stratégique en fonction de leur évolution professionnelle et/ou personnelle. Ces circulations concernent au premier chef les musiciens gyrovagues, ceux qui viennent d’arriver en ville et qui peinent parfois à trouver un logement stable. Nous prendrons comme exemple significatif le cas de Vincent Archimbaud. Originaire d’Orange et reçu en qualité de maître de chapelle à la cathédrale Notre-Dame-du-Puy de Grasse en juin 1741, il commence par habiter chez le prêtre capiscol et manger à sa table avant de prendre rapidement une chambre à l’auberge des Trois Roys. Il retourne ensuite dans la maison du capiscol sur les instances d’un locataire de ce dernier, un procureur au siège de Grasse, qui l’enjoint à prendre son logement chez lui – probablement en sous-location. Après quelques mois, le torchon brûle entre l’avoué et le musicien. Archimbaud décide de quitter l’habitation le 8 décembre « à cause des mauvaises manières et mauvais traitements » du procureur – des insultes et des menaces physiques. Le maître de chapelle se réfugie alors chez un collègue, un prêtre bénéficier125. Il change ainsi trois fois d’adresse en l’espace d’à peine six mois !

72De même qu’ils manipulent le travail comme une ressource par le biais de stratégies comme la polyactivité ou la pluriactivité, les musiciens s’adaptent sans cesse à la cité où ils vivent. Ils s’y fondent et s’y meuvent au gré des circonstances et des opportunités qu’ils y trouvent, aussi bien personnelles que professionnelles, dans le but de gagner leur vie et, peut-être, de s’élever au sein de la société. Toutes ces stratégies professionnelles et résidentielles portent-elles leurs fruits ? Les musiciens parviennent-ils à vivre de leur art au siècle des Lumières, que ce soit en s’y consacrant à plein temps ou de manière partielle ? Pour le savoir, examinons maintenant leur niveau de vie.

Vivre de la musique ? Le niveau de vie des musiciens

  • 126 AM Arles, CC 117, fol. 419 et fol. 454, 1780.
  • 127 Ibid., CC 105, 1750 ; AM Aix-en-Provence, CC 65, 1741.
  • 128 AM Apt, CC 239 et 240, 1721 et 1753 ; AM Grasse, CC 5, 1730 ; AD 04, C 52, p. 39, 1789.
  • 129 AM Aix-en-Provence, CC 65, p. 644, 1741.
  • 130 Idem, p. 462.
  • 131 Il paie 6 livres à la capitation (AD 04, 1 Mi 5/40, fol. 4 v., 9 avril 1771 ; AM Forcalquier, CC 1, (...)

73Si le statut du musicien se révèle bel et bien précaire sur le papier, cela ne signifie pas qu’il sombre invariablement dans la misère à la première bourrasque. L’analyse de la capitation met en exergue des situations financières disparates parmi les musiciens de notre zone géographique. L’écart est impressionnant en 1780 entre l’ancien haute-taille cathédral George Vallière, qui s’acquitte de 21 livres d’impôt à Arles au titre de « bourgeois », et « l’ancien trompette » de la ville Benoît Benetin, qui paie 1 livre et 8 sols126. En règle générale, les capitations musiciennes se hissent au niveau de celles du petit artisanat urbain. La moyenne de la somme versée à l’administration royale par les musiciens arlésiens est ainsi de 3,80 livres en 1750, tandis qu’elle s’élève à 4,80 livres neuf années auparavant à Aix127. Sans trop de surprise, les musiciens des petites villes de Haute- Provence se révèlent plus pauvres que leurs homologues des opulentes cités occidentales128 – la capitation n’existe pas à Avignon et dans le Comtat Venaissin. Des hiérarchies se dessinent entre les catégories musicales au fil des montants. La précarité frappe principalement les joueurs d’instruments indépendants, qui se retrouvent souvent parmi les contribuables les moins taxés. Cet état de fait se remarque particulièrement dans la capitation aixoise de 1741. Le joueur de basson Blanc doit ainsi en théorie payer 3 livres d’impôt, mais il s’en voit dispensé car il « n’a rien129 ». De son côté, le « musicien » André Jean s’acquitte habituellement de 5 livres, signe d’une relative aisance. Il est toutefois « modéré » à 1 livre 10 sols cette année-là130. Tout ceci indique indubitablement que les trois praticiens traversent une mauvaise période financière. À l’inverse, les quelques organistes et maîtres de musique des églises recensés se situent invariablement dans la tranche supérieure des sommes versées par les musiciens à la capitation. La fortune des musiciens dépend aussi de leur seconde activité professionnelle lorsqu’ils en pratiquent une. Cette dernière leur rapporte parfois plus que la musique en elle-même. L’organiste forcalquiéren Pierre Feautrier, par exemple, exerce en parallèle en qualité de négociant et habite avec son père, tisseur à draps, ce qui n’est probablement pas étranger à sa réussite économique131.

74Bien évidemment, la capitation ne regroupe pas tous les musiciens d’une ville, et sa seule étude ne suffit pas à rendre compte des revenus de l’ensemble du corpus. Les prêtres en sont notamment dispensés. Il convient alors de se tourner vers les registres capitulaires et les comptes d’administration afin de connaître les gages des musiciens au service de Dieu, majoritaires au sein de notre échantillon. Le tableau suivant détaille leurs émoluments par spécialité – maître de chapelle, organiste, chanteur ou instrumentiste – et par tranche chronologique en suivant le siècle :

Tableau n 6 : Gages annuels moyens perçus par les musiciens d’Église en Provence et dans les États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle

Tableau n 6 : Gages annuels moyens perçus par les musiciens d’Église en Provence et dans les États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle
  • 132 F.-X. Emmanuelli, « Les fondements de l’époque moderne entre Rhône et Riviera », dans F.-X. Emmanue (...)
  • 133 AD 84, 10 G 9, 9 novembre 1770.
  • 134 AD 06, 1 G 36, 15 septembre 1710 ; AD 83, 1 L 1862, fol. 112, 11 novembre 1790.
  • 135 AD 13, 6 G 445, 2 janvier 1754.

75Avec un poste souvent à vie et donc une stabilité de l’emploi, les musiciens d’Église constituent incontestablement l’une des catégories musicales les plus enviables. Ce statut privilégié se répercute sur leur rémunération. Celle-ci se monte à une moyenne de 108 livres annuelles au début du siècle, toutes catégories confondues. Elle progresse ensuite à 118 livres au milieu de la période, puis à 203 livres autour de 1790. Cette augmentation financière constante s’avère commune à l’ensemble des métiers de la musique. Elle traduit en partie la réponse des employeurs à l’inflation régulière des prix au fil du siècle132. Les exemples abondent dans les sources, comme à la collégiale Saint-Didier d’Avignon, où les chanoines augmentent de trois livres les gages du maître de musique pour pallier « la cherté des vivres » en 1770133. De manière générale, les écarts salariaux entre les catégories de musiciens d’Église correspondent à la hiérarchie symbolique instrumentale analysée au début de cette étude : mieux considérée, la voix est aussi mieux rémunérée que l’instrument de musique, tandis que la respectabilité de l’organiste le place financièrement au-dessus de tous ses collègues au milieu du siècle. En charge du soin des enfants de chœur à la psallette, le maître de chapelle voit ses responsabilités récompensées par des gages globalement plus élevés que les autres musiciens, joueur d’orgue excepté. Quant aux choristes et aux instrumentistes, ils sont les seules catégories accusant une perte financière au milieu de la période, avant une remontée à la veille de la Révolution. Ce mouvement en cloche s’effectue en faveur de l’organiste, dont les émoluments augmentent spectaculairement en 90 ans. Ces moyennes dissimulent des situations économiques très diverses en fonction des endroits et des menses des chapitres. Les chantres de la cathédrale de Vence ne gagnent ainsi que 18 livres annuelles en 1710 – ce qui correspond au salaire le moins élevé enregistré à l’Église –, tandis que le maître de chapelle de Notre-Dame- de-la-Seds de Toulon, Jean-Noël Julien, touche près de 1000 livres par an au moment de la suppression de sa place en 1790 – un record134. Les plus gros traitements se concentrent dans les grandes cités d’Avignon et de Basse-Provence (Marseille, Aix, Toulon et Arles), avec des sommes atteignant fréquemment les 200-300 livres et des minimums à 50 livres. Les autres églises, plus modestes, peinent à proposer des salaires annuels dépassant 200 livres ; ils tournent le plus souvent entre 20 et 100 livres, avec un maximum de 300 livres pour l’organiste de Vence au crépuscule de l’Ancien Régime. Il ne faut en outre pas oublier que les musiciens bénéficiers, nombreux au sein des sanctuaires de Haute-Provence, tirent aussi un revenu de leur bénéfice. Par exemple, les « prêtres numérotés » choristes de La Major de Marseille perçoivent au total 400 livres par an au milieu du siècle, musique et revenus ecclésiastiques compris135. Ce traitement contrebalance la modicité des appointements musicaux de certains hommes de Dieu.

  • 136 Jeanselme, « L’Académie de musique… », art. cité, p. 103-104 ; AD 84, 3 E 26/2233 et 2235, 1749 et (...)
  • 137 AM Aix-en-Provence, CC 65, p. 302 et p. 672, 1741.

76En dehors de l’Église, les musiciens d’académie touchent des honoraires intéressants. Là aussi, l’échelle des émoluments dépend de la place instrumentale occupée. La prépondérance des chanteuses solistes se révèle très nette, avec l’existence d’une véritable ligne de fracture salariale par rapport à leurs collègues instrumentistes. À Aix, les premières divas du Concert perçoivent entre 1400 et 1800 livres par an en 1756, alors que le joueur de hautbois ne gagne que 72 livres et que les gages de l’instrumentiste le mieux rémunéré, le second dessus de violon, se montent à 200 livres. Globalement, les rémunérations annuelles oscillent entre 100 et 1800 livres à Aix, entre 300 et 900 livres à Carpentras136. Il faut rajouter à cela le surplus de revenus lié à la multiplication des employeurs – les musiciens des académies aixoises et marseillaises travaillant aussi au théâtre – ainsi qu’à une autre activité professionnelle pour certains, et nous obtenons une relative aisance pour cette catégorie de musiciens, discernable à travers la capitation. Le « violon du Concert » Marc Carpillety s’acquitte ainsi de 4 livres d’impôts dans la capitale provençale en 1741, tandis que la « chanteuse au Concert » Leynée en paie 6 livres137. Souvent bien supérieurs à ceux des musiciens d’Église, les salaires des praticiens d’académie compensent une instabilité de l’emploi plus marquée du fait des risques de difficultés financières et de faillite des Concerts.

  • 138 Cheilan-Cambolin, Un aspect de la vie musicale à Marseille…, op. cit., p. 354-356. Une fois encore, (...)
  • 139 Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 331-332.
  • 140 Ibid., p. 331 ; AD 13, 32 J 5, fol. 1, 1777 ; BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), p. 130-131, 10 f (...)

77Les musiciens des Comédies s’en sortent bien aussi. Si l’orchestre de l’Opéra de Marseille meurt de faim en 1707 à la suite de l’écroulement du théâtre, ses salaires paraissent enviables en période normale. Comparables à ceux des académies, les émoluments des musiciens de cet établissement varient entre 200 et 1200 livres annuelles en 1727138. 49 ans plus tard, les honoraires musicaux explosent à la Comédie d’Aix, dont le spectacle rencontre un grand succès auprès du public, concurrençant le Concert. Les musiciens de l’orchestre gagnent entre 600 et 1200 livres par an, tandis que les chanteurs émargent jusqu’à 2550 livres pour les plus talentueux139 ! Là encore, le cumul des postes assure de très juteux profits à son bénéficiaire, à l’instar du violoniste François Moria, qui reçoit 12 livres par représentation au théâtre aixois pour un total de 1200 livres en 1776, tout en se produisant en même temps à l’académie aux gages annuels de 750 livres140.

  • 141 Pardoen, Du sabre à la baguette…, op. cit., p. 196, p. 202, p. 205-206, p. 208 et p. 210.
  • 142 SHDT, 2 E4 18 et 66, fol. 73 v. et fol. 51, janvier 1721 et janvier 1785.
  • 143 AD 83, 3 E 2/228, fol. 1259, 3 juin 1722.
  • 144 Ibid., 3 E 6/243, fol. 452, 15 octobre 1743.

78Du côté des musiciens militaires, les soldes versées par l’armée les placent bien au-dessus des hommes de troupe ordinaires, signe de reconnaissance de l’importance de leurs talents. En 1788, un tambour reçoit ainsi entre 6 et 7 sols 6 deniers journaliers, pendant qu’un tambour-major en gagne 15 sols 6 deniers. Monté sur un cheval blanc et faisant figure de diplomate, le trompette touche 13 sols 6 deniers par jour, soit autant qu’un maréchal des logis. Quant aux musiciens d’harmonie, leur solde de 10 sols 6 deniers les rapproche presque des bas-officiers. À l’inverse, les praticiens gagistes obtiennent souvent une rémunération plus que modeste, car tirée directement de la caisse des officiers141. Rappelons en outre que le logement et la nourriture des militaires musiciens sont entièrement pris en charge par l’intendance142. Cela n’empêche pas d’énormes disparités entre les situations financières personnelles des musiciens militaires. En 1722, le hautbois des gardes de la Marine toulonnaise Médard Charbonnier contracte un beau mariage en épousant une fille de marchand drapier qui lui apporte 8000 livres de dot, dont une maison. Lui-même effectue un apport considérable de 3000 livres à son ménage, ce qui indique un niveau de vie confortable143. A contrario, le tambour de la Marine Jean-Louis Aubin déclare ne posséder aucun bien meuble ni immeuble lors de ses noces 20 ans plus tard, et il ne peut assurer que 45 livres à sa future épouse144.

  • 145 AM L’Isle-sur-la-Sorgue, fonds Joannis, vol. 6 bis, pièce I, p. 24-25, 1721 ; AM Cavaillon, CC 25, (...)

79Quant aux musiciens municipaux, ils ne baignent vraisemblablement pas dans l’aisance. Parfois payés avec du retard, ils jouent au final assez rarement – une semaine par an maximum à Apt – pour une rémunération plutôt modique. À L’Isle, le tambour de la ville gagne 36 livres annuelles, alors qu’à Cavaillon, le fifre et les deux tambours en reçoivent… quatre145. Rien d’étonnant à ce que les praticiens communaux se tournent vers un autre métier plus alimentaire, parfois même toujours au service des édiles. Ici, le trompette municipal paraît constituer l’exception. En plus de jouir d’une image prestigieuse de représentant du pouvoir public, il bénéficie de gages annuels bien plus avantageux, qui démarrent à 40 livres pour la communauté la moins prodigue – Avignon au milieu du siècle – et plafonnent à 600 livres pour la municipalité la plus généreuse – Aix autour de 1790, qui couve le mieux ses quatre trompettes. Les trompettes provençaux et comtadins gagnent en moyenne 103 livres par an au début de la période, 143 livres dans les années 1750-1770 et 295 livres au moment de la Révolution. Ces revenus les hissent au niveau des musiciens d’Église.

  • 146 AN, DXIX/062/312/12, 13 juillet 1790 (je remercie Sylvie Granger pour cette référence).

80Difficile de déterminer avec précision les rémunérations des autres métiers de la musique, surtout les musiciens de rue et ceux qui travaillent pour des particuliers. Les fabricants d’instruments nous semblent parvenir à gagner leur vie sans trop de problèmes, particulièrement les facteurs d’orgues. L’Arlésien Antoine Gibert confirme que la facture nourrit son homme. Envoyant une supplique au comité ecclésiastique afin d’obtenir une pension en 1790, il déclare que « tous les corps religieux, les chapitres de la Provence, du Languedoc et du Dauphiné ont fourni suffisamment a ses besoins et a ceux de sa famille soit par les orgues qu’il leur a faites soit pour les réparer146 ». Encore faut-il, bien sûr, que ces facteurs trouvent un chantier. Cela les pousse à voyager régulièrement dans la région et ses alentours : la mobilité fait pleinement partie de leurs stratégies professionnelles.

  • 147 AM Aix-en-Provence, FF 71 et 93, 7 mars 1718 et 12 août 1762.
  • 148 Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 1 386.
  • 149 AD 13, 140 J 28, 24 février 1749 ; 140 J 58, p. 11 et p. 43, janvier 1794.

81Tout ceci concerne essentiellement les revenus que tirent les musiciens de leurs employeurs principaux. Il ne convient évidemment pas d’oublier les activités musicales annexes que les praticiens exercent à côté, et notamment l’enseignement. Les rares informations dont nous disposons à ce sujet laissent transparaître des leçons particulières de musique au prix ordinaire de 2 ou 3 livres mensuelles. À Aix, Esprit Falque montre à jouer du hautbois pour la première somme en 1718, tandis que, moins d’un demi-siècle plus tard, Joseph Maurel demande 3 livres pour un mois d’apprentissage du galoubet147. Cette échelle de prix se situe un peu en dessous de celle observée au Mans à la même époque, où les leçons de musique se paient entre 5 et 6 livres mensuelles pour une clientèle ordinaire148. Sans surprise, les prix des leçons s’envolent lorsqu’il s’agit d’enseigner à des enfants de l’aristocratie. Au sein de la famille marseillaise de Foresta, le maître de musique de la jeune demoiselle prend 8 livres par mois au mitan du siècle. Dans les années 1790, il gagne 18 livres mensuelles, pendant que le maître de clavecin en touche 50 et celui de violon 30149.

  • 150 Mussat, Musique et société…, op. cit., p. 80-82 ; J.-E. Doussot, Musique et société à Dijon au sièc (...)
  • 151 Cité par Cheilan-Cambolin, Un aspect de la vie musicale à Marseille…, op. cit., p. 304.

82Entre aisance et précarité, la palette des revenus des musiciens se révèle aussi protéiforme que la réalité de leur métier. Nullement caractéristiques de la région, ces disparités financières se rencontrent également à Rennes, à Dijon et même chez les musiciens aristocratiques parisiens150. Au sein de notre zone géographique, les musiciens s’en sortent le mieux dans les théâtres et les académies de musique, où ils peuvent gagner de véritables fortunes en cumulant les emplois. L’armée leur offre des soldes relativement confortables, tandis que l’Église leur permet souvent de gagner honnêtement leur vie, surtout lorsqu’ils sont organistes ou maîtres de chapelle. En revanche, les municipalités n’entretiennent pas très bien leurs musiciens, trompette consulaire excepté. Les choses se compliquent en dehors des institutions. L’incertitude des engagements et l’espacement parfois important de ces derniers font que les musiciens indépendants, non rattachés à un employeur fixe, constituent la catégorie musicale la plus fragile. À Marseille, par exemple, le violoniste Esprit Azan laisse en 1717 un héritage « de si petite considération qui ne saurait arriver à 200 livres151 ». Par conséquent, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’une partie des musiciens se lance dans la pluriactivité de survie, notamment dans les petites villes provençales ou comtadines où la vie musicale tourne beaucoup autour de l’église et se trouve accaparée par les musiciens de la cathédrale.

83Gagner sa vie, réussir à se nourrir, soi et les siens, constitue une interrogation centrale et une inquiétude majeure pour la plupart des hommes et des femmes d’Ancien Régime. Les musiciens n’y échappent pas. Bien au contraire, la fragilité inhérente à leur statut professionnel fait résonner cette question avec d’autant plus d’acuité, puisque même un emploi fixe ne leur garantit pas une sécurité matérielle. Nous les voyons par conséquent déployer des trésors d’ingéniosité afin d’améliorer leur quotidien financier et de consolider leur position sociale. Manipulant la ressource travail en tous sens, les musiciens explorent et exploitent la moindre facette de leur métier en fonction de leur situation et de leurs besoins. Ils affermissent leurs revenus musicaux en les optimisant de différentes manières, les multiplient en diversifiant les employeurs ou en développant des branches annexes de l’art d’Euterpe – enseignement, composition, etc. À cette polyactivité interne s’ajoute dans certains cas une pluriactivité externe, contrainte ou choisie selon les situations, qui consiste à exercer une profession entièrement étrangère à la musique.

84Ces stratégies professionnelles portent leurs fruits. Globalement, les musiciens parviennent à gagner leur vie, comme le montrent les échelles de revenus, même si cela peut impliquer de cumuler la musique avec une autre activité. Les niveaux de vie, fort disparates en fonction des catégories de musiciens, révèlent des individus qui, s’ils frôlent l’indigence et tutoient la précarité à plusieurs reprises, réussissent à garder la tête hors de l’eau malgré tout. Une partie d’entre eux évolue même dans une certaine aisance, à défaut d’un grand luxe qui paraît réservé à une petite minorité.

85Tel violoniste de la Comédie décide de louer son archet aux cérémonies religieuses, tel autre privilégie la diversification de ses revenus en devenant perruquier ou taffetassier. Les stratégies professionnelles des musiciens se croisent et varient selon les parcours individuels. Elles ne se limitent toutefois pas à l’échelon personnel. Elles se fondent également dans la sphère domestique et permettent d’entrapercevoir l’action de la famille. Le noyau familial joue un rôle actif non négligeable. Il mise sur l’avenir musical d’un garçon prometteur en le plaçant comme enfant de chœur dans une maîtrise, ce qui débute sa carrière tout en assurant de nouveaux débouchés à la parentèle. De même, la famille peut assurer la formation du deuxième métier de son membre musicien lorsque ce dernier exerce le même que celui de son entourage. Elle représente ainsi un socle sûr sur lequel s’appuyer. Comme tout un chacun, le musicien n’évolue en effet pas seul au cours de son existence. Il se déplace au sein d’un certain nombre d’espaces sociaux.

Anmerkungen

1 AM Cavaillon, CC 25, fol. 28, 1773.

2 Fragilité inhérente à la condition d’artiste en général : Graceffa, « Le statut de l’artiste… », art. cité, p. 22-23.

3 AD 84, 6 G 136, 6 septembre 1721.

4 Perrenoud, « Formes de la démultiplication… », art. cité, p. 85.

5 BM Marseille, cote 4223, Journal de Provence, t. XXV, no 27, 2 juillet 1789, p. 210.

6 AD 13, 1 J 686, s. d., XVIIIe siècle.

7 Traversier, Gouverner l’opéra…, op. cit., p. 581.

8 Cité par Requier, « Les luthiers marseillais… », art. cité, p. 216.

9 AM L’Isle-sur-la-Sorgue, fonds Joannis, vol. 20, pièce XXIX, p. 346, 26 octobre 1786.

10 ASV, Congregazione Avignone, liasse no 200, 4 août 1787.

11 V. A. Stoichiţă, Fabricants d’émotions. Musique et malice dans un village tsigane de Roumanie, Nanterre, Société d’ethnologie, 2008, p. 193.

12 AD 84, 3 E 26/2093-2, fol. 81, 11 avril 1719.

13 AM Aix-en-Provence, FF 78, fol. 119 v., 12 janvier 1728.

14 AM Marseille, GG 189, 25 septembre 1786.

15 Ibid., EE 65, 28 octobre 1789.

16 Ibid., FF 311, fol. 129, 28 juillet 1758.

17 J. Élart, « Les origines du concert public à Rouen à la fin de l’Ancien Régime », Revue de musicologie, 93, 2007, p. 58 et p. 64 ; Taïeb, « Amateurs et professionnels… », art. cité, p. 69-74.

18 AM Marseille, FF 308, fol. 258 et 308 v., 11 avril 1737 et 28 mars 1738.

19 BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), 30 décembre 1774.

20 AD 06, 7 B 943, 3 septembre 1761.

21 SHDT, 2 E4 59, fol. 51, janvier 1785 ; AD 83, 1 L 1133, 24 mars 1791.

22 I. Handy, Musiciens au temps des derniers Valois (1547-1589), Paris, Honoré Champion, 2008, p. 74.

23 BM Marseille, cote 4223, Journal de Provence, t. XXIV, no 1, feuille du 1er janvier 1789, p. 4.

24 W. Weber, « The Musician as Entrepreneur and Opportunist, 1700-1914 », dans W. Weber (ed.), The Musician as Entrepreneur…, op. cit., p. 11 ; Hennebelle, De Lully à Mozart…, op. cit., p. 333-344.

25 P. Gerbault, Le personnel des chapitres cathédraux et collégiaux du département de Vaucluse au moment de leur suppression, Frigolet, dactylographié, 1977, p. 53.

26 Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 1 048.

27 AD 13, 6 G 443, 24 septembre 1727.

28 Ibid., 2 G 496, 6 mai 1773.

29 AD 13, 6 G 444, 4 décembre 1737.

30 Ibid., 4 G 88, 13 juillet 1756.

31 Ibid., 140 J 48, pièce justificative no 65, 1er juillet 1767.

32 Ibid., 2 G 494, 23 mai 1725.

33 BM Arles, ms. 379, p. 207, septembre 1786.

34 AD 13, 6 G 442, 9 novembre 1701.

35 C. Demasures, Pieces de Simphonie à quatre parties pour les violons fluttes et hautbois rangées ensuites sur tous les tons, dédiées à la Reine d’Espagne, exécutées devant Sa Majesté Catholique, composées par Charles Desmasures organiste de l’eglise de Marseille, Marseille, gravé par Joseph Aubergier, 1702.

36 D. Hennebelle, « Un observatoire du patronage musical au XVIIIe siècle : les épîtres dédicatoires », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 56-2, 2009, p. 32.

37 Desmasures, Pieces de Simphonie…, op. cit., cité par Maillard, « Existe-t-il une musique… », art. cité, p. 180.

38 Granger, Musiciens dans la ville…, op. cit., p. 85.

39 BM Carpentras, ms. 1441, 9 juillet 1755.

40 AD 84, 3 E 12/1683, fol. 329, 14 mai 1786.

41 40 Sur les Hill, voir A. Gras, « Des musiciens anglais à Avignon au XVIIIe siècle. Les mécanismes d'une intégration sociale urbaine », Histoire urbaine, 49, 2017, p. 137-158.

42 AM Aix-en-Provence, FF 86, fol. 64 v., 23 octobre 1738.

43 Ibid., fol. 196, 21 mars 1740.

44 AD 13, 140 J 48, no 65, 1767-1768.

45 Ibid., 140 J 56, 19 avril 1794 ; AM Marseille, 2 I 172, no 1598, 26 octobre 1793.

46 AM Arles, GG 208, 24 octobre 1731, 21 août 1735, 7 avril 1742 et 12 juillet 1744.

47 J.-R. Caïn, R. Martin, L’Orgue dans la ville. Le Marseille des organistes, Marseille, Parenthèses, 2004, p. 320.

48 Ibid., p. 321 ; Gardeton, Bibliographie musicale de la France…, op. cit., p. 583.

49 C. Barjavel, Dictionnaire historique, biographique et bibliographique du département de Vaucluse. Recherches pour servir à l’histoire scientifique, littéraire et artistique, ainsi qu’à l’histoire religieuse, civile et militaire des villes et arrondissements d’Avignon, de Carpentras, d’Apt et d’Orange, Carpentras, chez Devillario, t. I, 1841, p. 125.

50 A. Antoine, M. Cocaud, « La pluriactivité dans les sociétés rurales. Approche historiographie », dans C. Cérino, A. Geistdoerfer, G. Le Bouëdec, F. Ploux (dir.), Entre terre et mer. Sociétés littorales et pluriactivités (XVe-XXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, p. 13-33 ; G. Le Bouëdec, « La pluriactivité dans les sociétés littorales (XVIIe-XVIIIe siècles), Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 109, 2002, p. 61-90.

51 A. Poitrineau, Remues d’hommes. Essai sur les migrations montagnardes en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.

52 C. Gurvil, « La pluriactivité des paysans parisiens au XVIe siècle : signe de précarité ou d’aisance ? », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, 123-1, 2011, p. 155.

53 Antoine, Cocaud, « La pluriactivité dans les sociétés rurales… », art. cité, p. 19-20.

54 Ibid., p. 20-22.

55 Graceffa, « Le statut de l’artiste… », art. cité, p. 17.

56 Voir par exemple J.-F. M. Heintzen, « Du ’’Joueur d’instruments’’ au ’’Maître-sonneur’’. L’instrumentiste traditionnel dans le centre de la France, XVIIe-XIXe siècle », dans Graceffa (dir.), Vivre de son art…, op. cit., p. 49-50 ; S. Granger, « Être organiste au village dans le Maine au XVIIIe siècle », La vie mancelle et sarthoise, 438, 2014, p. 36 ; Mussat, Musique et société…, op. cit., p. 65.

57 Perrenoud, « Formes de la démultiplication… », art. cité, p. 88-92.

58 AM Marseille, EE 158, 10 octobre 1723 ; AM L’Isle-sur-la-Sorgue, CC 62, fol. 36, no 52, 1712.

59 BM Avignon, ms. 3206, fol. 124, 28 février 1784 ; AM Carpentras, BB 261, fol. 368, 2 mars 1766.

60 Ce qui explique peut-être ses absences répétées au Concert en 1766 (Jeanselme, « L’Académie de musique d’Aix-en-Provence… », art. cité, p. 85).

61 L. Teisseyre-Sallmann, L’industrie de la soie en Bas-Languedoc (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, École des chartes, 1995.

62 AM Cavaillon, CC 315, no 13, 3 janvier 1701.

63 Ibid., CC 29, fol. 175 et 203 v., no 53 et no 17, 7 avril 1766 et 16 mai 1767.

64 AM Vaison, BB 29, p. 569-570, 26 décembre 1760.

65 AM Apt, CC 210, 30 juillet 1775.

66 Cité par Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 73.

67 AD 84, 3 E 6/262, fol. 967, 16 juillet 1788 ; AM Avignon, 1 E 319 et 321, no 716 et no 83,

11 novembre 1813 et 5 février 1815.

68 Barjavel, Dictionnaire historique…, op. cit., t. I, p. 124-125.

69 Ibid.

70 AD 84, 1 L 236, isle 113, no 8, an IV.

71 AD 13, 2 U 2/4618, 15 août 1801.

72 Gras, « Des musiciens anglais… », art. cité, p. 157.

73 BM Carpentras, ms. 1441, 30 décembre 1768.

74 AD 13, 4 G 90, 17 mars 1772 ; AM Arles, GG 138, fol. 14 v., 20 novembre 1777 ; CC 117, fol. 428 v, 1780.

75 AD 84, 1 L 403, 5 novembre 1797.

76 AM Grasse, AA 6, 19 octobre 1774.

77 AD 13, 203 E 5, fol. 4, 17 décembre 1798.

78 P. Guignet, Les sociétés urbaines dans la France moderne, Paris, Ellipses, 2006, p. 192-193.

79 L. Coste, Les bourgeoisies en France. Du xvie au milieu du XIXe siècle, Paris, Armand Colin, 2013, p. 88-89.

80 Guignet, Les sociétés urbaines…, op. cit., p. 195.

81 Coste, Les bourgeoisies…, op. cit., p. 94 ; I. Castaldo, Le quartier Mazarin. Habiter noblement à Aix-en-Provence (XVIIe-XVIIIe siècles), Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2011, p. 33-76.

82 Comme l’écrit Sylvie Granger, dont nous partageons entièrement l’avis : « Le choix d’un logement répond donc à de subtils équilibres. Au-delà des impératifs budgétaires, le musicien raisonne en fonction de ce qu’il perçoit intuitivement. Il analyse à sa manière la population de chaque quartier et se sent plus ou moins en symbiose avec elle ; il choisit de s’immerger dans tel ou tel environnement social, soit qu’il s’y reconnaisse d’emblée, soit qu’il désire s’y faire reconnaître. L’habitat est partiellement une projection de l’image que tout individu se fait ou veut donner de lui-même : cela vaut plus encore pour l’artiste, dont l’activité, publique, l’oblige à s’afficher au regard des autres. » (S. Granger, « Musiciens dispersés dans la ville. Localisation de l’habitat musicien au Mans, XVIIe-XIXe siècle », Histoire urbaine, 9, 2004, p. 78).

83 Ibid., p. 65-78 ; Mussat, Musique et société…, op. cit., p. 77-80 ; M.-C. Mussat, « Un groupe social méconnu : les musiciens dans les villes bretonnes à la veille de la Révolution », dans D. Tanguy (dir.), La Bretagne, une province à l’aube de la Révolution, Brest, Centre de recherche bretonne et celtique, 1989, p. 108 ; Hennebelle, « Un paysage musical de Paris… », art. cité, p. 97-100 ; Hennebelle, De Lully à Mozart…, op. cit., p. 289-303 ; N. Morales, L’Artiste de cour dans l’Espagne du XVIIIe siècle. Étude de la communauté des musiciens au service de Philippe V (1700-1746), Madrid, Casa de Velázquez, 2007, p. 283-296 ; É. Oriol, « Les musiciens étrangers à Rome au XVIIIe siècle à partir des Stati delle Anime. Insertion urbaine et professionnelle », Histoire urbaine, 33, 2012, p. 142-145 ; Oriol, Vivre de la musique à Rome…, op. cit., p. 236-241.

84 M. Traversier, « Le quartier artistique, un objet pour l’histoire urbaine », Histoire urbaine, 26, 2009, p. 10-12.

85 AM Marseille, EE 158, 10 octobre 1723.

86 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1771 et 1785, p. 52 et p. 67.

87 Granger, « Musiciens dispersés dans la ville… », art. cité, p. 70 ; Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 492 ; Mussat, « Un groupe social méconnu… », art. cité, p. 108 ; Mussat, Musique et société…, op. cit., p. 79.

88 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1770, p. 193.

89 AM Marseille, 2 I 172, no 8, 13 novembre 1793.

90 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1775 et 1777, p. 56 et p. 68.

91 M. Vovelle, Les sans-culottes marseillais. Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme (1791-1793), Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2009, p. 71-72.

92 Ibid., p. 72.

93 Ibid., p. 43 et p. 73.

94 AM Marseille, GG 252, 11 janvier 1754 ; Cheilan-Cambolin, Un aspect de la vie musicale…, op. cit., p. 72-73.

95 Vovelle, Les sans-culottes marseillais…, op. cit., p. 43.

96 Ibid., p. 72.

97 AM Marseille, 2 I 172, no 2659, 5 novembre 1793 ; 1 E 116, 7 février 1798.

98 AD 13, EPSI 2, Almanach historique de Marseille, 1787, p. 68 ; Cheilan-Cambolin, « L’Académie de musique… », art. cité, p. 69.

99 AM Marseille, GG 283, 11 juillet 1785 ; 2 I 172, no 1190, 23 octobre 1793.

100 E. Le Roy Ladurie, « Les cités du sang bleu », dans G. Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t. III, La ville classique de la Renaissance aux Révolutions, Paris, Seuil, 1981, p. 391-407. Voir aussi M. Cubells, La Provence des Lumières. Les parlementaires d’Aix au XVIIIe siècle, Paris, Maloine, 1984.

101 Castaldo, Le quartier Mazarin…, op. cit.

102 J. Carrière, La population d’Aix-en-Provence à la fin du XVIIe siècle. Étude de démographie historique d’après le registre de capitation de 1695, Aix-en-Provence, Publications des annales de la faculté des lettres, 1958, p. 96.

103 Ibid. ; J.-P. Coste, La ville d’Aix en 1695. Structure urbaine et société, Aix-en-Provence, La Pensée universitaire, 1970, p. 1 021-1 023.

104 AM Aix-en-Provence, CC 16, quartier Saint-Jean, isle 44, maison 4, 1704 ; Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 33.

105 Carrière, La population d’Aix…, op. cit., p. 96.

106 I. Castaldo, « Une opération politique d’urbanisme à Aix-en-Provence. Mutations de l’habitat et de l’habitant au quartier Mazarin (XVIIe-XVIIIe siècles) », Rives méditerranéennes, 42, 2012, p. 109-110.

107 Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 492 ; Coste, La ville d’Aix en 1695…, op. cit., p. 1 023 ; AM Aix-en-Provence, CC 65, p. 717, 1741.

108 Ibid., CC 16, quartier des Cordeliers, isle 1, maison 1, 1704.

109 L’ennui ressenti par une partie de la bonne société aixoise oisive est assez célèbre aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il se trouve documenté par des témoignages comme ceux du comte de Villeneuve ou de la marquise de Simiane, qui affirme en 1733 qu’« il y a beaucoup d’ennui et de solitude dans cette ville ; il faut se suffire à soi-même, et il faut être bien fort pour cela » (cité par Coste, La ville d’Aix en 1695…, op. cit., p. 1 094-1 095).

110 Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 78.

111 O. Caylux, « Le cadre urbain et architectural de la société arlésienne aux XVIIe et XVIIIe siècles », dans J.-M. Rouquette (dir.), Arles. Histoire, territoires et cultures, Paris, Imprimerie nationale, 2008, p. 675-676.

112 P. Payn-Échalier, « La noblesse et la bourgeoisie ou l’élite arlésienne au XVIIIe siècle », dans Roche (dir.), La République des lettres…, op. cit., p. 244.

113 O. Caylux, Arles et la peste de 1720-1721, op. cit., p. 25. Voir aussi G. Pichard, « Le monde paysan arlésien », dans Rouquette (dir.), Arles…, op. cit., p. 617-625.

114 P. Payn-Échalier, Les Marins d’Arles à l’époque moderne, Aix-en-Provence, Publications de l’université de Provence, 2007, p. 196-200.

115 AM Arles, EE 22, paroisse Saint-Lucien, isle no 81, 1789.

116 Payn-Échalier, « La noblesse et la bourgeoisie… », art. cité, p. 244.

117 AM Arles, EE 22, paroisse Sainte-Anne, isle no 96, maison 13, 1789.

118 Granger, « Musiciens dispersés dans la ville… », art. cité, p. 76.

119 AD 84, 1 L 236, isle 97, no 7, an IV.

120 Ibid., B Rote 204, fol. 884 v., 11 avril 1784.

121 BM Avignon, ms. 2064, p. 233, 3 décembre 1791 ; AM Avignon, 1 E 3, no 403, 12 mai 1796.

122 A. Bourde, « Recherches récentes sur la musique et les musiciens en Provence, à Avignon et dans le Comtat à l’époque du Baroque et du Rococo : structures et signification sociales et culturelles », Provence historique, 121, 1980, p. 271.

123 S. Gagnière, J. Granier, J-P. Poly (dir.), Histoire d’Avignon, Aix-en-Provence, Édisud, 1979, p. 479.

124 Outre le fait que les musiciens sont eux-mêmes considérés comme des artisans par la majorité de la société, cet ancrage géographique artisanal se renforce probablement par le fait qu’ils s’avèrent bien souvent issus de familles d’artisans urbains – voir chapitre 5.

125 AD 06, 7 B 907, 17 mars 1742.

126 AM Arles, CC 117, fol. 419 et fol. 454, 1780.

127 Ibid., CC 105, 1750 ; AM Aix-en-Provence, CC 65, 1741.

128 AM Apt, CC 239 et 240, 1721 et 1753 ; AM Grasse, CC 5, 1730 ; AD 04, C 52, p. 39, 1789.

129 AM Aix-en-Provence, CC 65, p. 644, 1741.

130 Idem, p. 462.

131 Il paie 6 livres à la capitation (AD 04, 1 Mi 5/40, fol. 4 v., 9 avril 1771 ; AM Forcalquier, CC 1, 1783).

132 F.-X. Emmanuelli, « Les fondements de l’époque moderne entre Rhône et Riviera », dans F.-X. Emmanuelli, M.-H. Frœschlé-Chopard, M. Lapied, M. Terrisse, M. Vasselin, La Provence moderne (1481-1800), Rennes, Ouest-France, 1991, p. 75-77.

133 AD 84, 10 G 9, 9 novembre 1770.

134 AD 06, 1 G 36, 15 septembre 1710 ; AD 83, 1 L 1862, fol. 112, 11 novembre 1790.

135 AD 13, 6 G 445, 2 janvier 1754.

136 Jeanselme, « L’Académie de musique… », art. cité, p. 103-104 ; AD 84, 3 E 26/2233 et 2235, 1749 et 1751.

137 AM Aix-en-Provence, CC 65, p. 302 et p. 672, 1741.

138 Cheilan-Cambolin, Un aspect de la vie musicale à Marseille…, op. cit., p. 354-356. Une fois encore, ce sont les chanteuses et les chanteurs solistes qui touchent les plus hauts salaires.

139 Jeanselme, Deux cents cinquante ans de vie musicale…, op. cit., p. 331-332.

140 Ibid., p. 331 ; AD 13, 32 J 5, fol. 1, 1777 ; BM Aix-en-Provence, ms. 1633 (1498), p. 130-131, 10 février 1775.

141 Pardoen, Du sabre à la baguette…, op. cit., p. 196, p. 202, p. 205-206, p. 208 et p. 210.

142 SHDT, 2 E4 18 et 66, fol. 73 v. et fol. 51, janvier 1721 et janvier 1785.

143 AD 83, 3 E 2/228, fol. 1259, 3 juin 1722.

144 Ibid., 3 E 6/243, fol. 452, 15 octobre 1743.

145 AM L’Isle-sur-la-Sorgue, fonds Joannis, vol. 6 bis, pièce I, p. 24-25, 1721 ; AM Cavaillon, CC 25, fol. 28, 1773.

146 AN, DXIX/062/312/12, 13 juillet 1790 (je remercie Sylvie Granger pour cette référence).

147 AM Aix-en-Provence, FF 71 et 93, 7 mars 1718 et 12 août 1762.

148 Granger, Les métiers de la musique…, op. cit., p. 1 386.

149 AD 13, 140 J 28, 24 février 1749 ; 140 J 58, p. 11 et p. 43, janvier 1794.

150 Mussat, Musique et société…, op. cit., p. 80-82 ; J.-E. Doussot, Musique et société à Dijon au siècle des Lumières, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 134 ; Hennebelle, De Lully à Mozart…, op. cit., p. 357.

151 Cité par Cheilan-Cambolin, Un aspect de la vie musicale à Marseille…, op. cit., p. 304.

Abbildungsverzeichnis

Titel Carte n 1 : La répartition des musiciens marseillais dans la ville (1723-1824)
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Titel Carte n 2 : Le quartier du nouveau théâtre de Marseille (à partir de 1787)
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Titel Carte n 3 : La répartition des musiciens aixois dans la ville (1695-1822)
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Titel Carte n 4 : La répartition des musiciens arlésiens dans la ville (1750-1808)
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Titel Carte n 5 : La répartition des musiciens avignonnais dans la ville (1713-1829)
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Titel Illustration n 2 : La localisation paroissiale des musiciens arlésiens au XVIIIe siècle
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Titel Tableau n 6 : Gages annuels moyens perçus par les musiciens d’Église en Provence et dans les États pontificaux rhodaniens au XVIIIe siècle
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