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Envoûtant Ventoux

 | 
Franck Petit

VI – Les bois, les truffes et la flore du Ventoux

Texte intégral

1– Le reboisement du Ventoux dans les années 18601

  • 1 Chondroyannis (P.), « Reboisement et gestion forestière au Mont Ventoux », in Etudes Vauclusiennes, (...)

1Les effets du surpâturage, le prélèvement excessif de bois, la pratique des essarts (cultures temporaires après défrichement) conduisent peu à peu, entre le XIVe siècle et le XIXe siècle, à un dénuement de la montagne, autant au nord qu’au sud. Il ne subsistait, en altitude, que des lambeaux de forêts, constitués de pins à crochets (sud), de sapins (nord), d’hêtres, ou des sujets vieux et isolés. Plus bas, on trouvait encore des taillis de chênes verts ou pubescents.

  • 2 Ningre (J.-M.), « Le Reboisement du Ventoux au siècle dernier », Les Carnets du Ven- toux, Déc. 199 (...)

2Depuis longtemps, ce déboisement progressif était dénoncé. Déjà, en 1549, une délibération des États du Comtat, suivie d’un rescrit du vice- légat, défendait de dépeupler les bois des montagnes pour les dommages que cela cause non seulement aux montagnes, mais encore au bas pays. Mais cette prescription, pourtant répétée, ne fut pas suivie. Il fallut attendre de graves inondations sur Bédoin, causées par le ruissellement des eaux sur le Ventoux lors d’orages violents, et un contexte législatif favorable au reboisement – les lois de restauration des terrains de montagne2– pour que la ville de Bédoin, la première, réagisse à l’initiative de son Maire Jean-Charles Eymard en 1858 – qui avait repris le flambeau de son père Jean-Joseph Eymard, précédent maire – face à ce que l’on peut appeler une catastrophe écologique. Il écrit alors au Préfet :

Pendant 38 ans de 1810 à 1848, mon père, alors maire de la commune, a lutté contre le Conseil municipal pour faire adopter le principe de l’exclusion progressive des troupeaux et la mise en réserve chaque année d’une certaine étendue de terrain pour y faire des reboisements. Ses efforts ont échoué contre la résistance de conseillers qui avaient pour la plupart des troupeaux dans la montagne. Ayant aujourd’hui la direction des affaires communales, j’ai pris à cœur cette question du reboisement dont à mon avis on ne saurait trop apprécier l’importance.

3Les premiers reboisements eurent lieu sur le versant sud vers 1860, en faisant appel à la technique des semis. En 1873, on a eu recours plus fréquemment à la technique des plantations. Les habitants de Bédoin furent sollicités pour aider aux opérations : les hommes étaient chargés de creuser les trous, pour 3 F. par jour ; des femmes et des enfants déposaient dans ces mêmes trous des glands sur des morceaux de poteries pour 1,5 F. par jour. Les pépinières furent créées sur place, ainsi que le réseau de routes ou pistes permettant de desservir les zones à reboiser.

Le choix des essences : cèdres, chênes, hêtres, pins

4Le choix des essences fut assez éclectique : on utilisa, aussi bien au sud qu’au nord, d’énormes quantités de glands en semis, avec une finalité truffière, notamment sur le versant sud. Le pin à crochets fut aussi très utilisé.

5Du côté de Bédoin, à l’initiative de l’Inspecteur forestier François Tichadou (assisté de Pélissier du Grès, chef de cantonnement à Carpentras), qui avait découvert l’essence du cèdre de l’Atlas en Algérie et qui en fit venir des barils de cônes, on ajouta ce type de conifère, aujourd’hui remarquable, en semis puis en plantation dès 1862. Le pin noir vit le jour aussi sur le versant sud, avec ce que l’on appelle encore aujourd’hui les pins de Perrache. Les travaux de reboisement se sont faits essentiellement sur la période 1861-1870. La répartition des dépenses à Bédoin fut de 3/9 pour le budget communal, 1/9 pour le département, 5/9 pour celui de l’État.

6Sur ce que l’on a appelé le « périmètre du Toulourenc » (Malaucène, Beaumont, Saint Léger, Brantes, Savoillan), l’État augmenta sa part de domaine, par acquisitions amiables. Sous l’influence de Demontzey, chef du Service Central des reboisements à partir de 1883, et de Sadrin, chef de cantonnement à Malaucène, le pin noir fut principalement employé, en mélange avec du pin sylvestre et le pin à crochets, dans les parties les plus hautes. Les travaux les plus importants eurent lieu de 1888 à 1902, avec des compléments jusqu’en 1936. Les hêtres furent plantés en complément des plantations résineuses, en mélange avec celles-ci, à partir de 1897.

7Enfin, sur les territoires de Sault et Aurel – dit périmètre de la Sorgue –, il fallut également passer par la pratique des acquisitions amiables au profit de l’État dès 1881. Deux inspecteurs adjoints – de Rouville et Tessier – ont mené les opérations avec succès. Les travaux de plantations commencèrent à Aurel en 1889 (après la construction d’une baraque en 1884 pour le logement des ouvriers), puis à Sault en 1891. La priorité fut donnée à Sault au pin à crochets et au pin sylvestre. Des semis de glands virent le jour à Sault en 1892, puis il y eut, en 1898, des plantations de hêtres à Aurel.

2– La cohabitation étagée de nombreux arbres et arbustes3 Les arbres à feuilles caduques

  • 3 Barbero (V. M.) et Quézel (P.), « La Végétation du Ventoux, diversité, stabilité et uti- lisation a (...)

8Le chêne blanc – dit également « pubescent » – est sans doute l’arbre le plus fréquent du Ventoux. Il se reconnaît à ses feuilles aux bords festonnés qui deviennent rousses en automne.

9À l’étage du chêne blanc, qui est aussi celui des érables, il n’est pas rare d’y voir s’y nicher des oiseaux tels que le geai des chênes, le pic épeiche, le pigeon ramier, la tourterelle des bois, le merle noir, le pinson des arbres, la grive musicienne et la grive draine. S’y retrouvent aussi le pouillot véloce, le pouillot de Bonelli, le roitelet huppé, le roitelet triple-bandeau, le pipit des arbres, la fauvette à tête noire et le rouge-gorge. Cet écosystème accueille encore l’accenteur mouchet, la mésange charbonnière, la mésange à longue queue, la sittelle torchepot, le grimpereau et le troglodyte. Des rapaces peuvent s’y plaire comme le circaete Jean-Le-Blanc – rapace le plus emblématique du Ventoux –, l’autour des palombes, le faucon pèlerin et même l’aigle royal (que l’on dit surtout présent dans les Monts de la vallée de la Nesque).

10Le chêne vert – dit aussi la « yeuse » – peut être présenté comme le roi de la forêt méditerranéenne. Il possède un feuillage persistant en hiver, qui ne cède qu’au printemps pour être remplacé. Solide, il peut vivre plusieurs dizaines, voire centaines d’années quand il se plaît. Son bois est dense et recherché pour le chauffage. À l’étage du chêne vert, où se mêlent aussi des chênes Kermès, on rencontre les trois types de fauvettes typiquement méditerranéennes : la fauvette mélanocéphale, la fauvette pitchou, la fauvette passerinette. Peuvent s’y joindre des espèces ubiquistes telles que le tarier pâtre, le serin cini, le chardonneret, le verdier, le bruant zizi, l’alouette des champs, l’alouette lulu et le pouillot véloce.

11Le chêne kermès possède des feuilles avec des dents piquantes, totalement glabres sur les deux faces. De petite taille, il se développe comme une broussaille. On le trouve dans la partie chaude de l’étage méditerranéen du Ventoux, c’est-à-dire sur la face sud ou ouest, le plus souvent en dessous de 400 mètres.

12Le hêtre – dit également « fayard » – se trouve surtout à l’étage montagnard du Ventoux. De petite taille – rabougri et tortueux ! –, il pousse souvent sans laisser de place aux autres espèces. Il est vrai que de vieux sujets de hêtres peuvent aussi se mélanger à des conifères. Cet arbre prisé en menuiserie attire des oiseaux tels que la mésange nonnette, le bouvreuil et le pic noir.

  • 4 Girerd (Bernard), « Les Erables du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2001, p. 74.

13On trouve sur le Ventoux des érables, souvent au milieu des hêtres, des chênes et des conifères. À l’automne, on les reconnaît par leur teinte rousse ou jaune d’or, contrastant avec le vert sombre des conifères. Les sycomores se reconnaissent aussi à leurs fruits qui se dispersent dans l’espace à l’aide de leurs petites ailettes – les « samares » – en forme d’hélice. Le plus répandu sur le Ventoux est l’érable Opale ou Duret : il se retrouve dans la chênaie pubescente et dans la hêtraie. Mais l’érable de Montpellier trouve aussi sa place, depuis la base du Ventoux jusqu’à 1000 mètres, dans l’étage des chênes pubescents, sur les deux versants. On peut enfin trouver, surtout à la base du versant nord, l’érable champêtre, qui se plaît dans les fonds de ravins propices à l’humidité. Également repéré sur le versant nord (Mont-Serein, Contrat), l’érable Sycomore est en revanche plus rare4. On peut aussi rencontrer des frênes, des merisiers, des pommiers sauvages, des noisetiers, des noyers (sur le versant nord)…

Les ancestrales charbonnières du Ventoux

14La production du charbon de bois sur le Ventoux a fortement participé à son déboisement. Les charbonniers s’y sont installés depuis le moyen- âge jusqu’au début du XIXe siècle, période à laquelle ils ont quitté le Ventoux, devenu pelé, pour coloniser les Monts de Vaucluse.

15Pour construire une charbonnière, que l’on appelait aussi une meule, il fallait rassembler entre 10 à 50 tonnes de bois, provenant essentiellement du hêtre, du chêne blanc et du chêne vert. La première opération stratégique consistait à choisir l’emplacement de la charbonnière, qui devait se situer à proximité de la source de combustible. Une fois taillées, les bûches étaient dressées par strate, autour d’une cheminée centrale. Il revenait ensuite au charbonnier de recouvrir la meule de terre humide et de feuillage pour en assurer l’étanchéité. La combustion était maîtrisée grâce au percement de « trous d’évent » dans le revêtement terreux. Quelques jours de « cuisson » suffisaient pour obtenir du charbon, après le défournement. Il fallait 5 tonnes de bois pour produire une tonne de charbon ; un des accidents que craignait le charbonnier était l’embrasement de la meule, entraînant la perte de sa production.

La diversité de conifères sur le Ventoux

16Aujourd’hui, on compte sur le Ventoux pas moins de neuf espèces de conifères. Les quatre premières sont d’origine naturelle : le pin d’Alep, le pin sylvestre, le pin à crochets et le sapin. Bien qu’utilisées pour le reboisement, les cinq autres se plaisent sur le Ventoux : le pin noir d’Autriche, le cèdre de l’Atlas, le pin maritime, le mélèze et l’épicéa. À titre encore marginal, on y trouve la présence de pins Cembro (caractérisés par des aiguilles regroupées par cinq et des cônes globuleux) et de sapins étrangers.

17Reconnaissable à son feuillage vert clair, à ses branches d’un gris argenté et à sa cime étalée, le pin d’Alep est un familier de la Provence, en général associé au chêne vert. Situé sur l’étage méditerranéen, il prospère sur la base du versant sud et sur les croupes occidentales jusqu’à 600 mètres d’altitude. Sa présence est très rare sur le versant nord.

18Reconnaissable par son feuillage vert glauque, ses feuilles courtes et son écorce orangée, le pin sylvestre remplace le pin d’Alep à partir de 500 mètres pour se mélanger avec le chêne pubescent. Cela en fait un arbre de l’étage montagnard, autant au sud qu’au nord du Ventoux. Il a été beaucoup utilisé lors du reboisement.

19Véritable spécialité du Ventoux, où il est apparu naturellement, le pin à crochets est reconnaissable à ses cônes luisants et dissymétriques dont les écailles sont surmontées, au moins d’un côté, d’un écusson recourbé en forme de crochet. On le trouve surtout à l’étage subalpin, au-dessus de 1 500 mètres, notamment sur la croupe sud-ouest. Exigeant en lumière, il se contente de sols rocheux et secs et supporte les climats rudes. Il colonise les endroits où les autres espèces ne peuvent s’implanter. Le pin à crochets peut être attaqué par un insecte, le sténographe. Son houppier peut abriter la chouette de Tengmalm, espèce rare et protégée. On y rencontre aussi le venturon, le bec-croisé des sapins et le bruant fou. À l’étage des pins à crochets, une végétation de plus en plus clairsemée attire ensuite le traquet motteux, la linotte mélodieuse, le pipit rousseline et le pipit sponcielle. Depuis le reboisement, une dizaine d’espèces, initialement présentes uniquement sur le versant septentrional du Ventoux, ont colonisé le versant méridional dont la buse variable, la grive musicienne et le merle à plastron.

20Le sapin a toujours eu sa place sur le Ventoux. Il se reconnait à ses cônes dressés – non pas pendants comme ceux de l’épicéa – et à ses aiguilles douces et plates qui sont disposées en peigne (de chaque côté du rameau), avec en dessous deux bandes blanches. En général, il pousse en altitude, au-dessus de 1 000 mètres, mais il n’est pas rare de le voir plus bas, autant sur le versant sud que nord du Ventoux, à la faveur de ravins frais. Il se mélange aux hêtres (on évoque alors le terme de hêtraie-sapinière) ou au buis (on évoque alors le terme de sapinière à buis). Au XXe siècle, entre Sault et le chalet Reynard, de nouvelles espèces de sapins ont été plantées, dont le sapin de Céphalonie, le sapin Nordmann et le sapin d’Andalousie.

21Le pin noir d’Autriche a colonisé le Ventoux au moment de son reboisement, sur les deux versants. Il se différencie des autres pins par son feuillage vert foncé et ses longues aiguilles, groupées par deux. Il couvre environ 300 hectares du Ventoux et forme un peuplement de belle qualité, quoique sensible aux attaques de la chenille processionnaire. Ce conifère cohabite facilement avec le pin sylvestre et résiste bien au froid, de même qu’à la sécheresse de l’air. Peu exigeant quant à la qualité du sol, il tolère les sols secs et calcaires. Pouvant atteindre 30 mètres de haut, cet arbre peut vivre jusqu’à 140 ans. Ce type de peuplement convient bien aux cerfs, attirés par les sous-bois peu denses. De bonne qualité – sauf s’il commence à abriter la chenille processionnaire –, son bois sert à la fabrication de poteaux, se prête bien au sciage et à la pâte à papier.

22Importé d’Afrique du Nord, où il se plaît particulièrement dans le massif montagneux de l’Atlas, le cèdre du même nom a été introduit en 1862 par l’Inspecteur des eaux et forêts Tichadou. Cet arbre d’allure majestueuse, à la fois imposant et gracieux, se reconnaît à son feuillage de couleur vert bleuté et particulièrement aéré, fait d’aiguilles courtes. Son introduction sur le Ventoux a été une complète réussite, à tel point qu’il n’est pas rare de considérer cette cédraie, avec celle du petit Lubéron, comme la plus belle et la plus importante de France.

23Le pin maritime dispose de très longues aiguilles et de très grands cônes. Introduit lors du reboisement, il se remarque à la base du flanc sud, au- dessus de Sainte Colombe, les Bruns et Saint Estève.

24Bien qu’il soit un conifère, le mélèze – qui produit un bois présumé imputrescible – supporte un feuillage caduc, qui adopte une teinte rousse à l’automne. Il a été introduit surtout sur le versant nord, dans l’étage montagnard au-dessus de 1500 mètres (Mont-Serein, Contrat).

  • 5 Girerd (Bernard), « Les Conifères du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2001, p. 57.

25L’épicéa n’est pas une espèce naturelle du Ventoux. Introduit à chaque étape du reboisement, il se trouve surtout sur le versant nord, notamment près du Contrat. On le reconnait à son tronc souvent long et dégarni, lorsqu’il colonise des formations denses5.

Les arbustes du Ventoux des étages collinéen et montagnard

26Le buis est présent au fond des ravins, toujours vert, surtout en forme de broussaille. Il se reconnaît à sa petite taille, à ses feuilles luisantes qui peuvent prendre en automne une teinte roussâtre. Lorsqu’il se plaît, il peut atteindre plusieurs mètres (par exemple dans la combe de Curnier), mais cela reste rare ; dans le Vaucluse, je n’ai découvert qu’une buxeraie : celle qui habite les gorges de la Nesque, sur les hauteurs du site abritant la chapelle troglodyte de Saint Michel, sur le territoire de Monieux.

27Le troène commun est présent sur le Ventoux, dans les clairières et bordures forestières, jusqu’à 1 000 mètres d’altitude. Il est reconnaissable à ses feuilles allongées ainsi qu’à ses fleurs blanches, en grappes pyramidales et denses.

  • 6 Girerd (Bernard), « Arbustes fleuris du Ventoux : les genêts », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestr (...)

28On trouve sur le Ventoux diverses variétés de genêts – genêt cendré, genêt d’Espagne, genêt scorpion –, reconnaissables à leurs fleurs jaunes caractéristiques, qui se développent sous forme de rameaux denses dans les clairières6.

  • 7 Girerd (Bernard), « Les Sorbiers et la viorne Lantane », Les Carnets du Ventoux, 1er trimestre 2002 (...)

29Les sorbiers sont également nombreux dans les forêts, les landes et les friches du Ventoux7. Ce sont des arbres de taille modeste à feuilles caduques, avec des fleurs blanches à cinq pétales, groupées en bouquets terminaux, et des fruits charnus, sphériques ou piriformes.

  • 8 Girerd (Bernard), « Les Nerpruns, les filaris et le troène », Les Carnets du Ventoux, 1er trimestre (...)
  • 9 Girerd (Bernard), « Les petites fougères du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2005, p (...)

30Dans les friches et les garrigues rocailleuses, il est possible d’apercevoir le filaria à feuilles étroites. Le filaria à larges feuilles aime en revanche pousser un peu plus haut en altitude8. Dans les fissures des parois rocheuses ou dans les stations forestières rocailleuses, il existe aussi de petites fougères9 qui dépassent rarement 30 centimètres.

31Le Marsault est un saule que l’on repère dans les parties fraîches des forêts du nord du Ventoux (Mont-Serein, Contrat). C’est un petit arbre reconnaissable à ses feuilles caduques, de forme ovale et allongée, très velues en dessous, glabres en dessus. On rencontre aussi le groseillier des Alpes sur le Ventoux, plutôt dans les forêts ombragées et les rocailles peu ensoleillées à partir de 500 mètres jusqu’au sommet. Il porte des fruits rouges sans goût et des feuilles à trois lobes dentés.

32Le cytise des Alpes, arbuste très décoratif de 2 à 4 mètres, présente de belles grappes de fleurs jaunes et pendantes. Dans le Ventoux, il est fréquent dans tout l’étage montagnard, sur les deux versants. Il en existe de beaux sujets près de la cabane du Contrat et des populations importantes près du Ventouret au-dessus de Sault. Portant un nom comparable, le cytise à feuilles sessiles diffère de la précédente par sa taille plus petite (1 à 2 mètres). Il produit aussi de magnifiques fleurs jaunes en grappes. On peut le trouver dans la vallée, au milieu des champs de chênes truffiers. Présent sur les flancs du Ventoux, il affectionne les bois clairs, les broussailles et les garrigues des deux versants, mais surtout l’étage du chêne pubescent et jusqu’à 1 500 mètres d’altitude.

33Le sureau à grappes, reconnaissable à ses grappes de baies rouges, pousse discrètement dans les clairières et dans les coupes de hêtraies du versant nord (Mont-Serein, Contrat).

  • 10 Girerd (Bernard), « Cinq arbres et arbustes montagnars : marsault, groseillier des Alpes, cytise de (...)

34Le framboisier est également présent, dans des proportions assez importantes, sur les parties hautes du Ventoux10.

35On rencontre aussi sur le Ventoux quatre espèces de nerpruns, arbustes ne dépassant pas les 3 mètres, principalement dans les bois des étages collinéen et montagnard (nerprun alaterne, nerprun des Alpes, nerprun des rochers – dit également des teinturiers –, nerprun purgatif). On les reconnaît à leurs fruits globuleux de petite taille, non comestibles, et à leurs très petites fleurs verdâtres.

  • 11 Girerd (Bernard), « Buis, chèvrefeuilles, Sainte-Lucie et baguenaudier », Les Carnets du Ventoux, 3(...)

36De manière assez irrégulière et dispersée, on peut enfin repérer sur le Ventoux les espèces suivantes : des cornouillers, des grandes coronilles, des cistes cotonneux, des fusains, des térébinthes, du fustet, des viornes Lantane, des amélanchiers, des Sainte Lucie, des baguenaudiers11, des chèvrefeuilles et des clématites.

Les arbustes piquants du Ventoux

  • 12 Girerd (Bernard), « L’amélanchier et les genévriers dans le Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 2e t (...)

37Le genévrier est très présent sur le Ventoux. On le trouve sous trois formes : genévrier commun, genévrier oxycèdre et genévrier de Phénicie. Il est capable de coloniser les friches les plus défavorisées et tend à prendre une allure étalée en altitude12.

38Sont également fréquents les églantiers, remarquables pour la splendeur de leur floraison (fleurs allant du blanc pur au rose vif) et pour le rouge très brillant de leurs fruits charnus (les cynorhodons). La plupart des églantiers ont des épines redoutables. On les trouve aussi bien en bas qu’en haut du Ventoux. Ils se plaisent dans tous les milieux et toutes altitudes.

39Dans les bois et clairières du Ventoux, il est possible de reconnaître l’aubépine monogyne, caractérisée par des feuilles profondément lobées, des fleurs à un seul style et des fruits à un seul noyau.

40On peut aussi observer des poiriers sauvages : l’un, dit poirier commun, est présent surtout sur le versant nord. Il se reconnait à ses feuilles largement ovales et à ses petites poires dures, âpres et granuleuses, que l’on cueille pour la distillation en vue de produire du poiré. L’autre, dit poirier-amandier, se reconnait par ses feuilles allongées et ses petites poires sphériques. Il a sa place sur le Ventoux depuis la base du massif jusqu’à 1 000 mètres dans les endroits rupestres, arides et dégradés.

41Le prunellier colonise également les bords des cultures, les friches et les lisières de bois dans le massif du Ventoux, depuis la base jusqu’à la limite des forêts. Il se reconnaît par ses fruits d’un bleu-noirâtre, qui peuvent servir à la fabrication d’une eau-de-vie.

  • 13 Girerd (Bernard), « Quelques arbustes piquants du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2 (...)

42On trouve aussi sur les flancs du Ventoux, dans une moindre mesure, le paliure, appelé aussi épine-du-Christ13, et le houx, reconnaissable à ses fruits rouges et luisants.

3– La diversité de la flore

43Pour « herboriser », il fallait au XVIIIe siècle grimper à pied ou à dos de mulets, avec parfois une halte nocturne au Jas des Pèlerins. Mais il fallait aussi être prêt à subir les quolibets des gens d’en bas, qui ne saisissaient pas l’intérêt immédiat de ce type inhabituel de démarche. En 1778, Michel Darluc fut un des premiers savants à s’intéresser à la flore du Ventoux de manière méthodique :

La plupart des plantes du Mont Ventoux paroissent appartenir aux Alpes… Le peuple leur attribue de grandes vertus ; les herboristes qui y viennent, sont pour la plupart de misérables charlatans qui l’entretiennent dans cette veine crédulité. Les paysans que nous rencontrions s’imaginoient que nous allions à la découverte de quelques riches mines cachées dans le sein de la montagne, ou bien à la recherche de quelques plantes rares, propres à prolonger la vie des hommes, puisque nous nous exposions à tant de fatigues : ils en revenoient toujours là et nous répétoient bonnement qu’on prolongeroit sa carrière au-delà de plusieurs siècles, si l’on connaissoit les propriétés de celles qui naissent dans ces lieux heureux (Extrait de l’Histoire de la Provence).

Les classiques « herbes de Provence »

  • 14 Pellecuer (Jacques), « Une Plante aromatique au service de l’homme : la sariette des montagnes », L (...)

44Sur de grandes surfaces du Ventoux, la végétation est constituée de thym, de romarin et de lavande. La Sariette des montagnes y est également présente14. La plupart de ces espèces – que l’on présente comme les « herbes de Provence » – sont récoltées pour l’usage condimentaire et très utilisées dans l’industrie aromatique ainsi qu’en thérapeutique.

Les fleurs médicinales

  • 15 Afzal-Rafil (Z.) et Viano (J.), « Les Plantes aromatiques et médicinales : sur quelques problèmes c (...)

45On trouve sur le Ventoux de nombreuses fleurs médicinales15. Il y a des aspérules odorantes, également désignées petits muguets ou reines des prés. Elles sont utilisées pour parfumer les liqueurs. Les plantes séchées sont censées protéger le linge contre les insectes. Elles ont des vertus diurétiques, sudorifiques, calmantes et antinévralgiques. Dotée de feuilles blanches et soyeuses au-dessous, l’inule des montagnes y trouve aussi sa place ; nommée parfois arnica du Ventoux, elle a des propriétés vulnéraires.

46Connu pour ses vertus diurétiques et astringentes, le raisin d’ours, présent sur le Ventoux, a la particularité d’avoir des fruits comestibles, alors que les rameaux et les feuilles étaient employés pour le tannage des peaux. Les feuilles sont aussi utilisées en infusion contre les maladies des reins. Le millepertuis, également présent, est une plante résolutive, excitante et vermifuge qui constitue un excellent vulnéraire. Elle facilite la cicatrisation des coupures et des ulcères, grâce à l’huile essentielle contenue dans ses feuilles. Elle est utilisée en infusion contre les catarrhes pulmonaires, l’asthme et la dysenterie.

47Les fleurs de la verge d’or solidages servent de refuge aux abeilles. Il s’agit d’une plante détersive, astringente, vulnéraire et diurétique. Ses tiges souterraines contiennent de l’inuline.

Les fleurs de prairie et de collines

  • 16 Martin (Roland), « Les Orchidées sauvages du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 2004, (...)

48À petite altitude, on a pu identifier sur les flancs du Ventoux la nielle de blés (avec une large partie florale composée de cinq pétales violets), le chardon sans tige, le lys Martagon et l’ophrys de Provence (qui est une orchidée16).

Les plantes rares des flancs du Ventoux

  • 17 Girerd (Bernard), « Les Pyroles du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 2e trimestre 2007, p. 69.

49On trouve aussi plus rarement dans les prairies intermédiaires du Ventoux le genêt de Villars (petit arbrisseau rampant avec des fleurs jaunes sur des tiges tortueuses et épaisses), la gentiane printanière, avec des fleurs blanchâtres (plante gazonnante avec des fleurs blanchâtres sur tiges, aimant les prairies humides et les pâturages), la gentiane jaune (dont les racines sont arrachées pour faire de l’eau-de-vie), le jasmin (avec des fleurs jaunes insérées directement dans les rameaux) et l’androsace de Chaix (qui croît dans les champs, les prés et les pelouses). La spéculaire de Castille, qui reste rare, croît sur les coteaux pierreux, dans les endroits incultes, dans les moissons ou les broussailles. On peut aussi trouver des pyroles17 dans les forêts des deux versants.

Les fleurs d’altitude et de pierrier

50On découvre sur cette montagne la crépide naine (avec ses fleurs jaunes et ses feuilles cotonneuses de ton gris), de même que d’autres fleurs d’altitude, qui poussent dans le pierrier et paraissent particulièrement fragiles dans cet océan de lauzes plates et coupantes. Elles sont pourtant d’une particulière détermination.

51Souvent évoquée par Jean-Henri Fabre, on y trouve la saxifrage à feuilles opposées, constituées de petites fleurs r oses émergeant d ’un t apis de minuscules feuilles pourpres et vertes. Elle se développe en touffes formées de longues tiges couchées.

  • 18 Girerd (Bernard), inventaire des campanules du Ventoux, Les Carnets du Ventoux, 2e trimestre 1999, (...)

52L’amateur qui aime herboriser y repère aussi la campanule des Alpes18 (avec sa petite corolle bleue, oscillant au vent, plus importante que ses maigres feuilles accrochées à une tige courte), l’euphorbe de l’oiseleur (petits bouquets de feuilles d’un vert tendre, accrochés aux failles de la pierre), l’ibéris de Candolle (paquets de minuscules fleurs roses avec des pistils jaunes), le panicaut à épines blanches (plante vivace qui croît dans les éboulis et les rochers, de préférence sur des terrains calcaires), du myosotis alpestre, la linaire alpine (petites fleurs violettes et orange, en forme de gueule de loup, qui se plaisent dans les éboulis), l’androsace velue (plante vivace, gazonnante à tige souterraine très rameuse), des paronyques de Provence (fleurs avec des corolles blanches, s’ouvrant sur un cœur jaune), des raiponces (fleurs bleues, en partie tubulaires, aux étamines libres) et le magnifique pavot velu du Groenland (avec ses belles fleurs jaunes en forme de corolle), souvent cité par Jean-Henri Fabre. Bien que présent sur le Ventoux, l’ail à fleurs de narcisse, qui se plaît dans les éboulis, est peu répandu.

4-Les concessions de truffières

53En tant qu’être secret et auréolé de mystère, la truffe – champignon de terre par excellence – se marie harmonieusement avec le Ventoux. On n’a jamais vraiment su si le reboisement du Ventoux dans les années 1860 s’est fait avec l’idée de la voir se développer. En toute hypothèse, elle a pu être souhaitée comme arrière-pensée dans le choix des espèces replantées ; avec sa couleur noire et ses contours irréguliers, elle suscite depuis toujours un puissant imaginaire, avant d’être devenue un objet de commerce. Elle inspire à ceux qui l’aiment une forme de religiosité, que l’on retrouve dans le concept du Ventoux-Terre divine.

54Avant 1854, la fouille des truffes était libre sur le Ventoux. À cette date, on organisa la première adjudication en un seul lot pour 5 ans. Seuls les habitants du village pouvaient prétendre participer aux enchères. Mais il n’y avait à cette époque guère d’engouement pour cette activité accessoire et méconnue, que l’on pensait peu lucrative. C’est pourquoi un « étranger » de Villes-sur-Auzon – M. Malavar – emporta le marché et développa une affaire prospère ; il fallait cinq jours de travail d’un seul homme pour ramasser 1 kilo de truffes, au prix de 15 F.

  • 19 Damian (Gérard), « Concessions de truffières », Les Carnets du Ventoux, Juin 1995, p. 18.

55À partir de 1877, la concession se divisa en trois lots ; en 1882, il y eu 8 lots ; en 1892, on passa à 15 lots ; enfin, en 1897, on admit 27 lots – division qui s’impose encore de nos jours. Le droit de « caver » (fouiller le sol à la recherche de truffes) est concédé par l’ONF pour une période de 5 ans par adjudication après publicité dans deux journaux et affichage dans la commune. Le bureau d’adjudication, qui se tient en général à la Chapelle des pénitents de Carpentras, arrête immédiatement avant l’ouverture de la séance le seuil des enchères19. On évoque dans les périodes à venir une diminution du nombre des lots à répartir.

56La recherche de truffes sur le Ventoux, qui est interdite la nuit, se fait à l’aide d’un chien. Si la recherche à la mouche reste tolérée, l’emploi de pioches ou de bêches est formellement prohibé. On peut toutefois utiliser un piochon, mais il faut à chaque fois reboucher l’excavation. Le Code forestier et le Code pénal contiennent des dispositions permettant de protéger l’adjudicataire ou le propriétaire de truffières du braconnage, vol et tentative de vol. 

Notes

1 Chondroyannis (P.), « Reboisement et gestion forestière au Mont Ventoux », in Etudes Vauclusiennes, n° spécial : Voyage autour du Mont Ventoux, Juillet 1987, p. 99.

2 Ningre (J.-M.), « Le Reboisement du Ventoux au siècle dernier », Les Carnets du Ven- toux, Déc. 1991, p. 49 ; Cointat (M.), « La Cédraie du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 1997 ; v. enfin le numéro 86 de l’hiver 2015 des Carnets du Ventoux consacré au reboisement du Ventoux.

3 Barbero (V. M.) et Quézel (P.), « La Végétation du Ventoux, diversité, stabilité et uti- lisation actuelles des écosystèmes », in Études Vauclusiennes, n° spécial : Voyage autour du Mont Ventoux, Juillet 1987, p. 79.

4 Girerd (Bernard), « Les Erables du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2001, p. 74.

5 Girerd (Bernard), « Les Conifères du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2001, p. 57.

6 Girerd (Bernard), « Arbustes fleuris du Ventoux : les genêts », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 2003, p. 6.

7 Girerd (Bernard), « Les Sorbiers et la viorne Lantane », Les Carnets du Ventoux, 1er trimestre 2002, p. 76.

8 Girerd (Bernard), « Les Nerpruns, les filaris et le troène », Les Carnets du Ventoux, 1er trimestre 2003, p. 75.

9 Girerd (Bernard), « Les petites fougères du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2005, p. 76.

10 Girerd (Bernard), « Cinq arbres et arbustes montagnars : marsault, groseillier des Alpes, cytise des Alpes, sureau à grappes, framboisier », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 2002, p. 85.

11 Girerd (Bernard), « Buis, chèvrefeuilles, Sainte-Lucie et baguenaudier », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2002, p. 79.

12 Girerd (Bernard), « L’amélanchier et les genévriers dans le Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 2e trimestre 2002, p. 73.

13 Girerd (Bernard), « Quelques arbustes piquants du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 3e trimestre 2003, p. 70.

14 Pellecuer (Jacques), « Une Plante aromatique au service de l’homme : la sariette des montagnes », Les Carnets du Ventoux, Déc. 1991, p. 59.

15 Afzal-Rafil (Z.) et Viano (J.), « Les Plantes aromatiques et médicinales : sur quelques problèmes cytogénétiques et évolutifs dans le Mont Ventoux », in Études Vauclusiennes, n° spécial Voyage autour du Mont Ventoux, Juillet 1987, p. 93.

16 Martin (Roland), « Les Orchidées sauvages du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 4e trimestre 2004, p. 12.

17 Girerd (Bernard), « Les Pyroles du Ventoux », Les Carnets du Ventoux, 2e trimestre 2007, p. 69.

18 Girerd (Bernard), inventaire des campanules du Ventoux, Les Carnets du Ventoux, 2e trimestre 1999, p. 79.

19 Damian (Gérard), « Concessions de truffières », Les Carnets du Ventoux, Juin 1995, p. 18.

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