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Révolutionner les cultures politiques

 | 
Nicolas Soulas

Seconde partie : mutations de la conflictualité et construction du politique au tournant du XVIIIe siècle

Chapitre 9

Mutations des violences et appropriation d’une nouvelle culture politique

Texte intégral

  • 1 Soit « la force dont on use contre le droit, contre la loi, contre les personnes, contre les libert (...)
  • 2 R. Muchembled, La violence au village. Sociabilité et comportements populaires en Artois du XVe au (...)
  • 3 P. Braud, Violences politiques, Paris, Seuil, 2004.
  • 4 D. Roche, « La violence vue d’en bas. Réflexions sur les moyens de la politique en période révoluti (...)
  • 5 F. Chauvaud (dir.), La dynamique de la violence. Approches pluridisciplinaires, Rennes, 2010, PUR, (...)
  • 6 V. Azoulay, P. Boucheron (dir.). Le mot qui tue. Une histoire des violences intellectuelles de l’An (...)
  • 7 A. Corbin, « La violence rurale dans la France du XIXe siècle et son dépérissement : l’évolution de (...)
  • 8 B. Garnot, « Une illusion historiographique : justice et criminalité au XVIIIe siècle », Revue hist (...)

1Dans une zone de forte conflictualité comme le couloir rhodanien, les luttes partisanes d’Ancien Régime produisent des violences1 de différentes natures, qui constituent l’un des aspects de la culture politique de la France du XVIIIe siècle et possède ses propres mots et sa propre gestuelle contestataires2. En élargissant la sphère publique et en nationalisant la vie politique locale, la Révolution amplifie les violences politiques3 qui connaissent une phase de mutation importante4. Au cœur des stratégies, les violences – l’usage du pluriel s’impose tant leurs déclinaisons sont variées et tant la notion est difficile à catégoriser5 – apparaissent comme un moyen d’expression politique au service d’une minorité en quête de visibilité, mais également comme un instrument de pression, de domination, de régulation des conflits ou de support à la contestation. À travers quatre formes de violence (verbale6, physique, psychologique et matérielle), ce dernier chapitre ambitionne de montrer comment leur évolution , dans les mots et les gestes, traduit à la fois l’adaptation des populations à une nouvelle culture politique forgée par la Révolution et sa survivance à une époque où la sphère publique s’est considérablement contractée7. Sans adopter une démarche quantitative, critiquée par de nombreux historiens pour son manque de pertinence8, nous tenterons de mettre en évidence cette évolution à partir de quelques exemples soigneusement choisis. Les modes d’expression de ces violences politiques et leurs finalités seront ainsi décortiqués et analysés dans une optique micro-historique.

Les violences d’Ancien Régime, artefacts d’une culture politique locale

  • 9 Voir, dans une perspective comparatiste, une nouvelle mise au point sur le sujet : F. Benigno, L. B (...)

2En dehors des canaux « traditionnels » de la contestation politique, comme les remontrances du Parlement ou la presse clandestine, la violence reste, pour de nombreux exclus du pouvoir, un support privilégié pour se faire entendre de façon informelle9.

Au crépuscule du siècle des Lumières

  • 10 A. Collomp, La maison du père. Famille et village en Haute-Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles, Pa (...)

3Dans un monde où les « comportements violents restent le mode d’expression courant »10, les brutalités font partie intégrante des formes de mobilisation politique. Toutefois, ces dernières n’empruntent guère les voies les plus tragiques en excédant rarement le stade des déprédations ou de la violence verbale. Toutes ces stratégies constituent l’un des aspects de la culture politique locale de la France du XVIIIe siècle.

  • 11 C. Grasland, « Chansons et vie politique à Paris sous la Régence », Revue d’Histoire moderne et con (...)

4En premier lieu, les violences verbales composent l’un des volets du répertoire de la contestation politique d’Ancien Régime et se déclinent en trois catégories : insultes, libelles ou placards et chants11.

  • 12 H. Lecharny, « L’injure à Paris au XVIIIe siècle. Un aspect de la violence au quotidien », Revue d’ (...)
  • 13 L’insulte ne prend corps que quand elle suscite des réactions : C. Rouyarenc, Les gros mots, Paris, (...)
  • 14 A. Farge, La déchirure. Souffrance et déliaison sociale au XVIIIe siècle, Montrouge, Bayard, 2013, (...)
  • 15 M. Nassiet, La violence, une histoire sociale : France (XVIe-XVIIIe siècles), Ceyzérieu, Champ Vall (...)
  • 16 B. Garnot, « Deux approches des injures en Bourgogne au XVIIIe siècle », in B. Garnot (dir.), La pe (...)
  • 17 F. Moreil, « La violence verbale des réformés du Midi aux XVIe et XVIIe siècles », in C. Moïse, N. (...)
  • 18 A. Farge, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Montrouge, Bayard, 2009, p. 114.

5Révélatrice des tensions sociales, l’insulte traduit à elle seule les violences du quotidien12. Dans une société structurée par l’honneur, les injures bafouant la respectabilité de ceux qui en sont victimes constituent généralement les prodromes de violences d’un autre type. En effet, les contemporains sont particulièrement sensibles aux injures13, considérées comme « une prise de pouvoir sur l’autre »14. Au XVIIIe siècle, les insultes flétrissent essentiellement les qualités sociales15 (âne, vilain, etc.), la pureté des mœurs16, un défaut physique17, mais les plus infamantes sont celles à connotation sexuelle (vérolé, putain, etc.)18. Cette litanie d’injures constitue le répertoire traditionnel utilisé dans les luttes politiques. Aucune insulte ne semble, à la veille de la Révolution française, dépeindre un acteur selon un critère uniquement politique. La sécheresse des sources, ne retranscrivant que très rarement les insultes, ne permet toutefois pas de l’affirmer clairement.

  • 19 C. Jouhaud, « Lisibilité et persuasion. Les placards politiques », in R. Chartier (dir.), Les usage (...)
  • 20 Voir la mise au point la plus récente dans : S. Haffemayer, P. Rebollar, Y. Sordet, Les Mazarinades (...)
  • 21 T. Debbagi-Baranova, À coups de libelles. Une culture politique au temps des guerres de religion (1 (...)
  • 22 G. Minois, Censure et culture sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1995.
  • 23 AD Hérault, C 6860, lettre de Duret de Villeneuve-lez-Avignon au commandant en chef de la province (...)
  • 24 R. Chartier, « Pamphlets et gazettes », in Histoire de l’édition française. Le livre conquérant.
  • 25 R. Chartier, Lecture et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1989.
  • 26 C. Jouhaud, « Les libelles en France au XVIIe siècle : action et publication », Cahiers d’histoire, (...)

6Libelles et placards19 s’inscrivent également dans le registre de la contestation politique depuis les guerres de Religion et la Fronde20. Ces moyens de communication visent à persuader le lecteur de la justesse d’une argumentation tout en dénigrant, sinon en diabolisant, l’adversaire. La diffusion massive des libelles ou la publication des placards, en assurant une publicité importante à la « faction » qui l’émet, touche, à une plus grande échelle, un public pris à témoin et érigé au rang de juge21. Parce qu’ils entachent l’honneur de leurs victimes en les diffamant, les libelles et les placards, fussent-ils anonymes, sont particulièrement redoutés et ceux qui en sont la cible les dénoncent avec véhémence22. En 1755, les édiles de Villeneuve-lez-Avignon dénoncent la circulation de libelles les offensant, émanant d’un certain Héraud, patron sur le Rhône et fermier du bac à traille, avec lequel les administrateurs municipaux sont en délicatesse pour des raisons qui nous échappent. Héraud aurait brigué le premier chaperon mais, rejeté par le conseil politique « tant par son indignité qu’à cause de son incapacité, ne sachant ni lire ni écrire », il se serait vengé en diffamant les édiles23. À moins que la véritable motivation du pamphlétaire ne soit ailleurs. Héraud, peut-être sur dénonciation des administrateurs municipaux, a été épinglé par le subdélégué de Villeneuve-lez-Avignon pour sa mauvaise gestion du bac et la médiocrité de ses services. Comme dans le cas des insultes, le texte entache l’honorabilité des édiles, raillés sur leur naissance, ou cherche à ternir leur réputation, ce qui constitue une grave atteinte à la dignité de la personne dans une société où l’honneur reste le maître-mot. Les offensés l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils ne manquent pas de révéler que le libelliste provient « de la lie du peuple ». Placards et libelles contribuent à sortir le conflit politique de l’enceinte de la maison commune en intégrant de façon active (libellistes et pamphlétaires) ou passive (lecteurs) un public sensibilisé. Le manque de documentation ne permet malheureusement pas d’aborder la question de leur réception par la population. Les libelles et les placards touchent-ils réellement tout le public ciblé ou seulement des individus déjà sensibilisés aux affaires politiques, comme Roger Chartier l’a démontré pour les lecteurs de Mazarinades24 ? Héraud convoite le premier chaperon, son attitude prouve donc qu’il est au fait du système politique local, sinon qu’il s’y intéresse. Mais quel peut être l’effet d’une critique des administrateurs municipaux et de leur gestion des affaires de la ville sur des habitants qui ne s’y intéressent pas, parfois par manque de lumières, souvent par manque de considération ? Derrière son aspect universel, le placard ou le libelle semble s’adresser en premier lieu à un public restreint (cibles des critiques, notables du lieu, complices du libelliste) puis dans un second temps à un public plus élargi, capable ou non, selon le niveau socioculturel du lectorat25, d’interpréter le texte et de lire entre les lignes26. Parce qu’ils permettent à des exclus du pouvoir ou à des adversaires politiques de s’exprimer, placards et libelles sont des supports importants de la contestation d’Ancien Régime.

  • 27 Au sens entendu par Philippe Braud : « Il y a un symbole politique là où s’est opéré un travail pol (...)

7À côté des violences verbales, les déprédations et les violences faites à certains objets, sélectionnés pour leur symbolique27, constituent également un volet important de la contestation politique du XVIIIe siècle. Omniprésentes dans la vie quotidienne car elles permettent de nuire à des tiers ou à certaines professions (destruction des vignes, oliviers, etc.), les déprédations sont également intégrées dans les stratégies politiques des contemporains. Ces attaques nocturnes, qui garantissent au maximum l’anonymat de leurs auteurs, frappent indistinctement tous les acteurs. Cette petite criminalité constitue l’un des supports de la contestation antiseigneuriale, allant de la coupe de bois à la destruction de symboles de la domination féodale, comme les bancs d’église. Ainsi, en 1755, le mai planté devant le château seigneurial de Cornillon est détruit par un groupe de jeunes du village. L’attaque revêt une dimension symbolique particulière. La plantation du mai est une pratique ancienne, solidement ancrée dans les mentalités populaires, visant à célébrer le renouveau, honorer une fiancée ou, dans le cas de Cornillon, une puissance temporelle. Planter un arbre en l’honneur du seigneur politise davantage un espace déjà fortement délimité par le château, le carcan et d’autres objets rappelant la domination seigneuriale. Détruire le mai constitue donc une véritable agression et un avertissement adressé au seigneur. La symbolique de l’attaque est clairement ressentie par tous les protagonistes, à commencer par le seigneur qui obtient réparation en exigeant la plantation de deux arbres devant son château. Les déprédations et les attaques contre les propriétés constituent également une déclinaison de la conflictualité municipale. En effet, les conflits politiques n’étant pas circonscrits à la maison commune, ils peuvent trouver un certain écho hors de l’espace politique traditionnel. Ces actions s’inscrivent alors dans une stratégie reposant notamment sur les représailles ou l’intimidation. Dans la nuit du 17 au 18 novembre 1781, les fourrages appartenant au maire et au premier échevin de Montélimar partent en fumée. Le feu n’a rien d’accidentel et les incendies criminels sont pris très au sérieux par les instances judiciaires d’Ancien Régime. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des édiles sont victimes d’un tel sinistre et ils sont intimement convaincus d’avoir été la cible d’une attaque sanctionnant à la fois la fonction qu’ils incarnent et leurs prises de position dans un contexte local troublé opposant le conseil politique montilien à Salamon, visénéchal de la sénéchaussée de Valentinois et Diois. Par l’usage des violences matérielles, petites gens comme élites expriment des revendications politiques par des voies buissonnières.

  • 28 Le charivari, actes de la table ronde organisée à Paris du 25 au 27 avril 1977 par l’EHESS et le CN (...)
  • 29 A. Cabantous, Histoire de la nuit, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2009.
  • 30 M. Brunet, Contrebandiers, mutins, fiers-à-bras. Les stratégies de la violence en pays catalan au X (...)

8Dans un registre relativement proche, mêlant à la fois représailles, intimidation et violence psychologique, se retrouvent les tapages nocturnes qui consistent à venir frapper aux portes ou à cribler de pierres les fenêtres, les portes ou même les maisons. Les archives judiciaires mentionnent fréquemment des tumultes nocturnes, généralement dépeints comme étant causés par des ivrognes ou des étudiants en quête d’amusements. Cependant, au-delà du jeu ou d’une simple manifestation de débauche, les tapages nocturnes visent à intimider un adversaire politique. Empruntant les mêmes mécanismes que le charivari28, le tumulte nocturne, dont les effets sont amplifiés par l’obscurité29, participe à l’élaboration d’une stratégie dont la finalité est de décourager un adversaire ou de le punir pour ses prises de position. Ainsi, à Saint-Marcel-d'Ardèche, au plus fort du conflit avec le marquis de Pierre-Bernis, certains habitants frappent aux portes de ceux qui soutiennent le seigneur. Le tumulte nocturne punit autant qu’il intimide. En ciblant clairement des individus sélectionnés selon des critères politiques, le tapage nocturne politise l’espace en différenciant dans la sphère publique partisans et adversaires du seigneur. Il redéfinit dès lors le rapport que les habitants entretiennent avec leur environnement quotidien. Pour Michel Brunet, l’intimidation nocturne, au même titre que le charivari, permettrait d’éviter ou de limiter les violences physiques30. Elle constitue en tout cas un support à la contestation politique pour ceux qui ne peuvent, ou qui ne veulent, s’exprimer sur le terrain judiciaire.

  • 31 Tous les espaces du royaume ne sont pas concernés, en Bretagne ou dans le sud-ouest, par exemple, c (...)
  • 32 B. Garnot, « La violence et ses limites dans la France du XVIIIe siècle : l’exemple bourguignon », (...)
  • 33 N. Elias, La civilisation des mœurs, Paris, Presses Pocket, 1976 [1939].

9Au XVIIIe siècle, les violences physiques ne sont que rarement intégrées dans les stratégies politiques des contemporains. En temps d’élections, les conflits pour le pouvoir ne dégénèrent jamais en rixes ou en batailles rangées car la contestation politique se limite aux boycotts, à des échanges de factums ou de libelles, mais ne pousse jamais les différents partis à en venir aux mains. Il en est de même pour la contestation antiseigneuriale. Le cas du marquis de Pierre-Bernis déplorant quelques dégâts matériels après que ses adversaires aient tiré contre ses fenêtres, reste très exceptionnel. S’attaquer directement au seigneur, dépositaire de l’autorité publique et placé sous la protection de la loi, expose à de rudes châtiments. Enfin, les querelles de préséance débouchent parfois sur quelques bousculades publiques, sans grande gravité. Dans ces échauffourées, qui éclatent spontanément au cours de cérémonies, l’objectif n’est pas tant de blesser l’adversaire dans sa chair que dans son orgueil, en bafouant son honneur. Par conséquent, les acteurs n’éprouvent pas la nécessité d’y faire couler le sang. Le couloir rhodanien des dernières décennies du XVIIIe siècle s’insère dans une dynamique nationale plus ample de réduction des violences physiques31 par rapport aux siècles précédents32, ce que Norbert Elias avait qualifié de « civilisation des mœurs33 », concept toutefois aujourd’hui critiqué par certains chercheurs.

  • 34 N.Z. Davis, Les cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au XVIe siècle, Paris, AubierMo (...)

10Ces différentes manifestations de violence constituent l’un des aspects saillants de la culture politique locale de la France du XVIIIe siècle. Elles se fondent dans un modèle national dans lequel prédominent des petites violences peu sanglantes et rarement spectaculaires. Mises à part les insultes et de très rares agressions physiques, ces violences sont surtout indirectes, anonymes, nocturnes et matérielles (placards, déprédations, intimidations nocturnes, destructions d’objets symboliques). Or, si les luttes pour le pouvoir municipal ne débouchent pas sur des coups de force sanglants, la conflictualité politique n’en demeure pas pour autant circonscrite à la seule maison commune. Injures, libelles ou placards séditieux, intimidations et violences faites aux biens des notables ou des seigneurs contribuent à sortir les conflits politiques du cadre feutré de l’hôtel de ville et, par conséquent, à élargir la sphère politique en offrant, ponctuellement aux exclus du pouvoir et aux opposants l’opportunité de s’exprimer de façon informelle. Comme l’avait remarqué N.Z. Davis, la violence populaire n’est pas « aveugle et sans limite mais vise des objectifs précis et choisit des actions dans un répertoire traditionnel de châtiments et de destructions34 ». L’appropriation de ce répertoire offre aux exclus du pouvoir ou à ceux qui contestent l’ordre établi l’opportunité de se faire entendre de manière informelle. En nationalisant la vie politique locale, la Révolution intensifie et réactive des pratiques contestataires violentes.

Conflits et construction du politique : des violences en mutation

Violences verbales et nouvelle terminologie

  • 35 T. Bouchet, M. Legget, J. Vigreux, G. Verdo (dir.), L’insulte (en) politique. Europe et Amérique la (...)
  • 36 François Ploux fait le même constat pour les rumeurs : De bouche à oreille. Naissance et propagatio (...)

11Les renouvellements historiographiques ont conduit les chercheurs du premier XIXe siècle à s’intéresser aux violences verbales, désormais perçues comme un moyen d’expression et de contestation politique parmi d’autres35. En libérant la parole et l’écrit, la Révolution française donne davantage de force aux violences verbales. Malgré l’existence d’une documentation plus fournie, l’une des difficultés premières consiste à débusquer dans les archives écrites des traces d’oralité. L’historien est rapidement confronté à l’inégale loquacité des sources judiciaires ou administratives. Si certaines transcrivent l’intégralité du message, d’autres le résument, le tronquent ou le passent délibérément sous silence36.

  • 37 P. Retat, « Partis et factions en 1789 : émergence des désignants politiques », Mots, 16, 1988, p.  (...)
  • 38 AD Vaucluse, 6 L 90, dénonciation des « terroristes » du district d’Orange, 11 ventôse an III.
  • 39 F. Wartelle, « Honnêtes gens. La dénomination comme enjeu des luttes politiques (17951797) », Dicti (...)
  • 40 J. Guilhaumou, s. v. « Aristocrate/aristocratie », in Dictionnaire des usages socio-politiques.
  • 41 M. Deleplace, s. v. « Anarchie/anarchistes », in Dictionnaire des usages socio-politiques.
  • 42 Ce concept, forgé sous le Directoire pour dénoncer les massacres collectifs ou individuels d’ancien (...)
  • 43 Très utilisé après thermidor, le terme sanctionne la collusion de nombreux patriotes « exclusifs » (...)
  • 44 Dans le Comtat, les patriotes sont assimilés à des « brigands », même s’ils n’ont pas participé à l (...)

12L’appropriation du lexique révolutionnaire, qui constitue l’une des étapes essentielles de l’apprentissage de la nouvelle culture politique, se traduit par la mutation de la nature même des insultes. Contrairement à la période précédente, ces dernières sanctionnent désormais les nouvelles affiliations politiques37. Dans cette société révolutionnée, les mentalités encore fortement imprégnées par la culture et les pratiques d’Ancien Régime n’évoluent pas au même rythme que la conjoncture politique nationale. Aussi, les vieux automatismes, notamment en matière d’insultes, restent vivaces. Il n’est pas rare de croiser aux détours des archives judiciaires des insultes à caractère hybride, sanctionnant à la fois les nouvelles affiliations politiques tout en ayant encore recours au registre sexuel ou social d’Ancien Régime. Ainsi, l’orfèvre Guilhermier, de Bollène, l’un des chefs de file des patriotes « exclusifs » s’en serait pris à Jean-Jacques Régent, pro-papiste en 1791, rencontré au détour d’une rue : « Ôte-toi de là, foutu jean-foutre d’aristocrate38. » L’insulte « jean-foutre », dont la connotation sexuelle est évidente, est accolée à la nouvelle dénomination politique d’« aristocrate ». Il faut toutefois prendre garde à ne pas se laisser tromper par le piège des mots. En effet, certaines dénominations peuvent être utilisées indistinctement par les différentes tendances politiques et deviennent alors un enjeu important des conflits39. Ainsi, le concept d’« aristocrate40 », apparu lors des débats prérévolutionnaires de 1788-1789, est aussi bien manipulé par les patriotes « exclusifs » que par leurs adversaires. Lors de la crise « fédéraliste », les sectionnaires tarasconnais stigmatisent les « exclusifs » en les présentant comme des « aristocrates », c'est-à-dire des adversaires de la Révolution. Le constat est identique avec le terme « anarchiste », pouvant caractériser deux tendances politiques diamétralement opposées. Si cette étiquette politique apparaît surtout au cours de l’été 1793 lors du conflit opposant la Montagne à la Gironde, elle ne s’impose véritablement qu’à partir de l’an III et désigne « uniformément tous les adversaires de la Convention », devenant de fait « le ciment idéologique du groupe thermidorien »41. On pourrait multiplier les exemples : « égorgeurs royaux42 », « buveur de sang43 », « brigands44 », etc. Souvent vagues, ces insultes sont fréquemment utilisées indistinctement par les acteurs pour délégitimer leurs adversaires. Ces qualificatifs ne constituent en aucune manière des indicateurs fiables délimitant efficacement les différentes lignes politiques, mais plutôt une illustration de l’appropriation d’un nouveau lexique par les populations rhodaniennes, façonnant ainsi de nouvelles identités politiques en construction. L’injure politique est à la fois excluante et structurante, elle renforce la cohésion du groupe auquel on appartient. Dans les localités les plus divisées comme Piolenc, les tensions provoquées par les insultes politiques sont telles que les administrateurs municipaux tentent vainement d’interdire l’utilisation de certains termes comme : « brigands » et « aristocrates ».

  • 45 B. Ménager, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier, 1988, p. 17.
  • 46 L. Bergès, « Perception et mise en scène des manifestations d’opposition au pouvoir de la fin du Pr (...)
  • 47 AD Vaucluse, 1 M 742, lettre du sous-préfet d’Avignon au préfet de Vaucluse, 31 mai 1814.
  • 48 AD Vaucluse, 1 M 744, procès-verbal du maire de Bédarrides au sous-préfet d’Avignon, 7 août 1815.
  • 49 AD Vaucluse, 1 M 742, lettre du sous-préfet d’Avignon au préfet de Vaucluse, 11 juin 1814.
  • 50 N. Petiteau, « Insultes et hostilités politiques sous le Consulat et l’Empire », in T. Bouchet, M. (...)
  • 51 N. Petiteau, « Violence verbale et délit politique. 1800-1830 », Revue d’histoire du XIXe siècle, 3 (...)

13Dans un autre registre injurieux, les cris séditieux occupent une place de choix dans le nouveau répertoire politique contestataire45. S’ils ne sont pas forcément violents, ils sont perçus comme tels par les régimes en place car ils véhiculent un message contestataire puissant46. En effet, les cris séditieux reflètent à la fois la réception des idées politiques et l’expression d’une opposition. Ils s’accompagnent parfois d’insultes les rendant aussi provocateurs qu’insupportables. Sous la Première Restauration, un groupe de soldats en garnison à Avignon est dénoncé pour avoir crié : « Vive l’Empereur, merde pour le roi qui ne nous paye pas ! »47 Certains cris séditieux visent, en singeant les royalistes, à railler et à insulter Louis XVIII. Le 7 août 1815, le collecteur des droits réunis de Bédarrides perturbe le feu de joie organisé pour fêter le retour définitif de Louis XVIII en criant « Vive le rat ! » après que des habitants du lieu ont crié : « Vive le roi, vive les Bourbon ! »48 Le jeu de mot est particulièrement provocateur et injurieux puisqu’en animalisant le roi, il lui dénie toute part de sacré. Dans certains cas, le cri séditieux peut être accompagné de gestes insultants. Le 6 juin 1814, deux maréchaux des logis du 31e régiment de chasseurs à cheval jettent des immondices sur une procession avignonnaise portant le buste du roi en criant « Vive l’Empereur ! » tout en insultant le roi et les processionnaires49. C’est généralement à l’occasion de fêtes célébrant ostensiblement la toute-puissance d’un régime honni que la plupart des cris séditieux sont proférés50. Si Napoléon luttait fermement contre les cris séditieux, le gouvernement de Louis XVIII est encore plus intransigeant. Le 9 novembre 1815, le Parlement vote une loi condamnant les cris séditieux mentionnant Napoléon tandis que la loi du 27 décembre 1815 définit comme un délit politique ceux qui insultent le roi ou menacent la monarchie51. Manifestations de la survivance d’un groupe politiquement réduit au silence, les cris séditieux sont considérés à juste titre par les forces de police ou judiciaires qui les traquent comme une tentative de réoccuper symboliquement une sphère politique de laquelle des individus ont été éclipsés ou fortement marginalisés.

14Lorsqu’il aborde la question des cris séditieux, l’historien doit s’interroger sur la temporalité et les espaces de ce mode d’expression contestataire. La plupart de ces cris sont décelés après un changement brutal de régime ou dans les premières années de son installation. La Révolution française, l’an III et le Premier Directoire correspondent à une phase paroxystique de cris séditieux pro-montagnards. À Valence, les premières manifestations séditieuses nocturnes débutent en mars 1795 et sont concomitantes avec la tentative thermidorienne de museler les patriotes « exclusifs » écartés des instances administratives, judiciaires et militaires valentinoises. Le désarmement des chefs de file du jacobinisme radical valentinois, comme le menuisier Valla, le curé Antoine Forest ou le perruquier Rolland à la fin du mois de février 1795, parachève leur marginalisation. L’exclusion de la sphère politique des Jacobins se traduit par une intensification des violences verbales, notamment des cris séditieux, attestant de l’échec des autorités à les réduire définitivement au silence. Le constat est identique en ce qui concerne les cris favorables à Napoléon. Toutefois, contrairement aux cris pro-montagnards, surtout nocturnes, les cris séditieux des débuts de la Restauration sont indistinctement nocturnes et diurnes. Ils sont proférés lors des fêtes, dans des cabarets ou spontanément dans les rues, souvent par d’anciens soldats de l’armée impériale, des fédérés de 1815 ou des fonctionnaires impériaux déclassés et sont révélateurs de l’existence d’une opposition à la Restauration, et plus généralement, de la survivance de pratiques politiques héritées de la Révolution.

  • 52 P. Barbier, F. Vernillat, Histoire de France par les chansons, Paris, Gallimard, 1, 1956, p. 9.
  • 53 Les chansons constituent un élément important des sources utilisées par M. Kaci, au même titre que (...)
  • 54 S. Luzzatto, L’Automne de la Révolution, luttes et cultures politiques dans la France thermidorienn (...)
  • 55 On trouvera une étude détaillée sur ces chants dans : N. Soulas, « Chanter la révolte : la chanson (...)
  • 56 L. mason, Singing the French Révolution. Popular culture and politics, 1787-1799, Londres, Cornell (...)

15Les chants contestataires, dont la pratique remonte au moins aux guerres de religion52, constituent un autre volet important de la nouvelle culture politique forgée par la Révolution53. En effet, les textes politiques figés sur de grands airs connus permettent à tous de fredonner ces chants qui accompagnant les farandoles, les mouvements populaires ou les rixes de rue ou de théâtre54. Par ailleurs, le chant cristallise des affiliations politiques et devient tout autant un marqueur délimitant des frontières politiques mentales, au même titre que les insultes et les cris séditieux, qu’un signe de ralliement dans les luttes de « factions »55. En d’autres termes, la diffusion massive de nouveaux chants véhiculant la terminologie révolutionnaire reflète l’appropriation d’une nouvelle culture politique56.

  • 57 G. Manfredonia, La chanson anarchique en France des origines à 1914. « Dansons la Ravachole », Pari (...)
  • 58 AM Saint-Laurent-des-Arbres, 1 D 1, délibération municipale du 11 août 1791.

16Les chansons d’opposition s’inscrivent dans le registre de l’action politique collective, en accompagnant notamment les insurrections. Ainsi, le Ça ira rythme la plupart des actions des clubistes de Saint- Laurent-des-Arbres contre la municipalité. La chanson galvanise les émeutiers, leur sert de signe de ralliement en maintenant « vivant le sentiment d’appartenance au groupe et à son système de valeurs »57, et constitue un marqueur important stigmatisant des adversaires. En août 1791, des clubistes réunis dans un cabaret entonnent spontanément le refrain du Ça ira faisant allusion aux pendaisons des « aristocrates » lorsqu’ils voient entrer Étienne Milliet, édile très conservateur. Ce dernier a d’ailleurs parfaitement compris que ce refrain lui était dédié puisqu’il demande si on parle de lui, ce à quoi l’un des chanteurs lui rétorque : « Le prendra pour lui qui voudra58. » Cette chanson, symbole particulièrement fort de la Révolution, résonne à nouveau dans le couloir rhodanien méridional durant les Cent-Jours, lorsqu’une part non négligeable des sympathisants de l’Empereur entre mars et juin 1815 est composée de vétérans de la « Terreur ».

  • 59 AD Gard, E dépôt 40 807, délibération communale de Roquemaure, séance du 16 nivôse an III.
  • 60 AM Courthézon, 2 J 2, troubles à l’ordre public 1793-1841, 24 vendémiaire an VI.

17Les chants apparaissent également comme une provocation, au même titre que les cris séditieux, visant tout autant à manifester une opinion dissidente qu’à se réapproprier un espace public duquel un groupe a été mis hors-jeu. Le 16 nivôse an III (5 janvier 1795), les Jacobins de Roquemaure répliquent aux édiles venus leur signaler le décret de désarmement les concernant par des chansons faisant l’apologie de la Montagne59. Ces provocations peuvent parfois dégénérer en joute sonore, comme à Courthézon. Le 24 vendémiaire an VI (15 octobre 1797), les frères Salyon, zélés républicains, entonnent des chants patriotiques devant l’arbre de la liberté lorsqu’une farandole d’opposants les encercle en chantonnant : « À bas les brigands60 ! » Il s’en suit une surenchère musicale. Les deux frères leur rétorquent, toujours en chantant : « À bas les assassineurs [sic] et les aristocrates, nous les emmerdons tous ! » Alors que la farandole se retire en vociférant de nouvelles insultes, les frères Salyon poursuivent sur le même registre musical en menaçant de « leur chier sur la gorge, entre nez et menton ». La confrontation ne va pas plus loin. La violence des paroles utilisées pour stigmatiser l’adversaire politique se substitue à la violence physique.

  • 61 AM Valence, 1 D 1/3, délibération municipale du 1er fructidor an III.
  • 62 AM Courthézon, 2 J 2, troubles à l’ordre public 1793-1841, 8 août 1815.
  • 63 N. Petiteau, « Les Français face à l’ordre impérial », in Terminée la Révolution..., IVe colloque e (...)

18Enfin, comme sous l’Ancien Régime, les violences verbales ne se cantonnent pas au seul registre de l’oralité. Les placards sont encore fréquemment utilisés après 1789. Pratiques et faciles à fabriquer, ils permettent d’affirmer anonymement mais publiquement une opinion politique. Comme sous l’Ancien Régime, les édiles sont particulièrement visés. Au même titre que les cris séditieux ou les chants nocturnes de l’an III, les placards affichés sur les murs des villes et des villages au cours du printemps 1795 sont à replacer dans un contexte politique particulier, marqué par la tentative de marginalisation des républicains avancés. À travers ces attaques, ces derniers visent non moins à dénoncer les administrateurs municipaux qu’à professer publiquement une opinion politique contraire à la nouvelle conjoncture et, par conséquent, à témoigner ostensiblement de l’échec total des conservateurs à les réduire au silence. Ainsi, au cours de l’été 1795, le conseil municipal de Valence dénonce au département de la Drôme des placards nocturnes présentant les administrateurs municipaux comme des « hommes à immoler61 ». De telles pratiques se retrouvent également aux premiers temps de la Restauration. Au mois d’août 1815, les bonapartistes courthézonnais hissent sur le toit d’une maison un drapeau noir sur lequel est écrit : « Mort aux royalistes62. » S’il ne s’agit pas d’un placard au sens strict du terme, l’effet recherché, provocation et manifestation d’une minorité en décalage avec contexte politique qui lui est totalement défavorable, reste le même. Enfin, d’autres placards s’attaquent directement aux différents gouvernements. En juillet 1808, le maire de Valence dénonce au préfet de la Drôme l’existence d’un texte séditieux intitulé La grande chierie infernale, dont les paroles sont particulièrement insultantes. L’écrit décortique avec une grande violence les différentes mesures politiques, sociales et économiques prises par Napoléon. Les droits réunis, les taxes sur le papier timbré, la conscription, la légion d’honneur : tout est passé au crible par l’auteur. Si le texte ne fait aucune allusion aux Bourbon, il n’en demeure pas moins un brûlot hostile à l’Empereur. Les critiques exposées dans ce placard témoignent tout autant de l’existence d’une opposition à l’Empire63 que du maintien de pratiques, reflets de la survivance d’une culture politique en partie forgée par la Révolution, que l’Empire ne parvient pas totalement à faire disparaître. À partir de la Révolution, les violences verbales réapparaissent généralement comme le prodrome de violences physiques qui s’inscrivent à nouveau dans le cadre des différentes stratégies politiques.

La résurgence des violences physiques dans le champ du politique

19En démocratisant l’espace public, la Révolution accentue les violences physiques ayant pour cadre le champ du politique. Allant de la simple rixe au meurtre, elles sont utilisées pour intimider des adversaires, pour s’emparer du pouvoir par la force, ou dans une optique de règlements de compte pouvant parfois dégénérer en massacres.

20Contrairement aux dernières décennies de l’Ancien Régime, l’entrée de nouveaux acteurs sur la scène politique et les nouvelles conditions d’accès au pouvoir à partir de 1790 favorisent l’intégration des violences physiques dans les stratégies pour la conquête du pouvoir municipal. Si le recours à la force permet à certaines factions de s’imposer en temps d’élections, il permet également, dans un contexte de radicalisation politique, à un groupe exclu du pouvoir de le conquérir. En cela, l’exemple de Tarascon est particulièrement éclairant. Les élections de janvier 1790 se traduisent par une victoire des modérés réformistes conduits par le riche bourgeois Étienne Mourret, élu à la quasi-unanimité. Comme dans toute la vallée du Rhône méridionale, la rupture du consensus politique amplifie les conflits et radicalise les prises de position. Lorsque le maire démissionne en novembre 1790, les deux « candidats » qui s’affrontent pour lui succéder sont deux clubistes. Mais l’unité des patriotes est rapidement mise à l’épreuve au début de l’année 1791 et le club se scinde en deux branches rivales. La plus grande partie des clubistes, composée des éléments les plus radicaux du club, prend le nom de club de Jarnègues. Les modérés, soutenant l’ancienne municipalité Mourret, se contentent du nom de cercle de Jarnègues. L’ingérence du club de Jarnègues dans les affaires municipales, son intransigeance et son important succès dans le scrutin désignant les électeurs du premier degré, poussent la municipalité à se rapprocher des modérés avec qui elle assiste au service funèbre en l’honneur de Mirabeau, laissant ses rivaux rendre leur propre hommage. En parallèle, les clubistes de Jarnègues attisent les tensions suscitées par la suppression des confréries et des corporations par les Constituants. En juillet 1791, la dissolution de la confrérie des portefaix dégénère en émeute violente contre la municipalité, laissant deux morts sur le carreau, dont le fils du maire, lynché par les clubistes. Le local abritant le cercle de Jarnègues est également dévasté par les émeutiers. Choqués par ces violences, le maire et les administrateurs municipaux les plus modérés démissionnent et sont remplacés par des édiles plus radicaux. La sédition, attisée par le club de Jarnègues, vise ainsi à entretenir un climat anxiogène dans lequel les modérés, ne se sentant plus en sécurité, s’auto-excluent de la sphère politique. Par conséquent, les élections municipales de novembre 1791 ne mobilisent plus que les partisans du club de Jarnègues. En ayant eu recours à la force, sans pour autant renverser la municipalité – une action qui aurait été jugée anticonstitutionnelle –, les patriotes les plus avancés se débarrassent à la fois d’un cercle politique concurrent et d’une minorité modérée qui tenait les rênes du pouvoir.

  • 64 M. Vovelle, Les métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Aubier/ Flammarion, 197 (...)
  • 65 C. Allègre, De la fête officielle à l’action politique autonome : l’exemple du Vaucluse sous le Con (...)

21Les violences physiques permettent également à un groupe exclu du pouvoir d’exister politiquement. C’est en ce sens qu’il faut percevoir les violences politiques endémiques qui gangrènent le Midi rhodanien durant la Révolution et au-delà. Ces violences, plus particulièrement physiques, permettent en effet à une minorité politique de s’affirmer dans un environnement qui lui est hostile. Ainsi, les clubistes de Saint-Laurent-des-Arbres ont-ils régulièrement recours à la force dans leur bras de fer contre la municipalité conservatrice. Exclus du pouvoir et des nouveaux organes révolutionnaires, comme la Garde nationale, la maîtrise de la rue devient alors un objectif majeur pour les clubistes face aux administrateurs municipaux, mais surtout face aux administrations supérieures dont ils recherchent l’arbitrage. Entre la fin de l’année 1790 et septembre 1792, date à laquelle le club renverse la municipalité grâce au soutien des sociétés politiques voisines, les rixes sont récurrentes. Dans la nuit du 4 au 5 mars 1792, les clubistes, armés de fusils et de baïonnettes, investissent les rues du village. Les émeutiers battent la caisse en chantant le Ça ira et tirent des coups de feu en l’air. Après avoir défilé dans les rues, les clubistes se retranchent dans un cabaret voisin de la maison commune où ils vont festoyer et se saouler. Cette émeute est avant tout une démonstration de force visant à projeter sur le devant de la scène un groupe exclu du pouvoir : les défilés nocturnes accompagnés de musique militaire, de coups de feu et de chants fédérateurs constituent un moyen de se réapproprier l’espace public. Les farandoles accompagnant ces provocations tendraient à le confirmer. Illustration de la politisation de la fête « traditionnelle » mise en lumière par Michel Vovelle64, la farandole contribue également, en investissant les rues et les places publiques, à politiser l’espace tout en se l’appropriant ou à maintenir vivace une opposition politique quand tous les canaux traditionnels de la protestation sont inaccessibles65. Par ailleurs, en se retirant dans un cabaret jouxtant quasiment l’hôtel de ville alors qu’ils ont leurs habitudes dans d’autres débits de boisson, les clubistes envoient un message symbolique à la municipalité conservatrice. Les gestes violents participent à un rituel de prise de possession des lieux. Cette démonstration de force se déroule seulement deux jours après le renouvellement des cadres de la Garde nationale, dont l’élection a été entièrement noyautée par le « parti » conservateur. Dans un système censitaire contrôlé par une poignée de riches notables, le recours à la violence apparaît comme le seul moyen efficace de protestation pour délégitimer cette élection et se faire entendre par les instances supérieures. Parallèlement, de nombreuses pétitions inondent les bureaux du district et du département. Les clubistes obtiennent gain de cause et un nouveau scrutin, qu’ils remportent, rétablit l’équilibre des forces. En ayant recours à la violence, les patriotes parviennent à faire entendre leurs revendications tout en réinvestissant une sphère publique dont la maîtrise est nécessaire pour garantir leur existence politique.

  • 66 Selon le sens de l’époque, c’est-à-dire qu’un individu a été victime de violences physiques importa (...)
  • 67 M. Vovelle, La découverte de la politique... op. cit., p. 295.

22L’appropriation d’une nouvelle culture politique se lit également à travers le prisme des vendettas politisées qui ensanglantent le couloir rhodanien entre 1790 et 1815. Ces représailles prennent la forme de multiples attentats individuels66 ou de massacres collectifs. Les victimes sont sanctionnées pour leurs prises de position et leur compromission avec un régime honni. En 1795 par exemple, les victimes sont des curés jureurs, des acquéreurs de biens nationaux ou surtout d’anciens membres du comité de surveillance, des délateurs ayant conduit bon nombre de leurs compatriotes devant les tribunaux révolutionnaires ou des administrateurs municipaux ayant fait appliquer avec trop de zèle les mesures du Gouvernement révolutionnaire. Michel Vovelle avait noté une progression importante et une ruralisation partielle de ces attentats individuels à partir de l’an V67. Ces agressions peuvent avoir lieu tout autant sur des chemins isolés, dans les rues du village au vu et au su de tous, qu’au domicile de la victime. Ainsi, le 5 frimaire an VI (25 novembre 1797), plusieurs habitants de Courthézon, menés par Alexis Courtias, investissent la maison de Jean-Étienne Benoît, ex-agent national durant l’an II. Ne le trouvant pas, ils fouillent les dépendances puis insultent et molestent sa femme. Agresser ou assassiner un individu dans son propre domicile est un geste symbolique particulièrement fort. Par le viol de son intimité, ses agresseurs placent leur victime dans un état d’infériorité en lui faisant sentir qu’elle n’est plus en sécurité nulle part. Cet exemple montre également que les femmes peuvent être aussi la cible des règlements de compte politiques. Bien que la très grande majorité des meurtres ou des agressions politiques concernent essentiellement des hommes, le fait que les femmes puissent en être victimes témoigne de l’élargissement de la sphère politique. En effet, dans les foyers les plus politisés, les femmes s’investissent autant que leur mari et embrassent souvent le même positionnement idéologique. Par conséquent, elles sont tout autant susceptibles d’être châtiées pour leurs opinions que les hommes.

  • 68 H.G. Brown, « Mythes et massacres : reconsidérer la “terreur directoriale” », AHRF, 325, 2001, p. 2 (...)
  • 69 « Meurtre de masse de plusieurs personnes en une seule fois », d’après la définition proposée par D (...)
  • 70 J.C. Bourdin, F. Chauvaud, L. Gaussot, P.H. Keller (dir.), Faire justice soi-même. Études sur la ve (...)
  • 71 Même constat pour les massacres des prisons de Tarascon : M. Vovelle, « Massacreurs et massacrés... (...)
  • 72 AD Vaucluse, 7 L 65, tribunal criminel de Vaucluse, dossier Joseph Blayet, brumaire an IV.

23À une échelle beaucoup plus importante se trouvent les massacres collectifs. Ces derniers font actuellement l’objet d’un renouvellement historiographique68 visant à replacer le massacre dans une perspective historique et anthropologique plus large. Il s’agit d’exécutions massives69 de prisonniers politiques dans un contexte de radicalisation ou de règlements de compte, comme le massacre des prisons tarasconnaises entre mai et juin 1795. Parmi ces massacres, l’affaire du transfert des prisonniers d’Orange mérite que l’on s’y arrête un instant. Le 8 prairial an III (27 mai 1795), une escorte de prisonniers issus de diverses communes du district d’Orange et incarcérés dans les différentes prisons de la ville, est attaquée dans les villages traversés lors de leur transfert vers la citadelle de Pont-Saint-Esprit. Les prisonniers sont d’anciens cadres de l’an II, comme l’Orangeois Plumail, agent national sous la « Terreur », ou le Courthézonnais Onde, ex-membre du comité de surveillance. L’escorte est conduite par des gardes nationaux d’Orange et des environs, dont Alexis Courtias, l’un des meneurs de la « réaction » dans le village de Courthézon, et ses complices. Le chef de l’expédition est Claude Blayié, un « réacteur » opportuniste. Membre du comité de surveillance d’Orange en 1794, il est accusé de malversations économiques et de corruption. Il figure dans le collimateur des représentants en mission et plus particulièrement de Maignet, révulsé par ces pratiques qu’il condamne fermement, mais la chute de Robespierre sauve sa tête. Au lendemain de la « Terreur », Blayié tente de faire oublier son passé jacobin en se jetant à corps perdu dans la « réaction » et participe à de nombreuses opérations coups de poing contre les « exclusifs ». Dès la sortie d’Orange, l’escorte est attaquée par des habitants des villages voisins mais les gardes parviennent à repousser les assaillants. En revanche, lors de la traversée de Mornas et de Mondragon, les prisonniers originaires de ces communes sont agressés et quatre d’entre eux sont tués. D’autres prisonniers sont massacrés peu de temps après sur le pont traversant le Rhône, à hauteur de Pont-Saint-Esprit. Sur les cinquante-trois prisonniers, une dizaine est massacrée entre Mornas et Pont-Saint-Esprit. L’évènement a fait couler beaucoup d’encre. Les contemporains y ont vu la main de la contre-révolution alors que ces meurtres, certes politisés, n’ont en réalité pour motivation principale que la vengeance70. En effet, les quatre Mondragonnais assassinés l’ont été, entre autres, par les familles de victimes de la Commission Populaire d’Orange. Ces hommes sont tout autant sanctionnés pour leur activisme politique que pour leur collusion avec les juges d’Orange ayant conduit à l’échafaud huit de leurs compatriotes en 1794. Les victimes comme les meurtriers sont parfaitement intégrés dans le village71. Tous les quatre ont été membres du comité de surveillance en l’an II. De plus, pour au moins deux d’entre eux, leur carrière administrative commence bien avant la Révolution. Le notaire Martichon a été greffier de la justice seigneuriale, puis officier municipal de février 1790 à novembre 1791, tandis qu’Étienne Saut a été second consul de 1772 à 1773 et quatre fois conseiller politique entre 1768 et 1787. Les meurtriers, Roustan dit l’Américain et ses sœurs, Blazy dit le Hussard et les frères Argellier, sont tous des parents proches d’administrateurs municipaux exécutés en 1794 et dont les familles sont ancrées dans la commune depuis plusieurs décennies, voire plusieurs générations72. Le scénario est identique pour les autres prisonniers. À Piolenc, c’est Pierre-Paul Lauret, curé constitutionnel et secrétaire de la commune en l’an II, qui cristallise l’animosité de ses compatriotes. Les Piolençois sont d’ailleurs les seuls à l’attaquer. Ses adversaires n’étant pas parvenus à le tuer à Piolenc, Lauret survit à la suite du voyage puisqu’il n’est pas visé lors de l’arrêt suivant à Mondragon.

  • 73 C. Fauré (dir.), Nouvelle encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, Les Belles Lettre (...)
  • 74 A. Farge, « L’espace public de la criminalité féminine » in M. Tsikounas, L. Cadiet, F. Chauvaud, C (...)
  • 75 K. Lambert, « La litigiosité féminine à Toulon au XVIIIe siècle à travers les procès pour injures, (...)
  • 76 J. Quéniart, Le grand chapelletout. Violence, normes et comportements en Bretagne rurale au XVIIIe (...)
  • 77 D. Godineau, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine », in C. Dauphin, A. Farge (dir.), De (...)
  • 78 R. Cobb, La protestation populaire en France (1789-1820), Paris, Calman Lévy, 1975, p. 140.

24Les femmes sont amenées à jouer un rôle important dans ces massacres, sans toutefois occuper le devant de la scène73. À Piolenc, au moins trois femmes, dont celle du maire, ont été identifiées par Lauret. Elles le criblent de pierres qui le blessent à l’oreille, à la tête et au dos. À Mondragon, l’une des filles de Roustan tire à deux reprises sur Martichon avec un pistolet. En revanche, contrairement aux hommes, aucune d’entre elles ne s’est approchée de près pour le matraquer, même lorsque la charrette est immobilisée. La distance qu’elles maintiennent entre elles et leur cible, tout comme le choix d’utiliser des armes de jet plutôt que des armes de contact, sont particulièrement révélateurs du positionnement des femmes dans les violences politiques. Sous l’Ancien Régime, les femmes étaient déjà des actrices importantes de la violence quotidienne (querelle de voisinage par exemple)74. Toutefois, les cibles de cette violence féminine, rarement physique, restaient essentiellement les personnes du même sexe75. En effet, les femmes ne se mesuraient que très rarement aux hommes dont elles redoutaient certainement la force. Et elles ne manipulaient guère les armes, se contentant généralement de porter des coups de griffes au visage ou de faire tomber les coiffes76. À ce titre, la violence féminine n’était pas vraiment considérée avec beaucoup de sérieux par les autorités. Cette caractéristique de la conflictualité féminine se poursuit avec la Révolution. Même si certaines femmes prennent les armes, comme en Vendée, elles n’occupent que très rarement le devant de la scène dans les massacres collectifs. Lorsque des femmes, comme Théroigne de Méricourt, portent les armes et participent à la prise des Tuileries le 10 août 1792, elles défrayent la chronique parce que l’image violente qu’elles véhiculent va à l’encontre de leur nature, réputée plutôt douce77. Dans de nombreux cas, les femmes incitent les hommes à passer à l’action, voire à aller plus loin dans la violence78.

  • 79 R. Girard, La violence et le sacré, Pluriel, Domont, 2010 [1972].
  • 80 J. Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.
  • 81 C. Lucas, « Violence urbaine et répression à l’époque révolutionnaire », in B. Benoît (dir.), Ville (...)
  • 82 Voir à ce propos la très stimulante analyse que propose Valérie Sottocasa pour le massacre de la Gl (...)
  • 83 D. Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 16 (...)
  • 84 G. Mazeau, « La violence évitée : citoyens ordinaires face à l’assassinant de Marat », Revue d’hist (...)

25La Révolution bouleverse l’équilibre des communes, soumises à l’immixtion à plus grande échelle du pouvoir central dans tous les domaines de la vie quotidienne. Pour certains historiens et anthropologues79, les massacres collectifs, en purifiant80 la société de ses éléments rendus indésirables par leurs prises de position politiques, viseraient à rétablir cet équilibre81. Dans les espaces les plus divisés de la vallée du Rhône méridionale, la virulence des antagonismes est telle que chaque « parti » représente une menace potentielle pour l’existence politique, sinon la survie même de l’autre82. Manifestation de la radicalisation des acteurs et illustration de l’acculturation de populations qui réinvestissent des pratiques anciennes, les massacres collectifs incarnent tout cela à la fois. Il suffit, pour s’en convaincre, de se remémorer les tueries des guerres de Religion. En effet, catholiques et protestants massacrent en particulier pour purifier la société de leurs adversaires religieux, perçus comme représentant une menace à leur propre survie83. Dans le nord de la vallée du Rhône, où les communautés résistent mieux aux fractures révolutionnaires, les populations n’ont jamais recours aux violences physiques pour régler leurs différends politiques. Comme dans d’autres espaces du territoire, les violences ne constituent qu’une option possible parmi d’autres84.

Les violences psychologiques au service d’une nouvelle culture politique

26L’intimidation nocturne constituait déjà l’un des éléments des stratégies de la contestation politique d’Ancien Régime. La pratique se perpétue sous la Révolution mais les enjeux ne sont plus les mêmes. Ces intimidations peuvent prendre la forme d’un tapage ou celle d’une agression d’une autre nature, comme l’inscription de graffiti sur la porte d’une maison. Ces actions partagent l’objectif commun d’exercer une pression psychologique sur la victime. Le 10 avril 1792, une partie des administrateurs municipaux les plus conservateurs de Courthézon découvre que la porte de leur domicile a été taguée pendant la nuit. Cette attaque est perçue comme une véritable agression par les édiles. Quelques jours auparavant, la municipalité avait donné une fin de non-recevoir à une pétition du club des Jacobins exigeant que les édiles se montrent plus actifs dans l’application des lois concernant les émigrés de la commune. Après des élections consensuelles en 1791, attirant plus de votants qu’en février 1790, le club et la municipalité, dont la plupart des membres sont des clubistes, ne partagent plus les mêmes vues politiques. Les attaques nocturnes, probablement menées par certains Jacobins, sanctionnent le modérantisme et le manque de zèle des administrateurs municipaux. Le marquage de la porte des édiles avec de la peinture, tel que l’on pouvait le pratiquer jadis sur celle des pestiférés, délimite symboliquement l’espace en séparant ostensiblement les maisons taguées de celles qui ne le sont pas, et contribue ainsi à la constitution d’un imaginaire politique manichéen. L’usage de la peinture révèlerait au grand jour les amis ou les adversaires du peuple, dont la porte a été marquée.

27Le tapage nocturne représente, à un degré plus élevé, un autre aspect de la violence psychologique. Véritable acte politique, il suit un rituel précis qui n’est pas sans rappeler le charivari d’Ancien Régime. La Révolution pérennise cette pratique. Le tapage nocturne vise avant tout à intimider en frappant symboliquement au cœur de l’intimité de la victime. Le scénario est classique. Des individus, généralement masqués, tambourinent violemment contre la porte, jettent parfois des pierres contre les fenêtres, voire tirent des coups de feu contre la maison. Malgré la violence du choc, le but recherché n’est pas tant d’entrer dans la maison que de provoquer l’effroi chez ses occupants. L’obscurité qui préserve l’anonymat et l’angoisse naturellement suscitée par la nuit amplifient fortement l’effet produit par le tapage. Parfois, des chants peuvent être entonnés avant le passage à l’acte, comme à Pierrelatte où l’on entend le Réveil du peuple avant que les maisons de certains républicains ne soient prises pour cibles. La dimension psychologique de ce moyen d’intimidation est particulièrement nette. La victime ne doit plus se sentir en sécurité dans son propre domicile.

28Le tapage permet également à une minorité politique de se faire entendre et renforce la cohésion d’un groupe marginalisé. Dans la nuit du 15 au 16 ventôse an VI (5-6 mars 1798), les patriotes « exclusifs » de Beaucaire carillonnent devant la maison des veuves de « fédéralistes » exécutés en 1794. Le tapage s’accompagne de menaces et d’insultes. Au-delà de la symbolique forte – intimidation de femmes désarmées, proches des victimes de la « Terreur » –, cet acte provocateur s’adresse aux conservateurs. Malgré la vigoureuse épuration menée dans la foulée du coup d’État de fructidor an V, la municipalité conservatrice, hostile aux « exclusifs », s’est maintenue au pouvoir. Ces derniers parviennent finalement à faire casser la municipalité en frimaire an VI, sous le vague prétexte de violences commises contre les patriotes depuis l’été 1797.

29Malgré leur disgrâce, les conservateurs représentent encore une force politique importante. La ville est d’ailleurs le théâtre de nombreuses rixes de « faction » témoignant de la difficulté, sinon de l’impossibilité, de toute normalisation de la vie politique locale. À quinze jours des élections municipales, convoitées par toutes les forces en présence, cette attaque contre les veuves des suppliciés de l’an II est un message particulièrement clair. À travers elles, c’est tout l’électorat conservateur qui est visé. En intimidant leurs adversaires politiques, les républicains « exclusifs » cherchent à les pousser à l’abstention tout en réaffirmant publiquement, par la multiplication de démonstrations de force, qu’ils constituent un groupe politique avec lequel il faut compter.

30Si les violences psychologiques s’expriment de la même manière que sous l’Ancien Régime, la Révolution en modifie les enjeux et change la grille de lecture. Les violences matérielles s’inscrivent également en tout point dans cette évolution.

Déprédations et violences matérielles

31Faites aux biens ou aux objets, ces violences possèdent une symbolique politique évidente pour les contemporains et sont révélatrices du nouveau rapport que les individus entretiennent avec leur espace proche.

32Les déprédations, au cœur de la contestation d’Ancien Régime, se poursuivent avec la Révolution. Comme avant 1789, ces attaques sont essentiellement nocturnes et visent à punir un individu que l’on ne peut atteindre parce qu’absent ou protégé par ses fonctions, ou pour ne pas se compromettre publiquement. Ainsi, en décembre 1815, certains individus de Sorgues se plaignent de déprédations nocturnes : les arbres fruitiers du notaire Pochy ont été rasés, les treilles du boulanger Clausel ont été coupées tandis que des granges ont été incendiées. Les onze propriétaires attaqués ne sont pas des inconnus. Cinq d’entre eux sont d’anciens cadres de l’an II, dont André Eissery, l’un des membres du comité de surveillance nommé par le représentant Maignet. Il y a également parmi eux de zélés bonapartistes, comme le boulanger Clausel, maire sous l’Empire et surtout durant les Cent-Jours. Les déprédations nocturnes doivent, comme sous l’Ancien Régime, être perçues comme des représailles visant à porter atteinte aux intérêts économiques et à intimider un individu pour ses prises de position politiques.

33À l’exception des châteaux attaqués en 1789 ou 1792, les pillages des propriétés privées sont relativement rares. Après le coup de force d’avril 1792 mené par les Jacobins de Saint-Paul-Trois-Châteaux, l’hôtel particulier du comte de Castellane et quatre autres maisons appartenant toutes aux différents chefs de file du « parti aristocrate », sont pillés. En septembre 1795, lorsque le marquis de Lestang fait une descente sur Montélimar, seul l’hôtel de Boisset est livré au pillage. Dans ces deux exemples, les propriétaires ne sont pas présents. La violence des hommes du marquis, qui n’ont pu massacrer les prisonniers détenus dans la citadelle, est détournée contre la demeure du représentant Boisset, qui cristallise l’hostilité des conservateurs par ses positions républicaines. Le pillage de l’hôtel de Castellane a lieu dans un tout autre contexte. Il conclut une Journée révolutionnaire ayant radicalement modifié l’équilibre politique de la commune. Au-delà de l’aspect matériel, la symbolique du pillage est importante. Il matérialise la défaite de l’ennemi. Par la violation de son intimité, les émeutiers s’approprient symboliquement l’espace tandis que la destruction de ses effets personnels témoigne d’une volonté purificatrice. La mise à sac de la maison de l’ennemi symbolise la mise à mort du vaincu.

  • 85 Cette pyramide, vraisemblablement érigée au cours de l’été 1795, se trouvait à la place de l’actuel (...)

34Cette catharsis politique manifestée à travers la profanation d’un lieu symbolique se retrouve également lors de la crise « fédéraliste » lorsque les sectionnaires saccagent les locaux des clubs politiques, « temples » du jacobinisme, et les emmurent dans l’optique d’en éradiquer la moindre trace dans la mémoire collective. Les monuments expiatoires, lourdement chargés de symbolique politique, religieuse, sinon culturelle, sont également des cibles de choix. Au lendemain de la dissolution de la Commission populaire d’Orange qui fit condamner à mort 332 personnes, un monument expiatoire fut érigé à l’emplacement exact où fonctionna la guillotine85. En décembre 1795, des républicains « exclusifs », dont le maçon Ducros, sont dénoncés pour l’avoir vandalisé en pleine journée. Ducros et ses complices ne sont pas des inconnus. Fervents patriotes « exclusifs », ils se sont signalés durant toute la fin de l’année 1794 et le premier semestre 1795 en traquant les « Thermidoriens » dans les rues ou en participant à toutes les manifestations politiques nocturnes visant à réaffirmer l’existence politique des Jacobins : chants, insultes, intimidations, etc. Le fait qu’ils passent à l’offensive en plein jour n’est pas anodin. Cette attaque diurne est révélatrice d’un changement politique palpable, matérialisé par la victoire des « exclusifs » lors des élections municipales de novembre 1795. Ce basculement politique se traduit par une intensification des violences menées par les républicains « exclusifs ». La dégradation du monument expiatoire, érigé par une faction honnie, est tout autant un message adressé aux conservateurs qu’une façon d’accompagner symboliquement le retournement politique qui s’est produit quelques semaines auparavant. À travers cette attaque, c’est la question mémorielle de la Commission Populaire d’Orange et plus généralement de la « Terreur » orangeoise qui se pose en terme conflictuel.

  • 86 Le chantier de l’étude de la symbolique politique a été ouvert par Maurice Agulhon : Marianne au co (...)
  • 87 Denise Turrel a notamment montré comment certains objets participent à la construction de l’identit (...)

35Certains objets chargés d’une forte connotation symbolique cristallisent l’hostilité des populations86. Si plusieurs d’entre eux suscitaient déjà l’animosité sous l’Ancien Régime, d’autres, récemment intégrés aux nouvelles liturgies des affaires publiques, reflètent l’appropriation d’un nouvel imaginaire politique87. Il ne s’agit pas de dresser un catalogue exhaustif de toutes les dégradations faites aux objets entre 1789 et 1820 mais de montrer, en sélectionnant quelques exemples, que la Révolution et les régimes politiques qui lui ont succédé ont contribué à faire émerger une nouvelle culture politique passant notamment par l’adoption de nouveaux symboles.

36Dans les premiers mois de la Révolution, les bancs d’église figurent en tête des objets suscitant le plus d’animosité. Incarnant aux yeux de nombreux patriotes les inégalités sociales de l’ancienne société d’ordres que le nouveau régime a définitivement aboli, leur présence dans l’église est perçue comme une entorse à la mise en place du nouvel ordre révolutionnaire. L’offensive des patriotes contre les bancs d’église appartenant au seigneur ou à des notables constitue l’aboutissement d’une lutte ayant commencé sous l’Ancien Régime, où des bancs avaient déjà pu être dégradés ou sortis de l’édifice religieux. Le banc, véritable marqueur social, irrite car il reflète à lui seul les inégalités de la société d’Ancien Régime. Au seigneur, à ses agents, aux consuls et à certains notables qui possèdent leur propre banc, auquel ils sont particulièrement attachés car sa possession confère prestige et notabilité, s’oppose une multitude d’habitants qui doit se contenter de chaises quand elle ne reste pas debout durant tout l’office. Les privilégiés assis, les autres debout, ces inégalités apparaissent d’autant plus insupportables dans la nouvelle société révolutionnée que la Constituante a décrété l’égalité entre les hommes. Le mouvement de destruction des bancs concerne toute la vallée du Rhône entre 1789 et 1790. Le scénario se reproduit partout à l’identique : un groupe de patriotes pénètre dans l’église pour sortir les bancs qui sont ensuite brisés et parfois incendiés. Par leur destruction et leur immolation par les flammes, les patriotes marquent le renversement des hiérarchies sociales ainsi que leur volonté d’exorciser un passé révolu. La question des bancs devient un véritable enjeu politique divisant la population et les administrations. Elle révèle des premières lignes de fracture entre les patriotes qui ne sont pas tous décidés à faire les mêmes sacrifices pour la cause révolutionnaire. En août 1790, le sujet vire à la joute verbale entre le procureur général syndic de Courthézon, Étienne Jamet, et le maire, Joseph Étienne de Gontard. Ce dernier, gentilhomme fortuné, possède certainement son banc familial dans l’église. Bien que soutenant les idées réformistes de 1789, son engagement politique trouve une limite dans l’abandon de ce symbole de puissance sociale.

  • 88 Révolution française et « vandalisme révolutionnaire », actes du colloque international de Clermont (...)
  • 89 M. Duval, Du jardin des Lumières aux arbres de la Révolution, Saint-Suliac, Guymic, 2007.
  • 90 M. Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), La Flèche, Gallimard, 1988 [1976], p. 14.

37À un « vandalisme » institutionnel, antiféodal ou antireligieux, s’oppose un « vandalisme » plus informel reflétant l’appropriation de nouveaux codes politiques88. Parce qu’ils symbolisent le nouvel ordre étatique, les objets de la liturgie révolutionnaire sont régulièrement la cible de violences. Le fait que les contemporains dépeignent ces attaques comme des « attentats » est particulièrement révélateur de la charge symbolique qu’ils possèdent. Dans le couloir rhodanien, comme dans le reste de la France, les arbres de la liberté sont les symboles les plus touchés par ces violences89. L’arbre de la liberté n’est pourtant pas une invention révolutionnaire. Le mai était déjà intégré dans le folklore paysan dans le sud-ouest de la France tandis qu’outre-Atlantique, les arbres de mai apparaissaient déjà comme un support de la contestation anti-anglaise à partir de 176590. C’est justement dans le sud-ouest de la France que les premières plantations de mai prennent une orientation contestataire, vigoureusement antiseigneuriale. Érigé au cours d’une émeute populaire, le mai est désormais perçu comme un symbole politique défiant la puissance seigneuriale ou la menaçant. Ce nouvel usage du mai est particulièrement révélateur de la mutation des pratiques culturelles et du folklore d’Ancien Régime sous la Révolution française.

  • 91 A. Corvol, « Les arbres de la liberté : origines et transformations », in Les espaces révolutionnai (...)
  • 92 B. Richard, Les emblèmes de la République, Paris, Éditions du CNRS, 2012, p. 128.
  • 93 AD Ardèche, L 1460, supplément du district du Coiron, dossier Saint-Marcel-d’Ardèche, lettre de l’a (...)
  • 94 Raoux dénonce vraisemblablement les réquisitions militaires.
  • 95 Les Saint-Marcellois s’en tirent mieux que les habitants de Bédoin, dans le massif du Ventoux, chât (...)

38L’arbre de la liberté devient rapidement un symbole révolutionnaire puissant. La plantation des arbres contribue à politiser le nouvel espace révolutionnaire dans lequel il devient un point de repère91. Dans les communes les plus divisées du couloir rhodanien, la plantation d’un tel arbre, interprétée à juste titre comme une prise de possession symbolique de l’espace par le « parti » patriote et un défi politique fort, peut dégénérer en rixe, comme à Sorgues. En juillet 1792, la cérémonie de plantation d’un arbre de la liberté organisée par la municipalité réactionnaire déclenche un affrontement violent. Les patriotes les plus radicaux, refusant que les conservateurs récupèrent ce symbole, perturbent le bon déroulement de la cérémonie. À partir de 1794, les arbres de la liberté deviennent systématiquement les cibles d’attaques nocturnes. Mutiler ou couper un arbre de la liberté devient un geste politique fort, d’autant plus que l’arbre est devenu l’un des symboles quasi-officiels de la République92. En novembre 1793, l’arbre de la liberté du village de Saint-Marcel-d’Ardèche est abattu. Le comité de surveillance soupçonne très vite Noël Raoux, qui s’en est d’ailleurs vanté au club. L’affaire fait grand bruit. Le comité central des sociétés politiques du Midi, réuni à Paul-les-Fontaines, dépêche des commissaires dans la foulée afin de déclarer « s’il y a lieu, la commune de Saint-Marcel en état de rébellion pour être détruite et rasée à l’exemple de la ci-devant Lyon93 ». La réaction du comité central des sociétés politiques révèle que les contemporains perçoivent dans les objets de la liturgie républicaine un support à la contestation politique. Face au musèlement progressif de la parole et de l’écrit, inhérent à la reprise en main de la région par le Gouvernement révolutionnaire, les contemporains trouvent d’autres canaux d’expression. Qu’importent finalement les motivations de Raoux94, son geste est interprété comme une manifestation d’opposition. Dans une aire géographique encore fortement marquée par les stigmates de la crise « fédéraliste », l’attaque d’un symbole républicain est un acte qui ne peut rester impuni95.

  • 96 E. Fureix, « L’arbre de la liberté dans le Midi : conflictualité autour d’un signe révolutionnaire (...)

39Au-delà d’une manifestation d’hostilité à un régime politique honni, la coupe ou la mutilation d’un arbre de la liberté recèle certainement une symbolique d’une autre nature, la décapitation de l’arbre représentant la mise à mort de l’adversaire politique. Lors de l’équipée du marquis de Lestang en septembre 1795, les arbres de la liberté des villes et des villages traversés sont systématiquement pris pour cibles. Ces destructions traduisent avant tout une volonté indéniable de s’approprier l’espace conquis en épurant du paysage tout symbole de la liturgie républicaine. Par ailleurs, la chevauchée du marquis ne fait guère de victimes parmi les républicains « exclusifs » : soit parce que ces derniers se sont enfuis, soit parce que les prisonniers sont protégés par la population et des soldats qui refusent de les livrer. Par conséquent, l’acharnement à détruire les arbres de la liberté traduit une sorte de transfert de la violence, l’exécution des arbres se substituant à celle des républicains. Les mutilations ou les coupes d’arbres de la liberté sont jusqu’aux premières années du Consulat intégrées dans les nouvelles stratégies de contestation politique des différents acteurs. Après brumaire, cette forme d’opposition ou d’hostilité régresse car l’arbre de la liberté perd le sens que la Révolution lui avait donné. En revanche, ces arbres sont à nouveau la cible de destruction institutionnalisée sous la Restauration96. Mise à mort symbolique et institutionnelle, l’abattage est organisé par les municipalités pour effacer toute trace d’un passé révolutionnaire et républicain.

  • 97 C. Lucas, « Violence thermidorienne et société traditionnelle : l’exemple du Forez », Cahiers d’his (...)

40La contestation politique informelle s’exprime aussi, durant la Révolution, à travers les violences faites aux décrets et aux cocardes. En effet, la lacération, souvent nocturne, des décrets placardés sur les murs de la ville est un moyen simple et peu risqué, puisque anonyme et discret, de témoigner son opposition politique. Parfois, le geste s’accompagne de souillures, comme à Montélimar où des individus barbouillent de matières fécales l’arrêté du Directoire exécutif placardé sur les murs et les portes de la ville annonçant le coup d’État du 18 fructidor an V. Parce qu’elles symbolisent le nouvel ordre révolutionnaire, les cocardes font également l’objet de violences. À partir de l’an III et durant tout le Directoire, le port d’une cocarde blanche ou tricolore est un signe politique distinctif important, symbole d’une identité collective97. Piétiner la cocarde est perçu par les contemporains comme un geste politique particulièrement symbolique. En octobre 1797, Chanut, juge de paix du canton de Roquemaure, dénonce les violences commises à l’encontre de personnes portant une cocarde. Même s’il faut garder une certaine prudence à l’égard de ce genre de document visant généralement à rechercher l’arbitrage des autorités supérieures en brossant un tableau le plus sombre possible des luttes politiques locales, cette dénonciation est éclairante quant à la construction d’un nouvel imaginaire politique, qui passe par l’appropriation d’un lexique républicain et de nouveaux codes.

  • 98 R. Dalisson, Les trois couleurs, Marianne et l’Empereur. Fêtes libérales et politiques symboliques (...)
  • 99 M. Agulhon, Histoire vagabonde 1. Ethnologie et politique dans la France contemporaine, Paris, Gall (...)
  • 100 AD Vaucluse, 1 M 744, lettre du sous-préfet d’Avignon au préfet de Vaucluse, 25 août 1815.
  • 101 M. Brunet, Bonnets rouges et blancs bonnets. La politisation de la campagne catalane, 18151852, Le (...)
  • 102 E. Fureix, Iconoclasme et révolution de 1789 à nos jours, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2014, 306 p.
  • 103 O. Christin, Une révolution symbolique, l’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Par (...)

41Chaque régime diffuse ses propres symboles qui participent à l’élaboration de la nouvelle culture politique98. L’Empire recycle le drapeau tricolore ou l’aigle et donne une symbolique politique à l’abeille tandis que la Restauration entretient le culte de la fleur de lys et du drapeau blanc99. À une époque où les écrits ne sont plus libres et la parole politique pourchassée, ces objets fortement connotés constituent un support idéal de contestation. La simple vue de l’un de ces marqueurs politiques peut entraîner des violences. En août 1815, des jeunes avignonnais mettent à sac la maison d’un officier en retraite car un domestique avait placé des « fanaux à l’aigle » sur les fenêtres100. À Valence, le rétablissement du drapeau blanc suscite la grogne de militaires impériaux en route vers Lyon. Ils l’arrachent et mettent en pièce la fleur de lys qui surmonte la hampe. Les historiens ont déjà montré à quel point la question des drapeaux était solidement inscrite dans l’imaginaire politique des populations101. Enfin, l’établissement d’un pouvoir personnel passe notamment par la diffusion d’objets symboliques, comme les portraits officiels ou les bustes pouvant être détournés de leur sens premier. En 1812, le buste de l’empereur installé à l’hôtel de ville est recouvert d’inscriptions injurieuses à Tarascon, tandis que le portrait de Louis XVIII, dressé sur le bord d’un arc de triomphe fabriqué pour le passage du comte d’Artois à Lapalud, est lapidé par un aubergiste bonapartiste. Emmanuel Fureix voit dans ces actes d’iconoclasme, considérés comme séditieux par la loi du 9 décembre 1815, un simulacre d’exécution102. Ces destructions ne sont pas sans rappeler l’iconoclasme huguenot du XVIe siècle103. Toutes ces violences faites à des objets chargés d’une symbolique forte témoignent clairement de la survivance d’une opinion publique qui s’est approprié un nouveau répertoire politique, forgé par la Révolution et qui lui sert de canaux d’expression de la contestation politique.

42L’intensification et les mutations des violences révolutionnaires et postrévolutionnaires constituent un bon indicateur de la formation d’une nouvelle culture politique. Cette dernière adapte le répertoire contestataire du XVIIIe siècle (insultes, chants, intimidations nocturnes, violences matérielles) aux nouveaux contextes institutionnels tout en recyclant des pratiques plus anciennes (résurgence des violences physiques, réinscrites au cœur des stratégies politiques comme aux XVIe et XVIIe siècles, ou iconoclasme symbolique). Ces mutations sont particulièrement visibles à travers l’apparition de nouvelles insultes, de chants et de cris séditieux rénovés qui sont révélateurs de l’assimilation par les populations de la nouvelle terminologie politique, ou la résurgence de la violence physique dans le champ du politique. En effet, l’élargissement de la sphère des affaires publiques favorise l’émergence de groupes antagonistes luttant pour le maintien de leur identité politique, voire pour leur survie, dans un contexte fortement marqué par la radicalisation des esprits et par une intense soif de revanche animant les individus tout au long de la période. Cette cogestion conflictuelle du nouvel espace public révolutionnaire bouleverse l’équilibre de la commune et se traduit par des démonstrations de force allant de la simple rixe visant notamment à réaffirmer publiquement l’existence du groupe aux règlements de compte politisés. Dans les cas les plus extrêmes, cela passe également par des massacres et des exécutions de prisonniers politiques, dont la mise à mort symbolique concourrait à la restauration de l’équilibre perturbé par la Révolution. À l’aube du XIXe siècle, à un moment où la sphère politique s’est considérablement rétractée, les violences traduisent incontestablement la vitalité d’une culture politique ancienne, amendée par la décennie révolutionnaire et marquée par une forte libération de la parole, à laquelle les acteurs restent particulièrement attachés et qu’il paraît difficile de museler complètement.

Notes

1 Soit « la force dont on use contre le droit, contre la loi, contre les personnes, contre les libertés publiques » : M.C. Maradet (dir.), Violence(s) de la Préhistoire à nos jours. Les sources et leur interprétation, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2011, p. 11.

2 R. Muchembled, La violence au village. Sociabilité et comportements populaires en Artois du XVe au XVIIe siècle, Bruxelles, Brépols, 1989 ; A. Follain (dir.), Brutes ou braves gens ? La violence et sa mesure (XVIe-XVIIIe siècle), Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2015.

3 P. Braud, Violences politiques, Paris, Seuil, 2004.

4 D. Roche, « La violence vue d’en bas. Réflexions sur les moyens de la politique en période révolutionnaire », Annales ESC, 44, 1, 1989, p. 44-65 ; A.J. mayeur, Les furies. 1789-1917, violence, vengeance, terreur, Princeton, Princeton University Press, 2000 ; J.C. Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Éditions du Seuil, Paris, 2006 ; A de Baecque, La Révolution terrorisée, Paris, CNRS Éditions, 2017.

5 F. Chauvaud (dir.), La dynamique de la violence. Approches pluridisciplinaires, Rennes, 2010, PUR, p. 77.

6 V. Azoulay, P. Boucheron (dir.). Le mot qui tue. Une histoire des violences intellectuelles de l’Antiquité à nos jours, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2009.

7 A. Corbin, « La violence rurale dans la France du XIXe siècle et son dépérissement : l’évolution de l’interprétation politique », Cultures & Conflits, 9-10, 1993, p. 61-73 ; J.C. Caron, F. Chauvaud, E. Fureix, J.N. Luc (dir.), Entre violence et conciliation. La résolution des conflits sociopolitiques en Europe au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2008, 363 p ; F. Ploux, Guerres paysannes en Quercy. Violences, conciliations et répression pénale dans les campagnes du Lot (1810-1860), Paris, La Boutique de l’Histoire, 2002.

8 B. Garnot, « Une illusion historiographique : justice et criminalité au XVIIIe siècle », Revue historique, 570, 1989, p. 361-379 ; J.C. Farcy, « Statistique et histoire de la criminalité : l’exemple de la violence dans la France du XIXe siècle », in A. Follain (dir.), Brutes ou braves gens... op. cit., p. 19-34.

9 Voir, dans une perspective comparatiste, une nouvelle mise au point sur le sujet : F. Benigno, L. Bourquin, A. Hugon (dir.), Violences en révolte. Une histoire culturelle européenne (XIVe-XVIIIe siècle), Rennes, PUR, 2019.

10 A. Collomp, La maison du père. Famille et village en Haute-Provence aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, PUF, 1983, p. 199.

11 C. Grasland, « Chansons et vie politique à Paris sous la Régence », Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 37/4, 1990, p. 537-570 ; A. Keilhauer, « La querelle chantée : chanson et satire critique au XVIIIe siècle » in S. Mougin (dir.), La querelle. Histoire, ethnologie, linguistique, littérature, actes du colloque organisé par le Centre du Patrimoine linguistique et ethnologique de la Champagne-Ardenne et par l’université de Reims les 2 et 3 juin 1999, Reims, Publications de l’université de Reims, 2000, p. 153-179.

12 H. Lecharny, « L’injure à Paris au XVIIIe siècle. Un aspect de la violence au quotidien », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 36-4, 1989, p. 559.

13 L’insulte ne prend corps que quand elle suscite des réactions : C. Rouyarenc, Les gros mots, Paris, PUF, 1996, p. 112.

14 A. Farge, La déchirure. Souffrance et déliaison sociale au XVIIIe siècle, Montrouge, Bayard, 2013, p. 105.

15 M. Nassiet, La violence, une histoire sociale : France (XVIe-XVIIIe siècles), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2011, p. 95-96.

16 B. Garnot, « Deux approches des injures en Bourgogne au XVIIIe siècle », in B. Garnot (dir.), La petite délinquance du Moyen-Âge à l’époque contemporaine, actes du colloque de Dijon, 9-10 octobre 1997, Dijon, Presses universitaires de Dijon, 1998, p. 435-443.

17 F. Moreil, « La violence verbale des réformés du Midi aux XVIe et XVIIe siècles », in C. Moïse, N. Auger, B. Fracchiolla, C. Scultz-Romain (dir.), La violence verbale. Des perspectives historiques aux expériences éducatives, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 77-94.

18 A. Farge, Essai pour une histoire des voix au dix-huitième siècle, Montrouge, Bayard, 2009, p. 114.

19 C. Jouhaud, « Lisibilité et persuasion. Les placards politiques », in R. Chartier (dir.), Les usages de l’imprimé, XVe-XXe siècles, Paris, Fayard, 1987, p. 309-342 ; D. Roche, « Imprimés et cultures politiques de l’Ancien Régime à la Révolution », Mélanges de l’École française de Rome.

Italie et Méditerranée, 102, 2, 1990, p. 223-231.

20 Voir la mise au point la plus récente dans : S. Haffemayer, P. Rebollar, Y. Sordet, Les Mazarinades. Nouvelles approches, Histoire et Civilisation du Livre - Revue internationale, Droz, n° XII, 2016.

21 T. Debbagi-Baranova, À coups de libelles. Une culture politique au temps des guerres de religion (1562-1598), Genève, Droz, 2012, p. 452.

22 G. Minois, Censure et culture sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1995.

23 AD Hérault, C 6860, lettre de Duret de Villeneuve-lez-Avignon au commandant en chef de la province de Languedoc, 24 février 1755.

24 R. Chartier, « Pamphlets et gazettes », in Histoire de l’édition française. Le livre conquérant.

Du Moyen Âge au milieu du XVIIe siècle, Paris, Promodis, 1983, p. 405-425.

25 R. Chartier, Lecture et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1989.

26 C. Jouhaud, « Les libelles en France au XVIIe siècle : action et publication », Cahiers d’histoire, revue d’histoire critique, 90-91, 2003, p. 33-45.

27 Au sens entendu par Philippe Braud : « Il y a un symbole politique là où s’est opéré un travail politique et culturel de sédimentation de sens autour d’un signifiant. » L’émotion en politique. Problèmes d’analyse, Mayenne, Presses de la Fondation Nationales des Sciences Politiques, 1996, p. 88-89.

28 Le charivari, actes de la table ronde organisée à Paris du 25 au 27 avril 1977 par l’EHESS et le CNRS, publiés par Jacques Le Goff et Jean-Claude Schmitt, Paris, Éditions de l’EHESS, 1981.

29 A. Cabantous, Histoire de la nuit, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2009.

30 M. Brunet, Contrebandiers, mutins, fiers-à-bras. Les stratégies de la violence en pays catalan au XVIIIe siècle, Canet, Trabucaire, 2001, p. 139.

31 Tous les espaces du royaume ne sont pas concernés, en Bretagne ou dans le sud-ouest, par exemple, certains historiens ont constaté une stagnation voire une légère élévation des crimes de sang : L. Mucchielli, P. Spierenburg (dir.), Histoire de l’homicide en Europe de la fin du Moyen Âge à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 91-92 ; G. Larguier, « Violence meurtrière et turbulence juvénile dans le Midi de la France : faut-il réexaminer le processus de civilisation des mœurs ? », in A. Follain (dir.), Brutes ou braves gens... op. cit., p. 349-380.

32 B. Garnot, « La violence et ses limites dans la France du XVIIIe siècle : l’exemple bourguignon », Revue historique, 606, 1998, p. 237-253 ; R. Muchembled, Une histoire de la violence.

De la fin du Moyen-Âge à nos jours, Paris, Éditions du Seuil, 2008, p. 8.

33 N. Elias, La civilisation des mœurs, Paris, Presses Pocket, 1976 [1939].

34 N.Z. Davis, Les cultures du peuple. Rituels, savoirs et résistances au XVIe siècle, Paris, AubierMontaigne, 1992 [1979], p. 269.

35 T. Bouchet, M. Legget, J. Vigreux, G. Verdo (dir.), L’insulte (en) politique. Europe et Amérique latine du XIXe siècle à nos jours, Dijon, Éditions universitaire de Dijon, 2005, 291 p ; T. Bouchet, Noms d’oiseaux. L’insulte en politique, de la Restauration à nos jours, Paris, Stock, 2010.

36 François Ploux fait le même constat pour les rumeurs : De bouche à oreille. Naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle, Paris, Aubier, 2003, p. 9.

37 P. Retat, « Partis et factions en 1789 : émergence des désignants politiques », Mots, 16, 1988, p. 69-89.

38 AD Vaucluse, 6 L 90, dénonciation des « terroristes » du district d’Orange, 11 ventôse an III.

39 F. Wartelle, « Honnêtes gens. La dénomination comme enjeu des luttes politiques (17951797) », Dictionnaire des usages socio-politiques. Fascicule 1... op. cit., p. 93-121.

40 J. Guilhaumou, s. v. « Aristocrate/aristocratie », in Dictionnaire des usages socio-politiques.

Fascicule 1, Limoges, Éditions Lucien Souny, 1985, p. 9-31.

41 M. Deleplace, s. v. « Anarchie/anarchistes », in Dictionnaire des usages socio-politiques.

Fascicule 4, Mayenne, Inalf, 1990, p. 9.

42 Ce concept, forgé sous le Directoire pour dénoncer les massacres collectifs ou individuels d’anciens cadres de l’an II, est communément utilisé par les patriotes pour désigner leurs adversaires les plus conservateurs, même s’ils ne sont pas forcément royalistes.

43 Très utilisé après thermidor, le terme sanctionne la collusion de nombreux patriotes « exclusifs » avec les tribunaux révolutionnaires au cours de l’année 1794 : D. Godineau, s. v. « Buveur(s) de sang, sang, sanguinaire (an III) », Dictionnaire des usages socio-politiques. Fascicule 1... op. cit., p. 36-53.

44 Dans le Comtat, les patriotes sont assimilés à des « brigands », même s’ils n’ont pas participé à l’expédition avignonnaise contre Carpentras en 1791 au cours de laquelle ils se sont autoproclamés « braves brigands de l’armée de Vaucluse ».

45 B. Ménager, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier, 1988, p. 17.

46 L. Bergès, « Perception et mise en scène des manifestations d’opposition au pouvoir de la fin du Premier Empire à la Seconde Restauration : analyse du cas girondin », in B. Barbiche, J.P. Poussou, A. Tallon (dir.), Pouvoirs, contestations et comportements dans l’Europe moderne.

Mélanges en l’honneur du professeur Yves-Marie Bercé, Paris, Presses universitaires de ParisSorbonne, 2005, p. 794.

47 AD Vaucluse, 1 M 742, lettre du sous-préfet d’Avignon au préfet de Vaucluse, 31 mai 1814.

48 AD Vaucluse, 1 M 744, procès-verbal du maire de Bédarrides au sous-préfet d’Avignon, 7 août 1815.

49 AD Vaucluse, 1 M 742, lettre du sous-préfet d’Avignon au préfet de Vaucluse, 11 juin 1814.

50 N. Petiteau, « Insultes et hostilités politiques sous le Consulat et l’Empire », in T. Bouchet, M. Legget, J. Vigreux, G. Verdo (dir.), L’insulte (en) politique... op. cit., p. 214-215.

51 N. Petiteau, « Violence verbale et délit politique. 1800-1830 », Revue d’histoire du XIXe siècle, 36, 2008/1, p. 86.

52 P. Barbier, F. Vernillat, Histoire de France par les chansons, Paris, Gallimard, 1, 1956, p. 9.

53 Les chansons constituent un élément important des sources utilisées par M. Kaci, au même titre que les adresses et les pétitions : Dans le tourbillon de la Révolution. Mots d’ordre et engagements collectifs aux frontières septentrionales (1791-1793), Rennes, PUR, 2016.

54 S. Luzzatto, L’Automne de la Révolution, luttes et cultures politiques dans la France thermidorienne, Paris, Honoré Champion, 2001.

55 On trouvera une étude détaillée sur ces chants dans : N. Soulas, « Chanter la révolte : la chanson au service de la contestation politique dans la moyenne vallée du Rhône de la Révolution française à la Restauration », Études vauclusiennes, 83, 2015, p. 22-28.

56 L. mason, Singing the French Révolution. Popular culture and politics, 1787-1799, Londres, Cornell University Press, 1996 ; P. Darriulat, La muse du peuple. Chansons politiques et sociales en France (1815-1871), Rennes, PUR, 2010.

57 G. Manfredonia, La chanson anarchique en France des origines à 1914. « Dansons la Ravachole », Paris, L’Harmattan, 1997, p. 12.

58 AM Saint-Laurent-des-Arbres, 1 D 1, délibération municipale du 11 août 1791.

59 AD Gard, E dépôt 40 807, délibération communale de Roquemaure, séance du 16 nivôse an III.

60 AM Courthézon, 2 J 2, troubles à l’ordre public 1793-1841, 24 vendémiaire an VI.

61 AM Valence, 1 D 1/3, délibération municipale du 1er fructidor an III.

62 AM Courthézon, 2 J 2, troubles à l’ordre public 1793-1841, 8 août 1815.

63 N. Petiteau, « Les Français face à l’ordre impérial », in Terminée la Révolution..., IVe colloque européen de Calais, 26-27 janvier 2001, textes réunis par Michel Biard, Quintin, Bulletin des amis du vieux Calais, 2002, p. 110.

64 M. Vovelle, Les métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Aubier/ Flammarion, 1976, 300 p.

65 C. Allègre, De la fête officielle à l’action politique autonome : l’exemple du Vaucluse sous le Consulat et le Premier Empire (1799-1815), maîtrise (dir. N. Petiteau), université d’Avignon, 20002001, p. 142.

66 Selon le sens de l’époque, c’est-à-dire qu’un individu a été victime de violences physiques importantes qui ne se sont pas forcément traduites par sa mort. G. Malandin, L’introuvable complot. Attentat, enquête et rumeur dans la France de la Restauration, Paris, EHESS, 2011 ; K. Salomé, L’ouragan homicide. L’attentat politique en France au XIXe siècle, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2010.

67 M. Vovelle, La découverte de la politique... op. cit., p. 295.

68 H.G. Brown, « Mythes et massacres : reconsidérer la “terreur directoriale” », AHRF, 325, 2001, p. 23-52 ; J.C. Martin, « Massacres, tueries, exécutions et meurtres de masse pendant la Révolution, quelles grilles d’analyse ? », La Révolution française, mis en ligne le 15 février 2011.

URL : http://Irf.revues.org/201 ; V. Sottocasa, Les brigands et la Révolution... op. cit., p. 90-125.

69 « Meurtre de masse de plusieurs personnes en une seule fois », d’après la définition proposée par D. El Kenz, Le massacre, objet d’histoire, Paris, Gallimard, 2005, p. 7.

70 J.C. Bourdin, F. Chauvaud, L. Gaussot, P.H. Keller (dir.), Faire justice soi-même. Études sur la vengeance, Rennes, PUR, 2010.

71 Même constat pour les massacres des prisons de Tarascon : M. Vovelle, « Massacreurs et massacrés... », art. cité, p. 145-146.

72 AD Vaucluse, 7 L 65, tribunal criminel de Vaucluse, dossier Joseph Blayet, brumaire an IV.

On trouvera dans ce dossier les dépositions des survivants du massacre.

73 C. Fauré (dir.), Nouvelle encyclopédie politique et historique des femmes, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 229.

74 A. Farge, « L’espace public de la criminalité féminine » in M. Tsikounas, L. Cadiet, F. Chauvaud, C. Gauvard (dir.), Figures de femmes criminelles de l’Antiquité à nos jours, Paris, Publications de la Sorbonne, 2010, p. 19-27.

75 K. Lambert, « La litigiosité féminine à Toulon au XVIIIe siècle à travers les procès pour injures, excès, coups et blessures », in B. Garnot (dir.), La petite délinquance... op. cit., p. 215-224.

76 J. Quéniart, Le grand chapelletout. Violence, normes et comportements en Bretagne rurale au XVIIIe siècle, Rennes, Éditions Apogée, 1993, p. 78.

77 D. Godineau, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine », in C. Dauphin, A. Farge (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997, p. 37.

78 R. Cobb, La protestation populaire en France (1789-1820), Paris, Calman Lévy, 1975, p. 140.

79 R. Girard, La violence et le sacré, Pluriel, Domont, 2010 [1972].

80 J. Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, 2005.

81 C. Lucas, « Violence urbaine et répression à l’époque révolutionnaire », in B. Benoît (dir.), Ville et Révolution... op. cit., p. 86.

82 Voir à ce propos la très stimulante analyse que propose Valérie Sottocasa pour le massacre de la Glacière : Les brigands et la Révolution... op. cit., p. 109.

83 D. Crouzet, Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion, vers 1525-vers 1610, Lonrai, Champ Vallon, 2009 [1990].

84 G. Mazeau, « La violence évitée : citoyens ordinaires face à l’assassinant de Marat », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2010/1, 57, p. 47-68.

85 Cette pyramide, vraisemblablement érigée au cours de l’été 1795, se trouvait à la place de l’actuel théâtre municipal d’Orange, au sud du cours Saint-Martin. En 1825, le monument fut remplacé par une chapelle expiatoire. Endommagé quelques temps après la Révolution de 1830, il est entièrement détruit en 1848. Le théâtre municipal, dont la construction débute en 1882, est inauguré en 1885.

86 Le chantier de l’étude de la symbolique politique a été ouvert par Maurice Agulhon : Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979.

87 Denise Turrel a notamment montré comment certains objets participent à la construction de l’identité politique durant les guerres de Religion : Le blanc de France. La construction des signes identitaires pendant les guerres de Religion (1562-1629), Genève, Droz, 2005.

88 Révolution française et « vandalisme révolutionnaire », actes du colloque international de Clermont-Ferrand, 15-17 décembre 1988, recueillis par S. Bernard-Griffiths, M.C. Chemin, J. Ehrard, Paris, Universitas, 1992, 461 p ; S. Bianchi, « Les fausses évidences du vandalisme révolutionnaire », in M. Biard (dir.), La Révolution française... op. cit., p. 391-404.

89 M. Duval, Du jardin des Lumières aux arbres de la Révolution, Saint-Suliac, Guymic, 2007.

90 M. Ozouf, La fête révolutionnaire (1789-1799), La Flèche, Gallimard, 1988 [1976], p. 14.

91 A. Corvol, « Les arbres de la liberté : origines et transformations », in Les espaces révolutionnaires, actes du 114e Congrès national des sociétés savantes, Paris, Éditions du CTHS, 1990, p. 293.

92 B. Richard, Les emblèmes de la République, Paris, Éditions du CNRS, 2012, p. 128.

93 AD Ardèche, L 1460, supplément du district du Coiron, dossier Saint-Marcel-d’Ardèche, lettre de l’assemblée de Paul-les-Fontaines à la municipalité de Saint-Marcel-d’Ardèche, 20 brumaire an II (10 novembre 1793).

94 Raoux dénonce vraisemblablement les réquisitions militaires.

95 Les Saint-Marcellois s’en tirent mieux que les habitants de Bédoin, dans le massif du Ventoux, châtiés par Maignet pour la même faute commise dans la nuit du 1er mai au 2 mai 1794. À la différence de Saint-Marcel qui n’a pas basculé dans le « fédéralisme », la commune de Bédoin et les villages voisins se sont totalement compromis dans la révolte. Le 28 mai 1794, 35 habitants sont guillotinés sur l’emplacement même où l’arbre de la liberté fut arraché tandis que 28 autres sont fusillés. Le village est incendié et rasé.

96 E. Fureix, « L’arbre de la liberté dans le Midi : conflictualité autour d’un signe révolutionnaire (1814-1852) », AM, 280, 2012, p. 455-472 ; M. Agulhon (dir.), Cultures et folklores républicains, Paris, Éditions du CTHS, 1995.

97 C. Lucas, « Violence thermidorienne et société traditionnelle : l’exemple du Forez », Cahiers d’histoire, t. XXIV, 4, 1979, p. 26.

98 R. Dalisson, Les trois couleurs, Marianne et l’Empereur. Fêtes libérales et politiques symboliques en France (1815-1870), Paris, La Boutique de l’Histoire, 2004, 305 p.

99 M. Agulhon, Histoire vagabonde 1. Ethnologie et politique dans la France contemporaine, Paris, Gallimard, 1988, p. 286-287.

100 AD Vaucluse, 1 M 744, lettre du sous-préfet d’Avignon au préfet de Vaucluse, 25 août 1815.

101 M. Brunet, Bonnets rouges et blancs bonnets. La politisation de la campagne catalane, 18151852, Le Canet, Trabucaire, 2009, p. 14-15 ; E de Waresquiel, L’Histoire à rebrousse-poil. Les élites, la Restauration, la Révolution, Paris, Fayard, 2005, p. 163.

102 E. Fureix, Iconoclasme et révolution de 1789 à nos jours, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2014, 306 p.

103 O. Christin, Une révolution symbolique, l’iconoclasme huguenot et la reconstruction catholique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1991.

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