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Révolutionner les cultures politiques

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Nicolas Soulas

Seconde partie : mutations de la conflictualité et construction du politique au tournant du XVIIIe siècle

Chapitre 6

Formes, enjeux et mutations de la conflictualité électorale

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  • 1 G. Saupin, « Les élections municipales à Nantes sous l’Ancien Régime, 1565-1789 », Annales de Breta (...)
  • 2 G. Fournier, « Les incidents électoraux dans la Haute-Garonne, l’Aude, l’Hérault pendant la Révolut (...)
  • 3 B. Hervieu, « Le pouvoir au village : difficultés et perspectives d’une recherche », Études rurales (...)

1Les Français ne découvrent pas le vote en 17891. Dans le couloir rhodanien, et plus généralement dans le Midi de la France, la pratique élective est multiséculaire et constitue un temps fort de la vie politique locale. Par conséquent, les élections de la décennie révolutionnaire et les conflits qu’elles suscitent n’apparaissent pas sur du vide. Est entendue comme conflit électoral toute forme de « rupture du consensus sur le déroulement de la procédure électorale2 ». Parce que l’accès aux fonctions administratives rhodaniennes est sanctionné par le choix d’une poignée d’électeurs avant 1789, les élections peuvent apparaître comme un moment de très forte conflictualité politique, révélateur de l’âpre compétition qui se déroule en coulisse3. En modifiant le cadre institutionnel et en bouleversant les stratégies politiques, la Révolution donne plus de relief à la conflictualité électorale, encore accentuée par l’élargissement de la sphère politique et l’introduction d’une nouvelle coloration idéologique dans la lutte pour les places.

Conflictualités électorales d’Ancien Régime

2Dans la vallée du Rhône, à l’héritage municipal multiséculaire, les élections constituent un temps fort de la conflictualité politique bien avant 1789, attestant de l’existence d’une vive compétition pour l’accès aux charges. En effet, bien que réservées à un petit nombre d’initiés, les fonctions municipales peuvent susciter la convoitise pour le prestige qu’elles offrent. Dans les espaces où la concurrence est la plus rude, les élections cristallisent les tensions. Ces conflits confirment l’intensité de la vie municipale et la forte prégnance de la culture politique locale de la France d’Ancien Régime.

Des élections fortement politisées : consuls et échevins

  • 4 F.J. Ruggiu, « Pour une étude de l’engagement civique au XVIIIe siècle », Histoire urbaine, 19, 200 (...)

3Bien que n’étant pas anoblissantes, les fonctions consulaires ou échevinales rhodaniennes sont recherchées pour le prestige et les privilèges honorifiques qu’elles confèrent à leurs détenteurs4 : banc à l’église, port du chaperon symbole de la fonction, peloton de tête lors des processions, etc.

  • 5 P. Tanchoux, Les procédures électorales en France de la fin de l’Ancien Régime à la Première Guerre (...)
  • 6 L. Coste, « Être candidat aux élections municipales dans la France d’Ancien Régime », in P. Hamon, (...)

4Dans les localités où la tutelle du seigneur n’est pas trop contraignante, les charges municipales peuvent faire l’objet d’une vive concurrence débouchant sur des conflits qui se révèlent au grand jour lors des élections. Parce qu’elles aiguisent la compétition pour les places, les élections cristallisent les tensions politiques au sein de l’hôtel de ville. Pourtant, les contemporains récusent officiellement les candidatures et autres témoignages d’ambitions personnelles5. Dans le système consulaire, les consuls sortant de charge proposent une liste de noms soumis ensuite au suffrage des membres composant le conseil élargi. Des recherches récentes ont démontré que des conciliabules clandestins, propices à nouer des alliances secrètes, peuvent se tenir en amont. Il semble donc y avoir un hiatus entre « le discours tenu et la pratique sociale »6. Si les brigues restent dans l’ombre, les archives locales regorgent d’indices permettant à l’historien de jauger l’intensité de la compétition pour l’accès aux places. Le cas de Mondragon, dans les Terres Adjacentes de Provence, est emblématique de ces luttes politiques.

5Comme dans de nombreuses communautés provençales, les habitants élisent chaque année leurs consuls. Les jours d’élection, les consuls sortant de charge proposent chacun au conseil politique deux individus susceptibles de leur succéder. Les édiles ont scrupuleusement recensé le nombre de votants et le résultat des scrutins des trente élections consulaires qui se sont déroulées entre 1758 et 1790, à l’exception des années 1763 et 1773.

  • 7 AM Mondragon, BB 86-BB 92, 1757-1790.

TABLEAU N° 13 : LES ÉLECTIONS CONSULAIRES MONDRAGONNAISES (1758-1790)7

TABLEAU N° 13 : LES ÉLECTIONS CONSULAIRES MONDRAGONNAISES (1758-1790)7

6Cette étude pose en premier lieu la question de la variabilité numérique du corps électoral. Le nombre de votants fluctue considérablement d’une année sur l’autre. Malheureusement, la sécheresse des sources ne permet pas d’expliquer cette variabilité. Sans doute, lorsqu’elle traverse une phase de crise avec l’un des coseigneurs, la communauté est plus vigilante dans le choix des consuls et les élections sont plus suivies. Du reste, les consuls sont élus par une petite poignée d’électeurs n’excédant jamais la centaine d’individus. Une rapide analyse de la répartition du nombre de voix entre les deux listes de noms proposés pour remplir les fonctions consulaires tend à démontrer que des scrutins sont beaucoup plus disputés que d’autres. En effet, dans certains cas, les consuls sont élus avec une très large majorité tandis que dans d’autres l’une des deux listes remporte la victoire de justesse. Ces scrutins méritent réflexion. Que les électeurs soient unanimes ou très partagés, leur vote est particulièrement éclairant quant aux différents enjeux politiques des élections consulaires.

  • 8 La grande variabilité numérique des effectifs sur toute la période a été prise en considération. No (...)
  • 9 S. Durand, « Les élites municipales... », art. cité, p. 140.

7Dans au moins 24 élections sur 30, les électeurs sont quasiment unanimes dans leur choix. Ainsi, en 1761, Louis Digoine du Palais, ancien officier de marine, et Étienne Bernardin écrasent leurs adversaires qui n’obtiennent que 8 suffrages sur 42. Ces hommes, a priori consensuels, ne sont probablement pas largement élus parce qu’ils incarnent le modèle de l’administrateur municipal idéal. En effet, dans un système oligarchique comme Mondragon, le consulat est en priorité confié à des anciens consuls, ce qui est un gage d’expérience permettant également de verrouiller l’accès aux postes clefs locaux. Dans quatorze cas sur dix-huit, en mettant en lice un ou deux anciens consuls contre des néophytes ou de simples conseillers politiques, les élections sont très largement8 remportées par les anciens consuls. En 1762, la « candidature » de Louis Giroard, artisan textile étranger au monde de l’édilité, est balayée d’un revers de main par les électeurs qui accordent leurs suffrages à d’anciens consuls. De plus, en 1779, les élections sont gagnées par des rejetons de familles consulaires. En somme, dans seulement trois cas sur dix-huit, les élections consulaires sont remportées par de simples conseillers politiques ou par des hommes nouveaux. En confiant les rênes du pouvoir local à des hommes ayant déjà fait leurs preuves, les électeurs fortifient l’oligarchie locale en freinant l’apparition de sang neuf au consulat. En 1787, une partie des administrateurs s’oppose à la proposition d’un ancien consul visant à faire élire comme second consul Chapus, un simple ouvrier en soie. Prétextant une stricte application du règlement municipal qui exclut théoriquement les ouvriers agricoles du consulat, 73 électeurs sur 83 sanctionnent l’ouverture sociale incarnée par Chapus en accordant leur suffrage à la liste adverse. Sous couvert de légalité, ce vote conforte l’oligarchie municipale. Une telle répartition des voix ne sous-entendraitelle pas que les consuls se soient entendus sur les noms proposés lors de tractations souterraines ou de négociations tacites pour la répartition du pouvoir, comme certains historiens ont pu le remarquer pour le Languedoc9 ? L’enjeu politique majeur de ces élections semble d’assurer autant que faire se peut le contrôle du consulat à un cercle très étroit de consuls sortis de charge et à leurs alliés.

8Par ailleurs, le quasi-unanimisme des électeurs dans leur refus de confier les rênes du pouvoir local à certains individus traduit également l’existence de tensions politiques intéressantes. Ainsi, Esprit Reboul et Marc Saint-Pierre, successivement proposés au consulat en 1774 et 1775 sont systématiquement devancés par leurs adversaires qui remportent l’élection haut la main. Pourquoi ces hommes sont-ils écartés ? Reboul, issu d’une famille consulaire, a déjà été lui-même consul à trois reprises avant 1774. S’il n’a jamais été consul, Marc Saint-Pierre n’en demeure pas moins bien intégré au conseil de ville puisqu’il a été nommé conseiller politique à cinq reprises. Ce ne sont pas tant les individus en eux-mêmes qui sont repoussés que leurs relations. Ils gravitent en effet dans l’orbite du comte de Sade, l’un des cinq coseigneurs de Mondragon, par le biais de leur beau-frère commun, le lieutenant du juge seigneurial Jean-Jacques Chabus. Ils sont donc rejetés par un conseil politique soudé, dont les rapports avec les agents seigneuriaux sont particulièrement conflictuels dans les années 1770. Dans une telle conjoncture, la « candidature » de Reboul et de Saint-Pierre, perçue comme une véritable intrusion menaçant l’équilibre des forces politiques au conseil, est écartée. Il s’agit de bloquer l’accès aux fonctions municipales aux hommes du seigneur dans un contexte de crise politique majeure. Toutefois, dix ans plus tard, dans un climat plus apaisé, Reboul et Antoine Roustan, fermier du comte de Sade, sont très largement élus au consulat.

9Dans 6 cas sur 30, les scrutins sont plus serrés et traduisent l’existence d’une forte compétition pour l’accès aux postes clefs locaux. En ce sens, l’élection de 1782 est particulièrement éclairante.

  • 10 AM Mondragon, BB 88, délibération municipale du 27 janvier 1771.
  • 11 O. Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Condé-sur-Noireau, Éditi (...)

10Elle ne peut se comprendre sans une rapide évocation des querelles intestines des années 1770. En janvier 1771, un groupe de juristes et de marchands conduit par l’avocat Jean-Baptiste Argellier tente de faire modifier le règlement municipal. Les amendements proposés visent notamment à exclure du conseil politique les agents seigneuriaux, et plus particulièrement leurs officiers de justice. Les administrateurs et les citoyens les plus allivrés, invités à se prononcer, rejettent la proposition par 22 voix contre 1310. Le premier consul Antoine Lautier fait partie des opposants à la modification. La question de la réforme des statuts municipaux est en réalité la conséquence première de la dégradation rapide des relations entre Jean-François Mouton, juge du marquis Mantin de Crochan, coseigneur non résidant à Mondragon, et une partie du conseil politique menée par Argellier. Le juge seigneurial, qui préside les conseils en tant que représentant du seigneur, est régulièrement dénoncé pour son ingérence, notamment dans la transcription des délibérations dans le registre. En dénonçant vivement cette intrusion, perçue comme une mise sous tutelle de la communauté, Argellier se fait le chantre des libertés municipales mais accentue les divisions au sein du conseil de ville. Une partie des édiles se regroupant autour de lui s’oppose aux clients, aux parents ou aux relations des agents seigneuriaux. En mars 1771, Argellier conteste la nomination par les consuls de Barthelemy Simon Revellud à la place de secrétaire-greffier. Fils du greffier seigneurial et cousin du juge Mouton, sa nomination met à nouveau à l’épreuve l’unité municipale. Au terme d’un scrutin particulièrement serré, Revellud est rejeté à onze voix contre dix. Dans ce climat politique délétère, les élections consulaires prennent une dimension particulièrement stratégique car elles aiguisent la compétition entre les différentes factions. Entre 1771 et 1779, chaque élection consulaire est conflictuelle. Seulement un mois après la crise politique de janvier 1771, les édiles mondragonnais sont amenés à élire de nouveaux consuls. Sur les quatre personnes proposées par les consuls sortants, toutes ont pris position contre la réforme des statuts municipaux. Le médecin Antoine d’Augier, partisan de la réforme, s’oppose à la nomination de deux d’entre eux comme n’ayant pas « les qualités requises ». Les querelles de procédure, concernant notamment la question des échelles ou des rangs consulaires, sont nombreuses au XVIIIe siècle et sont intrinsèquement liées aux pratiques politiques locales11. Dans un contexte de compétition municipale, elles constituent un moyen de court-circuiter la « candidature » d’un édile tout en relançant la course pour les places plutôt qu’une stricte application d’un sacro-saint règlement municipal destiné à maintenir l’équilibre dans la communauté.

11C’est dans ce contexte politique complexe, où s’enchevêtrent soucis de maintenir un certain équilibre au sein du conseil politique et conflits interpersonnels, que se tient le scrutin particulièrement disputé de 1782. Argellier, chef de file des administrateurs réformistes, est en lice contre Antoine Lautier, opposant notoire en 1771 et proche des agents seigneuriaux. Argellier remporte l’élection avec seulement sept voix d’écart. Les électeurs sont particulièrement divisés et conscients de l’importance du scrutin. Comme le suggère l’exemple mondragonnais, les élections consulaires ne sont pas dénuées d’enjeux politiques et ne sont pas toujours jouées d’avance, quel que soit l’effectif des électeurs.

12C’est précisément parce qu’elles ont un intérêt politique évident que les élections municipales de la seconde partie du XVIIIe siècle peuvent être potentiellement conflictuelles et mettre alors en lumière l’existence de tensions politiques plus anciennes et plus souterraines. Pour une meilleure appréciation des mécanismes qui les génèrent, ces scrutins tendus doivent être appréhendés à l’aune de la micro-analyse politique, qui offre l’opportunité de saisir la conflictualité électorale dans ses gestes et les stratégies déployées par les acteurs.

Compétition municipale et conflits interpersonnels : l’affaire des Chartreux de Roquemaure

  • 12 D. Catarina, « Les justices royales subalternes de Languedoc, 1672-1750. Répartition et évolution » (...)
  • 13 É. Pélaquier, De la maison du père à la maison commune. Saint-Victor-de-la-Coste, en Languedoc rhod (...)
  • 14 A. Soulabaille, Guingamp sous l’Ancien Régime, Rennes, PUR, 1999, p. 82-84.

13À la fin de l’Ancien Régime, Roquemaure est un bourg d’environ 3 000 habitants. Port dynamique sur le Rhône, la cité est également le siège de l’une des rares justices royales du diocèse d’Uzès12. Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, la communauté est ébranlée par un conflit politique intense la mettant aux prises avec la Chartreuse de Villeneuvelez-Avignon et divisant le conseil politique. Il s’agit d’un affrontement classique entre une communauté cherchant à réduire le montant de ses impositions en faisant contribuer tous les propriétaires fonciers et un ordre religieux tentant de s’y soustraire. Les Chartreux, qui possèdent environ 370 salmées sur le terroir de Roquemaure depuis 1369, refusent de s’acquitter de la taille, prétextant de la nobilité de leur terre. Après un premier échec en 1538 et de nombreux procès les siècles suivants, la communauté parvient à obtenir gain de cause en 1751 lorsque la Cour des Aides de Montpellier déclare que les biens des Chartreux doivent être soumis à contribution. À partir de 1767, la réfection du compoix propulse la communauté dans un cycle de conflits politiques marqués par l’émergence de deux partis antagonistes. Ces litiges sont fréquents en Languedoc13 et plus généralement dans les petites villes françaises14, et l’un de leurs enjeux est le contrôle de la municipalité.

  • 15 F. Thelamon (dir.), Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté, actes du colloque de Roue (...)
  • 16 C. Guionnet, « La politique au village. Une révolution silencieuse », Revue d’histoire moderne et c (...)

14Avant d’entrer plus en détail dans la crise, il convient de dessiner les contours de ces deux partis. Le parti des Chartreux, tel qu’il est qualifié par les sources, regroupe ceux qui soutiennent de près ou de loin les prétentions de l’ordre religieux. Comme souvent sous l’Ancien Régime, les partis sont structurés par des relations interpersonnelles. S’inspirant des méthodes de l’anthropologie, les historiens ont placé depuis quelques décennies la question des réseaux de parenté ou d’amitié au centre des recherches consacrées aux pratiques politiques municipales15. Le parti des Chartreux repose avant tout sur les liens familiaux de ses sept chefs de file formant un premier cercle auquel s’agrège une multitude de relations de différentes natures16.

  • 17 C. Dolon, « Actes notariés, micro-analyse et histoire sociale : réflexions sur une méthodologie et (...)
  • 18 Précisons par ailleurs qu’à ce jour la numérisation de l’état-civil des communes du Gard n’a toujou (...)

15Le parti des Chartreux est fédéré par les liens étroits qui unissent ses principaux chefs de file au monastère Notre-Dame-duVal-de-Bénédiction de Villeneuve-lez-Avignon. La plupart y ont un ou plusieurs membres de leur famille, ce qui a très certainement pu avoir une incidence particulière dans leurs actions. Au-delà de ce premier cercle, le parti recrute parmi les alliés ou les clients des Chartreux ou de leurs familles. Gilles Courtil, plusieurs fois conseiller renforcé, est l’un des nombreux fermiers du monastère. Les ténors du parti mobilisent également leur propre parentèle et probablement leur réseau de clients ou d’obligés. Le bourgeois Isnard, consul de 1757 à 1758 et conseiller à de nombreuses reprises, est le beau-frère de Pierre Hebrayes. Un minutieux dépouillement des registres de notaires, et plus particulièrement des contrats de mariage, « fixant des rapports de parenté ou de clientèle à un moment donné », permettrait sans doute de relier davantage les membres du parti entre eux17. Toutefois, avec plus de six notaires et une cinquantaine de registres couvrant les années 1750-1790, il n’a pas été possible de mener à bien cette recherche que nous ne nous interdisons pas de poursuivre par la suite. Enfin, les registres d’état-civil, en très mauvais état, ne permettent pas vraiment de pallier le manque18.

16Le second parti, qui regroupe les adversaires aux prétentions des Chartreux, gravite autour des familles alliées Chanut et Giraudy. Son premier cercle est plus restreint. Il s’articule autour de la personnalité d’un noble, Jean-Joseph Giraudy, et de sa belle-famille, les Chanut, qui mobilisent à leur tour leur propre réseau. Ainsi, Jacques Marie Pompée Cappeau, cousin d’Antoine-Guillaume Chanut, gravite dans l’orbite du parti. La famille Giraudy est coutumière de l’exercice du pouvoir. Une branche cousine et alliée, les Giraudy de Grey, monopolise l’office de maire au XVIIe et de nouveau au début du XVIIIe siècle. Simon Giraudy de Grey acquiert la charge de maire perpétuel de la communauté peu de temps après le rétablissement des offices municipaux en 1733. Sa quête du pouvoir local contrarie les ambitions personnelles de Guillaume Ysanove, alors greffier consulaire qui brigue lui aussi cette charge. S’en suit une longue querelle entre les deux hommes et il n’est guère surprenant de compter Ysanove presque vingt ans plus tard parmi les adversaires de Giraudy.

  • 19 Voir annexe sur HAL.

17Le cœur des deux partis est donc formé par un tissu de liens familiaux particulièrement étroits auquel s’agrège un faisceau de relations de différentes natures. Les partis opposés partagent d’autres caractéristiques communes comme un recrutement socioprofessionnel hétérogène19.

  • 20 Voir annexe sur HAL.

18Les deux partis recrutent leurs membres dans toutes les catégories socioprofessionnelles représentées au conseil de ville. Les hommes de loi, dont les compétences judiciaires et l’expérience sont fondamentales en cas de procès, sont particulièrement bien représentés. Sans surprise, les adversaires des Chartreux doivent se passer du soutien du clergé local et des rares gentilshommes du cru, qui ont généralement étroitement associé l’un des rejetons de leur lignée au spirituel. Le parti de Giraudy ne compte que deux nobles, Giraudy lui-même et Jean Joseph Marie de Bellon, qui appartiennent tous deux à la noblesse de robe. Par ailleurs, ces deux partis recrutent parmi l’élite économique locale20.

  • 21 AD Gard, E dépôt 40 345, registre de la capitation pour 1789, 11 juillet 1790.

19Comme les habitants les plus riches sont les seuls à pouvoir accéder au conseil politique, il n’est pas surprenant que les moyennes des deux partis (23,16 l. pour les partisans de Giraudy-Chanut, 19 l. pour le parti des Chartreux) se situent très nettement au-dessus de la moyenne de l’ensemble des capités de la communauté (6,46 l.)21. Les deux partis regroupent à eux seuls l’élite économique du terroir.

GRAPHIQUE N° 4 : VENTILATION DES COTES DE CAPITATION DES DEUX PARTIS (1789)

GRAPHIQUE N° 4 : VENTILATION DES COTES DE CAPITATION DES DEUX PARTIS (1789)

20Plus de 70 % des membres de chaque parti s’acquittent d’une capitation supérieure à 11 l. Aucun adhérent du parti des Chartreux n’est capité en dessous de 8 livres. À l’exception des ménagers Jacques Saint-Jean et Jean Joseph Guillaumon, respectivement capités pour 36 et 46 l., les plus riches membres de la faction Giraudy-Chanut sont des juristes, comme l’avocat Joseph Marie Mathieu (48 l.), Jean Joseph Marie de Bellon (37 l.), Jacques Marie Cappeau (28 l.) et Giraudy luimême (26 l.). A contrario, à l’exception du juge royal Ysanove, dont la capitation s’élève à 48 l., tous les autres juristes du parti des Chartreux ne sont pas capités pour plus de 20 l. Les plus grosses fortunes sont plutôt représentées par la bourgeoisie d’affaires (le marchand Marc Bigonet, capité à hauteur de 37 l.) ou par de gros ménagers comme Pierre Gilles (30 l.) ou Pierre Peillet (24 l.).

21À présent que le contour des deux partis a été dessiné, nous pouvons entrer plus en détail dans la crise politique. À la fin du XVIIe siècle, la municipalité tombe progressivement dans l’orbite de Giraudy et de sa parentèle. Le phénomène, amorcé avec le rétablissement des offices municipaux, s’accélère brutalement à partir de la décennie 1760, écartant toute une fraction de l’élite politique locale. C’est dans ce contexte que s’ouvre l’affaire des Chartreux, dénonciation de la mainmise d’une faction sur les institutions politiques, sur fond de querelle de taillabilité. Celle-ci s’articule en deux phases majeures. La première, s’amorçant dès 1767, atteint un stade paroxystique en 17711772 puis se conclut en 1775. Après une légère détente, la crise entre dans sa seconde phase, marquée par les coups de force de 1781-1782, qui assurent la suprématie de l’un des deux partis sur le conseil politique jusqu’en 1790. Durant toute la crise, les élections consulaires cristallisent les tensions et aiguisent les ambitions des différents acteurs.

22En 1767, le premier consul, Jean-Joseph Giraudy, avocat en Parlement, entame la réfection du compoix. La question de la taillabilité des biens de la Chartreuse est cruciale et permettrait, selon les dires de Giraudy, de réduire d’environ un cinquième les impositions de la communauté. Les partisans des Chartreux s’opposent formellement à toute nouvelle réfection du compoix mais ne parviennent pas à s’imposer. Pour mener à bien ce projet, Giraudy est prolongé d’une année par le conseil politique en 1768 tandis que son successeur et beau-frère, Antoine Guillaume Chanut, poursuit la même politique. Jusqu’en 1771, la municipalité est donc pilotée par le parti opposé aux prétentions des Chartreux. Ces derniers profitent de l’absence de Giraudy, arrivé au terme de son mandat, pour tenter de reprendre la municipalité en main lors des élections consulaires de 1771. La stratégie, désormais classique, repose sur l’invalidation de l’élection pour non respect de la procédure par des partisans de Giraudy, à commencer par Chanut. Ainsi, David Serene, coseigneur de Tavel et l’un des ténors du parti des Chartreux, ainsi que Jean-Baptiste Isnard, dénoncent publiquement Chanut, soutenu par ses partisans qui contre-attaquent en accusant Serene du même abus. Ce premier bras de fer se termine par la défaite des partisans des Chartreux, dont l’un des piliers, David Serene, est exclu du conseil politique par les consuls Cappeau et Soubeyran.

23Derrière cette crise politique se profilent en réalité de vieux règlements de compte. En effet, lors du consulat de Chanut, Isnard et Serene, alors commissionnaires en vin concurrents de Chanut, auraient été dénoncés pour malversations économiques et soumis à une sévère amende. Sous couvert de soutien à l’ordre religieux, le parti des Chartreux fédère un groupe hétéroclite vouant une forte hostilité à Giraudy et à sa parentèle, qui monopolisent le consulat et l’essentiel des honneurs depuis plus de vingt ans et dont la réussite sociale et économique contrarie les ambitions de certaines familles du lieu. Sur les cinq chefs de file du parti des Chartreux, quatre n’ont jamais été consuls. La mainmise sur le consulat et la rivalité économique semblent être les moteurs de cette crise. Conflits d’intérêts et de personnes, l’affaire des Chartreux de Villeneuve-lez-Avignon est tout cela à la fois.

  • 22 AD Hérault, C 6864, plaintes et placets du diocèse d’Uzès, lettre du premier consul de Roquemaure, (...)

24Bien qu’exclu du conseil politique, David Serene reste un opposant puissant. Déplaçant le conflit hors de la maison commune – attestant, s’il en était besoin, que la vie politique locale d’Ancien Régime ne se limite pas au cadre feutré de ces maisons –, il bat le rappel de ses relations ou de ses clients qu’il mobilise contre les consuls. Ces derniers se plaignent d’ailleurs des « tracasseries » qu’ils subissent. Ici, les « garçons du devoir » employés par Serene s’opposent au commissaire de police, fonction remplie par Chanut, là, ils perturbent le bon fonctionnement de l’hôpital de Roquemaure, administré par le conseil politique22.

  • 23 M. Bordes, « Le rachat des offices municipaux en Languedoc au XVIIIe siècle », AM, 80, 88, 1968, p. (...)

25La liquidation de la réforme Laverdy et la restauration des offices municipaux en Languedoc23 donnent à la crise politique un nouveau souffle et offrent à David Serene l’occasion de réinvestir le devant de la scène politique. Il fait l’acquisition en 1772 de l’office de maire pour 12 000 livres. Cet achat vise tout autant à bénéficier des privilèges honorifiques conférés par la fonction que de s’assurer la domination de la pyramide municipale. Toutefois, le rétablissement des offices favorise l’émergence d’une structure communale bigarrée. Le maire, le procureur du roi Auzias et au moins trois conseillers de la première classe sont des partisans déclarés des Chartreux tandis que le parti adverse compte les deux consuls, élus en 1771 et maintenus sine die, ainsi que quelques conseillers des deux classes. La cohabitation entre les deux partis est particulièrement conflictuelle. La mésentente entre le maire et le premier consul, Cappeau, est telle que ce dernier déserte de plus en plus les assemblées. Jusqu’en 1775, les réunions sont parasitées par la lutte d’influence qui oppose les deux partis. Cependant, le rachat définitif des offices municipaux par la province de Languedoc en 1774, en permettant aux communautés languedociennes d’élire à nouveau leurs administrateurs, relance la compétition entre les deux partis pour la mainmise du pouvoir municipal. David Serene perd à nouveau la main. Déchu de sa place de maire, il ne peut empêcher le retour à la maison commune de Giraudy, triomphalement élu premier consul. Cette victoire conclut la première phase de la crise.

26Le conflit entre dans sa seconde phase en 1779 lorsque le mandat de Giraudy arrive à son terme. Alors qu’il propose comme successeurs deux hommes résolument opposés aux ambitions des Chartreux, dont le juriste Cappeau, le conseil se prononce pour la prolongation des deux consuls afin d’achever la réfection du compoix. Seul le juriste Louis Mathieu Michel, membre éminent du parti des Chartreux, s’oppose à la confirmation des consuls. En parallèle à ces attaques frontales, la compétition pour le contrôle du pouvoir local conduit les deux partis à mobiliser l’opinion publique à coup de factums. Cette stratégie vise à obtenir des soutiens dans les différentes instances judiciaires ou administratives de la province. Au niveau local, le parti des Chartreux bénéficie de l’appui de Guillaume Ysanove, notaire et homme de confiance de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, et de son frère Charles Melchior, juge royal de Roquemaure. Mais c’est probablement avec Alexis Roussel, subdélégué de Bagnols, que le parti opposé à Giraudy réalise sa meilleure prise. Bénéficier du soutien du subdélégué, véritable arbitre des conflits locaux et intercesseur vers l’intendant, est un atout considérable, d’autant plus que les hommes du roi prennent rarement la défense des seigneurs contre les municipalités.

27Sans doute y a-t-il là des intérêts qui nous échappent. Les deux partis mènent une vaste campagne de dénigrement et de diffamation. Ces pratiques s’ancrent dans une stratégie de diabolisation de l’adversaire politique visant à convaincre les instances administratives, dont chaque parti requiert l’arbitrage, sinon l’appui.

  • 24 AD Gard, C 212, affaire du premier consul de Roquemaure, 1781.
  • 25 Sur le rôle local du subdélégué : C. Lamarre, « Subdélégués, maires et officiers de bailliage dans (...)
  • 26 M. Bordes, « Le rôle des subdélégués en Provence au XVIIIe siècle », Provence historique, 23, 93-94 (...)

28Alors que les opposants aux prétentions des Chartreux confirment leur mainmise sur les institutions locales en élisant en 1781 le meunier André Bleyrat à la fonction de second consul, la situation se retourne brutalement à la fin de l’année. Le 27 novembre 1781, le conseil politique apprend que Giraudy est destitué par le roi de toutes ses fonctions. Si ses partisans dénoncent une cabale, il n’en demeure pas moins que la surenchère diffamatoire à laquelle les deux factions se sont livrées et la mobilisation de leurs réseaux respectifs ont tourné à l’avantage des partisans des Chartreux. La vacance du poste suscite les convoitises des deux partis municipaux. Pour les partisans de Giraudy et de sa parentèle, l’enjeu est de taille. La perte du consulat réduirait à néant plus de dix ans de procès et de travaux harassants et livrerait surtout la municipalité à leurs rivaux. L’élection de 1781 ne manque pas de rebondissements. En premier lieu, les partisans de Giraudy tentent de reprendre l’initiative. Le second consul Bleyrat propose de désigner les « candidats » susceptibles d’être nommés premier consul. En orientant ainsi les électeurs, le parti hostile aux Chartreux tente de placer un « candidat » de sa sensibilité. David Serene s’oppose à ces visées et essaie de renvoyer l’affaire devant l’intendant de Languedoc. La stratégie est habile puisque le subdélégué, ferme soutien des Chartreux, risque de plaider en leur faveur auprès de l’intendant. Présageant de l’issue défavorable d’un tel recours, les partisans de Giraudy suggèrent au conseil de se prononcer sur la question. Au terme d’un vote très serré, les administrateurs s’estiment suffisamment éclairés pour procéder à l’élection consulaire sans devoir en référer à l’intendant, à dix voix contre neuf. Sans surprise, les partisans des Chartreux proposent deux de leurs membres avant de boycotter l’élection en se retirant de la maison commune. Joseph Marie Bellon, beau-frère de Chanut, est élu premier consul par seulement dix habitants24. La tension est montée d’un cran et les stratégies évoluent. C’est la première fois que l’une des deux forces en présence déserte l’assemblée en pleine séance électorale pour manifester son opposition et tenter de la déstabiliser. Le calcul politique est payant. Au début de l’année 1782, les partisans des Chartreux jouent leur va-tout en faisant intervenir le subdélégué. Roussel casse l’élection de Bellon, remplacé par Louis Mathieu Michel, l’un des chefs de file du parti des Chartreux. L’intervention du subdélégué Roussel vise à réguler les affaires de la communauté. Même si son action s’inscrit clairement dans une stratégie partisane, elle contribue à restaurer l’équilibre des forces politiques perturbées par plus de vingt ans de domination presque sans partage de la faction opposée25. Enfin, l’ingérence du subdélégué doit être perçue comme une forme de mobilisation du réseau des Chartreux, enjeu déterminant dans la compétition pour les places. Dans la Provence voisine, les subdélégués sont également amenés à jouer un rôle décisif lors des élections consulaires, bien que les intendants leur recommandent une totale impartialité26.

  • 27 AD Hérault, C 960, lettre de Roussel à l’intendant de Languedoc, 17 avril 1783.

29L’ingérence du subdélégué, réclamée par une partie des édiles, fragilise l’unité municipale. En effet, en dehors de la courte parenthèse de 1772-1775, durant laquelle le maire Serene cohabita avec deux consuls appartenant à la fonction opposée, c’est la première fois que les consuls proviennent de deux partis différents. Au plus fort de la crise politique, et malgré l’intervention des pouvoirs extérieurs, la voie élective reste perçue comme une façon naturelle et légitime de se départager. À aucun moment, les deux partis ne cèdent à la tentation de recourir à la violence pour régler leurs différends. Aussi, les élections de mars 1782 s’annoncent particulièrement cruciales et disputées. Le conseil renforcé visant à renouveler la moitié du conseil politique se tient sous la présidence du subdélégué Roussel. Chaque consul cherche à placer des membres du parti auquel il appartient. Au terme d’un scrutin serré, les partisans du premier consul raflent les six places à pourvoir. En associant étroitement stratégie électorale et activation de leur réseau, la faction des Chartreux est parvenue à renverser totalement la situation. Leurs adversaires ne sont pas en reste. Le jour de l’élection, ils se réunissent chez Chanut pour établir leur stratégie27. Dans les deux cas, les électeurs viennent à l’hôtel de ville en ayant déjà opté au préalable pour le « candidat » à élire. Affaibli par sa défaite, le second consul André Bleyrat, présenté comme la créature du tandem Giraudy-Chanut, boycotte le conseil politique. Entre mars 1782 et mars 1783, date marquant la fin de son consulat, Bleyrat n’a assisté qu’à seulement six assemblées municipales sur vingt-huit.

30Si les deux partis n’usent pas de la violence pour arriver à leurs fins, ils ne reculent pas devant certaines manœuvres frauduleuses. En 1783, Bleyrat, en tant que second consul sorti de charge, aurait dû devenir conseiller de seconde classe pour deux années, comme le veut l’usage. Ses opposants politiques parviennent à l’éclipser en faisant élire l’un des leurs comme conseiller. Désormais, les adversaires de Giraudy contrôlent le consulat jusqu’en 1790. Toutefois, leur domination n’est jamais totale.

  • 28 AD Gard, E dépôt 40 727, transaction du 15 novembre 1788.

31L’oligarchie urbaine se retrouve piégée à son propre jeu par un allivrement cadastral trop élevé qui restreint le vivier de « candidats » potentiels. De fait, les fidèles de Giraudy continuent de siéger au sein du conseil de ville. Toutefois, il suffit aux partisans des Chartreux d’obtenir une courte majorité, largement assurée par la voix prépondérante du premier consul, pour pouvoir imposer leur volonté à la minorité. Avec un conseil formé de quatorze administrateurs, un quorum de seulement sept édiles – huit lorsque la voix prépondérante du premier consul ne fait pas pencher la balance en cas d’égalité – permet à une faction de l’emporter. Ainsi, le nombre des partisans des Chartreux descend rarement en dessous de sept, à l’exception notable de l’année 1786 où l’imprécision des sources ne permet pas d’identifier clairement le positionnement de quatre administrateurs. De 1782 à 1790, les partisans des Chartreux exercent la réalité du pouvoir. Forts de leurs appuis, les moines liquident le contentieux qui les oppose à la communauté par une transaction au cours de laquelle les deux parties renoncent à poursuivre le procès. En échange de la reconnaissance de la roture de leurs terres, la communauté s’engage à rembourser aux Chartreux la somme de 50 660 l., perçue par la municipalité lorsque les adversaires du monastère étaient aux commandes28. Enfin, la communauté s’engage à ne pas exiger les montants non payés par les Chartreux depuis plus de deux siècles. Cet accord, très avantageux pour l’ordre religieux, amplifie l’impopularité de la municipalité, désormais coupée de la majorité des habitants.

32L’entrée de la communauté dans le processus révolutionnaire change considérablement la donne. En mars 1789, l’élection des députés chargés de porter les cahiers de doléances à la sénéchaussée de Nîmes donne l’occasion aux partisans de Giraudy de relever la tête, profitant du discrédit de la municipalité. Les quatre députés élus sont puisés au sein des deux partis : le juge royal Ysanove et le premier consul, pour les partisans des Chartreux ; Chanut et son cousin Cappeau, pour leurs adversaires. Les élections du début de l’année 1790 sonnent le glas de la domination des « Chartreux ». Déjà, en août 1789, une partie de la population avait critiqué bruyamment l’accord de 1788, faisant de la communauté la débitrice des Chartreux. Des libelles dénigrant les ténors des deux factions irriguent clandestinement la communauté quelques jours avant le scrutin. L’élargissement de la sphère politique à un plus grand nombre de votants – une vingtaine dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, environ 420 en 1790 – est fatal aux consuls qui tentent désespérément d’orienter les élections. Le 8 février 1790, l’assemblée primaire échappe dès le début de la séance à leur contrôle. Giraudy est triomphalement élu président de l’assemblée primaire avec plus de trois cents voix. Les électeurs torpillent le parti des Chartreux, sanctionné pour son inféodation au monastère. Sur onze administrateurs élus en 1790 et ayant déjà siégé sous l’Ancien Régime, seuls deux sont d’anciens partisans des Chartreux. Les postes clefs sont confiés à des proches de Giraudy : Bellon, premier consul cassé en 1782, est élu maire tandis que Pierre-Louis Chanut, beau-frère de Giraudy, devient procureur général syndic. Enfin, au moins quatre officiers municipaux sur huit ont soutenu Giraudy et Bellon lors de leur exclusion en 1781-1782.

  • 29 M. Drillech, Le boycott. Histoire, actualité, perspectives, Paris, Broché, 2011.
  • 30 M. Cubells, « Les pratiques politiques à Marseille au milieu du XVIIe siècle », Provence historique(...)
  • 31 Histoire d’Avignonop. cit., p. 401-405.

33Une étude sur la longue durée a mis en valeur la capacité d’adaptation des potentats locaux face aux bouleversements institutionnels et a permis de dégager les différentes stratégies mises en place par les deux partis pour conquérir ou conserver l’hôtel de ville. Même au plus fort de la crise, la pratique élective reste le moyen privilégié et le plus légitime pour départager les deux factions. C’est justement parce que l’élection confère une certaine légitimité qu’une pratique telle que le boycott trouve tout son sens29. Refuser de paraître à une assemblée électorale ou la déserter la prive d’une certaine façon de toute sa substance légitimante. Ainsi, les édiles élus par une assemblée boycottée risquent de subir critiques et invalidations. Provoquer un incident électoral, qu’il s’agisse d’un boycott ou d’une querelle de procédure, n’a pour autre finalité que de susciter l’intervention des pouvoirs extérieurs afin d’influer sur un scrutin incertain ou défavorable. En parallèle, les partis ont recours à une vaste campagne de dénigrement ou de diffamation visant à obtenir le soutien d’une partie de l’opinion publique plus éclairée ou plus influente, comme le subdélégué, le sénéchal de Nîmes ou l’intendant de Languedoc. Enfin, le dernier enseignement livré par cette étude de cas est que la violence physique est totalement bannie de l’arène politique locale. Contrairement aux siècles précédents, elle ne fait jamais son entrée dans les conflits électoraux rhodaniens de la seconde partie du XVIIIe siècle30. Aussi, le temps des affrontements avignonnais voyant les Pévoulins affronter les Pessugaux pour le contrôle du pouvoir semble révolu31. Dans cette compétition pour les places, qui ne concerne que l’élite politique et économique de la communauté, à aucun moment l’une des deux factions n’introduit l’élément populaire dans la dynamique politique. C’est notamment parce que la clientèle populaire des deux partis n’est jamais mobilisée en temps d’élections que leur concurrence ne prend pas une dimension violente et tragique. Les différents partis ont recours à la justice ou aux administrations supérieures pour régler leurs litiges.

34À la veille de la Révolution, la vallée du Rhône se fond totalement dans un cadre méridional caractérisé par une vie politique locale intense. Parce qu’elles confèrent un certain prestige ou parce qu’elles s’ancrent dans les stratégies de quelques familles, les fonctions municipales peuvent être particulièrement convoitées par les élites locales. Elles font alors l’objet d’une âpre compétition que la convenance a prudemment reléguée à la clandestinité mais qui resurgit parfois en période électorale. Dans des communautés où concurrence pour les places et conflits interpersonnels sont intrinsèquement liés, des élections aux résultats serrés, des fraudes éventées, des querelles de procédures ou le boycott des assemblées constituent autant de manifestations de la conflictualité électorale, reflétant la prégnance de la culture politique locale dans la France du XVIIIe siècle. Dans la vallée du Rhône, les conflits électoraux ne prennent jamais une dimension tragique et violente, en partie parce que la compétition pour les places ne sort pas du cercle étroit des notables. Toutefois, ce jeu de chaises musicales, réservé à un public restreint, est vigoureusement remis en cause par la Révolution. L’élargissement du droit de vote, l’irruption d’un plus grand nombre d’acteurs politiques et la multiplication d’élections de différentes natures aiguisent davantage la concurrence pour les postes. Cela se traduit par une inflation de la conflictualité électorale, la résurgence des violences, notamment physiques, en temps d’élection, ainsi qu’une profonde reconfiguration des échiquiers politiques.

La conflictualité sous la Révolution : nouveaux enjeux

35L’entrée de la vallée du Rhône dans le processus révolutionnaire accentue la conflictualité électorale. L’élargissement du nombre de votants à partir de 1790 complexifie les jeux politiques, jusqu’alors réservés à une étroite poignée d’initiés. L’apparition de nouveaux électeurs et l’irruption de l’élément populaire dans les assemblées électives doivent être intégrées à l’équation. En soumettant l’attribution de la moindre fonction locale au principe électif, la Révolution multiplie le nombre de scutins et pousse les contemporains à réadapter leurs stratégies au nouveau contexte institutionnel. Par ailleurs, la radicalisation précoce d’une partie des acteurs rhodaniens et la forte bipolarisation de la vie politique locale renforcent indubitablement le caractère stratégique des élections. Les conflits électoraux de la décennie révolutionnaire témoignent tout autant de l’élargissement de la sphère politique que de la nouvelle dimension donnée aux assemblées électives. Cependant, la conflictualité électorale, touchant très inégalement notre zone d’étude, confirme l’existence d’une géographie politique rhodanienne à géométrie variable.

Une conflictualité électorale protéiforme

36En réaffirmant le principe électif comme socle de la représentativité locale et nationale, la Révolution française amplifie la compétition pour les places. Face à l’irruption de nouveaux acteurs à la conscience politique affutée, les élections continuent d’être des temps forts de la conflictualité politique dans le couloir rhodanien. En effet, les affrontements électoraux – entendus comme perturbation du bon déroulement d’un scrutin, quel que soit le moyen utilisé, dans l’optique de le faire annuler ou d’influer sur ses résultats – se multiplient durant la décennie révolutionnaire. Recenser avec précision toutes les élections conflictuelles est impossible. D’une part, tous les procèsverbaux d’élection n’ont pas été conservés, d’autre part, ces sources servant de témoignage à charge ou à décharge peuvent être parfois exagérées ou passer sous silence les troubles électoraux. Toutefois, le sondage réalisé livre des conclusions intéressantes.

TABLEAU N° 14 : TYPOLOGIE DES CONFLITS ÉLECTORAUX (1790-1799)

TABLEAU N° 14 : TYPOLOGIE DES CONFLITS ÉLECTORAUX (1790-1799)
  • 32 G. Fournier, « Les incidents électoraux... », in Les pratiques politiques... op. cit., p. 66-67.
  • 33 Nous renvoyons le lecteur au chapitre 8.

37Si tous les scrutins créent des conditions propres à générer du conflit, les élections municipales apparaissent de loin comme les plus disputées. Contrairement à ce qu’a pu observer G. Fournier dans le Toulousain32, les autres élections sont nettement moins conflictuelles. Étonnamment, les assemblées primaires désignant les électeurs du second degré sont rarement perturbées. Les seules traces de conflit concernent les assemblées primaires comtadines de 1790, et restent circonscrites à la communauté de Caderousse33. C’est probablement en partie parce que ce type de scrutin figure parmi les moins attractifs.

  • 34 Voir annexe sur HAL.
  • 35 M. Crook, « Voter en assemblée sous la Révolution, le citoyen dans l’espace électoral », in R. Monn (...)

38En multipliant le nombre de votes, l’année 1790 génère les conditions propres à amplifier la conflictualité électorale (20 % des scrutins troublés)34. La réduction du nombre d’élections l’année suivante restreint en toute logique la potentialité de conflits, sauf dans le cas des élections municipales, où la remise en jeu des fonctions clefs cristallise les tensions et relance la compétition pour les places dans un climat politique régional délétère. Voilà qui relativise les propos de Malcolm Crook estimant que les élections sont rarement conflictuelles avant l’an VI35. L’évolution de la géographie politique rhodanienne et les événements de l’été 1792 contribuent à réduire des tensions électorales qui se maintiennent toutefois localement. Notons que les litiges survenant lors des élections judiciaires restent minoritaires et disparaissent après 1790. Le caractère censitaire et la technicité de la fonction réduisent sans doute la compétition à un nombre restreint d’acteurs et, surtout, les faibles occasions d’investir les justices de paix, seulement deux élections entre 1790 et 1792, amenuisent les probabilités de conflits. À partir de l’an IV, les élections des juges de paix sont associées avec celles des autres cadres administratifs.

  • 36 G. Fournier, « Les incidents électoraux... », in Les pratiques politiques... op. cit., p. 68.
  • 37 B. Gainot, « Les troubles électoraux de l’an VII : dissolution du souverain ou vitalité de la démoc (...)

39La restauration de la procédure élective en 1795 s’accompagne d’un nouveau cycle de conflits, dont la phase paroxystique est atteinte en 1798 lors des scrutins particulièrement disputés de l’an VI (25 % des élections conflictuelles) avant de s’amenuiser à la veille de brumaire. La temporalité de cette conflictualité est très singulière. On ne trouve rien de tel dans le Midi toulousain où les troubles survenus durant les élections diminuent très nettement après l’an V36, ni dans d’autres espaces géographiques où les conflits s’accroissent fortement en 179937.

40La conflictualité électorale est presque essentiellement circonscrite au Midi rhodanien. En effet, sur les dix-huit querelles relevées entre 1790 et 1792, seules deux ont pour cadre géographique la vallée du Rhône septentrionale. Les scrutins les plus troublés se situent au sud de Montélimar, et plus particulièrement dans une zone restreinte formant un triangle délimité par Bourg-Saint-Andéol, Saint-Paul-Trois-Châteaux et Avignon. La frange rhodanienne du Gard et de l’ancien Comtat, la pointe sud-est de l’Ardèche et la Drôme méridionale apparaissent comme les hauts-lieux de la conflictualité électorale. La réception du processus révolutionnaire et l’assimilation de la nouvelle culture politique varient selon les espaces. La seconde phase de la conflictualité électorale confirme cette acculturation différenciée : une vallée du Rhône septentrionale, ignorant les nombreuses tensions électorales qui émaillent le Directoire, s’oppose clairement à un Midi rhodanien où les conflits liés aux élections se sont accentués. En effet, sur les vingt-deux assemblées électorales troublées durant le Directoire, seule celle d’Étoile se situe dans la vallée du Rhône septentrionale. Comme sous l’Ancien Régime, le sillon rhodanien méridional apparaît comme une zone de très forte conflictualité politique, dont l’élection constitue l’un des principaux supports.

41À partir d’exemples soigneusement choisis parmi trois types de scrutins, nous tenterons de démontrer que la multiplication des conflits électoraux durant la décennie révolutionnaire témoigne tout autant de l’élargissement de la sphère politique à de nouveaux acteurs que de la capacité d’adaptation des populations au nouveau contexte institutionnel forgé par la Révolution.

Les élections des juges de paix

42Les scrutins désignant les juges de paix comptent parmi les plus précocement troublés. Ils sont néanmoins peu nombreux, éphémères, disparaissent dès 1791 et restent globalement circonscrits à un même espace infrarégional. En effet, sur les quatre contentieux ou conflits émergeant lors de la désignation des juges de paix, un seul se situe à Condrieu, près de Vienne. Notons également que ce type de conflit concerne essentiellement les cantons ruraux (Bourg-SaintAndéol, Condrieu) ou les petites villes (Bagnols, Pont-Saint-Esprit). Les plus gros centres urbains ne semblent pas concernés par cette forme de conflictualité. Ce n’est pas que les élections des juges de paix urbains soient moins politisées mais les enjeux sont nettement différents.

43Les lois des 16-24 août 1789 réorganisant la justice abolissent définitivement la vénalité des fonctions judiciaires. Toutefois, en érigeant le principe électif comme fondement de l’ossature judiciaire, les Constituants amplifient la compétition pour les places dans le monde de la justice. Contrairement à leurs homologues urbains, les juges de paix ruraux représentent un canton et doivent être choisis parmi les citoyens actifs du canton. Il ne fallait guère plus pour réveiller ou accentuer de vieilles disputes « campanilistes ». Dans ces querelles de clocher, les habitants refusent de se transporter dans l’assemblée électorale située dans le village voisin avec lequel ils ont des contentieux. Dans certains cas, la compétition entre les communes est telle que l’élection des juges de paix se politise et prend une dimension nettement plus stratégique, comme l’exemple du canton de Bourg-Saint-Andéol tend à le démontrer.

  • 38 C. Durand-Coquard, C. Coquard, « Société rurale et révolution : l’apport des actes de la justice de (...)
  • 39 J.P. Jessenne, « Le pouvoir des fermiers dans les villages d’Artois (1770-1848) », Annales ESC, 38, (...)
  • 40 S. Aberdam, S. Bianchi, R. Demeude, É. Ducoudray, B. Gainot, M. Genty, C. Wolikow, Voter, élire pen (...)
  • 41 M. Brunet, Contrebandiers, mutins, fiers-à-bras. Les stratégies de la violence en pays catalan au X (...)
  • 42 M. Brunet, Le Roussillon. Une société contre l’État, 1780-1820, Toulouse, Association des Publicati (...)
  • 43 P. Bois, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l (...)
  • 44 S. Bianchi, La Révolution et la Première République au village... op. cit., p. 377-380.

44Au début de la Révolution française, Bourg-Saint-Andéol est la cité la plus importante du canton qui porte son nom. Parmi les communes voisines se trouve Saint-Marcel-d’Ardèche, dont la population excède légèrement les 2 000 habitants. Autrefois siège d’une justice seigneuriale appartenant à la famille de PierreBernis, le village perçoit dans la restructuration judiciaire la perspective d’obtenir sa propre justice de paix. Les habitants ont quotidiennement recours à cette institution de proximité pour régler de fréquents différends de voisinage ou familiaux38. Posséder une justice de paix serait pour les habitants un gage d’une économie de déplacements et de temps. Dans la course à la conquête de la justice de paix, seule la commune de Saint-Marceld’Ardèche tente de s’opposer à Bourg-Saint-Andéol. L’assemblée électorale qui s’ouvre le 29 novembre 1790 est particulièrement tendue et se clôt aussi rapidement qu’elle s’est ouverte. Dénonçant l’intrigue des Bourguésans, les citoyens actifs de Saint-Marcel-D'Ardèche quittent en bloc l’assemblée primaire et entendent élire le juge dans leur village. En effet, pour s’assurer une victoire totale, les électeurs de Bourg-Saint-Andéol auraient courtisé les citoyens actifs des villages voisins, plus particulièrement ceux de Gras et de Larnas que l’avocat Jean-Henri Ymonier avait contribué à détacher du canton de Viviers, deux jours auparavant. Ymonier est d’ailleurs triomphalement élu et les suppliques de Saint-Marcel-d’Ardèche à l’Assemblée nationale n’y changent rien. Le scrutin livre deux conclusions majeures. En premier lieu, avant d’être un homme public, le juge de paix reste un homme inséré dans un faisceau de relations interpersonnelles multiples (débiteurs, voisins, amis, parents, etc.). Dans un cadre cantonal, sa victoire ne peut être assurée que par l’importance et l’influence d’un réseau, comme des études conduites dans d’autres espaces géographiques tendent à le démontrer39. Second enseignement : parce que le scrutin induit une dimension supracommunale, il suscite davantage l’intérêt et la convoitise des citoyens actifs qui prennent pleinement conscience de l’enjeu. Le renouvellement d’une partie des municipalités, concomitant aux élections des juges de paix, attire beaucoup moins les foules parce que l’enjeu est tout simplement moindre. Au niveau national, les travaux récents pointent également l’engouement des électeurs pour les scrutins désignant les juges de paix, plus plébiscités par les citoyens actifs que ceux déterminant les électeurs du second degré40. Se pose enfin une dernière question. Une telle conflictualité sublimerait-elle une rivalité séculaire opposant Saint-Marcel-d’Ardèche à ses voisins ? Le sondage effectué dans le canton s’est révélé très décevant, par manque de sources. Notons toutefois qu’à la veille de la Révolution, les jeunes de la communauté sont dénoncés au commandant en chef de la province pour avoir affronté la jeunesse de Saint-Just. Est-ce une simple rixe entre bandes rivales juvéniles, comme il en existe tant sous l’Ancien Régime41 ou faut-il y voir un conflit intercommunautaire plus profond que la Révolution aurait accentué en lui offrant une nouvelle modalité d’expression, comme cela a pu être le cas dans d’autres lieux42 ? Enfin, la stratégie déployée par les citoyens actifs est également très intéressante. Contrairement à ce que Paul Bois a pu remarquer dans le département de la Sarthe, les électeurs ruraux ne s’allient pas entre eux pour battre leurs homologues citadins43. Dans le cas bourguésan, il semble que des conflits antérieurs transcendent l’opposition ville/campagne que certains historiens ont fait émerger dans d’autres zones géographiques44. Cette querelle de clocher soude la commune de Saint-Marcel-d’Ardèche contre les autres villages et la ville de Bourg-Saint-Andéol, unis pour entraver ses ambitions.

  • 45 Ibid., p. 289.

45Avec ses quelques élections de juges de paix houleuses ou invalidées pour vice de forme, la vallée du Rhône se situe à mi-chemin entre certains espaces géographiques comme l’Allier, où les élections ne connaissent pas de heurts majeurs, et le sud de l’Île-de-France où Serge Bianchi estime que près de 50 % des scrutins sont conflictuels45. Les élections tumultueuses des juges de paix traduisent tout autant l’existence d’une conflictualité ancienne, recyclée et accentuée par les bouleversements révolutionnaires, que la capacité des populations locales d’adapter des pratiques et des stratégies politiques dans un nouveau moule institutionnel. Les rares élections des cadres de la Garde nationale débouchant sur des conflits tendent également à le confirmer et sont particulièrement éclairantes quant aux mutations de la conflictualité politique locale.

Tensions électorales et recrutement de la Garde nationale

46Au cours de l’été 1789, les Constituants institutionnalisent dans chaque commune de France une force armée permanente, dont l’accès aux postes clefs est soumis à la procédure élective puis à l’acclamation des soldats à partir de 1792. La chronologie de la conflictualité électorale des cadres de la Garde nationale est analogue à celle des élections des juges de paix. Après un pic en 1790, les conflits s’amenuisent et ce sont les élections municipales qui cristallisent toutes les tensions. Reste que dans les communes les plus divisées du couloir rhodanien, l’élection de l’état-major de la Garde nationale, en créant une nouvelle situation de mise en concurrence des différents « partis » antagonistes, constitue un temps fort de la conflictualité politique à l’aube de la Révolution, comme l’illustre l’exemple de Bagnols. Malgré leur défaite en février 1790, les partisans de l’ancien subdélégué Roussel et de l’expremier consul Reynaud-Saurin restent influents et conservent de nombreux soutiens, notamment dans la Garde nationale, dont cinq compagnies sur six leur sont acquises. En revanche, l’état-major est contrôlé par Charrier de Moissard, un aristocrate révolutionnaire, allié de circonstance du maire, Broche-Devaux, et résolument hostile aux Roussel. Toutefois, seule la dernière compagnie de la Garde nationale soutient Charrier de Moissard et la municipalité Broche-Devaux. La tension est palpable dans la ville. De multiples manifestations d’hostilité aux Roussel ont lieu entre avril et juillet 1790. Parmi les détracteurs de la famille se trouvent de nombreux individus ayant eu à subir les foudres du subdélégué dans les derniers temps de l’Ancien Régime. En juin 1790, une émeute dirigée contre le clan Roussel pousse l’ancien subdélégué et son père à quitter la ville. Seul le cadet des fils Roussel reste à Bagnols. Les festivités du 14 juillet 1790 dégénèrent en combats de rue, opposant les deux factions. Au cours des échauffourées, Roussel manque de se faire lyncher. C’est dans ce contexte tendu et violent que se tiennent les élections visant à renouveler les cadres de l’état-major de la Garde nationale le 8 août 1790. Plus de cinq cents hommes se réunissent pour procéder au remplacement des officiers. Le ton monte rapidement entre les « partis » antagonistes. Charrier de Moissard, élu administrateur du district de Pont-Saint-Esprit, est sommé par plusieurs partisans de la famille Roussel d’opter pour sa place de commandant en chef ou pour celle d’administrateur du district. S’il accepte son élection au district, il prend le risque de s’éloigner de Bagnols tout en laissant aux partisans de Roussel l’opportunité de faire main basse sur la Garde nationale. Cette dernière deviendrait alors un contre-pouvoir important. Une rixe, dont chaque partie rejette la responsabilité sur l’autre, éclate violemment. Il faut l’intervention du régiment de chasseurs du Roussillon, en garnison dans la commune, pour rétablir l’ordre.

47Quelles que soient les causes de cette altercation et les responsabilités de chacun, cette émeute est révélatrice de la capacité d’adaptation des forces locales au nouveau contexte institutionnel. En effet, les partisans des Roussel saisissent l’opportunité offerte par l’apparition d’un nouveau pouvoir pour tenter de renverser la tendance. En changeant les règles des jeux politiques, la fragmentation du pouvoir local contribue à relancer la compétition entre « partis » et procure un nouveau souffle à la conflictualité. Les élections municipales donnent également lieu à des affrontements politiques précoces et intenses se traduisant par une inflation de scrutins conflictuels, symptomatiques des mutations de la culture politique.

Les mutations de la conflictualité électorale : le cas des élections municipales

  • 46 C. Guionnet, L’apprentissage de la politique moderne. Les élections municipales sous la Monarchie d (...)

48Les élections municipales de la décennie révolutionnaire ont longtemps souffert d’un désaveu, dénigrées par de nombreux chercheurs qui refusent de leur attribuer la moindre once de politique. Ainsi, à la fin des années 1990, Christine Guionnet les réduit à « l’expression d’un phénomène plus général d’exclusion des nobles de la scène politique et sociale46 ». Or, ces élections sont bien plus complexes et les conflits qu’elles génèrent attestent clairement la présence d’enjeux politiques majeurs.

49En confirmant la procédure élective pour désigner les municipalités rhodaniennes, les Constituants pérennisent un mode d’expression politique ancien dans la vallée du Rhône. La Révolution française favorise le glissement d’une pratique confidentielle, jusqu’ici réservée à une poignée d’initiés et limitée au cadre strict de la maison commune, vers un électorat élargi se réunissant dans des assemblées théoriquement ouvertes au public. Ce faisant, les Constituants accentuent indubitablement la compétition pour les places et les conflits qui en sont la manifestation la plus visible.

50Entre 1790 et 1792, les électeurs sont appelés à voter à quatre reprises pour renouveler leurs édiles. Dans les 30 villestests de notre échantillon, cela représente un total de 120 élections municipales qui ont été systématiquement dépouillées. En second lieu, nous avons également prospecté dans les registres de délibérations de district et de département ainsi que dans les procès-verbaux de scrutins conservés, à la recherche de la moindre trace de conflictualité liée aux élections municipales. Onze élections municipales conflictuelles ont été recensées dans la vallée du Rhône entre 1790 et 1792. Dix assemblées primaires tendues sur onze se situent sans surprise dans le Midi rhodanien. Les conflits touchent principalement les villages et les petites villes.

51Avignon, ville la plus peuplée, fait figure d’exception. Par ailleurs, mise à part Mondragon, ces cités ne connaissent qu’une seule crise électorale durant les deux premières années de la Révolution. Les scrutins de novembre 1790, moins stratégiques que ceux de 1790 et 1791 où les postes clefs sont en jeu, suscitent beaucoup moins l’intérêt des citoyens actifs.

52Cette conflictualité électorale à géométrie variable procède de dynamiques complexes qui impliquent des héritages culturels, notamment dans la pratique du tumulte électoral qui se perpétue sous la Révolution, des données économiques et sociales et une trajectoire politique particulière, qui s’agrègent à un climat mouvant et délétère. Il semble, en effet, exister une corrélation entre la capacité d’ouverture des municipalités aux « hommes nouveaux » et la conflictualité électorale. De nombreuses communes connaissant un important renouvellement des détenteurs de fonctions municipales ignorent les tensions électorales, comme Orange, Vienne, Tain ou Courthézon. Dans ces lieux, les élus issus de la Révolution s’imposent rapidement et se maintiennent au pouvoir. Toutefois, ce critère n’explique pas tout. Ainsi, à Bagnols ou à Bourg-Saint-Andéol, dont les municipalités s’ouvrent à de nombreux néophytes en 1790, les élections municipales de 1791 sont particulièrement conflictuelles tandis qu’elles ne le sont ni à Beaucaire ni à Pont-Saint-Esprit, administrées par une nette majorité d’édiles présents avant 1790. C’est que les enjeux sont complexes et évoluent continuellement, au rythme de la dégradation de la conjoncture et à celui d’une nationalisation de la vie politique locale plus prononcée. Ils donnent dès lors plus de relief à une compétition pour les charges municipales, dont la dimension idéologique est de plus en plus marquée.

TABLEAU N° 15 : LA MUTATION DES ENJEUX DE LA CONFLICTUALITÉ ÉLECTORALE LOCALE

TABLEAU N° 15 : LA MUTATION DES ENJEUX DE LA CONFLICTUALITÉ ÉLECTORALE LOCALE

53Avec les exemples de Mondragon et de Pierrelatte, le tableau n° 15 met en exergue la question de l’héritage culturel et de l’adaptation de pratiques politiques conflictuelles à un contexte révolutionnaire inédit. La Révolution offre un nouveau souffle au conflit qui opposait les différents partis de Mondragon sous l’Ancien Régime. Si la domination des agents seigneuriaux n’est pas remise en cause en 1789, les nouvelles modalités électorales changent les règles du jeu. Pour maintenir un certain entre-soi, auquel les édiles d’Ancien Régime sont habitués, il est décidé de fixer la journée de travail à vingt sols, écartant dès lors la frange la plus pauvre de la population. Lorsque l’assemblée primaire s’ouvre le 10 février 1790, une partie des citoyens actifs confirme la prééminence des agents seigneuriaux en portant à la présidence le juge seigneurial Chayard et aux fonctions de scrutateurs Argellier, Reboul et Rive, trois hommes gravitant dans le réseau coseigneurial. La réconciliation entre Chayard et Argellier, dont les affrontements scandaient les séances municipales dans les années 1770, a été fraîchement scellée en 1789 par un mariage. Cependant, l’élargissement de la sphère politique à un plus grand nombre d’individus redistribue les cartes. Une partie de l’assemblée conteste cette élection, conduite par le très riche négociant Roustan et ses amis ou clients, et exige un abaissement du cens retenu pour désigner les électeurs. Pour mettre fin aux troubles orchestrés par Roustan et ses partisans, Chayard accepte de son propre chef de réduire le cens à seize sols. Ce geste symbolique témoigne d’un transfert de souveraineté du conseil politique, contrôlé par un cercle étroit de notables, à l’assemblée primaire élargie à un plus grand nombre d’individus. La stratégie de Roustan et de ses alliés s’avère payante et le second tour de scrutin livre un tout autre résultat. L’abaissement du cens favorise une légère fluctuation du nombre de votants qui contribue à inverser la tendance. Roustan et ses partisans finissent par l’emporter : il est élu maire avec plus de 63 % des voix. Les caractéristiques de ce pugilat électoral le rendent particulièrement atypique. Il s’agit d’un conflit politique hybride, associant à la fois les mécanismes de la conflictualité municipale d’Ancien Régime et l’assimilation de nouvelles pratiques politiques. Il ne traduit pas l’affrontement binaire entre un groupe totalement exclu du pouvoir qui chercherait à le conquérir et un autre qui s’opposerait à ses prétentions. Il met en scène des parentèles qui, depuis parfois plusieurs générations, sont étroitement associées à la sphère politique, dont le changement institutionnel accentue la compétition pour la mainmise sur l’hôtel de ville.

  • 47 AN, F1CIII Drôme 2, mémoire des officiers municipaux élus de Pierrelatte, 30 février 1790.

54La situation est légèrement différente à Pierrelatte, où l’un des « partis » en lice est composé essentiellement d’habitants exclus du pouvoir sous l’Ancien Régime. Les anciens échevins, appuyés par maints édiles, tentent de se maintenir au pouvoir. Leur domination est contestée par une coalition formée par Simon de Calameau, un noble parfaitement intégré au conseil politique, et le personnel de la justice royale. Sur les vingt-cinq membres du « parti » de Calameau que nous avons pu identifier, 64 % n’ont jamais été associés au pouvoir mais 12 % d’entre eux sont des rejetons de familles édilitaires47. Il faut également ajouter la masse de grangers et de journaliers, privés de toute représentativité politique, sur laquelle s’appuie le « parti » de Calameau. Les élections dégénèrent rapidement en scission, chaque camp élisant sa propre municipalité. Si la victoire est toutefois concédée à l’ancienne oligarchie, les divisions opérées par la mise en place du nouveau scrutin témoignent, comme à Mondragon, d’une évolution de la conflictualité électorale. L’élargissement de la sphère politique à de nouveaux acteurs fortement politisés qui n’entendent plus rester dans l’ombre contribue à rendre particulièrement conflictuels le partage et la gestion de l’espace public.

55À partir de 1791, la conflictualité électorale amorce une phase de mutation. La fuite du roi, les camps de Jalès et le schisme religieux radicalisent les esprits et amplifient la bipolarisation de la vie politique. La nationalisation des affaires publiques locales confère un nouvel aspect idéologique à la compétition pour les charges municipales, favorisée par la dégradation de la conjoncture et l’éclosion de sociétés politiques de combat. En novembre 1791, quatre communes connaissent des élections municipales troublées : Mondragon, Bagnols, Bourg-Saint-Andéol et Saint-Paul-Trois-Châteaux. Si chaque lieu possède sa spécificité, liée à une trajectoire et des caractéristiques particulières, ces quatre exemples présentent certains traits communs et livrent des pistes intéressantes concernant les mutations de la conflictualité électorale. Ces localités sont géographiquement proches les unes des autres, elles avoisinent l’ancien Comtat, dont nous avons montré la capacité à déstabiliser les communes limitrophes, et la plaine de Jalès, centre de la contre-révolution méridionale. Les pouvoirs locaux sont tenus par des hommes dont le patriotisme leur avait ouvert les portes des municipalités en 1790 mais que la politique des Constituants, notamment en matière de religion, rejette à présent vers le conservatisme. Cette bipolarisation de la vie politique locale est amplifiée par l’émergence de clubs prenant fait et cause pour la Constitution civile du clergé, constituant une minorité à contrecourant qui saisit l’occasion offerte par le renouvellement municipal de 1791 pour s’imposer. Au-delà de la simple concurrence pour l’exercice du pouvoir local se joue en réalité la survie de ces sociétés politiques nées dans des environnements hostiles. Toutefois, la victoire des clubistes n’est pas systématiquement acquise, comme l’atteste l’exemple de Saint-Paul-Trois-Châteaux. Le scrutin de novembre 1791 montre également combien l’équilibre né en 1790 est éphémère et comment les arènes politiques méridionales se recomposent perpétuellement tout au long de la décennie révolutionnaire. Mondragon fournit un bon exemple de ces mutations. C’est en effet la seule commune où les élections municipales font systématiquement l’objet d’affrontements partisans entre 1790 et 1792. En 1790, Roustan s’est imposé par le tumulte en arrachant in extremis sa victoire face à l’ancien « parti » seigneurial. S’appuyant sur sa parentèle et sur sa clientèle, Roustan s’est allié aux d’Augier, une famille patriote influente. La radicalisation des prises de position au cours de l’année 1791 fait bouger les lignes. Des tensions apparaissent rapidement entre Roustan et Charles Joseph d’Augier, ce dernier incarnant de plus en plus l’aile radicale du « parti » patriote. La rupture paraît consommée au cours de l’été 1791. La Constitution civile du clergé semble avoir fissuré une alliance de circonstance, définitivement rendue caduque par la condamnation par Roustan des mouvements populaires de l’été 1791 que d’Augier soutient, voire encourage. Au cours de l’été 1791, les bois de certains notables, comme le juge de paix Reboul, sont dévastés par des habitants qui menacent également de s’en prendre à leurs propriétés. En dénonçant ces déprédations, la municipalité se coupe du soutien d’une partie des habitants les plus humbles tandis que Roustan se rapproche des propriétaires fonciers lésés, qui figuraient encore l’année précédente parmi ses opposants politiques. Le torchon brûle désormais entre le maire et d’Augier, signataire d’une pétition le dénonçant au district d’Orange pour malversations économiques. Le retournement des alliances se traduit par un regain de conflictualité électorale. L’élection municipale de novembre 1791, où les postes clefs sont à nouveau en jeu, vire à la passe d’armes entre les deux factions. Malgré la victoire de Roustan, ses adversaires parviennent à deux reprises à faire casser l’élection par le département des Bouches-du-Rhône pour vices de forme mais Roustan sort systématiquement vainqueur du duel. Les résultats très serrés des différents scrutins témoignent de l’âpre compétition à laquelle se livrent les « partis » en présence pour conquérir ou garder la main sur la municipalité. Cette approche micro-historique montre bien à quel point l’arène politique locale connaît une perpétuelle mutation dans le Midi rhodanien au cours des premières années de la Révolution française.

  • 48 P. Vaillandet, « Des élections mouvementées en Avignon en 1792 », Mémoires de l’Académie de Vauclus (...)

56Enfin, l’accentuation de la dégradation de la conjoncture en 1792 et la division de plus en plus importante des patriotes créent de nouvelles conditions propres à générer des conflits électoraux. Ces derniers n’opposent plus les clubistes à leurs adversaires, comme en 1791, mais des patriotes de la première heure qui n’ont plus grand chose en commun à la fin de l’année 1792. Un exemple bien connu est fourni par Avignon où les patriotes les plus avancés, proches des Glaciéristes, dament le pion, après de nombreux rebondissements, aux patriotes plus modérés48.

57La crise dite « fédéraliste », la mise en place du Gouvernement révolutionnaire et sa liquidation par les Thermidoriens au cours de l’an III, accentuent les divisions, notamment dans le Midi. Le retour à la procédure élective en 1795, sous le Directoire, fait resurgir le spectre de la compétition pour les places municipales sur fond de conflits idéologiques.

TABLEAU N° 16 : UNE INFLATION DE LA CONFLICTUALITÉ ÉLECTORALE SOUS LE DIRECTOIRE

TABLEAU N° 16 : UNE INFLATION DE LA CONFLICTUALITÉ ÉLECTORALE SOUS LE DIRECTOIRE

58Avec dix-neuf élections municipales troublées recensées, la conflictualité électorale s’est considérablement amplifiée sous le Directoire. Le processus se propage à des communes qui l’ignoraient auparavant, comme Orange ou Roquemaure. Dans ces villes, profondément divisées par les luttes partisanes, l’ingérence des Gouvernements d’exception entre 1793 et 1795 dérègle complètement les mécanismes qui régentent le partage de l’espace politique et, en favorisant un « parti » plutôt qu’un autre, entretient un esprit de revanche qui contribue à transformer les assemblées primaires directoriales en arènes. Roquemaure illustre bien ce phénomène. Contrairement aux trois dernières décennies du XVIIIe siècle, les premières élections municipales révolutionnaires ne sont pas conflictuelles. Les partisans des Chartreux ayant été vaincus dès 1790, leurs adversaires s’imposent pacifiquement par les urnes jusqu’en décembre 1792. Derrière le semblant d’unité politique que laisse sous-entendre la tenue de scrutins apaisés, la réalité est tout autre. Comme dans de nombreuses localités du couloir rhodanien, les alliances politiques contractées au début de la Révolution s’effritent sous le coup de sa radicalisation. Le tandem Giraudy-Chanut se déchire, entre autres, au sujet de l’épineuse question de la Constitution civile du clergé. Certains viennent grossir les rangs des conservateurs, bientôt désignés comme suspects, parmi lesquels se trouvent nombre d’anciens partisans des Chartreux. Le « parti » souffre également de l’éloignement relatif de l’un de ses chefs de file, Giraudy, élu député à la Législative. Les élections de l’automne 1792 accélèrent la reconfiguration de l’échiquier politique local, en intégrant dans la municipalité un contingent important de patriotes « exclusifs ». Seule une minorité d’anciens adversaires des Chartreux, séduite par les idées les plus avancées, comme le bourgeois Jacques Saint-Jean devenu membre du comité de surveillance, se fond parmi les nouveaux acteurs. En définitive, la nationalisation de la vie politique locale se traduit par une forte reconfiguration du paysage politique, se substituant à la bipartition des dernières décennies de l’Ancien Régime au profit d’un clivage plus complexe. Ce dernier est fondé sur les nouvelles idéologies forgées par la Révolution et les anciens adversaires ou partisans des Chartreux n’y jouent plus systématiquement les premiers rôles. Le Gouvernement révolutionnaire et la Convention thermidorienne, en déstabilisant la vie politique locale par un jeu de bascule, contribuent à rendre les scrutins directoriaux particulièrement conflictuels, chaque « parti » cherchant à se départager au cours des élections. Dans le conflit qui oppose les deux camps antagonistes en l’an IV, ex-partisans ou adversaires des Chartreux ne jouent plus aucun rôle majeur et le clivage qui avait façonné la vie politique roquemauroise dans les dernières années de l’Ancien Régime n’existe plus. La Révolution française a engendré une nouvelle arène politique, avec ses propres acteurs et ses propres positionnements idéologiques, définis hors du cadre communautaire mais rapidement adoptés par les acteurs locaux.

  • 49 Même constat en Bourgogne : M. Edelstein, « Les élections de l’an VI en Côte-d’Or : le rôle des cer (...)
  • 50 B. Gainot, « Les élections sous le Directoire sont-elles libres ? », in R. Monnier (dir.), Citoyens (...)

59Si les élections municipales du Directoire sont plus conflictuelles, c’est que les enjeux politiques ont évolué depuis 1793. L’ingérence étatique entre 1793 et 1795 brouille les cartes en favorisant l’alternance des différentes factions dans les administrations municipales. Dans les cités méridionales où les Jacobins parviennent à conserver une certaine assise malgré leur exclusion de la sphère politique au cours de l’année 1795, les premières élections du Directoire sont l’objet d’âpres conflits, notamment à Orange et à Roquemaure. Dans les autres centres urbains restés aux mains des conservateurs, la politique de bascule menée par le Directoire au cours des années 1795-1797 contribue à nourrir l’esprit de compétition entre les forces politiques. Dans de telles conditions, le caractère stratégique des élections s’affirme nettement plus que durant les années 1791-1792, comme en témoigne l’inflation de la conflictualité électorale en 1798 (9 sur 18) à laquelle la stratégie gouvernementale des scissions et les cercles constitutionnels ayant essaimé dans le couloir rhodanien ne sont pas étrangers49. Du reste, c’est dans les communes ayant payé le plus lourd tribut à la « Terreur » judiciaire de 1794 que se recensent les scrutins les plus conflictuels. La vallée du Rhône septentrionale, largement acquise aux « républicains directoriaux » ignore totalement cette surenchère conflictuelle visant à écarter définitivement les conservateurs des échiquiers politiques méridionaux et nationaux50.

  • 51 B. Gainot, « Le contentieux électoral sous le Directoire. Monisme et pluralisme dans la culture pol (...)
  • 52 AN, C 551, procès-verbal de la séance du Conseil des Cinq-Cents, 4 nivôse an VII.

60En bouleversant l’organisation politique locale par l’expérience des municipalités cantonales, le Directoire relance les conflits « campanilistes », dont les élections constituent l’expression idéale, comme l’exemple du canton de Roquemaure tend à l’illustrer. Ce dernier comprend six villages : Saint-Laurent-des-Arbres, Montfaucon, Saint-Geniès-de-Comolas, Orsan, Coudoulet, Laudun et la petite ville de Roquemaure. En novembre 1795, lors de l’élection de la municipalité cantonale, les citoyens actifs de la seconde assemblée primaire du canton, composée des villages de Saint-Laurent-des-Arbres, Montfaucon et Saint-Geniès-de-Comolas, sont invités à se rendre à Saint-Laurent-des-Arbres, où doit se tenir le scrutin. Or, les citoyens actifs de Saint-Geniès-de-Comolas et de Montfaucon réclament le transfert de l’assemblée primaire dans l’un de leurs villages, ce que les citoyens actifs de Saint-Laurent-des-Arbres refusent, provoquant la dissolution précoce de l’assemblée. Ce conflit masque mal l’existence de rivalités larvées entre les villages voisins. Saint-Laurent-des-Arbres justifie ses prétentions en se référant à l’ancien usage : dès le début de la Révolution, le bourg, par son importance démographique, est choisi comme l’un des trois lieux d’accueil des assemblées primaires du canton. La concorde politique s’étant effritée, ce sont ses concurrentes qui accueillent les scrutins de 1792 et 1793. L’esprit de clocher cache en réalité une rivalité politique concrète51. Jusqu’en 1792, Saint-Laurentdes-Arbres constitue une anomalie conservatrice dans un canton jacobin acquis à la ligne de conduite politique la plus dure. Sa principale rivale, Saint-Geniès-de-Comolas, accueille les patriotes saint-laurentins en exil et les épaule lors du coup de force qu’ils mènent contre la municipalité conservatrice en septembre 1792. Il en résulte une hostilité viscérale entre les deux villages, qui resurgit en 1795. En fusionnant les instances administratives des bourgs, la réforme de l’an III bouleverse les stratégies de citoyens désormais amenés à côtoyer au sein des assemblées primaires des électeurs idéologiquement opposés. Dans le Midi rhodanien, où cohabitent en contiguïté des espaces antagonistes, l’agrégat de villages rivaux amplifie la conflictualité électorale. En cela, l’exemple fourni par le canton de Bédarrides dans le Vaucluse est particulièrement éclairant. Le canton compte des anciens villages comtadins, comme Bédarrides ou Sorgues, auxquels ont été adjoints Courthézon dans l’ancienne Principauté d’Orange. Contrairement à Bédarrides, le sang coule à Sorgues dès 1791 et toutes les crises politiques jalonnant le Midi de la France y trouvent un écho violent et amplifié. S’y ajoute une rivalité séculaire avec Bédarrides que la Révolution attise. Le Directoire, en rassemblant ces rivaux au sein de la même assemblée primaire, relance la conflictualité politique qui trouve dans ces élections un nouveau souffle. Ainsi en l’an VI, après avoir tenté d’influer, sans succès, sur le déroulement de l’élection se tenant à Bédarrides, les patriotes « exclusifs » de Sorgues regagnent leur commune, où ils forment une assemblée scissionnaire validée par la suite par le Conseil des Cinq-Cents52.

  • 53 B. Gainot, « La centralité des enjeux électoraux sous le Directoire », in M. Pertué (dir.), Suffrag (...)

61Au-delà du clivage intercommunautaire, cette conflictualité électorale montre à quel point la Révolution a forgé une nouvelle culture politique que les populations se sont rapidement appropriée. En effet, le perfectionnement de la procédure élective en l’an III (élection nationalisée s’ouvrant à la même date dans tout le pays et désignant dans la même séance électeurs, juges de paix et administrateurs municipaux) cristallise les tensions autour des élections dans les localités les plus divisées de la vallée du Rhône méridionale53. Conservateurs et patriotes « exclusifs » refusent d’être administrés par des hommes qui ne professent pas la même opinion politique. Le combat idéologique surpasse la simple compétition pour les places. Lorsque les présidents d’assemblée primaire de l’an VI ou VII encouragent les électeurs à désigner les « républicains les plus vertueux ou les plus probes », ils perpétuent, certes, la conception de l’administrateur idéal héritée de l’Antiquité, mais ils intègrent par là même une orientation idéologique inédite à leurs discours, reflet d’une nouvelle conscience politique progressivement affûtée au gré des événements révolutionnaires. Par conséquent, la conflictualité électorale, omniprésente sous le Directoire, doit être davantage interprétée comme l’une des nombreuses manifestations de l’acculturation d’une partie des populations à cette nouvelle culture politique, avec ses nouveaux gestes et ses nouveaux codes, que comme la traduction d’une certaine forme d’archaïsme, envisagée selon nos conceptions modernes de la démocratie et des pratiques électives.

Stratégies et pratiques de la conflictualité en contexte révolutionnaire

  • 54 B. Gainot, « Espace politique, espaces publics, espaces civiques entre Saône et Loire sous le Direc (...)
  • 55 B. Gainot, « Du bon usage du tumulte dans les assemblées élisantes, 1795-1800 », in P. Bourdin, J.C (...)

62Étudier la conflictualité en temps d’élection nécessite de faire preuve d’un certain recul afin de ne pas tomber dans le piège de la partialité des sources. En effet, le caractère stratégique de l’élection est tel que les vaincus n’hésitent pas à remettre en cause la légalité du scrutin dans l’optique de l’invalider en inondant les autorités supérieures de lettres exagérant et dramatisant les faits54. L’élargissement du droit de vote bouleverse les règles du jeu pour le contrôle du pouvoir local. Les stratégies doivent intégrer un plus grand nombre d’acteurs et s’adapter aux nouvelles modalités électorales. Aussi, les conflits ou les contentieux électoraux doivent être pensés comme faisant partie intégrante des moyens mis en œuvre pour conserver ou conquérir le pouvoir55.

  • 56 Y. Déloye, O. Ihl, L’acte de vote, Condé-sur-Noireau, Presses de Sciences Po, 2008, p. 357.
  • 57 P. Gueniffey, Le nombre et la raison... op. cit., p. 340.
  • 58 AD Drôme, L 160, élection municipale de Saint-Paul-Trois-Châteaux, 13 novembre 1791.

63Le vote en assemblée et la généralisation des bulletins, en rendant la pratique de la ballotte totalement obsolète, impliquent une réorganisation des manoeuvres politiques. Très rapidement, les citoyens actifs perçoivent le caractère stratégique du bureau électoral. Composé du président, du secrétaire et surtout des scrutateurs, il est la pierre angulaire de l’élection. Le président a le pouvoir de suspendre ou de dissoudre l’assemblée primaire et peut faire intervenir la force armée, normalement reléguée à l’extérieur de ce qui est considéré comme un sanctuaire de la citoyenneté56. Les scrutateurs remplissent le bulletin d’un citoyen illettré sous sa dictée. En théorie, le principe favorise l’équité entre tous les citoyens mais dans les faits, il autorise les abus. En définitive, noyauter le bureau électoral permet de s’assurer un scrutin victorieux. Patrice Gueniffey note d’ailleurs que les affrontements les plus décisifs se produisent lors de l’élection du bureau57. La question de la liberté du suffrage, inhérente à la maîtrise du bureau, est au cœur du conflit opposant les citoyens actifs de Saint-Paul-Trois-Châteaux en novembre 1791. Dès le début de l’élection, les scrutateurs provisoires exigent que leur bureau soit placé « à une très grande distance de celui du président et du secrétaire », les clubistes Payan et Marbaud, pour qu’ils n’influencent pas les illettrés58. Les citoyens actifs illettrés désignent à voix haute le nom de leur « candidat » pour que les scrutateurs le notent. Si le bureau du président jouxte celui des scrutateurs, il peut facilement faire pression tant sur les illettrés que sur les scrutateurs. Dans le cas où les opinions politiques divergent, le citoyen illettré prendrait-il le risque de se compromettre, en professant publiquement une sensibilité politique qui pourrait lui nuire ? Cet incident montre clairement que la stratégie des deux « partis » se base sur le contrôle du bureau électoral mais c’est l’élection du président de l’assemblée primaire qui cristallise le plus les tensions. Certains votants dénoncent l’attitude des scrutateurs, accusés de ne pas inscrire les noms qui leur sont indiqués et l’assemblée est immédiatement dissoute. Que l’accusation soit fondée ou non, elle met en évidence les moyens mis en œuvre pour s’assurer du contrôle de l’élection : fraude et tumulte pour obtenir le report d’un scrutin particulièrement incertain.

  • 59 Y. Déloye, « Des incidents électoraux. Éléments pour une autre histoire du suffrage électoral », in (...)

64Sous le Directoire, le centre de gravité de l’assemblée primaire glisse du bureau électoral vers l’extérieur de l’assemblée. Désormais, la stratégie est au filtrage. Conservateurs ou patriotes « exclusifs » usent tour à tour du même procédé entre l’an IV et l’an VI. Des hommes armés sont placés en faction devant l’entrée de l’édifice accueillant l’élection avec pour consigne de refuser l’entrée à leurs adversaires. Ceux qui résistent sont rudement houspillés. L’exclusion a une portée symbolique forte : elle marque la séparation entre un sanctuaire de la citoyenneté, accordée à une poignée d’initiés, et un espace politique édulcoré, dans lequel le citoyen, privé de ses droits fondamentaux, est presque réduit à l’impuissance politique. Par conséquent, les seuils des assemblées primaires abritent les affrontements les plus violents de la période directoriale59.

  • 60 Y. Déloye, O. Ihl, L’acte de voteop. cit., p. 351.

65En intensifiant la conflictualité électorale, le processus révolutionnaire réintroduit les violences dans les assemblées primaires rhodaniennes et minore leur rôle d’« espace de civilité »60. Durant les deux premières années de la Révolution, ce sont avant tout des violences verbales. Il s’agit surtout d’intimidations, de menaces ou d’insultes. Ainsi en 1792, les clubistes de Bollène menacent de « battre et de mettre à la potence » si une municipalité patriote n’est pas élue. L’intimidation vise à effrayer les électeurs ou à les faire fuir afin de contrôler l’élection sans avoir recours à la violence physique, plus facilement condamnée par les tribunaux. Le phénomène se multiplie avec l’inflation de la conflictualité électorale et les violences physiques, ponctuelles avant 1795, se généralisent sous le Directoire. Dans le village de Piolenc, le conflit opposant les conservateurs et les républicains « exclusifs » dégénère en bain de sang lors de l’assemblée primaire de l’an VI. Les conservateurs exclus du pouvoir par le coup d’État de fructidor entendent profiter des élections de 1798 pour ressaisir les rênes de l’administration municipale. Les « exclusifs » jouissent d’un climat politique propice, favorisé par le coup de barre à gauche du Second Directoire. Alors qu’ils tentent d’interdire l’entrée de l’assemblée primaire à leurs adversaires, ces derniers résistent. Il s’en suit une fusillade, dont les deux parties se rejettent la responsabilité, faisant au moins cinq morts et une dizaine de blessés. Bénéficiant du soutien du président de l’administration de Vaucluse et du commissaire du Directoire exécutif du département, les Orangeois Nogent et Dugat, les républicains « exclusifs » de Piolenc sont absouts.

  • 61 AN, C 551, procès-verbal de la session du Conseil des Cinq-Cents, 4 nivôse an VII.

66Ces violences sont favorisées par l’irruption dans les assemblées primaires de nombreux citoyens passifs, dont bon nombre sont des déserteurs ou des réquisitionnaires instrumentalisés par les « partis » en présence pour intimider leurs opposants. Leur rôle est de plus en plus prononcé sous le Directoire lorsqu’ils constituent un rouage essentiel de la stratégie électorale. Le premier germinal an VI (21 mars 1798), le bureau de l’assemblée primaire de la section dite de la Liberté, dans le canton de Caderousse-Piolenc, est pris d’assaut par plusieurs hommes armés qui se positionnent ensuite tout autour afin d’en interdire l’approche. L’épisode fournit le prétexte recherché par une partie des électeurs pour former une assemblée scissionnaire dans le bourg voisin de Châteauneuf-Calcernier que le Conseil des Cinq-Cents ratifie quelques mois plus tard61. La stratégie du contentieux électoral est clairement institutionnalisée par les Conseils.

  • 62 O. Ihl, « Tours de main et double jeu. Les fraudes électorales depuis la Révolution française », in (...)
  • 63 AD Drôme, L 160, élection municipale de Saint-Paul-Trois-Châteaux, 13 novembre 1791.
  • 64 N. Dompnier, « La mesure des fraudes électorales. Difficultés méthodologiques et enjeux politiques  (...)

67De plus, certaines assemblées primaires auraient été également entachées par des tentatives de fraude. Les procédés restent classiques : bourrage des urnes, vote de citoyens n’ayant pas (ou prétendant ne pas avoir) la qualité requise pour voter. Ces tentatives restent rares, y compris au niveau national62. Les électeurs dénoncent plus rarement encore les tentatives de corruption. En 1791, des citoyens actifs de Saint-Paul-Trois-Châteaux se plaignent d’avoir « été sollicités pour donner leurs suffrages par offres d’argent et de repas63 ». Les faits sont-ils avérés ou sont-ils exagérés pour jeter le discrédit sur le scrutin ? En effet, les fraudes sont volontairement dramatisées dans l’optique d’obtenir l’invalidation des élections par les autorités supérieures64.

68Enfin, les électeurs provoquent parfois des conflits électoraux afin de susciter l’intervention des pouvoirs extérieurs. En juin 1792, la stratégie des clubistes bollénois consiste à placer l’élection municipale qu’ils ont délibérément perturbée sous l’arbitrage de Claude Payan, administrateur du département de la Drôme, largement acquis aux Jacobins locaux. Désavoués par le département de la Drôme, les administrateurs bollénois finissent par jeter l’éponge au terme d’une élection plus que contestable. Cette pratique visant à rechercher à l’extérieur de la commune l’appui d’un arbitre bienveillant n’est pas sans rappeler le rôle du subdélégué avant 1789. Ces usages politiques révolutionnaires, encore imprégnés de la gestuelle héritée de l’Ancien Régime, sont autant de témoignages de la capacité d’adaptation des populations au nouveau contexte institutionnel.

69La compétition pour les places prend une tournure nettement plus conflictuelle sous la Révolution. Le glissement d’une pratique confidentielle sous l’Ancien Régime vers un électorat élargi accentue la concurrence pour le pouvoir en intégrant un plus grand nombre d’acteurs dans la nouvelle équation politique. Par ailleurs, l’inégale intensité des troubles électoraux atteste de l’importance de la fracture régionale. À une vallée du Rhône septentrionale ignorant presque totalement la conflictualité électorale, s’oppose un couloir rhodanien méridional gangrené par les conflits électoraux depuis l’Ancien Régime, encore amplifiés par la Révolution. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la conflictualité électorale réapparaît dans le Midi après une mise en sommeil forcée par quinze années de césarisme impérial, à l’occasion du scrutin municipal de mai 1815.

Résurgence des conflits et séquelles postrévolutionnaires

  • 65 P. Tanchoux, « Les procédures électorales sous le Consulat et l’Empire » in M. Pertué (dir.), Suffr (...)
  • 66 J.Y. Coppolani, Les élections en France à l’époque napoléonienne... op. cit., p. 234

70Le coup d’État du 18 brumaire an VIII atténue sérieusement la vitalité démocratique de la décennie révolutionnaire. Si Bonaparte ne supprime pas les élections, il en modifie profondément la nature65. Les élections suscitent encore l’intérêt, comme l’atteste la persistance de la compétition entre notables66. Au niveau communal, la restriction des pratiques électives réduit la conflictualité électorale, déjà en baisse à partir de l’an VII, mais ne la fait pas disparaître. Elle est moins virulente mais ne s’éteint pas brutalement après 1799. La culture politique forgée par la Révolution ne s’efface pas en quinze années, comme l’expérience des Cent-Jours tend à le confirmer.

La survivance de la culture politique révolutionnaire après 1799

71Si le système napoléonien restreint le nombre de postes à pourvoir et la fréquence des élections dans les communes, il ne fait pas disparaître les contentieux électoraux, surtout au début de la période. La compétition pour les places reste vive dans les communes bipolarisées, comme Roquemaure, où les rares consultations électorales peuvent à nouveau faire l’objet d’un conflit. En l’an X, les anciens « exclusifs », écartés de toute fonction locale par le Consulat, contestent la validité de l’élection du juge de paix remportée par l’un des chefs de file du « parti » adverse sous la Révolution. Si le scrutin n’a pas donné lieu à une rixe violente, les vaincus réinvestissent la même stratégie qu’avant 1799 en recherchant l’invalidation de l’élection, s’adaptant ainsi au nouveau contexte. Ce faisant, ils parviennent à revenir sur le devant de la scène, malgré la contraction de la sphère politique qui les prive de toute représentativité à l’hôtel de ville.

72Le contexte libéral des Cent-Jours génère des conditions propices à relancer les conflits électoraux. Après quinze années de mise en sommeil, les petites villes et les villages renouent avec l’élection de leur maire dans un contexte de droit de suffrage élargi à la quasi-totalité des citoyens des communes de moins de 5 000 habitants. La compétition pour les charges municipales resurgit dans sa forme la plus virulente dans le Midi rhodanien, où les Cent-Jours ont rouvert les plaies mal cicatrisées de la Révolution. Le renouveau de cette conflictualité montre clairement que quinze ans de césarisme impérial ont échoué à gommer totalement dix années d’acculturation politique révolutionnaire, l’élection restant un moment décisif de la vie politique. Le scrutin de mai 1815 n’a pourtant guère suscité l’intérêt des historiens. Si les renouvellements de l’histoire sociale et politique de la période impériale ont contribué à le sortir légèrement de sa disgrâce historiographique, il pâtit certainement de son positionnement entre les élections révolutionnaires et impériales, de mieux en mieux connues, et les scrutins municipaux de la Monarchie de Juillet. De plus, les sources locales font souvent défaut. Dans ce cadre, et même si une étude approfondie du scrutin municipal de 1815 dans la vallée du Rhône est impossible, les différents échantillons récoltés permettent de se faire une première idée des enjeux.

73Dans le nord de la vallée du Rhône, les quelques procèsverbaux conservés ne font mention d’aucun tumulte. Dans cet espace géographique, les élections de mai 1815 confirment la ligne de conduite modérée de la période précédente. En revanche, dans le Midi rhodanien, échaudé par les échauffourées de la campagne du duc d’Angoulême, les Cent-Jours réveillent de vieux antagonismes politiques. Dans le Vaucluse, la concurrence pour les mairies est particulièrement vive et l’interrègne favorise la renaissance des tumultes électoraux. Les stratégies usitées sont les mêmes que par le passé : filtrage des assemblées, violences intimidatrices et même réapparition dans certaines localités du phénomène de scission, attestant que l’Empire n’a pas entamé la culture politique locale forgée par la Révolution.

74Réduire les conflits générés par les élections de mai 1815 au simple clivage royalistes/bonapartistes minore fortement une réalité politique plus complexe. Dans le sud de la vallée du Rhône, le « parti » bonapartiste constitue une formation politique hétéroclite composée de quelques libéraux ayant foi en l’Acte additionnel et d’une part non négligeable de vétérans de la « Terreur », ralliés à l’Empereur pour court-circuiter les Bourbon et leurs partisans. Comme sous la Révolution, la compétition pour les places municipales revêt clairement une dimension idéologique, comme l’illustre l’exemple de Courthézon.

75À la veille de la Révolution, Courthézon est une petite communauté de la Principauté d’Orange, comptant environ 3 000 habitants. Sous l’Ancien Régime, la conflictualité électorale est peu marquée. La Révolution fracture rapidement la communauté. Les premières divisions provoquées par le schisme religieux de 1791 sont accentuées par la radicalisation progressive de la société politique locale, inféodée au club des Jacobins orangeois. Le divorce entre le club et la municipalité est consommé lorsque cette dernière rejette les injonctions du club visant à séquestrer les biens des émigrés. Les élections de décembre 1792 consacrent la victoire des clubistes qui font massivement leur entrée à l’hôtel de ville, club et municipalité se confondant à présent. La crise « fédéraliste » fournit un prétexte aux adversaires du club pour le renverser. La répression qui s’abat sur le village est implacable. Onze Courthézonais, dont les trois premiers maires de la Révolution, sont exécutés par la Commission Populaire d’Orange. La violence des affrontements politiques plonge le village dans une spirale de règlements de compte s’étalant jusqu’aux premières années du Consulat et dont les républicains « exclusifs » constituent la cible principale. Ces violences soudent le noyau républicain qui parvient à prendre le contrôle de l’assemblée primaire en l’an VI et à conserver le pouvoir en l’an VII. Le coup d’État de brumaire casse la dynamique de reconquête républicaine et la suspension des élections municipales réduit la compétition entre les camps rivaux. Néanmoins, des tensions politiques subsistent. En l’an IX, le général de division Férino réprimande le maire Louis Charavin et son adjoint Joseph Reboul pour leur manque de fermeté face aux divisions. Les récents amnistiés seraient notamment victimes d’insultes, reflétant la vigueur des antagonismes politiques. Les Cent-Jours offrent à la minorité jacobine l’opportunité de recouvrer un pouvoir perdu depuis une quinzaine d’années.

  • 67 AN, F1BII Vaucluse 18, lettre de Parnet au sous-préfet d’Avignon, 22 mai 1815.
  • 68 AD Vaucluse, 2 M 44, lettre de Biliotti, sous-préfet d’Avignon, au préfet de Vaucluse, 29 mai 1815.
  • 69 A. Maureau, « Les municipalités des Cents-Jours dans le Vaucluse... », art. cité, p. 36-38.

76Le scrutin s’ouvre le 22 mai 1815 et réunit 180 votants. Très rapidement, les anciens Jacobins s’emparent du bureau électoral. Le président, Joseph Michel père, et un scrutateur, André Gauthier, sont d’anciens édiles de l’an II. Le secrétaire, Marc Augustin Onde, et un autre scrutateur, Gabriel Onde, appartiennent à une famille républicaine zélée. Le chirurgien François Villelongue, également ancien administrateur municipal de l’an II, est élu maire avec 175 voix contre Parnet, maire royaliste sortant. Le tailleur Jacques Brun, un autre Jacobin notoire, est élu adjoint. Les conservateurs sont totalement balayés mais recherchent l’arbitrage du préfet en dénonçant les irrégularités du scrutin. Leurs adversaires auraient notamment filtré l’entrée de l’assemblée primaire, causant une rixe particulièrement violente67. Biliotti, sous-préfet de l’arrondissement d’Avignon, répugnant à se mêler aux vétérans de la « Terreur » qui ont conduit son père à l’échafaud, estime qu’il vaut mieux nommer Villelongue « que de leur laisser élire68 ». Il propose comme adjoint Joseph Reboul, un ancien « thermidorien » qui a été adjoint au début du Consulat. L’option Reboul, offrant des garanties aux conservateurs, n’est pas retenue. En effet, l’élection est validée par le préfet des Cents-Jours, Heim, dont les sympathies vont nettement vers ceux qui se désignent comme les patriotes de 89. La victoire des vétérans de la « Terreur » s’inscrit dans une dynamique plus large. Au niveau du département, Heim favorise la percée des anciens Jacobins dans la plupart des villages69.

  • 70 AN, F1BII Vaucluse 18, lettre adressée au sous-préfet d’Avignon, signée par les « amis du gouvernem (...)
  • 71 P. Boutry, « Des sociétés populaires de l’an II au parti républicain », in M.T. Maiullari (dir.). S (...)

77L’exemple de Courthézon pose clairement la question de la sédimentation des expériences politiques. Un peu moins de 33 % des quarante-et-un signataires de la lettre demandant au sous-préfet de reconnaître la victoire des anciens Jacobins se sont signalés au cours de la Révolution pour leur orientation politique avancée. Parmi eux, 24 % ont exercé des responsabilités municipales en l’an II ou au sein du comité de surveillance. Parmi les autres, 20 % au moins sont des parents proches d’anciens responsables politiques de 179470. En définitive, presque la moitié des signataires est composée de vétérans de la « Terreur » ou a évolué dans un univers qui s’y rapporte. Les plus jeunes ont baigné dans l’idéal républicain dès leur enfance et véhiculent encore, plus de quinze ans après, cet héritage paternel ou familial71. Les violences subies ont considérablement soudé ce groupe politique entretenant probablement le culte de ses propres « martyrs », tombés sous les poignards de la réaction entre 1795 et 1798. Malgré la mise au pas des Jacobins sous le Consulat et l’Empire, l’esprit républicain est entretenu dans la plus stricte intimité de la cellule familiale et semble perpétué de père en fils. La persistance d’une conscience républicaine témoigne de l’échec de l’acculturation politique napoléonienne. Le syncrétisme municipal napoléonien, excluant les plus ardents républicains de la sphère politique, trouve ici ses limites. L’élection municipale de mai 1815 offre ainsi une nouvelle caisse de résonance à des antagonismes politiques profondément enracinés.

78Les élections constituent dans le couloir rhodanien des temps forts de la conflictualité politique. Parce que les charges municipales confèrent du prestige à leurs détenteurs ou parce qu’elles sont au cœur des stratégies familiales, elles mettent aux prises les notables dans une vive compétition, dont la conflictualité électorale n’est que la manifestation la plus visible. Fraudes, querelles de procédure, boycotts et cabales constituent autant d’éléments de stratégies complexes qui reflètent la prégnance de la culture politique locale de la France du XVIIIe siècle. Durant les dernières décennies de l’Ancien Régime, les conflits électoraux rhodaniens restent cloisonnés à la maison commune ou aux prétoires de provinces et ne concernent que l’élite politique et économique du lieu. Contrairement aux siècles précédents, les clientèles populaires n’interviennent jamais dans des conflits électoraux où les violences, notamment physiques, sont proscrites. Toutefois, la Révolution bouleverse les règles du jeu pour le contrôle du pouvoir local tandis que les mutations institutionnelles obligent les acteurs à réadapter en permanence leur stratégie dans un cadre administratif et politique mouvant. En effet, la transformation de la procédure élective et l’élargissement du nombre de votants amplifient la conflictualité électorale, passant d’un cadre politique feutré, limité à quelques dizaines de personnes sous l’Ancien Régime, vers un espace public élargi pouvant mettre aux prises plusieurs centaines de participants. Par ailleurs, la Révolution offre une nouvelle dimension aux scrutins. Les premières tensions de l’année 1790 traduisent en réalité la capacité d’adaptation des acteurs, qui apprivoisent le nouveau cadre institutionnel dans un contexte de relance des conflits politiques anciens. À partir de 1791, la lutte pour les places est amplifiée par l’introduction d’un nouveau critère idéologique, marqué notamment par l’entrée des clubs dans les jeux politiques locaux et l’appropriation d’une nouvelle terminologie révolutionnaire donnant plus de relief à la conflictualité électorale. Ce bouleversement génère des conflits d’un nouveau genre, sur des positionnements idéologiques définis hors du cadre communautaire, qui concourent à modifier les lignes de clivage. Ainsi, des alliés de longue date peuvent subitement se retrouver dans des camps antagonistes. L’accroissement du nombre d’acteurs et leur radicalisation favorisent le retour des violences en temps d’élection. Cette résurgence de pratiques politiques des XVIe et XVIIe siècles constitue dès lors l’un des volets du répertoire contestataire et reflète fortement l’émergence d’une culture politique nouvelle que les populations s’approprient en adaptant des pratiques et des stratégies d’Ancien Régime aux nouvelles modalités offertes par la Révolution. Les disparités géographiques des conflits électoraux témoignent que l’acculturation au nouvel ordre révolutionnaire emprunte différentes voies. Dans le Midi rhodanien, la bipolarisation de la vie politique locale, héritée de l’Ancien Régime et accentuée par la Révolution, pérennise dans la longue durée des pratiques conflictuelles qui se cristallisent en temps d’élections, ce dont le scrutin de mai 1815 est la parfaite illustration. Un zoom sur les conflits de légitimité offre un éclairage complémentaire sur les mutations des arènes politiques rhodaniennes.

Notas

1 G. Saupin, « Les élections municipales à Nantes sous l’Ancien Régime, 1565-1789 », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 90, 3, 1983, p. 429-450 ; C. Péneau (dir.), Élections et pouvoirs politiques du VIIe au XVIIe siècle, Paris, Éditions Bière, 2008, 413 p ; C. Le Digol, V. Hollard, C. Voilliot, R. Barat (dir.), Histoire d’élections. Représentations et usages du vote de l’Antiquité à nos jours, Paris, CNRS éditions, 2018.

2 G. Fournier, « Les incidents électoraux dans la Haute-Garonne, l’Aude, l’Hérault pendant la Révolution », dans Les pratiques politiques... op. cit., p. 63.

3 B. Hervieu, « Le pouvoir au village : difficultés et perspectives d’une recherche », Études rurales, 63-64, 1976, p. 15.

4 F.J. Ruggiu, « Pour une étude de l’engagement civique au XVIIIe siècle », Histoire urbaine, 19, 2007, p. 153.

5 P. Tanchoux, Les procédures électorales en France de la fin de l’Ancien Régime à la Première Guerre Mondiale, Paris, CTHS, 2004, p. 75.

6 L. Coste, « Être candidat aux élections municipales dans la France d’Ancien Régime », in P. Hamon, C. Laurent (dir.), Le pouvoir municipal de la fin du Moyen-Âge à 1789, Rennes, PUR, 2012, p. 216.

7 AM Mondragon, BB 86-BB 92, 1757-1790.

8 La grande variabilité numérique des effectifs sur toute la période a été prise en considération. Nous avons conscience qu’un consul a plus de chances d’être élu avec une « large » majorité par une dizaine d’électeurs que par une centaine. Pour surmonter cet écueil méthodologique, le profil des « candidats » en lice a été scrupuleusement analysé et chaque élection a été décortiquée et replacée dans son contexte.

9 S. Durand, « Les élites municipales... », art. cité, p. 140.

10 AM Mondragon, BB 88, délibération municipale du 27 janvier 1771.

11 O. Christin, Vox populi. Une histoire du vote avant le suffrage universel, Condé-sur-Noireau, Éditions du Seuil, 2014, p. 39.

12 D. Catarina, « Les justices royales subalternes de Languedoc, 1672-1750. Répartition et évolution », in G. Larguier (dir.), Les justices royales secondaires en Languedoc et en Roussillon, XVIIe-XVIIIe siècles, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2008, p. 163-179.

13 É. Pélaquier, De la maison du père à la maison commune. Saint-Victor-de-la-Coste, en Languedoc rhodanien, 1661-1799, Montpellier, Publications de l’université Paul Valéry, 1996, p. 536-537 ; S. Durand, Pouvoir municipal et société locale dans les petites villes de l’Hérault aux XVIIIe et XIXe siècles : le cas de Mèze de 1675 à 1815, thèse de doctorat (dir. F.X. Emmanuelli), université de Montpellier, 2000, p. 239-253.

14 A. Soulabaille, Guingamp sous l’Ancien Régime, Rennes, PUR, 1999, p. 82-84.

15 F. Thelamon (dir.), Aux sources de la puissance : sociabilité et parenté, actes du colloque de Rouen, 12-13 novembre 1987, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 1995 ; R. Descimon, « Réseaux de famille, réseaux de pouvoir ? Les quarteniers de la ville de Paris et le contrôle du corps municipal dans le second quart du XVIe siècle », in S. Beauvalet-Boutourie, V. Gourdon,

F.J. Ruggiu (dir.), Liens sociaux et actes notariés dans le monde urbain en France et en Europe (XVIeXVIIIe siècles), Paris, Presses universitaires Paris-Sorbonne, 2004, p. 153-175.

16 C. Guionnet, « La politique au village. Une révolution silencieuse », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 45-4, 1998, p. 776.

17 C. Dolon, « Actes notariés, micro-analyse et histoire sociale : réflexions sur une méthodologie et une pratique », in S. Beauvalet-Boutourie, V. Gourdon, F.J. Ruggiu (dir.), Liens sociaux et actes notariés... op. cit., p. 145.

18 Précisons par ailleurs qu’à ce jour la numérisation de l’état-civil des communes du Gard n’a toujours pas été effectuée.

19 Voir annexe sur HAL.

20 Voir annexe sur HAL.

21 AD Gard, E dépôt 40 345, registre de la capitation pour 1789, 11 juillet 1790.

22 AD Hérault, C 6864, plaintes et placets du diocèse d’Uzès, lettre du premier consul de Roquemaure, 29 septembre 1771.

23 M. Bordes, « Le rachat des offices municipaux en Languedoc au XVIIIe siècle », AM, 80, 88, 1968, p. 283-303.

24 AD Gard, C 212, affaire du premier consul de Roquemaure, 1781.

25 Sur le rôle local du subdélégué : C. Lamarre, « Subdélégués, maires et officiers de bailliage dans les villes de Bourgogne », LIAME, 5, 2000, p. 111-125 ; C. Brossaud, Les intendants de FrancheComté, 1674-1790, Paris, La Boutique de l’Histoire, 1999.

26 M. Bordes, « Le rôle des subdélégués en Provence au XVIIIe siècle », Provence historique, 23, 93-94, 1973, p. 392-393.

27 AD Hérault, C 960, lettre de Roussel à l’intendant de Languedoc, 17 avril 1783.

28 AD Gard, E dépôt 40 727, transaction du 15 novembre 1788.

29 M. Drillech, Le boycott. Histoire, actualité, perspectives, Paris, Broché, 2011.

30 M. Cubells, « Les pratiques politiques à Marseille au milieu du XVIIe siècle », Provence historique, 50, 202, 2000, p. 413-426 ; W. Kaiser, Marseille au temps des troubles, 1559-1596.

Morphologie sociale et lutte de factions, Paris, EHESS, 1992.

31 Histoire d’Avignonop. cit., p. 401-405.

32 G. Fournier, « Les incidents électoraux... », in Les pratiques politiques... op. cit., p. 66-67.

33 Nous renvoyons le lecteur au chapitre 8.

34 Voir annexe sur HAL.

35 M. Crook, « Voter en assemblée sous la Révolution, le citoyen dans l’espace électoral », in R. Monnier (dir.), Citoyens et citoyenneté... op. cit., p. 170.

36 G. Fournier, « Les incidents électoraux... », in Les pratiques politiques... op. cit., p. 68.

37 B. Gainot, « Les troubles électoraux de l’an VII : dissolution du souverain ou vitalité de la démocratie représentative ? », AHRF, 297, 1994, p. 448-462.

38 C. Durand-Coquard, C. Coquard, « Société rurale et révolution : l’apport des actes de la justice de paix de l’Allier (1791-fin de l’an VI) », AHRF, 315, 1999, p. 191.

39 J.P. Jessenne, « Le pouvoir des fermiers dans les villages d’Artois (1770-1848) », Annales ESC, 38, 3, 1983, p. 702-734.

40 S. Aberdam, S. Bianchi, R. Demeude, É. Ducoudray, B. Gainot, M. Genty, C. Wolikow, Voter, élire pendant la Révolution française... op. cit., p. 36.

41 M. Brunet, Contrebandiers, mutins, fiers-à-bras. Les stratégies de la violence en pays catalan au XVIIIe siècle, Canet, Éditions Trabucaire, 2001, p. 146-156 ; N. Castan, Y. Castan, Vivre ensemble.

Ordre et désordre en Languedoc (XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, Gallimard, 1981.

42 M. Brunet, Le Roussillon. Une société contre l’État, 1780-1820, Toulouse, Association des Publications de l’université de Toulouse-Le-Mirail & Éditions Eché, 1986, p. 56 ; T.W. Margadant, Urban rivaleries in the french revolution, Princeton, Princeton University Press, 1992.

43 P. Bois, Paysans de l’Ouest. Des structures économiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, Paris, EHESS, 1960, p. 255-260.

44 S. Bianchi, La Révolution et la Première République au village... op. cit., p. 377-380.

45 Ibid., p. 289.

46 C. Guionnet, L’apprentissage de la politique moderne. Les élections municipales sous la Monarchie de Juillet, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 124.

47 AN, F1CIII Drôme 2, mémoire des officiers municipaux élus de Pierrelatte, 30 février 1790.

48 P. Vaillandet, « Des élections mouvementées en Avignon en 1792 », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, t. XXXIII, 1933, p. 17-37.

49 Même constat en Bourgogne : M. Edelstein, « Les élections de l’an VI en Côte-d’Or : le rôle des cercles constitutionnels et les scissions », in P. Bourdin, B. Gainot (dir.), La République directorialeop. cit., p. 351-364.

50 B. Gainot, « Les élections sous le Directoire sont-elles libres ? », in R. Monnier (dir.), Citoyens et citoyenneté... op. cit., p. 602.

51 B. Gainot, « Le contentieux électoral sous le Directoire. Monisme et pluralisme dans la culture politique de la France révolutionnaire », Revue historique, 642, 2007/2, p. 327.

52 AN, C 551, procès-verbal de la séance du Conseil des Cinq-Cents, 4 nivôse an VII.

53 B. Gainot, « La centralité des enjeux électoraux sous le Directoire », in M. Pertué (dir.), Suffrage, citoyenneté et révolutions, 1789-1848, Paris, SER, 2002, p. 33-47.

54 B. Gainot, « Espace politique, espaces publics, espaces civiques entre Saône et Loire sous le Directoire », in B. Benoît (dir.), Ville et Révolution française... op. cit., p. 248-249.

55 B. Gainot, « Du bon usage du tumulte dans les assemblées élisantes, 1795-1800 », in P. Bourdin, J.C. Caron, M. Bernard (dir.), L’incident électoral de la Révolution française à la Ve République, Clermont-Ferrand, Presses de l’université Blaise Pascal, 2002, p. 61-76.

56 Y. Déloye, O. Ihl, L’acte de vote, Condé-sur-Noireau, Presses de Sciences Po, 2008, p. 357.

57 P. Gueniffey, Le nombre et la raison... op. cit., p. 340.

58 AD Drôme, L 160, élection municipale de Saint-Paul-Trois-Châteaux, 13 novembre 1791.

59 Y. Déloye, « Des incidents électoraux. Éléments pour une autre histoire du suffrage électoral », in P. Bourdin, J.C. Caron, M. Bernard (dir.), L’incident électoralop. cit., p. 34.

60 Y. Déloye, O. Ihl, L’acte de voteop. cit., p. 351.

61 AN, C 551, procès-verbal de la session du Conseil des Cinq-Cents, 4 nivôse an VII.

62 O. Ihl, « Tours de main et double jeu. Les fraudes électorales depuis la Révolution française », in Y. Poireur, P. Mazet, (dir.), Le métier politique en représentation, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 51-88.

63 AD Drôme, L 160, élection municipale de Saint-Paul-Trois-Châteaux, 13 novembre 1791.

64 N. Dompnier, « La mesure des fraudes électorales. Difficultés méthodologiques et enjeux politiques », Histoire & Mesure, 2007, XXII-1, p. 124.

65 P. Tanchoux, « Les procédures électorales sous le Consulat et l’Empire » in M. Pertué (dir.), Suffrage, citoyenneté et révolutionsop. cit., p. 49-73.

66 J.Y. Coppolani, Les élections en France à l’époque napoléonienne... op. cit., p. 234

67 AN, F1BII Vaucluse 18, lettre de Parnet au sous-préfet d’Avignon, 22 mai 1815.

68 AD Vaucluse, 2 M 44, lettre de Biliotti, sous-préfet d’Avignon, au préfet de Vaucluse, 29 mai 1815.

69 A. Maureau, « Les municipalités des Cents-Jours dans le Vaucluse... », art. cité, p. 36-38.

70 AN, F1BII Vaucluse 18, lettre adressée au sous-préfet d’Avignon, signée par les « amis du gouvernement de la commune de Courthézon », 2 juin 1815.

71 P. Boutry, « Des sociétés populaires de l’an II au parti républicain », in M.T. Maiullari (dir.). Storiografia francese e italiana a confronto sul fenomeno associativo durante XVIII e XIX secolo, Turin, Fondazione Luigi Einaudi, 1990, p. 107-135.

Índice de ilustraciones

Título TABLEAU N° 13 : LES ÉLECTIONS CONSULAIRES MONDRAGONNAISES (1758-1790)7
URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3325/img-1.jpg
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Título GRAPHIQUE N° 4 : VENTILATION DES COTES DE CAPITATION DES DEUX PARTIS (1789)
URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3325/img-2.jpg
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Título TABLEAU N° 14 : TYPOLOGIE DES CONFLITS ÉLECTORAUX (1790-1799)
URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3325/img-3.jpg
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Título TABLEAU N° 15 : LA MUTATION DES ENJEUX DE LA CONFLICTUALITÉ ÉLECTORALE LOCALE
URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3325/img-4.jpg
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Título TABLEAU N° 16 : UNE INFLATION DE LA CONFLICTUALITÉ ÉLECTORALE SOUS LE DIRECTOIRE
URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3325/img-5.jpg
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URL http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3325/img-6.jpg
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