Révolutionner les cultures politiques
|Première partie : recompositions sociopolitiques et comportements antagonistes (vers 1750-vers 1820)
Chapitre 4
Séquelles et recompositions (1795-1799)
Texte intégral
- 1 J.P. Jessenne, « Entre local et national : pratiques et liens politiques du Directoire au Consulat (...)
- 2 P. Bourdin, Le Puy-de-Dôme sous le Directoire. Vie politique et esprit public, Mémoires de l’Académ (...)
1Longtemps parent pauvre de l’historiographie révolutionnaire, le Directoire a souvent été présenté comme un régime faible et corrompu, sorte de transition entre la « Terreur » et une prise inéluctable du pouvoir par Bonaparte. Les apports historiographiques récents1 ont mis en lumière la permanence d’une vie politique locale intense, favorisée par le retour de la procédure élective2. Après presque deux années de gouvernements d’exception, la Constitution de l’an III relance la compétition pour les places en rétablissant la pratique du scrutin dans la désignation des détenteurs de fonctions locales. Néanmoins, les multiples coups de bascule, inhérents à l’instabilité de la République directoriale, rendent le cadre administratif – et politique – particulièrement mouvant. À ce titre, le couloir rhodanien constitue un laboratoire idéal pour une étude à la loupe de la reconfiguration des arènes locales entre 1795 et 1799. À un moment où la République se refonde sur la base du rejet de l’an II et de toute forme d’intervention populaire dans les institutions politiques, il s’agira, en premier lieu, d’établir si la restauration d’un système électif censitaire accentue les mobilités et favorise la recomposition des pouvoirs locaux après deux années de gouvernements d’exception. En parallèle, le retour des élections atteste du profond enracinement des clivages hérités des premières années de la Révolution française. Plus que sous l’an II ou l’an III, les crises nationales et l’ingérence étatique, en se répercutant sur la composition du personnel politique rhodanien, accentuent la conflictualité et parasitent la vie politique locale.
Le Directoire : une nouvelle donne municipale ?
Des rapports de force sans cesse bouleversés
- 3 C. Wolikow, « Les municipalités de canton : échec circonstanciel ou faiblesse structurelle ? Le cas (...)
2La Constitution de l’an III modifie sensiblement le découpage administratif. Les communes de moins de 5 000 habitants sont regroupées au sein d’une administration cantonale unique, qui comporte deux édiles représentant chaque commune du canton3. Les villes de plus de 5 000 habitants gardent leur propre administration, réduite à cinq, sept ou neuf membres. Enfin, un commissaire du Directoire exécutif, faisant office de procureur général syndic, représente le gouvernement.
- 4 G. Fournier, Démocratie... op. cit., p. 305.
3La nouvelle Constitution de l’an III et les différents coups de bascule du Directoire modifient sensiblement la composition socioprofessionnelle des municipalités rurales. Bien qu’arrivant encore en tête de l’échantillon, les gens de terre sont presque divisés par deux entre 1795 et 1797. Ce recul profite aux deux bourgeoisies et plus particulièrement à celle des affaires, qui s’installe en deuxième position pour tout le Directoire. Cette poussée du monde du négoce est également perceptible au niveau des présidents de l’administration cantonale, dont plus du tiers sont des marchands. La fonction spécifique de commissaire du Directoire exécutif est monopolisée par les deux bourgeoisies. Les postes subalternes d’agent et surtout d’adjoint restent plus accessibles au monde de la terre ou à celui de l’atelier, dont le reflux amorcé en 1795 est amplifié par la restauration des élections. On notera également que malgré le virage conservateur esquissé par les « thermidoriens », les nobles restent minoritaires. Déjà peu présents sous l’Ancien Régime, certains membres de l’ancien second ordre se tiennent en retrait d’un régime qu’ils n’approuvent pas tandis que tous ne sont pas encore revenus d’émigration. Le coup d’État de fructidor an V casse cette dynamique. La composition socioprofessionnelle des municipalités rurales se rapproche de ce qu’elle était au printemps 1794, sans toutefois l’égaler dans le processus de démocratisation des édiles, même si les électeurs attribuent davantage de présidences cantonales à des exploitants agricoles appartenant le plus souvent à la classe moyenne. En revanche, agents et adjoints sont désignés parmi les habitants les plus humbles. Les artisans, en progrès par rapport au Premier Directoire, sont moins représentés que dans les campagnes languedociennes4.
4Dans les villes, le Directoire bouleverse les rapports de force en amplifiant la dynamique amorcée lors du printemps 1795. La restauration du suffrage censitaire est fatale aux artisans, qui se trouvent relégués derrière les deux bourgeoisies et sont moins bien représentés dans les municipalités urbaines qu’avant la Révolution française. Le Premier Directoire traduit une sorte de retour à la situation d’avant 1789, comme l’illustre le regain fulgurant de la bourgeoisie de talent. Avec 60 % d’élus se recrutant parmi les deux bourgeoisies, le Premier Directoire accentue leur prépondérance dans les conseils municipaux, en particulier dans les fonctions clefs d’édiles aisés, sinon fortunés, que les épurations du printemps 1795 avaient impulsées. Le retour des nobles à la tête des municipalités est plus net dans les villes (presque un quart des présidents) que dans les campagnes. D’anciens émigrés, comme le fils de l’ancien subdélégué de Tarascon, Stanislas Coye de Brunelis, effectuent ainsi leur retour en politique dès la fin de l’année 1795. Contrairement à ce qui se passe dans les villages, le coup d’État de fructidor produit une démocratisation plus limitée des pouvoirs locaux. En effet, bien que favorisant la réapparition de catégories sociales plus humbles (30 % des présidences confiées à des artisans, alors qu’aucun n’avait pu accéder à cette fonction entre 1795 et 1797), le Second Directoire confirme l’installation de la bourgeoisie d’affaires en la propulsant en tête du classement pour la première fois depuis 1790. En revanche, comme dans les campagnes, le retour des catégories sociales les moins fortunées se réalise aux dépens de la bourgeoisie de talent (à peine 10 % de l’échantillon) et de la noblesse qui, pour la première fois depuis 1790, ne compte aucun représentant.
Vers une auto-reproduction des détenteurs de fonctions politiques locales
5La restauration de la pratique élective, après deux années de désignation des édiles par le pouvoir central, et l’instabilité édilitaire, inhérente aux différents coups de bascule de la politique directoriale, générèrent une plus grande mobilité des élus mais ne débouchent pas sur un renouvellement intense des équipes municipales. Au contraire, le Directoire favorise l’auto-reproduction de pouvoirs locaux, de moins en moins accessibles aux néophytes.
- 5 S. Bianchi, « Le fonctionnement des municipalités cantonales dans le sud de l’Île-de-France sous le (...)
6La restauration de la pratique élective sous le Premier Directoire se traduit par une rupture importante dans le recrutement des administrateurs ruraux : seuls 20 % des édiles « thermidoriens » sont confirmés. La mobilité est particulièrement forte en ce qui concerne les postes clefs : Constantin, de Pierrelatte, est l’unique maire de l’an III confirmé par les urnes à l’automne 1795 tandis qu’aucun exprocureur général syndic ne conserve son poste. Toutefois, les élections et les ingérences gouvernementales, jouant en défaveur des « hommes nouveaux » qui se raréfient, y compris pendant le Second Directoire, favorisent l’auto-reproduction des édiles promus par la Révolution (51 % de l’échantillon en 1797-1799). Pour remplacer les administrateurs destitués après fructidor, les électeurs ou les Conseils parachutent des individus expérimentés, présents entre 1792 et 1794, soigneusement triés sur le volet selon leur profil politique. Contrairement au sud de l’Île-de-France, les administrateurs ruraux révoqués en l’an V ne sont pas réélus5. Enfin, l’autre raison expliquant la fermeture des municipalités rurales réside dans la réduction du nombre de postes imposée par la refonte des institutions locales, chaque village ne comptant plus que deux élus, contre une vingtaine précédemment.
7Dans les villes, la rupture avec le printemps 1795 est encore plus nette : le personnel « thermidorien » est écarté à plus de 90 %, dont l’intégralité des maires et des procureurs généraux syndics. Les élections de l’an IV et de l’an V, ainsi que la refonte institutionnelle, amplifient la suprématie des édiles issus de la Révolution (44 %). Comme dans les villages, les électeurs ou les Conseils plébiscitent des individus expérimentés (71 % des présidents étaient présents avant 1789) et engagés, au détriment des « hommes nouveaux ». Avec seulement 19 % d’administrateurs municipaux inexpérimentés, les municipalités urbaines ne s’étaient jamais autant refermées sur elles-mêmes depuis le début de la décennie révolutionnaire. Après cinq années d’apprentissage d’une nouvelle culture politique, ce n’est pas tant la carrière municipale des édiles qui prime dans le choix des électeurs ou du gouvernement que leurs affiliations. Le coup d’État de fructidor an V bouleverse l’équilibre des forces. En premier lieu, les municipalités réintègrent davantage de néophytes (35 %). Ainsi, en l’an VI, sur les sept administrateurs montiliens nommés par les Directeurs, six, dont le président Pellapra, sont des « hommes nouveaux ». Ce retour en force des novices se réalise aux dépens des édiles d’Ancien Régime (15 % des édiles contre 37 % les deux années précédentes). Comme dans les villages, le Second Directoire réintègre le personnel politique révolutionnaire, et plus particulièrement celui des années 1792-1794. Avec 50 % d’édiles ayant commencé leur carrière administrative sous la Révolution, le Second Directoire accentue le processus d’auto-reproduction des élites politiques urbaines.
8La période directoriale bouleverse continuellement les rapports de force dans les hôtels de ville rhodaniens. Le Premier Directoire amorce une sorte de retour à la situation d’avant 1789, surtout dans les villes, tandis que les édiles des années 1797-1799 se rapprochent davantage du profil de leurs homologues de l’an II. En parallèle, la refonte institutionnelle, le retour de la pratique élective et l’instabilité politique accentuent la mobilité pour les fonctions locales mais ne débouchent pas sur un renouvellement important des pouvoirs locaux, soit par étroitesse du vivier dans les campagnes, soit parce que la bipolarisation de la vie politique locale est telle que les édiles se recrutent au sein des différents « partis » qui animent la vie politique depuis le début de la Révolution. En effet, dans un cadre administratif et politique volatile, le Directoire accélère le processus d’auto-reproduction des administrateurs locaux, sélectionnés selon des critères idéologiques et partisans.
Résurgence des frontières politiques
Une géopolitique contrastée (1795-1797)
9Alors que les élections de l’an IV confirment les progrès nationaux de la mouvance conservatrice, les résultats rhodaniens sont beaucoup plus contrastés. Si les conservateurs s’emparent de la plupart des hôtels de ville, certains sont conquis par des patriotes, qu’ils soient « exclusifs » ou plus modérés. Les affrontements de la période directoriale ne sauraient se réduire à une dualité politique opposant jacobins et conservateurs. Plusieurs tendances se dégagent.
10La première regroupe les conservateurs, parfois désignés par « honnêtes gens ». À travers ce bloc hétéroclite, se rencontrent plusieurs mouvances qui ne partagent qu’une certaine forme de conservatisme. On y trouve d’anciens « fédéralistes », des suspects de 1793, des victimes de l’an II, des partisans du clergé réfractaire, jusqu’aux opposants notoires à la Révolution : ex-papalins, Chiffonistes arlésiens, etc. Cet agrégat d’individus d’horizons politiques différents est cimenté par l’esprit de vendetta qui l’anime et la haine farouche qu’ils vouent à leurs adversaires.
- 6 B. Gainot, « Être républicain et démocrate entre thermidor et brumaire », AHRF, 308, 1997, p. 193-1 (...)
- 7 P. Serna, « Comment être démocrate et constitutionnel en 1797 ? », AHRF, 308, 1997, p. 207.
11À l’extrême opposé de l’échiquier politique, les républicains « exclusifs », également qualifiés par certains historiens de républicains-démocrates ou de « néojacobins », forment la seconde tendance6. Partisans d’une Révolution dont ils justifient le durcissement en 1792-1793, ils se revendiquent comme les héritiers du Gouvernement révolutionnaire de l’an II7. Persécutés en l’an III ou contraints à l’exil, ils s’offusquent du virage conservateur mené en 1795 et préparent, à la faveur de l’amnistie de brumaire an IV, leur retour en politique. Les plus zélés partisans comtadins de l’annexion à la France y côtoient des créatures des Payan ou les fidèles d’Agricol Moureau.
- 8 H. Burstin, « L’expérience de la radicalité ou comment devient-on « extrémiste ». Notes à partir de (...)
- 9 P. Serna, La République des Girouettes, 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de (...)
12Enfin, entre ces deux tendances émerge une mouvance modérée, dont les limites restent floues. Ces « républicains directoriaux » dénoncent tout aussi bien la violence des patriotes « exclusifs » que la menace royaliste. Sincèrement attachés à la Constitution de l’an III, ils se recrutent parmi les patriotes de 89, écartés pour leur « modérantisme » en l’an II. S’opposant à l’extrémisme8 des uns ou des autres, ils se retrouvent dans leur quête d’un compromis politique9. Dans certaines municipalités rhodaniennes, presque essentiellement septentrionales, ces républicains modérés sont parvenus à se maintenir au pouvoir de 1791 jusqu’à l’an IV, comme Constantin, maire de Pierrelatte sans interruption de 1791 à 1795.
13Dans les villages, les conservateurs remportent largement les scrutins de 1795 et 1797 (45 % de l’échantillon). La présidence des municipalités cantonales est presque monopolisée par des élus réactionnaires. À Caderousse, la présidence du canton échoit à Joseph Gabriel Castion, dont la famille a ancré le village parmi les partisans de l’Union de Sainte-Cécile lorsqu’elle contrôlait l’hôtel de ville entre 1790 et 1792. Dans certains cas, les électeurs reconduisent les élites d’Ancien Régime. À Donzère, Quintin de Beine, fils du capitaine châtelain du village, est élu maire du canton en 1795. Les républicains directoriaux arrivent en deuxième position. Toutefois, pour contrebalancer l’influence conservatrice, les Directeurs confient au début de l’année 1796 les postes de commissaire du Directoire exécutif à des républicains « exclusifs », surtout au sud de Montélimar. Ainsi, dans le canton de Mondragon, entièrement conquis par les conservateurs, le gouvernement dépêche l’ancien curé Pierre Paul Lauret, zélé Jacobin et fervent déchristianisateur. Toutefois, les habitants acceptent difficilement ce retour en grâce d’anciens cadres locaux de l’an II. À Saint-Paul-Trois-Châteaux, une partie de la population s’insurge en apprenant le parachutage de Jean-Baptiste Favier, proche collaborateur des Payan, qui ne peut prendre ses fonctions que sous la protection des soldats.
14Dans les villes, les élections du Premier Directoire offrent un résultat plus contrasté (voir p. ci-contre).
15La domination conservatrice est beaucoup moins nette que dans les campagnes ; les « républicains directoriaux » et les patriotes « exclusifs » parviennent davantage à s’imposer. Si 30 % des présidents sont des conservateurs, comme le Bollénois Pelliard, arrêté sous la « Terreur », 35 % d’entre eux sont de fervents Jacobins, comme l’Orangeois La Rouvière, un ancien noble de la même trempe qu’Antonelle. Dans les cités restées aux mains des forces conservatrices, le gouvernement use de la même tactique que dans les campagnes pour le choix des commissaires du Directoire exécutif. Cette stratégie ne s’avère pas toujours payante. Ainsi à Bollène, les Directeurs tentent d’imposer le très républicain François Marchand, maire adoubé par Claude Payan en 1792 et confirmé par Maignet en l’an II. Cependant, ce dernier refuse de se frotter à l’hostilité des édiles en place, dont certains ont connu les geôles de la « Terreur », en partie par sa faute.
16La restauration de la pratique élective à l’automne 1795 réactive les clivages géographiques. Bourgs ruraux et villes plus importantes de la vallée du Rhône méridionale ne résistent pas au raz-de-marée conservateur qui déferle sur le Midi de la France au cours de l’automne 1795. Un gros bloc conservateur émerge dans l’ex-Comtat rhodanien et transcende les frontières du Vaucluse, englobant une frange du Gard et de la Drôme méridionale.
- 10 J.R. Suratteau, « Les élections de l’an IV », AHRF, 1952, p. 58.
17Le profil de ces pôles conservateurs est analogue. Anciens partisans du Pape dans l’ex-Comtat, adversaires des Jacobins locaux ailleurs, écartés en 1792, parfois revenus en grâce en l’an III, ils réoccupent la sphère politique. Ces succès locaux s’inscrivent dans un processus plus important de reconquête du pouvoir au niveau national, à laquelle les départements rhodaniens participent en envoyant dans les Conseils des députés conservateurs10.
- 11 G. Fournier, Démocratie... op. cit., p. 253.
18Les patriotes « exclusifs » ne prennent le contrôle qu’à Orange, renouant avec son passé jacobin, et à Roquemaure, où ils parviennent à s’emparer de l’assemblée primaire au terme d’une élection musclée. Le cas d’Orange n’est pas atypique et se rapproche d’autres cités conquises par les patriotes « exclusifs » en l’an IV, comme Toulouse et Carcassonne11.
- 12 M.F. Brun-Jansem, La Révolution au quotidien à Grenoble. Histoire de l’administration municipale (1 (...)
19Enfin, d’autres municipalités sont contrôlées par des républicains modérés. Certaines comme Valence, Tain ou Pierrelatte maintiennent la ligne de conduite adoptée tout au long de la Révolution. Contrairement à Grenoble, conquise par les néo-Jacobins en 1795, Vienne s’ancre dans le camp modéré12. Quelques-unes de ces communes sont situées dans le couloir rhodanien méridional, comme Pont-Saint-Esprit ou Villeneuve-lez-Avignon, où l’absence de violences politiques autorise l’existence d’une voie médiane.
- 13 N. Soulas, « Rhétorique révolutionnaire et appropriation d’une nouvelle culture politique durant la (...)
- 14 AN, F7 7121, lettre des républicains radicaux à l’administration départementale du Gard, 9 ventôse (...)
20Dans les communes où un solide noyau jacobin s’est maintenu au plus fort de la « réaction », comme Orange ou Valence, les conservateurs ne sont pas en mesure de l'emporter. En revanche, dans d’autres, comme Avignon, Beaucaire ou Tarascon, les patriotes « exclusifs » n’ont pas réussi à entraver la conquête de leur municipalité par les conservateurs, mais ils demeurent une force politique importante. Dans les administrations cantonales, les dynamiques politiques propres à chaque village peuvent conduire à des combinaisons électorales complexes. Le canton de Roquemaure illustre bien ce phénomène. Alors que Roquemaure est aux mains des « exclusifs », les villages environnants, comme Saint-Laurent-des-Arbres, s’ancrent dans le camp conservateur. L’administration cantonale est alors présidée par un républicain « exclusif », flanqué d’un conseil conservateur, auquel les Directeurs dépêchent un commissaire du Directoire exécutif plutôt modéré. Les républicains roquemaurois, ayant clairement conscience de cette frontière politique13, se présentent comme des « patriotes placés entre une deuxième Vendée, entre Bagnols et Avignon14 ».
21Les juges de paix sont également renouvelés à l’automne 1795. Qu’ils soient ruraux ou urbains, les juges de l’an IV sont essentiellement des juristes ou d’importants propriétaires fonciers. Dans le nord de la vallée du Rhône, les juges de paix partagent la modération politique des édiles. En revanche, dans le Midi rhodanien, la fonction suscite les convoitises et aiguise la compétition entre les différentes sensibilités politiques. Toutefois, à part dans les rares localités contrôlées par des républicains « exclusifs », qui parviennent à élire des juges de leur trempe, comme Pierre Chanut à Roquemaure, les justices de paix ne résistent pas au raz-de-marée conservateur de l’automne 1795. Ainsi, les citoyens actifs de Bourg-Saint-Andéol élisent Rouchon de Bellidantis, un conservateur flirtant avec le royalisme.
- 15 M. Vovelle, « Représentants en Mission et mouvement populaire en Provence sous la Révolution frança (...)
- 16 Histoire d’Avignon, Aix-en-Provence, Edisud, 1979, p. 507.
- 17 G. Delteil, La Contre-révolution dans les Bouches-du-Rhône en l’an IV, mémoire de master 2 (dir. C. (...)
- 18 C. Lucas, « Le jeu du pouvoir local sous le Directoire », in Les pratiques politiques... op. cit., (...)
22La nouvelle donne géopolitique qui se dégage du scrutin de novembre 1795 est éphémère. En effet, le représentant en mission Fréron, un Muscadin repenti, s’attaque aux instances locales conservatrices, dont il dénonce la complaisance envers les « royalistes15 ». En premier lieu, Fréron peuple les administrations judiciaires ou départementales de cadres déchus de l’an II. Ainsi, Agricol Moureau est parachuté à la présidence du tribunal criminel de Vaucluse16. En parallèle, il force les municipalités à appliquer la loi de brumaire an IV, interdisant toute fonction publique à des parents d’émigrés. Guillaume Puy, républicain modéré et homme consensuel, est ainsi écarté au profit de républicains « exclusifs », comme Minvielle père. Ces derniers profitent de la mission de Fréron pour modifier un équilibre politique qui ne leur est pas favorable. Après avoir cassé les élections marseillaises ou avignonnaises, le Conventionnel destitue la municipalité arlésienne – Arles redevenant jusqu’au printemps 1797 un bastion « exclusif »17–, et procède de la même manière dans de nombreuses localités, accusées de protéger des émigrés ou des bandes armées hostiles à l’ordre républicain. Ainsi, la municipalité conservatrice bollénoise est suspendue en janvier 1796 pour sa molle implication dans les recherches des meurtriers du général républicain Dours tandis que l’administration municipale montilienne, conduite par le très réactionnaire Serret, subit le même sort. Par ailleurs, l’administration du département de la Drôme, composée en grande partie d’élus réactionnaires, est totalement refondue. Cependant, la Constitution de l’an III limitant l’ingérence des commissaires civils du Directoire aux pouvoirs administratifs, Fréron ne peut s’attaquer aux administrations judiciaires, restées aux mains des conservateurs. Il en résulte l’émergence d’arènes politiques bigarrées où deux tendances politiques diamétralement opposées se côtoient et animent la vie politique locale18. Toutefois, la découverte en mars 1796 de la conspiration de Babeuf met un terme à ce premier coup de barre à gauche. Fréron est rappelé tandis que le général jacobin Puget-Barbentane, commandant de la 8e division militaire, correspondant à la basse vallée du Rhône, est remplacé par le très conservateur général Willot. Les premiers signes de ce changement politique ne tardent pas à arriver : Antoine Teste est ainsi destitué de sa place de commissaire du Directoire exécutif près les tribunaux civil et criminel en juin 1796. Dans le Midi rhodanien, le limogeage de Fréron favorise les conservateurs, dont le retour en politique est confirmé par les élections du printemps 1797.
- 19 J.R. Suratteau, « Les élections de l’an V aux Conseils du Directoire », AHRF, 1958, p. 21-63.
23Au niveau national, les élections de 1797 sont remportées par les conservateurs, dont les résultats dépassent largement ceux de 179519. Dans la vallée du Rhône, les départements les plus ouvertement réactionnaires sont les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse, le Rhône et l’Ardèche. Le Gard et l’Isère basculent à leur tour dans le conservatisme. Seule la Drôme résiste mieux à la déferlante.
- 20 Voir HAL.
24La géographie politique rhodanienne n’évolue guère entre le scrutin de l’automne 1795 et celui du printemps 179720. Malgré les purges menées par Fréron au cours de l’année 1796, les « honnêtes gens » parviennent à s’imposer de nouveau en 1797. En Vaucluse, les bastions conservateurs de l’ancien Comtat, après avoir été administrés brièvement par des patriotes « exclusifs » parachutés en catastrophe par les Directeurs, renouent avec des équipes réactionnaires. À Bollène, le notaire Pelliard, conservateur notoire arrêté en l’an II, président de l’administration municipale en l’an IV, destitué par Fréron pour sa complaisance envers les déserteurs, est triomphalement reconduit à son poste en l’an V. À Tarascon, Stanislas de Coye de Brunelis, fils de l’ancien subdélégué, est confirmé à la tête de l’administration tandis qu’à Montélimar, le juriste Perru, suspect en 1793, succède au très modéré Pain, nommé par Fréron. De plus, certaines municipalités, comme celle de Roquemaure, conquises par les « néojacobins » en 1795, basculent dans le camp conservateur en 1797.
- 21 M. Lapied, Le Comtat... op. cit., p. 322.
- 22 G. Fournier, « Entre vallée de l’Hérault et vallée de la Garonne : les bastions fermement républica (...)
25Balayés de toutes parts, les « exclusifs » ne parviennent à se maintenir qu’à Orange. Les nouveaux administrateurs municipaux sont, comme en 1795, des patriotes de la première heure, à l’image du président Dugat. Issu d’une famille républicaine, l’homme est un ancien prêtre constitutionnel défroqué très actif au sein de la société populaire orangeoise. Le profil des autres édiles est analogue. Sur les six administrateurs municipaux élus ou nommés au cours de l’an V, quatre sont d’anciens cadres de l’an II nommés par Maignet, ce qui en dit long sur leur attachement à la cause républicaine. Dans un département presque intégralement noyauté par les conservateurs, Orange, avec Cavaillon, constitue le dernier réduit « exclusif »21. Par conséquent, cette anomalie « néojacobine », comme Béziers ou Toulouse, amplifie la dichotomie ville-campagne en lui apportant une dimension idéologique très nette22. Orange fait véritablement figure de frontière politique intérieure, encerclée par des villages conservateurs qui lui sont hostiles.
26Enfin, d’autres municipalités maintiennent une ligne de conduite modérée. La plupart sont, sans surprise, situées le long de l’axe Givors-Loriol. Le très modéré Jean-Laurent Gaillard, ex-Législateur, est confirmé à la tête de l’administration municipale valentinoise tandis que Constantin, maire de Pierrelatte sans discontinuité depuis 1791, est réélu président de l’administration cantonale.
27La recomposition géopolitique au cours du Premier Directoire pose clairement la question de la sédimentation des expériences politiques. Dans la partie septentrionale du couloir rhodanien, une crise « fédéraliste » peu virulente et une « Terreur » judiciaire moins intense que dans le Midi débouchant sur une « réaction thermidorienne » peu sanglante autorisent un retour rapide à une vie politique modérée. En revanche, dans le Midi rhodanien, les années 1793-1795, en parachevant tragiquement plus de trois années d’affrontements intenses, interdisent toute normalisation de la vie politique locale et enracinent les antagonismes. Dès lors, certains bastions conservateurs ou républicains « exclusifs » qui se sont constitués durant la monarchie constitutionnelle, réapparaissent avec le retour à la pratique élective.
28Ainsi, l’ancien Comtat rhodanien, réactionnaire jusqu’en 1792, s’ancre à nouveau dans le camp conservateur à partir de 1795. A contrario, Orange, à la pointe du jacobinisme méridional dès 1791, se singularise par ses prises de positions radicales durant tout le Premier Directoire. Parallèlement aux succès électoraux des conservateurs, les années 17951797 sont marquées par une recrudescence des violences politiques, et contribuent à forger, depuis Paris, l’image biaisée d’un Midi gangrené par le royalisme et la contre-révolution.
Vendettas politiques, résistance jacobine et regain contrerévolutionnaire
- 23 A. Maureau, « La situation à Avignon en messidor an V selon une lettre de Piot au ministre de la Po (...)
29Les violences s’amplifient et se propagent sous le Premier Directoire. À partir d’octobre 1795, les anciens « terroristes » amnistiés par la Convention peuvent revenir dans leurs localités sans tomber sous le coup de la loi. Or, dans les communes ayant le plus souffert de la « Terreur », leur retour provoque une vive indignation qui se traduit par une très nette augmentation des vendettas politiques, lesquelles s’intensifient au début de l’année 1796. Ces violences s’inscrivent dans un processus régional plus ample, touchant tout le Midi de la France et impactant sans distinctions villes23 et villages. Les victimes ont un profil identique : ce sont d’anciens responsables des clubs, ayant exercé des fonctions de premier plan en l’an II, comme les membres des comités de surveillance, tel Étienne Istre, de Courthézon, grand pourvoyeur de victimes à la Commission Populaire d’Orange, assassiné fin 1795. Acquéreurs de biens nationaux et prêtres constitutionnels trop zélés constituent également une cible privilégiée, comme Vincent Hébrard, ancien curé jureur de Pierrelatte, exécuté par une bande armée en mai 1796. Les violences atteignent une intensité inégalée et se propagent à des lieux qui les ignoraient auparavant, comme Lapalud, théâtre de violentes rixes à partir de janvier 1796. Cette explosion de violences est symptomatique des progrès de la nationalisation de la vie politique des communes rurales qui se manifestent par le biais d’une accentuation des conflits interpersonnels politisés. En toute logique, le nord de la vallée du Rhône, où le désir de revanche est beaucoup moins prononcé, ignore ce déchaînement de violence.
- 24 C. Peyrard, « L’affaire du 26 pluviôse an V à Avignon ou la tradition révolutionnaire du peuple en (...)
30Face à ces attaques, les patriotes « exclusifs » ne restent pas inactifs. Exclus de la sphère politique depuis la fermeture des sociétés populaires et les purges du printemps 1795, ils peinent également à s’affirmer dans les assemblées primaires. Temporairement revenus en grâce lors du passage de Fréron, ils refusent leur marginalisation tout comme ils dénoncent la mainmise des conservateurs sur les administrations locales. La résistance s’organise surtout dans les centres urbains méridionaux, où le jacobinisme a représenté un contrepouvoir local puissant dès le début de la décennie révolutionnaire. D’Arles jusqu’à Montélimar, une minorité « néojacobine » active entre en résistance peu après l’intermède Fréron, qui a entretenu l’espoir d’un glissement politique en leur faveur. À Tarascon, les patriotes « exclusifs », bénéficiant du soutien d’une partie de la garnison de la ville, s’insurgent en vain contre la municipalité conservatrice du 27 au 29 avril 1796. Les sept chefs de file du mouvement sont bien connus. Six d’entre eux sont des artisans ou des commerçants, dont au moins trois ont exercé des fonctions importantes au sein du club et ont été édiles au cours de l’an II. Enfin, trois ont participé aux lynchages et aux pillages dont Tarascon et ses environs ont été le théâtre au cours de l’été 1792. À Avignon ou à Arles, les républicains « exclusifs » tentent également, toujours sans succès, de renverser leur municipalité conservatrice24. Les Jacobins qui encadrent ces tentatives de coup de force sont des vétérans ayant occupé des fonctions municipales, judiciaires ou au sein du club. Malgré l’apparente domination conservatrice, les noyaux jacobins méridionaux demeurent actifs. Ces affrontements témoignent de la permanence des lignes de fracture politiques rhodaniennes.
- 25 V. Sottocasa, « Rebelle ou brigand ? Le baron de Saint-Christol (1748-1819) vu par luimême et par s (...)
- 26 G. Lewys, « Les égorgeurs du département du Gard : analyse du mouvement catholique royaliste sous l (...)
- 27 V. Sottocasa, Mémoires... op. cit., p. 181-188.
31Par ailleurs, à la veille du coup d’État de fructidor an V, le couloir rhodanien méridional est à nouveau menacé par la contre-révolution. Marchant dans les pas du marquis de Lestang, le baron de Saint-Christol sème la panique dans le Midi25. Président de l’Assemblée représentative du Comtat en 1790 puis l’un des chefs de file de l’Union de Sainte-Cécile l’année suivante, il émigre après le rattachement du Comtat et rejoint l’armée des Princes, dont il devient un agent actif. De retour dans son fief sous le Premier Directoire, il recrute de nombreux mécontents dans les villages drômois, vauclusiens et gardois puis s’empare de la citadelle de Pont-Saint-Esprit en septembre 179726. Saint-Christol pousse plus loin l’activisme politique que le marquis de Lestang en destituant la municipalité spiripontaine, mais les renforts envoyés par le département du Gard le poussent à se replier sur Bollène. À Bollène, Saint-Christol fait fusiller six républicains « exclusifs » tandis que les demeures de ceux qui ont pris la fuite sont mises à sac. Parmi les soldats de l’armée de Saint-Christol se trouvent des habitants de Bollène ou des environs qui, sous couvert de contre-révolution, laissent libre cours à leur vengeance. La chute de Pont-Saint-Esprit et, plus encore, les exactions commises contre les « exclusifs », suscitent un mouvement de panique dans les trois départements, et plus particulièrement à Orange, que Saint-Christol entend châtier pour ses prises de position et pour la protection qu’elle accorde aux patriotes apatrides. Saint-Christol, dont l’armée repose essentiellement sur des recrues locales, à l’allégeance et à la combativité fluctuantes selon les circonstances, fait brutalement retraite dans la Drôme après avoir été battu à deux lieues d’Orange. Son armée se disloque rapidement à la nouvelle du coup d’État de fructidor et Saint-Christol émigre de nouveau. Cet épisode s’inscrit dans une dynamique politique plus large de brigandage royaliste, qui touche d’autres zones géographiques comme les Cévennes, dont les collines sont le repaire du prêtre réfractaire Solier, dit Sans-Peur27.
Le couloir rhodanien à l’heure « néojacobine » (1797-1799)
- 28 J.C. Surateau, « Les élections de l’an V aux Conseils du Directoire... », art. cité, p. 44.
- 29 J.C. Martin, Nouvelle histoire... op. cit., p. 540.
- 30 J. Nicolas, La Révolution... op. cit., p. 298.
- 31 R. Pierre (dir.), 240 000 Drômois... op. cit., p. 144.
- 32 A. Bernard, « Le 18 fructidor à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône », La Révolution française, (...)
32Craignant une restauration monarchique après le succès électoral des conservateurs en 1797, les Directeurs Barras, La Révellière-Lépeaux et Reubell renversent le Directoire le 18 fructidor an V. Les élections du printemps 1797 sont cassées dans quarante-neuf départements, dont les Bouches-du-Rhône, l’Ardèche, le Rhône et le Vaucluse28. Cent soixante-dix-sept députés sont exclus des Conseils et deux Directeurs sont destitués29. Le coup de barre à gauche redistribue également les cartes en province. Les administrations départementales et municipales jugées trop conservatrices sont limogées. En Isère, quatre administrateurs départementaux sur cinq sont révoqués30. Les municipalités réactionnaires de la Drôme méridionale, comme Montélimar et Donzère, ou trop modérées, comme Pierrelatte, sont cassées pour « apathie » ou « connivences avec les ennemis du régime31 ». Les édiles déchus sont remplacés par des « républicains purs et prononcés » – dont la plupart ont en commun d’avoir servi pendant le Gouvernement révolutionnaire32 –, à qui il échoit la responsabilité des administrations locales et départementales jusqu’aux élections de germinal an VI. Dans le Vaucluse, les Directeurs font entrer dans l’administration départementale l’Avignonnais Fabre-Montagne et les Orangeois Dugat et Bouvier, témoignant du zèle républicain d’une partie des acteurs orangeois. Les cadres de l’an II, persécutés ou proscrits en 1795, sont parachutés à tous les postes clefs. Ainsi à Bagnols, Antoine Teste retrouve son fauteuil de maire tandis qu’à Saint-Paul-Trois-Châteaux, la présidence du canton revient à l’apothicaire Mourard, président de la société populaire en l’an II et, surtout, intime des frères Payan. Dans l’ancien Comtat, les « exclusifs » recouvrent également leurs sièges.
33Parmi eux se trouvent des « glaciéristes », comme Blaise David, adjoint municipal de Sorgues, ainsi que de nombreux maires de l’an II comme le cordonnier Chanaud, de Caderousse. Revenus dans leur foyer à la faveur de l’amnistie de brumaire an IV, certains avaient manifesté leur hostilité face à l’orientation conservatrice du Premier Directoire. À Bollène, les maisons du président de l’administration, Marchand, et du commissaire du Directoire exécutif, Bès, ont été saccagées par les sbires de Saint-Christol. Enfin, à Tarascon, Pierre Bonami ou Antoine Rique, deux des chefs de file de l’insurrection jacobine d’avril 1796, siègent au conseil municipal avec d’autres édiles de leur trempe. En toute logique, les administrations déjà épurées avant le 18 fructidor, comme le conseil départemental de la Drôme, géré depuis janvier 1796 par une équipe de républicains « exclusifs », sont épargnées par les purges politiques.
- 33 J.R. Suratteau, Les élections de l’an VI et le coup d’État du 22 floréal (11 mai 1798). Étude docum (...)
- 34 AN, BB18 322, affaires criminelles et correctionnelles, département du Gard, Beaucaire, an VI.
34Bien qu’affaiblis par le coup d’État de septembre 1797, les conservateurs demeurent une force politique importante dans certaines localités méridionales où les élections de l’an VI s’annoncent serrées. Pour s’assurer une victoire électorale totale, les Directeurs généralisent le principe de l’assemblée scissionnaire, en se réservant le droit de trancher en cas de litige. Même minoritaires, les républicains « exclusifs » peuvent ainsi espérer bénéficier de l’appui du Directoire pour remporter l’élection. Jean-René Suratteau a dénombré 475 assemblées primaires communales scissionnaires, dont dix-neuf dans le Vaucluse, douze dans la Drôme, six dans le Gard, deux dans les Bouches-du-Rhône et une en Isère33. La vallée du Rhône septentrionale ignore totalement ces scissions, signe d’une vie politique locale apaisée. En revanche, dans le Midi rhodanien, les scissions sont plus nombreuses et souvent décisives dans l’issue du scrutin, comme en témoigne l’exemple beaucairois. Malgré leur limogeage en septembre 1797, les conservateurs entendent profiter des élections du printemps 1798 pour recouvrer leur prééminence politique. Les 1er et 2 germinal an VI, les « exclusifs », ne parvenant pas à réduire au silence les électeurs conservateurs, font sécession. Alors que l’assemblée mère, aux mains des conservateurs, réélit en bloc les administrateurs déchus par le 18 fructidor, les sécessionnistes plébiscitent des candidats de leur trempe, un choix entériné par le Directoire34. Ailleurs, les « néojacobins » s’imposent par la force, comme à Piolenc, où les « exclusifs » en minorité provoquent une fusillade meurtrière. Le général Scherlock, commandant militaire du département de Vaucluse d’opinion nettement « néo-jacobine », et les administrateurs départementaux justifient largement le recours à la force. Par la violence, par les urnes et grâce au soutien des Directeurs, les patriotes « exclusifs » parviennent à reconquérir les bastions conservateurs. Toutefois, comme en 1792, les élections de l’an VI n’uniformisent pas le paysage politique rhodanien sous la houlette des républicains « exclusifs ». Comme l’illustre la carte n° 8 page suivante, le scrutin municipal de 1798 confirme l’existence de différentes sensibilités républicaines, relativement éloignées les unes des autres.
35La vallée du Rhône septentrionale continue à s’affirmer comme un bastion du « modérantisme ». Cette troisième voie, entre conservatisme et « néo-jacobinisme » trouve aussi ses émules dans de rares localités méridionales relativement épargnées par les troubles, comme Pierrelatte, où des administrateurs modérés et consensuels parviennent à s’imposer. Ces espaces tranchent très nettement avec le reste du Midi rhodanien déchiré par des luttes de factions qui éloignent, dans une surenchère revancharde, élections après élections, crise nationale après crise nationale, toute perspective d’un retour à une vie politique normalisée.
- 35 S. Clay, « Les réactions... », art. cité, p. 81.
- 36 AN, F7 4278, liste des abonnés au journal de Babeuf, le Tribun du peuple.
36Dès lors, dans les bastions arrachés aux conservateurs, les administrateurs se recrutent parmi les plus chauds partisans de la République, ayant souvent payé de leur personne leur engagement pendant la crise « fédéraliste » ou durant la « réaction » de l’an III. À Arles, sept des neufs administrateurs sont d’anciens Monnaidiers, dont un avait été nommé par Maignet en l’an II et quatre par Fréron en l’an IV35. Notons néanmoins que les patriotes « exclusifs » entament la conquête de la vallée du Rhône septentrionale, où ils se font de plus en plus présents. Ainsi, à Étoile, les électeurs placent d’anciens proches des frères Payan, à l’image du ménager Sayn, devenu le nouveau président de l’administration cantonale. Membre actif du club des Jacobins, Sayn a été maire en l’an II puis désarmé comme « terroriste » en germinal an III. Son retour à l’hôtel de ville est révélateur du glissement politique qui s’effectue à partir de 1798. Enfin, à Vienne, le négociant Joseph Pichat, ancien membre du comité de surveillance et abonné au journal de Babeuf, fait son entrée dans une administration municipale modérée36.
37L’existence de sensibilités républicaines différentes se perçoit également à travers les justices de paix que le tournant de fructidor et les élections de l’an VI soustraient à l’influence des conservateurs. Comme sous le Premier Directoire, le critère déterminant dans le choix des juges de paix n’est plus social mais bien idéologique. Il s’agit de confier l’exercice de la justice de proximité à de sincères patriotes. L’orfèvre Guilhermier, de Bollène, acteur majeur de la Révolution et républicain convaincu, accapare ainsi la justice de paix jusqu’aux premières années du Consulat. Néanmoins, dans nombre de cantons septentrionaux, les justices de paix restent confiées à des républicains modérés, présents dès les premières années de la Révolution. Ainsi à Tain, la fonction revient à Salanard, qui a déjà occupé le poste entre 1792 et 1794. Plus au sud, à Pierrelatte, l’ancien procureur du roi Eymard occupe la fonction sans discontinuité durant tout le Directoire.
- 37 A. Meynier, Les coups d’état du Directoire : le vingt-deux floréal an VI (11 mai 1798) et le trente (...)
- 38 J.C. Martin, Nouvelle histoire... op. cit., p. 552.
38Toutefois, la poussée « néo-jacobine » effraye les Directeurs qui font voter aux Conseils la loi du 18 floréal an VI, leur laissant le champ libre pour se prononcer sur la validité des élections37. Les Directeurs valident le scrutin dans quarante-sept départements sur quatre-vingt-seize et les annulent dans neuf38. En cas de scissions, les Directeurs se réservent le droit de choisir les élus. Ainsi, dans le Gard, le gouvernement valide la députation du spiripontain Chazal, Conventionnel sortant et « candidat » du Directoire dans l’assemblée scissionnaire, aux dépens de l’assemblée mère contrôlée par les conservateurs. En parallèle, les Directeurs « floréalisent » les instances administratives ou judiciaires locales. Le couloir rhodanien est très inégalement touché par cette nouvelle purge politique. Seules les administrations départementales de l’Ardèche, des Bouches-duRhône, du Gard et du Vaucluse sont concernées. Les républicains « exclusifs », écartés de certaines fonctions judiciaires ou des conseils de département, se maintiennent dans les municipalités, faiblement impactées. En cherchant un difficile équilibre, le Second Directoire façonne un système politique local bigarré. Ainsi, un département « floréalisé » comme le Vaucluse se retrouve avec une députation aux Conseils composée de républicains « exclusifs », comme Gédéon Bouvier, ancien Constituant et ami de Robespierre, tandis que le département et les tribunaux sont confiés à des républicains très modérés. En revanche, à l’échelon municipal, le pouvoir reste aux mains des « exclusifs ». Cette situation complexe, propre à générer des conflits, se maintient jusqu’aux élections de l’an VII. Elle témoigne de l’éclatement après fructidor d’un front républicain qui s’était parfois constitué pour endiguer la poussée conservatrice des années 1795-1797.
- 39 Voir annexe sur HAL.
- 40 M. Boussugue, « Les élections de l’an VII dans les Bouches-du-Rhône. La campagne électorale des néo (...)
- 41 B. Gainot, « Les adresses de félicitations parvenues au corps législatif pour les journées des 29-3 (...)
- 42 AN, C 686, adresse de félicitations des citoyens de Vienne aux Conseils, 7 thermidor an VII.
39La géographie politique régionale évolue légèrement au cours du printemps 179939. Dans le Midi rhodanien, elle confirme la domination des « néo-jacobins » qui étendent leur domination40. Dans la partie septentrionale du couloir rhodanien, les patriotes « exclusifs » continuent leur progression. Si la ville de Valence reste ancrée dans le camp des républicains directoriaux, les « exclusifs » poursuivent leur percée à Vienne, où la présidence de l’administration municipale modérée échoit à Teste-le-Beau, fervent Montagnard, en 1793. Les divisions de l’administration municipale de Vienne se perçoivent à travers l’adresse envoyée par une partie des citoyens viennois aux Conseils pour les féliciter pour le coup d’État de prairial an VII41. Parmi les signataires se trouvent la plupart des républicains « exclusifs », dont maints anciens cadres de l’an II. En revanche, seuls deux membres de la municipalité sur cinq et le commissaire du Directoire exécutif figurent parmi les pétitionnaires42.
- 43 D. Sutherland, Révolution... op. cit., p. 366.
40La conquête d’une partie du couloir rhodanien par les « exclusifs » a des répercussions au niveau national par l’envoi de députés de la même trempe. En Vaucluse, les électeurs de l’an VII propulsent Agricol Moureau au Conseil des Cinq-Cents, mais son élection finit par être invalidée par les Directeurs, tandis que l’orangeois Augier, beau-père de Bouvier et patriote « exclusif », est envoyé au Conseil des Anciens. Par ailleurs, le couloir rhodanien ignore totalement les menées insurrectionnelles royalistes qui ébranlent la région toulousaine43. Et pour cause, les républicains « exclusifs » n’ont jamais été aussi bien implantés dans les pouvoirs municipaux que sous l’an II.
- 44 M. Lapied, « La vie politique dans les communautés comtadines pendant la République directoriale », (...)
41Le retour à la procédure élective à partir de 1795 atteste l’enracinement des comportements politiques constitués lors des premières années de la Révolution. Dans le couloir rhodanien septentrional, la sortie en douceur de la « Terreur » et l’existence d’un climat favorable génèrent un cercle vertueux de modération autorisant, malgré l’instabilité du Directoire, un retour rapide à une vie politique locale normalisée. En revanche, dans le Midi rhodanien, le Gouvernement révolutionnaire, au lieu de redistribuer les cartes, fige des options politiques exacerbées par les haines et par la soif de revanche44. En déréglant les mécanismes qui départagent les « partis » dans leur compétition pour le contrôle du pouvoir local, le Directoire avive la concurrence entre les acteurs et enracine les antagonismes politiques dans le temps et dans l’espace. Dès lors, violences et affrontements sont omniprésents sous le Directoire, ils conditionnent l’existence de groupes rivaux qui cherchent par tous les moyens à prendre l’ascendant sur l’autre ou à assouvir leur désir de revanche et rendent, dans de nombreuses communes, toute voie politique médiane inexorablement vouée à l’échec. Par conséquent, la sortie du processus révolutionnaire amorcée par Bonaparte après brumaire ne peut aboutir que par la difficile recherche d’un équilibre incarné par des hommes consensuels dans des espaces profondément divisés, ainsi que par une plus grande régulation des jeux politiques locaux.
Notes
1 J.P. Jessenne, « Entre local et national : pratiques et liens politiques du Directoire au Consulat », in La Révolution française. Idéaux, singularités, influences. Textes réunis par Robert Chagny, Grenoble, PUG, 2002, p. 345-358.
2 P. Bourdin, Le Puy-de-Dôme sous le Directoire. Vie politique et esprit public, Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Clermont-Ferrand, 1990 ; R. Monnier, L’espace public démocratique : essai sur l’opinion à Paris de la Révolution au Directoire, Paris, Kimé, 1994 ; B. Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ? La démocratie représentative, une alternative à Brumaire, Paris, CTHS, 2001.
3 C. Wolikow, « Les municipalités de canton : échec circonstanciel ou faiblesse structurelle ? Le cas du département de l’Aube », in P. Bourdin, B. Gainot (dir.), La République Directoriale. Actes du colloque de Clermont-Ferrand (22-24 mai 1997), Paris, SER, 1998, 1, p. 231-260.
4 G. Fournier, Démocratie... op. cit., p. 305.
5 S. Bianchi, « Le fonctionnement des municipalités cantonales dans le sud de l’Île-de-France sous le Directoire », in Du Directoire au Consulat, 1, Le lien politique... op. cit., p. 177.
6 B. Gainot, « Être républicain et démocrate entre thermidor et brumaire », AHRF, 308, 1997, p. 193-198.
7 P. Serna, « Comment être démocrate et constitutionnel en 1797 ? », AHRF, 308, 1997, p. 207.
8 H. Burstin, « L’expérience de la radicalité ou comment devient-on « extrémiste ». Notes à partir des journées parisiennes de 1789 », in M. Biard, B. Gainot, P. Pasteur, P. Serna (dir.), « Extrême » ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe, XVIIIe-XXe siècle, Rennes, PUR, 2012, p. 147-158 ; M. Deleplace, « Le Directoire entre l’anarchie et la royauté ou comment les extrêmes ne se rejoignent-ils finalement pas (1795-1799) », in M. Biard, B. Gainot, P. Pasteur, P. Serna (dir.), « Extrême » ?... op. cit., p. 271-279.
9 P. Serna, La République des Girouettes, 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre, Seyssel, Champ Vallon, 2005, p. 420.
10 J.R. Suratteau, « Les élections de l’an IV », AHRF, 1952, p. 58.
11 G. Fournier, Démocratie... op. cit., p. 253.
12 M.F. Brun-Jansem, La Révolution au quotidien à Grenoble. Histoire de l’administration municipale (1789-1795), Grenoble, PUG, 2018.
13 N. Soulas, « Rhétorique révolutionnaire et appropriation d’une nouvelle culture politique durant la Révolution française », in Rhétorique révolutionnaire et politisation de la fin des Lumières au Printemps des peuples, journée d’études et de recherches Histoire et Société, Arras, 6 juin 2018, actes en cours de publication.
14 AN, F7 7121, lettre des républicains radicaux à l’administration départementale du Gard, 9 ventôse an IV.
15 M. Vovelle, « Représentants en Mission et mouvement populaire en Provence sous la Révolution française. Du nouveau sur Fréron ? », Provence historique, 23, 93-94, 1973, p. 463-483.
16 Histoire d’Avignon, Aix-en-Provence, Edisud, 1979, p. 507.
17 G. Delteil, La Contre-révolution dans les Bouches-du-Rhône en l’an IV, mémoire de master 2 (dir. C. Peyrard), université de Provence, 2007-2008, p. 116.
18 C. Lucas, « Le jeu du pouvoir local sous le Directoire », in Les pratiques politiques... op. cit., p. 288-289.
19 J.R. Suratteau, « Les élections de l’an V aux Conseils du Directoire », AHRF, 1958, p. 21-63.
20 Voir HAL.
21 M. Lapied, Le Comtat... op. cit., p. 322.
22 G. Fournier, « Entre vallée de l’Hérault et vallée de la Garonne : les bastions fermement républicains sous le Directoire », in Révolution et Contre-révolution dans la France du Midi (17891799), Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1991, p. 184.
23 A. Maureau, « La situation à Avignon en messidor an V selon une lettre de Piot au ministre de la Police », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, 9e série, VII, 2008, p. 466-508.
24 C. Peyrard, « L’affaire du 26 pluviôse an V à Avignon ou la tradition révolutionnaire du peuple en armes », in Du Directoire au Consulat, 1, Le lien politique local dans la grande nation, J. Bernet, J.P. Jessenne, H. Leuwers éd., Centre de Recherche sur l’Histoire de l’Europe du NordOuest, vol. 20, Villeneuve d’Ascq, ANRT, Lille 3, 1999, p. 55-70.
25 V. Sottocasa, « Rebelle ou brigand ? Le baron de Saint-Christol (1748-1819) vu par luimême et par ses juges », AHRF, 373, 2013, p. 189-208.
26 G. Lewys, « Les égorgeurs du département du Gard : analyse du mouvement catholique royaliste sous le Directoire et le Consulat », in Religion, Révolution, Contre-révolution dans le Midi... op. cit., p. 121-125.
27 V. Sottocasa, Mémoires... op. cit., p. 181-188.
28 J.C. Surateau, « Les élections de l’an V aux Conseils du Directoire... », art. cité, p. 44.
29 J.C. Martin, Nouvelle histoire... op. cit., p. 540.
30 J. Nicolas, La Révolution... op. cit., p. 298.
31 R. Pierre (dir.), 240 000 Drômois... op. cit., p. 144.
32 A. Bernard, « Le 18 fructidor à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône », La Révolution française, 41, 1901, p. 193-215.
33 J.R. Suratteau, Les élections de l’an VI et le coup d’État du 22 floréal (11 mai 1798). Étude documentaire, statistique, et analytique. Essai d’interprétation, Paris, Les Belles Lettres, 1971, p. 228.
34 AN, BB18 322, affaires criminelles et correctionnelles, département du Gard, Beaucaire, an VI.
35 S. Clay, « Les réactions... », art. cité, p. 81.
36 AN, F7 4278, liste des abonnés au journal de Babeuf, le Tribun du peuple.
37 A. Meynier, Les coups d’état du Directoire : le vingt-deux floréal an VI (11 mai 1798) et le trente prairial an VII (18 juin 1799), Paris, PUF, 1928, 232 p.
38 J.C. Martin, Nouvelle histoire... op. cit., p. 552.
39 Voir annexe sur HAL.
40 M. Boussugue, « Les élections de l’an VII dans les Bouches-du-Rhône. La campagne électorale des néo-jacobins », Provence historique, 58, 228, 2007, p. 189-206 ; J. Augier, Les élections dans les bourgs et les villages des Bouches-du-Rhône sous le Directoire an III-an VII (1795-1799), maîtrise (dir. C. Peyrard), université d’Aix-en-Provence, 1996-1997.
41 B. Gainot, « Les adresses de félicitations parvenues au corps législatif pour les journées des 29-30 prairial an VII », AHRF, 273, 1998, p. 265-288.
42 AN, C 686, adresse de félicitations des citoyens de Vienne aux Conseils, 7 thermidor an VII.
43 D. Sutherland, Révolution... op. cit., p. 366.
44 M. Lapied, « La vie politique dans les communautés comtadines pendant la République directoriale », in P. Bourdin, B. Gainot (dir.), La République Directoriale... op. cit., p. 277-291.
Table des illustrations
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Titre | TABLEAU N° 11 : PROFIL POLITIQUE DES ÉDILES RURAUX DU PREMIER DIRECTOIRE |
URL | http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3305/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 99k |
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Titre | TABLEAU N° 12 : RÉPARTITION POLITIQUE DES ÉDILES URBAINS DU PREMIER DIRECTOIRE |
URL | http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3305/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 92k |
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Titre | CARTE N° 7 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (1795) |
URL | http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3305/img-3.png |
Fichier | image/png, 391k |
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Titre | CARTE N° 8 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (1798) |
URL | http://books.openedition.org/eua/docannexe/image/3305/img-4.png |
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