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Révolutionner les cultures politiques

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Nicolas Soulas

Première partie : recompositions sociopolitiques et comportements antagonistes (vers 1750-vers 1820)

Chapitre 2

Pouvoirs locaux en Révolution (1790-1792)

Texte intégral

1Trois éléments justifient une étude spécifique des années 1790-1792 : d’abord un changement institutionnel important, qui se traduit par le passage d’un rituel électif codifié fixant des quotas à un type d’élection beaucoup plus libre où la qualité sociale des élus importe moins que par le passé ; puis le renouvellement des pouvoirs locaux dans un contexte politique délétère à l’automne 1791 ; enfin les premières élections de l’ère républicaine, dans des conditions d’éligibilité rendues optimales par la suppression du cens. La tenue régulière de scrutins municipaux entre 1790 et 1792 permet une étude très fine des mécanismes qui conduisent à la formation de nouvelles élites politiques révolutionnaires, avant la suspension de la pratique électorale en 1793. En parallèle, la rupture précoce du consensus politique à partir de l’été 1790, inhérente au schisme religieux, à la guerre civile comtadine et à la psychose de la contre-révolution, génère un climat anxiogène, propre à radicaliser les acteurs. L’élargissement de la sphère des affaires publiques débouche sur la constitution d’une géographie politique à géométrie variable, mettant en évidence l’existence de comportements antagonistes qui se révèlent au prisme d’une analyse multiscalaire.

La formation d’un nouveau personnel

Vers une démocratisation des administrations locales

  • 1 J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1951, p. 105
  • 2 G. Andro, Une génération au service de l’État. Les procureurs généraux syndics de la Révolution (17 (...)

2Afin de gommer les incohérences administratives d’Ancien Régime, les Constituants reprennent à leur compte le projet uniformisateur de Laverdy en le perfectionnant par la loi du 14 décembre 1789 qui définit l’organisation des municipalités françaises. Chaque commune est dirigée par un maire, élu pour une durée de deux ans, flanqué d’un conseil municipal composé d’officiers municipaux et de notables, élus pour deux ans mais renouvelables par moitié chaque année1. Le pouvoir central est représenté par un procureur général syndic, élu pour deux ans mais n’ayant pas voix délibérative2. Toutefois, son rôle en fait la seconde fonction clef de cette nouvelle administration. Enfin, le secrétaire, nommé par la municipalité, transcrit les délibérations municipales dans le registre.

3Pour appréhender les répercussions locales des mutations institutionnelles, il convient en premier lieu de dégager le profil des nouveaux élus afin de préciser, en multipliant les changements de focale, l’importance du processus de démocratisation des pouvoirs locaux entre 1789 et 1792.

  • 3 Les villages étudiés sont : Caderousse, Courthézon, Donzère, Étoile, Lapalud, Mondragon, Pierrelatt (...)
  • 4 Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage un graphique synthétique et des graphiques plus détaillés sur (...)

4Dans les villages3, la suppression du critère social pour recruter les détenteurs de fonctions locales favorise l’élection de municipalités plus représentatives4. Même si le personnel municipal de 1789 ne reflète pas à lui seul l’ensemble de l’Ancien Régime, la comparaison entre les années 1789 et 1790 permet une meilleure appréciation des ruptures ou des continuités opérées par la Révolution. L’abandon des statuts municipaux ou des coutumes qui imposaient une distribution socioprofessionnelle plus limitée favorise une très nette percée des gens de terre : ils représentent 75 % des édiles de Saint-Laurent-des-Arbres en 1790 contre seulement 33 % en 1789. Autre conséquence de la refonte des administrations locales, l’artisanat double ses effectifs dès 1790 et se maintient autour de 20 % tout au long de la période. Dans les communes où les artisans étaient marginalisés sous l’Ancien Régime, leur progression est significative : de 0 % à 35 % à Courthézon entre 1789 et 1790.

5Cette plus grande visibilité des artisans et des gens de terre s’opère aux dépens de la bourgeoisie de talent, dont l’érosion est manifeste tout au long de la période, passant de la seconde position en 1789 à la cinquième en 1792. Sous l’Ancien Régime, la présence des bourgeois de talent dans les conseils politiques ruraux était garantie par les statuts municipaux mais la Révolution change les règles du jeu. En toute logique, la basoche ne reste une force significative qu’à Saint-Paul-Trois-Châteaux, ancien siège d’une justice supérieure disposant d’un petit vivier de juristes (jusqu’à 35 % des élus). Mais elle décline à partir de 1792, soit parce que ses membres sont promus à une fonction supérieure, soit parce qu’ils ont été écartés pour leurs opinions politiques. L’importance de la bourgeoisie d’affaires fluctue tout au long de la période mais elle s’impose surtout dans les centres économiques dynamiques, souvent proches d’un pont enjambant le Rhône. Elle ne commence véritablement à peser dans certains villages qu’en 1792 : presque la moitié des édiles de Lapalud, un quart à Tain ou à Saint-Paul-Trois-Châteaux.

  • 5 Même constat dans l’Aisne : L. Brassart, « Je resterai passif au milieu de tous les citoyens actifs (...)
  • 6 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 182.

6Les privilégiés sont en perte de vitesse. Le clergé est de moins en moins représenté dans les conseils politiques, bien que quelques curés constitutionnels soient nommés notables entre 1791 et 1792. Les révolutionnaires dissocient de plus en plus sphères politique et religieuse, en interdisant – mais cette mesure n’est pas toujours respectée – au clergé d’occuper des fonctions administratives. Les nobles se maintiennent avec plus ou moins de succès dans des villages dans lesquels ils étaient inégalement associés aux affaires politiques par le passé. Si en 1790 presque un quart des édiles de Saint-Paul-Trois-Châteaux appartiennent à l’ancien second ordre, ils sont éliminés de tous les villages comtadins5. Le désaveu des privilégiés se confirme davantage par la suite, comme dans le reste des campagnes françaises6.

  • 7 N. Soulas, « Les maires de la basse et moyenne vallée du Rhône (1790-1816) », Les cahiers de la Méd (...)
  • 8 J.P. Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois, 1760-1848, Lille, Presses universitaires d (...)

7Un changement de focale au niveau des fonctions clefs confirme l’érosion progressive des anciennes élites. En 1790, les postes clefs des nouvelles municipalités sont confiés à des juristes au détriment de la noblesse. Plus de 50 % des maires7 et la majeure partie des procureurs généraux syndics, fonction nécessitant des compétences juridiques précises, proviennent de la basoche. Les nobles sont rares. Pierrelatte est le seul village dont les fonctions les plus importantes sont encore confiées à des nobles en 1790. Les municipalités rurales de la vallée du Rhône se distinguent nettement de celles de la France septentrionale où les fermiers dominent8. Les élections de novembre 1791 confirment le reflux de la bourgeoisie de talent. Le sommet de la pyramide municipale devient plus représentatif en se recrutant davantage parmi les professions rurales. Le recul de la noblesse dans les postes clefs est très marqué. Après la radicalisation politique de l’année 1791, les patriotes confient de moins en moins les rênes des administrations locales aux nobles, même patriotes, que les menées réactionnaires et les premiers départs en émigration contribuent à rendre suspects. Enfin, en 1792, les premières élections de l’ère républicaine favorisent la poussée de la bourgeoisie d’affaires, à laquelle appartient presque un maire sur deux. Les professions issues du monde de la terre n’arrivent qu’en deuxième position, dépassant toutefois la bourgeoisie de talent. Par conséquent, la démocratisation du personnel municipal rural n’est pas encore totalement achevée en 1792.

  • 9 Les villes étudiées sont : Bagnols, Beaucaire, Bollène, Bourg-Saint-Andéol, Montélimar, Orange, Pon (...)

8Les municipalités urbaines connaissent un processus de démocratisation précoce, dont l’intensité varie selon la fonction occupée9.

  • 10 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 162.
  • 11 P. Guignet, Le pouvoir... op. cit., p. 474.
  • 12 F. Sampoli, Politics... op. cit., p. 326.
  • 13 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 164.
  • 14 L. Hunt, Politics, Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California P (...)

9Comme dans les villages, la démocratisation du personnel édilitaire se traduit par un reflux très net des privilégiés et de la bourgeoisie de talent, notamment des juristes, au profit des artisans et, dans une moindre mesure, des gens de terre. À l’exception de quelques petits centres urbains, ces villes n’accordent qu’une place marginale aux professions issues du monde de la terre. L’exemple de Bourg-Saint-Andéol où les ruraux écartés des fonctions administratives durant l’Ancien Régime intègrent le conseil municipal dès 1790 (34 % de l’échantillon) est significatif. La bourgeoisie de talent, très présente en 1789 s’effondre presque partout, à l’exception notable des grosses structures administratives comme Vienne, Valence ou Montélimar, où il est difficile de compter sans les juristes tout au long de la période. Ce graphique confirme les observations de Melvin Edelstein sur la perte de vitesse du monde de la basoche dès 179010. La bourgeoisie d’affaires est beaucoup moins bien représentée dans les villes rhodaniennes que dans le Nord11. Elle progresse néanmoins tout au long de la période mais ne pèse que très localement, comme à Orange, et reste minoritaire à Valence ou à Arles12. La disgrâce des marchands et des négociants valentinois, faiblement représentés sous l’Ancien Régime, profite aux artisans et aux commerçants qui les concurrençaient déjà durant les dernières décennies précédant la Révolution. Les grands gagnants de ces élections sont les artisans, en très nette progression dans tout le couloir rhodanien, et dont la poussée semble ici particulièrement précoce, eu égard à leur faible représentativité dans les plus grandes villes françaises. Si la percée des artisans est forte à Pont-Saint-Esprit (un édile sur deux), où ils étaient déjà bien insérés dans les dynamiques municipales avant 1789, elle est particulièrement remarquable dans les villes où ils étaient peu présents, comme Valence ou Vienne (12 % et 6 % de l’échantillon pour les années 1768-1790). Comme dans les campagnes, les anciens privilégiés sont en très net recul. Toutefois, bien que minoritaires, certains nobles accèdent aux plus hautes fonctions locales. Néanmoins, à l’exception d’Arles et de Valence, les plus grandes villes rhodaniennes, comme Avignon ou Vienne, échappent totalement à leur contrôle, comme c’est le cas dans d’autres grandes cités françaises13. Les élections de novembre 1791 consacrent la marginalisation politique des nobles, dont l’éviction des hôtels de ville est ici plus précoce que dans d’autres espaces français, où la rupture ne se fera qu’après 179214. Soulignons une particularité intéressante, l’aristocratie se maintient exceptionnellement à Bollène jusqu’en 1792 (21 % d’édiles en 1791 alors que les nobles ne représentent que 3 % de l’échantillon total). Nous reviendrons par la suite sur cette anomalie nobiliaire.

  • 15 M. Edelstein, « Les maires des chefs-lieux de département de 1789 à 1792 : une prise de pouvoir par (...)

10Dans les villes, la bourgeoisie de talent, juristes dans une écrasante majorité (89 % en 1790, 100 % en 1791, 57 % en 1792), contrôle les fonctions clefs durant toute la période mais est de plus en plus concurrencée15. Malgré la percée de catégories socioprofessionnelles plus humbles, il faut attendre 1792 pour voir s’imposer de rares artisans à la tête des hôtels de ville (Bagnols) ou occuper la fonction de procureur général syndic (Beaucaire). La démocratisation des postes clefs est moins aboutie que dans les campagnes mais cela n’a rien de surprenant, une ville ne s’administre pas comme un petit village.

11Pour être éligible aux responsabilités locales jusqu’en 1792, il faut pouvoir s’acquitter d’une somme équivalente à dix journées de travail. Dans de telles conditions, les administrateurs se recrutent, comme sous l’Ancien Régime, parmi la frange la plus aisée de la population. Peu de sources fiscales ont été conservées mais nous disposons de quelques registres de contribution patriotique. Cette taxe, en sanctionnant les plus riches contribuables, esquisse en première approximation une hiérarchie des fortunes locales.

  • 16 AM Courthézon, 3G 1, registre de la contribution patriotique pour l’année 1790 ; AM SaintPaul-Trois (...)

TABLEAU N° 7 : VERS UNE DÉMOCRATISATION DES MUNICIPALITÉS RURALES16

TABLEAU N° 7 : VERS UNE DÉMOCRATISATION DES MUNICIPALITÉS RURALES16

12Si on estime, avec Melvin Edelstein, qu’un seuil de 100 l. de contribution patriotique est requis pour qu’un individu soit considéré comme riche, les équipes municipales élues en 1790 semblent fortunées, surtout celle de Courthézon. Les fonctions municipales étant non rémunérées et les conditions d’éligibilité soumises au critère censitaire, le personnel politique local est sélectionné parmi l’élite économique mais aussi parmi des classes moyennes, plus intégrées que par le passé. Ainsi, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, douze administrateurs payent une contribution patriotique très inférieure à la moyenne, entre 3 et 15 l. Les moyennes masquent de fortes disparités internes et un processus de démocratisation non linéaire du personnel municipal. En effet, l’élection de riches contribuables fausse les données, comme à Courthézon, où l’entrée au conseil municipal de Louis de Roussière en 1791, qui s’acquitte d’une contribution patriotique de 4 830 l., gonfle la moyenne. Ainsi, malgré des moyennes presque identiques en 1790 et 1792, une recomposition sociale s’est opérée au sein du conseil municipal courthézonnais. Si en 1789, plus d’un édile sur deux appartient à la bourgeoisie de talent, cette dernière est reléguée à la seconde place en 1790, derrière les artisans, avant de passer en troisième position en 1792, distancée par les artisans et les gens de terre. La relative stabilité des moyennes masque en réalité une mutation sociale importante, d’où la nécessité de ne considérer les moyennes qu’en première approximation. Le constat est identique à Tain. Ces écueils peuvent être surmontés en partie par l’utilisation de la médiane qui affine les résultats obtenus. À Tain, par exemple, les moyennes des édiles élus entre 1789 et 1790 restent stables et surtout largement au dessus de la moyenne de l’ensemble des 150 individus astreints à la contribution patriotique (114,41 l.). À y regarder de près, la médiane atteste une démocratisation plus importante qu’elle n’y paraît. En effet, la refonte des pouvoirs locaux favorise une plus grande intégration des individus les plus humbles, présents en grand nombre dans le village, comme l’indique la médiane des 150 imposés (3 l.). Sur ces 150, seuls 23 s’acquittent d’une contribution patriotique égale ou supérieure à 100 l. tandis que 79 ne payent que 3 l. ou moins.

  • 17 M. Edelstein, La Révolution… op. cit., p. 450-451.

13À partir de l’automne 1792, les élus ruraux se recrutent davantage parmi les catégories sociales les plus humbles, notamment à Saint-Paul-Trois-Châteaux, où les conservateurs les plus riches ont été mis hors jeu. Ce phénomène reflète un processus plus global de démocratisation des édiles ruraux en 179217.

14Dans les villes, le processus de démocratisation des élus est plus précoce et varie en intensité selon les lieux et les époques.

  • 18 AM Beaucaire, 3 G 4, registre de la contribution patriotique, 1789 ; AM Orange, G 3937, registre de (...)

TABLEAU N° 8 : EN VILLE, UNE DÉMOCRATISATION PLUS PRÉCOCE18

TABLEAU N° 8 : EN VILLE, UNE DÉMOCRATISATION PLUS PRÉCOCE18
  • 19 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 157.

15Le tableau laisse apparaître une grande variété de situations et nuance l’idée d’une démocratisation linéaire des élus entre 1790 et 1792. Ce processus se retrouve à Tarascon. Nous ignorons le niveau de richesse des édiles de 1789 mais il est sans doute plus important qu’en 1790. L’entrée précoce d’artisans à Tarascon se traduit par une baisse sensible et continue du niveau de richesse des élus. Ce cas de figure est celui qui se retrouve le plus dans notre échantillon et traduit le mieux, au niveau national, cette démocratisation du personnel édilitaire observée par d’autres chercheurs19. D’autres communes, comme Orange, Beaucaire et Valence offrent un profil plus atypique. À Orange, la démocratisation des élus se produit en deux temps. Contrairement à ce que semble indiquer la moyenne de 1790, la refonte des pouvoirs locaux provoque une première rupture par rapport à l’Ancien Régime en ouvrant l’hôtel de ville aux marchands et aux artisans aisés, aux dépens de très riches juristes. Dans un second temps, le scrutin de novembre 1791 amplifie le processus de démocratisation des élus locaux en favorisant l’irruption d’une petite minorité d’artisans et d’individus plus humbles qui écartent une partie des négociants et s’installent à l’hôtel de ville jusqu’à l’an II. Ainsi, si quatorze édiles payent une contribution patriotique égale ou supérieure à 100 l. en 1789, ils ne sont plus que dix en 1790 et trois en 1791 et 1792. Enfin, Valence offre un contre-exemple intéressant. S’il y a bien une baisse continue du niveau de richesse des élus de 1789 à 1791, les élections de 1792 se soldent par l’entrée au conseil municipal de grosses fortunes. Alors que le critère censitaire est abandonné, la municipalité se referme brutalement et rejette les citoyens les plus humbles. Une étude plus fine, menée sur d’autres cités de taille équivalente, permettrait de préciser l’exceptionnalité valentinoise. Il reste maintenant à préciser si la dilatation de la sphère politique rajeunit les conseils municipaux.

16Bien que se recrutant encore parmi les hommes d’âge mûr, gage d’une certaine sagesse et expérience, la Révolution française favorise l’entrée d’individus plus jeunes dans les municipalités rurales. Les moyennes d’âge se maintiennent (Pierrelatte, Étoile, Donzère) ou rajeunissent (Courthézon, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Tain). À Lapalud, la municipalité est contrôlée jusqu’en 1792 par une équipe conservatrice composée d’hommes mûrs, voire âgés. Les élections de décembre 1792 changent la donne en portant au pouvoir les patriotes locaux, beaucoup plus jeunes que leurs prédécesseurs. Comme dans les villages, les édiles urbains se recrutent toujours parmi les hommes les plus mûrs mais 1790 favorise, localement, l’arrivée d’individus plus jeunes. La percée des artisans et des boutiquiers à Bagnols se traduit par un très net rajeunissement de la moyenne d’âge des administrateurs municipaux en 1792. Le constat est identique à Orange. En revanche, la conquête des pouvoirs locaux par les patriotes ne se solde pas toujours par un abaissement des moyennes d’âge. Les patriotes de Bollène, parvenus à conquérir la municipalité en 1792, appartiennent à la même génération que leurs adversaires conservateurs qui tenaient la ville entre 1790 et 1791. Le rajeunissement des élus n’est pas linéaire et varie selon la trajectoire politique de la commune, ce qui complexifie toute tentative d’interprétation globale des données.

Quelle rotation pour les équipes municipales ?

17Pour faire apparaître toute la complexité des dynamiques politiques locales, nous avons classé les édiles en quatre groupes. À côté des cadres d’Ancien Régime parvenant à se maintenir sous la Révolution, siègent désormais des individus totalement inexpérimentés. Toutefois, au sein de cette masse de néophytes, il convient de distinguer ceux qui sont issus d’une famille édilitaire, déjà intégrés d’une certaine façon dans les jeux politiques locaux, des autres novices ne comptant aucun administrateur parmi leurs ascendants. Cette distinction offre une meilleure appréciation du renouvellement des pouvoirs locaux. La dernière catégorie comprend les édiles issus de la Révolution, c’est-à-dire des individus ayant intégré l’hôtel de ville à partir de 1790. Bien que leur expérience soit très sommaire, ils se distinguent des édiles totalement inexpérimentés et doivent, par conséquent, être comptabilisés à part. Enfin, pour apporter un éclairage supplémentaire, nous avons calculé le pourcentage d’édiles présents en 1791 et reconduits en 1792, lorsque les révolutionnaires décrètent le renouvellement de l’intégralité des pouvoirs locaux. Ces critères permettent d’appréhender avec précision comment la refonte du système municipal et l’élargissement de la sphère politique concourent à la formation de nouvelles élites communales.

  • 20 Se rapporter au graphique synthétique en annexe ou, pour une étude plus fine, aux graphiques sur HA (...)

18En premier lieu, l’étude met en lumière l’érosion rapide et continue des édiles d’Ancien Régime entre 1790 et 179220. Démissions, mobilités géographiques et décès des plus anciens expliquent en partie ce reflux. L’autre explication réside dans l’affirmation d’une nouvelle équipe issue de la Révolution dès 1791, date à laquelle le personnel municipal ayant commencé sa carrière sous l’Ancien Régime n’est plus majoritaire dans les campagnes, et se renforce davantage en 1792 (64 %).

  • 21 P. Jones, The peasantry… op. cit., p. 21-23.
  • 22 S. Bianchi, La Révolution... op. cit., p. 246-257.

191790 confirme les observations de Peter Jones sur la continuité politique dans les villages où la stabilité l’emporte : à Saint-Laurent-des-Arbres, par exemple, 80 % des édiles étaient déjà présents avant 179021. Toutefois, l’élargissement du droit de vote et des conditions d’éligibilité favorisent l’irruption de nouveaux venus (45 %) qui s’imposent dans certains villages : 55 % à Étoile, 75 % à Sorgues. Dans les campagnes franciliennes, la rupture avec l’Ancien Régime est plus nette et plus précoce que dans le couloir rhodanien22.

20Les élections municipales favorisent l’entrée continue de sang neuf dans les villages rhodaniens : 45 % de l’échantillon en 1790, 32 % en 1791, 37 % en 1792. Au cas par cas, l’importance du phénomène dépend beaucoup de la situation politique locale. En 1792, 50 % des élus de Caderousse sont des néophytes, totalement étrangers au monde de l’édilité. Ils sont 40 % à Saint-Paul-Trois-Châteaux. Ces deux municipalités, aux mains d’édiles conservateurs en 1791, sont conquises par des patriotes. Cependant, à y regarder de près, le renouvellement des édiles ruraux est relativisé par l’arrivée de néophytes issus de familles édilitaires (moins de 10 % de l’échantillon).

  • 23 L. Brassart, Gouverner le local en Révolution. État, pouvoirs et mouvements collectifs dans l’Aisne (...)

21Les élections de 1792 visent à renouveler en profondeur les administrations locales en épurant les derniers vestiges de la monarchie constitutionnelle. Avec moins de 30 % des administrateurs ruraux nommés en 1791 reconduits en 1792, l’objectif semble atteint. Néanmoins, l’intensité du renouvellement varie en réalité fortement selon la trajectoire politique des villages depuis le début de la Révolution française. Comme dans d’autres espaces ruraux, dans les municipalités patriotes, la continuité est de mise23. En revanche, dans les bastions conservateurs conquis par les patriotes au cours de l’année 1792, la rupture est totale. Tous les administrateurs de Piolenc et 95 % de ceux de Caderousse sont écartés. Au cas par cas, il convient de noter que le tournant de 1792 ne favorise pas toujours les néophytes. Ainsi, à Piolenc, l’intégralité des édiles élus en 1792 occupait déjà des fonctions municipales par le passé. C’est qu’à Piolenc, comme dans d’autres villages méridionaux fortement politisés, les détenteurs de fonctions locales se recrutent au sein de groupes restreints.

  • 24 J.P. Jessenne, Pouvoir... op. cit., p. 94-95.
  • 25 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 184.
  • 26 AD Bouches-du-Rhône, CC 4478, lettre du subdélégué Tournilhon à l’intendant, 26 juin 1787.
  • 27 A. Rolland-Boulestreau, Les notables des Mauges. Communautés rurales et Révolution (17501830), Renn (...)

22Un zoom sur les postes clefs permet d’affiner davantage ces premières observations. En 1790, la continuité l’emporte largement : tous les maires et presque 75 % des procureurs généraux syndics sont issus de l’Ancien Régime. L’étroitesse du vivier de candidats suffisamment instruits et fortunés l’explique en partie. Les citoyens actifs reconduisent d’anciennes élites dans les villages où les relations avec le personnel seigneurial sont apaisées : Morier, ancien capitaine châtelain, devient ainsi maire d’Étoile dans la Drôme. L’année 1791 amorce l’érosion du nombre de cadres d’Ancien Régime. Les plus hautes fonctions locales sont de plus en plus disputées aux familles associées au pouvoir avant 1790 : 47 % des maires et 53 % des procureurs généraux syndics sont des néophytes. De plus, les élections municipales favorisent une plus grande alternance des fonctions clefs : seuls un maire et deux procureurs généraux syndics élus en 1790 sont reconduits en 1791. Toutefois, les nouveaux élus sont puisés dans un stock d’administrateurs chevronnés, issus de l’Ancien Régime ou de la Révolution. Le renouvellement est par conséquent très relatif. Le constat est identique en 1792. Si la mobilité municipale reste encore forte (22 % de maires reconduits – deux fois plus qu’en Artois par exemple24 –, un seul procureur général syndic), l’écrasante majorité a déjà exercé des responsabilités administratives par le passé. Ces remarques nuancent les conclusions de Melvin Edelstein estimant que « les élites villageoises furent souvent remplacées par des nouveaux venus25 ». Parmi les remarquables continuités, citons Mondragon, seul village dont le maire, Roustan, est réélu successivement depuis 1790. Riche négociant et proche de l’un des seigneurs, c’est l’un des plus gros propriétaires fonciers du cru. Ses nombreuses terres fournissent du travail et, déjà en 1787, le subdélégué note que Roustan est soutenu au conseil « par ses soustraitans26 ». La clientèle de Roustan et sa parentèle élargie semblent être à l’origine de sa longévité politique, une situation confirmée dans de nombreux autres villages français27.

  • 28 Se rapporter au graphique synthétique en annexe ou, pour une étude plus fine, aux graphiques sur HA (...)
  • 29 L. Hunt, Politics... op. cit., p. 161.

23Comme dans les villages, les élections municipales traduisent, pour les mêmes raisons, le reflux des administrateurs d’Ancien Régime28. Les municipalités urbaines s’ouvrent davantage aux néophytes, recrutés surtout parmi les artisans. Avec plus du tiers d’individus inexpérimentés élus à chaque élection, les municipalités urbaines semblent confirmer les observations de Lynn Hunt sur le renouvellement perpétuel des édiles de la décennie révolutionnaire29. Il convient de noter que certains nouveaux élus appartiennent à une famille édilitaire, ce qui nuance un peu l’intensité du renouvellement.

  • 30 P. Nelidoff, « La crise des structures municipales : l’exemple du capitoulat toulousain (1788-1790) (...)
  • 31 F. Moreil, « Orange au XVIIe siècle : une principauté mi-partie », LIAME, 21, 2011, p 49-78.

24En 1790, l’érosion du nombre d’administrateurs d’Ancien Régime varie fortement d’un lieu à un autre. S’ils sont balayés à Orange (21 %), ils se maintiennent davantage dans des cités de taille plus imposante comme Montélimar (66 %) ou Valence (65 %). Le reflux précoce des édiles orangeois, désavoués dès 1788, se retrouve aussi à Toulouse30. La permanence du personnel municipal se traduit par un vieillissement des moyennes d’âge des administrateurs montiliens et bollénois tandis que la disgrâce des édiles orangeois s’accompagne d’un très net rajeunissement du personnel politique local. Enfin, dans les villes marquées par un héritage biconfessionnel, les protestants effectuent un retour remarqué, notamment à Orange31. Après une entrée discrète au sein du comité permanent, l’élite protestante orangeoise, en perte de vitesse au XVIIIe siècle, amorce son retour au conseil municipal : six des vingt-huit édiles sont protestants et appartiennent tous à la bourgeoisie d’affaires, comme Étienne Tournier, l’une des plus grandes fortunes d’Orange. Cette percée protestante est moins nette à Montélimar ou à Saint-Paul-Trois-Châteaux, sans doute parce que l’empreinte réformée y est moins marquée.

251791 se solde par un renouvellement important des édiles urbains : presque la moitié des individus élus en 1790 sont remplacés par des novices. Dans les villes où les cadres d’Ancien Régime ont le mieux résisté en 1790, la percée des nouveaux venus est la plus spectaculaire : 67 % à Beaucaire, presque 50 % à Montélimar. Dans d’autres, comme Bollène, la rupture n’est pas encore faite, ou a déjà eu lieu (moins de 10 % à Orange). Enfin, dans les villes les plus peuplées, le personnel politique se recompose continuellement, comme à Vienne (53 % de néophytes en 1790, 54 % en 1791).

  • 32 Terme utilisé par les contemporains pour stigmatiser les modérés.
  • 33 J. Beau, G. Gaspin, J.L. Issartel, Les chemins de la Révolution. Bourg-Saint-Andéol, un bastion san (...)

26Les élections de la fin de l’année 1792 consolident la mainmise des nouvelles élites municipales. Les familles édilitaires refluent partout et les néophytes commencent à décliner tandis que les administrateurs ayant commencé leur fonction entre 1790 et 1791 progressent. L’enracinement du nouveau personnel politique local est favorisé par la reconduction de 40 % des élus de 1791, attestant de la précocité de la rupture politique dans les municipalités urbaines. En toute logique, les reconductions des administrateurs municipaux sont plus importantes dans les villes tenues par les patriotes : 64 % d’édiles maintenus à Tarascon, 48 % à Bagnols, 41 % à Montélimar, etc. En revanche, dans les communes où l’aile radicale du « parti » patriote est parvenue à s’imposer, les modérés sont écartés, concurrencés par des militants clubistes qui leur reprochent leur « modérantisme32 », comme à Orange, où 66 % des édiles sont écartés, ou à Bourg-Saint-Andéol. La municipalité bourguésane, s’étant dissociée du mouvement populaire du printemps 1792, est totalement désavouée par les électeurs les plus avancés qui confient les rênes de la commune à une nouvelle équipe beaucoup plus radicale33. Enfin, dans les municipalités arrachées aux administrations conservatrices, notamment dans le Comtat rhodanien, la rupture est très nette : 97 % des édiles bollénois ont été remplacés.

  • 34 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 165.

27Comme dans les campagnes, un changement de focale au niveau des fonctions clefs atteste de l’importance du renouvellement des équipes en place et nuance le déclin des cadres d’Ancien Régime. En effet, seuls 5 % des maires de 1790 sont des néophytes, sans aucun lien avec le milieu édilitaire. Ils sont encore 72 % en 1791 et 59 % en 1792. En revanche, les procureurs généraux syndics se recrutent majoritairement parmi la nouvelle équipe issue de la Révolution. La mobilité pour les fonctions stratégiques est aussi forte que dans les campagnes : deux maires de 1790 sont reconduits tandis que les procureurs généraux syndics sont intégralement renouvelés en 1791, deux maires et deux procureurs généraux syndics de 1791 sont confirmés en 1792. La rupture est plus marquée que dans les chefslieux de département, où Melvin Edelstein estime qu’au moins 25 % des maires sont confirmés34. Si la rotation des individus est importante, le renouvellement des édiles reste plus faible car les nouveaux élus sont puisés au sein d’un stock restreint d’administrateurs : à part Molin, maire de Beaucaire, tous les autres ont exercé une fonction administrative ou judiciaire par le passé.

Une démocratisation limitée des juges de paix

  • 35 A. Follain (dir.), Les justices locales dans les villes et les villages du XVe au XIXe siècle, Renn (...)

28Pour répondre aux doléances de nombreux français, les Constituants réorganisent la justice de proximité en créant des justices de paix35. Élu pour deux ans, le juge de paix arbitre les conflits mineurs.

  • 36 G. Métairie, Justice et juge de paix de Paris (1789-1835). Étude institutionnelle et biographique, (...)
  • 37 N. Soulas, « De la justice du seigneur à celle de la Nation ? Le personnel judiciaire seigneurial d (...)
  • 38 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 325.
  • 39 J.P. Royer, « Les épurations judiciaires de 1789 à 1815 », in L’épuration de la magistrature de la (...)
  • 40 B. Bodinier, « Des juges-citoyens aux notables du Consulat : les juges de paix de l’Eure pendant la (...)

29Contrairement aux administrations municipales, les justices de paix sont rémunérées, ce qui peut susciter la convoitise. Les premiers juges élus en 1790 se recrutent parmi les citoyens les plus riches, pouvant justifier un cens équivalant à dix journées de travail. La technicité de la fonction explique que les premiers juges de paix se recrutent surtout parmi des juristes expérimentés, se fondant facilement dans les nouvelles institutions36. Dans de rares cas, les citoyens actifs reconduisent d’anciens juges seigneuriaux, comme Morier, d’Étoile37. L’érosion de la noblesse robine est aussi importante que dans les municipalités. François Payan, juge de paix de Saint-PaulTrois-Châteaux jusqu’en 1794, est un cas unique. Comme pour les maires, les premiers juges de paix sont des patriotes modérés. 1792 n’induit pas une rupture sociale majeure dans le recrutement des juges de paix. La démocratisation de la fonction est plus lente que pour le monde de l’édilité. Le recul de la bourgeoisie de talent, juristes en tête, est moins marqué dans la vallée du Rhône que dans d’autres départements, comme l’Yonne ou la Côte-d’Or38. Dès lors, les artisans, comme l’orfèvre Guilhermier, de Bollène, dont l’élection couronne un engagement politique total depuis 1789, sont rares39. Toutefois, la mobilité individuelle reste importante : aucun juge de paix urbain n’est confirmé en 1792 tandis que la moitié des juges ruraux est écartée. Dans d’autres départements ruraux, comme l’Eure, le renouvellement des juges de proximité n’est pas aussi imposant40. Enfin, la diminution du nombre de cadres d’Ancien Régime est plus nette dans les villes que dans les campagnes.

30Ainsi, la suppression du critère social dans le recrutement des détenteurs de fonctions locales favorise une meilleure représentativité des élus et amorce un processus de démocratisation du personnel local, dont l’intensité et la temporalité fluctuent selon les lieux et le poste occupé. Cette démocratisation, qui n’est pas toujours linéaire, se traduit par l’entrée dans les municipalités de catégories socioprofessionnelles plus humbles et parfois plus jeunes, au détriment des juristes et de la noblesse. En revanche, les justices de paix ne connaissent pas la même tendance : la technicité de la fonction et son caractère censitaire en 1790 restreignent considérablement la compétition. Après une forte permanence des cadres d’Ancien Régime en 1790, les scrutins des premières années de la Révolution favorisent une rotation régulière des individus dans les hôtels de ville et à la tête des justices de paix à partir de 1792, avec une intensité variant selon le vivier d’édiles disponibles et surtout selon la trajectoire politique du lieu. Toutefois, si la mobilité politique locale est forte, notamment en ce qui concerne les fonctions clefs, édiles et juges restent puisés au sein d’un même stock d’administrateurs chevronnés, soit un renouvellement des pouvoirs locaux très relatif. En parallèle, l’inégale réception du processus révolutionnaire et les antagonismes qui en découlent fracturent la vallée du Rhône en deux ensembles à la trajectoire politique diamétralement opposée.

Comportements antagonistes et frontières politiques

La troisième phase de la « révolution municipale »

31Alors que les « révolutions municipales » de l’année 1789 accouchent d’une géographie politique pour le moins contrastée, où des municipalités fermées côtoient des hôtels de ville forcés à l’ouverture, les élections de janvier-février 1790 parachèvent le processus en balayant les derniers pouvoirs locaux réactionnaires du royaume de France.

32Les édiles opposés aux patriotes lors des débats de 1788-1789 et qui ont réussi à entraver l’ouverture des municipalités sont éliminés, comme Claude Ferréol Vacher de Montjoly, président de l’élection de Vienne et maire de 1787 à 1790, qui s’est discrédité par son refus de participer à l’assemblée de Vizille. Les trois échevins viennois qui avaient appuyé le maire sont également écartés. À Bagnols, le premier consul Reynaud-Saurin est battu par son adversaire Broche-Devaux qui s’est rendu populaire en critiquant le conservatisme des édiles. Enfin, à Bourg-Saint-Andéol, le syndicat opposé à Madier de Montjau finit par s’imposer : le maire, Drivet de Ladernade, cinq officiers municipaux sur huit, dont le négociant Noguier, véritable âme du syndicat, et le procureur général syndic sont tous d’anciens syndiqués, étroitement associés à la vie politique d’Ancien Régime. En élargissant la sphère politique et en modifiant le contexte institutionnel, la Révolution bouleverse totalement l’échiquier politique local.

33En toute logique, les vainqueurs du scrutin sont les patriotes qui se sont le plus exposés lors de la crise des années 1788-1789. On trouve de nombreux membres des comités permanents ou des cadres de la Garde nationale de 1789. Les citoyens députés pour la confection des cahiers de doléances prennent également place dans les nouvelles administrations locales. Enfin, les rares nobles accédant aux fonctions municipales en 1790 sont des libéraux opposés aux membres les plus réactionnaires de leur ordre, comme le marquis de Veynes, à Valence, ou Antonelle, qui a pris le parti des corporations arlésiennes en 1789. À la fin du mois de février 1790, l’ultime phase de la « révolution municipale » se solde par la défaite des dernières municipalités réactionnaires. Désormais, tous les pouvoirs locaux du royaume sont aux mains de patriotes. Toutefois, la dégradation de la conjoncture politique, particulièrement précoce dans le couloir rhodanien, rompt le fragile équilibre qui vient de s’établir.

Une rupture précoce et brutale de la concorde

  • 41 Nous assumons parfaitement l’usage de ce concept ne faisant pas l’unanimité parmi les historiens de (...)

34Longtemps considérée comme une année radieuse, 1790 est au contraire marquée par une dégradation précoce de la concorde politique dans la vallée du Rhône. Cette détérioration est inhérente aux menées contre-révolutionnaires, à la résurrection des antagonismes religieux ou à l’intensité des affrontements dans le Comtat, qui génèrent un climat anxiogène propre à radicaliser41 les acteurs locaux.

  • 42 A.M. Duport, Journées révolutionnaires à Nîmes, Paris, Éditions Chambon, 1988.
  • 43 G. Lewis, The second Vendée. The continuity of Counter-revolution in the Departement of the Gard, 1 (...)

35Les soubresauts des troubles nîmois et la répercussion du premier camp de Jalès assombrissent le climat politique rhodanien à la fin du premier semestre 1790. À Nîmes, la fracture religieuse, accentuée par les tensions économiques et politiques, conduit à un affrontement violent entre catholiques et protestants pour le contrôle du pouvoir local du 13 au 15 juin 1790 : la « bagarre de Nîmes42 ». Une partie des catholiques, conduite par Froment, cherche à se concilier l’opinion publique en diffusant massivement leur Délibération des citoyens catholiques de Nîmes, qui recueille plus de 3 000 signatures et cristallise l’hostilité des patriotes méridionaux43. Cette proclamation critiquant la Révolution radicalise les esprits en agitant le spectre de la contre-révolution autant qu’elle choque les administrations rhodaniennes, presque exclusivement catholiques. La déclaration transcende rapidement les frontières du département du Gard et parvient jusqu’au conseil municipal de Vienne qui la balaye d’un revers de main. Les troubles nîmois fissurent la concorde dans de nombreuses communes. Alors que les villages voisins députent leurs Gardes nationales pour rétablir l’ordre à Nîmes, la municipalité de SaintLaurent-des-Arbres s’y oppose. Les patriotes passent outre et font partir une centaine de citoyens. L’épisode divise profondément le village en coupant la municipalité d’une base patriote devenue hostile.

  • 44 Chaud patriote en 1789, Dauphin semble basculer vers un plus grand conservatisme politique, sans qu (...)
  • 45 G. Mazeau, « Émotions politiques : la Révolution française », in A. Corbin, J.J. Courtine, G. Vigar (...)

36Au-delà de l’indignation qu’elle provoque, la proclamation des catholiques nîmois fragilise l’équilibre politique qui règne dans les communes en entretenant la psychose de la contre-révolution. Ainsi à Valence, dans un contexte tendu marqué par la fuite du maire Dauphin, qui échappe de peu au lynchage populaire pour son revirement conservateur44, la citadelle est assaillie par le peuple le 10 mai, et son gouverneur, le vicomte de Voisins, est massacré. Ce meurtre est révélateur de la radicalisation précoce des options politiques dans un climat de suspicion engendré par la crainte d’un complot contrerévolutionnaire. Le vicomte de Voisins, qui avait reçu une couronne civique offerte par le peuple pour son patriotisme en juillet 1789, est devenu, en l’espace d’un an, un « ennemi de la Constitution » que sa correspondance avec l’étranger a rendu suspect. On perçoit bien ici comment les peurs concourent à façonner un nouvel imaginaire politique, propre à favoriser un durcissement des idées et des prises de position45.

  • 46 F. de Jouvenel, « Les camps de Jalès (1790-1792), épisodes contre-révolutionnaires ? », AHRF, 337, (...)

37C’est dans ce climat tendu que se joue le premier acte de l’affaire des camps de Jalès, en Bas-Vivarais46. Au cours de l’été 1790, des contre-révolutionnaires, liés à Froment et probablement au comte d’Artois, tentent d’instrumentaliser une vaste fédération des gardes nationaux se tenant au château de Banne, dans la plaine de Jalès. La tentative de détourner les soldats contre Nîmes et les protestants gardois tourne court mais elle confirme la vitalité d’un courant contre-révolutionnaire méridional et accrédite les peurs du « complot aristocratique ». Ce dernier constitue un leitmotiv de la rhétorique des patriotes méridionaux qui, en amplifiant et en exagérant ce danger dans leurs adresses ou dans leurs discours, façonnent un nouvel imaginaire partisan et manichéen, qui favorise le glissement d’une partie des populations vers des options politiques plus radicales.

  • 47 R. Moulinas, Histoire... op. cit., p. 78-80. 214.
  • 48 M. Lapied, Le Comtat... op. cit., p. 59-60.

38En parallèle, les affaires comtadines et avignonnaises accentuent les tensions politiques dans la vallée du Rhône méridionale. La crise politique qui se noue dans l’enclave pontificale a une résonnance régionale et nationale particulièrement forte. Alors que l’Assemblée représentative du Comtat entend mener des réformes en restant dans l’orbite pontificale, une partie des patriotes les plus avancés cherche à se dégager de la domination romaine. La radicalisation des options politiques favorise l’explosion de violences sporadiques, comme à Avignon à partir du mois de juin 179047. Le Comtat et Avignon se scindent entre Papalins, favorables au maintien dans le giron romain et refusant l’incorporation à la France révolutionnaire, et Annexionnistes, réclamant l’union à la France. Les raisons de cette fracture sont multiples. Il y a d’abord des avantages à vivre dans le Comtat : fiscalité peu élevée, absence de service militaire. En revanche, les entraves économiques, inhérentes à l’enclavement, poussent une partie des commerçants et des marchands à réclamer l’union avec la France. D’ailleurs, un sentiment pro-français s’était déjà manifesté lors des différentes annexions françaises aux XVIIe et XVIIIe siècles48.

39À un Bas-Comtat subissant l’influence d’Avignon et favorable au rattachement à la France, s’oppose un Haut-Comtat qui y est hostile. Ce clivage se retrouve dans le Comtat rhodanien : la partie la plus septentrionale, de Lapalud à Piolenc, entend rester sous la domination pontificale, contrairement aux communautés méridionales situées entre Sorgues et la Durance. Au-delà de cette partition géographique, le clivage est également intracommunautaire. Bien qu’opposés à l’annexion, les villages septentrionaux ne sont pas unanimes. Des noyaux patriotes luttent fermement dans un environnement qui leur est de plus en plus hostile. La radicalisation de la fronde avignonnaise, qui dégénère en expédition militaire contre l’Assemblée représentative du Comtat, avive les tensions dans tout le Comtat rhodanien.

40Le cas de Piolenc est révélateur du climat qui règne dans ces lieux où l’opinion publique est très divisée. Le conflit envenime rapidement une atmosphère déjà tendue par des divergences socioéconomiques marquées. Les élections du printemps 1790 permettent au petit noyau patriote de conquérir l’hôtel de ville. Dès lors, les patriotes, alliés d’Avignon, réclament l’union à la France. Toutefois, cette option n’est pas partagée par certains notables influents, comme le marquis de Biliotti, et encore moins par la majeure partie du village, restée fidèle au souverain pontife. À la fin de l’année 1790, les tentatives des patriotes pour ancrer la communauté dans le camp des partisans de l’annexion se soldent par un coup de force papalin. Les édiles les plus compromis avec les Avignonnais sont destitués tandis que Biliotti est porté à la tête d’une municipalité très nettement conservatrice. Les patriotes quittent le village et certains trouvent refuge à Orange, où ils se placent sous la protection du club des Jacobins, dont la réputation ne cesse de s’étendre. D’autres enfin gagnent Avignon, où ils s’enrôlent dans l’armée des « braves brigands ». Le cas de Piolenc est emblématique des communes comtadines bipolarisées, où la nationalisation de la vie politique locale amplifie les tensions préexistantes et dégénère en conflits violents.

  • 49 Dans la nuit du 14 au 15 avril 1791, le maire et le secrétaire de Vaison, partisans de l’annexion à (...)

41Face à l’intransigeance des Avignonnais, les communes du HautComtat nouent une alliance en mars 1791, à l’initiative de Bollène : l’Union de Sainte-Cécile. Toutes les communes du Haut-Comtat rhodanien y participent. Les localités plus proches d’Avignon, comme Sorgues ou Caderousse, adhèrent à la fédération avignonnaise, établie en février, et réaffirment leur désir de s’unir à la France. L’état-major de l’Union de Sainte-Cécile est composé d’aristocrates occupant des fonctions locales, comme le maire de Bollène, Gabriel Magnin de Gaste. L’incident de Vaison49 au cours du printemps 1791 précipite la région dans la guerre civile. Les deux camps se rencontrent à Sarrians le 19 avril 1791. Après leur victoire, les Avignonnais assiègent Carpentras qui capitule le 15 mai 1791. La défaite de Sarrians et la chute de Carpentras suscitent une vive émotion dans le camp de l’Union de Sainte-Cécile. Des médiateurs français sont dépêchés pour régler le conflit et organiser les modalités du scrutin sur la réunion du Comtat à la France tandis que les combattants de l’armée de Vaucluse rentrent triomphalement dans leur foyer. Le fait d’avoir participé à l’expédition contre Carpentras constitue un marqueur politique et identitaire fort tout comme celui de rester fidèle au Pape.

  • 50 Pour une étude plus détaillée : N. Soulas, « Conflits, circulations et construction du politique : (...)

42Les affaires comtadines rejaillissent sur les territoires frontaliers. Les municipalités françaises suivent le cours des évènements avec beaucoup d’appréhension, craignant que le conflit ne finisse par les affecter. Par ailleurs, partisans de la France ou du Pape sollicitent régulièrement leurs voisins proches, recherchant leur protection ou leur arbitrage. Les deux camps inondent le Midi de la France de multiples adresses, relayées jusqu’à Paris, auxquelles les patriotes français ne restent pas indifférents. Ainsi, la municipalité orangeoise intervient à différentes reprises pour faire cesser les combats tandis que le club des Jacobins devient la tribune des patriotes comtadins apatrides, où ils ne cessent de diaboliser leurs adversaires, amalgamés avec la contrerévolution. Cette vision biaisée de la crise comtadine alimente en clichés et en représentations partisanes le nouvel imaginaire politique, amplifiant et exagérant les peurs et le sentiment, éprouvé par de nombreux patriotes locaux, d’une insécurité de plus en plus marquée50.

  • 51 M. Lapied, Le Comtat... op. cit., p. 97.

43Les scrutins de l’été 1791 sont très agités dans la partie rhodanienne de l’enclave. Dans les localités vaincues, les semaines qui précédent le vote sont particulièrement tendues. Si le « parti » avignonnais a remporté la guerre, il n’a pas conquis l’opinion publique. Bien au contraire, cette victoire cristallise le ressentiment des vaincus. Les municipalités défaites rechignent à s’acquitter des sommes réclamées pour rembourser les frais de la guerre civile tandis que les vétérans de la campagne contre Carpentras, revenus la tête haute dans leurs foyers, caracolent dans les rues et provoquent leurs adversaires. Les rixes sont nombreuses et des gardes nationaux français sont déployés pour maintenir la tranquillité lors des élections, ce qui n’empêche pas ces dernières d’être particulièrement houleuses. De Lapalud à Piolenc, les patriotes peinent à s’imposer face à une majorité papaline. Toutefois, les partisans du Pape ne l’emportent que dans 25 % des villages comtadins51. L’annexion du Comtat à la France entraîne l’incorporation forcée d’habitants qui n’ont aucune sympathie pour cette Révolution qui les coupe du Saint-Siège. La défaite finale des Papalins accentue les tensions et facilite le basculement d’une partie des populations dans le conservatisme politique, ce qui fait de cet espace l’un des plus conflictuels du territoire français. Le durcissement des antagonismes durant l’année 1791 favorise l’émergence de nouvelles lignes de fracture qui se superposent aux clivages politiques préexistants et les amplifient.

Le choc de la Constitution civile du clergé

  • 52 J.C. Martin, Religion et Révolution, Paris, Anthropos-Economica, 1994 ; A.M. Duport (dir.), Religio (...)
  • 53 D.M.G. Sutherland, Révolution et Contre-révolutions en France (1789-1815), Paris, Éditions du Seuil (...)
  • 54 T. Tackett, La Révolution, l’Église, la France. Le serment de 1791, Paris, Éditions du Cerf, 1986, (...)
  • 55 Ibid. p. 355.
  • 56 B. Cousin (dir.), Hommes de Dieu et Révolution en Provence, Turnhout, Brepols, 1995, p. 77.

44La crise religieuse engendrée par la Constitution civile du clergé accroît les tensions dans le couloir rhodanien52. Votée le 12 juillet 1790, elle érige les clercs en fonctionnaires élus par les citoyens actifs. Pour mieux lier l’Église à l’État, les Constituants soumettent les ecclésiastiques à un serment de fidélité. Si la Constitution civile du clergé répond à de nombreuses attentes exprimées dans les cahiers de doléances, l’obligation de prêter un serment, qui n’a pas l’aval du Pape, divise aussi bien les clercs que l’ensemble des Français. Au cours de l’été 1791, au plus fort d’une crise devenue politique, 60 % des clercs prêtent serment tandis que seuls sept évêques l’acceptent53. La géographie du serment élaborée par T. Tackett – utile en première approximation, mais à affiner, car les pourcentages utilisés pour sa constitution négligent les variations d’attitude – et nos propres recherches démontrent que la vallée du Rhône constitue un espace intermédiaire entre une zone d’adhésion massive allant du Bas-Dauphiné au littoral varois et une zone de refus caractérisée par les contreforts du Massif central, du Gard à l’Ardèche. La fracture religieuse se perçoit à différentes échelles. Il y a en premier lieu une cassure régionale nord/sud très nette : le pourcentage de jureurs dépasse les 80 % dans la Drôme, l’Isère et le Rhône-et-Loire, où les curés congruistes sont nombreux. En revanche, dans les Bouches-du-Rhône, il n’excède pas les 51 % tandis que seuls 28 % des clercs gardois acceptent le serment54. Toutefois, au sein d’un même département, les disparités entre districts sont considérables : 55 % de jureurs dans le district d’Arles contre 93 % dans celui de Tarascon55. Le district contenant le plus de réfractaires est celui de Beaucaire (33 % d’assermentés). De plus, à l’intérieur d’un même district, les contrastes locaux peuvent être importants d’un canton à un autre ou au sein d’un même canton. Ainsi, dans la commune d’Arles, seuls 45 % des clercs acceptent de prêter serment56.

  • 57 R. Dupuy, « Politisation populaire et religion : étude comparée de l’anti-révolution dans le Midi e (...)
  • 58 N. Soulas, « La plume et la pique. Approche de la presse jacobine provinciale à travers le Journal (...)

45Dans les districts où le pourcentage d’acceptation n’est pas très élevé, la crise religieuse, rapidement instrumentalisée par les différents « partis », cristallise les tensions et dégénère parfois en affrontements violents. La géographie des conflits recoupe sans surprise celle du serment et laisse transparaître une opposition régionale marquée avec une charnière qui se situe autour de Montélimar. Au nord, où les clercs sont massivement jureurs, les tensions sont rares. En revanche, dans le Midi rhodanien, la question religieuse est cruciale et devient une véritable pomme de discorde, d’autant plus que la présence d’un bastion du catholicisme comme le Comtat favorise l’agitation religieuse57. En effet, plus on approche du Comtat, plus le nombre de réfractaires, et par conséquent de conflits, est important. Cet Etat pontifical agit comme un poison contaminant les espaces voisins. La frontière très poreuse séparant le royaume de France du Comtat favorise les échanges culturels et la circulation des hommes. Il serait intéressant de considérer le conflit religieux sur une plus longue durée, en intégrant par exemple l’influence que pourraient jouer les réseaux catholiques intransigeants, pour une meilleure appréciation du schisme de 1791. La crise religieuse parachève le délitement de la concorde politique et divise les acteurs. Parce qu’il refuse de prêter serment de fidélité à la Constitution, le réfractaire se rend suspect de contre-révolution, même si, dans les faits, le parallèle n’est pas aussi simple. Certains journalistes patriotes, tel Paul Capon, amalgament ainsi les prêtres réfractaires avec les adversaires de la Révolution, et exhortent les méridionaux à terrasser l’« aristo-papisme »58. Ce faisant, ils entretiennent les peurs et alimentent l’imaginaire collectif en représentations partisanes qui ancrent dans les esprits une vision déformée et volontairement exagérée des dynamiques politiques locales, propice à un climat de radicalisation. L’un des déterminants expliquant l’intensité des tensions liées au schisme de 1791 dans le Midi rhodanien réside dans le rôle joué par les clubs politiques méridionaux.

L’émergence des clubs

  • 59 M.L. Kennedy, The jacobin clubs in the french Revolution, the first years, Princeton, Princeton Uni (...)
  • 60 M. Vovelle, Les Jacobins. De Robespierre à Chevènement, Paris, Éditions la Découverte, 1999, p. 17.
  • 61 J. Boutier, P. Boutry, « La diffusion des sociétés politiques en France (1789-an III). Une enquête (...)
  • 62 J. Boutier, P. Boutry, « Géographie politique du jacobinisme. L’implantation des sociétés populaire (...)
  • 63 Voir carte en annexe sur HAL.

46S’inspirant du modèle anglais et des formes de sociabilité des Lumières, certains députés des États-Généraux forment la Société des amis de la Constitution en novembre 1789. De nombreux clubs provinciaux se créent rapidement, dont certains s’affilient avec la société mère de Paris59. À l’automne 1791, sur 635 sociétés politiques, 552 se revendiquent comme jacobines60. Les départements méridionaux, notamment rhodaniens, figurent largement en tête du classement national. En effet, plus de 90 % des communes vauclusiennes et drômoises et 85 % de celles des Bouches-du-Rhône ont leur club en l’an II alors que la moyenne française n’est que de 13 %61. Le quart sud-est, le sud-ouest et le nord-ouest sont les trois pôles les plus dynamiques du jacobinisme français62. Les sociétés politiques rhodaniennes apparaissent surtout lors de la première grande phase de création des années 1789-179163.

  • 64 J. Boutier, P. Boutry, S. Bonin, Atlas de la Révolution française, Paris, Éditions de l’EHESS, 6, 1 (...)
  • 65 M. Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’Ancienne Provence, Paris, Fayard, 1968.
  • 66 Seuls 5 à 10 % des villages du Maine ou de la Basse-Normandie sont dotés d’une société politique : (...)

47Au cours du printemps 1792, une seconde vague de création de clubs touche l’ex-Comtat. Certains clubs plus anciens, comme celui d’Orange, chapeautent l’installation de nouvelles sociétés dans des contrées réfractaires. En favorisant la création de clubs, les Jacobins constituent un immense réseau de sociétés politiques, dont la plupart nouent d’étroites relations avec la société-mère ou avec d’autres pôles jacobins méridionaux, comme Marseille et Avignon. En 1792, les deux tiers des communes situées entre Pierrelatte et Marseille possèdent leur propre société politique64. Maurice Agulhon voyait dans cette prolifération de clubs la permanence d’une certaine sociabilité méridionale, héritage des confréries de pénitents ou des loges maçonniques de l’Ancien Régime65. Les fortes densités de peuplement du couloir rhodanien ainsi que sa configuration géographique constituent un terreau favorable à l’éclosion précoce des clubs. Là encore, on note l’importance des circulations dans le processus de construction du politique dans la vallée du Rhône. Par ailleurs, contrairement à certaines campagnes de l’Ouest, le jacobinisme rhodanien est aussi bien urbain que rural66.

  • 67 M. Seyve, Montélimar et la Révolution. Audaces et timidités provinciales (1788-1792), Valence, Édit (...)

48Dans les communes où la question religieuse est particulièrement vive, l’entrée en scène de clubs défendant ardemment la Constitution civile du clergé accentue les conflits politiques. Cet engagement partisan se traduit par une très nette radicalisation des affrontements et par un rôle accru des clubs dans la vie politique locale. Ils entrent parfois en conflit avec les municipalités, lorsque les clubistes jugent la politique religieuse locale trop timorée. Ainsi, à Montélimar, certains clubistes, dont Joseph Boisset, font fermer de leur propre chef deux communautés de religieuses en juillet 1791, au grand scandale de la municipalité patriote, mise devant le fait accompli67. Dans les poches conservatrices du couloir rhodanien, le club, rassemblant les patriotes les plus dévoués à la cause révolutionnaire, devient le fer de lance de la défense de la nouvelle Église et le bras armé contre les ennemis de la Révolution.

Du second camp de Jalès à la fuite du roi

  • 68 T. Tackett, Anatomie de la Terreur. Le processus révolutionnaire, 1789-1793, Paris, Le Seuil, 2018, (...)
  • 69 C. Jolivet, La Révolution dans l’Ardèche (1788-1795), Aubenas, Curandera, 1988 [1930], p. 233-252.
  • 70 P. Martel, La Révolution française et le Midi. L’invention du Midi. Représentations du Sud pendant (...)
  • 71 AM Valence, 1 D 1, délibération municipale du 21 février 1791.
  • 72 MG, U 2192, Rapport fait à la société des Amis de la Constitution de Valence par MM. Corbeau et Tri (...)

49La psychose du complot « aristocrate », régulièrement attisée par les rumeurs des différentes tentatives contre-révolutionnaires, comme le second acte des camps de Jalès, alourditdavantage le climat politique68. En février 1791, un nouveau camp « fédératif » organisé au château de Banne par Malbosc, l’un des rescapés de la première affaire de Jalès, est dispersé par une expédition de gardes nationaux provenant de nombreuses communes du couloir rhodanien69. La tentative insurrectionnelle du second camp de Jalès forge l’imaginaire d’un Midi contre-révolutionnaire et violent70. Les clubs jouent un rôle essentiel dans la mobilisation de l’opinion publique. Le 21 février, le club des surveillants de Valence députe dix de ses membres pour inciter la municipalité à déjouer les « mouvements occasionnés dans le département du Gard71 ». Un peu partout, les sociétés politiques entretiennent la hantise de la contre-révolution. Le contexte, marqué par la crise religieuse et la renaissance perpétuelle des complots contre-révolutionnaires, y est particulièrement favorable. Du reste, une partie des populations méridionales amalgament au sein d’une vaste conspiration la résistance politique d’une partie des Comtadins avec les camps de Jalès : « La division qu’ils entretiennent dans le Comtat et la tentative qu’ils ont fait dans le même temps à Jalès, ont une si grande connexité, qu’il est impossible de douter que ce ne soit l’ouvrage de la même main72. » Ces peurs, et les rumeurs qu’elles génèrent, contribuent à radicaliser une partie des acteurs méridionaux.

  • 73 C. Lourde, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence, Marseille, Laffite Reprints, 1974 (...)
  • 74 « Blancs » et contre-révolutionnaires. Espaces, réseaux, cultures et mémoires (fin XVIIIe début XXe(...)

50Si la contre-révolution est autant dénoncée, c’est qu’elle représente une menace sérieuse, comme les événements d’Arles le rappellent. En février 1790, les Arlésiens élisent une municipalité patriote, conduite par le chevalier d’Antonelle. Cependant, la Constitution civile du clergé amplifie les tensions politiques. Deux « partis » émergent rapidement : les Chiffonistes, conservateurs favorables au clergé réfractaire, affrontent les Monnaidiers, zélés partisans de la Révolution qui peuvent s’appuyer sur le club des Jacobins. Les divergences politiques accentuent en réalité un clivage socio-économique majeur, dans la mesure où une part importante des élites arlésiennes rejoint la Chiffone. Les Chiffonistes profitent du départ du maire, député dans le Comtat, pour soutenir les Avignonnais et investir au cours de l’été 1791 tous les pouvoirs locaux73. La prise de pouvoir par les conservateurs s’accompagne de mesures réactionnaires, comme le rappel des prêtres réfractaires, et contribue à associer étroitement la Chiffone à la contre-révolution. La conquête d’Arles, à quelques mois seulement du deuxième camp de Jalès, accrédite la rumeur d’un vaste complot contre-révolutionnaire. Les patriotes fuyant Arles dépeignent la ville comme un nouveau Jalès, concourant ainsi à forger dans l’imaginaire une vision très idéologique des dynamiques politiques méridionales74.

  • 75 T. Tackett, Le roi s’enfuit. Varennes et l’origine de la Terreur, Paris, La Découverte, 2004.
  • 76 D.M.G. Sutherland, Révolution... op. cit., p. 144.
  • 77 AD Drôme, L 1104, compte rendu de la réunion des 22 sociétés des Amis de la constitution tenue à Va (...)
  • 78 AM Valence, 1 D 1, délibération municipale du 15 juillet 1791.
  • 79 AM Valence, 1 D 1, délibération municipale du 13 mars 1791.

51Alors que tous les regards sont rivés sur la crise arlésienne, l’annonce de la trahison du monarque creuse davantage le fossé entre les populations méridionales75. Si aucun club rhodanien, à l’image de ceux de Montpellier ou de Strasbourg, ne se prononce en faveur de la République, celui de Valence, comme un peu moins d’un cinquième des sociétés politiques provinciales, exige que le roi soit traduit en justice76. Le 3 juillet, les deux clubs valentinois, de concert avec la municipalité, convoquent une assemblée des sociétés patriotiques. Vingt-deux clubs des environs députent un représentant. Ce sont tous des patriotes de la première heure, comme Melleret, d’Étoile, ou Boisset, de Montélimar. Les représentants exigent à l’unanimité que le roi soit jugé : « Tous les individus, sans exception, sont soumis aux lois du royaume et devraient être jugés par elles77. » La motion réclamée par 290 députés conservateurs de ne pas livrer le roi à la justice accentue la crise et indispose les patriotes valentinois, qui réclament que « tous les traîtres à la Constitution soient jugés comme parjures et qu’ils perdent leur inviolabilité de députés78 ». On perçoit bien ici le durcissement des prises de position, comme c’est également le cas au niveau national. Le club de Valence qui s’inquiétait en avril pour la santé du « meilleur des monarques79 » exige à présent qu’il soit châtié. Les différentes attitudes face à l’épisode de Varennes révèlent l’existence d’options politiques divergentes. Les Jacobins de Vienne, adhérant au club des Feuillants, se cramponnent à un prudent légalisme et dénoncent l’inconstitutionnalité de la République, tandis que la radicalisation de nombreux patriotes crée un profond malaise au sein de conseils municipaux de plus en plus clivés.

Automne 1791 : une géographie politique contrastée

52En nous focalisant sur les affiliations et les trajectoires politiques des édiles, nous avons élaboré une typologie répartissant les municipalités élues en 1791. L’enquête livre l’existence de trois profils différents.

  • 80 Voir par exemple : Cyril Belmonte, Les patriotes et les autres : l’arrière-pays marseillais en révo (...)

53Le premier regroupe les communes dont les administrateurs sont majoritairement conservateurs. Ici aussi, nous assumons l’utilisation de ce terme qui ne fait pas toujours l’unanimité pour son caractère globalisant et réducteur80. Certes, le conservatisme peut évoluer selon le contexte et être qualifié de conservateur en 1790 ou en 1792, ce n’est assurément pas la même chose. Toujours est-il que ce concept est séduisant justement parce qu’il permet, par commodité, d’associer des individus qui se distinguent par des prises de position réactionnaires : soutien au clergé réfractaire, refus de création d’une société politique, soutien aux organisateurs des camps de Jalès ou à un autre épisode contre-révolutionnaire, membre de l’Union de Sainte-Cécile, etc. Nous avons bien conscience qu’il existe des nuances dans le conservatisme, par exemple entre la défense de la contre-révolution et le soutien au clergé réfractaire. Reste que ce concept a le mérite d’indiquer une sensibilité politique et certains traits communs, que l’on peut observer dans tout l’espace étudié durant toute la période, et dont on peut tirer des enseignements qui seront affinés au cas par cas. La mise en perspective de données collectées localement ne peut être effectuée qu’au prix de l’utilisation de tels concepts.

  • 81 J.L. Issartel, « Sociétés politiques et élections dans la région du Rhône moyen (1791an II) », AHRF(...)
  • 82 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 185 ; Les Jacobins du Midi, actes des colloques de Barc (...)
  • 83 D. Pingué, Les mouvements jacobins en Normandie orientale, Paris, CTHS, 2001, p. 520.
  • 84 P. Serna, « Radicalités et modérations, postures, modèles, théories », AHRF, 357, 2009, p. 3-19.
  • 85 M. Lapied, « Les modérés et les pratiques politiques révolutionnaires : l’exemple de la Provence et (...)

54A contrario, de solides bastions jacobins se dessinent. Confirmant leur percée dans les pouvoirs locaux lors du renouvellement de novembre 1790, les clubistes investissent les municipalités en 1791. Les membres des sociétés politiques ont très rapidement mesuré l’importance des élections. Le 14 août 1791, le club de Bourg-Saint-Andéol recommande à ses membres d’assister avec assiduité aux assemblées primaires81. Cette percée des clubs s’inscrit dans un contexte national d’essor du jacobinisme. Les clubistes l’emportent dans les grandes villes et dans de nombreux chefs-lieux de département82. Dans le couloir rhodanien, la poussée jacobine est très inégale mais elle est manifeste. Les clubistes représentent 48 % des édiles de Roquemaure, presque la moitié – mais probablement davantage –, de ceux de Valence tandis qu’ils noyautent complètement la municipalité orangeoise. Le mouvement est aussi rural. 70 % des administrateurs de Pierrelatte et de Tain sont des sociétaires. Au nord de Montélimar, les sociétés politiques naissent et évoluent dans des espaces politiques apaisés, propres à un développement rapide. Dans le Midi rhodanien, le climat est moins propice à la percée des clubistes qui se sont compromis dans la défense de l’Église révolutionnée. Aussi, dans certaines localités, les adversaires des clubs se mobilisent pour leur faire barrage. Seuls 35 % des édiles de Saint-Paul-Trois-Châteaux appartiennent au club. Dans les bastions jacobins, les postes clefs sont raflés par les clubistes (71 % des maires urbains). Dans les villages, leur percée est moins importante. Toutefois, la poussée des Jacobins rhodaniens est nettement plus précoce que dans d’autres espaces comme la Normandie orientale, où les clubistes sont généralement élus pour la première fois lors des scrutins de novembre-décembre 179283. Les Jacobins ont conquis les municipalités par les urnes (Valence, Orange, Montélimar) ou par la force (Bourg-Saint-Andéol, Bagnols). Ces pôles jacobins sont loin d’être homogènes. Certains se distinguent par des options politiques avancées et par une radicalisation plus précoce (Orange, Tarascon, etc.)84. D’autres, comme Pierrelatte, revendiquent déjà une ligne de conduite très modérée85. Cette nuance sera précisée au fil de l’étude.

  • 86 Dr. Jullian, « Agricol Moureau : son influence sur le mouvement social et révolutionnaire de la vil (...)

55Enfin, la dernière catégorie de la typologie est formée par des municipalités où aucune majorité ne s’est véritablement constituée. Les municipalités adoptent une prudente réserve et une très grande modération face aux différents bouleversements politiques (Vienne) ou subissent l’influence des uns ou des autres et sont susceptibles de basculer d’un camp à l’autre, au rythme des élections ou des coups de force, comme celle de Beaucaire, dont les Jacobins, bien qu’encore minoritaires, ont entamé la conquête sous la houlette d’Agricol Moureau, élu procureur général syndic86. Ces distinctions seront précisées par la suite.

56La divergence des opinions favorise l’émergence d’espaces politiques diamétralement opposés, lisibles à différentes échelles géographiques.

CARTE N° 3 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (AUTOMNE 1791)

CARTE N° 3 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (AUTOMNE 1791)

57En premier lieu, le scrutin de novembre 1791 marque un clivage régional nord/sud très net. La vallée du Rhône septentrionale apparaît comme un espace précocement révolutionné, ne comptant aucun bastion conservateur. Les élections offrent la victoire aux Jacobins, qu’ils soient très modérés (Tain, Condrieu) ou plus virulents (Valence, Montélimar), ou se concluent par l’arrivée d’édiles aussi attentistes que modérés, comme à Vienne ou à Givors. Dans cet espace géographique au climat politique apaisé, la très grande majorité des clercs prête serment tandis que l’éclosion des clubs n’accentue pas les tensions.

  • 87 À la suite du meurtre du patriote Lescuyer, les révolutionnaires avancés massacrent une soixantaine (...)

58En revanche, dans la partie méridionale du sillon rhodanien, ébranlée par le schisme religieux et les luttes politiques, les élections révèlent l’existence d’antagonismes infrarégionaux. Se dessine un gros pôle conservateur, formé par un semis continu de municipalités réactionnaires, qui transcende les frontières de l’ancien Comtat en intégrant Saint-PaulTrois-Châteaux, dans la Drôme, et Mondragon, dans les Bouches-du-Rhône. On y retrouve sans surprise les cités papalines, dont les élites municipales sont parvenues à se maintenir au pouvoir, à l’image du maire de Bollène et co-fondateur de l’Union de Sainte-Cécile, Magnin de Gaste. À Bollène, le maintien des forces conservatrices génère une surreprésentation des nobles à l’hôtel de ville, d’où l’anomalie nobiliaire mise en évidence. Dans d’autres communes, l’évolution de la conjoncture favorise un retournement complet de la situation, comme à Bédarrides, Sorgues et Avignon, où les conservateurs profitent du discrédit des patriotes pour s’imposer à la suite de la guerre civile et des violences qu’elle génère87. À côté de ce chapelet réactionnaire, les autres pôles conservateurs sont plus ponctuels. Certaines communes confirment en 1791 une orientation conservatrice empruntée dès le début de la Révolution française, comme Saint-Laurent-des-Arbres, tandis que d’autres ont été récemment conquises, comme Arles, Avignon ou Saint-Paul-Trois-Châteaux. À l’exception de la commune arlésienne, les foyers conservateurs se trouvent dans un rayon géographique proche de l’ancien Comtat. La proximité du Comtat se répercute dans la constitution des options politiques locales : il opère comme un véritable poison pour les territoires environnants qu’il contamine et qu’il déstabilise, ou alors, il produit l’effet inverse en agissant comme un repoussoir et en favorisant la constitution précoce de citadelles jacobines, comme Orange, Roquemaure ou Bagnols. Les autres bastions jacobins éclosent également proches d’espaces contre-révolutionnaires comme Tarascon, près d’Arles, et Bourg-Saint-Andéol ou Saint-Marcel-d’Ardèche, dans les environs immédiats de la plaine de Jalès. Enfin, d’autres municipalités méridionales ont un profil plus complexe. Cherchant une voie médiane entre le conservatisme et la radicalisation professée par certains patriotes, elles se distinguent par des prises de position très modérées (Courthézon, Villeneuve-lez-Avignon, Pont-Saint-Esprit). L’existence d’un tel courant n’est possible que dans les localités qui n’ont pas été affectées par la crise religieuse de 1791.

  • 88 M. Vovelle, « Midi rouge, Midi blanc : une problématique », Provence historique, 37, 148, 1987, p.  (...)
  • 89 C. Lucas, « The problem of the Midi in the French Revolution », Transactions of the Royal Historica (...)
  • 90 M. Vovelle, La découverte de la politique. Géopolitique de la Révolution française, Paris, La Décou (...)

59Dans la vallée du Rhône méridionale, les antagonismes prononcés font coexister en contigüité régionale différentes sensibilités politiques88, contribuant à forger l’image d’un Midi turbulent et violent89. Ainsi, dans le canton de Roquemaure, le village de Saint-Laurent-des-Arbres tranche par le conservatisme de ses édiles alors que toutes les communes voisines sont aux mains de patriotes, chapeautés par le club des Jacobins de Roquemaure. La situation est identique dans le district d’Orange, dont le chef-lieu apparaît comme une citadelle jacobine encerclée par des campagnes conservatrices. La Révolution française façonne une nouvelle géographie politique en dessinant de véritables frontières et en séparant de manière purement informelle des espaces antagonistes et perçus comme tels par leurs acteurs90.

60Les frontières politiques qui se constituent à la fin de l’année 1791 sont à la fois le fruit d’un héritage historique et des divisions des débuts de la Révolution française. C’est particulièrement net pour le Haut-Comtat rhodanien qui se signalait déjà par son attitude conservatrice à la veille de la Révolution, phénomène amplifié par son incorporation au royaume de France. Du reste, une frontière politique interne et totalement informelle se substitue à la frontière institutionnelle qui séparait Avignon et le Comtat lors de l’annexion de 1791. Cette géopolitique complexe est accentuée par les représentations que s’en font les contemporains. Dans leurs correspondances adressées aux autorités supérieures ou dans leurs discours, les Jacobins façonnent un nouvel imaginaire partisan, entretenant dans les esprits l’existence de frontières politiques palpables. La rhétorique jacobine, en reposant sur la thématique de la reconquête, alimente continuellement cette vision autant qu’elle contribue à radicaliser une partie des populations méridionales.

Réduction des citadelles conservatrices, violences et division des patriotes

  • 91 M. Vovelle, « Les troubles sociaux en Provence (1750-1792) », in Actes du 93e Congrès national des (...)

61Sur un climat politique tendu se greffe une conjoncture socioéconomique catastrophique au printemps 1792, qui génère une vague de soulèvements dans le Midi lors de la soudure91. Ces revendications, qui prennent une orientation antiseigneuriale par l’attaque des châteaux, ou communautaire en étant axée sur la mainmise des communaux, touchent presque simultanément tous les départements méridionaux. La violence et les objectifs des revendications populaires accentuent les divisions. Alors que la bourgeoisie jacobine bourguésane et les catégories sociales plus humbles s’étaient unies pour remporter les élections de novembre 1791, les violences du printemps 1792 rendent cette alliance de circonstance caduque. Lorsque certaines demeures d’acquéreurs de biens nationaux sont dévastées en avril 1792, les modérés, comme le procureur général syndic Étienne Madier, condamnent le viol des propriétés tandis que les plus avancés, dont le chef de file est le maire Ymonier, appuient les revendications populaires. Dans toute la vallée du Rhône, les troubles du printemps 1792 amplifient le délitement de l’unité des patriotes et font bouger les lignes.

  • 92 N. Alzas, La Liberté ou la mort. L’effort de guerre dans l’Hérault pendant la Révolution française (...)
  • 93 N. Alzas, « La représentation du noble. Enjeu de la mobilisation patriotique pendant la Révolution  (...)

62Ces tensions sont renforcées par le contexte très particulier de marche à la guerre qui avive davantage la psychose de la contrerévolution92. Les patriotes amalgament dans leurs discours ou leurs adresses les conservateurs avec les émigrés de Coblence93. La diabolisation de l’adversaire politique justifie le recours à la violence pour sauver la Révolution, face à l’inertie et aux tergiversations des administrations départementales. Ainsi, au début du printemps 1792, les patriotes méridionaux multiplient les expéditions civiques visant à raviver la flamme patriotique, quitte à utiliser la force si nécessaire. Arles et Saint-Paul-Trois-Châteaux tombent presque simultanément entre leurs mains.

  • 94 J. Guilhaumou, Marseille républicaine (1791-1793), Paris, Presses de la Fondation nationale des sci (...)

63Au début de l’année 1792, Marseille se lance dans une croisade acharnée contre les adversaires de la Révolution94. Après avoir maté les Suisses du régiment d’Ernest, en garnison à Aix, les Marseillais soumettent à la fin du mois de mars la municipalité arlésienne, décrétée hors-la-loi par la Législative. Les Chiffonistes et les prêtres réfractaires sont dispersés tandis qu’une municipalité patriote est installée par les Marseillais. La chute d’Arles accentue davantage la pression sur les bastions conservateurs rhodaniens tandis que la réputation des Marseillais transcende les frontières du département. En parallèle à ces expéditions militaires, les Marseillais dépêchent des « missionnaires patriotes » pour combattre le « fanatisme et l’aristocratie ». Ces prêches politiques radicalisent un peu plus les populations locales autant qu’elles les divisent.

64Dans le Tricastin, la crise religieuse clive profondément les populations. En novembre 1791, la victoire des conservateurs à Saint-Paul-Trois-Châteaux, conduits par le comte de Castellane, est accompagnée, comme dans la cité arlésienne, par le retour ou l’accueil des prêtres réfractaires. La résistance est animée par les frères Payan, bénéficiant à la fois du soutien du club et d’une partie de l’administration départementale. La crise atteint son paroxysme en avril lorsque les patriotes dispersent les prêtres réfractaires et forcent les administrateurs les plus réactionnaires, comme le comte de Castellane, à démissionner, grâce à la mobilisation des patriotes des villages voisins. Saint-Paul-Trois-Châteaux s’affirme dès lors comme un pôle du jacobinisme radical actif, où club et municipalité agissent de concert.

  • 95 AD Gard, L 433, lettre de l’administration du département du Gard adressée au ministre de l’Intérie (...)

65Malgré la chute d’Arles et de Saint-Paul-Trois-Châteaux, les conservateurs tiennent encore solidement de nombreux hôtels de ville rhodaniens. Avignon, par exemple, est contrôlée depuis l’automne 1791 par une municipalité horrifiée par les massacres de la glacière et les débordements des patriotes « exclusifs ». La ville est dépeinte par les clubs des environs comme une nouvelle Coblence : « À Avignon, dans le Comtat, on veut aussi renverser la constitution, on prépare un foyer dangereux pour tous les départements du Midi95. » Dans tout l’ancien Comtat rhodanien, les patriotes ne parviennent pas à s’imposer. Les tensions sont si fortes que les administrations départementales de la Drôme et des Bouches-du-Rhône dépêchent en mai 1792 quatre commissaires pour mettre fin aux troubles et renouveler les municipalités. Ces élections anticipées se déroulent dans un contexte encore plus agité qu’en 1791. La compétition est rude entre les patriotes les plus avancés, qui entendent profiter de cette opportunité pour s’imposer, et les conservateurs qui tentent de se maintenir. Les patriotes l’emportent à Avignon, mais également à Bollène, au terme d’une élection mouvementée durant laquelle le petit noyau patriote remporte un scrutin entaché d’illégalité sous la bienveillance des Gardes nationales d’Orange ou de Saint-Paul-Trois-Châteaux. La chute de Bollène, pivot de l’Union de Sainte-Cécile en 1791, est symbolique. Néanmoins, en dehors d’Avignon et de Bollène, l’échec des patriotes comtadins est cuisant. Les citoyens actifs de Lapalud, Mornas, Piolenc et Caderousse reconduisent intégralement leurs édiles réactionnaires.

66L’évolution du contexte politique au cours de l’année 1792 amplifie le divorce entre des administrations départementales modérées et certains pouvoirs locaux aux mains des patriotes « exclusifs ». La journée du 20 juin 1792 révèle une nouvelle fois le clivage qui divise de plus en plus les patriotes. Alors que les administrations départementales modérées condamnent sévèrement l’atteinte portée à la majesté royale, clubs et municipalités sont beaucoup plus partagés. Les clubs d’Orange ou de Saint-Paul-Trois-Châteaux incitent les populations à désobéir au pouvoir royal et appellent à la République. Le 3 juillet 1792, les clubistes orangeois brûlent solennellement une proclamation royale tandis qu’ils exhortent l’Assemblée Législative à ôter le pouvoir exécutif des mains du roi. Seules les municipalités contrôlées par des clubistes « exclusifs » vont aussi loin : Bagnols, Bourg-Saint-Andéol ou Montélimar, tandis que la grande majorité des municipalités garde un silence prudent. Plus rares sont celles qui osent condamner la journée du 20 juin, comme Condrieu. La tentative contrerévolutionnaire du comte de Saillans en Ardèche avive un peu plus la crainte du « complot aristocratique » dans un climat anxiogène. Si ce soulèvement royaliste est rapidement dispersé, la contre-révolution reste menaçante dans le Midi. C’est dans ce contexte troublé que la nouvelle de la suspension du roi se répand dans la vallée du Rhône. Les municipalités patriotes s’empressent de fêter l’événement tandis que d’autres gardent un silence prudent traduisant leur malaise et leur attentisme.

67L’évolution de la conjoncture politique scelle définitivement le sort des derniers bastions conservateurs du sillon rhodanien. Jugées inconstitutionnelles, les municipalités de Mornas, de Piolenc et de Caderousse se démettent de leurs fonctions entre fin août et début septembre 1792, sous la pression des patriotes du district de Vaucluse. En toute logique, les anciens partisans de l’annexion à la France les remplacent à la tête des pouvoirs locaux. Pour illustrer symboliquement la transition politique que vient de vivre l’ancien Comtat rhodanien, le club des Jacobins d’Orange fait arracher l’arbre de la liberté de Caderousse, planté sous la municipalité précédente, et en installe un nouveau.

  • 96 D.M.G. Sutherland, Murder in Aubagne : lynching, law and justice during the french revolution, Camb (...)
  • 97 H.C. Johnson, The Midi in revolution. A study of regional political diversity, 1789-1793, Princeton (...)
  • 98 Même constat dans l’Orne : C. Peyard, Les Jacobins de l’ouest. Société révolutionnaire et formes de (...)
  • 99 J. Bouchet, C. Simien (dir.), Les passeurs d’idées politiques nouvelles au village. De la Révolutio (...)
  • 100 R. Pierre (dir.), 240 000 Drômois aux quatre vents de la Révolution, Valence, Notre Temps, 1990, p. (...)
  • 101 AD Drôme, L 1509, affaire de Valence, 26 septembre 1792.
  • 102 G. Lenotre, Les massacres de septembre, Paris, Broché, 2012.

68L’investissement des dernières citadelles conservatrices et la suspension du roi s’accompagnent d’un déchaînement de violences dans le Midi de la France. Elles culminent entre l’été et le début de l’automne 1792 dans un contexte marqué par la guerre contre l’Autriche et la Prusse. La vallée du Rhône méridionale en constitue l’un des épicentres. Dans un contexte de règlements de compte, des mouvements spontanés, souvent encadrés par des clubistes, pendent sommairement des « aristocrates »96. À Arles ou à Tarascon, un « comité des sabres », composé de patriotes « exclusifs », multiplie les pendaisons. Les départements des Bouches-du-Rhône, du Gard, du Var et une partie de l’Hérault sont les plus touchés par ces violences qui épargnent la vallée du Rhône septentrionale97. Les bataillons de volontaires nationaux cheminant vers les frontières au cours de l’été 1792 jouent un rôle important dans les massacres98. Ces « passeurs d’idées politiques »99 sont parfois instrumentalisés par des patriotes locaux les exhortant à les aider à se débarrasser de leurs « aristocrates ». Le 25 août 1792, les frères Audiffret, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, compromis avec le comte de Saillans, sont arrêtés et transférés dans la prison de Montélimar. Un bataillon de volontaires du Gard ayant participé à la répression de la conspiration lynche les deux frères qui sont laissés pour morts100. Le mois suivant, c’est un bataillon de Marseillais, de passage à Valence, qui traque les contrerévolutionnaires. Les volontaires réclament le jugement expéditif du gendarme Dupuy, probable agent contre-révolutionnaire, démasqué par sa correspondance avec l’étranger : « À Marseille, on pend les prisonniers, ensuite on instruit leur procès101. » Alors que le juge de paix condamne Dupuy à une peine de deux ans de prison et 500 l. d’amende, les volontaires contestent le jugement et entraînent le prisonnier dans la cour où il est pendu sommairement. Le meurtre du gendarme Dupuy reste exceptionnel dans une vallée du Rhône septentrionale où les scènes de lynchage sont presque inconnues, à l’exception de Lyon. Ces violences, concomitantes aux massacres parisiens102 de septembre, suscitent l’indignation des modérés qui ne se reconnaissent plus dans la radicalisation du processus révolutionnaire.

  • 103 J. Nicolas, La Révolution... op. cit., p. 141.
  • 104 AN, F3673, procès-verbal de Joseph Payan, 6 octobre 1792.

69Au cours de l’automne 1792, le couloir rhodanien est confronté à de nouvelles revendications socioéconomiques qui élargissent le fossé séparant les patriotes modérés des « exclusifs ». Dans le sillage du mouvement populaire du printemps 1792, les ruraux réclament le morcellement des biens communaux tout en s’attaquant aux domaines de gros propriétaires et d’émigrés. Les troubles les plus sérieux touchent le Tricastin, où les villages sont agités par la question des communaux, laissée en suspens par l’Assemblée Législative. Profitant du flou juridique, des habitants d’Ancône ou de Donzère se partagent des terres détenues par des forains ou par des émigrés103. Mettant parfois les municipalités devant le fait accompli, quand les édiles n’encadrent pas eux-mêmes ces assemblées, les partages des communaux mettent les administrations supérieures dans l’embarras. Le procureur général syndic du département de la Drôme, Joseph Payan, condamne les « attentats contre les propriétés, et particulièrement contre celles des émigrés, devenues propriétés nationales104 ». La question agraire accentue davantage les divisions entre les modérés et la frange la plus avancée du jacobinisme méridional. Enfin, certains patriotes profitent des circonstances pour taxer les citoyens les plus riches, ce qui finit de jeter le discrédit sur un jacobinisme populaire, accusé de concussion et d’entretenir une sorte de lutte de classes. C’est dans ce contexte troublé de radicalisation et de divisions que se tiennent les premières élections municipales de l’ère républicaine.

Automne 1792 : une nouvelle donne géopolitique

  • 105 M. Biard, P. Bourdin (dir.), 1792. Entrer en République, Paris, Armand Colin, 2013.

70L’entrée en République105 s’accompagne de la régénération des pouvoirs locaux par un corps électoral élargi à la quasi-totalité de la population masculine. Les Feuillants ou ceux qui avaient protesté contre le coup de force du 20 juin 1792 sont balayés et remplacés par de sincères républicains à la tête des départements et des districts. Ainsi, Antoine Teste, de Bagnols, devient procureur général syndic du département du Gard tandis que le médecin Caudeiron, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, l’un des artisans du coup de force d’avril 1792, fait son entrée dans l’administration départementale de la Drôme et rejoint les frères Payan. En revanche, à l’échelle municipale, les élections, plus contrastées, débouchent sur la constitution d’une nouvelle géographie politique.

71Bien que les bastions conservateurs aient tous été conquis, le contexte politique de l’année 1792 et les violences qui en découlent amplifient les divisions. Les modérés, attachés à la sauvegarde des propriétés, se désolidarisent du mouvement populaire ou des prises de position plus virulentes. Un fossé de plus en plus insurmontable sépare désormais ceux qui étaient parfois alliés dans des combats précédents.

72La carte n° 4 p. 160 illustre ces nouveaux clivages géographiques.

CARTE N° 4 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (1792)

CARTE N° 4 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (1792)
  • 106 AM Valence, 1 D 1/2, délibération municipale du 22 mai 1793.

73Le clivage politique régional est encore plus tranché qu’en 1791. La frénésie patriotique qui s’est emparée d’une partie du couloir rhodanien septentrional est retombée en 1792. Les citoyens actifs portent au pouvoir des administrateurs très modérés. Certaines communes, comme Givors ou Vienne, maintiennent la ligne de conduite qu’elles avaient déjà empruntée en 1791. En revanche, pour d’autres, comme Étoile ou Valence, 1792 marque un tournant majeur. Les électeurs d’Étoile reconduisent en bloc une équipe municipale suspendue en novembre 1792 pour sa tiédeur dans l’application des sanctions contre les émigrés. Malgré l’invalidation du scrutin par le département de la Drôme et la tenue d’une nouvelle assemblée électorale sous l’égide de Claude Payan, les électeurs confirment leur vote précédent et même l’accentuent, en offrant notamment une place d’officier municipal à un frère d’émigré et à deux anciens nobles. Constat identique à Valence qui, après avoir été à la pointe du patriotisme en 1791, s’oriente désormais vers une voie moins virulente. Les édiles valentinois, défendus par la société politique locale, sont dénoncés par Claude Payan qui leur reproche « une insouciance criminelle face aux dangers de la patrie106 ». Dans ces départements relativement préservés des violents antagonismes que connaît le Midi, les clubs et les élus perdent leur hargne des débuts et glissent progressivement vers une voie modérée.

  • 107 A. Maureau, « Le Sans-culotte du Midi : Agricol Moureau (1766-1842) », Mémoires de l’académie de Va (...)

74Dans la vallée du Rhône méridionale, la disparition des bastions conservateurs favorise la poussée des patriotes « exclusifs », notamment dans l’ancien Comtat, conquis après une longue lutte qui a radicalisé ses protagonistes. Le constat est identique dans les autres citadelles conservatrices comme Arles, Saint-Paul-Trois-Châteaux et Saint-Laurent-des-Arbres. Les édiles qui s’imposent dans ces municipalités sont des clubistes actifs qui ont parfois participé aux engagements les plus violents. Ainsi, à Sorgues, on compte parmi les élus de nombreux « glaciéristes » ayant participé aux massacres avignonnais de 1791. Dans les anciens fiefs jacobins, comme Orange ou Bagnols, la poussée des patriotes « exclusifs » est tout aussi nette. Face à la radicalisation de la Révolution, les tièdes sont écartés. Dans les communes ébranlées par les troubles socio-économiques ou par la virulence de la crise religieuse, les administrations basculent dans une voie plus dure, comme à Donzère, où le conseil municipal intègre désormais de nouveaux élus radicalisés par l’aggravation du schisme religieux et par la question agraire, devenue brûlante à la fin de l’année 1792. Les élections scellent la victoire des adversaires du clergé réfractaire, également partisans d’un partage agraire massif. Toutefois, les municipalités de la vallée du Rhône méridionale ne constituent pas un bloc politique uniforme. Des lignes de cassures infrarégionales subsistent encore, représentées sur la carte n° 4 p. 160 par le maintien ponctuel d’îlots modérés, comme Villeneuve-lez-Avignon, Lapalud ou Pont-Saint-Esprit, à contre-courant de la poussée des patriotes avancés. L’existence d’une arène politique apaisée autorise la survivance de bastions modérés méridionaux. Enfin, dans d’autres lieux, les violences ont agi comme un repoussoir et entraînent un retournement de situation, comme à Beaucaire. Les élections de novembre 1791 avaient fait entrer au sein du conseil municipal une petite minorité d’édiles plus radicaux, conduite par le procureur général syndic Agricol Moureau107. Toutefois, les atteintes aux propriétés qu’une partie de la bourgeoisie locale condamne et le départ de Moureau, appelé à d’autres responsabilités à Avignon, contribuent à une volte-face au profit des plus modérés, très hostiles aux patriotes « exclusifs ».

75Cette nouvelle donne s’explique par l’inégale acculturation des populations locales face au processus révolutionnaire. La vallée du Rhône septentrionale apparaît à la fin de l’année 1792 comme un espace précocement révolutionné et assagi, moins affecté par la crise religieuse et par les troubles sociopolitiques du printemps et de l’automne 1792. Par ailleurs, les clubs n’ont pas besoin de lutter pour leur survie et la plupart des édiles sont des clubistes. Les violences commises lors du passage des fédérés durant l’été 1792 choquent les administrations modérées. Après la frénésie patriotique de l’été 1791, marquée par des prises de position très radicales allant jusqu’à vouloir faire juger le roi, la fièvre redescend subitement. La suspension du roi, la proclamation de la République, les victoires contre l’Autriche et la conquête du royaume de Savoie, repaire d’émigrés proche du couloir rhodanien septentrional, suffisent-elles à convaincre les acteurs que les périls qui planaient sur la France révolutionnaire sont écartés ? La défaite des ennemis de l’intérieur et l’instauration de la République justifient peut-être une orientation politique moins virulente. A contrario, le sud du sillon rhodanien est ébranlé par une contestation populaire mêlant revendications socioéconomiques et sauvegarde de la Révolution, amplifiant les divisions préexistantes. Les conflits et les affrontements entretiennent un climat politique délétère qui radicalise les acteurs et élargit le fossé idéologique qui les sépare.

Notes

1 J. Godechot, Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, Paris, PUF, 1951, p. 105.

2 G. Andro, Une génération au service de l’État. Les procureurs généraux syndics de la Révolution (1780-1830), Paris, SER, 2015.

3 Les villages étudiés sont : Caderousse, Courthézon, Donzère, Étoile, Lapalud, Mondragon, Pierrelatte, Piolenc, Saint-Laurent-des-Arbres, Saint-Paul-Trois-Châteaux, Sorgues.

4 Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage un graphique synthétique et des graphiques plus détaillés sur HAL ainsi que des données chiffrées précises pour chaque localité.

5 Même constat dans l’Aisne : L. Brassart, « Je resterai passif au milieu de tous les citoyens actifs. Les stratégies politiques de la noblesse picarde non émigrée pendant la Révolution française », in P. Bourdin (dir.), Les noblesses françaises dans l’Europe de la Révolution, Rennes, PUR, 2010, p. 251.

6 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 182.

7 N. Soulas, « Les maires de la basse et moyenne vallée du Rhône (1790-1816) », Les cahiers de la Méditerranée, 94, 2017, p. 13-28.

8 J.P. Jessenne, Pouvoir au village et Révolution. Artois, 1760-1848, Lille, Presses universitaires de Lille, 1987, p. 61-69 ; S. Bianchi, La Révolution et la Première République au village. Pouvoirs, vote et politisation dans les campagnes d’Île-de-France, 1787-1800, Paris, Éditions du CTHS, 2003, p. 246257 ; Id. « L’élection des premiers maires (1790) en milieu rural dans le sud de l’Île-de-France : sources, résultats, interprétations », in R. Dupuy (dir.). Pouvoir local et Révolution : la frontière intérieure, Rennes, PUR, 1995, p. 160.

9 Les villes étudiées sont : Bagnols, Beaucaire, Bollène, Bourg-Saint-Andéol, Montélimar, Orange, Pont-Saint-Esprit, Roquemaure, Tarascon, Valence et Vienne. Même remarque que pour les villages.

10 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 162.

11 P. Guignet, Le pouvoir... op. cit., p. 474.

12 F. Sampoli, Politics... op. cit., p. 326.

13 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 164.

14 L. Hunt, Politics, Culture and Class in the French Revolution, Berkeley, University of California Press, 1984, p. 168.

15 M. Edelstein, « Les maires des chefs-lieux de département de 1789 à 1792 : une prise de pouvoir par la bourgeoisie ? », in J.P. Jessenne (dir.), Vers un nouvel ordre bourgeois. Révolution française et changement social, Rennes, PUR, 2007, p. 206.

16 AM Courthézon, 3G 1, registre de la contribution patriotique pour l’année 1790 ; AM SaintPaul-Trois-Châteaux, RV 6, registre de la contribution patriotique pour l’année 1790 ; AD Drôme, L 986, contribution patriotique de 1790, district de Valence.

17 M. Edelstein, La Révolution… op. cit., p. 450-451.

18 AM Beaucaire, 3 G 4, registre de la contribution patriotique, 1789 ; AM Orange, G 3937, registre de la contribution patriotique pour l’année 1790 ; AM Tarascon 2 G 1/1, liste de la déclaration des habitants de cette ville de Tarascon pour la contribution patriotique, 1790 ; AD Drôme, L 986, contribution patriotique de 1790, district de Valence.

19 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 157.

20 Se rapporter au graphique synthétique en annexe ou, pour une étude plus fine, aux graphiques sur HAL.

21 P. Jones, The peasantry… op. cit., p. 21-23.

22 S. Bianchi, La Révolution... op. cit., p. 246-257.

23 L. Brassart, Gouverner le local en Révolution. État, pouvoirs et mouvements collectifs dans l’Aisne (1790-1795), Paris, SER, 2013, p. 337.

24 J.P. Jessenne, Pouvoir... op. cit., p. 94-95.

25 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 184.

26 AD Bouches-du-Rhône, CC 4478, lettre du subdélégué Tournilhon à l’intendant, 26 juin 1787.

27 A. Rolland-Boulestreau, Les notables des Mauges. Communautés rurales et Révolution (17501830), Rennes, PUR, 2004, p. 117.

28 Se rapporter au graphique synthétique en annexe ou, pour une étude plus fine, aux graphiques sur HAL.

29 L. Hunt, Politics... op. cit., p. 161.

30 P. Nelidoff, « La crise des structures municipales : l’exemple du capitoulat toulousain (1788-1790) », in R. Chagny (dir.), Aux origines... op. cit., p. 133.

31 F. Moreil, « Orange au XVIIe siècle : une principauté mi-partie », LIAME, 21, 2011, p 49-78.

32 Terme utilisé par les contemporains pour stigmatiser les modérés.

33 J. Beau, G. Gaspin, J.L. Issartel, Les chemins de la Révolution. Bourg-Saint-Andéol, un bastion sans-culotte en Ardèche, Privas, Fédération des œuvres laïques de l’Ardèche, 1988, p. 159-161.

34 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 165.

35 A. Follain (dir.), Les justices locales dans les villes et les villages du XVe au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2006 ; J.G. Petit (dir.), Une justice de proximité : la justice de paix (1790-1958), Paris, PUF, 2003.

36 G. Métairie, Justice et juge de paix de Paris (1789-1835). Étude institutionnelle et biographique, Limoges, Pulim, 2014, p. 157-160.

37 N. Soulas, « De la justice du seigneur à celle de la Nation ? Le personnel judiciaire seigneurial dans la tourmente révolutionnaire et au-delà », in Châteaux et justice (Xe-XXIe siècles), colloque organisé par l’association des Rencontres d’archéologie et d’histoire en Périgord, Périgueux, 2830 septembre 2018, actes en cours de publication.

38 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 325.

39 J.P. Royer, « Les épurations judiciaires de 1789 à 1815 », in L’épuration de la magistrature de la Révolution à la Libération : 150 ans d’histoire judiciaire, Paris, Association française pour l’histoire de la justice, 1994, p. 18.

40 B. Bodinier, « Des juges-citoyens aux notables du Consulat : les juges de paix de l’Eure pendant la Révolution », AHRF, 360, 2010, p. 113-118.

41 Nous assumons parfaitement l’usage de ce concept ne faisant pas l’unanimité parmi les historiens de la Révolution. Nous avons bien conscience que la radicalisation se conçoit selon une norme et un seuil de tolérance, fixés par les contemporains ou les historiens. Reste que ce terme décrit le mieux, selon nous, les mécanismes qui conduisent des individus à adopter, sous l’effet de peurs ou de dangers, des comportements et des idées plus virulents.

42 A.M. Duport, Journées révolutionnaires à Nîmes, Paris, Éditions Chambon, 1988.

43 G. Lewis, The second Vendée. The continuity of Counter-revolution in the Departement of the Gard, 1789-1815, Oxford, Clarendon Press, 1978.

44 Chaud patriote en 1789, Dauphin semble basculer vers un plus grand conservatisme politique, sans que l’on puisse véritablement l’expliquer, au cours de l’hiver 1789-1790. Lorsqu’une partie de la population apprend que Dauphin a falsifié le procès-verbal de la fédération tenue en janvier 1790, en tentant de lui donner une coloration très conservatrice, l’hôtel de ville est investi et Dauphin parvient in extremis à s’échapper le 22 avril.

45 G. Mazeau, « Émotions politiques : la Révolution française », in A. Corbin, J.J. Courtine, G. Vigarello, (dir.), Histoire des émotions, vol. 2, Des Lumières à la fin du XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 2016, p. 98-142.

46 F. de Jouvenel, « Les camps de Jalès (1790-1792), épisodes contre-révolutionnaires ? », AHRF, 337, 2004, p. 1-20.

47 R. Moulinas, Histoire... op. cit., p. 78-80. 214.

48 M. Lapied, Le Comtat... op. cit., p. 59-60.

49 Dans la nuit du 14 au 15 avril 1791, le maire et le secrétaire de Vaison, partisans de l’annexion à la France, sont assassinés par des gardes nationaux membres de l’Union de Sainte-Cécile. Le meurtre de ces deux patriotes est l’étincelle qui embrase le Comtat dans les semaines suivantes.

50 Pour une étude plus détaillée : N. Soulas, « Conflits, circulations et construction du politique : le Midi de la France au prisme de la crise comtadine (1790-1792) », Annales historiques de la Révolution française, n° 398, septembre-décembre 2019, p. 1-22.

51 M. Lapied, Le Comtat... op. cit., p. 97.

52 J.C. Martin, Religion et Révolution, Paris, Anthropos-Economica, 1994 ; A.M. Duport (dir.), Religion, Révolution, Contre-révolution dans le Midi, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1990.

53 D.M.G. Sutherland, Révolution et Contre-révolutions en France (1789-1815), Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 112-113.

54 T. Tackett, La Révolution, l’Église, la France. Le serment de 1791, Paris, Éditions du Cerf, 1986, p. 344-426.

55 Ibid. p. 355.

56 B. Cousin (dir.), Hommes de Dieu et Révolution en Provence, Turnhout, Brepols, 1995, p. 77.

57 R. Dupuy, « Politisation populaire et religion : étude comparée de l’anti-révolution dans le Midi et l’Ouest de la France (1790-1799) », in N. Lemaitre (dir.), Religion et politique dans les sociétés du Midi, Paris, CTHS, 2002, p. 268 ; V. Sottocasa, « Affrontements politiques et faits religieux dans les processus d’apprentissage de la démocratie. L’exemple du Midi », in C. Belmonte, C. Peyard (dir.), Peuples en Révolution d’aujourd’hui à 1789, Aix-en-Provence, PUP, 2014, p. 71-87.

58 N. Soulas, « La plume et la pique. Approche de la presse jacobine provinciale à travers le Journal des ecclésiastiques constitutionnels de Paul Capon », Études vauclusiennes, 80-81, 20132014, p. 7-18.

59 M.L. Kennedy, The jacobin clubs in the french Revolution, the first years, Princeton, Princeton University Press, 1982.

60 M. Vovelle, Les Jacobins. De Robespierre à Chevènement, Paris, Éditions la Découverte, 1999, p. 17.

61 J. Boutier, P. Boutry, « La diffusion des sociétés politiques en France (1789-an III). Une enquête nationale », AHRF, 1986, LVIII, p. 365-398 ; D. Pingué, « Les sociétés politiques : des laboratoires de démocratie », in M. Biard (dir.), La Révolution française. Une histoire toujours vivante, Paris, Tallandier, 2010, p. 97.

62 J. Boutier, P. Boutry, « Géographie politique du jacobinisme. L’implantation des sociétés populaires en France (1789-1795) », Hérodote, 50-51, 1988, p. 189.

63 Voir carte en annexe sur HAL.

64 J. Boutier, P. Boutry, S. Bonin, Atlas de la Révolution française, Paris, Éditions de l’EHESS, 6, 1992, p. 43.

65 M. Agulhon, Pénitents et francs-maçons de l’Ancienne Provence, Paris, Fayard, 1968.

66 Seuls 5 à 10 % des villages du Maine ou de la Basse-Normandie sont dotés d’une société politique : C. Peyard, « Peut-on parler d’un jacobinisme rural dans l’Ouest (Maine, BasseNormandie) ? », in La Révolution française et le monde rural, Paris, CTHS, 1989, p. 367-380.

67 M. Seyve, Montélimar et la Révolution. Audaces et timidités provinciales (1788-1792), Valence, Éditions Notre Temps, 1987, p. 194.

68 T. Tackett, Anatomie de la Terreur. Le processus révolutionnaire, 1789-1793, Paris, Le Seuil, 2018, p. 152.

69 C. Jolivet, La Révolution dans l’Ardèche (1788-1795), Aubenas, Curandera, 1988 [1930], p. 233-252.

70 P. Martel, La Révolution française et le Midi. L’invention du Midi. Représentations du Sud pendant la période révolutionnaire, Aix-en-Provence, Édisud, 1987 ; M. Péronnet, « Naissance révolutionnaire d’un Midi de toutes les couleurs », Provence historique, 37, 148, 1987, p. 147-157.

71 AM Valence, 1 D 1, délibération municipale du 21 février 1791.

72 MG, U 2192, Rapport fait à la société des Amis de la Constitution de Valence par MM. Corbeau et Trie de leur députation dans le ci-devant Comtat Venaissin, 4 mars 1791.

73 C. Lourde, Histoire de la Révolution à Marseille et en Provence, Marseille, Laffite Reprints, 1974 [1838], p. 69-77.

74 « Blancs » et contre-révolutionnaires. Espaces, réseaux, cultures et mémoires (fin XVIIIe début XXe siècles), Rome, Coll. EFR, 454, 2011, 421 p.

75 T. Tackett, Le roi s’enfuit. Varennes et l’origine de la Terreur, Paris, La Découverte, 2004.

76 D.M.G. Sutherland, Révolution... op. cit., p. 144.

77 AD Drôme, L 1104, compte rendu de la réunion des 22 sociétés des Amis de la constitution tenue à Valence le 3 juillet 1791.

78 AM Valence, 1 D 1, délibération municipale du 15 juillet 1791.

79 AM Valence, 1 D 1, délibération municipale du 13 mars 1791.

80 Voir par exemple : Cyril Belmonte, Les patriotes et les autres : l’arrière-pays marseillais en révolution, Aix-en-Provence, PUP, 2011, p. 152-153.

81 J.L. Issartel, « Sociétés politiques et élections dans la région du Rhône moyen (1791an II) », AHRF, 4, 1998, p. 608.

82 M. Edelstein, La Révolution... op. cit., p. 185 ; Les Jacobins du Midi, actes des colloques de Barcelone (4-5-6 mai 1989), Florence (29-30 juin 1989), Montpellier (25-27 septembre 1989), Montpellier, Editas, 1990.

83 D. Pingué, Les mouvements jacobins en Normandie orientale, Paris, CTHS, 2001, p. 520.

84 P. Serna, « Radicalités et modérations, postures, modèles, théories », AHRF, 357, 2009, p. 3-19.

85 M. Lapied, « Les modérés et les pratiques politiques révolutionnaires : l’exemple de la Provence et du Comtat Venaissin (1789-1795) », in J. Fouilleron, H. Michel (dir.), Mélanges à la mémoire de Michel Péronnet, 3, La Révolution française, Montpellier, Centre d’Histoire moderne et contemporaine de l’Europe méditerranéenne et de ses périphéries, 2005, p. 169-182 ; A. Craiutu, A virtue for courageous Minds ? Moderation in french political thought, 1748-1830, Princeton, Princeton University Press, 2012.

86 Dr. Jullian, « Agricol Moureau : son influence sur le mouvement social et révolutionnaire de la ville de Beaucaire », Revue du Midi, 11, 1905, p. 325-343.

87 À la suite du meurtre du patriote Lescuyer, les révolutionnaires avancés massacrent une soixantaine de prisonniers enfermés dans le Palais, dans la nuit du 16 au 17 octobre 1791. Les modérés sont offusqués par la violence tandis que leurs adversaires justifient pleinement son emploi : R. Moulinas, Les massacres de la glacière : enquête sur un crime impuni, Avignon 1617 octobre 1791, Aix-en-Provence, Édisud, 2003.

88 M. Vovelle, « Midi rouge, Midi blanc : une problématique », Provence historique, 37, 148, 1987, p. 343.

89 C. Lucas, « The problem of the Midi in the French Revolution », Transactions of the Royal Historical Society, 28, 1978, p. 1-25.

90 M. Vovelle, La découverte de la politique. Géopolitique de la Révolution française, Paris, La Découverte, 1992.

91 M. Vovelle, « Les troubles sociaux en Provence (1750-1792) », in Actes du 93e Congrès national des sociétés savantes : Tours, 1968. Section d’histoire moderne et contemporaine, II, p. 325372 ; A. Ado, Paysans en Révolution. Terre, pouvoir et jacquerie, 1789-1794, Paris, SER, 1971, p. 315317.

92 N. Alzas, La Liberté ou la mort. L’effort de guerre dans l’Hérault pendant la Révolution française (1789-1799), Aix-en-Provence, PUP, 2006, p. 37-45.

93 N. Alzas, « La représentation du noble. Enjeu de la mobilisation patriotique pendant la Révolution », in P. Bourdin (dir.), Les noblesses... op. cit., p. 563-577.

94 J. Guilhaumou, Marseille républicaine (1791-1793), Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992, 260 p.

95 AD Gard, L 433, lettre de l’administration du département du Gard adressée au ministre de l’Intérieur, 10 mars 1792.

96 D.M.G. Sutherland, Murder in Aubagne : lynching, law and justice during the french revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

97 H.C. Johnson, The Midi in revolution. A study of regional political diversity, 1789-1793, Princeton, Princeton University Press, 1986, p. 216 et 220.

98 Même constat dans l’Orne : C. Peyard, Les Jacobins de l’ouest. Société révolutionnaire et formes de politisation dans le Maine et la Basse-Normandie (1789-1799), Paris, PUS, 1996, p. 109.

99 J. Bouchet, C. Simien (dir.), Les passeurs d’idées politiques nouvelles au village. De la Révolution aux années 1930, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 2015.

100 R. Pierre (dir.), 240 000 Drômois aux quatre vents de la Révolution, Valence, Notre Temps, 1990, p. 142.

101 AD Drôme, L 1509, affaire de Valence, 26 septembre 1792.

102 G. Lenotre, Les massacres de septembre, Paris, Broché, 2012.

103 J. Nicolas, La Révolution... op. cit., p. 141.

104 AN, F3673, procès-verbal de Joseph Payan, 6 octobre 1792.

105 M. Biard, P. Bourdin (dir.), 1792. Entrer en République, Paris, Armand Colin, 2013.

106 AM Valence, 1 D 1/2, délibération municipale du 22 mai 1793.

107 A. Maureau, « Le Sans-culotte du Midi : Agricol Moureau (1766-1842) », Mémoires de l’académie de Vaucluse, 8e série, t. VIII, 1999, p. 79-111 ; C. Peyrard, « Agricol Moureau de Vaucluse, défenseur de la cause du peuple (1766-1842) », in G. Buti, A. Carol (dir.), Comportements, croyances et mémoires. Europe méridionale XVe-XXe siècle, Aix-en-Provence, PUP, 2007, p. 247- 254.

Table des illustrations

Titre TABLEAU N° 7 : VERS UNE DÉMOCRATISATION DES MUNICIPALITÉS RURALES16
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Titre TABLEAU N° 8 : EN VILLE, UNE DÉMOCRATISATION PLUS PRÉCOCE18
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Titre CARTE N° 3 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (AUTOMNE 1791)
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Titre CARTE N° 4 : GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU COULOIR RHODANIEN (1792)
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