Chapitre 8
Quand la matérialité artistique fait territoire
Quelle domination des œuvres d’art in situ dans les espaces périphériques ?
p. 217-237
Texte intégral
En septembre 2005, lors d’un séjour postdoctoral à l’université de Fort Hare, en Afrique du Sud, je me suis rendu à Hogsback, village de montagne très « blanc » perché au-dessus de l’océan de pauvreté de l’ex-bantoustan du Ciskei. Après avoir déjeuné dans le restaurant d’un hôtel de luxe avec des amis coloured, qui mettaient un point d’honneur à s’approprier les lieux qui leur étaient interdits pendant l’apartheid, nous sommes allés visiter l’œuvre créée en extérieur par une artiste sud-africaine. C’est cette œuvre in situ qui a commencé à me faire réfléchir sur les liens entre art et territoire. D’ailleurs, je me suis engagé, pendant plusieurs dizaines de minutes, dans une discussion très vive avec l’artiste sur les tenants et les aboutissants de l’écologie profonde dont elle se réclame et, en particulier, sur la nécessité, selon elle, de réduire démographiquement la population, et la signification que cela pouvait avoir dans l’Afrique du Sud postapartheid, et à Hogsback en particulier. Je me suis dit que cet art in situ permettait d’incarner et de légitimer matériellement et spatialement l’idéologie deep ecologist revendiquée par cette artiste dans le contexte territorial si particulier de l’Afrique du Sud. Partant de cette expérience, j’ai alors cherché à comprendre quels étaient les tenants et les aboutissants des matérialités des autres œuvres in situ que je pouvais trouver sur mon chemin. Les deux enquêtes de terrain que j’ai alors menées, l’une à Hogsback en 2008 et l’autre dans les Refuges d’Art, près de Digne, en 2011, m’ont permis d’approfondir ces premières constatations.1
1Associer le domaine de l’art contemporain à des processus de domination ne va pas forcément de soi. Qu’il soit accepté ou méprisé par les publics, l’art contemporain actuel est considéré tantôt comme une réaction créatrice et critique à une société néolibérale en crise, ou tantôt, au contraire, comme un appendice élitiste et hermétique du capitalisme, qui alimente la spéculation et le mécénat narcissique. Un bref retour historique montre aussi les liens étroits entre art et pouvoirs, notamment à des époques où les représentations picturales mettaient en scène les puissants et servaient d’emblèmes à la domination aristocratique, avec des artistes voués à leurs commanditaires. Les musées des beaux-arts regorgent d’ailleurs de témoignages picturaux et sculpturaux de ces formes de domination politique et socio-économique. Dans la période actuelle, même si l’art contemporain peut à juste titre apparaître comme décalé, résistant, voire iconoclaste, je fais l’hypothèse que certaines de ses formes, liées à la commande publique ou privée, s’inscrivent dans le prolongement d’un art de la domination. C’est un art mis au service des dominants, par le biais d’œuvres qui, par leur localisation ou par leur apparence, matérialisent un certain type de domination. En particulier, l’art in situ, défini comme un art de l’interaction consubstantielle avec le site et le lieu, s’invite dans les métropoles comme dans les espaces périphériques, zone privilégiée de nos recherches, pour y façonner de nouvelles images qui dépassent le geste et l’intentionnalité artistiques au service d’objectifs paysagers, territoriaux et socio-économiques. Cet art moderne puis contemporain, qui épouse les sites de plein air de manière parfois ostentatoire par le biais d’un processus de « mise en art », et qui représente une forme de domination artistique par la matérialité de l’œuvre d’art dans son « écrin » naturel (Guyot 2017, 2019), sera au cœur de mon propos.
2Ce processus est tout sauf anodin et confidentiel, car il résulte d’une création esthétique et située qui interagit avec un site pour éventuellement faire territoire. Trois processus liés à la production, la circulation et l’utilisation d’objets en rapport avec des logiques de domination (spatiale, sociale, politique, etc.) ont été identifiés par le collectif à l’origine de ce livre comme étant structurants pour penser les dynamiques spatio-temporelles des relations entre matérialités et domination. On peut les appliquer à l’objet artistique in situ étudié dans ce chapitre, pour lequel nous parlerons d’un triptyque « mise en art », « construction d’une domination artistique » et « appropriations plurielles ».
3La « mise en art » concerne d’abord les processus de production artistique et de conquête foncière réalisés par des œuvres d’art in situ (Kwon 2004). Elle engendre une forme de circulation spécifique d’objets dotés d’une matérialité immobilière (l’œuvre est dotée d’une adresse unique), produits par une créativité spécifique portée par un artiste, et disposant de spatialités propres (Volvey 2010). Ensuite, la construction d’une domination artistique induit des relations précises entre matérialité, intentionnalité artistique et production de l’espace (Lefebvre 1974). Enfin, plusieurs types d’appropriation de l’espace artistique existent, dont certains vont générer des formes de résistance à la domination. La matérialité de l’œuvre d’art peut être alors transformée par l’évolution de ses usages, de ses modes d’appropriation et de valorisation, comme cette chaise géante édifiée par Henry Bruce dans le parc national anglais du Dartmoor (figure 1), et qui a dû être démantelée tant elle accroissait les flux de circulation automobile dans le parc et compliquait la gestion de la biodiversité (Guyot, Méténier et Tommasi 2019). C’est là un exemple radical de transformation de la matérialité de l’œuvre d’art par la suppression même de l’œuvre.
Figure 1. La chaise géante du parc national du Dartmoor

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4Il montre que la dimension in situ de l’œuvre peut évoluer, et le parc national être réduit à un simple voisinage esthétique de cet objet convoité par les visiteurs, capable d’accroître et la visibilité de l’artiste et, plus généralement, le pouvoir de domination et de contrôle territoriaux des néoruraux gentrifieurs (Guyot, Méténier et Tommasi 2019).
5J’ai choisi de nourrir le propos de ce chapitre par une réflexion générale sur l’objet « œuvre d’art in situ » en lien avec le programme de recherche ADONA2. Ce programme rassemble une base de données de plus de 230 sites ou lieux de projets artistiques in situ dans le monde, ainsi qu’un corpus d’expériences de terrain plus spécifiques, tous localisés dans des espaces périphériques. Une des hypothèses du programme de recherche est que la domination artistique est plus forte dans des espaces faiblement peuplés mais riches en attraits naturels, car elle y est plus visible et compte parfois parmi les rares formes d’investissement artistique présentes dans les territoires ruraux. Ce chapitre a pour ambition théorique de mettre à l’épreuve la notion de « domination artistique de l’espace ». Il propose une grille d’analyse des processus en jeu (tableau 3) qui sera appliquée à une vingtaine d’œuvres.
Mise en art in situ : matérialités et pouvoirs dans la rencontre entre œuvre et espaces périphériques
6Dans un premier temps, je montrerai comment la mise en art in situ rencontre des matérialités artistiques et des formes de pouvoir variées, associées aux intentionnalités de l’artiste ou aux velléités particulières des commanditaires, structures publiques territoriales, mécènes privés, ou encore associations locales.
L’art in situ, le façonnement d’un site au « bon pouvoir » de son commanditaire
7La mise en art in situ « ne consiste pas en une simple localisation d’un projet artistique au sein d’un espace naturel périphérique. Il s’agit d’un processus spatio-temporel qui confère à l’artiste, à son œuvre et à son éventuel commanditaire un pouvoir d’interaction intentionnelle et de transformation des représentations et dynamiques territoriales en jeu » (Guyot 2019). L’œuvre devient « immobilière » dès lors qu’elle est dotée d’une adresse précise, à la différence d’une peinture, œuvre « mobilière » qui circule d’exposition en exposition. La mise en art in situ s’intéresse préférentiellement à un type d’art situé, réalisé et exhibé in situ en extérieur (land art, sculpture, installation, performance, spectacle de plein air, new genre public art, etc.). Elle va au-delà du processus d’artialisation défini par Alain Roger (1997)3 pour proposer un changement de représentation des espaces naturels périphériques, fondé sur le triptyque médiation/médiatisation/appropriation4 (Guyot 2017) et centré sur les relations entre l’espace, les œuvres d’art in situ, les artistes, leurs commanditaires, les gestionnaires, le public et les habitants (Guyot 2019).
8La mise en art in situ permet tantôt la récupération, tantôt la conservation de certaines formes de pouvoir sur un territoire, ces deux processus étant orchestrés par l’artiste et/ou le commanditaire. Cela se fait par l’interaction matérielle (permanente ou éphémère) entre l’œuvre d’art ou un projet artistique et un contexte spatio-temporel précis. La dimension in situ de l’œuvre ou du projet, ainsi que le contexte temporel de la mise en art, sont des conditions de réalisation et d’évolution des processus de domination en jeu. Pour ma part, je vais m’intéresser plus spécifiquement à l’objet qui est constitué par l’œuvre d’art monumentale ou sculpturale, ancrée in situ dans un territoire. Ma contribution s’inscrit dans les débats critiques actuels portant sur des formes artistiques contestées et contestables, car souvent perçues par l’avant-garde actuelle du monde de l’art contemporain comme dominatrices, voire prédatrices, conservatrices et datées dans leurs formes et intentions. Il est à noter qu’une partie du monde artistique contemporain déplore cette domination de formes artistiques parfois trop figuratives, voyant dans les œuvres installées sur les ronds-points5 l’exemple le plus flagrant de ce qu’ils considèrent comme une dérive artistique.
9La matérialité artistique in situ est par définition localisée dans l’espace. Elle génère des spatialités spécifiques qui méritent attention (Volvey 2010) et entretient un rapport foncier avec un espace qui, lui, se transforme au gré d’évolutions temporelles (endogènes et exogènes). La dimension matérielle immobilière de l’œuvre d’art in situ induit une transformation plus ou moins profonde de la matérialité de son site d’implantation au travers de la fabrication plus ou moins pérenne de traces, voire de marques, artistiques. Elle peut se matérialiser comme un outil de contrôle physique ou symbolique du territoire avoisinant, dont le commanditaire, le directeur ou le commissaire artistiques et/ou l’artiste seraient les garants. Cette matérialité est celle qui génère le plus de domination physique de l’œuvre sur le paysage. Elle induit une domination sociopolitique du site ainsi artialisé sur le public et le système d’acteurs locaux, et donc par ricochets sur le territoire.
Variétés matérielles des œuvres in situ et enjeux de localisation
10Les matérialités en jeu vont dépendre du type d’œuvre d’art créée et de la morphologie du site choisi. De leurs différentes interactions vont dépendre l’intensité de la mise en art in situ et son devenir. La matérialité afférente des œuvres d’art réalisées dans le contexte d’une création in situ au sein des espaces périphériques va varier en fonction de la pratique artistique adoptée. Si les sculptures et les installations peuvent s’incarner comme des objets matériels dotés d’une taille, d’un volume et d’une emprise spatiale spécifiques, le constat semble moins évident concernant la réalisation de projets artistiques beaucoup plus éphémères à la « matérialité indirecte »6. La condition de l’in situ est réalisée quand ces œuvres s’inscrivent directement au sein de sites spécifiques. Il est à noter que certaines œuvres définies comme in situ n’utilisent parfois le site que comme une simple localisation (ou scène). Inversement, certains sites remarquables, reconnus pour leurs qualités morphologiques, esthétiques ou relationnelles exceptionnelles accueillent des œuvres dont la confidentialité, voire la relative invisibilité, tend à effacer l’acte artistique.
11Quand l’œuvre d’art rencontre vraiment son site, la mise en art in situ peut se réaliser selon divers agencements spatio-artistiques. Dans le cas d’œuvres pérennes (et souvent monumentales), la relation entre l’œuvre et le site implique la production de marques parfois indélébiles dans le paysage (tableau 1). Raisonner en termes de « marques » permet de caractériser l’empreinte spatiale et écologique de l’œuvre sur le site. Par extension de sens, l’œuvre peut donc générer une « marque » de fabrique associée à la notoriété de l’artiste, parfois prestigieuse à l’échelle d’une région entière. L’exemple le plus typique de ce processus concerne les œuvres de l’artiste britannique Andy Goldsworthy, qui reproduit sur plusieurs sites naturels à travers le monde des cairns de pierre ou encore des murs en pierre sèche aux formes ondulées, caractéristiques des paysages ruraux. La création de ces œuvres imprime une marque esthétique reconnue qui bénéficie aux sites choisis. De nombreux espaces artistiques en milieu naturel veulent ainsi s’offrir du Goldsworthy, même si la dimension artistique unique de la création in situ de l’artiste anglais tend à s’estomper pour laisser place à des formes beaucoup plus archétypiques et répétitives7. Des artistes tout aussi renommés qu’Andy Goldsworthy, comme Richard Serra, Patrick Dougherty ou David Nash, peuvent être rangés dans la même catégorie que lui.
12Dans le cadre d’œuvres non pérennes, voire totalement éphémères, il semble plus judicieux de raisonner en termes de traces (ou d’empreintes) qui pourront prendre des formes déliquescentes, suggérées ou s’inscrire dans la mémoire des lieux (trace discursive, imagée, mémorielle, etc.).
Tableau 1. Matérialité et pouvoir en jeu dans la mise en art in situ
Dimensions | Œuvre d’art | Spatialité | Mise en art in situ |
---|---|---|---|
Matérialité | Type d’œuvre (sculpture, installation, projet…) | Site d’accueil de l’œuvre d’art | Marques (pérennes) et traces (éphémères) laissées par l’œuvre (ponctuelles, aréolaires) |
Pouvoir en jeu | Intentionnalité, motivation dans la commande, la curation et la réalisation de l’œuvre | Espace approprié, signifié, territoire créé par le site | Marquage, tracés (délimitations territoriales des marques et des traces de manière aréolaire et linéaire) associés à la territorialisation de l’œuvre dans son site |
Source : Sylvain Guyot, 2024.
Une prise du pouvoir par l’art et par certains acteurs ?
13La relation de pouvoir qui entre en jeu dans le processus de mise en art est à élucider à plusieurs niveaux. Les acteurs chargés du processus de mise en art sont les premiers à associer le pouvoir à la volonté créative. Ce sont à la fois les commanditaires, les commissaires (le cas échéant), les artistes, les gestionnaires des sites (parcs, réserves naturelles, domaines privés, etc.). La commande et le commissariat artistique limitent souvent la liberté des artistes en restreignant leurs choix tant sur l’œuvre elle-même que sur son emplacement. C’est par exemple ce qui s’est produit sur le site artistique in situ du Vent des Forêts, dans la Meuse, où le directeur artistique a décidé de l’emplacement de l’œuvre afin d’assurer la cohérence de l’ensemble de la collection (enquêtes de terrain, avril 2019).
14La démarche in situ ne relève donc pas uniquement de la relation intime de l’artiste avec le site choisi pour son œuvre, car elle est conditionnée par d’autres logiques de pouvoir : foncières (autorisations de créer), écologiques (impact de l’œuvre sur le milieu naturel) et politiques (volonté des communes ou des espaces naturels protégés de soutenir et de communiquer sur ce type de projet). La matérialité de l’œuvre et du site est donc la résultante de plusieurs types distincts de pouvoirs et d’intentionnalités de la part d’un système d’acteurs précis. En retour, ces matérialités transforment l’image d’un territoire, surtout quand la mise en art est au service d’un projet touristique (Guyot 2017, 2019), et impliquent une diversité de modes de réception par les différents publics, pouvant créer des conflits d’appropriation et de représentation. L’œuvre d’art in situ transmet donc par sa matérialité et ses spatialités les logiques de pouvoir qui ont conduit à son érection. À ce titre, la fonction de l’œuvre d’art est de matérialiser une forme de pouvoir dans l’espace – parfois au service d’un ego artistique, disent ses détracteurs, mais le plus souvent au service d’un projet longuement mûri porté par une collectivité publique ou par des mécènes privés.
Figure 2. Localisation des œuvres d’art in situ étudiées

© Sylvain Guyot, 2023
Tableau 2. Matérialité, pouvoir et territoire autour de quelques œuvres d’art in situ
Œuvres d’art | Type d’espace périphérique | Modalités territoriales de la mise en art in situ | ||
1 020 km, œuvre d’Olivier Leroi | Matérialité | Vidéo et plaques in situ | Maison du site du mont Gerbier-de-Jonc (1 551 m), et sources de la Loire | Traces discrètes in situ suggérant les sources de la Loire et film à visionner in situ |
Pouvoir en jeu | Mise en scène imagée de la Loire à partir de sa source | Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, France | Itinéraire artistique du Partage des Eaux | |
Œuvres de Carlos de Gredos | Matérialité | Œuvres gravées dans du granite | Site du Cerro Gallinero, en moyenne montagne (environ 1 600 m) | Marques gravées dans la roche |
Pouvoir en jeu | Geste artistique consubstantiel au site naturel | Ancien terrain communal d’élevage + terrain privé, Espagne | Centre d’art et de nature Cerro Gallinero | |
Œuvres d’Andy Goldsworthy | Matérialité | Refuges d’Art | Paysage de moyenne montagne à la géologie stratifiée et marquée par la déprise rurale | Habitats ruraux en ruine restaurés avec œuvres in situ intégrées |
Pouvoir en jeu | Donner à voir le patrimoine et le paysage rural en déprise | Réserve naturelle géologique et Géoparc de Haute-Provence, France | Circuit des Refuges d’Art piloté par le Musée Gassendi | |
Œuvres de César Manrique | Matérialité | Quatre œuvres architecturales | Sites basaltiques insulaires et désertiques | Œuvres totales utilisant la géomorphologie basaltique des sites |
Pouvoir en jeu | Donner à voir l’art de César Manrique au travers de sites naturels | Réserve de biosphère et Géoparc de Lanzarote, Espagne | CACTa, île de Lanzarote | |
Eco-Shrine, œuvre de Diana Graham | Matérialité | Niches de ciment en forme de vulves | Site escarpé des Amatola Mountains (1 250 m) au-dessus d’une forêt autochtone | Véritable érection d’un « landmark » local |
Pouvoir en jeu | Faire révérence à la terre mère et au paysage montagneux local | Terrain privé de Diana Graham | Haut lieu touristique local | |
Zéro mètre, œuvre de Paul-Armand Gette | Matérialité | Panneaux en métal | Site des gorges calcaires de la rivière du Bès | Accrochage des panneaux en métal au niveau des supposés zéros marins fossilisés |
Pouvoir en jeu | Vandalisation des panneaux « zéro mètre » | Réserve naturelle géologique et Géoparc de Haute-Provence, France | Invisibilisation du marquage artistique | |
a. Centros de Arte, Cultura y Turismo. |
Source : Sylvain Guyot, 2024.
15Le tableau 2 permet de saisir les logiques de matérialité et de pouvoir en jeu dans la création de six œuvres d’art in situ qui serviront de corpus empirique dans la seconde partie de ce chapitre pour l’élaboration d’une grille de lecture autour de la production d’un pouvoir de domination artistique de l’espace. À la lecture du tableau 2 et de la planche photographique en figure 3, on constate que, selon les cas, l’œuvre et le site sont en interaction consubstantielle (œuvres de Carlos de Gredos en Espagne et d’Andy Goldsworthy en France), que l’œuvre tend à dominer le site (œuvre de César Manrique en Espagne, œuvre de Diana Graham en Afrique du Sud, voir aussi encadré 1 ci-dessous) ou que le site prend le dessus sur l’œuvre (œuvre d’Olivier Leroi en France). Ces interactions, si elles résultent de la matérialité intrinsèque de l’œuvre et du site, découlent aussi des intentionnalités des commanditaires et des artistes, qui conçoivent différemment la finalité du processus de mise en art in situ, finalité qui implique différentes formes de domination.
La production d’une domination artistique territoriale
16Je propose d’appréhender la domination artistique sur (et/ou par) le territoire en articulant d’une part les enjeux de pouvoir et les matérialités de la mise en art in situ (exposés précédemment) et, d’autre part, la théorie d’Henri Lefebvre sur la production de l’espace. Le recours à ce cadre conceptuel me permet de restituer la diversité des logiques de terrain et de construire une grille de lecture permettant d’articuler un ensemble de catégories de domination artistique de portées et d’intensités variables.
La construction d’un système de domination territoriale artistique in situ : le recours à Henri Lefebvre
17La production de l’espace, théorisée par Henri Lefebvre (1974), permet de penser les dimensions représentées de l’espace et la pratique stratégique du pouvoir. Ainsi énoncée, la domination territoriale correspond à une interaction entre l’imposition de représentations spatiales et la maîtrise intégrée (et parfois non conscientisée) de la conduite des acteurs. Dans le contexte des objets artistiques in situ, la domination artistique (et néanmoins territoriale) combine la mise en art avec des représentations spatiales et les finalités de la conduite des acteurs.
18Le tableau 3 permet d’associer la matérialité et la forme de pouvoir propres à la mise en art in situ aux représentations spatiales lefebvriennes. Cette association explicite les logiques de domination artistique et permet d’en estimer l’intensité.
Tableau 3. Catégories de domination territoriale artistique in situ
Domination artistique → Logique de domination territoriale ↓ | Matérialité | Forme du pouvoir territorial | Triplicité spatiale (Henri Lefebvre) | Intensité de la domination artistique | |
---|---|---|---|---|---|
Paysagère | Subordination artistique | Site | Territoire label | Espace perçu | Faible |
Esthétisation | Marque | Marquage | Espace perçu | Moyenne | |
Observation | Marque | Marquage | Espace perçu | Forte | |
Économique | Commercialisation | Type d’œuvre | Intentionnalité | Espace conçu | Forte |
Politique | Colonisation artistique | Type d’œuvre | Marquage | Espace conçu | Très forte |
Déconstruction, résistance | Site | Territoire local | Espace vécu | Dé-domination |
Source : Sylvain Guyot, 2024.
19La matérialité préférentielle de la mise en art concerne soit uniquement le type d’œuvre d’art, quand le site n’est que prétexte ; soit le site géographique choisi, quand l’œuvre n’est qu’intercession géographique ; soit les marques ou les traces laissées in situ par leurs interactions, dans le cas d’une forte corrélation de disposition et de sens entre l’œuvre et le site.
20De même, la catégorie principale du pouvoir en jeu épouse ces trois distinctions et concerne soit uniquement l’intentionnalité de l’artiste ou du commanditaire à propos de la création de l’œuvre ; soit uniquement le contrôle du territoire englobant le site ; soit le marquage ou les tracés dessinés sur le terrain par les œuvres d’art in situ, pouvant alors induire des délimitations précises et des formes possibles de reterritorialisation.
21Ces formes préférentielles de matérialité et de pouvoir sont corrélées à l’une des représentations actives de la triplicité lefebvrienne (espace conçu [1], espace perçu [2] ou espace vécu [3]), qui n’exclut pas les deux autres, mais tend à les hiérarchiser.
[1] [L’espace conçu est] celui des savants : des planificateurs, des urbanistes, des technocrates « découpeurs » et « agenceurs », de certains artistes proches de la scientificité, identifiant le vécu et le perçu au conçu. C’est « l’espace dominant dans une société ». […] [2] la pratique spatiale d’une société se découvre en déchiffrant son espace [activité principale des artistes contemporains in situ]. Elle associe étroitement dans l’espace perçu la réalité quotidienne (l’emploi du temps) et la réalité urbaine [géographique] (les parcours et réseaux reliant les lieux du travail, de la « vie privée », des loisirs). C’est pourquoi aussi « la compétence et la performance spatiales propres à chaque membre de cette société ne peuvent s’apprécier qu’empiriquement ». […] [3] C’est l’espace vécu à travers les images et les symboles qui l’accompagnent, par l’intermédiaire des « habitants », des « usagers », mais aussi de certains artistes et peut-être de ceux qui décrivent et pensent seulement décrire : les écrivains, les philosophes. C’est l’espace dominé et subi, que l’imagination tente de s’approprier et de modifier. Il recouvre ainsi l’espace physique en utilisant symboliquement ses objets. (Martin 2006)
Lefebvre entend ainsi dissocier, entre les représentations, celles qui ont le pouvoir de faire « corps », de s’insérer dans des « textures spatiales », donc d’être « dominantes » et celles qui, privées de cette capacité, « ne s’astreignent jamais à la cohérence, pas plus qu’à la cohésion ». Lorsqu’elles n’usent pas de la ressource spatiale, les représentations n’offrent donc pas la même efficacité et consistance. Dans le langage de Henri Lefebvre, elles sont alors « dominées ». (Chivallon 2017)
Logiques de domination artistique et appropriations par les acteurs
22Les différentes catégories de domination territoriale artistique in situ présentées dans le tableau 3 ont été définies à partir d’observations réalisées sur 200 sites artistiques de la base de données ADONA, ainsi que de la vingtaine de séjours de terrain effectués dans certains de ces sites au cours des sept dernières années. Ces catégories ne sont pas forcément exclusives et peuvent parfois se combiner. Elles relèvent de la finalité du processus de création artistique in situ, non pas essentialisé (en soi), mais en interaction avec le contexte territorial et les jeux d’acteurs à différentes échelles. Chacune de ces catégories rassemble une ou plusieurs œuvres d’art localisées au sein d’un même site artistique. Certaines catégories semblent fondées sur des logiques politiques (colonisation artistique et résistance), d’autres sur des logiques paysagères artistico-scientifiques (subordination, esthétisation, observation) et d’autres encore sur des logiques purement économiques (commercialisation). Ces trois familles de logiques dessinent parfaitement les contours multiples de la domination territoriale en jeu, et de ses variations d’intensité, dans le processus de mise en art in situ.
23L’application de ces catégories à des exemples concrets peut se faire par le truchement des idéaux-types d’œuvres utilisés en première partie et qui ont fait l’objet de ces enquêtes de terrain. Le tableau 4 détaille la manière dont chacun des cas sélectionnés se décline en fonction des différentes dimensions adoptées pour caractériser leur système de domination territoriale artistique in situ. Dans ce tableau, je teste la grille proposée et résumée dans le tableau 3.
Tableau 4. Synthèse des formes de domination artistique générées par plusieurs œuvres d’art in situ
Domination artistique → Logiques de domination territoriale ↓ | Matérialité | Forme du pouvoir | Représentations spatiales dominantes | Intensité de la domination |
---|---|---|---|---|
Paysagère : subordination artistique 1 020 km, œuvre d’Olivier Leroi (Partage des Eaux, Parc naturel régional des Monts d’Ardèche, France) | Site Maison du site du mont Gerbier-de-Jonc, visionnage in situ de la vidéo | Territoire label Parc naturel régional des Monts d’Ardèche | Espace perçu Perception vidéo et photographique du cours de la Loire sur 1 020 km | Faible Intervention artistique discrète qui ne s’impose pas directement sur le site |
Paysagère : esthétisation Œuvres de Carlos de Gredos (Cerro Gallinero, Espagne) | Marque Œuvres gravées dans les blocs de granite | Marquage L’ensemble des œuvres crée le territoire du Cerro Sagrado (montagne sacrée) | Espace perçu Perception de la géomorphologie du Cerro Gallinero | Moyenne Intervention artistique discrète, mais jalonnant un espace dont la destination change |
Paysagère : observation Refuges d’Art, œuvres d’Andy Goldsworthy (CAIRNa, Réserve naturelle géologique de Haute-Provence, France) | Marque Œuvres installées dans des habitats ruraux en ruine restaurés pour l’occasion | Marquage Sentier des Refuges d’Art, périmètre dédié et reconnu | Espace perçu Perception d’un espace et d’un patrimoine rural en déclin | Forte Création de Refuges d’Art fermés à occupation sélective |
Économique : commercialisation Œuvres de César Manrique (CACT, île de Lanzarote, Espagne) | Type d’œuvre « Œuvres totales » installées dans certains sites naturels emblématiques de l’île | Intentionnalité Pouvoir artistique de l’artiste avec des motivations personnelles de contrôle esthétique de l’île | Espace conçu Aménagement artistique au service du développement touristique de l’île | Forte Offre artistique incontournable pour les touristes et ressource économique pour les îliens |
Politique : colonisation artistique Eco-Shrine, œuvre de Diana Graham (Hogsback, Afrique du Sud) | Type d’œuvre Sculpture monumentale érigée au nom de l’écoféminisme | Marquage Création d’un landmark sur une ancienne frontière raciale de l’apartheid | Espace conçu Création d’une œuvre pour imposer une certaine conception de l’environnement et du territoire | Très forte Colonisation matérielle et idéologique d’un espace privé, mais dont la visibilité topographique reste symbolique |
Politique : déconstruction, résistance Zéro mètre, œuvre de Paul-Armand Gette (CAIRN, Réserve naturelle géologique de Haute-Provence, France) | Site Destruction de l’œuvre | Territoire local Résistance de certaines populations locales face à une domination exogène | Espace vécu Espace subi par les habitants qui pensent que les priorités d’aménagement devraient être orientées ailleurs | Dé-domination Activisme contre la forme de domination artistique imposée |
a. Centre d’art informel de recherche sur la nature, situé à Digne-les-Bains. |
Source : Sylvain Guyot, 2024
24La logique paysagère de domination territoriale artistique in situ regroupe :
- 1 020 km, œuvre d’Olivier Leroi, pour la subordination artistique ;
- les œuvres de Carlos de Gredos, pour l’esthétisation ;
- les « Refuges d’Art » d’Andy Goldsworthy, pour l’observation.
25Ces œuvres, à l’exception de 1 020 km, qui est une œuvre presque totalement invisible sur le terrain (film projeté dans la maison du grand site du mont Gerbier-de-Jonc), ont en commun de produire une marque, comme matérialité in situ, et d’incarner leur pouvoir dans un marquage territorial ayant une signification paysagère précise : le Sentier des Refuges d’Art est marqué au nom de la déprise rurale locale et le Cerro Sagrado (la montagne sacrée) est utilisé pour révéler et révérer un chaos granitique sommital. Les trois œuvres ont en commun de mobiliser l’espace perçu des artistes et de leurs commanditaires. La réception et l’appropriation des œuvres par les différents acteurs et publics se distinguent nettement en fonction des contextes territoriaux. Dans les Monts d’Ardèche, au cœur de la maison du site du mont Gerbier-de-Jonc, l’œuvre d’Olivier Leroi, essentiellement constituée d’un film artistique, est ouverte aux visiteurs qui souhaitent partir à la découverte du fleuve Loire, qui prend sa source à cet endroit-là. Les quelques traces artistiques laissées sur le terrain (plaques de métal fixées au niveau des différentes sources de la Loire) laissent les visiteurs libres d’approfondir ou non leur connaissance du site par la découverte en deux étapes (sources puis film ou l’inverse) de l’œuvre in situ. Les formes d’appropriation par les publics sont donc très souples, et interviennent sur un site déjà très visité. L’œuvre n’exerce donc que peu de pouvoir sur les publics. La gestion de la pression touristique grandissante sur le site reste d’actualité.
26En Espagne, sur le Cerro Gallinero, les œuvres de Carlos de Gredos auraient pu incarner une forme de divorce entre une montagne à usage pastoral, fréquentée uniquement par quelques habitants du village voisin d’Hoyocasero, et d’éventuels visiteurs ou touristes attirés par la mise en art de ces terrains. Ce n’est pas du tout le cas, car la mise en art in situ a été faite par un artiste aux attaches locales (maison de famille et parents sur place) et en collaboration avec une association du village dont le but était d’associer les habitants au processus de création et d’entretien des œuvres d’art, ainsi qu’à l’accueil du public. La mise en art permet donc ici une ouverture du territoire communal à de nouveaux visiteurs, et ce au service de la cohésion socio-économique villageoise.
27Dans la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence, l’implantation des œuvres d’Andy Goldsworthy a généré plusieurs formes successives d’appropriation par les différents acteurs. Au début des années 2000, on observe une occupation des Refuges d’Art par les chasseurs et les bergers locaux, ainsi que des visites relativement confidentielles de petits groupes de randonneurs venus parfois de loin, attirés par la « marque » Goldsworthy (Guyot 2019). Actuellement, les Refuges d’Art sont fermés à ces premiers usagers, mais les randonnées se sont popularisées en raison de la mise au point d’un système de marquage (balisage) du sentier, de l’invitation faite à d’autres artistes d’intervenir sur le territoire (Herman de Vries, Richard Nonas, etc. ; voir Guyot 2019), ainsi que d’une mise en tourisme beaucoup plus dynamique réalisée par les acteurs locaux et départementaux. Les hébergeurs locaux comprennent désormais qu’il est dans leur l'intérêt d'accueillir les visiteurs et s’intègrent au sein d’un territoire artistique qui était auparavant beaucoup plus fermé, probablement en raison de son manque de notoriété régionale et du soutien insuffisant des élus locaux (Gomez 2016).
28La logique économique de domination territoriale artistique in situ correspond aux œuvres de César Manrique, gérées par le CACT sur l’île de Lanzarote. Le processus de commercialisation artistique s’appuie sur des œuvres « totales » (ainsi définies par l’artiste) typiques du pouvoir d’énonciation territorial assez totalitaire de l’artiste canarien (voir Guyot 2019). Ces œuvres totales (comme les Jameos del Agua) relèvent d’une conception très forte de l’espace (aménagement artistique au service d’un alter-développement touristique de l’île) et d’une logique néolibérale où les acteurs locaux ont compris tout le profit qu’ils peuvent tirer des œuvres d’art de Manrique. L’appropriation par les publics s’assimile à une visite « classique » d’un site naturel remarquable : elle est tarifée, limitée dans le temps et offre la possibilité de consommer sur place (bar, restauration et boutique de souvenirs). Le grand nombre de visiteurs empêche toute découverte intimiste de ces œuvres « totales », comme l’artiste l’aurait sans doute souhaité. À Lanzarote, on assiste à un processus de patrimonialisation et de « sur-touristification » d’œuvres in situ qui génère des marquages identitaires indélébiles au sein de la fabrique insulaire (Guyot 2019).
29Enfin, les logiques politiques de colonisation artistique in situ et de résistance fonctionnent en négatif. La colonisation, dans le cas des œuvres à Hogsback en Afrique du Sud, fait la part belle au type d’œuvre (voir encadré 1 ci-dessus), au marquage monumental du foncier, au nom d’une certaine conception écoféministe de l’environnement, permettant une relégitimation historique de l’appropriation du territoire postapartheid par l’art. L’appropriation par les publics suscite généralement une très forte adhésion, car la visite, payante et donc volontaire, se déroule sur une propriété privée et est commentée par l’artiste, qui présente la signification purement écoféministe de l’œuvre. L’interprétation territoriale de l’œuvre, avec toute la violence symbolique qu’elle dégage – eu égard au contexte politique et territorial sud-africain (Guyot et Guinard 2015) –, n’est pas proposée au public, qui peut alors ou non aiguiser son regard et s’intéresser à la vue sur l’ex-bantoustan du Ciskei (Guyot et Amilhat-Szary 2010). La portée écoféministe de cette œuvre in situ prétend donc faire écran à sa signification matérielle comme un landmark dominant érigé sur une ancienne frontière raciale d’apartheid.
30Inversement, la résistance locale liée à l’imposition de l’œuvre Zéro mètre de Paul-Armand Gette dans la Réserve naturelle géologique de Haute-Provence souligne la beauté brute du site géologique, et défend la valorisation du territoire local face à une domination exogène, au nom de l’espace vécu des habitants et dans le but de libérer les lieux de ces projets artistiques imposés de manière autoritaire. Cette œuvre a fait l’objet d’une protestation collective de la part de certains habitants lors du vernissage8, en raison du fossé apparent entre le coût du projet artistique et la matérialité affichée des panneaux métalliques. « Vandalisation » ou « déconstruction d’un processus de mise en art in situ », les expressions ne manquent pas pour décrire les actions de résistance locale face à l’irruption parfois peu concertée (mais pas toujours) d’œuvres perçues par certains comme prenant le pas sur des enjeux prioritaires du développement local rural (routes, transports publics, développement de la fibre internet, etc.). En réalité, ces démarches artistiques sont souvent initiées grâce à des subventions qui n’auraient de toute façon pas été directement attribuées au territoire sans ces projets de mise en art, ou encore grâce au mécénat privé.
Conclusion
31La domination artistique des espaces périphériques s’impose donc comme une réalité, même si elle intervient à des niveaux divers d’intensité et d’hégémonie. L’objet « œuvre d’art in situ » n’est parfois qu’une composante d’un dispositif plus large visant à transformer des espaces périphériques souvent isolés, marginalisés et peu attractifs. La mise en art participe clairement à la production de l’espace, et semble pilotée par des formes de gouvernementalité presque systématiquement combinées à d’autres catégories ou intentionnalités de pouvoir, comme la souveraineté, la discipline ou la vérité. Le degré d’acceptation de la domination artistique d’une œuvre sur un territoire est ainsi fonction de la manière dont les habitants se représentent son utilité économique locale, s’identifient à sa dimension créative (concept d’habitant co-créateur) et adhèrent aux valeurs qu’elle véhicule. Du côté des publics, l’acceptation semble plus entière quand l’accès à l’œuvre est tarifé, sous une forme ou une autre (billet d’entrée, accompagnement par un guide-médiateur de moyenne montagne, etc.), ou quand elle est installée dans un site déjà très fréquenté. L’appropriation par les publics contribue donc logiquement à légitimer la gouvernementalité en jeu. La réception des œuvres est plus problématique au sein d’espaces où les traces et marques artistiques peuvent être considérées négativement d’un point de vue esthétique ou environnemental, car elles n’y trouvent pas leur place (Antille 2017).
Bibliographie
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Notes de bas de page
1Synthèse d’extraits de plusieurs carnets de terrain écrits entre 2005 et 2011.
2ADONA (Aesthetic DOminations of NAture) est un programme de recherche international financé par l’Institut universitaire de France. En ligne : [https://www.passages.cnrs.fr/project/adona/].
3Voici une reformulation synthétique du propos d’Alain Roger (1997) autour du terme artialisation : l’artialisation est un concept philosophique désignant l’intervention de l’art dans la transformation de la nature, in situ et in visu. L’artialisation in situ : dans ce processus, l’art est introduit sciemment et volontairement dans un site, un paysage, le métamorphosant en lieu emblématique, facilement reconnaissable. L’artialisation in visu : dans ce processus, le paysage est érigé au rang d’œuvre d’art pour ses caractéristiques intrinsèques ou ses aménagements typiques.
4La mise en art permet à la fois un processus de médiation culturelle et environnementale entre une œuvre d’art et un paysage, une médiatisation d’un espace périphérique méconnu sous forme d’un coup de projecteur lié à la notoriété d’un ou plusieurs artistes, et une appropriation ou réappropriation d’un territoire par une transformation des référents esthétiques, voire identitaires, et l’attraction de nouvelles formes de mobilités, touristiques en particulier.
5Voir Camille Noé Marcoux, « De l’art autoroutier à l’art giratoire », L’art de muser, 2016. En ligne : [http://formation-exposition-musee.fr/l-art-de-muser/1417-de-lart-autoroutier-lart-giratoire].
6La vidéo, l’enregistrement sonore, l’édition, les performances ou les workshops par exemple.
7Malgré une tendance très récente de l’artiste à interagir physiquement avec les sites lors de ses performances. Voir Patrick Barkham, « Branching out: why artist Andy Goldsworthy is leaving his comfort zone », The Guardian, 3 août 2018. En ligne : [https://www.theguardian.com/artanddesign/2018/aug/03/from-stone-flows-to-hedge-swims-why-artist-andy-goldsworthy-is-branching-out].
8La gérante d’un gîte où j’avais dormi lors de ma randonnée itinérante en octobre 2011 avait déclaré pouvoir m’emmener sur les sites des derniers panneaux « zéro mètre » pour qu’elle les arrache devant moi. Faute de temps, je n’ai pas pu la suivre dans sa quête…
Auteur
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Sylvain Guyot
Université Bordeaux-Montaigne, Passages (UMR 5319)
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