Introduction de la deuxième partie
Objets et inégalités de position sociale
p. 113-115
Texte intégral
1La matérialité peut contribuer à la construction des frontières sociales et des hiérarchies. Cette deuxième partie montre combien les objets et les systèmes d’objets participent à des logiques de distinction sociale agissant aux niveaux individuel et collectif, et pouvant relever d’ordres multiples tels que la classe sociale, la caste, l’affiliation religieuse ou l’origine ethnique. Les artefacts sont autant des outils que des marqueurs de la domination statutaire et de sa reproduction sociale. Les groupes sociaux et, dans certaines configurations, des individus particuliers peuvent recourir à la matérialité pour affirmer et réaffirmer leur position sociale. Ils peuvent produire des objets ou des systèmes d’objets afin d’asseoir leur statut, comme faire évoluer à leur avantage la valeur symbolique et les usages d’artefacts préexistants.
2Les deux contributions rassemblées dans cette deuxième partie analysent la vie sociale de certains objets ou systèmes d’objets – en particulier leur production, installation ou apparition, puis leurs utilisations, circulations et éventuelles transformations – et montrent que des logiques de domination peuvent se manifester à chaque moment de leur biographie. Julie Picard et Pierre-Yves Trouillet mettent ainsi en lumière de multiples modalités par lesquelles la matérialité participe à la production et à la reproduction des hiérarchies sociales. Leurs recherches, centrées sur le religieux, portent sur des objets rituels fabriqués par la main de l’homme, des éléments naturels érigés en objets sacrés par certains rites, des lieux de culte et des systèmes d’objets rassemblés dans ces espaces rituels.
3Leurs chapitres examinent le rôle des artefacts dans la construction, le maintien, l’actualisation et la visibilisation de rapports de pouvoir fondés sur des distinctions sociales. Ils montrent à quel point la construction du statut des dominants, les processus de hiérarchisation sociale, mais aussi la stigmatisation et la relégation des dominés peuvent reposer sur la matérialité ; ils informent également sur le rôle des artefacts dans l’affichage de ces dominations statutaires. Différents rôles conférés aux objets et systèmes d’objets dans les relations de pouvoir sont ainsi mis en avant : ils peuvent être la marque de privilèges et participer à la construction de la renommée, ou bien contribuer à l’exhibition de l’exclusion et de la discrimination. Ils représentent ainsi de précieuses ressources sociales et symboliques pour certains, alors que pour d’autres, ils sont des marqueurs d’interdits ou à l’origine de relations de dépendance.
4Pour autant, ces deux chapitres révèlent également comment des dynamiques de résistance, de contestation des hiérarchies et d’affranchissement peuvent elles aussi s’appuyer sur la matérialité. Les individus ou groupes dominants ne sont pas les seuls à mobiliser des objets particuliers pour affirmer leur statut : les dominés recourent également à certains artefacts pour marquer et renforcer les différences hiérarchiques existant au sein même de leur groupe, pour négocier une position sociale plus favorable ou pour contester des rapports de domination.
5Les deux contributions mettent également au jour l’importance de la dimension spatiale dans les processus étudiés. Non seulement la localisation des artefacts joue un rôle décisif dans les distinctions et hiérarchisations sociales, mais leur circulation temporaire – par exemple lors de processions – ou plus durable – par la délocalisation de lieux de culte – est tout aussi déterminante. Les positions sociales asymétriques ainsi que leurs potentielles transformations peuvent ainsi être données à voir dans l’espace public à travers ces circulations d’objets.
6La portée politique des objets ou des systèmes d’objets dans les ordres sociaux est finalement au cœur de ces deux chapitres. En s’intéressant aux statues et aux pierres rituelles qui représentent les divinités des sanctuaires hindous en Inde du Sud, Pierre-Yves Trouillet analyse la signification politique des messages symboliques véhiculés par ces objets rituels profondément ancrés dans la culture matérielle hindoue. Ces objets religieux apparaissent comme les figures centrales de puissants dispositifs matériels et rituels qui participent, dès leur apparition dans le champ des pratiques, d’une politique de l’exhibition du rang et des statuts inégalitaires, et donc de la hiérarchie, du pouvoir et de la domination.
7Julie Picard s’intéresse quant à elle aux églises non coptes du Caire, qu’elle considère comme des systèmes d’objets participant à des rapports de domination diversifiés. Elle décrit les recompositions matérielles des principales églises d’origine missionnaire de la ville, liées à l’arrivée en Égypte de migrants forcés en provenance d’Afrique subsaharienne dans les années 1980, pour expliquer comment les résistances de certains groupes de migrants se matérialisent à travers les objets présents dans ces églises. Le développement du protestantisme évangélique, qui cherche également à légitimer la présence des migrants chrétiens en Égypte, entraîne aussi des transformations dans la matérialité et la configuration des églises, conçues comme des systèmes d’objet.
Auteurs
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Lucie Bony
CNRS, LAVUE (UMR 7218)
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Sylvain Guyot
Université Bordeaux-Montaigne, Passages (UMR 5319)
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Bénédicte Michalon
CNRS, Passages (UMR 5319)
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Pierre-Yves Trouillet
CNRS, Passages (UMR 5319)
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