Chapitre 5
L’amour conjugal comme pratique visible
p. 133-166
Texte intégral
1De manière concomitante aux évolutions du champ scientifique, discours et pratiques de la conjugalité s’affirment dans les médias ivoiriens dans les années 1950 et 1960. Alors que l’amour, comme de nombreuses autres émotions, ne faisait pas l’objet d’attention ou de descriptions particulières dans la littérature ethnographique, il apparaît pour la première fois sous la forme d’une absence dans les rapports des prêtres catholiques. Assimilé à l’affirmation de l’individu, l’amour ou plutôt ses expressions semblent toujours insuffisantes, manquantes, voire relevant d’une intimité cachée que les prêtres peinent à pénétrer. À rebours de ces appréciations, la vie urbaine et en particulier abidjanaise devient, dès les années 1950, un lieu de monstration de l’amour, dans le cadre conjugal exclusivement, et selon des codes précis associés à certains comportements de genre et de consommation. Aussi les manifestations de l’émotion amoureuse affichent-elles une forme de paradoxe : pour donner preuve de son existence et ainsi refléter l’épaisseur d’une intériorité, ce sentiment doit s’exprimer de façon visible, manifestant à l’extérieur l’individualité des membres du couple. Cette caractéristique, qui donne aussi à la chercheuse matière à travailler, n’est pas propre à la Côte d’Ivoire mais reflète un trait spécifique de la recherche sur les émotions : historiens et historiennes n’ont à leur disposition que les manifestations de l’amour pour en parler, ou les façons dont celui-ci est encodé dans les pratiques sociales1.
2Le présent chapitre s’inspire toutefois plus particulièrement de la démarche d’Eva Illouz dans son premier livre Consuming the Romantic Utopia, dans lequel elle met en relation l’émergence de nouvelles expressions romantiques et la naissance d’une industrie du loisir2. Si l’amour romantique pré-date l’apparition du capitalisme, la valorisation de cette émotion accompagne ce dernier en véhiculant deux thèmes centraux : l’affirmation de l’individu vis-à-vis du groupe et l’idéologie bourgeoise qui distingue gratuité et profit, intérêt et sentiment. Bien que le mythe de l’amour romantique veuille qu’il s’affirme hors des prises du marché, la sociologue démontre que ses pratiques s’inscrivent dans la sphère des loisirs et des nouvelles pratiques de consommation aux États-Unis dans les années 1920.
3Cette approche de l’amour par les idées qu’il véhicule et par les expressions matérielles recoupe une historiographie sur les émotions en Afrique. Celle-ci met en évidence combien la colonisation et l’idée de modernisation ont exacerbé les interactions entre expressions sentimentales et besoins matériels. Depuis les années 1970, les cadeaux, les échanges monétaires ou non monétaires, la conditionnalité de l’affection sur des prémisses financières ou l’assurance de certaines conditions de vie sont bien mis en valeur. Lynn Thomas et Jennifer Cole, qui incitent à la prudence pour ne pas écraser les émotions sous le poids du contexte, soulignent toutefois l’interpénétration forte, en Afrique comme ailleurs, de l’attachement émotionnel et des gratifications matérielles (monétaires, sexuelles)3.
4Les chapitres précédents rappelaient comment l’Église catholique, qui était de longue date investie dans les questions familiales, endosse dans les années 1950 un discours sur l’individualisme et la citoyenneté qui en fait un intermédiaire privilégié d’éducation des nationaux. Contrairement aux États-Unis des années 1920, ce n’est donc pas l’industrie de la consommation, mais l’Église catholique qui est le principal intermédiaire de socialisation des couples à l’idéologie romantique et à des valeurs capitalistes. Sans mettre en cause la sincérité des expressions individuelles et des engagements, ce chapitre démontre comment l’amour romantique tel qu’il est promu dans les instances catholiques conforte l’acquisition d’un patriarcat économe et exclusif, qui contribue à asseoir l’émergence d’unités accumulatrices et épargnantes. On ne sera donc pas étonné que ce chapitre fasse un usage extensif de ces sources catholiques qui sont des réceptacles et des émettrices de discours sur l’amour, la conjugalité et l’économie domestique4. Des comptes rendus de la pastorale des Missions africaines de Lyon, principal ordre missionnaire en Côte d’Ivoire dont sont issus la majorité des prêtres du territoire, sont confrontés aux publications officielles ou non de catholiques ivoiriens. Cette promotion de la conjugalité repose en outre sur des codes genrés précis qui se dégagent des journaux de la jeunesse chrétienne jusqu’au début des années 1970.
L’amour impossible dans le mariage coutumier ?
5Arrivé en 1949 en Côte d’Ivoire, le prêtre des Missions africaines de Lyon André Lombardet, d’abord enseignant au séminaire de Bingerville, est bientôt nommé avec l’abbé Robert Kimou à Treichville, principal quartier des salariés ivoiriens5. Tous deux y animent alors les mouvements de laïcs, respectivement jusqu’en 1958 et 1956. André Lombardet, élu supérieur régional de la SMA en Côte d’Ivoire en 1958, a laissé de nombreuses notes qui attestent d’un intérêt du prêtre pour la réforme sentimentale des croyants. Comme son confrère ivoirien Bernard Yago, André Lombardet ne croit pas à l’existence de l’amour dans les sociétés réglées par les coutumes. Dans son pamphlet contre le matriarcat prononcé en 1948 lors d’une conférence publique, le futur archevêque d’Abidjan Bernard Yago fait de l’invisibilité des gestes amoureux le symptôme d’une vie maritale sans amour. Il déplore en effet que les baisers et les caresses ne soient pas légitimes dans l’espace public et il déplore qu’ils soient réservés aux relations extra-maritales. « Ainsi les époux réduits à étouffer les légitimes manifestations de leur amour, voient cet amour sacré s’étioler et mourir d’inanition »6. Cette remarque introduit au préjugé saillant qui marque alors les observateurs religieux des formes familiales : selon eux, la dot et ses corrélats préviennent l’expression de l’amour.
6Ils assimilent en effet ce paiement à une forme de proxénétisme organisé par le père, ou parfois par le mari, puisque ceux-ci accordent le bénéfice physique et émotionnel d’une femme contre une somme d’argent. Soupçonnant encore les pères et les maris d’organiser l’instabilité conjugale des femmes pour profiter du bénéfice de la dot, ou encore simplement les femmes d’être volages, les missionnaires font du changement de partenaires le critère même d’une absence de sentiment : « est-ce qu’une femme qui a traîné d’un mari à l’autre est encore capable d’aimer vraiment ? » interroge André Lombardet, chez qui l’on retrouve une assimilation classique entre choix conjugal féminin et immoralité7. Une brochure sur le mariage chrétien diffusée en Côte d’Ivoire en 1961 déplore en outre que la dot, décidée par un tiers, éloigne les époux l’un de l’autre et ne favorise pas leur entente :
pour l’homme, la femme est une chose achetée très cher, qui lui appartient, sur laquelle il a tous les droits, qui est à son service, une petite « machine idéale ». Pour la femme, l’homme est un maître dur, exigeant, qu’elle a accepté à contrecœur, devant lequel elle n’a rien à dire, qui ne l’estime que pour ses services, à qui il faut arracher l’argent pour les robes.8
7Ce portrait antithétique d’une vision romantique de l’amour selon les catholiques fait des époux des individus isolés l’un de l’autre, ignorant la coopération qui pourrait déboucher sur une alliance plus matérielle. En 1971 encore, dans son premier numéro, la revue Pirogue, éditée par des scouts ivoiriens, reprend encore le lien entre l’existence d’une dot et la relation inégalitaire du mariage, assimilant d’ailleurs la femme à une esclave : « rends-toi compte que la dot abusive te rabaisse au niveau de la marchandise. Jadis c’était des esclaves qu’on achetait et vendait »9.
8L’absence de vie conjugale demeure longtemps le préjugé le plus actif à l’encontre du mariage coutumier, alors même que celui-ci connaît une forme de revalorisation par l’Église ivoirienne à la fin des années 1960. Le missionnaire Jean-Paul Eschliemann l’exprime encore en 1982 dans un mémoire sur les « familles nouvelles », bien qu’il reconnaisse alors l’existence de l’amour :
Le fait de devoir se servir d’un intermédiaire pour exprimer ses sentiments à la fille et pour l’amener finalement jusque dans le lit conjugal, crée une distance sociologique entre les deux partenaires. Celle-ci ne signifie nullement manque d’amour parce qu’on ne les voit pas se jeter dans les bras l’un de l’autre. Au contraire, elle commande retenue et discrétion pour favoriser une meilleure analyse des intérêts familiaux et des personnalités en présence ; mais le système a également secrété une distance culturelle et psychologique entre l’homme et la femme, qui existe bien avant la rencontre des deux partenaires dans l’union matrimoniale et qui perdure dans celle-ci en y créant quelquefois beaucoup de difficultés. Il s’agit des rapports antagonistes de l’homme et de la femme, de la rivalité et de la méfiance qui les caractérisent bien souvent.10
9Pourtant, ces affirmations sur l’amour ou le vécu conjugal rencontrent aussi par endroit d’autres observations qui remettent en cause les premières, en ce qu’elles démontrent au contraire comment les sentiments ou les liens maritaux peuvent être conçus par les croyants ivoiriens comme ne relevant pas de la sphère publique :
Quand on s’engage dans des questions qui mettent en cause la vie personnelle, c’est souvent la débâcle à la prochaine réunion. L’argent que je consacre à ma popote ou les repas avec ma femme commencent à être des questions taboues ! « Tournons la page où je ne reviens plus dans ces réunions qui osent se mêler de ma vie privée » […] [M]ais là encore je crois que l’expression de vie privée est un prétexte facile pour ne pas se laisser [sermonner ?] plus longtemps qu’il faut.11
10Ces propos d’André Lombardet, à l’issue desquels il se montre pessimiste sur l’engagement dans les mouvements laïcs, suggèrent toutefois la frontière possible qu’opposent les croyants à toute forme d’étude ou de commentaire sur leurs comportements maritaux. Quelques années plus tard cependant, à la fin des années 1950, l’animation familiale d’André Lombardet semble avoir rencontré un public à Abidjan, où s’expriment de manière visible un ensemble de rituels amoureux dont les médias catholiques se font l’écho.
Le rituel amoureux dans la pastorale conjugale : émergence d’une individualité discursive
11Les mouvements d’Action catholique présents dès l’entre-deux-guerres à Abidjan forment en 1951 sous la direction d’André Lombardet une Action catholique des familles (ACF) dont la première branche se situe à Treichville. Le mouvement s’inscrit dans une position avant-gardiste vis-à-vis de l’Église catholique. Les laïcs mettent en pratique les principes des Équipes Notre-Dame, un groupe fondé en métropole par le père Henri Caffarel en 1939, dont le but était de vivre une spiritualité par le couple, en instaurant une méthode d’introspection conjugale. Ce groupe, plus ouvert à la discussion sur la sexualité conjugale, réunit en France dans les années 1950 des centaines d’enthousiastes avant d’essaimer en Afrique12. La spiritualité conjugale donne une nouvelle substance au modèle catholique jusque-là assez répressif, et par ailleurs menacé par la décroissance du nombre de mariages religieux en métropole, qui se confirme dans les années 1960. La préparation au mariage se banalise dans les années 1960 pour répondre à la rupture sacramentelle et au détachement du religieux13. Dans cette nouvelle perspective, la monogamie n’est pas suffisante à la réalisation du couple chrétien : il faut encore que l’attachement mutuel soit avéré par une série de comportements romantiques, dont la finalité est de constituer l’individu autour de son intériorité. Reçu avec scepticisme par la hiérarchie ecclésiastique, ce groupe incarne à la fois une aspiration à la revalorisation de la sexualité des laïcs, et une contestation ouverte des laïcs vis-à-vis d’une religion édictée. À Abidjan, cette méthode a été adoptée par des Européens du quartier du Plateau (centre administratif), mais aussi bientôt par des Africains à Treichville.
Figure 7. Des membres de l’Action catholique des familles en visite dans le Doubs (France)

Source : photographie issue de R. P. Cadel, Quinze ménages noirs découvrent l’Europe, Coutances, Notre-Dame, 1964, p. 42. Au presbytère de Soye (Doubs).
À gauche du père Lombardet, Pierre N’da. Joseph Amichia, qui n’est pas présent sur cette photo, faisait aussi parti du voyage.
12Le but de ce mouvement est d’inculquer, tout autant que les grands principes du mariage chrétien, ceux de l’amour romantique, formalisés autour de quelques événements conjugaux particuliers : les repas en commun, les discussions communes, la présence des hommes à la maison. Cet amour romantique qui devait consacrer le lien conjugal se caractérise par l’extraversion de ses manifestations : s’embrasser, se donner la main, se montrer publiquement ensemble, se balader ensemble, converser loin des autres. Dans ce groupe laïc, l’amour catholique est d’abord un amour de signes, une « révolution des habitudes »14. Jean et John Comaroff, dans leur étude sur le Bechuanaland à la fin du xixe siècle mettent en évidence le changement de culture matérielle qui accompagne l’arrivée de missionnaires évangéliques et comment ces objets participent de l’inculcation d’une individualité (personhood) et d’une domesticité jugée décente. L’Action catholique des familles procède à une intrusion dans le modelage des habitudes amoureuses qui n’est pas moins profonde que celle qu’opéraient les évangélistes sur les conceptions du temps, de l’espace ou de l’habit pour les Tswana.
13L’ACF reprend à plusieurs reprises les techniques mises en place par les Équipes Notre-Dame. Le premier journal paroissial de Saint-Paul au Plateau cite en particulier le journal du mouvement (L’Anneau d’or publié entre 1945 et 196715) et réplique sa méthode, sous le titre « Le devoir de s’asseoir ». Ce manuel propose d’organiser une après-midi en commun dont il détaille le déroulé :
Après avoir réservé une plage horaire à deux […] il faut à tout prix changer de cadre […]. [C]omment utiliser ces heures ? [L]isez ensemble un chapitre bien choisi d’un livre mis en réserve pour cette heure privilégiée […], priez un long moment […], que chacun fasse à haute voix une prière personnelle : cette forme de prière, sans médire des autres, rapproche miraculeusement les cœurs. Dites-vous l’un à l’autre ces pensées […], ces confidences qu’il n’est pas facile et souvent pas souhaitable de faire au cours de journées actives et bruyantes, et qu’il serait pourtant dangereux d’enfermer dans le secret du cœur […]. Faites l’examen de conscience de votre foyer. Prenez des résolutions opportunes pour y remédier […]. Enfin, demandez-vous si Dieu est bien servi chez vous […]. Vous n’avez plus rien à dire ? Taisez-vous ensemble, ce ne sera peut-être pas le moment le moins profitable […]. Il est très important de faire le compte rendu écrit de ce qui a été découvert.16
14Le numéro 21 de la revue Foyer chrétien, également publié à Abidjan, rappelle en août 1957 les principes de cet « examen de conscience de deux époux ensemble ». Ces principes stricts inspirés du modèle monacal trouvent alors de nombreux adeptes en France où peu d’espaces existent pour aborder les questions concrètes de conjugalité. L’imposition d’une codification aussi élaborée de l’amour conjugal sur les couples abidjanais, par un prêtre européen par ailleurs si sceptique sur le sentiment amoureux chez les Africains du fait que ceux-ci n’en montraient pas les signes attendus, apparente cet apprentissage à des méthodes de domestication du corps. Occasion d’exploration du lien conjugal en France, la méthode des Équipes Notre-Dame a un but disciplinaire en Côte d’Ivoire. Un exercice de mise en pratique consiste par exemple à prendre un repas en commun, alors que les hommes et les femmes étaient suspectés de ne pas manger ensemble. Le but était à la fois de casser les classes de genre homme-femme, de renverser l’infériorité présumée des femmes, tout en transmettant des principes hygiénistes et culinaires17. Dans un compte rendu de l’ACF d’Abidjan publié en 1957 et intitulé « Les obstacles à la famille chrétienne en Côte d’Ivoire », le journaliste rappelle les intitulés des différentes sessions de formations dispensées entre les membres. Celles-ci concernent « le repas familial » et la « prière en famille » ou encore la répartition des tâches dans le foyer entre homme et femme, et enfin la communauté de biens et le budget familial18.
15Cette transformation des habitudes visibles des membres de l’ACF, qui revendique en 1957 un millier de participants, répond aussi à une stratégie de prosélytisme de l’Église catholique alors très minoritaire. Dans sa lettre pastorale des évêques de Côte d’Ivoire aux fidèles de leurs diocèses, au printemps 1957, le supérieur régional insiste sur le devoir d’apostolat des laïcs : il fait le constat que la Côte d’Ivoire connaît trop peu de prêtres pour le nombre de catholiques (170 pour une estimation de 250 000 âmes) et conclut que « tous les laïcs doivent être des apôtres » et en particulier sur le plan familial : c’est en incarnant des modèles de « foyers chrétiens », « où règne un véritable amour conjugal, où l’homme respecte vraiment sa femme dans laquelle il voit son égale, où les époux prient et mangent en commun, étudient ensemble le budget familial, font bourse commune, s’occupent eux-mêmes de l’instruction et de l’éducation chrétienne de leurs enfants au lieu de les confier à un tuteur ou un parent […] et éliminent peu à peu toutes les coutumes païennes d’autrefois », que les laïcs doivent participer à l’extension de la foi chrétienne en Côte d’Ivoire. L’exemplarité des familles chrétiennes devait offrir un argument pour la conversion de nouveaux membres.
16Dans les années 1960, la méthode des Équipes Notre-Dame essaime au-delà de l’ACF pour influencer l’ensemble de la pastorale, et notamment le scoutisme. Celui-ci était de longue date l’instrument d’une inculcation différenciée des genres, entre « maternité coloniale » pour les filles et virilité héroïque pour les hommes19. Pourtant, si les scouts ivoiriens sont perçus comme des instruments de contrôle de la jeunesse à l’époque coloniale, un tournant s’opère dans les années 1960, notamment à partir de 1965 et la nomination du père Trichet comme aumônier national de la JEC-JOC. Féru de journalisme, celui-ci encourage une pratique d’écriture qui aboutit à la parution de petites revues comme La nouvelle de Côte d’Ivoire, bulletin de la JEC entre 1965-1966 et 1975-197820. En 1967, ces mouvements ont à leur service une « machine à polycopier » et un « employé » dédié à cette tâche21.
17Ces moyens rendent possible des publications locales comme une brochure ronéotypée de 38 pages conçue par les prêtres de la SMA, illustrée à la main et dont le premier tirage en 1966 atteint 2 000 exemplaires, pour être diffusé dans chaque mission du territoire ivoirien22. Intitulée « Préparons notre foyer », elle vise à accompagner le choix d’un conjoint pour connaître « le vrai bonheur » et passe par un appel à la « compréhension » mutuelle pour dépasser les préjugés de sexe. Enseignant par l’exemple, elle propose des illustrations de l’amour véritable : une femme prend un emploi après que son mari a perdu son travail pour invalidité, le couple fait un budget commun et l’homme s’occupe des enfants quand ils sont malades autant que la femme, les deux époux cuisinent indistinctement, les époux s’embrassent et se demandent des nouvelles de la journée, ils épargnent ensemble pour un projet de construction, les époux sont restés ensemble malgré l’absence d’enfants. Le document propose en outre des situations-problèmes engageant les principaux thèmes de la pastorale conjugale et ancrés, selon le document, dans « la réalité africaine » : il met en scène l’obligation que peuvent faire peser les parents sur le choix du conjoint, les situations de dépendance économique des femmes vis-à-vis d’un homme qui en profiterait pour solliciter leur compagnonnage amoureux ou sexuel, ou encore le mariage « sur un coup de tête ». À ces trois situations, la pastorale répond par l’importance du choix personnel, l’affirmation de l’individualité et du temps de réflexion étendu pour choisir un conjoint « définitif ».
18On y retrouve par ailleurs l’importance conférée aux discussions conjugales, dont le but est ouvertement celui de dépasser des préjugés de genre répertoriés au début de la revue. La brochure explore les psychologies féminines et masculines, en les rapportant d’ailleurs à des attributs considérés comme naturels (hormonaux pour les femmes, l’instinct sexuel pour les hommes) et propose des exemples de phrases par lesquelles hommes et femmes sont invités à expliciter leur conduite : « Pardonne-moi si je t’ai fait de la peine hier, mais j’avais un travail urgent à finir, et après il m’a fallu aller voir pour notre logement. Je ne t’avais pas oubliée, mais tu comprends, je veux que tu ne manques de rien quand nous serons mariés » explique l’homme, à qui l’on prête une responsabilité financière pesante et un souci de prendre soin des autres. « Tu dois m’en vouloir pour la sortie de dimanche. Je t’avais dit que je serais contente de t’accompagner et puis, tu sais, nous les filles, il y a des jours où notre corps nous ennuie. Il y a eu aussi ce que tu as dit à Germaine qui m’a fait de la peine. Je me suis demandé s’il n’y avait pas quelque chose entre vous » répond la femme, occupée quant à elle par l’impériosité de son cycle menstruel et d’une saine jalousie. La brochure, qui conclut que « pour nous aimer réellement l’un l’autre, il nous faut savoir nous accepter différents mais complémentaires », reflète ainsi une nouvelle forme d’apprentissage du rapport à soi, de l’introspection et de l’auto-explicitation dont Eva Illouz et Yaara Benger Alaluf montrent dans des travaux plus récents qu’elle s’apparente à ces techniques de « management de soi ». L’Église catholique est ainsi un formidable instrument de transformation des intériorités par la parole, tandis que le couple sert de terrain de pratique pour l’émergence du sujet discursif23.
19Enfin la pastorale conjugale s’accompagne de cours d’éducation sexuelle : la même brochure contient par exemple une explicitation du cycle menstruel et des techniques de contraception basées sur la connaissance des moments de fertilité. Elle contient en outre un dessin des organes génitaux féminins, sans équivalent masculin toutefois. L’amour physique est donc directement abordé et la pastorale plaide pour une sexualité réciproque plutôt que le devoir conjugal : le sexe est « signe d’amour » écrit « Préparons notre foyer ». La revue ouest-africaine Pirogue rédigée en partie par des scouts ivoiriens explique encore en 1971 :
Les réalités charnelles d’un amour vrai entre époux ne sont pas honteuses, l’union des corps comporte normalement une émotion physique importante qui se conclut dans un plaisir très vif. Des époux qui s’aiment vraiment doivent donc chercher à éprouver en même temps et partager ce même plaisir. Futurs époux, vous devez savoir que cette harmonie n’est pas toujours facile à réaliser, surtout au début du mariage. L’homme et la femme ont des réactions différentes ; les époux doivent s’efforcer d’arriver à cet accord pour ne pas priver l’autre de cette joie légitime. Ils montrent ainsi qu’ils ne sont pas égoïstes mais veulent le bonheur de l’autre.24
20L’originalité de ce discours tient évidemment à la conception d’une sexualité conjugale en soi, dont la visée n’est pas immédiatement reproductive. Les auteurs plaident d’ailleurs pour la solidarité des couples stériles et ne mentionnent pas de méthodes d’annulation du mariage pour cette cause.
21L’amour catholique propose donc de nouvelles pratiques conjugales, une intimité basée sur le partage introspectif qui n’est pas sans rappeler des formes très contemporaines d’amour romantique, ainsi qu’une sexualité conjugale engageant le plaisir réciproque des époux. Ces transformations impliquent un changement de gestion du temps et une répartition des activités opposant l’intérieur et l’extérieur, le privé conjugal et l’espace public du travail et de l’engagement syndical. Autour de cet emploi du temps, se structure l’importance du couple dont le soin occupe à la fois le temps du repos, le temps libre, et pour les femmes le temps du travail consacré à l’entretien de la maison (voir figure 8).
Figure 8. La roue de l’amour : centralité du couple et construction de l’espace privé

Source : collection personnelle de l’autrice. « S’aimer 24 heures sur 24 », issu de la brochure « Préparons notre foyer », 1966.
22Enfin, cette pastorale s’adosse à la politique nationale. Comme l’Église fournissait au PDCI un registre et des médias pour la constitution d’une morale citoyenne, elle relaie les mesures gouvernementales en s’associant aux prescriptions liées à l’état civil ou à la médicalisation des accouchements. La même brochure recommande ainsi la fréquentation des établissements médicaux : « dès que tu seras enceinte tu devras aller voir un médecin et te faire suivre par les consultations prénatales organisées dans les centres spécialisés de protection maternelle et infantile »25.
23Faire advenir le sujet catholique, réduit au strict minimum de ses affiliations et de ses obligations coutumières, est aussi une manière pour ceux et celles qui s’en réclament de revendiquer un usage exclusif de leurs ressources salariales ou urbaines.
L’investissement conjugal à Treichville
24La construction d’un discours sur l’amour romantique par l’Église catholique n’aurait cependant pas tant d’écho dans les archives, si celui-ci ne reflétait aussi l’engagement qu’eurent de nombreux laïcs africains. La méthode des Équipes Notre-Dame ainsi que les valeurs romantiques sont diffusées au travers de mouvements catholiques très actifs à Abidjan. Deux pôles sont particulièrement dynamiques : le quartier d’Adjamé et celui de Treichville à Abidjan.
Figure 9. Évolution de l’urbanisation à Abidjan

Source : Philippe Antoine et Claude Herry, « La population d’Abidjan dans ses murs. Dynamique urbaine et évolution des structures démographiques entre 1955 et 1978 », Cahiers ORSTOM, série Sciences humaines, vol. 19, no 4 : Abidjan au coin de la rue. Éléments de la vie citadine dans la métropole ivoirienne, Philippe Haeringer éd., 1983, p. 371-395. © IRD
25Capitale de la Côte d’Ivoire depuis 1934, Abidjan est construite autour du Plateau, le quartier européen où siègent administrations et résidences coloniales. Elle s’est étendue vers la mer par le développement de quartiers de commis africains à Treichville, puis par l’extension portuaire amorcée par la construction du canal de Vridi en 1954. Originellement le lieu de villages ébrié et alladian qui s’étendent entre la mer et la lagune jusqu’à Grand-Bassam à l’est et Dabou à l’ouest, Abidjan est une destination migratoire attirant au-delà des limites nationales des travailleurs voltaïques, soudanais ou nigériens26. Travailleurs manuels journaliers y côtoient aussi des fonctionnaires dahoméens ou togolais promus par le système colonial. En tant que capitale administrative, c’est aussi un lieu de concentration des élites coloniales, générées par des activités agricoles ou de commerce, ou par des revenus financiers issus des fonctions administratives. Elle concentre les principales missions, catholiques et protestantes, aussi bien que d’importants lieux de culte musulmans issus de la présence sénégalaise à Treichville ou de la présence ancienne de Dioula27.
26Abidjan est d’une certaine manière le lieu d’une culture spécifique, qui est la conjonction d’une culture urbaine et d’une proximité avec le colonisateur. L’absorption calculée des valeurs coloniales et une fréquentation des instances de pouvoir ont fait de cette ville un espace de cristallisation de valeurs élitistes et d’idéaux du progrès et du développement. La culture urbaine abidjanaise est influencée par la présence importante de salariés, qui imposent un mode de vie, une manière d’habiter, des valeurs liées à l’économie monétaire. Par exemple, la pratique de la mobilisation, encouragée par les syndicats ou par l’Église catholique, sur des bases non raciales et non religieuses, fait partie de cet habitus urbain. La ville se déploie au début des années 1950 sur trois quartiers : le centre administratif, commercial et résidentiel au Plateau, les quartiers populaires d’Adjamé au nord et de Treichville au sud, comprenant en tout 125 000 habitants en 195528. Adjamé compte en 1956 12 000 croyants sur 65 000 habitants29. En 1966, les prêtres de Treichville dénombrent aussi 4 179 pratiquants dans la paroisse Notre-Dame de Treichville, et 1 966 sur celle de Sainte-Jeanne-d’Arc. Ces 6 145 pratiquants restent toutefois une petite minorité comparée à la population de Treichville estimée à 80 000 habitants30. La croissance urbaine passe par une densification de l’habitat et par un étalement urbain à l’origine de nouveaux quartiers portuaires (Williamsville, Cocody, Marcory, Koumassi, Zone 4 ou encore Port-Bouët).
Figure 10. Vue aérienne depuis le sud du quartier d’habitation de Treichville (premier plan) connecté au Plateau par le pont Houphouët-Boigny

Source : © ECPAD/Collections La Documentation française - Photo : Brémat.
Figure 11. Vue aérienne depuis le nord du quartier administratif et commercial du Plateau

Source : © ECPAD/Collections La Documentation française - Photo : Brémat.
27Treichville est le quartier des commis africains (comme le révèle le nom d’un de ses sous-quartiers, Commiskro). En octobre 1943, un arrêté « réserve à l’usage exclusif d’habitation pour les Africains les terrains de l’agglomération de Treichville » : ce quartier devait loger les travailleurs qui se rendaient quotidiennement au Plateau occupé par les Européens. Simone Kaya le décrit dans les années 1950 comme un quartier de fonctionnaires, dont les enfants traversent le pont pour se rendre chaque jour à l’école coloniale au Plateau ou à Adjamé31. Selon Marc Le Pape, Treichville est le premier quartier bénéficiaire de logements subventionnés, dont la taille et le plan correspondent à un modèle familial nucléaire. La Société immobilière d’habitation de la Côte d’Ivoire (SIHCA) créée en 1955 s’engage ainsi dans un plan de construction de logements économiques face à la crise du logement. Les trois catégories de logement dessinent le profil de la population urbaine envisagée par les constructeurs : hommes célibataires employés comme manœuvres et résidents temporaires, couples mariés dans des deux-pièces, et enfin attributaires plus aisés bénéficiant d’une chambre supplémentaire. Si les premiers programmes de construction reflètent encore une résistance à l’installation d’Africains en ville, les suivants sont dédiés à un habitat familial32.
28Cœur de la ville africaine, ce quartier accueille très tôt le siège du PDCI, la maison des anciens combattants, ce qui en fait le noyau des principaux affrontements partisans au moment du ralliement des partis politiques à Houphouët-Boigny avant 195833. D’autre part, c’est un lieu de sociabilité intense puisque le principal dancing de la ville, l’Étoile du Sud, s’y trouve à côté du grand marché reconstruit avenue 1, à quelques pas de la lagune, en 195634. D’autre part, c’est à Treichville que l’administration coloniale expérimente ses projets sociaux, même si de véritables infrastructures sanitaires n’y seront installées que tardivement (premier hôpital en 1953, absence d’adduction d’eau35). Ce quartier lié à la présence française concentre le plus grand nombre d’adhérents à l’Action catholique des foyers, avec six groupes de réunions (Sainte-Anne, Saint-Mathieu, groupe de l’habitat, groupe Saint-Pierre et Saint-Paul, camp des cheminots, camp CFAO) qui ne cessent de grossir (addition du groupe Saint-Christophe), démontrant la vitalité du catholicisme local36.
29L’adhésion au catholicisme est mise en scène de façon démonstrative dans ce contexte urbain. Des hommes et quelques femmes, appartenant à cette classe d’intermédiaires de l’administration coloniale, salariés du privé ou du public, professent leur volonté de pratiquer cette conjugalité spirituelle. La cotisation annuelle pour devenir membre de l’ACF, de 500 francs par foyer, rabaissée à 300 francs pour les foyers ne sachant pas lire, représente près de 10 % du salaire minimum interprofessionnel. Le conseil d’administration de l’Action catholique des familles, qui inclut les personnalités les plus engagées, comprend des hauts cadres comme Joseph Amichia, secrétaire de l’Assemblée territoriale, et d’autres plus modestes comme Bernard Nevry, ouvrier à l’imprimerie, Felix Yoboué, moniteur d’enseignement, Marie Ballet, jardinière d’enfants, Joséphine Roland, monitrice d’enseignement privé, Pierre N’Da, ouvrier à l’imprimerie du gouvernement, Gérard Banga, dessinateur à la RAN, Julien Coffie, commis d’administration générale, Paul Senghor, agent breveté des douanes37. Ce succès local de l’Action catholique peut se comprendre comme une rencontre entre une morale de l’individu portée par l’Église et son ressaisissement local par des couples qui dénoncent la lourdeur des sollicitations auxquelles ils sont soumis en ville.
30Les raisons de l’engagement dans l’ACF peuvent se lire à l’aune des pratiques auxquelles souhaitent renoncer ses membres. Ces mêmes groupes prônent le repas en commun et tiennent des discussions mixtes, incluant les femmes, pour réfléchir aux « principales coutumes qui entravent la famille africaine »38. Le thème est donné dès la troisième session d’étude annuelle avec les groupes nationaux en 1954 à Treichville, mais il est régulièrement posé aux groupes d’Action catholique régionaux, comme à Mossou en 1955 où une « soixantaine de couples » sont présents, en provenance des villes du Sud ivoirien39. Or la retranscription de ces « obstacles coutumiers » démontre en particulier une volonté de s’affranchir des servitudes du cadre urbain et d’ améliorer ses conditions matérielles de vie. Ils dénoncent l’absence de solidarité financière du couple, l’éviction des femmes au moment de la mort de leur mari, l’exclusion du mari des bénéfices économiques de leur femme ou l’ignorance dans laquelle sont les femmes du salaire de leur mari, les interdits sexuels au moment de l’accouchement, la fuite des femmes chez leurs parents, l’hébergement des dépendants en ville par des couples et la dépense que cela implique. Si ces récriminations répondent de manière significative aux préoccupations de la hiérarchie catholique (notamment parce qu’elles dénoncent « l’ingérence des parents dans le foyer de leurs enfants »40), leur formulation par des employés salariés peut effectivement incarner des préoccupations actuelles.
31En 1956, en réponse à la campagne des « repas en commun » lancée par l’ACF, des hommes africains affirment dans Foyer chrétien que ces moments permettent de mettre fin à l’infériorité des femmes vis-à-vis des hommes scolarisés en leur restituant leur place de ménagère, qu’ils autorisent l’entente conjugale en ouvrant le dialogue entre les conjoints jusque-là séparés dans des classes de sexes. Enfin, ces repas, continuent-ils, permettent d’inculquer aux femmes une socialisation moderne, un goût de la conversation avec leur mari41. Pierre N’Da notamment fait l’éloge de ces réunions dont il célèbre le caractère salvateur pour la paix conjugale. Ces occasions sont du reste une manière de perfectionner les principes énoncés dans les journaux, et de montrer par l’exemple un nouvel éthos physique et une intimité conjugale démonstrative. Le repas commun devient ainsi la manifestation des partisans du couple catholique42. Au repas s’ajoutent d’autres manifestations de l’appartenance religieuse : la procession urbaine y est une manière courante à la fois d’impressionner des prétendants à la conversion, de resserrer le lien communautaire ou d’afficher ouvertement sa foi. En 1953, la fête de Pâques est l’occasion du baptême de plus de cent personnes ; la même année l’Église reçoit la confirmation de quatorze couples catholiques43. Au moment de l’année mariale en 1954 par exemple, la statue de Marie est amenée chaque soir en procession d’une maison à l’autre pendant trois mois par des assemblées de croyants44. Cette démonstration de l’appartenance religieuse peut être autant une preuve de la foi vécue qu’un moyen de signifier son appartenance à un nouveau groupe social, fédéré autour de ses convictions sur la conjugalité et l’individu.
32De plus, le vœu de solidarité financière du couple répond à un impératif urbain d’optimisation des ressources, compte tenu de la cherté du coût de la vie à Treichville et de la difficulté de trouver un logement45. Les tensions occasionnées par la présence de dépendants, ruraux ou non, venus habiter en ville sont encore fréquentes à Abidjan où les unités domestiques sont rarement constituées d’une famille nucléaire46. Dans son analyse de l’enquête ménage de 1956 à Abidjan, Marc Le Pape relève que les unités d’habitation abritent plusieurs dépendants, ce qui exclut qu’elles puissent être réservées au seul ménage. Ces entités domestiques augmentent avec les ressources du conjoint, démontrant la propension des salariés urbains à assumer la charge financière de la parentèle. La pièce Entraves de François Amon d’Aby représente un couple, les Koffi, nouvellement mariés, soumis à l’arrivée progressive de leur « parenté » villageoise, poussant le mari à fuir le foyer. La pièce associe l’arrivée de cet entourage rural à une désagrégation du couple conjugal47. L’insistance sur le budget conjugal et la primauté du couple venait mettre un terme aux sollicitations dont les urbains faisaient l’objet.
33La lutte contre les interdits sexuels et la fuite des femmes chez leurs parents renvoie par ailleurs à une optimisation de la disponibilité sexuelle des femmes alors que les urbains de fraîche date trouvent rarement les ressources de prendre une autre épouse48, et que le commerce sexuel rémunéré est onéreux. Le même groupe dénonce la prostitution des « toutous » de Treichville qui prennent « 200 francs soit l’équivalent d’une journée de travail d’après les accords négociés récemment »49. Cette accusation portée au nom de la cherté de la vie, et non de la moralité, au sujet d’un commerce disponible gratuitement au sein du couple conjugal, renvoie encore à la capacité d’optimisation économique du couple en ville où le coût des services est important. La valeur reproductive des services féminins est encore mise en avant par Joseph Amichia dans sa plaidoirie pour le partage des ressources : « la femme a une valeur économique, même si elle n’apporte pas un salaire à la maison et […] à ce titre elle a le droit avec ses enfants aux biens du mari »50. Enfin la lutte contre l’éviction des femmes de la succession de leur mari ou l’opposition à leur répudiation pendant le mariage contribuent encore à intéresser les femmes au sort matériel de l’époux dont elles peuvent hériter. Une enquête relayée par Foyer chrétien interroge les couples sur « les questions relatives à l’argent » et notamment sur une « entente (conjugale) vis-à-vis des économies à réaliser », où les rédacteurs associent intimité et unité conjugale, et gestion parcimonieuse et concertée des ressources communes51.
34Quoique limitée en nombre, l’action catholique essaime par son appréhension de toutes les catégories d’âge. Différentes associations assurent l’encadrement des couples avant le mariage, l’ACF étant réservée à celles et ceux qui s’engagent dans les fiançailles ou aux couples mariés. Ces mouvements de jeunesse à destination des plus jeunes comprennent d’abord les Cœurs vaillants âmes vaillantes, dont le principe était apparu en métropole pendant le régime de Vichy, encadrant les enfants entre 8 et 12 ans. Un premier groupe à Adjamé à l’initiative de l’École catholique occupe les enfants sur le temps extrascolaire. Un second rattaché aux sœurs Notre-Dame-des-Apôtres se structure en 195352. La JOC et la JEC prennent le relais sur les classes d’âge plus élevées : à Treichville, depuis 1950, un mouvement de Jeunesse étudiante chrétienne vient s’ajouter à la Jeunesse ouvrière chrétienne, et ceux-ci sont complétés en 1956 par la Légion de Marie. Pierre Trichet donne pour la paroisse d’Adjamé en 1956 deux équipes de JOC et JOCF, deux équipes de JEC et JECF, trois groupes de la Légion de Marie. Une partie provient sans doute des effectifs scolaires estimés à 575 garçons et 734 filles scolarisés dans les écoles catholiques53.
35Enfin ces croyants sont particulièrement représentés parmi les étudiants du supérieur ivoirien, en particulier après l’indépendance : une lettre de l’évêque d’Abidjan en 1964 aux responsables de la formation chrétienne du monde scolaire décompte 7 500 garçons et 1 500 filles dans l’enseignement public supérieur dans la capitale : 50 à 60 % d’entre eux se déclarent catholiques. Ce chiffre inclut toutefois la minorité européenne scolarisée dans les mêmes établissements. Les résultats de l’enquête épiscopale sont toutefois à nuancer car seuls 7 % de ces élèves suivent le catéchisme, tandis que seulement 557 jeunes se disent « militants chrétiens » rappelant par là leur appartenance à un mouvement chrétien tel la JEC54.
36La conjugalité spirituelle adoptée par des habitants de Treichville démontre la propension de la référence catholique à inspirer un nouveau positionnement social, en particulier de nouveaux comportements économiques qui passent par le resserrement de la distribution sur le couple. En France également, des mouvements catholiques avaient réfléchi à une revalorisation de la tâche reproductive féminine dans l’entre-deux-guerres : l’Union féminine civique et sociale d’Andrée Butillard par exemple n’était pas loin de revendiquer un salaire féminin55. Cette reconnaissance qui implique aussi une assignation aux rôles maternels était toutefois mobilisée tout différemment par des hommes catholiques dans le contexte ivoirien : il s’agissait non de rendre visible le travail domestique courant dans les familles, mais de promouvoir la domestication des femmes au service de la nouvelle économie salariée urbaine et l’interdépendance genrée dans le cadre conjugal. Aussi, les obstacles que dénoncent les membres de l’Action catholique sous le terme de coutumes sont spécifiquement urbains : leur dénonciation grâce à une rhétorique religieuse est une manière d’aménager un nouveau cadre acceptable de gestion de leurs ressources.
L’éducation genrée catholique dans les années 1960
La femme s’intéressera à sa nouvelle maison, la tenant propre, ordonnée, agréable, accueillante. Le mari procurera à sa femme le nécessaire pour lui faciliter le travail : outils ménagers, batterie de cuisine. Les époux prendront toutes les décisions ensemble : éducation des enfants, budgets à établir […]. Les époux prendront leur repas ensemble et à table […]. Madame sera présente aussi quand Monsieur recevra des amis, de la famille. Ils aimeront sortir ensemble. Elle prendra part aux conversations.56
37Les prescriptions conjugales catholiques comportent d’importantes préconisations sur la manière dont homme et femme doivent agir ensemble et en société. Comme le reflète cet extrait, les conditions socio-économiques de l’amour romantique sont un homme pourvoyeur et une femme au foyer. La concorde du couple repose sur l’accession à des biens de consommation courants, et leur intimité a aussi beaucoup à voir avec leur gestion commune de l’argent. L’amour romantique promu par la pastorale, s’il s’attache au développement de la personnalité individuelle et de l’introspection, se fixe aussi sur de nombreux objets tangibles dont la matérialisation par les hommes ou les femmes fait la preuve d’amour. L’éducation de genre est donc centrale pour préparer la constitution d’un foyer, établir les attentes respectives et ainsi encoder les signes du romantisme. Toutefois ces devoirs sont plus nombreux pour les femmes que pour les hommes.
De l’éducateur au responsable
38Foyer chrétien, comme d’autres journaux à sa suite, insiste sur le devoir des maris dans l’éducation de leurs épouses.
Désirer sincèrement que notre femme soit à notre niveau, c’est bien, mais qu’avons-nous fait pour cela ? Faire connaître ses revenus à sa femme et l’aider à gérer le petit budget de notre famille, n’est-ce pas l’aider à prendre conscience de ses responsabilités ? Associer sa femme à l’œuvre d’éducation et d’entretien matériel de ses enfants n’est-ce pas poser les jalons de demain où la femme sera pleinement consciente de son véritable rôle ? […] lui raconter les principaux événements que nous apprenons nous-mêmes par la presse et la radio, l’intéresser à nos activités sociales.57
39Partant du constat pragmatique que les hommes passés par le secondaire sont souvent mariés à des femmes non lettrées où substantiellement moins éduquées qu’eux, en raison de la très grande inégalité du ratio de sexe en matière d’instruction, le journal incite à une sorte d’éducation conjugale de l’épouse. Que le couple soit pour la mission catholique un lieu d’assignation et de modelage des genres n’est pas nouveau, comme le remarque Denis Moran Savineau dans son rapport de 1939 : « quand un catéchiste va à l’école, autant que possible, sa fiancée y va aussi »58. Ce qui est nouveau dans l’éducation catholique, c’est la récupération de ce désir d’éducation par les hommes eux-mêmes, en dehors des institutions scolaires et par leur fait. Pour éviter d’alimenter le sentiment de déclassement des administrateurs africains, l’éducation féminine a été instituée par l’administration coloniale comme un moyen d’améliorer la cohabitation conjugale59. Pascale Barthélémy rapporte l’anxiété des élites masculines éduquées dans les années 1930 et 1940 quant au choix de leur épouse. Un débat dans la revue L’éducation africaine avait par exemple opposé dès 1938 le Voltaïque Ouezzin Coulibaly au Dahoméen Cyrille Aguessi. Alors que le premier déplore la futilité des femmes instruites et l’inadaptation des femmes illettrées pour les hommes éduqués, le second lui répond que la cohésion du mariage dépend autant de l’attitude du mari que de celle de la femme. Le préjugé résumé par l’expression des « demoiselles frigidaires » tenait en effet les femmes instruites pour de mauvaises mères et épouses, infatuées d’elles-mêmes et ignorantes de la vie africaine60.
40L’éducation masculine des catholiques consiste donc à en faire des tuteurs de leurs femmes et de leur famille, tout en modérant aussi leur penchant intellectuel, soupçonné de dissuader les femmes moins éduquées : « ne pas toujours parler » pour laisser le loisir à leur femme de le faire61, se montrer humble de son savoir pour ne pas s’en prévaloir auprès de sa femme62 mais aussi oser épouser des femmes éduquées dont ils se détournent. En outre, les hommes doivent travailler à dépasser la honte personnelle de se promener ou de se montrer avec leur femme, pour s’engager ensemble dans des temps communs en sorties, faites de cinémas ou de dîners avec des amis. L’ensemble de ces missions relèvent bien d’une « charge », qui fait de celui qui s’y plie un « héros des temps modernes »63. Ces recommandations signent l’origine sociale des lecteurs catholiques, plus instruits que la moyenne. Elles constituent aussi plus indirectement une réponse à ce débat sur les femmes instruites : en prônant l’éducation par les hommes, ces catholiques s’accommoderaient d’unions avec des femmes non instruites qui bénéficieraient, au sein de leur couple, d’une forme d’éducation conjugale. Si cela relève sans doute aussi d’une forme de pragmatisme, les valeurs enseignées par l’époux ne sont toutefois pas très éloignées de celles prônées dans les écoles coloniales.
Des femmes travailleuses du domestique et du conjugal
41Comment faire des femmes actives dans une économie capitaliste caractérisée par la rationalisation des moyens de reproduction ? Ainsi, l’éducation ménagère des femmes a-t-elle pour double objectif de rendre plus productif et efficace le travail domestique, de socialiser les femmes à la technicité d’une mécanisation domestique et aux principes hygiénistes d’un agenda prophylactique, et d’éduquer leur corps au désir masculin dans le cadre conjugal. L’éducation des femmes se caractérise aussi par l’élaboration de la sphère privée au travers de conseils sur l’aménagement mobilier de la maison, et enfin par un entraînement au désir parcimonieux dans le cadre consumériste64.
42L’insistance sur l’ordonnancement du foyer et son agrément vise à occuper les femmes dans un espace limité, tout en participant à l’élaboration d’un espace privilégié destiné à être le décor d’une vie conjugale : « la salle de séjour est la pièce la plus importante de la maison. Une salle de séjour agréable est nécessaire au bonheur d’une famille, elle doit être à l’image de la famille, accueillante, simple et gaie », explique une brochure d’éducation ménagère65. En particulier, leur temps domestique est régimenté par des préconisations très précises occupant plus de la moitié de la journée66. Occupées à laver et à entretenir, les femmes ne peuvent plus être commerçantes, activité de déambulation ou de présence, courante à Abidjan, qui occupent nombre de revendeuses dans les quartiers. Ces manuels encouragent en particulier la séparation de la cuisine et du lieu de vie, la construction de chambres séparant les parents des enfants, et si possible les garçons des filles, où sont mis en pratique des principes hygiénistes (ouverture de fenêtre, aération)67. À l’époque des premières constructions de logements sociaux à Abidjan, réservés à une élite qui a une capacité d’endettement, ces conseils impliquent l’engagement dans le salariat, des facilités d’accès auprès des sociétés immobilières, un privilège limité aux habitants de la SIHCA. Autrement dit, l’idéal de la sphère privée dépend de circonstances socio-économiques que l’urbanisme abidjanais même rend difficiles à atteindre. Le soin de la propreté et de l’ordonnancement de la maison vise en outre à optimiser le temps de repos masculin. Certains témoignages reportent d’ailleurs sur les femmes la volatilité masculine en supposant que c’est leur faible souci domestique qui rebute leur conjoint de rester au foyer68.
43L’agrément de cet espace, construit comme lieu de repos pour le travailleur, dicte aussi une accoutumance au désir masculin dans cet espace construit par les femmes pour les hommes. Cette éducation au désir masculin passe par différents ressorts : l’apparence physique est à soigner pour conserver les hommes à la maison. La provocation sexuelle est pourtant à proscrire, et le corps délimité à des attitudes convenables69 : s’habiller proprement, simplement, mais toujours de manière « coquette » sans que cela évoque pour autant un désir féminin exacerbé. Enfin, rechercher chez son mari des qualités intellectuelles et morales plutôt que des qualités physiques, ne pas se laisser entraîner par l’attraction, le coup de sang ou l’émotion soudaine, incite les femmes à choisir des époux chrétiens, travailleurs et attentifs à leur intériorité.
44Le principe du budget commun est enfin le fondement de l’ordre domestique : « ce que chacun gagne ce n’est pas pour lui mais pour le foyer » réclame ainsi Pirogue en 1972. Pourtant, la contribution de l’homme à cette dépense apparaît centrale, et les revenus des femmes sont peu mentionnés, ou seulement comme revenus complémentaires, en atteste ce budget-type proposé par un manuel d’économie domestique.
Tableau 1. Budget-type d’un ménage
Reste du mois passé | 450 francs |
Salaire du mari | 12 000 |
Gain de la femme (couture) | 1 600 |
Argent de poche (mari) | -1 500 |
Mis à la caisse d’épargne | -3 000 |
Abonnement journal | -650 |
Facture tissu | -1 700 |
1 paire sandales pour jeannette | -650 |
Allocations familiales | 2 340 |
Frais dispensaires pour André | -100 |
Reçu pour vente légumes | 2 000 |
Facture : 10 litres de pétrole | -230 |
Frais et fournitures scolaires | -550 |
Facture quincaillerie : une lampe à pétrole, une bassine pour la vaisselle, 1 plat pyrex | -920 |
Une chemise homme | -950 |
2 paires de chausses de nylon | -380 |
Réparation de la maison (nattes, serrures) | -1 200 |
Alimentation | -4 420 |
Entretien de la maison | -690 |
Recettes du mois | 18 390 |
Dépenses du mois | 17 520 |
Source : Économie familiale, Issy-les-Moulineaux, Éditions Saint-Paul (Les Classiques africains), 1964 ou 1976.
45Les revues insistent pour que les femmes soient responsables de la tenue du budget conjugal, tout en précisant qu’elles doivent y être éduquées. « Il est souhaitable que l’argent soit confié à la maîtresse de maison. Cependant, très souvent, elle n’est pas capable de bien le garder. Elle dépense tout pendant les deux premières semaines et à la fin du mois, tout le monde souffre parce qu’on manque du nécessaire »70. Les groupes de la JEC tiennent ainsi sur ce sujet des formations intitulées « budget-type d’une fille de notre âge, élève ou travailleuse », où sont expliquées les notions de recettes et dépenses, d’achat à crédit, d’emprunt, de tontine, ou encore d’épargne. Les jeunes filles sont invitées à réaliser leur budget mensuel pour « éviter les dépenses inutiles ou nuisibles pour nous ou pour les autres », tout en restant économes avec leurs biens pour ne pas les renouveler trop souvent71. Les biens du ménage doivent être acquis avec parcimonie : « Avoir une maison confortable ne veut pas dire faire étalage de richesse, de gaspillage d’argent »72. Les tissus, les chaussures doivent être choisis avec attention, et les habits et le linge de maison doivent être prioritairement réalisés à la maison pour épargner. Enfin, les grosses dépenses demandent consultation du mari et si besoin des parents. Les dépenses somptuaires associées aux cérémonies religieuses par exemple ne sont pas mentionnées ou qualifiées d’inutiles73. En de nombreux points, ces valeurs reprennent telles quelles celles qui avaient inspiré l’éducation des jeunes africaines à l’école normale ou à l’École de médecine de Rufisque. L’insistance sur une mise coquette et propre, l’inculcation d’une rationalisation domestique par les cours d’éducation ménagère, le réusage par les travaux d’aiguille… la valorisation de leur « africanité » en moins74.
46L’ambiguïté de l’éducation ménagère est qu’elle initie les lectrices à une foultitude de nouveaux objets, notamment la batterie de cuisine dont les ustensiles multiples impliquent une forte capacité de consommation75. Ces mêmes manuels prônent pourtant une consommation modérée et une maîtrise du budget en recommandant de faire des listes de courses avant d’aller au marché et de ne pas sortir des dépenses provisionnées. Leurs conseils visent à éviter le gâchis et la perte et une optimisation maximale des objets achetés. Timothy Burke a ainsi montré comment les femmes africaines sont entrées dans les stratégies des publicitaires par le biais des objets de la vie domestique76. L’étude de Nancy R. Hunt sur le Congo belge met en particulier en exergue l’attrait des « cadeaux » offerts aux femmes pour leur accouchement77. Elle suggère qu’un idéal hygiéniste occidental s’est transformé en commodité désirable dans le contexte colonial. L’enseignement ménager, assorti de toute une suite de recommandations d’équipement, sonne davantage comme la promulgation d’un idéal bourgeois et consommateur que comme une discipline de la sobriété et de la parcimonie qu’il était censé représenter78.
Figure 12. Brochure pour la pastorale chrétienne à Abidjan : l’idéal domestique, une consommation parcimonieuse

Source : Maguelonne Toussaint-Samat, L’Africaine et sa maison, couverture de la brochure, Issy-les-Moulineaux, Éditions Saint-Paul (Les Classiques africains), 1967.
47Cette socialisation à la consommation repose sur la négation de l’expérience coloniale fondée sur la division des habitudes alimentaires autorisées entre Européen·nes et Africain·nes. L’existence de marchés différents dans les quartiers ségrégés de Treichville et du Plateau, le système de ticket qui permet l’accès mesuré de certains fonctionnaires africains à des biens de consommation européens, la nouveauté de certains aliments comme le pain et la pâtisserie dont la diffusion avait été très contrôlée avant de constituer un nouveau marché pour les exportateurs de blé, rendent ces incitations à la consommation pour le moins ambiguës. Y prétendre n’est pas qu’une démonstration du changement des habitudes alimentaires, c’est à la fois la promesse de promotion sociale et la matérialisation de l’égalité de droit. Dans les années 1960, alors que ces restrictions légales disparaissent, ces aspirations égalitaires dans un cadre consumériste renvoient aussi à une nouvelle sujétion économique : le pouvoir d’achat des Ivoiriens salariés n’est pas suffisant, dans le cadre d’une économie extravertie qui produit peu de biens de consommation courante et qui importe beaucoup, pour vivre selon les standards de consommation affichés par ces brochures.
48En outre, les femmes sont réputées affectionner particulièrement ces nouveaux biens et en faire la condition de leur attachement : « ne traîne pas des fiançailles en longueur sous prétexte de robes, de machine à coudre, de nourriture », « ne pas toujours demander des cadeaux »79. Très tôt l’Église relaie des discours selon lesquelles les femmes négocient leur accès à ces nouveaux biens de consommation auprès des hommes. Comme le montrent les chapitres suivants, cette réclamation matérielle s’appuie sur le fait que les hommes accèdent de manière privilégiée aux biens de consommation coloniale, parce qu’ils bénéficient d’un salaire ou de services sociaux et des avantages affiliés. La réponse catholique consiste donc à associer hommes et femmes au même budget, en faisant un enjeu essentiel de l’entente et de l’amour conjugal.
49Toutefois, au travers de cette éducation financière, qui va occasionnellement jusqu’à l’incitation au travail salarié des femmes pour satisfaire les besoins de consommation (comme dans la brochure « Préparons notre foyer » de 1966), des formes d’émancipation sont à l’œuvre.
Des mobilisations conservatrices
50Un « Manifeste des jeunes filles de Treichville » en 1956 met ainsi en valeur une forme d’appropriation des nouvelles valeurs chrétiennes de genre :
Nous les jeunes filles du groupe d’Amitié Notre-Dame nous affirmons qu’une jeune fille doit : 1. Bien s’habiller par plaisir et par devoir sans être provocante. 2. Se réserver le droit de tendre la main la première tout en répondant poliment à tous les saluts. 3. Refuser toute boisson alcoolisée dans les réunions mondaines. 4. Accepter les cadeaux d’un ami connu depuis longtemps, sans esprit de marchandage et savoir aussi les refuser. Préparer le mariage avec un « caractère », « une valeur morale » plutôt qu’avec un « scooter ou un frigidaire ».80
51Cette prise de parole publique, qui conforte l’assimilation de rôles féminins, révèle cependant la mise en place de groupes autonomes, fondés sur une identification d’âge et de classe, qui prennent aussi des allures institutionnelles dès lors qu’ils deviennent de véritables organes de l’Église catholique.
52Si cette éducation religieuse prédispose à une « domesticité occidentale », les ressources capitalisées par cet enseignement n’ont pas toujours été mises à profit de la manière qu’envisageaient les concepteurs de ces systèmes scolaires. En cela, les femmes ivoiriennes ne sont pas bien différentes des femmes sénégalaises étudiées par Pascale Barthélémy qui note ainsi les effets inattendus de l’éducation coloniale : « en créant ces établissements d’enseignement, les autorités françaises n’avaient nullement l’intention de faire évoluer la condition individuelle des femmes concernées. L’objectif était d’accroître le contrôle des populations en créant des ménages modèles, loyaux à l’égard de la métropole »81. Pourtant, le mariage n’est pas resté, pour ces « catégories lettrées », un horizon d’achèvement unilatéral.
53Certaines femmes en tirent les motivations d’une vie indépendante, comme l’auteure Akissi Kouadio qui explique que « dans [le] mouvement [de la JOC], on critique tout, aussi on devient plus sensible que les autres filles ». Et elle oppose son éveil critique à celui de la « femme de village qui ne voit rien, qui ne connaît rien et qui accepte tout de son mari »82. Tout en délimitant un champ d’action légitime restreint, l’éducation genrée met aussi en capacité : le monde ne veut pas de « femmes poupées », écrivent ainsi les rédacteurs de Morale familiale. « La femme de demain devra prendre des initiatives, diriger une maison, éduquer et élever des enfants »83. Autrement dit, cette éducation par la valorisation du rôle individuel permet à certaines femmes de se poser la question de leurs préférences personnelles : « je préfère rester vieille fille que de souffrir mariée »84. Pour d’autres, l’engagement politique et social prôné par l’Église a l’effet d’accélérer ou de faciliter leurs mobilisations sur le thème très défini de leur situation familiale.
54Certaines femmes reconvertissent en effet ces apprentissages dans la sphère publique où elles revendiquent une forme de citoyenneté féminine :
Il s’agit pour nous de « forcer l’allure » : il s’agit pour toi, ménagère, de ne plus t’attarder chez les voisines ou au marché alors qu’à la maison tu as à enseigner les premiers rudiments de la vie – les plus importants – à tes enfants, à tenir propre ta maison pour que ton mari en soit fier, et à mettre de l’amour et de la bonne entente chez toi et autour de toi […]. Il s’agit pour toi, commerçante, quelle que soit ta marchandise, de la vendre propre, saine, bonne, et au prix normal […]. Il s’agit pour toi couturière de façonner ton ouvrage avec amour, avec attention et avec efficacité […]. Il s’agit pour toi secrétaire de t’intéresser à ton travail…85
55Extrait de « L’œuvre de la femme ivoirienne dans la construction nationale », écrit par la journaliste Tefana, pour le journal Fraternité, cette incitation à la probité par le travail rejoint l’éthos catholique précédemment exposé, et démontre le réinvestissement de l’éducation féminine catholique dans des causes nationales. Dans la continuité des travaux de Pascale Barthélémy sur les femmes scolarisées à l’école coloniale, ce témoignage montre que l’éducation genrée des femmes fut aussi pour certaines vecteur de mobilisation, bien qu’elles convoquent un vocabulaire binaire pour la justifier. Elles exploitent ainsi la mince ligne de tolérance ouverte par le catholicisme étatique en avançant que la sphère privée participe de la sphère publique, que le rôle domestique des femmes consolide l’unité nationale. Alors que les travaux sont plus nombreux aujourd’hui pour démontrer le potentiel mobilisateur du communisme, notre exemple montre que le catholicisme rénové des années 1960 fut aussi susceptible de porter des discours militants86.
*
56Le présent chapitre met en évidence une certaine conception de l’amour conjugal à Abidjan dans les années 1950 : les mouvements de l’Action catholique et des jeunesses chrétiennes fournissent en effet vocabulaire et modes d’expression à ces adhérents, favorisant la communauté financière, le développement du temps conjugal privilégié, l’entraide des époux pour former une équipe prête aux aléas de la vie urbaine. Ces conceptions offrent aussi l’opportunité d’un positionnement différent de ces couples vis-à-vis des primo-arrivants urbains qu’ils sont sommés d’héberger. Ces pratiques conjugales sont pétries du discours développementaliste soutenu par l’Église ivoirienne tendant à la consolidation du budget conjugal aux dépens de la « grande famille ».
57L’amour romantique catholique s’illustre dans les années 1950 et 1960 à Abidjan par l’adoption de codes visibles tels les repas en commun, la procession urbaine ou les temps séparés de l’intimité. D’abord proposés par des prêtres au sein de mouvements de laïcs, ces signes sont revendiqués par des centaines de personnes pour qui ils deviennent un outil de gestion de la vie urbaine, une stratégie d’épargne et de promotion individuelle. Telles les femmes lagosiennes qui, à la fin du xixe siècle, s’engagèrent dans la conjugalité monogame en espérant y trouver des moyens de protection87, ces Ivoiriens et Ivoiriennes illustrent la façon dont les pratiques romantiques trouvent un écho dans des conditions urbaines spécifiques. Ce chapitre révèle aussi l’internationalisation des pratiques romantiques par le biais de l’Église catholique : en effet, la « préparation au mariage » prend son essor de manière concomitante en Europe, outre-Atlantique et sur le continent africain qui devient à cet égard aussi un pôle d’expérimentation mené par les laïcs eux-mêmes.
58On doit toutefois ici nuancer le constat d’une adhésion pleine et entière à ces modèles par le faible nombre de personnes qui sont effectivement concernées, une minorité dans une minorité religieuse. D’autre part, des témoignages oraux recueillis nous incitent encore à être prudents quant à la transparence de ces sources catholiques : les médias catholiques ne reflètent encore que ce que les croyants veulent bien laisser voir et non leurs pratiques effectives. Cécile Attobra, un temps résidente chez François et Catherine Amon d’Aby, rapporte ainsi le fait qu’ils accueillent plusieurs enfants d’origine rurale chez eux afin de leur permettre de se scolariser88. Pourtant, François Amon d’Aby défend ardemment la conjugalité catholique par ces écrits (Entraves, Adjoa). Certaines de ces préconisations conjugales relèvent ainsi peut-être plus du vœu que de la réalité.
59Les codes de l’amour romantique s’appuient en outre sur une éducation genrée catholique dispensée plus largement encore que la pastorale conjugale, au travers des nombreux mouvements de jeunesse à Abidjan. Les femmes en sont les cibles privilégiées : sur elles repose une partie importante de la concorde conjugale, que ce soit par leur préservation du foyer, leur adaptation aux désirs masculins, ou encore leur gestion raisonnable du budget commun. Toutefois, cette sociabilisation genrée accoutume aussi hommes et femmes à des pratiques de consommation associées à la constitution d’une sphère domestique. Elles contribuent peut-être, à la suite de la politique d’allocations familiales que nous nous apprêtons à étudier, à la détermination de rapports de genre cristallisés sur la négociation de biens matériels.
60En effet les institutions catholiques présentent dans les années 1950 de nombreux points communs avec les services de l’action sociale émergents, et ils contribuent peut-être ensemble à la constitution d’un nouveau vocabulaire de réclamation pour les hommes et les femmes.
Notes de bas de page
1Jan Plamper, « Le discours de l’anthropologie », Histoire des émotions, vol. 3, J.-J. Courteline et G. Vigarello éd., Paris, Seuil (L’Univers historique), 2017, p. 13-36. Barbara Rosenwein, pionnière dans ce domaine, définit des « communautés émotionnelles » propres à des groupes sociaux en se basant sur une recollection du lexique mobilisé par les sociétés médiévales et recontextualisé à l’aide de références antiques. Dans cette étude, les émotions expriment des normes, susceptibles aussi d’évoluer avec les transformations politiques ou sociales, et le langage prend un caractère performatif. « Émotions en politique. Perspective de médiéviste », Hypothèses, no 5, vol. 1, 2002, p. 315-324 ; Damien Boquet, « Le concept de communauté émotionnelle selon B. H. Rosenwein », Bulletin du centre d’études médiévales, hors série no 5, 2013. En ligne : [https://doi.org/10.4000/cem.12535].
2Eva Illouz, Consuming the Romantic Utopia: Love and the Cultural Contradictions of Capitalism, Berkeley / Londres / Los Angeles, University of California Press, 1997, p. 3-11.
3Ismaël Moya, De l’argent aux valeurs. Femmes, économie et société à Dakar, Nanterre, Société d’ethnologie, 2017 ; Altaïr Despres, « Des histoires avec lendemains. Intimité transnationale et ascension sociale des beach boys de Zanzibar », Actes de la recherche en sciences sociales, no 218, 2017, p. 82-99 ; Anne Attané, « Se marier à Ouahigouya : argent et mutation des rapports sociaux de sexe, d’âge et de génération au Burkina Faso », La valeur des liens. Hommes, femmes et transactions familiales, A. Martial éd., Toulouse, Presses universitaires du Mirail (Les anthropologiques), 2009 ; Julie Castro, « “Les filles sont trop matérialistes”. Tensions et soupçons dans les échanges économico-sexuels à Bamako », Économies morales contemporaines, D. Fassin et J.-S. Eideliman éd., Paris, La Découverte (Recherches), 2012, p. 309-330 ; Megan Vaughan, « The history of romantic love in sub-Saharan Africa: between interest and emotion », Proceedings of the British Academy, no 167, 2009, p. 1-24.
4Les études antérieures sur l’amour dans le contexte colonial ont privilégié des sources privées ou encore médiatiques. Elena Vezzadini, « Love at the time of independence. The debates on romantic love in the Sudanese left-wing press in the 1950s », Égypte/Monde arabe, vol. 1, no 14, 2016, p. 197-221 ; Andreana Prichard, « “Let us swim in the pool of love”: love letters and discourses of community composition in twentieth century Tanzania”, The Journal of African History, vol. 54, no 1, 2013, p. 103-122.
5Brochure Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours de Treichville, anniversaire de 25 ans, paroisse de Treichville.
6Bernard Yago, « Un fléau en Côte d’Ivoire, “le matriarcat”, extrait d’une conférence prononcée à Treichville le 12 avril 1948 », Lyon, imprimerie des SMA, bibliothèque des archives des Sociétés des missions africaines de Lyon (SMA), Rome.
7« Mission catholique de Man, étude collective de la dot par le village ». Non daté, entre 1949 et 1958, « Dossier sur l’Action catholique des familles (ACF) par Lombardet », SMA, Rome.
8Morale familiale, Issy-Les-Moulineaux, Éditions Saint-Paul (Les Classiques africains), 1961, p. 35.
9« La promotion de la femme », Pirogue, no 5, Archives de la cathédrale d’Abidjan.
10Jean-Paul Eschliemann, Renzo Mandirola, « Des hommes nouveaux pour des familles nouvelles », Tankessé, 1982, 1M85, SMA, Rome.
11« Lancement d’un groupe d’ACF sur le quartier Habitat », non signé attribué à Lombardet, « Dossier sur l’ACF », SMA, Rome.
12Agnès Walch cite un premier groupe au Sénégal en 1953 mais elle ne mentionne pas la Côte d’Ivoire : La spiritualité conjugale dans le catholicisme français, xvie-xxe siècle, Paris, Cerf, 2002, p. 447.
13Bruno Dumons, « L’invention de la “préparation au mariage” dans l’Église catholique en France (1930-1960) », Annales de démographie historique, vol. 2, no 134, 2017, p. 173-192.
14Rev. John Philip, 1828, cité par John L. Comaroff et Jean Comaroff, Of Revelation and Revolution: Christianity, Colonialism, and Consciousness in South Africa, vol. 1, Chicago, University of Chicago Press, 1997, p. 230.
15A. Walch, La spiritualité conjugale dans le catholicisme français, ouvr. cité, p. 419-424.
16Messages chrétiens, no 5, janvier 1954, SMA, Rome. Un nouvel article dans le numéro 17 de février 1955 rappelle une nouvelle fois le « devoir de s’asseoir ».
17Le père Henri Caffarel à l’initiative des Équipes Notre-Dame, a été secrétaire de l’Action catholique entre 1934 et 1936. Il a pu à ce titre transposer des techniques disciplinaires des mouvements de jeunesse vers les couples. A. Walch, La spiritualité conjugale dans le catholicisme français, ouvr. cité, p. 424.
18Foyer chrétien, no 21, août-septembre 1957.
19Claire Nicolas, « Sport, citoyenneté et genre en Afrique de l’Ouest : histoire sociale et politique comparée de la jeunesse au Ghana et en Côte d’Ivoire », thèse de sciences politiques soutenue à l’université de Lausanne, 2019, p. 250-257.
20AMA 24C, SMA, Rome.
21« Bulletin de l’AC en Côte d’Ivoire », L’écho des Missions africaines de Lyon, no 3, 1967, SMA, Rome.
22Rencontre, no 18, septembre 1966, Bibliothèque de l’Université Catholique d’Afrique de l’Ouest, Abidjan. « Préparons notre foyer », 1966, brochure ronéotypée, collection personnelle de l’autrice, note dactylographiée en première page, « brochure d’Aboisso », achetée au marché d’Adjamé.
23Eva Illouz et Yaara Benger Alaluf, « Le capitalisme émotionnel », Histoire des émotions, vol. 3, J.-J. Courteline et G. Vigarello éd., Paris, Seuil (L’Univers historique), 2017, p. 56-75.
24« Préparons notre mariage », Pirogue, no 1, 1971, Archives de la cathédrale d’Abidjan.
25« Préparons notre foyer », 1966, brochure ronéotypée, collection personnelle.
26Marc Le Pape, L’énergie sociale à Abidjan. Économie politique de la ville en Afrique noire 1930-1995, Paris, Karthala, 1997 ; Jean Rouch, Moi, un noir, Les Films de la Pléiade, 1958, 78 min.
27Marie Miran-Guyon, Islam, histoire et modernité en Côte d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006.
28Philippe Antoine et Claude Herry, « La population d’Abidjan dans ses murs. Dynamique urbaine et évolution des structures démographiques entre 1955 et 1978 », Cahiers ORSTOM, série Sciences humaines, vol. 19, no 4 : Abidjan au coin de la rue. Éléments de la vie citadine dans la métropole ivoirienne, Philippe Haeringer éd., 1983, p. 378.
29Pierre Trichet, Histoire de la paroisse St Michel d’Adjamé, Adjamé, Édition Paroisse d’Adjamé, 2003.
30Les quartiers en croissance à proximité comptaient également 1 433 pratiquants sur 21 000 habitants à Marcory, 1 066 à Koumassi sur 25 000 habitants, 1 253 à Port-Bouët sur 35 000 habitants. Rencontre, no 14, avril 1966, UCAO, Abidjan.
31Simone Kaya, Les danseuses d’Impé-Eya, jeunes filles à Abidjan, Abidjan, INADES, 1976.
32M. Le Pape, L’énergie sociale à Abidjan, ouvr. cité, p. 55-58.
33Pour une idée de l’intensité des bagarres politiques qui se déroulaient dans ce quartier : Aristide Zolberg, One-Party Government in the Ivory Coast, Princeton, Princeton University Press, 1969, p. 205 et 304.
34Entretien avec Jeannette, en présence de Boniface, 23 mai 2016, Treichville Habitat, 60 minutes. Jeannette a grandi à Treichville et y réside encore aujourd’hui. Elle est une des quatre femmes de ce quartier, rencontrées à la paroisse, que j’ai pu interviewer.
35Lettre de Vame Doumouya à l’Assemblée, 3e et 4e session du 4 au 22 août 1952, Archives de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, AANCI, Abidjan.
36Foyer chrétien, no 3, février 1956 ; Foyer chrétien, no 38, mai 1959, p. 4, SMA, Rome. Plusieurs groupes existent hors d’Abidjan mais ils sont généralement uniques par ville.
37Foyer chrétien, no 21, août-septembre 1957, SMA, Rome.
38Ibid.
39Dimbokro, Agboville, Biano, Boussoué, Sikensi, Abobo-Doumé, Adiopodoumé, Locodjo, Adjamé, Treichville, Port-Bouët, Grand-Bassam, Bonoua et Yaou, ibid. Également Foyer chrétien, no 35, janvier 1959.
40Messages chrétiens, no 2, octobre 1953, AMA 24C, SMA, Rome.
41Une réunion se tient par exemple chez Pierre N’Da le 21 juillet avec quatorze hommes. L’article précise à propos de l’homme qui mange seul : « cette façon de faire est une habitude païenne, qu’il faut faire disparaître. La femme n’est pas l’esclave de l’homme, mais son égale ». « Du nouveau à kommis-cro », Message chrétien, no 13, octobre 1954, SMA, Rome.
42La mention du repas pris en commun est présente dans les numéros 2, 5, 8, 15, 21, 36 et 40 de Foyer chrétien, ou encore dans Messages chrétiens no 13 ou 18 ; SMA, Rome.
43Écho des missions, no 8, novembre-décembre 1953, SMA, Rome.
44Messages chrétiens, no 13, octobre 1954, SMA, Rome.
45Abidjan est une ville constamment sous-équipée par rapport à la demande. Lettre du Syndicat des fonctionnaires des cadres locaux de la Côte d’Ivoire représenté par Dramane Touré à Monsieur le Président de l’Association territoriale, le 19 mars 1953, AANCI. Pour une analyse des revendications de logement fonctionnaire : Lisa Lindsay, Working with Gender, Wage Labor and Social Change in Southwestern Nigeria, Portsmouth, Heinemann, 2003, p. 146-154 ; Séverine Awenengo Dalberto, Hélène Charton et Odile Georg, « Urban planning, housing and the making of the ‘responsible citizens’ », Governing Cities in Africa: Politics and Policies, S. Bekker et L. Fourchard éd, Cape Town, HSRC Press (Politics and Policies), 2013, p. 43-64.
46M. Le Pape, L’énergie sociale à Abidjan, ouvr. cité, p. 62-64.
47François Amon d’Aby, « Entraves », Le théâtre populaire en Côte d’Ivoire, Abidjan, Cercle culturel et folklorique de la Côte d’Ivoire, 1965.
48Dans son enquête à Adjamé en 1970-1972, Raymond Deniel relève la préférence de 43 % des femmes et 29 % des hommes interrogés pour la polygamie : selon lui, la polygamie est en recul, plutôt en raison de la cherté de la vie urbaine que pour des préceptes religieux. Remi Clignet tire les mêmes conclusions : Many Wives, Many powers: Authority and Power in Polygynous Families, Evanston, Northwestern University Press, 1970.
49Foyer chrétien, no 4, mars 1956.
50« Pourquoi la communauté de biens ? », Foyer chrétien, no 6, mai 1956.
51Foyer chrétien, no 2, janvier 1956.
52P. Trichet, Histoire de la paroisse St Michel d’Adjamé, ouvr. cité.
53Ibid.
54Cas de mariage, questions de pastorales, Abidjan, 12/804.11, SMA, Rome.
55L’UFCS est un mouvement de l’entre-deux-guerres marqué par l’originalité de sa présidente, opposée au vote des femmes et à l’origine de « l’allocation de la mère au foyer » instaurée par le Code de la famille de 1939 et rebaptisée « allocation de salaire unique » en 1941. Sylvie Chaperon, Les années Beauvoir 1945-1970, Paris, Fayard, 2000, p. 63.
56Morale familiale, ouvr. cité, p. 36.
57Foyer Chrétien, no 5, avril 1956, p. 3.
58Denise Moran Savineau, « Rapport no 10, La Basse Côte d’Ivoire ; présentée à Monsieur le Gouverneur de l’AOF », 3 avril 1938, p. 33. En ligne : [https://www.francophoneafricaarchive.org/wp-content/uploads/2017/07/rapport10-1-1.pdf].
59Pascale Barthélémy et Jean-Hervé Jézéquel, « Marier les “demoiselles frigidaires” et les “mangeurs de craies” : l’idéal du ménage lettré et l’administration coloniale en Afrique-Occidentale française (AOF) », Perspectives historiques sur le genre en Afrique, Odile Goerg éd., Paris, L’Harmattan (Cahiers Afrique), 2007, p. 77-96 ; Pascale Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 139.
60Ibid., p. 234-236 et p. 240-244.
61Morale familiale, ouvr. cité, p. 32.
62« La promotion de la femme », Pirogue, no 5.
63« Témoignage d’un jeune foyer », Messages chrétiens, no 11, août 1954, AMA 24C, SMA, Rome.
64« Fabriquer un marché de masse à partir de la matière première des anciens sujets coloniaux était un projet profondément contradictoire, compris par les professionnels occidentaux comme la conversion de personnes étrangères [alien] avec des besoins étrangers [alien] en individus dotés d’un prétendu nouveau style occidental de désir de biens […]. Les femmes étaient perçues comme cruciales pour ouvrir des marchés et reproduire les pratiques consuméristes […] supposément “libérées” du patriarcat indigène, [elles] étaient donc vues comme culturellement malléables. […] La reproduction de nouvelles habitudes et pratiques était considérée comme un domaine féminin, réalisée dans le cadre de la vie familiale ». Timothy Burke, « “Fork up and smile”: marketing, colonial knowledge and female subject in Zimbabwe », Gendered Colonialisms in African History, N. R. Hunt, T. P. Liu et J. Quataert éd., Malden, Blackwell Publishers (Gender and History Special Issue), 1997, p. 121.
65Maguelonne Toussaint-Samat, L’Africaine et sa maison, Issy-Les-Moulineaux, Éditions Saint-Paul (Les Classiques africains), 1967.
66La brochure recommande un emploi du temps : « Une heure soin aux enfants, une heure ménage, quatre heures divers (lessive, achat, repassage, plantation, couture, nettoyage), trois heures cuisine ». Économie familiale, Issy-les-Moulineaux, Éditions Saint-Paul (Les Classiques africains), 1964 ou 1976.
67Après avoir dressé la liste exhaustive des meubles d’un intérieur domestique confortable, la brochure présente un emploi du temps destiné à occuper le temps féminin : chaque jour doit comporter un ménage partiel, dit-il, complété par un emploi du temps hebdomadaire qui fixe un ménage complet. L’Africaine et les sciences ménagères, enseignement ménager, hygiène, puériculture, Issy-Les-Moulineaux, Éditions Saint-Paul (Les Classiques africains), 1964.
68Réponses interposées entre Pierre N’Da et Marie Ballet « Comment la femme doit aimer son mari ? » « Comment l’homme doit-il aimer sa femme ? », Foyer nouveau d’Afrique noire, no 40, 1959.
69Morale familiale, ouvr. cité, p. 21.
70Économie familiale, ouvr. cité.
71« L’argent, bon serviteur, mauvais maître ; enquête campagne 1968-1969 », JOCF de Côte d’Ivoire, Cas de mariage, questions de pastorales (Abidjan), 12/804.11, SMA, Rome.
72M. Toussaint-Samat, L’Africaine et sa maison, ouvr. cité.
73« L’argent, bon serviteur, mauvais maître ; enquête campagne 1968-1969 », JOCF de Côte d’Ivoire, Cas de mariage, questions de pastorales (Abidjan), 12/804.11, SMA, Rome.
74L’autrice explique que les étudiantes se voyaient inculquer une « culture franco-africaine » dans la continuité d’une politique « d’association ». Rien de cette double appartenance dans les brochures catholiques qui visaient aussi plusieurs pays africains. P. Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), ouvr. cité, p. 126-130 et p. 135
75Après une liste des meubles de cuisine (« dans la partie salle à manger on trouve comme meubles principaux : – une table centrale, – un buffet pour ranger verres, assiettes, tasses et couverts, – des chaises assorties. Dans le coin salon on peut disposer : – une petite table, – quelques fauteuils ou chaises, – un divan, – un poste de radio sur un petit meuble. Quelques photographies ou gravures, une plante verte, un vase garni de fleurs contribueront à donner un ensemble harmonieux et gai »), le manuel propose une illustration de la « batterie de cuisine » qui comprend un mortier et un pilon, une friteuse, des plats à gratins, des cocottes-minute, des fait-tout, mais aussi un tire-bouchon, une râpe à gruyère, un moulin à café, une planche et un rouleau à pâtisserie. L’Africaine et les sciences ménagères, ouvr. cité.
76Timothy Burke, « “Fork up and smile”: marketing, colonial knowledge and female subject in Zimbabwe », art. cité, p. 121.
77Nancy Rose Hunt, A Colonial Lexicon of Birth Ritual, Medicalization and Mobility in the Congo, Durham/Londres, Duke University Press, 1999, p. 266.
78J’ai soutenu cet argument dans « Des femmes “évoluées” pour une nouvelle Nation (Côte d’Ivoire, 1964) », Cahiers d’études africaines, vol. 2, no 230, 2018, p. 373-398.
79Morale familiale, ouvr. cité, p. 21 et 31.
80Foyer chrétien, no 9, août 1956.
81Pascale Barthélémy, « “Je suis une africaine… J’ai vingt ans”. Écrits féminins et modernité en Afrique-Occidentale française (c. 1940-c. 1956) », Annales, vol. 4, no 64, 2009, p. 831.
82Akissi Kouadio, Un impossible amour, Abidjan, INADÈS Édition, 1983, p. 52.
83Morale familiale, ouvr. cité, p. 17.
84A. Kouadio, Un impossible amour, ouvr. cité, p. 52.
85« La femme ivoirienne a son rôle à jouer dans l’œuvre de construction nationale », Fraternité, no 157, 27 avril 1962.
86Pascale Barthélémy insiste ainsi sur la « médiation communiste » à l’origine de la participation des Ivoiriennes à la lutte anticoloniale au sein de la FDIP (Sororité et colonialisme. Françaises et Africaines au temps de la guerre froide, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2022, p. 123). Ophélie Rillon montre que la mobilisation militaire des femmes dans le régime socialiste a permis la création de milices féminines qui dérogeait à l’ordre de genre (Le genre de la lutte. Une autre histoire du Mali contemporain, chapitre 1, Lyon, ENS Éditions, 2022). Au contraire, Charlotte Walker Saïd au Cameroun montre l’engagement militant des femmes catholiques (« Fabrique du genre et sens national dans les organisations de jeunesse chrétienne au Cameroun, 1940-1950 », Le Mouvement social, vol. 2, no 225, 2016, p. 119-135).
87Kristin Mann, Marrying Well: Marriage, Status and Social Change among Educated Elite in Colonial Lagos, Cambridge, Cambridge University Press, 1985.
88Mme Cécile Attobra, entretien du 25 mai 2016 chez elle à Biafra, Abidjan, 90 minutes.
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