Chapitre 4
Le couple dans le développement
p. 107-131
Texte intégral
1« La pratique dotale [qui] met en circulation et de façon ininterrompue d’immenses capitaux [pourra à partir d’aujourd’hui] participer au développement du pays, pour le plus grand bénéfice des populations elles-mêmes »1. Cette citation d’un député de l’Assemblée nationale pendant le vote du Code civil reflète le biais économique par lequel la famille est abordée. Orienter ses dépenses somptuaires vers l’épargne monétaire et enfin investir dans des outils productifs, telles étaient les étapes par lesquelles les Ivoiriens contribueraient individuellement au décollage économique. Contrairement au modèle socialiste de ses voisins maliens, guinéens et sénégalais, avec qui la Côte d’Ivoire partage malgré tout un objectif de « mise au travail » des nationaux, le gouvernement d’Abidjan fait du couple l’unité de base de l’accumulation. Au Mali, c’est le village ou la communauté rurale qui fait l’objet d’un projet de développement. Ce « socialisme des ancêtres » est lui aussi basé sur la réinvention d’une unité pensée comme traditionnelle, la solidarité villageoise2. En Côte d’Ivoire, le couple patriarcal, inventé à partir d’une sélection des coutumes, est un emblème de la voie capitaliste de développement prônée par le chef d’État.
2Houphouët-Boigny a de longue date revendiqué la priorité du développement économique sur l’indépendance politique. « La constitution de 1946 a apporté à l’homme d’outre-mer des droits et des devoirs qui sont au citoyen ce que le squelette est à l’homme. Il faut animer ce squelette, lui donner un corps sain en élevant l’Africain économiquement et socialement à la hauteur de sa promotion juridique »3. Seule la promotion économique des individus viendrait selon lui donner de la chair aux nouveaux droits politiques. Dans le contexte de la guerre froide, ses partenariats l’avaient plus clairement situé du côté américain où il avait fait un long voyage officiel dès 1961.
3La provenance de l’aide financière et technique a un effet décisif sur la pensée du développement qui se met alors en place en Côte d’Ivoire. Dès 1961, la Côte d’Ivoire signe des accords de coopération avec la France qui incluent une coopération scientifique. Les anciennes institutions coloniales comme l’ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique d’outre-mer) et le FIDES (Fonds d’investissement et de développement économique et social, qui devient le Fonds d’action et de coopération en 1960) pourvoient au manque de savoir sur la société ivoirienne par la mobilisation d’une ressource essentielle, que le philosophe congolais Valentin Y. Mudimbe a appelé la « bibliothèque coloniale »4. Cette littérature grise pour une grande partie apportait en effet matière à gouverner. Vincent Bonnecase a montré comment se constitue progressivement dans les années 1940 et 1950 une volonté de savoir (démographique, sociologique, ethnographique) sur les colonies qui contraste avec les entreprises de connaissance antérieures5. L’ORSTOM, fondée sous Vichy en 1943 pour alimenter par des « recherches de base » la « mise en valeur du territoire », obtient ainsi une préséance en 1960 du fait que l’institution possède des fonds d’étude coloniaux qui constituent une base comparative6. Dans le même temps, le gouvernement ivoirien connaît aussi une forme de technocratisation de ses pratiques de gouvernement : le gouvernement par les chiffres s’impose, faisant des études et de la connaissance du territoire la base d’une intervention sur les populations. Jusqu’en 1965, Houphouët-Boigny conserve l’ancien administrateur colonial Raphaël Saller à la tête du ministère du Plan, et il obtient par là le financement conjoint avec le FAC (Fonds d’action et de coopération) de dispendieuses études régionales dès 19627.
4Le couple solidaire autour d’une unité de décision, dérivé de la catégorie statistique du ménage, constitue une élaboration de cette littérature grise. Il glisse bientôt d’une catégorie d’analyse à une catégorie prescriptive qui entre dans la loi en 1964. La première partie de ce chapitre revient sur une série d’études, dont certaines sont commandées par le gouvernement ivoirien après 1960, qui établissent des corrélations entre formes familiales et productivité. La seconde explore la généalogie de l’usage de la catégorie « ménage », qui suppose un fonctionnement familial de type conjugal, dans les études de développement en Côte d’Ivoire, malgré les limites évidentes qu’elle comporte. La dernière partie démontre enfin comment cette catégorie statistique est traduite en catégorie de gouvernement, la conjugalité, qui correspond par ailleurs aux impératifs de mobilisation de la main-d’œuvre.
Les familles étendues, obstacles à la productivité
La commande scientifique d’État, 1950-1965
5L’ORSTOM est restructuré en 1960 et son centre à Adiopodoumé (ouest d’Abidjan) devient un véritable terreau de production scientifique pour le compte du gouvernement ivoirien8. Les chercheurs y sont en majorité spécialisés dans l’amélioration des performances agricoles, mais un volet comprend des études sociologiques de la Côte d’Ivoire. Un comité technique de sociologie et de psychosociologie y mène alors particulièrement des études et des prospectives sur les groupes sociaux et leurs transformations face au développement9. Les chercheurs de l’ORSTOM sont aussi délégués sur la base de missions à durée limitée pour mener des enquêtes pour le compte du gouvernement, tel Alfred Schwartz qui travaille sur le port de San Pedro ou Jean-Marie Michotte qui est bientôt affecté au ministère du Plan ivoirien10.
6D’autres institutions et spécialistes viennent toutefois compléter ce producteur initial. Des personnalités proviennent d’organisations internationales, tel Jacques Royer qui est délégué par l’ONU pour une enquête agricole dans la région de Bouaké en 1954 et 1955, visant à estimer la surface agricole cultivée11. Le personnel métropolitain puis français de l’INSEE intervient, comme Mme Don ou Jean Causse qui participent en 1955 à l’enquête sur les budgets des ménages salariés à Abidjan. D’autres travaillent aussi dans de nouvelles entreprises parapubliques françaises comme la Société d’étude pour le développement économique et social (SEDES), dont la raison d’être est de produire un savoir de gouvernement. Créée en 1958 par quatre institutions financières, la Caisse centrale de coopération économique, la Caisse des dépôts, le Crédit national, la Banque française du commerce extérieur, l’objet de la société est de « mettre à la disposition des gouvernements, des organismes publics et des entreprises dans tous les pays qui font appel au concours technique de la France, des statisticiens, des économistes, des sociologues, des experts financiers afin d’étudier […], les aspects économiques et sociaux des projets d’investissement de toute nature »12. Bien que dans la continuité des années 1940, le « développement » des années 1960 change de spécialistes comme l’a bien montré par ailleurs Vincent Bonnecase13 : les administrateurs coloniaux n’ont plus le monopole de la production des connaissances, même si la diversification des signataires reste européenne.
7Après une série d’enquêtes monographiques, le gouvernement ivoirien systématise sa commande comme en attestent en 1962 les six enquêtes rurales commissionnées par le ministère du Plan ivoirien sur l’ensemble du territoire (Bouaké, Daloa, Korhogo, Man, Odienné et Abengourou). Entre 1960 et 1962, une baisse sévère du prix au kilo du café avait mis en danger les revenus nationaux, et l’objectif était alors de diversifier la production en identifiant « les autres cultures les plus rémunératrices »14. Ces enquêtes possèdent une trame commune qui comporte la démographie, l’habitat, les mouvements de population, l’étude agricole et les budgets familiaux. Elles sont confiées aux experts parisiens de la SEDES et du Bureau pour le développement de la production agricole (BDPA), et leurs résultats, qui couvrent l’ensemble du territoire, furent rendus parfois quelques années plus tard, jusqu’en 1967.
8Enfin, les services ministériels ivoiriens recrutent directement des chercheurs français, comme c’est le cas de Rémi Clignet qui fut responsable du premier Institut de psychosociologie. En 1970, Rémi Clignet résume ainsi la fonction qu’on lui confie en 1961 : « On m’avait demandé de faire une variété de prédictions concernant les comportements éducatifs et professions des personnes qui étaient exposées différemment aux forces modernisatrices ». Ses conclusions devaient en particulier porter sur « l’impact de la modernisation sur plusieurs groupes familiaux »15.
9Cette production scientifique a cela de nouveau qu’elle ne provient pas d’anciens administrateurs coloniaux, mais elle est en revanche toujours liée aux impératifs du gouvernement, national cette fois-ci. Des chercheurs ont un lien privilégié avec certains dirigeants politiques comme c’est le cas de Marc Augé entre 1965 et 1967, qui remercie, dans la préface de son étude anthropologique sur le littoral ivoirien, Philippe Yacé, président de l’Assemblée nationale16. Par ailleurs ces études ont nécessité à chaque étape un nombre très important d’enquêteurs africains dont les noms sont rarement repris. Pascal Kouamé N’Guessan ou Diomandé Brahima sont ainsi « enquêteurs préparateurs » sur les études des chercheurs de l’ORSTOM sans toutefois être auteurs. Dix ans plus tôt, durant l’enquête de Jean Royer, ces assistants de recherches étaient encore recrutés parmi les étudiants pendant les vacances scolaires ou encore dans le tout nouveau corps des « moniteurs d’agriculture du cercle de Bouaké », dont certains s’engagent par la suite de manière professionnelle dans les institutions du plan ivoirien17.
10La connaissance qu’ont les députés ivoiriens de ces recherches est attestée par l’organisation, en 1962, d’une conférence de trois jours dans l’enceinte de l’Assemblée nationale ivoirienne en présence de membres du PDCI, de sous-préfets et de députés, afin d’auditionner des statisticiens venus présenter leur travail. Elle est introduite par un mot du président de l’Assemblée nationale Philippe Yacé qui déplore « l’insuffisance de préparation méthodologique à l’action politique ». M. Michaud, directeur des services statistiques au ministère des Finances français, présente sa discipline comme un prérequis à la décision politique : « les séries de statistiques que nous sélectionnerons seront celles qui répondent aux principaux besoins de renseignements que peuvent entraîner des programmes de développement »18. On peut donc considérer que les conclusions des études que nous présentons dans la section suivante furent effectivement vulgarisées auprès des décideurs ivoiriens.
11La commande d’État aux institutions scientifiques et aux chercheurs français constitue ainsi une caractéristique des plans de développement ivoiriens. À ce titre, ils héritent de conceptions anciennes tirées de la bibliothèque coloniale, renouvelées toutefois par une conception fonctionnaliste du développement liant formes de production et formes familiales.
Le modèle familial de développement de la zone cacaoyère
12La « bibliothèque coloniale » comprend un nombre conséquent de travaux sur le Sud-Est ivoirien. Cette région, loin d’incarner une spécificité régionale, en vient bientôt à représenter un exemple tangible de réalisation du développement. Elle donne en particulier du crédit aux théories fonctionnalistes liant famille et économie.
Figure 4. Groupes culturels et ethniques selon l’atlas de l’ORSTOM, 1979

Cette carte est conçue à un moment où l’idée d’ethnie est largement remise en cause dans les études ivoiriennes. Elle permet toutefois de situer et de localiser les principales études démographiques qu’aborde ce chapitre sur les années 1950 et 1960.
Source : Y. Person et J.-P. Trouchaud et al., Atlas de Côte d’Ivoire, Paris/Abidjan, ORSTOM/IGT, 1979. Planche B2a, carte Sphaera 15450, échelle : 1:2000000 (O 8°45’ 00’’ - O 2°30’ 00’’ / N 11° - N 4°). © IRD
13Cette région identifiée agni et qui s’étend de la frontière du Ghana pour recouvrir l’ancien royaume du Sanwi pour les uns, voire même tout l’Est ivoirien jusqu’à la rivière Bandama (à l’ouest d’Abidjan), avait été le lieu d’implantation des premiers forts commerciaux européens, pour le transport et l’exportation de l’huile de palme au xixe siècle, puis des premiers planteurs de café et de cacao dans les années 1920. Cette antériorité en faisait une sorte de préfiguration locale du sort ivoirien et africain en général. Les économistes y avaient trouvé un cas d’école.
14Le planteur agni devient dans les années 1950 une sorte de prototype rural du « développé », se caractérisant par un comportement « individualiste » du point de vue de sa succession et de son accumulation. Le géographe Gabriel Rougerie en fait un historique détaillé dans un article de 1957, où il explique l’originalité de cette région par l’ancienneté du contact occidental : selon lui, l’implantation d’une maison de commerce à Aboisso en 1900 est l’élément déclencheur d’une orientation de l’agriculture locale vers les cultures d’exportation. Au début du siècle, les premières cultures de latex constituent
le tournant majeur de l’évolution des genres de vie : nous avons connu de vieux agni planteurs de café représentant aujourd’hui le type achevé du planteur africain, dont le détachement des formes traditionnelles de vie date de cette époque. Ils ont vécu la fièvre du caoutchouc puis, avec la crise, incapables de revenir à la culture vivrière familiale, ils se sont mis à rechercher des acajous, avant de se laisser tenter par le cacao, puis par le café.19
15Cette adaptation aux aléas du marché international, à la fluctuation des prix, par la variation annuelle des plants dont ils espèrent un meilleur rapport sont pour Rougerie la marque de la modernité agni. L’orientation paysanne vers l’agriculture d’exportation signifiait le passage d’un état de nature caractérisé par l’autosubsistance, à un état « développé » caractérisé par la recherche de profit monétaire. « C’est la perspective d’un profit, désormais, et non plus la satisfaction d’un besoin de subsistance, qui sous-tend l’activité de ces hommes dont s’amorce le détachement de l’équilibre tribal traditionnel »20. Avec les cultures d’exportation, c’est toute la rationalité économique qui finit par saisir l’homme : « un véritable plan d’action dirige désormais son comportement »21.
16Cette transformation s’accompagne d’une nouvelle structure du travail agricole marquée par la formalisation des travailleurs : « l’Agni voit apparaître chez lui jusqu’au cœur le plus secret de sa forêt, à la fois l’économie de profit et le binôme employeur-salarié, absolument inconnu de lui. […] Il est devenu employeur, donnant des ordres et des moyens d’existence à un groupe de salariés »22. Dans ce récit, l’attribution de l’autorité familiale à un homme unique et possédant, maître incontestable de sa femme dans une cellule familiale réduite, semble aller de soi. « De chef d’un ménage agricole, grappillant pour sa subsistance les produits d’une terre façonnée de manière discontinue par les membres de sa cellule familiale, il est devenu chef d’exploitation »23. La culture industrielle a donc finalement fait de l’homme un agriculteur, alors que les cultures vivrières restaient réservées aux femmes. La fin de la main-d’œuvre familiale sur les plantations constitue pour l’auteur la signature achevée de cette élévation économique, même si elle ne rend pas compte dans le même temps que l’essentiel de la production vivrière passe alors sous la responsabilité des femmes.
17Cette étude de 1957 reprend une conception commune du miracle agni, banalisée par l’ouvrage du père Mouëzi en 1941, qui se trouve ainsi exposée en 1953 dans une brochure de l’IFAN à destination des investisseurs métropolitains24 :
[À l’est du Bandama] le genre de vie et son niveau sont profondément retouchés. C’est le pays des grandes exploitations, d’où les planteurs européens sont presque totalement absents. La richesse est souvent grande, et investie. Par dessous les toits de tôle ondulée, signe factice, et ailleurs envié, d’évolution, il y a des salles de bain, des frigidaires, et des postes de TSF qui fonctionnent. Les Baoulé de la savane font exception à cette évolution et d’ailleurs, chez les Abbé, le retard est encore grand. Mais il est, dans l’extrême Est, des fermiers qui pourraient vivre dans les exploitations agricoles les plus modernisées d’Europe, et cela se sait, leurs frères attardés viennent près d’eux apprendre comment l’on mène une cacaoyère et apprennent aussi leur vie.25
18Le changement de mentalité des planteurs, que les économistes appellent aussi rationalité économique, se mesure ainsi à leur capacité à amasser des biens matériels. Les observateurs extérieurs voient dans ces postes TSF et dans ces frigidaires des marqueurs sans nuances de la pénétration monétaire, de la diffusion des modes de dépense consuméristes des produits accumulés grâce à l’extraversion du système de production. Ces observations supposent en outre le changement des comportements familiaux et genrés. L’amélioration de l’habitat est aussi perçue comme un signe fort de l’occidentalisation possible de ces planteurs et de leur basculement vers une forme de modernité. Le livret de l’IFAN reprend à son compte les critères d’évaluation des enquêteurs français en Côte d’Ivoire lorsqu’ils utilisent, pour statuer sur des demandes de « naturalisation » française vers 1950, des critères comme l’habitat dans des maisons à étage ou la possession de mobiliers européens26. Ces premières études montrent la normalisation progressive de critères somme toute assez aléatoires pour juger des impacts de la plantation cacaoyère sur ses cultivateurs.
19Pourtant, dès 1953, la zone agni confère à l’ensemble de la Côte d’Ivoire un précédent empirique qui rend tangible l’association entre la transformation de la production agricole et celle des formes familiales.
Une systématisation des études familiales
20Les années 1950 et 1960 voient ainsi une systématisation de l’intérêt pour les formes familiales associées à l’étude de la productivité. Les chercheurs comme Alfred Schwartz, Marc Augé pendant un temps, Pierre Étienne, travaillent d’ailleurs de manière concomitante sur des études villageoises de type ethnographique et sur des conclusions plus appliquées ayant trait au développement, qui incluent des formes de prescription.
21Parmi ces commandes d’État, l’enquête de Jean-Louis Boutillier et Marguerite Dupire autour de Dabou, à 40 kilomètres à l’ouest d’Abidjan, devait résoudre le problème d’exploitation rencontré par l’huilerie, ouverte au début des années 1950 avec des financements métropolitains. Prévue pour un approvisionnement de 40 000 tonnes, l’usine n’en reçoit que le quart en 1953. La transformation de la matière première, assurée par l’usine et gérée par les Français, dépend de la production du palmier à huile, laissée à l’initiative des habitants de la lagune autour de Dabou27. Les deux enquêteur·rices sont missionné·es en 1955 par la Commission de modernisation des corps gras du Commissariat général au Plan pour comprendre ce défaut de production des villageois d’Agbaille28. Leurs conclusions sur les formes familiales sont formulées de manière à améliorer les conditions de productivité. Après une enquête exhaustive, ils mettent en lumière deux problèmes : la succession et le travail des femmes.
22Le sociologue et l’économiste insistent d’abord sur le fait que la propriété lignagère des palmeraies transmises selon le système matrilinéaire des Adioukrou est un frein à son exploitation intensive : chaque travailleur du lignage ne peut jamais recevoir qu’un revenu fixe, décerné par le chef de lignage, ce qui diminue l’intérêt de travailler davantage. La propriété individuelle est exclue puisque les palmeraies passent successivement d’un chef de lignage à un autre. Les deux chercheurs mettent en contraste ce type d’exploitation avec celui plus récent du cacao, entrepris par des « aventuriers » qui s’accaparent des terres individuellement pour les transmettre directement à leurs enfants. Ils prônent finalement la transformation des formes familiales et la dislocation des modes de transmission matrilinéaires29.
23D’autre part, les femmes n’étaient originellement intéressées à la culture du palmier que pour des tâches précises tels le transport des grues ou sa transformation. Les chercheurs y voient là les origines du faible approvisionnement de l’huilerie. La dépossession, par l’implantation de l’usine, d’une tache spécifiquement féminine, entraîne leur désengagement total de l’activité : les grues ne sont plus amenées au bord de la route pour le passage des camions. Il est donc urgent de les associer aux cultures par la voie de la propriété ou par celle de leur dépendance au travail de leur mari. Or les députés ivoiriens reprennent également à leur compte ce souci en soulignant que la réintégration de l’épouse dans l’héritage d’un mari défunt n’est qu’une contrepartie légitime à sa contribution financière dans le couple.
24Cette étude menée par Jean-Louis Boutillier, le futur directeur de l’ORSTOM à Adiopodoumé, portant sur la zone lagunaire à l’ouest d’Abidjan, a quelques similitudes avec la zone agni et en particulier la transmission matrilinéaire, qui rapproche ses conclusions de celles de Gabriel Rougerie. Des enquêtes complémentaires plus comparatives restaient alors à mener sur des zones géographiques présentant d’autres modes de succession. Le travail de Remi Clignet pour le compte du ministère de l’Éducation nationale s’insère dans cette perspective. Il dépose en juin 1961 le compte rendu d’une « enquête comparative sur les systèmes familiaux matri et patri linéaires », divisée en deux rapports « hommes » et « femmes » dont nous ne possédons que le dernier30. Cette enquête avait mobilisé plusieurs dizaines d’élèves de l’école ménagère de Dabou et du collège technique d’agriculture de Bingerville pour conduire des entretiens auprès de 1 300 ménages ruraux.
Le but de l’étude était de déterminer le poids relatif des influences contradictoires exercées par l’organisation juridique traditionnelle, d’une part, et les facteurs d’occidentalisation tels que les changements de profession, de résidence, les valeurs religieuses, d’autre part, sur le climat familial et plus particulièrement sur la position occupée par la femme au sein de la cellule de base qu’est la famille nucléaire.31
Par « organisation juridique » on peut entendre les règles de l’alliance et de la succession. Clignet oppose deux échantillons d’entretiens, avec les Bété d’une part, dont le régime successoral est supposément patriarcal, et avec les Abouré matrilinéaires32.
25Par-delà l’évaluation de la place des femmes énoncée en introduction, l’étude se concentre sur l’adoption de systèmes de culture tels que la plantation en ligne, l’usage de décortiqueuses ou la création de coopératives agricoles, autant de pratiques qui sont implicitement pensées comme des reflets d’occidentalisation. La durée d’exposition au système occidental, mesurée par la date d’adoption des premières cultures industrielles, et l’orientation matri ou patrilinéaire de la succession sont ainsi les deux critères d’enquête de cette étude qui formalise le lien noué par ces sciences du développement entre organisations familiales et possibilités de modernisation technique.
L’ancienneté du contact de la société abouré avec l’économie mondiale a permis à cette dernière de prendre une avance technique considérable. Aussi bien les revenus y sont-ils plus élevés. Inversement, l’évolution de cette société risque dans le même domaine d’être bloquée tant par l’organisation interne de la hiérarchie traditionnelle qui dévalorise le travail manuel que par le régime foncier qui aggrave le problème posé par la raréfaction des terres.
Si la société bété aux structures plus lâches, plus simples, permet une individualisation aisée du régime foncier, les options financières qu’elle pratique la rendent plus indépendante d’une main-d’œuvre extérieure et donc plus perméable à l’évolution des techniques, elle se heurte aussi à des difficultés liées à la crise de ses structures internes, crise qui entraîne l’immobilisation de sommes importantes dans des opérations destinées à subvenir aux exigences compliquées d’un système de prestations cérémonielles.
Les contradictions des deux groupes ne sont donc pas de même nature. Les résistances au changement ne revêtent pas la même forme. Elles portent sur le système de gestion en pays matrilinéaire, sur le système d’investissement en pays patrilinéaire. C’est que les relations entre le pouvoir et la richesse ne sont pas perçues de manière identique dans les deux groupes.33
26Clignet participe à la construction d’une opposition théorique, ensuite reprise par le PDCI, entre les régions de l’Est patriarcales, et les régions de l’Ouest matriarcales. Chez les Abouré, « l’organisation interne de la hiérarchie traditionnelle » qui freine le développement renvoie ainsi à cette autorité collatérale qui rend les neveux dépendants de leurs oncles. Chez les Bété, la « crise de ses structures internes » renvoie au dévoiement de la dot dont les sommes de plus en plus volumineuses empêchent les jeunes hommes de se marier. Clignet légitime donc l’hypothèse de départ selon laquelle la différence ethnique est une variable intéressant les conditions de développement puisqu’elle s’incarne dans les arrangements familiaux. Deuxièmement, Clignet avalise l’idée que l’organisation familiale, ici assimilée aux « structures », aux « hiérarchies traditionnelles », et donc à l’immuabilité d’une tradition supposée, constitue véritablement un facteur dans l’adoption de cultures commerciales et leur exploitation intensive.
27Une première distinction en défaveur des systèmes matrilinéaires rappelle que les femmes mariées dans ce système lignager ne sont pas associées au clan dans lequel elles se marient et que par conséquent elles sont dénuées de toute capacité d’intervention, y compris dans leur famille nucléaire34. Aussi bien chez les Bété que chez les Abouré, la division des cultures entre cultures industrielles (plantations) et cultures vivrières recouperait une division entre travail masculin et travail féminin, sur le principe que « toute opération liée à une monétarisation du revenu et à un contact avec la civilisation européenne [est] toujours le fait des hommes, tant il est vrai que la société globale considère le groupe des femmes comme un groupe conservateur »35. Le recrutement de nombreux travailleurs journaliers en pays abouré pour les plantations ne semble pas avoir affecté la répartition genrée. Si les femmes y sont identifiées comme des acteurs essentiels, c’est plutôt au titre des résistances qu’elles pourraient apporter à ce changement. Par conséquent, l’attention à leur statut matrimonial et à leurs conditions de vie procède de la volonté de créer les conditions imaginées du développement économique, quitte à consacrer les ordres de genre.
28Une comparaison avec une étude plus tardive, menée en 1977 par Jean-Pierre Dozon, révèle toutefois les prises de parti des propositions précédentes. Celui-ci est délégué par la Société d’exploitation de produits agricoles et rizicoles (SODERIZ) pour expliquer les raisons des réticences « socio-culturelles » des Bété à la diversification de leur plantation, et en particulier à l’adoption de cultures de riz. Contrairement aux explications coutumières, Jean-Pierre Dozon explique que ces résistances sont intentionnelles, malgré les encouragements gouvernementaux. Elles sont des stratégies, des calculs rationnels qui prennent en compte la possibilité de rente monétaire, mais aussi les conditions de travail. Jean-Pierre Dozon récuse une explication structurelle et l’imposition de schémas d’interprétation de type culturaliste ou familial36.
29Néanmoins, en 1961, les explications que donne Remi Clignet sont particulièrement éclairantes pour interpréter le rôle des formes familiales dans le développement agricole. Les études régionales débutées en 1962 procèdent par ailleurs des mêmes présupposés quant à la nature du développement. Ces études énoncent des marqueurs de la modernité : ils tiennent à la fois de l’organisation du système productif, du recours au salariat agricole, de l’adoption de techniques de semence spécifiques ou de l’union en coopératives agricoles. Ils consistent aussi en des formes d’organisation sociale : succession directe des héritages, participation des femmes à la reproduction du travail et communauté budgétaire. De manière essentielle, le développement se mesure à la capacité monétaire des ménages. C’est ainsi que l’étude sur Korhogo qui comporte un chapitre sur la « circulation des biens » constate l’importance de celle-ci lors des rites funéraires, mais déplore le manque d’aisance générale des Sénoufo avec le commerce lié à leur faible capacité monétaire37. À Bongouanou, les économistes considèrent que l’épargne sous la forme d’achat d’or ou de bijoux est un défaut d’intégration économique et un véritable obstacle au développement38. Ces études interprètent la dotation en biens de consommation courants comme un marqueur décisif du développement et des changements familiaux.
30Les études locales et régionales sur les zones agricoles ivoiriennes sont donc majoritairement imprégnées de recommandations visant à faire advenir des structures capitalistes modernes. Deux propositions affectent plus particulièrement les relations sexuées : associer les femmes au travail familial par l’intermédiaire de la solidarité financière des époux et transformer les modes de succession familiaux pour y intéresser femmes et enfants de manière à ce qu’ils deviennent partie prenante du choix de la culture et de la productivité des investissements. Simultanément, les études régionales adoptent une nouvelle unité statistique de décompte de la population et des consommations, le ménage. Cette unité de décompte comporte un postulat conjugal et patriarcal, au prisme duquel les sociétés ivoiriennes sont observées.
Le ménage, une unité statistique progressiste pour les chercheurs
31Le ménage s’impose progressivement comme une unité de décompte et de mesure des performances économiques en Côte d’Ivoire pendant les années 1950. Au niveau international d’abord, la Côte d’Ivoire s’inspire de précédents dans les pays voisins. En Gold Coast voisine (Ghana), le ménage est utilisé pour la première fois en 1951 et 1952, selon Gerardo Serra, pour permettre d’identifier « les traits du travailleur urbain “typique” ». Puis dans une seconde vague d’enquête rurale en 1955-1956, cette unité permet d’évaluer le niveau d’endettement des foyers ruraux dans les zones de production cacaoyère39. En 1954, Jean-Louis Boutillier la mobilise brièvement pour mesurer la consommation alimentaire rurale dans une enquête sur Bongouanou au centre de la Côte d’Ivoire40.
32Pourtant, ces premières adoptions sont teintées de multiples précautions. Jean-Louis Boutillier finit d’ailleurs bien vite par l’abandonner au profit de l’unité d’habitation, y gagnant d’ailleurs une grande acuité41. En effet, les méthodes d’enquête d’alors procèdent par échantillonnage, n’ayant ni les moyens ni l’appui administratif pour procéder à des recensements complets. Dans le pays de Bongouanou, l’échantillon de l’étude comporte 9 villages sur 47 identifiés, choisis par taille en fonction de leur représentativité (gros, moyen, petit). Au sein de ces 9 villages, et après un recensement total du nombre de « rectangles », les enquêteurs en isolent le quart. Tous les individus rattachés à ces rectangles sont alors dénombrés, ce qui permet de chiffrer les habitants de fait, à la fois les individus mariés, leurs enfants, mais aussi les travailleurs agricoles occasionnels, les membres familiaux éloignés présents, ou toute autre personne résidente. Cette enquête révèle une population bien plus élevée que celle initialement recensée. La catégorie « ménage », à l’inverse, ou encore celle de « chef de famille » mise en pratique par les recensements administratifs requièrent que soit explicitée en langue locale cette notion de « chef de famille », et que tous les dépendants budgétaires soient effectivement rattachés. Cela suppose un lien de dépendance peu opérant pour qualifier les multiples relations entre les individus et mobiliser la population de fait. Un dénombrement par unité géographique, basé sur le décompte des personnes qui se trouvent effectivement dans une concession à un moment donné, améliore sensiblement le décompte de la population.
33Une nouvelle expérimentation a lieu un an plus tard. La première enquête sur les budgets des ménages ivoiriens est menée à Abidjan en 1955. Sur la demande du gouvernement ivoirien, les enquêteurs tentent alors d’identifier la « structure des revenus », c’est-à-dire les différents postes d’allocation des recettes du ménage. En plus de restreindre son échantillon à des citadins, cette enquête ne concerne que les salariés. Selon les termes mêmes des enquêteurs, cela s’explique par la difficulté à estimer des budgets non salariés42. Vincent Bonnecase insiste sur les difficultés à trouver une mesure économétrique de la productivité ou du revenu national qui ne soit pas seulement basée sur le salaire ou les échanges marchands dans les années 195043, car un tel calcul exclut l’ensemble des productions qui ne s’échangent pas sous une forme monétaire, ou encore l’ensemble des travaux invisibles de reproduction.
34Toutefois, il est symptomatique que les populations retenues pour l’échantillon d’enquête correspondent finalement à une infime partie de la population urbaine, les couples monogames, dont un membre est salarié, et n’hébergeant aucun dépendant qui pourrait être salarié chez eux. L’enquête dessine en fait un profil social très circonscrit qui met ensemble salariat, vie conjugale et habitat monogénérationnel sans cohabitation. Autrement dit, le biais d’enquête privilégie une catégorie spécifique d’étude, qui correspond encore une fois à la représentation développementaliste de la modernité, à l’image du futur ménage en quelque sorte. Ce type de recherches sera tenté encore dans les années 1970, au moyen d’enquêtes locales de quartier à l’initiative de l’Institut d’ethnosociologie d’Abidjan44. Malgré́ l’inadéquation répétée de cette catégorie ménage, elle s’impose malgré tout dans de grandes enquêtes internationales qui font bientôt office de référence, et dans les études françaises sur la Côte d’Ivoire.
35Le ménage est encore utilisé dans les régions ivoiriennes à l’occasion des grandes enquêtes régionales lancées en 1961 avec l’appui du ministère de la Coopération français, quelle que soit la diversité des formes d’habitat et de production observées. Appelée alternativement « unité budgétaire » ou « unité d’exploitation », cette échelle de saisie des populations qui doit servir à les dénombrer, à faire une enquête budget et en même temps à pratiquer une estimation de la nutrition, est un compromis méthodologique imposé par l’ampleur de la tâche. Par rapport à Bongouanou, l’échelle de la région à enquêter est beaucoup plus vaste. La durée allouée pour faire les rapports et la limitation des budgets (cinq enquêteurs mis à la tâche, contre plusieurs dizaines dans l’équipe de Bongouanou) impose une rapidité d’exécution. L’échantillon enquêté reflète encore cela : au lieu des 9 villages de Bongouanou, les études ambitionnent de couvrir 100 villages. Par contre, plutôt que de recenser le quart des concessions d’un village, les enquêteurs tirent au sort 4 ménages dans chaque village. Beaucoup plus de villages sont représentés pour rendre compte de la diversité de la région, mais le faible nombre d’unités primaires ménage rend plus aléatoire la saisie des spécificités locales. Ces études « régionales » destinées à préparer les plans nationaux proposent en outre pour Bouaké ou Korhogo une analyse du comportement des ménages. Par cet outil elles mesurent des performances agricoles différenciées entre régions et leur niveau de modernisation. L’échelle ménage a donc tout de suite bénéficié d’une application pratique la légitimant en dépit de sa fiction initiale.
36Jane Guyer a explicité les deux présupposés qui sous-tendent le recours à l’unité ménage dans les études économiques des années 1960 : évaluer la circulation des biens d’une part, et trouver, à l’origine des actions, une entité décisionnaire. Elle souligne pourtant que l’unité ménage pose « d’énormes problèmes théoriques » en particulier parce qu’elle obstrue deux phénomènes majeurs : en premier lieu le fait que les relations entre aînés et jeunes ne sont pas constantes toute l’année et que les jeunes vont parfois exécuter des travaux saisonniers hors du ménage. Autrement dit le « chef de ménage » n’a pas une autorité continue sur ses dépendants. D’autre part, le chef de ménage ne contrôle pas toujours le revenu de ses femmes et de ses filles45. Le modèle statistique est donc un modèle de centralisation des initiatives économiques dans lequel le chef de ménage agrège les ressources des autres membres, initie les dépenses, et où la quantité de dépenses est limitée par le nombre de dépendants. Ce modèle purement théorique avait été inventé de manière expérimentale en France par les statisticiens et les démographes dans le but d’obtenir des estimations circonscrites à certains usages : dans les années 1950, ces enquêtes servaient à établir les premiers modèles de prévision sur la consommation des ménages46. L’unicité du ménage avait un bénéfice statistique certain : il permettait d’agréger autour de la même unité de mesure plusieurs données tout à fait disparates (production, consommation et épargne). Cette catégorie ménage faisait office d’unité primaire essentielle dans tous les calculs de productivité et d’évaluation nationale.
37Pourtant, certains économistes qui l’utilisaient en dénonçaient eux-mêmes le caractère factice. Cette banalisation d’une catégorie disputée n’est pas inédite. À partir des années 1950 et 1960, l’expertise technique prend part aux manières de gouverner comme l’a bien montré Daniel Speich. Il revient sur l’historicité de « l’objectivité scientifique », et sur la construction des données (hard facts) à l’appui des politiques nationales, en prenant pour exemple l’élaboration du revenu national. Il démontre en particulier comment se banalisent des outils scientifiques dont l’usage était critiqué par leurs créateurs eux-mêmes. L’internationalisation du PIB (GDP en anglais) et la banalisation de son emploi dans une suite d’études et de rapports gouvernementaux ont fini par l’imposer et le légitimer. Au terme de ce processus, écrit-il, la théorie du PIB « a mené une vie indépendante [de son emploi initial] »47. À certains égards, le ménage a connu le même processus de banalisation à l’échelle internationale.
38D’autres économistes employèrent la catégorie ménage avec enthousiasme48. Pour nombre de chercheurs, il s’agissait de marquer leur engagement anticolonial : le choix d’aborder les sociétés africaines sous l’angle du ménage constituait un positionnement politique des scientifiques qui entendaient ainsi marquer leur différence avec les analyses ethnographiques précédentes qui ne voyaient dans ces sociétés que des particularités tribales49.
39Enfin, le ménage n’est qu’une parmi les nombreuses innovations dont font preuve les chercheurs pour tenter d’évaluer les budgets : dans un article méthodologique, Jean Binet propose une méthode alternative d’estimation des gains commerciaux, et en particulier des gains féminins, par l’étude et la mesure des marchés. Son compte rendu de 1959 après deux terrains effectués en Guinée et au Sud Cameroun décrit comment sillonner un marché, interroger les vendeuses sur leurs bénéfices journaliers et estimer les achats des flâneurs en se postant aux entrées et aux sorties du marché. Tout en faisant le constat presque désabusé que les échanges des marchés guinéens relèvent moins d’une volonté de profit que d’une démonstration de solidarité ou de prestige, il sillonne le marché avec une équipe d’enquêteurs pour tenter finalement une estimation de la valeur des marchandises vendues. Ce chiffre, comparé aux productions agricoles régionales, lui sert à estimer la quantité de produits agricoles commercialisés, les revenus des producteurs, et les bénéfices des marchandes notamment. Ces techniques alternatives de décompte, qui ont pour avantage de ne pas s’appuyer sur la détermination de structures familiales préalables, reflètent la conscience qu’avaient aussi les chercheurs des limites de la catégorie ménage et leur tentatives pour inventer de nouvelles méthodes de calcul de la productivité nationale.
Du ménage à la conjugalité
40Comme souligné en introduction, le gouvernement ivoirien partage avec le président une priorité axée sur l’économie et l’organisation d’un système capitaliste. L’élaboration des lois familiales doit concourir à l’établissement de nouveaux moyens d’enrichissement national. Le ministère de l’Agriculture ivoirien s’interroge au début des années 1960 sur les « mobilisations possibles de l’épargne » et les « moyens pratiques de l’orienter de façon économiquement rentable et de la mobiliser »50. L’épargne privée, concentrée par les banques nationales, ou encore investie dans des projets susceptibles de décompte dans le PIB, devient l’objet de toutes les intentions de l’État, qui recourt par ailleurs massivement aux capitaux étrangers sous la forme d’emprunts.
41Les investissements nécessaires au décollage économique doivent ainsi provenir de sources endogènes suspectées d’être importantes, comme on avait aussi mobilisé les louis d’or des Français en 1871 pour rembourser les réparations dues à l’Allemagne. Les députés ne s’y trompent pas lors des discussions sur le Code civil. Ainsi, Tiéba Ouattara déplore :
C’est un souci majeur que nous devrions avoir dans un pays sous-développé que d’avoir des capitaux pour les investissements […]. Je voudrais faire appel aux députés eux-mêmes, c’est de mener une action auprès de nos populations, il y a des banques qui s’ouvrent et qui se construisent, il y a des bureaux de poste un peu partout, et au lieu de garder le produit que nous récoltons dans nos maisons et nos cases, soit que l’incendie détruise, soit que les termites s’en chargent, soit que l’argent soit porté de main en main, nous sommes enclins à faire des funérailles qui nous coûtent excessivement cher, si nous pouvons avoir des actions assez efficaces auprès des populations ce serait, à coup sûr, le moyen de réunir les capitaux.51
42Le député ne fait que reprendre le vieil agenda du président de la République Houphouët-Boigny, qui s’insurgeait contre les dépenses improductives et déclarait déjà en 1954 : « La méconnaissance des vrais besoins et la thésaurisation constituent en effet dans ce territoire où le café, le cacao et la kola rapportent un substantiel revenu aux populations rurales, de puissants alliés pour l’alcoolisme. Il faut faire sortir l’argent et l’investir dans les besoins socialement utiles »52. Or l’organisation patriarcale de la famille est réputée favoriser un « ethos capitaliste »53 comme le suggère le quotidien officiel Fraternité : « La transformation des coutumes familiales archaïques pour favoriser l’esprit d’épargne et d’entreprise, créera une éthique du travail, fondement de l’économie moderne »54.
Figure 5. « Pour encourager l’épargne, le chef de l’État donne l’exemple »

Source : Afrique nouvelle, n° 881, du 26 juin - 2 juillet 1964.
La monétarisation de l’économie
43Le Code civil constitue donc aussi une réponse à ces études scientifiques en soumettant de fait les zones agricoles au double impératif de production monétaire et de concentration des revenus. L’institution de compensations financières en cas de divorce repose ainsi sur la capacité à dégager une portion de ses revenus en monnaie chaque mois. Contrairement aux autres lois du Code, qui ne sont pas rétroactives, les conditions de divorce sont censées s’appliquer à tous les mariages, polygames ou non, contractés antérieurement à la loi. Par conséquent, l’impact de la pension alimentaire en cas de divorce, et l’enjeu de couvrir son paiement pour des actifs non salariés, devient une question économique pressante. Les députés ivoiriens en charge de voter cette loi en ont bien conscience.
44À l’Assemblée, ils posent ainsi la question de l’estimation de la pension alimentaire sur un revenu agricole. Un planteur ne possède pas forcément beaucoup de liquidités, une fois couverts les frais de fonctionnement de son activité, notamment le paiement de ses journaliers, allèguent-ils. Le ministre de la Justice leur répond que la pension est calculée sur le revenu de la plantation, soustrait de la somme des coûts d’exploitation55. Cette estimation du ministre rationalise la gestion financière agricole en faisant du revenu final une somme prédictible. Ainsi, concevoir les revenus agricoles comme une somme constante et calculable en avance, et les transformer en salaire, permet au ministre de les soumettre à la loi de la compensation en cas de divorce. Ce faisant, le gouvernement impose une pensée salariale du revenu aux exploitants agricoles qui deviennent tributaires d’une vision régulière et rationalisée des gains mensuels.
45L’économie agricole est certes depuis plusieurs décennies orientée vers la production de liquidités : la période coloniale a généralisé le paiement de l’impôt, et les migrations rurales sont spécifiquement destinées à répondre à ce besoin56. Les discussions sur l’inflation de la dot révèlent aussi la circulation de sommes monétaires, voire des capacités d’épargne57. Surtout, la culture d’exportation est une source essentielle de revenus monétaires. Mais le fait que la caisse de régulation des revenus agricoles, la Caistab, en charge de prévenir la fluctuation mondiale des prix du cacao et du café, maintienne les prix d’achat auprès des producteurs relativement bas, comparés au prix de revente à l’international, empêche des accumulations de revenus exponentielles dans les zones rurales. Samir Amin différencie nettement l’Est et l’Ouest de la Côte d’Ivoire, mais il note que la plupart des producteurs, bénéficiant d’une surface moyenne autour de deux hectares, peuvent difficilement accéder à de gros revenus58.
Une concentration des revenus
46Les dispositions du Code civil font de la famille un lieu d’accumulation comme de génération de capital à réinvestir. L’héritage et le legs deviennent ainsi des aspects essentiels de la conversion capitaliste, car ils sont les outils d’une concentration des revenus. Les députés ivoiriens avaient en tête que plus la base de distribution des biens communs est réduite, plus les moyens réinvestis dans l’économie par ailleurs sont importants. Après le décès du chef de famille, le Code civil fait des enfants les héritiers principaux. Viennent en deuxième la fratrie du défunt et leurs enfants, puis les ascendants, et en quatrième lieu sa femme. Ainsi, le noyau composé des enfants biologiques devient le cercle premier de transmission des héritages, et la famille nucléaire le premier lieu d’accumulation. Un député annonce ainsi :
Notre situation actuelle : nous sommes un pays non encore développé à cause du manque de capitaux. Parce que nous n’avons pas des générations qui ont amassé pour nous, des biens, des fortunes que nous aurions pu utiliser pour investir et sortir notre pays de son sous-développement. Pour avoir l’argent nécessaire de ces investissements il faut économiser. L’épargne donne le noyau financier.59
47Cette conception réduite des bénéficiaires du legs ou de la succession s’oppose à la pratique du travail familial, déjà mise en valeur au précédent chapitre. Alors que le patriarche ancien (Jean Thiès), lié à de nombreux dépendants, devait redistribuer régulièrement à un plus grand nombre les bénéfices de la ferme, l’unité conjugale garantirait la concentration des dépenses sur un petit pool d’individus. Par conséquent, en diminuant le nombre d’héritiers, et en restreignant le nombre des obligations dues aux dépendants, on augmente le pouvoir d’achat et d’investissement des premiers. En mettant en valeur le couple nucléaire, le dessein économique est donc d’augmenter la capacité entrepreneuriale d’un couple. Au lieu de donner à des dépendants ou à des membres de la famille, le chef de la famille pourrait ainsi économiser pour lui-même. L’interdiction de la dot, censée représenter dans plusieurs régions une somme d’argent conséquente, vise à augmenter les capacités d’investissement familiales dans leurs activités ou dans les autres secteurs de l’économie, qui ne soient pas à destination somptuaire60.
*
Figure 6. Photomontage représentant le couple moderne : spectateur et acteur du développement ivoirien

Source : Côte d’Ivoire 1964, no 875 d’Afrique nouvelle, 15-21 mai 1964.
Cette photographie du journal catholique reprend à son compte l’idéologie conjugale ivoirienne tout en mettant en avant le rôle de l’homme salarié, initiateur du progrès, éducateur de sa femme.
48Le Code civil de 1964 qui instaure une unité conjugale et une organisation patriarcale est bien l’héritage d’une volonté de démarcation de la période coloniale : les députés ivoiriens y proclament la respectabilité des coutumes et leur adaptabilité aux conditions de l’indépendance. Mais les lois familiales sont aussi le produit du questionnement économique du gouvernement et de ses experts sur les formes propices au décollage économique. Le renouvellement des sciences sociales sur la Côte d’Ivoire et sur les pays de l’Union française à partir des années 1950 voit en effet succéder un fonctionnalisme au culturalisme des administrateurs : la structure sociale des sociétés est dépendante des structures économiques, les deux évoluent conjointement. L’exemple agni, caractérisé par l’adoption simultanée d’une économie de plantation extravertie et d’une apparente structure familiale moderne (par l’habitat, par les mœurs), est conçu comme un précédent, annonciateur des étapes successives que connaîtraient les autres régions.
49Les études locales et régionales qui se mettent en place ont donc pour caractéristique de prôner une transformation familiale de type conjugal (l’association des femmes et des enfants au bénéfice de la ferme agricole) et de comptabiliser dans le même temps les populations par de nouveaux indicateurs qui supposent eux-mêmes des unités conjugales établies (le ménage). Dans les années 1950 puis 1960, la conjugalité devient donc une unité de mesure, en dépit des critiques importantes dont elle fait l’objet, en même temps qu’un projet politique. Le Code civil de 1964 formalise par la loi une conception de la transformation familiale énoncée par les sciences sociales, qui n’était encore qu’une hypothèse de recherche sinon de travail.
50La formalisation du modèle conjugal dans la loi n’est toutefois pas exceptionnelle : à l’échelle mondiale, celui-ci s’impose progressivement par la publicité, par le cinéma, par le développement d’une industrie du loisir. D’autre part, la conjugalité n’est pas qu’une invocation politique, elle constitue aussi une revendication locale des urbains, en particulier à Abidjan, où la rhétorique de l’amour leur permet de redéfinir leurs liens familiaux.
Notes de bas de page
1Lorougnon Guede, 1er octobre 1964, 162A2, Archives de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire (AANCI), Abidjan
2Alexis Roy, « Une paysannerie prédisposée au socialisme ? Le “socialisme des ancêtres” à l’épreuve de la politique agricole de Modibo Keïta au Mali », Socialismes en Afrique, F. Blum, H. Kiriakou, M. Mourre, M.-B. Basto, P. Guidi, C. Pauthier, O. Rillon, A. Roy et E. Vezzadini éd., Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme (54), 2021, p. 279-300.
3Discours de monsieur le député Houphouët-Boigny président de l’Assemblée territoriale de la Côte d’Ivoire à la séance inaugurale de la première session ordinaire, mars 1954, AANCI, Abidjan.
4Valentin Y. Mudimbe, The Invention of Africa: Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge, Bloomington, Indiana University Press, 1988.
5Vincent Bonnecase, La pauvreté au Sahel. Du savoir colonial à la mesure internationale, Paris, Karthala, 2011 ; Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique. La construction des savoirs africanistes en France, 1878-1930, Paris, Éditions de l’EHESS, 2002 ; Jean-Loup Amselle et Emmanuelle Sibeud éd., Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie : l’itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve et Larose (Raisons ethnologiques), 1998.
6Pour une présentation des spécialités de recherche initiales, voir Georges Mangenot, L’institut intercolonial d’Adiopodoumé pour la formation des chercheurs d’outre-mer, Paris, ORSTOM, 1950. L’institution a alors un but surtout agronomique.
7Deux conventions « d’aide ivoiro-française » sont signées à Abidjan en décembre 1962. 184 millions de francs CFA alloués par le FAC sont consacrés au financement d’études régionales, contre 456 millions de francs CFA pour la production agricole et 386 millions de francs CFA pour les infrastructures sociales. Ministère de la Coopération MCAC Abidjan, 3PO/1/87, Centre des archives diplomatiques de Nantes (CADN), Nantes.
8Philippe Hugon, « Portraits comparés du coopérant et de l’administrateur de la FOM au tournant des indépendances », Outre-Mers. Revue d’histoire, t. 102, no 384-385, 2014, p. 15-35.
9« Office de la recherche scientifique et technique outre mer », Revue française de sociologie, vol. 7, no 3, 1966, p. 381-383 ; Marc Augé, « Les communautés rurales », Bulletin de Liaison Sciences humaines, ORSTOM, 2, 1965, p. 1-20.
10Jean Michotte, Essai d’interprétation des effets des opérations de développement à partir de l’étude d’un groupe de budgets familiaux. Béoumi, département du centre Côte d’Ivoire, Adiopodoumé, ORSTOM, 1967 ; Alfred Schwartz, « Du Sassandra au Cavally : une anthropologie du sous-développement. L’opération de San Pedro et le développement du Sud-Est ivoirien », thèse de doctorat sous la direction de Georges Balandier, université Paris 5, 1989.
11Communication à l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire par J. Royer, expert de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Résultats préliminaires de l’enquête agricole de Bouaké, juillet 1954 - janvier 1955 ». BIB AOM B12546 à 12552, Archives nationales d’outre-mer (ANOM), Aix-en-Provence.
12Comité directeur FAC, SEDES. Objet de la demande : prise de participation à l’augmentation du capital social de la SEDES, FM 1 FIDES/4, ANOM, Aix-en-Provence.
13V. Bonnecase, La pauvreté au Sahel, ouvr. cité, p. 142-155 ; Benoît De l’Estoile, « Sciences de l’homme et domination rationnelle : savoir ethnologique et politique indigène en Afrique coloniale française », Revue de synthèse, no 121, 2000, p. 291-323.
14« Programme FAC 1961 », 3PO/1/89, CADN, Nantes.
15Remi Clignet, Many Wives, Many Powers: Authority and Power in Polygynous Families, Evanston, Northwestern University Press, 1970, p. xv.
16Marc Augé dit de Yacé qu’il a été un « facilitateur de la recherche », ce dernier étant particulièrement concerné par « une région dont le développement lui tient à cœur ». Le rivage alladian. Organisation et évolution des villages Alladian, Paris, ORSTOM (Mémoires ORSTOM no 34), 1969.
17Communication à l’Assemblée nationale de la Côte d’Ivoire par J. Royer, expert de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Résultats préliminaires de l’enquête agricole de Bouaké, juillet 1954 - janvier 1955 », BIB AOM B12546 à 12552, ANOM, Aix-en-Provence.
18Séminaire politique Abidjan, 15-20 janvier 1962, 3.32/18, Archives nationales de la Côte d’Ivoire (ANCI), Abidjan.
19Gabriel Rougerie, « Les pays agnis au sud-est de la Côte d’Ivoire », Études éburnéennes, t. 6, 1957, p. 90-92.
20Ibid., p. 92.
21Ibid., p. 103.
22Ibid.
23Ibid.
24Henri Mouëzy, Histoire et coutumes du pays d’Assinie et du royaume de Krinjabo, Paris, Larose, 1942.
25Conférence des africanistes de l’Ouest, Livret-guide de la Côte d’Ivoire, Abidjan/Adiopodoumé, IFAN, 1953, p. 38.
26Dossiers d’enquête naturalisation 1951-1956, 14 MIOM 3343, ANOM, Aix-en-Provence ; Laure Blévis, « La citoyenneté française au miroir de la colonisation. Étude des demandes de naturalisation des “sujets français” en Algérie coloniale », Genèses, vol. 4, no 53, 2003, p. 25-47.
27« Préface » par Hubert Deschamps à Marguerite Dupire et Jean-Louis Boutillier, Le pays adioukrou et sa palmeraie (basse Côte d’Ivoire). Étude socio-économique, Paris, ORSTOM, 1958.
28Conseil supérieur des recherches sociologiques outre-mer, mars 1956, rapport au comité directeur du FIDES, FM 1FIDES/51, ANOM, Aix-en-Provence.
29M. Dupire et J.-L. Boutillier, Le pays adioukrou et sa palmeraie, ouvr. cité, p. 43.
30Remi Clignet, « Étude comparative sur les systèmes familiaux patri et matrilinéaires ivoiriens », SOPED, Ministère de l’Éducation nationale, mars-juin 1961, 3.39/9, ANCI, Abidjan.
31Ibid., p. 1.
32Ibid.
33Ibid., p. 10, je souligne.
34« Séparées du lignage marital, la femme matrilinéaire ne dispose d’aucun pouvoir dans les décisions familiales ». R. Clignet, « Études comparatives sur les systèmes familiaux patri et matrilinéaires ivoiriens », ouvr. cité, 1961, p. 9.
35Ibid., p. 6.
36« On a toujours affaire à un calcul, c’est-à-dire à une configuration complexe où l’économie pure n’entre que pour une part et où d’autres éléments ont un poids important, notamment les conditions de travail, mais aussi les formes de résistances volontaires ». Jean-Pierre Dozon, Transformation et reproduction d’une société rurale dans le cadre de l’économie de plantation. Le cas des Bété de la région de Gagnoa, Abidjan, ORSTOM, 1977, p. 5.
37Louis Roussel, Région de Korhogo, étude de développement socio-économique, tome 2, Rapport sociologique, Paris, SEDES, 1965, p. 82.
38Chapitre « Le budget de la famille agni » dans Jean-Louis Boutillier, Bongouanou, Côte d’Ivoire. Étude socio-économique d’une subdivision, Paris, Berger-Levrault, 1960, p. 79-104.
39Gerardo Serra, « An uneven statistical topography: the political economy of household budget surveys in late colonial Ghana, 1951-1957 », Revue canadienne d’étude du développement, vol. 35, no 1, p. 9-27.
40J.-L. Boutillier, Bongouanou, Côte d’Ivoire, ouvr. cité.
41Jean-Paul Duchemin, « La population de la Côte d’Ivoire en 1965. Essai d’évaluation pour l’établissement des cartes de l’Atlas de Côte d’Ivoire », Cahiers de l’ORSTOM, vol. 4, no 3-4, 1967, p. 60.
42« Les budgets familiaux des salariés africains en Abidjan (août-septembre 1956) », ministère du Plan, 3.33/106, ANCI, Abidjan.
43V. Bonnecase, La pauvreté au Sahel, ouvr. cité, p. 159-161.
44François Kouakou N’Guessan, « Étude d’une famille de bidonville à Marcory 3 », mémoire de l’Institut d’ethnosociologie, 1970. Bibliothèque de l’université d’ethnosociologie, université de Cocody, Abidjan.
45Jane Guyer, « Household and community in African studies », African Studies Review, vol. 24, no 2-3, 1981, p. 87-137 ; Sara Randall, Ernestina Coast et Tiziana Leone, « Cultural constructions of the concept of household in sample surveys », Population Studies, vol. 65, no 2, 2011, p. 217-229.
46Alain Desrosières, « Du travail à la consommation : l’évolution des usages des enquêtes sur le budget des familles », Journal de la Société statistique de Paris, t. 144, no 1-2, 2003, p. 75-111.
47Daniel Speich, « The use of global abstractions: national income accounting in the period of imperial decline », Journal of Global History, no 6, 2011, p. 7-28.
48« À la veille et au lendemain des indépendances, on avait vu s’abattre sur l’Afrique une cohorte de statisticiens entreprenants […] très confiants dans la puissance de leur instrument », résume l’économiste. Philippe Couty, Les apparences intelligibles : une expérience africaine, Paris, Éditions Arguments, 1996, p. 4, p. 218-232 ; D. Speich, « The use of global abstractions », art. cité. Je m’inspire de cette épistémologie critique de l’économie et de la statistique contemporaine pour étudier la banalisation des schémas économiques dans la pensée politique.
49« L’anticipation académique de l’émergence des “familles modernes” africaines impliquait une affirmation politique selon laquelle les Africains urbains devenaient en réalité modernes, qu’ils ne pouvaient plus être considérés comme de simples “tribus de passage” et qu’il faudrait les accepter comme membres de la société urbaine “civilisée” ». James Ferguson, Expectations of Modernity: Myth and Meaning of Urban Life in the Zambian Copperbelt, Berkeley, University of California Press, 1999, p. 175.
503PO/1/79, CADN, Nantes.
51Compte rendu 72e plénière 1er octobre 1964, 162A2, AANCI, Abidjan.
52PV Assemblée territoriale, mars 1954, AANCI, Abidjan.
53Claude Prudhomme, « Le missionnaire et l’entrepreneur dans les colonies françaises », L’esprit économique impérial (1830-1970). Groupes de pression et réseaux du patronat colonial en France et dans l’empire, H. Bonin, C. Hodeir, J.-F. Klein éd., Paris, SFHOM, 2008, p. 149.
54« Le programme pour le développement économique : les nouvelles structures familiales seront fondées sur le couple », Fraternité, no 165, 22 juin 1962.
55Vame Doumouya, Touhou Gaston, PV no 7, 14 septembre 1964, 158A2, AANCI, Abidjan.
56Dennis D. Cordell, Joel W. Gregory et Victor Piché, Hoe and Wage: A Social History of a Circular Migration System in West Africa, Boulder/Oxford, Westview Press, 1996, p. 116.
57Lorougnon Guède, CR intégral 72e séance, 1er octobre 1964, 162A2, AANCI, Abidjan.
58Samir Amin, Le développement du capitalisme en Côte d’Ivoire, Paris, Minuit, 1967, p. 77.
59Gabriel Kouadio Tiacoh, proposition d’amendement, 1964, 161A2, AANCI, Abidjan.
60Lorougnon Guède, compte rendu intégral 72e séance, 1er octobre 1964, 162A2, AANCI, Abidjan.
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