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    Plan détaillé Texte intégral Ontologies substantielles et processuelles L’effectivité comme processus Notes de bas de page Auteur

    La raison au travail, 1

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Hegel philosophe du processus

    Emmanuel Renault

    p. 377-388

    Texte intégral Ontologies substantielles et processuelles L’effectivité comme processus Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Parmi les différentes questions métaphilosophiques posées à l’historien de la philosophie, celle de la légitimité des catégories destinées à identifier des continuités transhistoriques compte parmi les plus problématiques. D’où les polémiques concernant l’usage de termes comme matérialisme, idéalisme, rationalisme et empirisme, qui sont souvent conçus comme définissant des traditions, des lignées, ou des familles philosophiques. Les objections pouvant être adressées aux idées même de tradition, de lignée ou famille philosophiques sont nombreuses. La principale tient sans doute au fait qu’il est de bonne méthode en histoire de lutter contre les constructions rétrospectives (les notions de matérialisme, d’idéalisme, de rationalisme et d’empirisme sont relativement récentes) et les illusions de continuité (ou les effets d’homogénéisation produits par ces notions) pour s’intéresser d’une part à ce qui fait la singularité des contextes et des problématiques, d’autre part aux ruptures qui jalonnent les processus historiques. L’usage de catégorisations transhistoriques relève-t-il toujours de l’invention de la tradition et de l’illusion de continuité ? N’est-il pas légitime de chercher à identifier des affinités entre différentes philosophies passées et présentes, tout à la fois pour éclairer les conflits qui peuvent opposer différentes philosophies passées, pour analyser le sens des filiations que sans cesse les philosophes établissent en s’attribuant des précurseurs, enfin pour expliciter les enjeux des usages contemporains de philosophies du passé ? Dans une perspective wittgensteino-wébérienne, on pourrait avancer que pour rendre légitime l’usage de telles catégories transhistoriques, il conviendrait d’une part qu’elles soient définies seulement par des airs de famille, d’autre part qu’elles ne soient mobilisées qu’à titre de types idéaux destinés à faire apparaître, de manière comparative, les spécificités de philosophies singulières et de rapports particuliers qu’elles établissent avec des philosophies antérieures.

    2« Philosophie du processus » est une catégorie transhistorique relativement récente qui se heurte aux difficultés précédemment évoquées en même temps qu’elle présente un intérêt supplémentaire : elle a pour fonction de formuler de nouvelles alternatives philosophiques et de jeter de nouveaux éclairages sur l’histoire de la philosophie. Tirant son origine principalement de Whitehead, cette catégorie est maintenant largement considérée (à en croire le nombre d’articles de dictionnaire encyclopédique qui lui sont consacrés)1 comme définissant un ensemble d’orientations philosophiques permettant de désigner une famille de philosophies partageant un même refus de la définition de l’être comme substance tout en affirmant la centralité du devenir. En donner une définition étroite, inspirée directement de Whitehead, conduit à réduire la philosophie du procès à un phénomène contemporain2, ou aux transformations, qui, à partir de la fin du xviiie siècle, permettent d’en reconstruire la genèse3. Telle n’est plus l’orientation dominante. N. Rescher, l’un des principaux promoteurs de la philosophie du processus, affirme dans Process metaphysics que l’idée de « philosophie du processus » ne désigne « pas tant une doctrine qu’une tendance, un mode d’approche des questions philosophiques », qui peut être mis en œuvre de différentes manières4. Remontant à Héraclite, il considère Hegel comme l’un des nombreux jalons de l’histoire de la « philosophie du processus »5, au même titre que Leibniz, Peirce, James, Bergson, Dewey, Whitehead et Sheldon. D’autres donnent toute leur importance à Spinoza mais négligent Hegel6, alors que d’autres encore font de Fichte, Schelling et Hegel, certaines des nombreuses bifurcations de la philosophie du procès7, dont on peut considérer qu’elle trouve également certaines de ces formulations chez Nietzsche, Quine et Sellars8. Bien que Whitehead ait largement ignoré Hegel en s’appuyant davantage sur Spinoza et Leibniz, les affinités de sa pensée avec celle de Hegel ne manquent pas. L’intérêt d’une approche de Spinoza9, Leibniz10 et Hegel11, et d’autres encore, comme des « philosophes du processus » est double. Sur le plan historiographique, une occasion est ainsi fournie d’expliciter de nouveaux enjeux de leurs thèses et de la manière dont ils ont pu se rapporter à leurs contemporains et à leurs prédécesseurs. Sur un plan plus général, il est possible de chercher dans la spécificité de leurs problématiques un moyen d’enrichir les conceptions qui sont généralement associées à l’idée de philosophie du processus et de corriger ainsi les illusions rétrospectives auxquelles elle peut donner lieu.

    Ontologies substantielles et processuelles

    3On considère généralement que le propre des philosophies du processus est de reposer sur des engagements ontologiques alternatifs à ceux qui sont au cœur de ce qui peut être appelé l’ontologie de la substance. Il convient plutôt de considérer qu’elle constitue une alternative aussi bien à l’ontologie de la substance qu’à ce qu’on peut appeler l’ontologie de la relation12 dans la mesure où elle récuse un présupposé qui leur est commun : la définition de l’être par la permanence, qu’il s’agisse de celle de substances ou de celle de relations (susceptibles d’être formulées par des lois de la nature13). Pour expliquer le sens de cette alternative, il convient préalablement de préciser le sens du concept de processus.

    4Parler de processus, c’est tout d’abord parler d’un devenir, et plus précisément, d’une série de changements se déployant dans le temps. Affirmer que l’être est processus implique donc de récuser l’identification de l’être au permanent, solidaire d’une relégation du devenir au rang de réalité secondaire. C’est affirmer que l’être permanent est toujours conditionné par le devenir, ou bien produit ou bien transformé par lui. Mais le concept de processus est plus riche que celui de devenir. Il évoque en effet une activité et une unité de développement n’existant nulle part ailleurs que dans la succession de ses phases.

    5En quel sens, le concept de processus, ainsi entendu, peut-il définir une position ontologique ? Une première option, celle d’Héraclite, réduit les substances à des illusions, mais d’autres options consistent seulement à affirmer que les substances et les relations doivent être conçues autrement que selon les métaphysiques de la substance ou de la relation. Les substances ne doivent plus être conçues comme des êtres existant par soi indépendamment des processus dans lesquels ils entrent mais comme des entités produites et constamment modifiées par des processus. Quant aux relations, elles ne doivent plus être conçues comme des relations constantes – ou comme des ensembles permanents de relations (des structures) – existant par soi indépendamment des termes auxquels les relations impriment leurs propriétés, mais comme des relations constituées par l’activité des facteurs constitutifs des processus, et susceptibles de se modifier au cours des processus.

    6De même que la notion idéal-typique d’ontologie de la substance ne peut se voir reconnue de légitimité qu’à condition d’admettre qu’il existe différentes versions, plus ou moins contradictoires, de l’ontologie de la substance, de même, la notion idéal-typique d’ontologie processuelle, entendue au sens qui vient d’être précisé, recouvre une série d’alternatives qu’il convient d’expliciter si l’on veut éclairer, de manière comparative, la spécificité des positions défendues par Hegel. L’alternative la plus évidente oppose ceux qui soutiennent que tous les processus existants peuvent être intégrés dans un seul et unique processus, susceptible d’être lui-même composé d’une multiplicité de processus (comme Whitehead), et ceux qui affirment l’irréductibilité d’une diversité de processus (comme Dewey). Nous verrons que Hegel défend des positions qui se rapprochent de cette seconde option.

    7Une deuxième alternative concerne l’idée même d’ontologie. Les idées de métaphysique et d’ontologie ont généralement été associées à une théorie des caractéristiques les plus générales et les plus fondamentales de la réalité. Entendue en ce sens, l’ontologie voit sa version processuelle définie par deux thèses : 1) il y a partout des processus, et 2) la réalité des processus est plus fondamentale que celle des autres types d’entités (par exemple les substances). On peut établir la thèse 1 en affirmant que tout a été produit ou est pris dans des devenirs, ce qui semble empiriquement plausible. Pour établir la thèse 2, il faut ajouter que la réalité des entités qui ne sont pas des processus, par exemple les substances, dépend de processus, alors que l’inverse n’est pas vrai, de sorte qu’il existe plus de réalité dans les processus que dans les substances.

    8Cet argument, qui est généralement admis par les défenseurs de l’ontologie du processus14 repose sur le présupposé métaphysique discutable qu’il y aurait des réalités originaires et d’autres seulement dérivées. Est-il certain qu’il existe des réalités plus fondamentales que d’autres ? Le philosophe, plutôt que chercher les concepts destinés à rendre compte de ce qui y a de plus fondamental, ne devrait-il pas chercher à élaborer des formes de pensées permettant le mieux possible de rendre compte de la richesse et de la complexité de notre expérience de la réalité ? Ce genre de questions a conduit Hegel à développer une critique de la recherche métaphysique des « premiers principes »15 qui n’est pas sans incidence sur le sens que peut prendre l’idée d’ontologie processuelle lorsqu’elle est pensée à partir de son système.

    9Si l’on peut attribuer une ontologie processuelle à Hegel, en effet, ce n’est pas parce qu’il aurait affirmé qu’il y a moins de réalité dans les substances et les relations que dans les processus, mais parce que le concept de processus est plus englobant que les concepts de substance et de relation. Ce concept englobe les idées de relation (un procès est une relation entre différents facteurs actifs et entre différentes phases de son développement) mais aussi de substance : le passage du « devenir » au « quelque chose » (§ 88-90)16 signifie notamment que tout processus est processus de quelque chose et qu’il n’y a donc pas de « processus absolus » au sens de Broad, ou de « processus purs » au sens de Sellars17. Le propre du concept de processus que l’on peut attribuer à Hegel est donc d’interconnecter trois types de propriétés : des propriétés dynamiques (des activités, des développements, des transformations), des propriétés substantielles, et des propriétés relationnelles, sans avoir à établir des hiérarchies entre ces différents types de réalité.

    L’effectivité comme processus

    10La thèse suivant laquelle « l’idée est essentiellement processus » (§ 215) semble légitimer une caractérisation de la philosophie hégélienne comme « philosophie du processus ». Dans la mesure où le concept d’idée, qui conclut la Logique subjective, désigne notamment la forme adéquate de la pensée de l’être en tant qu’effectivité, et que le concept d’effectivité conclut de la Logique objective qui, elle-même, « prend la place » de l’ontologie18, on peut considérer que Hegel défend une forme spécifique d’ontologie processuelle dont les orientations spécifiques sont fixées précisément par le concept d’effectivité19.

    11Ce concept a pour fonction de dépasser les défauts de la démarche métaphysique consistant à répondre à la question « qu’est-ce que la réalité en général » par un prédicat isolé (doctrine de l’être) ou par la distinction d’une réalité fondamentale (essence, fondement, chose, force, etc.) opposée à une réalité seulement dérivée (apparence, existence, propriétés, phénomène, etc.) (doctrine de l’essence). La définition qui ouvre la section effectivité20 propose une caractérisation processuelle de la réalité au sens où, d’une part, le moment de l’essence se voit réduit à un principe dynamique d’extériorisation, ou de manifestation, et, d’autre part, la manifestation de l’essence se voit elle-même conçue comme une série de manifestations. Le réel n’est conçu alors ni comme un être-pour-soi restant identique à soi, comme dans les métaphysiques de la substance, ni comme une relation restant identique à soi, comme dans les métaphysiques de la relation, mais comme une activité21, se déployant dans une série de moments interdépendants.

    12Le fait que Spinoza et Leibniz soient manifestement les deux interlocuteurs principaux de Hegel dans cette section est significatif22. Cela indique d’une part qu’il les interprète comme deux philosophes récusant tout dualisme métaphysique. Alors que Schelling retenait de Spinoza la distinction de la nature naturante et de la nature naturée, interprétée comme subordination de la nature comme produit à la nature comme productivité23, le fait que la philosophie spinoziste soit discutée dans la section effectivité implique que Hegel retient au contraire que l’activité de la substance n’existe pas ailleurs que dans sa manifestation, ce qui explique que dans l’Encyclopédie, la section « L’absolu » de la Science de la logique, consacrée précisément à Spinoza, soit absorbée dans la section « Rapport de substantialité » (§ 150-152), où il est affirmé que « la substance est […] la totalité des accidents, dans lesquels elle se révèle comme leur négativité absolue, c’est-à-dire comme puissance absolue et en même temps comme la richesse de tout contenu » (§ 151). C’est sa propre ontologie dynamiste et non dualiste de l’effectivité que Hegel lit dans Spinoza, même si Hegel reproche également à Spinoza de n’avoir pas assez correctement pensé la dimension dynamique de la substance, d’avoir à tort conçu la processualité du réel en termes monistes, et d’avoir déréalisé le fini, trois points dans lesquels il trouve en Leibniz un correctif24. Il est tout aussi significatif que Leibniz ne figure pas dans la section sur l’effectivité par l’intermédiaire de la thèse suivant laquelle Dieu donne leur réalité aux possibles et confère l’existence à certains de ces derniers, mais d’une part pour sa définition dynamiste de la substance comme série d’accidents portés par la dynamique interne d’un processus (la monade comme « appétit »), et d’autre part pour sa définition des relations entre substances comme des relations internes et dynamiques (c’est-à-dire comme se modifiant au fil du développement des états de monades « s’entre-exprimant »)25, ou en d’autres termes, comme « action réciproque » (§ 155-157) plutôt qu’action et réaction26.

    13Spinoza et Leibniz, mobilisé comme rectification de Spinoza, sont également présents dans ces passages pour leur contribution à la constitution d’une conception processuelle de la substance et de la relation. En ce qu’elle est fondée sur une récusation du dualisme de la substance et de l’accident, la section de l’Encyclopédie intitulée « Rapport de substantialité » est clairement anti-aristotélicienne. On peut dire qu’elle se propose d’élaborer une définition de la substance alternative à celle que présupposent les métaphysiques de la substance. Cette définition est processuelle en ce qu’elle fait de l’être par soi de la substance le principe d’une activité, tandis que la réalité de la substance est identifiée à celle des différentes phases du développement de cette activité.

    14De même, c’est à l’élaboration d’une conception processuelle des relations entre substances que sert le concept d’action réciproque. L’objectif est de récuser l’interprétation des relations entre les substances comme des rapports externes et invariables, selon le modèle de la causalité mécanique. Si le concept dynamiste de substance lui attribue une activité qui peut légitimement être décrite par le concept de causalité (§ 153-154), celle-ci ne doit pas être conçue de manière mécanique, comme le rapport extérieur d’une substance active et d’une substance passive, mais de manière dynamiste, comme le rapport d’une force sollicitante et d’une forme sollicitée, ou comme un « jeu des forces ». Il en résulte qu’une substance active suppose une substance sollicitante, de sorte que la substance passive, subissant les effets, est également une substance active, de même que la substance active est dans le même temps une substance passive. C’est pourquoi le rapport de causalité doit être conçu comme une « action réciproque ». Cette conception dynamiste de la causalité engage également, et plus généralement, une conception processuelle des relations entre substances, dans la mesure où les relations apparaissent tout à la fois comme produites par l’activité des substances en relation et comme susceptibles d’être transformées par le développement de leur activité propre.

    15L’idée d’action réciproque, qui formule la définition la plus concrète de ce qu’est l’effectivité, est donc porteuse tout à la fois d’une redéfinition processuelle de la substantialité et de la causalité, tout en faisant de l’effectivité un concept de la processualité soulignant l’interconnexion des propriétés dynamiques, substantielles et relationnelles. Les substances doivent être conçues comme des principes actifs qui existent toujours dans des relations (avec d’autres substances, qui sont les conditions de leur activité), et ces relations sont elles-mêmes portées par l’activité des substances et des conditions de leur activité. Elles existent dans des processus d’action réciproque, dont le caractère processuel tient non seulement au dynamisme de l’action réciproque (porté par l’imbrication de l’activité de deux substances) mais aussi à la série de transformation des substances et des relations qui est susceptible de se déployer dans le processus d’action réciproque.

    16Le traitement hégélien des concepts de substance, de causalité et d’action réciproque à partir de Spinoza et Leibniz fournit donc une illustration parmi d’autres du fait que l’enjeu général des philosophies du procès n’est généralement pas de récuser la pertinence du concept de substance en y voyant une manière erronée de parler des stabilisations partielles et provisoires des processus, mais de substituer une conception processuelle à des conceptions substantialistes de la substance. Dans cette entreprise, Spinoza et Leibniz sont mobilisés par Hegel comme des alliés. Mais leurs conceptions de la processualité n’en diffèrent pas moins.

    17Dans l’Encyclopédie, la section consacrée à l’effectivité est divisée en deux parties, une partie introductive, et le développement proposant la reformulation processuelle des concepts de substance, de causalité et d’action réciproque. Pour saisir les divergences les plus fondamentales avec Spinoza et Leibniz, il nous faut maintenant nous tourner vers la partie introductive et sa reformulation processuelle des catégories de la modalité : contingence et nécessité, possibilité et effectivité (§ 143-149)27. Hegel y oppose le concept de « possibilité réelle » au concept traditionnel de possibilité entendue comme « possibilité formelle ». Dans le cadre d’une ontologie processuelle, l’idée de possibilité peut en effet être entendue en un sens plus concret qu’au sens des simples possibilités logiques, définies par le caractère pensable ou non contradictoire. Un processus définit en effet des « possibilités réelles » qui sont les possibilités ouvertes par son développement. Ces possibilités dépendent du dynamisme propre du processus et de la présence d’un certain nombre de conditions. Les possibilités réelles sont les possibilités qui existent déjà réellement en tant qu’elles sont en passe de se réaliser. Elles sont définies par la série des conditions (le « cercle complet de conditions », § 148) qui font que quelque chose devient réel. Au premier abord, cette conception de la possibilité semble contre-intuitive alors que, comme le remarque Hegel, c’est bien parce que nous sommes tous spontanément convaincus que de telles possibilités existent dans la réalité, en tant que virtualités en cours de réalisation, que nous orientons sans cesse nos actions en fonction de telles possibilités (le « fort possible », le « hautement probable »), et que nous distinguons ces possibilités de « ce qui est seulement possible », ou de ce qui n’est qu’« une possibilité parmi d’autres » (les possibilités formelles) (§ 143 add.).

    18La reconstruction processuelle du concept de nécessité consiste quant à elle à opposer à la définition de la nécessité comme nécessité conditionnelle, ou externe, c’est-à-dire dépendante de la présence contingente de conditions, l’idée d’une nécessité interne, celle qui gouverne le développement d’un processus. En tant que l’effectivité présuppose des « conditions extérieures » (§ 148), il y a une contingence fondamentale de l’effectivité. Mais cette contingence est à son tour soumise à une forme de nécessité, dans la mesure où c’est la logique interne du développement d’un processus particulier, ou sa nécessité interne, qui conditionne, ou « pose », les conditions qui agissent sur lui, selon un mécanisme qu’explicitera le concept d’action réciproque. On comprend donc en quel sens Hegel peut affirmer que la contingence des conditions, elle-même conditionnée, se renverse en nécessité. D’un côté, le processus est conditionné par des circonstances qui agissent sur lui de l’extérieur et s’imposent à lui de manière contingente, mais d’un autre côté, le processus détermine lui-même quelles sont les conditions qui le conditionnent, ce qui introduit une forme de nécessité dans son conditionnement (extérieur) (une forme de « nécessité intérieure » étendue aux conditions extérieures, ou « nécessité absolue », § 147) qui n’en reste pas moins marquée par une forme de contingence car seul le fait que telle ou telle entité puisse être condition d’un processus, et non leur existence, dépend de l’activité interne de ce processus.

    19En concevant la nécessité comme nécessité interne, à la manière d’une nécessité absolue qui relève également d’une forme de liberté (§ 158), Hegel semble suivre Spinoza28, mais il s’en distingue en ce que sa conception processuelle de la nécessité participe d’une ontologie pluraliste qui reconnaît à la contingence un droit qui est dénié par Spinoza29.

    20L’orientation pluraliste de l’ontologie hégélienne du procès apparaît clairement dans la redéfinition du concept d’effectivité, formulée dans le § 148, comme un processus dont les trois moments sont 1) une entité (« la Chose », die Sache30) engagée dans un processus, 2) l’activité de cette entité (qui l’individualise comme entité singulière) se déployant dans un processus, et 3) les conditions de ce processus qui orientent le développement de cette activité. Ces trois moments se « présupposent » réciproquement : la réalité engagée dans un processus (la Chose) n’existe pas indépendamment de ce qu’elle devient dans ce processus, de sorte qu’elle présuppose l’activité qui se déploie dans ce processus ainsi que les conditions du développement de ce processus. Quant à l’activité, elle est celle de la Chose, de sorte qu’elle présuppose cette dernière, de même qu’elle ne pourrait se développer sans que les conditions de son développement soient présentes, de sorte qu’elle les présuppose également. Enfin, les conditions de ce développement présupposent l’activité de la Chose, puisqu’elles sont les conditions de cette chose, et que la nature de l’activité définit ce qui peut la conditionner.

    21De même qu’ultérieurement avec le concept d’action réciproque, il apparaît ici que le monde effectif est constitué de différentes entités (les Choses engagées dans différents processus) engagées dans des processus spécifiques dotés de formes de nécessité interne distinctes. La diversité des formes de processualité propres à ce qui est effectif sera thématisée ultérieurement dans la Doctrine du concept (dans la section objet), puis dans le reste du système (les différents niveaux de la nature, aussi bien que ceux de l’esprit, sont structurés par des processus dotés de formes de nécessité interne distinctes, et existant indépendamment les uns des autres). L’insistance sur la pluralité des processus, sur l’existence de conditions externes et l’irréductibilité de la contingence sont autant de prises de distances avec la conception spinoziste de la processualité du réel, mais la problématique des conditions réelles et externes du développement du processus, qui sera ultérieurement reformulée sous le concept d’action réciproque, implique également une prise de distance avec la conception leibnizienne de la processualité interne de la monade.

    22En guise de conclusion, répétons que la spécificité de l’ontologie processuelle hégélienne tient à son orientation anti-dualiste et anti-fondationaliste ainsi qu’à son orientation pluraliste. Hegel refuse de considérer la processualité comme la caractéristique fondamentale de toute réalité, et les caractéristiques substantielles ou relationnelles comme illusoires ou dérivées. Il croit trouver sur ce point des alliés chez Spinoza et Leibniz. Contrairement à ce qu’une longue tradition d’interprètes monistes de Hegel a affirmé, à la suite de l’idéalisme britannique notamment, ce qui distingue l’ontologie processuelle de Hegel de celle de Spinoza tient notamment à son orientation pluraliste. S’exprimant déjà dans la Science de la logique, elle sera confirmée dans la Philosophie de la nature qui soulignera que cette dernière n’est pas constituée d’un processus mais d’une multiplicité de processus indépendants, se déployant dans des « niveaux » de la nature irréductibles les uns aux autres, qui eux-mêmes comportent des caractéristiques hétérogènes aux processus étudiés dans la Philosophie de l’esprit. Par ces deux caractéristiques distinctives, Hegel est aux antipodes de Whitehead, qui affirmait une priorité ontologique de la processualité, qu’il croyait lire chez Spinoza, et qui soutenait que la réalité est constituée d’un processus global composé lui-même d’une multitude de processus, en retenant de Leibniz ce qui permettait de penser ce processus global à la manière d’un processus organique alors que l’un des enjeux de la philosophie hégélienne de la nature est au contraire de réfuter l’organicisme.

    Notes de bas de page

    1 J. Seibt, « Process Philosophy », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2018 Edition), Edward N. Zalta éd., en ligne : [https://plato.stanford.edu/archives/spr2018/entries/process-philosophy/] ; D. Griffin, « Process Philosophy », Routledge Encyclopedia of Philosophy, Taylor and Francis, 1998, en ligne : [https://www.rep.routledge.com/articles/thematic/process-philosophy/v-1] ; J. R. Hustwit, « Process Philosophy », Internet Encyclopedia of Philosophy, en ligne : [https://www.iep.utm.edu/processp/].

    2 Une anthologie intitulée Philosophers of Process (D. Browning dir., New York, Random House, 1965, rééditée en 1998 chez Fordham University Press) inclut des chapitres sur Nietzsche, Alexander, Bergson, Dewey, Mead, James, Peirce, Whitehead et Hartshorne.

    3 G. R. Lucas, The Genesis of Modern Process Thought: A Historical Outline, Metuchen, Scarecrow Press, 1983. Voir aussi l’entrée « Hegel » de K. E. Jensen dans M. Weber, W. Desmond dir., Handbook of Whiteheadian Process Thought, Francfort, Ontos Verlag, 2009, p. 324-332.

    4 N. Rescher, Process Metaphysics. An Introduction to Process Philosophy, New York, State University of New York Press, 1996, p. 32.

    5 Ibid., p. 13-14. Il est également considéré comme l’un des moments déterminants de la genèse de la philosophie du procès par G. R. Lucas dans l’ouvrage cité ci-dessus.

    6 J. Helin, T. Hernes, D. Hjorth dir., The Oxford Handbook of Process Philosophy and Organization Studies, Oxford, Oxford University Press, 2014.

    7 C’est le cas chez J. Seibt, « Process Philosophy », art. cité.

    8 M. Hampe, « History of process-philosophy problems of method and doctrine », After Whitehead, M. Weber dir., Berlin, De Gruyter, 2012, p. 77-94.

    9 Sur Spinoza, voir notamment, D. Bidney, « The Problem of Substance in Spinoza and Whitehead », The Philosophical Review, vol. 45, no 6, nov. 1936, p. 574-592 ; F. Di Poppa, « Spinoza and Process Ontology », Southern Journal of Philosophy, vol. 48, no 3, sept. 2010, p. 272-294.

    10 Sur Leibniz, voir notamment les travaux de N. Rescher, The Philosophy of Leibniz, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1967 ; Leibniz: an Introduction to his Philosophy, Oxford, Basil Blackwell, 1979 ; Leibniz’s Metaphysics of Nature: a Group of Essays, Dordrecht and Boston, Reidel, 1981 ; Leibniz’s Monadology: an Edition for Students, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1991 ; On Leibniz, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2003.

    11 G. Vlastos, « Organic Categories in Whitehead », The Journal in Philosophy, vol. 35, no 10, 1937, p. 253-262 ; G. R. Lucas, Two Views of Freedom in Process Thought: A Study of Hegel and Whitehead, Chico, Scholars Press, 1979 ; G. R. Lucas dir., Hegel and Whitehead: Contemporary Perspectives on Systematic Philosophy, Albany, SUNY Press, 1986 ; D. E. Christensen, The Search for Concreteness. Reflections on Hegel and Whitehead: a Treatise on Self-Evidence and Critical Method in Philosophy, Londres/Toronto, Associated University Press, 1986.

    12 Nous avons proposé de distinguer ces trois options ontologiques dans E. Renault, « Critical Theory and Processual Social Ontology », Journal of Social Ontology, vol. 2, no 1, 2016, en ligne : [https://doi.org/10.1515/jso-2015-0013].

    13 Pour illustrer l’idée d’ontologie de la relation, mentionnons E. Cassirer (Substance et fonction. Éléments pour une théorie du concept, Paris, Minuit, 1977) ainsi que les différentes versions du structuralisme.

    14 Selon N. Rescher, la démarche générale des philosophies du procès consiste à « accorder la priorité à l’activité plutôt qu’à la substance, aux processus plutôt qu’aux produits, au changement plutôt qu’à la persistance, à la nouveauté plutôt qu’à la continuité » (Process Metaphysics, ouvr. cité, p. 31).

    15 Nous avons proposé ailleurs une analyse des critiques hégéliennes de ce qu’il appelle « l’ancienne métaphysique » et des transformations du projet métaphysique qui en résultent ; voir E. Renault, « La métaphysique entre Logique et sciences particulières », Logique et sciences concrètes chez Hegel, J.-M. Buée, E. Renault, D. Wittmann dir., Paris, L’Harmattan, 2006, p. 13-32.

    16 Les citations suivies d’un numéro de paragraphe renvoient à la troisième édition de l’Encyclopédie, dans la traduction de B. Bourgeois des éditions Vrin, 1930.

    17 C. D. Broad, Examination of McTaggart’s Philosophy, vol. 1, Cambridge University Press, 1933, chap. 7 ; W. Sellars, « Foundations for a metaphysics of pure process: The Carus lectures of Wilfrid Sellars », The Monist, vol. 64, no 1, 1981, p. 3-90.

    18 G. W. F. Hegel, Science de la logique. Livre premier. L’être, Paris, Vrin, 2015, p. 74.

    19 Nous avons proposé, dans une étude à paraître (« Nature et processualité chez Hegel ») une analyse plus approfondie de la Logique et de la Philosophie de la nature hégéliennes en tant qu’ontologie, logique et théorie de la nature processuelles.

    20 « L’effectivité est l’unité devenue immédiate de l’essence et de l’existence, ou de l’intérieur et de l’extérieur. L’extériorisation de l’effectif est l’effectif lui-même, de telle sorte qu’en elle il reste aussi bien un essentiel et qu’il n’est un essentiel que pour autant qu’il est dans une existence extérieure immédiate » (§ 142).

    21 La remarque du § 142 précise ces dimensions processuelles de l’ontologie de l’effectivité, en mettant en avant la définition dynamique de la réalité qu’elle implique (l’être comme « énergie »)

    22 Comme l’a souligné A. Doz à propos de Spinoza dans La logique de Hegel et les problèmes traditionnels de l’ontologie, Paris, Vrin, 1987, chap. 5. La complémentarité Spinoza/Leibniz a quant à elle été soulignée par H.-C. Lucas, notamment dans « Spinoza, Hegel, Whitehead: Substance, Subject, and Superject », Hegel and Whitehead, ouvr. cité, p. 39-57.

    23 F. W. J. Schelling, Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 88-89.

    24 Aussi bien dans la section des Leçons sur l’histoire de la philosophie consacrée à Spinoza que dans celle qui est consacrée à Leibniz, le second est présenté comme un correctif du premier (Paris, Vrin, t. 6, 1985, p. 1456-1457, 1575, 1597). Ce rapport apparaît clairement dans l’additif du § 151 qui présente la théorie spinozienne de la substance comme l’expression de « l’intuition orientale » de l’évanescence du fini face à « l’unité substantielle », avant d’ajouter qu’il lui manque le « principe occidental de l’individualité » qui s’exprime dans la « Monadologie leibnizienne ». Dans la Science de la logique, la section Effectivité commençait par un premier chapitre intitulé « L’absolu » qui se concluait sur une comparaison de Spinoza et Leibniz. Ce chapitre disparaît de l’Encyclopédie, mais la discussion reste déterminante comme on le constate à la lecture des leçons (Leçons sur la logique et la métaphysique. 1817, Paris, Vrin, 2017 ; Leçons sur la logique. 1831, Paris, Vrin, 2007). Pour une analyse des transformations de la section effectivité entre La Science de la logique et la dernière édition de l’Encyclopédie, voir G. Baptist, « Wirklichkeit und Geschichte. Wandlungen eines logischen Kapitels in Hegels Enzyklopädien », Hegel’s enzyklopädisches System der Philosophie, H.-C. Lucas, B. Tuschling, U. Vogel dir., Stuttgart, Frommann-Holzboog, 2004, p. 111-132.

    25 Notons également que dans l’Encyclopédie, c’est plus loin, dans la section « L’objet », que Hegel se réfère explicitement à la définition leibnizienne de la réalité comme entre-expression de monades, en ne retenant plus tant la conception dynamiste de la monade que l’idée d’une « totalité simple se décomposant en la pluralité absolue des différences » (§ 194, remarque). Dans la Science de la logique, ce thème apparaissait bien dans la section Effectivité, et il conduisait à reprocher à Leibniz, comparable en cela à Spinoza, de ne pas parvenir à véritablement faire valoir le principe d’individuation (Science de la logique. Livre deuxième. L’essence, Paris, Vrin, 2016, p. 187).

    26 La distinction de l’action et de la réaction d’une part, et de l’action réciproque d’autre part, est formulée dans la Science de la logique où l’intertitre « Action et réaction » définit le troisième moment de la section « Rapport de causalité » (ibid., p. 220-224), mais est absent de l’Encyclopédie.

    27 Notons que Hegel y développe tout autant une polémique avec Leibniz (concernant la possibilité) et Spinoza (concernant la nécessité) qu’avec Kant (concernant l’effectivité et plus généralement le concept de modalité) ; sur l’horizon antikantien de ces développements, voir K. Ng, « Hegel’s Logic of Actuality », The Review of Metaphysics, vol. 63, 2009, p. 139-172.

    28 Spinoza est mentionné à ce propos dans l’additif du § 158.

    29 La dimension pluraliste de la conception hégélienne de la nécessité, et plus généralement de l’effectivité, a été soulignée notamment par J. Findlay dans Hegel, A Re-examination, Londres, Allen and Unwin, 1958, chap. 7, section V et VI.

    30 Die Sache, vaut ici comme alternative à Das Ding, utilisé pour désigner le rapport de la chose et de ses propriétés (§ 125-130), caractéristique du concept substantialiste de la substance. Die Sache est le nom du concept processuel de la substance encore absent qui sera formulé par le développement consacré au « Rapport de substantialité » qui suit immédiatement la définition des rapports entre Sache, activité et conditions, et la redéfinition de la nécessité qu’il implique.

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    Emmanuel Renault

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    1 J. Seibt, « Process Philosophy », The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Spring 2018 Edition), Edward N. Zalta éd., en ligne : [https://plato.stanford.edu/archives/spr2018/entries/process-philosophy/] ; D. Griffin, « Process Philosophy », Routledge Encyclopedia of Philosophy, Taylor and Francis, 1998, en ligne : [https://www.rep.routledge.com/articles/thematic/process-philosophy/v-1] ; J. R. Hustwit, « Process Philosophy », Internet Encyclopedia of Philosophy, en ligne : [https://www.iep.utm.edu/processp/].

    2 Une anthologie intitulée Philosophers of Process (D. Browning dir., New York, Random House, 1965, rééditée en 1998 chez Fordham University Press) inclut des chapitres sur Nietzsche, Alexander, Bergson, Dewey, Mead, James, Peirce, Whitehead et Hartshorne.

    3 G. R. Lucas, The Genesis of Modern Process Thought: A Historical Outline, Metuchen, Scarecrow Press, 1983. Voir aussi l’entrée « Hegel » de K. E. Jensen dans M. Weber, W. Desmond dir., Handbook of Whiteheadian Process Thought, Francfort, Ontos Verlag, 2009, p. 324-332.

    4 N. Rescher, Process Metaphysics. An Introduction to Process Philosophy, New York, State University of New York Press, 1996, p. 32.

    5 Ibid., p. 13-14. Il est également considéré comme l’un des moments déterminants de la genèse de la philosophie du procès par G. R. Lucas dans l’ouvrage cité ci-dessus.

    6 J. Helin, T. Hernes, D. Hjorth dir., The Oxford Handbook of Process Philosophy and Organization Studies, Oxford, Oxford University Press, 2014.

    7 C’est le cas chez J. Seibt, « Process Philosophy », art. cité.

    8 M. Hampe, « History of process-philosophy problems of method and doctrine », After Whitehead, M. Weber dir., Berlin, De Gruyter, 2012, p. 77-94.

    9 Sur Spinoza, voir notamment, D. Bidney, « The Problem of Substance in Spinoza and Whitehead », The Philosophical Review, vol. 45, no 6, nov. 1936, p. 574-592 ; F. Di Poppa, « Spinoza and Process Ontology », Southern Journal of Philosophy, vol. 48, no 3, sept. 2010, p. 272-294.

    10 Sur Leibniz, voir notamment les travaux de N. Rescher, The Philosophy of Leibniz, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1967 ; Leibniz: an Introduction to his Philosophy, Oxford, Basil Blackwell, 1979 ; Leibniz’s Metaphysics of Nature: a Group of Essays, Dordrecht and Boston, Reidel, 1981 ; Leibniz’s Monadology: an Edition for Students, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 1991 ; On Leibniz, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2003.

    11 G. Vlastos, « Organic Categories in Whitehead », The Journal in Philosophy, vol. 35, no 10, 1937, p. 253-262 ; G. R. Lucas, Two Views of Freedom in Process Thought: A Study of Hegel and Whitehead, Chico, Scholars Press, 1979 ; G. R. Lucas dir., Hegel and Whitehead: Contemporary Perspectives on Systematic Philosophy, Albany, SUNY Press, 1986 ; D. E. Christensen, The Search for Concreteness. Reflections on Hegel and Whitehead: a Treatise on Self-Evidence and Critical Method in Philosophy, Londres/Toronto, Associated University Press, 1986.

    12 Nous avons proposé de distinguer ces trois options ontologiques dans E. Renault, « Critical Theory and Processual Social Ontology », Journal of Social Ontology, vol. 2, no 1, 2016, en ligne : [https://doi.org/10.1515/jso-2015-0013].

    13 Pour illustrer l’idée d’ontologie de la relation, mentionnons E. Cassirer (Substance et fonction. Éléments pour une théorie du concept, Paris, Minuit, 1977) ainsi que les différentes versions du structuralisme.

    14 Selon N. Rescher, la démarche générale des philosophies du procès consiste à « accorder la priorité à l’activité plutôt qu’à la substance, aux processus plutôt qu’aux produits, au changement plutôt qu’à la persistance, à la nouveauté plutôt qu’à la continuité » (Process Metaphysics, ouvr. cité, p. 31).

    15 Nous avons proposé ailleurs une analyse des critiques hégéliennes de ce qu’il appelle « l’ancienne métaphysique » et des transformations du projet métaphysique qui en résultent ; voir E. Renault, « La métaphysique entre Logique et sciences particulières », Logique et sciences concrètes chez Hegel, J.-M. Buée, E. Renault, D. Wittmann dir., Paris, L’Harmattan, 2006, p. 13-32.

    16 Les citations suivies d’un numéro de paragraphe renvoient à la troisième édition de l’Encyclopédie, dans la traduction de B. Bourgeois des éditions Vrin, 1930.

    17 C. D. Broad, Examination of McTaggart’s Philosophy, vol. 1, Cambridge University Press, 1933, chap. 7 ; W. Sellars, « Foundations for a metaphysics of pure process: The Carus lectures of Wilfrid Sellars », The Monist, vol. 64, no 1, 1981, p. 3-90.

    18 G. W. F. Hegel, Science de la logique. Livre premier. L’être, Paris, Vrin, 2015, p. 74.

    19 Nous avons proposé, dans une étude à paraître (« Nature et processualité chez Hegel ») une analyse plus approfondie de la Logique et de la Philosophie de la nature hégéliennes en tant qu’ontologie, logique et théorie de la nature processuelles.

    20 « L’effectivité est l’unité devenue immédiate de l’essence et de l’existence, ou de l’intérieur et de l’extérieur. L’extériorisation de l’effectif est l’effectif lui-même, de telle sorte qu’en elle il reste aussi bien un essentiel et qu’il n’est un essentiel que pour autant qu’il est dans une existence extérieure immédiate » (§ 142).

    21 La remarque du § 142 précise ces dimensions processuelles de l’ontologie de l’effectivité, en mettant en avant la définition dynamique de la réalité qu’elle implique (l’être comme « énergie »)

    22 Comme l’a souligné A. Doz à propos de Spinoza dans La logique de Hegel et les problèmes traditionnels de l’ontologie, Paris, Vrin, 1987, chap. 5. La complémentarité Spinoza/Leibniz a quant à elle été soulignée par H.-C. Lucas, notamment dans « Spinoza, Hegel, Whitehead: Substance, Subject, and Superject », Hegel and Whitehead, ouvr. cité, p. 39-57.

    23 F. W. J. Schelling, Introduction à l’Esquisse d’un système de philosophie de la nature, Paris, Le Livre de Poche, 2001, p. 88-89.

    24 Aussi bien dans la section des Leçons sur l’histoire de la philosophie consacrée à Spinoza que dans celle qui est consacrée à Leibniz, le second est présenté comme un correctif du premier (Paris, Vrin, t. 6, 1985, p. 1456-1457, 1575, 1597). Ce rapport apparaît clairement dans l’additif du § 151 qui présente la théorie spinozienne de la substance comme l’expression de « l’intuition orientale » de l’évanescence du fini face à « l’unité substantielle », avant d’ajouter qu’il lui manque le « principe occidental de l’individualité » qui s’exprime dans la « Monadologie leibnizienne ». Dans la Science de la logique, la section Effectivité commençait par un premier chapitre intitulé « L’absolu » qui se concluait sur une comparaison de Spinoza et Leibniz. Ce chapitre disparaît de l’Encyclopédie, mais la discussion reste déterminante comme on le constate à la lecture des leçons (Leçons sur la logique et la métaphysique. 1817, Paris, Vrin, 2017 ; Leçons sur la logique. 1831, Paris, Vrin, 2007). Pour une analyse des transformations de la section effectivité entre La Science de la logique et la dernière édition de l’Encyclopédie, voir G. Baptist, « Wirklichkeit und Geschichte. Wandlungen eines logischen Kapitels in Hegels Enzyklopädien », Hegel’s enzyklopädisches System der Philosophie, H.-C. Lucas, B. Tuschling, U. Vogel dir., Stuttgart, Frommann-Holzboog, 2004, p. 111-132.

    25 Notons également que dans l’Encyclopédie, c’est plus loin, dans la section « L’objet », que Hegel se réfère explicitement à la définition leibnizienne de la réalité comme entre-expression de monades, en ne retenant plus tant la conception dynamiste de la monade que l’idée d’une « totalité simple se décomposant en la pluralité absolue des différences » (§ 194, remarque). Dans la Science de la logique, ce thème apparaissait bien dans la section Effectivité, et il conduisait à reprocher à Leibniz, comparable en cela à Spinoza, de ne pas parvenir à véritablement faire valoir le principe d’individuation (Science de la logique. Livre deuxième. L’essence, Paris, Vrin, 2016, p. 187).

    26 La distinction de l’action et de la réaction d’une part, et de l’action réciproque d’autre part, est formulée dans la Science de la logique où l’intertitre « Action et réaction » définit le troisième moment de la section « Rapport de causalité » (ibid., p. 220-224), mais est absent de l’Encyclopédie.

    27 Notons que Hegel y développe tout autant une polémique avec Leibniz (concernant la possibilité) et Spinoza (concernant la nécessité) qu’avec Kant (concernant l’effectivité et plus généralement le concept de modalité) ; sur l’horizon antikantien de ces développements, voir K. Ng, « Hegel’s Logic of Actuality », The Review of Metaphysics, vol. 63, 2009, p. 139-172.

    28 Spinoza est mentionné à ce propos dans l’additif du § 158.

    29 La dimension pluraliste de la conception hégélienne de la nécessité, et plus généralement de l’effectivité, a été soulignée notamment par J. Findlay dans Hegel, A Re-examination, Londres, Allen and Unwin, 1958, chap. 7, section V et VI.

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