Ce qu’une historienne de la philosophie a appris des études de controverses en histoire des sciences
p. 115-131
Texte intégral
1L’histoire de la philosophie n’a rien d’un long fleuve tranquille. Elle ressemble plutôt à l’« arène (Kampfplatz) de controverses infinies (endlosen Streitigkeiten) » qu’évoquait la première édition de Critique de la raison pure pour décrire l’état de la métaphysique. Dans la seconde édition, Kant notait plus explicitement que, dans cette arène, « aucun combattant n’a jamais pu s’emparer de la plus petite place et fonder sur sa victoire une possession durable »1. En philosophie, on passe son temps à se disputer sans jamais rien conclure, selon le bon mot rapporté par Leibniz : « On montra à Casaubon la salle de la Sorbonne, et on lui dit : Voici un lieu où l’on a disputé durant tant de Siecles ; il repondit : Qu’y a-t-on conclu ? »2.
2Pourtant, l’histoire de la philosophie fait peu de place à l’étude des controverses, des querelles, des débats ou des disputes. Les ouvrages caractéristiques de la profession se présentent encore aujourd’hui sous la forme « Le concept x chez y », comme si les philosophes secrétaient les concepts à la manière dont les arbres font des bourgeons et dont les vaches produisent du lait. Dans les ouvrages qui adoptent cette forme, conflits ouverts, échanges amers et désaccords insurmontables sont tenus pour négligeables : au pire ce sont les manifestations rétrogrades de ceux qui résistent à la bonne parole du grand philosophe, au mieux une occasion pour ce dernier de formuler un concept un peu mieux qu’il ne l’aurait fait s’il avait été seul. Et, naturellement, il est rare que la phrase précédente soit mise au féminin.
3Laissant de côté la question de savoir pourquoi le terme « controverse », qui au xviie siècle se rapportait presque exclusivement à la partie de la théologie catholique enseignant comment réfuter les protestants (ou le contraire, si on était protestant), en est venu à dominer la terminologie des échanges conflictuels, l’historienne de la philosophie peut se demander ce que serait sa discipline si elle était écrite non comme une histoire des concepts, mais comme une histoire des controverses. Elle se confrontera alors au fait – paradoxal si, avec Kant, on considère que les sciences sont depuis longtemps sur une « voie sûre » – que, contrairement à l’histoire de la philosophie, l’histoire des sciences a depuis une quarantaine d’années fait une large place à l’étude des controverses. Contre une représentation idéale des sciences qui en faisait des empires autonomes, la sociologie a utilisé les controverses pour montrer qu’elles se constituaient dans le bruit et la fureur du social ; contre l’image illusoire d’une démonstrativité stricte qui procéderait sans aucun reste, la philosophie a vu dans les controverses le moyen de rétablir les droits d’une rationalité argumentative, la rationalité de sujets épistémiques devant prendre parti alors qu’ils disposent seulement de connaissances limitées.
4Dans le présent article, reprenant quelques-unes des considérations constituant l’arrière-plan théorique d’une HDR dont Pierre-François Moreau fut le garant en 2010, que je n’ai pas eu l’occasion de publier même si j’en ai fait état dans des cours et discuté dans des séminaires, j’expose ce qu’apprend une historienne de la philosophie de ce double héritage, celui de la sociologie des sciences et celui de la philosophie des sciences3. Pour cela, je commence par caractériser les controverses en général, qu’elles soient scientifiques ou philosophiques. J’analyse ensuite la controverse sur les controverses qui a opposé les sociologues relativistes qui se sont réclamés du Programme fort et les philosophes rationalistes qui se sont opposés à ce programme. Dans un troisième et dernier temps, ayant adopté une attitude déflationniste par rapport à cette métacontroverse, je récapitule ce que gagnera l’historienne de la philosophie à l’étude des controverses.
Une caractérisation des controverses
5S’il est vain de prétendre donner une définition stipulative des controverses4, il n’est pas inutile de les caractériser, ne serait-ce que parce qu’il faut s’assurer que controverses scientifiques et controverses philosophiques tombent bien sous le même concept pour pouvoir transposer des manières de faire de l’histoire des sciences à l’histoire de la philosophie. À cet effet, je propose de dire qu’une controverse est l’expression d’un désaccord (1), qui a une certaine effectivité (2) et qui est plus profond qu’il n’en a l’air (3)5.
61) Une controverse est l’expression d’un désaccord. Contrairement à des échanges paisibles et consensuels, une controverse inclut du désaccord, de la confrontation, de la dissension, de l’affrontement, de l’opposition, de la contradiction. C’est pourquoi les controverses sont souvent comparées à des batailles. Aussi complexe et incompréhensible que soit parfois un champ de bataille pour celui qui s’y trouve jeté, il fait partie d’une guerre dans laquelle il y a au moins deux camps, que quantité de signes distinguent : positions sur le terrain et territoires de référence, uniformes, chaînes de commandement, jeu de traités et d’alliances.
7De manière similaire, mais non identique, une controverse tend à répartir une multitude de différences selon deux pôles, qui sont tout à la fois intellectuels (il y a une alternative entre plusieurs positions qui se présentent idéalement comme un choix entre la proposition « p » et la proposition « non-p ») et sociaux (il y a deux camps qui correspondent, au moins tendanciellement, à deux institutions, à deux disciplines, à deux groupes d’intérêt). Les arguments étant plus faciles à multiplier que les soldats, toute controverse durable est animée par un renversement continuel de la bipolarité à la multipolarité et, réciproquement, de la multipolarité à la bipolarité. Les thèses soutenues et les raisons avancées vont se diversifiant au fur et à mesure, mais aussi se réorganisant sans cesse entre deux pôles.
8Parce que certaines des différences existaient avant la controverse, mais que celle-ci les organise ou les remet en jeu, ceux qui insistent sur les enjeux dramatiques que présenterait l’étude des controverses les décrivent usuellement comme des moments d’institution radicale, et non de simple révélation, et ils soutiennent que la polarisation est la conséquence de la controverse, et non sa cause6. D’autres présentent au contraire la polarisation sous la forme d’un choix entre la proposition « p » et la proposition « non-p » comme le moteur d’une dynamique progressive des sciences reposant sur un réfutationnisme incrémental7. En fait, la chose est indécidable : la seule chose incontestable est que les controverses s’accompagnent de polarisations successives, qu’il convient de repérer et de décrire comme telles.
92) Tout désaccord ne fait pas controverse : une controverse suppose une certaine effectivité du désaccord. L’effectivité se rapporte tout d’abord aux actes de langage tels que les comprend la pragmatique, et c’est pourquoi Marcelo Dascal a rapproché controverses et dialogues fictifs8. Comme un dialogue fictif, une controverse détermine un espace dialogique fini dans lequel il convient de replacer chaque argument pour le comprendre. Un argument mobilisé dans une controverse ne prend pas sens seulement en tant que proposition existant dans l’espace indéfini de toutes les propositions possibles, mais par ce qu’il accomplit dans l’espace fini de la controverse en question, au point qu’une même proposition peut constituer un bon ou un mauvais argument selon l’endroit où il se trouve placé dans cet espace fini. Aussi, comprendre un argument dans une controverse, c’est identifier l’argument auquel il répond, cerner en quoi il y répond et en quoi il n’y répond pas, expliciter les énoncés d’arrière-plan qu’il présuppose, se demander s’il modifie la charge de la preuve, suivre les contre-arguments qu’il suscite, etc. D’où vient qu’une controverse est limitée dans l’espace et le temps : assurément, il y a des problèmes durables, des controverses qui passaient pour périmées peuvent être réactualisées, il arrive qu’on réveille les mortes pour utiliser les arguments qu’elles avaient formulés autrefois. Mais ce sont des vivantes qui réveillent les mortes pour réactualiser leurs arguments en les plaçant dans l’espace dialogique fini d’une controverse actuelle9.
10L’effectivité des controverses s’entend également d’une autre manière, elle aussi repérée par Dascal, qui apparaît quant à elle par contraste avec les polémiques avec des autrices qui sont mortes. Par rapport à elles, les controverses ont cette particularité qu’elles se déploient entre des protagonistes qui se répondent effectivement les unes aux autres. Il en résulte qu’aucune d’entre elles ne peut la contrôler totalement, chacune étant en mesure d’infléchir la controverse dans une direction ou dans une autre, d’en redéfinir les enjeux intellectuels, d’en réécrire l’histoire, d’y associer de nouveaux partenaires, de modifier l’espace dans lequel elle se déploie, ou de changer la nature et la fonction de son public – bref, de la faire déborder hors du cadre que souhaitait l’adversaire. Pour détailler seulement un des infléchissements mentionnés, le public d’une controverse, sans que rien ne soit jamais définitivement figé, peut être constitué de pairs, de spécialistes d’une autre discipline ou de ce qu’on appelle le grand public (avec toutes sortes de modalités intermédiaires) et il peut avoir une fonction de témoin, d’arbitre ou de juge10. De ce point de vue, le cadre d’une controverse n’est pas délimité une fois pour toutes et son évolution est imprévisible.
113) Finalement, la controverse persiste un certain temps. Comme le remarque Gideon Freudenthal, il n’y a pas controverse si une mathématicienne admet, suite aux remarques d’une collègue, qu’elle a fait une erreur de calcul, ou si une biologiste se trouve convaincue par une autre biologiste que son protocole expérimental a manqué de rigueur. Toutefois, la notion de persistance est floue et elle ne va pas au fond des choses. Pour caractériser les controverses, on dira plutôt qu’un désaccord effectif conduit à une controverse s’il est plus profond qu’il n’en a l’air. Cette caractéristique a été identifiée par Freudenthal, qui note que le désaccord « donne l’impression qu’en principe il peut être réglé », alors même qu’« il ne peut pas être réglé par les procédures classiques dans la discipline concernée »11. Les deux temps de cette affirmation sont également importants :
12a) Le désaccord donne l’impression qu’il va pouvoir être réglé. Si les protagonistes pensaient que leur désaccord ne peut pas être surmonté, par exemple parce qu’elles estiment s’inscrire dans des schèmes conceptuels totalement incommensurables l’un à l’autre ou encore parce qu’elles n’ont aucune estime l’une pour l’autre, elles ne se donneraient pas la peine de controverser. Bien plutôt, elles passeraient leur chemin, resteraient silencieux ou tourneraient en dérision leurs adversaires : comme le disait Aristote à la fin des Topiques, il y a des gens avec lesquels il vaut mieux ne pas engager la discussion… En ce sens, l’étude des controverses n’implique pas qu’on fasse l’hypothèse qu’une sorte d’antagonisme universel règne sur les mondes intellectuels – au contraire, une controverse se déploie sur fond d’accord entre les protagonistes, puisqu’elles pensent qu’une discussion est possible et qu’elle va mettre fin à leur désaccord, ce qui constitue tout compte fait une manière rare de gérer un désaccord.
13b) Le désaccord ne peut cependant pas être réglé par les procédures classiques dans la discipline concernée. En ce sens, toute controverse repose sur une illusion : on croit possible de convaincre son adversaire, mais on n’y arrive pas, ou pas aussi aisément qu’on le pensait, de sorte que la controverse enfle de toutes parts. Toutefois, l’illusion en question est féconde pour deux raisons. En premier lieu, elle conduit chaque protagoniste à chercher de nouveaux arguments pour tenter de convaincre son adversaire : une controverse peut en ce sens être décrite comme un générateur d’arguments ou comme un accélérateur d’argumentation. En second lieu, elle conduit les protagonistes à formuler ce qu’on peut appeler des méta-arguments, qui n’interviennent pas dans les échanges ordinaires et qui, sans la controverse, seraient demeurés cachés, n’auraient pas été formulés ou seraient restés à l’état de choses impensées. L’objet de ces méta-arguments est d’expliciter les normes constitutives d’un domaine, que ces normes soient d’ordre intellectuel et cernent ce qui est admis comme un bon argument (y compris quand il s’agit d’une preuve expérimentale) ou qu’elles soient d’ordre social et précisent à quel titre, de quelle manière, et avec quelles qualités on est en droit d’intervenir (ce qui fait à l’évidence jouer d’autres raisons que des raisons logiques)12. Par-là, on comprend qu’insister sur l’importance des arguments – ce qui est inévitable, une controverse étant un phénomène discursif –, ce n’est pas clore l’argumentation sur elle-même – car les arguments s’articulent avec ce qui n’est pas discursif.
Une controverse sur l’étude des controverses
14L’articulation des normes intellectuelles et normes sociales dans l’analyse des controverses a suscité ce qu’on peut appeler une controverse sur les controverses13. Pour en préciser la portée, je commence par marquer les limites d’une historiographie imaginaire qui constitue désormais une sorte de vulgate en France (1) ; je montre ensuite que l’importance de l’étude des controverses est venue du désir de comprendre les sciences en train de se faire, ce qui explique l’affinité qui existe entre étude des controverses et histoire des sciences (2) ; finalement, j’identifie les pôles de cette controverse au carré dont le terrain par excellence a été l’histoire des sciences (3).
151) Une historiographie imaginaire. À partir de la fin des années 1990, un certain nombre de publications en français se sont proposé de faire le bilan historiographique de ce qu’avait apporté l’étude des controverses14. D’une de ces publications à l’autre, on retrouve la thèse selon laquelle ce serait la sociologie des sciences inspirée par le Programme fort de David Bloor et de Barry Barnes qui aurait établi l’importance des controverses en sciences, une thèse accompagnée du corollaire que les outils méthodologiques permettant d’étudier les controverses se trouveraient dans le Programme fort ou en seraient dérivés. Ce programme, rappelons-le, exigeait de la sociologie qu’elle respecte quatre principes, le principe de causalité selon lequel elle doit établir quelles sont les causes des croyances scientifiques, le principe d’impartialité qui lui interdit de privilégier le vrai par rapport au faux, les succès par rapport aux échecs et le rationnel par rapport à l’irrationnel, le principe de symétrie qui lui enjoint d’utiliser le même type de causes pour expliquer toutes les croyances, qu’elles soient jugées vraies ou fausses, et finalement, le principe de réflexivité qui lui demande de s’appliquer à elle-même les méthodes qu’elle applique aux autres sciences15. Quelques publications emblématiques (un numéro spécial de la revue Social Studies of Science dirigé par Harry Collins en 1981, l’ouvrage de Steven Shapin et Simon Schaffer, Leviathan and the Air-Pump publié en 1985) le montrent bien, l’étude des controverses a effectivement été mise au service du Programme fort16. Mais l’idée qu’il y aurait un lien fort entre sociologie des sciences inspirée par le Programme fort et étude des controverses doit à tout le moins être nuancée : elle repose en fait sur l’ignorance ou l’oblitération de plusieurs traditions d’étude des controverses.
16D’une part, comme le savaient bien, contrairement à leurs épigones français, les sociologues des sciences ayant élaboré et développé le Programme fort17, la sociologie des sciences n’a pas ignoré les controverses jusqu’aux années 1980. Robert K. Merton avait ainsi consacré un article séminal aux querelles de priorités18. Assurément, ces querelles constituent un cas particulier de controverses ; mais, en montrant qu’elles constituent le symptôme d’une norme institutionnelle, Merton en faisait un phénomène normal et pour tout dire essentiel dans les sciences, une conclusion qui pouvait être étendue à toutes les espèces de controverse. Partant en effet du constat que l’importance des querelles de priorité interdit d’y voir seulement un phénomène accidentel, qu’on expliquerait par exemple en termes psychologiques (la nature querelleuse des hommes, l’égocentrisme des scientifiques…), il suggérait d’identifier la norme institutionnelle que révèlent ces querelles, en l’occurrence la recherche d’originalité. Si la norme est de produire des résultats scientifiques originaux, les protagonistes de ces querelles s’affrontent pour que l’originalité de leurs travaux soit reconnue, matériellement ou symboliquement.
17Au tout début des années 1970, Dorothy Nelkin avait quant à elle travaillé sur des controverses publiques mobilisant des questions techniques et scientifiques19. Elle avait souligné l’importance qu’ont les experts dans des sociétés où les décisions doivent être publiquement justifiées non sur une base politique reposant sur la confrontation de valeurs pluralistes, mais sur une base scientifique et technique, supposée être neutre du point de vue des valeurs religieuses, morales et politiques. Elle avait aussi relevé le paradoxe que constitue, dans les démocraties contemporaines, le fait que les décisions publiques reposent sur des savoirs que seuls quelques experts possèdent, alors que chacune devrait avoir son mot à dire sur des décisions qui la concernent. Finalement, elle avait montré que la référence aux experts, loin d’éteindre les controverses, les exacerbe, mais aussi qu’on peut se faire entendre seulement à condition de s’approprier des savoirs d’experts – de sorte que ce qui caractérise la situation contemporaine, ce n’est pas la disparition des experts, mais leur multiplication. Par rapport aux travaux de Nelkin, les sociologues constructivistes semblent avoir laissé de côté questions politiques et engagements militants pour asseoir leur légitimité universitaire.
18D’autre part, les controverses n’ont pas été étudiées exclusivement par les constructivistes. Du côté de la sociologie, on peut remarquer qu’Yves Gingras, Dominique Raynaud ou Pascal Ragouet ont travaillé sur les controverses sans pour autant adhérer au Programme fort, tant s’en faut20. Du côté de la philosophie, sur laquelle je me concentrerai ici, Marcelo Dascal est incontournable, dans la mesure où il a tout à la fois pratiqué et promu l’étude de controverses scientifiques et philosophiques, esquissé leur théorisation en termes d’une rationalité plus ordinaire que la rationalité intransigeante des mathématiques et, finalement, proposé à leur lumière une réinterprétation de l’œuvre de Leibniz. Selon une expression de Leibniz que Dascal a mise en exergue, Leibniz, loin de penser que tous les problèmes pouvaient se résoudre d’un calculemus, aurait défendu une manière de procéder plus douce (blandior tractandi ratio). Cette manière de procéder, qu’on trouve par exemple dans la pratique juridique, repose sur la reconnaissance du point de vue de l’autre, et Leibniz aurait cherché à décrire les conditions et les modalités de cette reconnaissance dans les textes que Dascal a réunis sous le titre The Art of Controversies21.
19S’il y a plus généralement un cadre théorique des travaux des philosophes qui se sont intéressés aux controverses, ce n’est pas le Programme fort, mais le renouveau de la dialectique aristotélicienne qu’avaient suscité les travaux de Chaïm Perelman et Lucie Obrechts-Tyteca22. La convergence entre ce renouveau et l’étude des controverses vient de ce que, contre le tournant historique du xviie siècle consistant à miser exclusivement sur ce qui est absolument certain et à rejeter le probable dans le domaine de l’opinion, des éléments ont été trouvés chez Aristote pour ressusciter une rationalité argumentative, qui serait plus conforme à la manière dont progressent les sciences, mais aussi à la manière dont nous fonctionnons ordinairement. Cette rationalité argumentative, également à l’œuvre dans les controverses, constituerait un troisième terme entre, d’un côté, démonstration mathématique ou preuve empirique et, de l’autre, persuasion seulement rhétorique23.
202) Une fois établi que l’intérêt pour les controverses n’a été propre ni à la sociologie des sciences constructiviste, ni à la sociologie des sciences en général, il reste à préciser ce qui était attendu de l’étude des controverses. La convergence entre les uns et les autres est plus significative qu’on ne le dit d’ordinaire. Pour les uns comme pour les autres, il s’est agi, par-delà les sciences toutes faites qu’on trouve dans les manuels, de restituer les sciences en train de se faire, les sciences avant le partage entre le vrai et le faux, les sciences qui sont encore dans un moment d’indécision dans lequel on ne sait pas qui seront les gagnants et qui seront les perdants. D’un point de vue méthodologique, cela explique d’ailleurs que Bloor et Pinch aient privilégié les sciences contemporaines : ce sont des sciences qui ne sont pas encore faites24. Les controverses sont essentielles dans cette perspective : à condition que nous prenions également au sérieux les différents protagonistes, une controverse nous donne les moyens de revenir à ce moment d’indécision et de comprendre pourquoi il y avait indécision. Si nous sommes capables, par une sorte d’ascèse intellectuelle, de revenir à ce moment, les principes de symétrie et d’impartialité sont respectés : il est naturel de traiter le vrai et le faux sur un pied d’égalité, pour la simple raison qu’ils ne sont pas encore totalement établis comme « vrai » et comme « faux » ; et, par là même on procède symétriquement, puisque, évitant de considérer que les croyances fausses ont pour origine un parasitage social alors que les croyances vraies s’expliquent par une adéquation avec la nature, on recourt aux mêmes causes pour expliquer les croyances, qu’elles en soient venues ultérieurement à être tenues pour vraies ou à être tenues pour fausses.
21Un excellent exemple de cette convergence apparaît si l’on compare l’étude de la controverse entre Boyle et Hobbes par Shapin et Schaffer et l’étude de la controverse entre Leibniz et Papin par Freudenthal : pas plus que Boyle n’est érigé en visionnaire génial d’une culture reposant sur les faits expérimentaux, Leibniz n’est présenté comme le grand homme qui aurait su identifier les principes nécessaires à l’établissement de la mécanique rationnelle ; si Boyle utilise comme Hobbes des techniques rhétoriques, sociales et matérielles, Leibniz n’est pas moins prolixe que Papin en machinationes25. En ce sens, l’exigence d’appliquer les principes d’impartialité et de symétrie à l’étude des controverses est partagée par tous ceux qui étudient les controverses depuis les années quatre-vingt du siècle dernier, du moins en tant qu’ils s’intéressent à des phénomènes localisés dans l’espace et dans le temps.
223) Le principe de causalité. Ce même exemple permet de repérer le point sur lequel les uns et les autres se séparent. Pour Shapin et Schaffer, les controverses, dans la mesure où elles restituent les sciences en train de se faire, les montrent en tant qu’elles apparaissent dans un contexte social déterminé ; et on peut se demander s’ils ne franchissent pas le pas de la corrélation à la causalité lorsqu’ils affirment d’entrée de jeu que « les solutions au problème du savoir sont inscrites (embedded) dans les solutions pratiques apportées au problème de l’ordre social, et les différentes solutions pratiques apportées au problème de l’ordre social impliquent (encapsulate) des solutions pratiques opposées au problème du savoir »26. La question est de savoir comment interpréter l’« inscription » ou l’« implication » de l’ordre du savoir dans l’ordre de la société. Shapin et Schaffer ne veulent pas passer pour des marxistes vulgaires : aussi ne défendent-ils pas simplement la thèse que l’ordre du savoir refléterait l’ordre social ou qu’il serait causalement déterminé par lui. Mais, dans la mesure où ils entendent appliquer un principe de causalité et où ces deux ordres sont mentionnés, il est à peu près inévitable de faire intervenir entre ces termes un rapport causal. Ce sont d’ailleurs bien des énoncés causaux qui apparaissent dans le dernier chapitre, qui attribue aux vainqueurs de l’Angleterre de la Restauration la capacité à imposer leur solution au problème de l’ordre dans les sciences et dans la société27. Il y a là une tactique déjà décrite par Raymond Boudon et Yves Gingras, qui explique d’ailleurs en partie le grand succès du livre, consistant à énoncer successivement une thèse forte qu’on peut mettre en avant pour avoir un air radical et une thèse faible derrière laquelle on pourra se réfugier si la situation l’exige, ou à employer des termes assez vagues pour autoriser plusieurs interprétations, l’une engageante ontologiquement, l’autre seulement méthodologique28.
23Freudenthal quant à lui ne nie pas l’existence d’éléments extra-cognitifs (sociaux, politiques ou psychologiques), qu’il rassemble dans la catégorie des machinationes. Mais il affirme que ces éléments peuvent être séparés des gains rationnels auxquels la controverse conduit, alors même que Leibniz et Papin n’ont pas réussi à établir un consensus. En ce sens, une controverse scientifique est selon Freudenthal un phénomène sui generis, un phénomène spécifique qui procède d’un certain état du savoir et dans lequel les éléments épistémiques peuvent être isolés. En l’occurrence, la controverse de Leibniz et Papin a permis une clarification des interprétations possibles du système conceptuel de la mécanique naissante. « Cette controverse est née au sein d’un système de savoir qui n’était pas totalement élaboré, peut-être même pas entièrement cohérent. […] Autour d’un noyau commun de principes, de théorèmes et de techniques, il y avait des éléments supplémentaires isolés et il n’était pas encore clair qu’ils pouvaient être intégrés de manière cohérente dans ce noyau et comment. La controverse a beaucoup contribué à cette intégration »29. Ainsi, le moteur des changements scientifiques est pour Shapin et Schaffer un ensemble de déterminations sociales ; pour Freudenthal, c’est une dynamique progressive par laquelle les sciences s’auto-rectifient. Sociologues des sciences constructivistes et philosophes se distinguent donc parce qu’ils n’appliquent pas le principe de causalité de la même façon, ou, si l’on préfère, parce qu’ils n’ont pas le même principe de causalité : les sociologues constructivistes sont cartésiens, en ce qu’ils admettent une causalité entre deux genres d’êtres distincts, les philosophes sont spinozistes, en ce qu’ils appliquent la causalité seulement à l’intérieur d’un genre d’être.
24La question de la causalité se manifeste dans deux questions connexes, la question de l’échelle spatio-temporelle et la question de la clôture des controverses. En premier lieu, l’existence d’un lien causal devient plus difficile à soutenir dès qu’on élargit la focale. Il est difficile de soutenir que l’ordre social de l’Angleterre de la Restauration a été la cause d’une solution au problème du savoir dès qu’on considère d’autres lieux, et il n’est pas besoin ici d’être très exotique : il suffit de tenir compte de la France, des Pays-Bas, ou de l’Italie. Et puis, l’indécision n’est pas pérenne : si l’on considère une période plus longue que ce que j’ai appelé « moment d’indécision », il est impossible de traiter à égalité les croyances tenues pour vraies et les croyances tenues pour fausses, ou d’expliquer la persistance des unes et des autres par les mêmes causes. En second lieu, le traitement de la clôture des controverses dépend du genre de causalité qu’on fait intervenir, les philosophes ayant insisté sur les cas où les controverses ne se terminent pas par l’intervention d’une autorité sociale extérieure30.
Laissons-là tous les paradigmes…
25L’existence de ce différend sur la causalité nous place-t-elle en face d’un choix qui serait incontournable avant l’étude de toute controverse ? Dans cette troisième et dernière partie, je commence par suggérer que cette controverse au carré, loin de constituer une opposition entre paradigmes, s’enracine dans des énoncés théoriques qui ne sont pas mis en pratique dans les études de controverses (1). Si on peut étudier des controverses sans prendre position dans la controverse qui oppose les relativistes et les réalistes, il reste à dire pour finir ce que l’historienne de la philosophie gagne à étudier les controverses (2).
261) Dans un article au demeurant bien informé, Antoine Lilti affirme sans donner aucune référence que l’étude de controverses se trouve « écartelée entre deux paradigmes assez différents, celui du dialogisme et celui de la conflictualité » : l’objectif du premier serait d’« intégrer au fonctionnement normal de la science ou de la philosophie les procédures de la discussion intellectuelle et de penser le progrès de la connaissance comme la résolution des désaccords par l’échange d’arguments », le second s’intéresserait « aux engrenages polémiques et à leur violence, voire aux risques d’anomie dont la dissension théorique ou dogmatique est porteuse »31. Il est tentant de penser que Lilti pensait en écrivant ces lignes au contraste qui existe, par exemple, entre les positions de Shapin et Schaffer et les positions de Freudenthal. Mais ce contraste ne constitue pas une opposition entre deux paradigmes. Qui parle de paradigmes laisse entendre qu’on doit nécessairement choisir entre deux options incommensurables l’une à l’autre. Or, s’il y a bien un contraste entre les partisans et les adversaires du Programme fort eu égard au principe de causalité, et s’il est vrai qu’on ne peut pas à la fois être relativiste et réaliste, la distinction entre relativistes et réalistes a peu d’implications pour l’étude empirique des controverses32.
27Pour le dire rapidement, la métacontroverse s’est développée parce que les sociologues constructivistes et leurs partisans historiens ont soutenu des énoncés théoriques suffisamment ambivalents pour autoriser une interprétation radicale. Étant donné la survalorisation des énoncés théoriques qui règne en sciences humaines et sociales, ces énoncés ont attiré l’attention et, pour tout dire, ont exacerbé les susceptibilités : non seulement ils ont été discutés et parfois réfutés, mais ils ont provoqué un examen inhabituellement attentif du reste des travaux des constructivistes. Mais ces énoncés avaient-ils en tant que tels des implications réelles dans l’étude empirique des controverses ? À mon sens, rien n’est moins sûr : il s’agissait d’étendards ou de porte-drapeaux qu’on brandissait, mais qui, le plus souvent, étaient suivis de petits soldats bien plus traditionnels et ordinaires qu’on ne pouvait s’y attendre33. Si, laissant de côté le chapitre liminaire et le chapitre conclusif de Leviathan and the Air-Pump, on en lit seulement les chapitres centraux, on lira un ouvrage d’histoire intellectuelle et sociale des sciences, tout à fait traditionnel dans ses méthodes, ce qui ne l’empêche ni d’être stimulant, ni de commettre parfois des inexactitudes !
28Une objection à cette affirmation pourrait être un ouvrage de Dominique Raynaud qui entend soumettre la controverse entre relativisme et rationalisme à une sorte de test empirique. Assumant qu’il existe une implication des énoncés relativistes aux études empiriques de controverses, il met en œuvre un raisonnement hypothético-déductif : puisque le relativisme implique une certaine lecture des controverses, alors, si on peut montrer que cette lecture est fausse, le relativisme est faux34. Un cas exemplaire est alors la controverse entre Louis Pasteur et Félix Pouchet, qui avait été l’objet d’une analyse historique de John Farley et Gerald L. Geison, sur laquelle s’appuyèrent largement Latour et Bloor35. Étant donné l’importance historiographique de cette controverse, Raynaud a raison d’ouvrir de nouveau le dossier et de revenir aux sources. Mais on peut remarquer deux choses. En premier lieu, si l’article initial de Farley et Geison entendait bien faire passer la légende pasteurienne sous les Fourches caudines de l’histoire en symétrisant Pasteur et Pouchet, puis en montrant que certaines des positions de Pasteur s’expliquaient par ses convictions religieuses et politiques ou par sa position sociale, il n’y avait rien chez eux qui ressemblait à un programme systématique… Il s’agissait simplement de corriger les biais d’une historiographie qui s’était faite hagiographie, ce qui après tout est le b.a.-ba de l’histoire. En second lieu, Raynaud fait trop d’honneur à Latour en considérant que les errances de ce dernier sont des conséquences de ses positions théoriques. En fait, si Latour se trompe, ce n’est pas parce qu’il a une théorie constituée, c’est parce qu’il s’écoute parler. Ce qui doit être critiqué chez lui, ce n’est donc pas une théorie épistémologique à proprement parler, c’est un usage trompeur et vicieux du langage. Or les outils à mobiliser ne sont pas les mêmes dans l’un et l’autre cas : on montre qu’une théorie est erronée par des faits ou des arguments ; pour déconstruire un usage trompeur du langage, il faut exhiber les glissements terminologiques, les jeux de mots abusifs, les affirmations péremptoires, l’usage d’une terminologie inutilement amphigourique, etc.
292) La métacontroverse sur le relativisme et le réalisme n’ayant pas nécessairement de conséquence dans l’étude empirique d’une controverse, on peut étudier des controverses sans prendre parti dans cette métacontroverse. Et c’est, me semble-t-il, ce que l’historienne de la philosophie a tout intérêt à faire. Et cela, pas simplement au vu de la richesse qu’on trouve dans les controverses en tant qu’accélérateurs d’arguments et pépinières de méta-arguments. Par analogie avec ce qui a été établi dans le cas de l’histoire des sciences, les études de controverses amènent l’historienne de la philosophie à mieux cerner la philosophie en train de se faire, et à poser la question de l’inscription sociale des énoncés philosophiques36.
30Les controverses montrent la philosophie en train de se faire. L’historienne de la philosophie tend à croire que l’étude patiente d’une œuvre du passé lui permettra d’en attraper directement la signification et d’en évaluer l’importance sub specie aeternitatis. Mais elle n’occupe pas une position historique privilégiée qui lui permettrait de sauter à pieds joints par-dessus les multiples couches interprétatives qui la séparent de cette œuvre. Si celle-ci lui paraît limpide, c’est peut-être pour avoir hérité de ses problèmes, de ses concepts, mais aussi des normes qui lui permettaient de séparer le philosophique du non-philosophique et de discriminer la bonne et la mauvaise philosophie. Or la focalisation sur ces problèmes n’allait pas initialement de soi, la transmission de ces concepts ne s’est pas toujours passée sans encombre et le triomphe de ces normes n’était pas initialement garanti. Assurément, les controverses philosophiques ne se closent pas comme les controverses scientifiques, mais il y a bien des combats, avec des vainqueurs et des vaincus : les idéologues sont séparés des philosophes ; et parmi les philosophes, certains sont canonisés, d’autres marginalisés. En mobilisant dans l’étude des controverses les principes de symétrie et d’impartialité, l’historienne de la philosophie a peut-être une chance de dissiper cette illusion rétrospective.
31Les controverses posent la question de la dimension sociale de la philosophie. C’est une vieille question que de savoir en quoi l’histoire de la philosophie est bien une histoire : en évoquant la dimension sociale de la philosophie, je ne fais jamais que renommer cette question. L’historienne de la philosophie qui s’intéresse aux thèses et aux arguments utilisés pour les soutenir a tendance à penser que les idées s’engendrent naturellement les unes les autres, indépendamment de la position institutionnelle et plus généralement sociale de ceux et celles qui les soutiennent ou de ceux et de celles auxquels elles s’adressent. L’étude des controverses, comme la prise en compte des pratiques d’enseignement et de vulgarisation ou la réalisation de biographies et de prosopographies, permet de résister à cette tendance. Les méta-arguments qui sont formulés dans les controverses incluent en effet l’énoncé de normes qui précisent à quel titre, de quelle manière, et avec quelles qualités on est en droit d’intervenir dans le débat, que ce soit en tant que productrices ou en tant que réceptrices des énoncés philosophiques. Si, à certaines de mes amies historiennes des sciences, il m’est arrivé de conseiller de ne pas abuser du social, à mes amies historiennes de la philosophie, je voudrais donc dire : ne vous débarrassez pas trop vite de l’hypothèse du social.
Notes de bas de page
1 Kant, Kritik der reinen Vernunft, dans Gesammelten Werke, Akademie Ausgabe, vol. IV, p. 7 et vol. III, p. 14-15.
2 Leibniz, Nouveaux essais, vol. IV, chap. 7, § 11, dans Sämtliche Schriften und Briefe, Akademie Ausgabe, Reihe VI, vol. VI, p. 418.
3 Voir déjà J.-L. Fabiani, « Controverses scientifiques, controverses philosophiques. Figures, positions, trajets », Enquête, no 5, 1997, p. 11-34 ; « Disputes, polémiques et controverses dans les mondes intellectuels : vers une sociologie historique des formes de débat agonistique », Mil neuf cent, no 25, 2007, p. 45-60.
4 Comme on le constate à lire C. Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », Mil neuf cent, no 25, 2007, p. 191-212, ici p. 194-201 : il commence par donner une définition stipulative – et arbitraire – des controverses, puis il l’invalide de part en part.
5 Pour d’autres caractérisations, voir M. Dascal, « Epistemology, Controversies and Pragmatics », Isegoría, no 12, 1995, p. 8-43 ; E. McMullin, « Scientific Controversy and its Termination », Scientific Controversies. Case Studies in the Resolution and Closure of Disputes in Science and Technology, H. T. Jr. Engelhardt et A. L. Caplan éd., Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 49-91. Passim.
6 C. Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », art. cité, p. 191-192. Les affirmations de la forme « Tel phénomène est l’effet de la controverse, et non sa cause », qui prolifèrent aujourd’hui sans être jamais justifiées de quelque manière que ce soit, ont pour ultime modèle la troisième règle qu’avait formulée B. Latour, La science en action. Introduction à la sociologie des sciences [1987], traduction M. Biezunski, Paris, La Découverte, 2005, p. 241 : « Comme le règlement d’une controverse est la cause de la représentation de la nature, et non sa conséquence, nous ne pouvons jamais utiliser la conséquence – l’état de la nature – pour expliquer comment et pourquoi une controverse a été close ». B. Latour lui-même a abusé de ces formules.
7 D. Raynaud, Scientific Controversies: a Socio-Historical Perspective on the Advancement of Science, traduction L. C. Chien, New Brunswick, NJ, Transaction, 2015, p. 215-223. Pour des versions de cet ouvrage en français, voir Sociologie des controverses scientifiques, Paris, PUF, 2003 ; Sociologie des controverses scientifiques, Paris, Éditions Matériologiques, 2018 ; M. Dascal, « Observations sur la dynamique des controverses », Cahiers de linguistique française, no 17, 1995, p. 101, faisait déjà le lien entre réfutationnisme et controverses.
8 M. Dascal, « Types of Polemics and Types of Polemical Moves », Dialoganalyse VI/1: Referate der 6. Arbeitstagung, Prag 1996, S. Cmejrková, J. Hoffmannová et O. Müllerová éd., Berlin, Boston, Max Niemeyer Verlag, 2017, p. 15-34.
9 J.-L. Fabiani, « Disputes, polémiques et controverses », art. cité, p. 46-47, 54.
10 H. M. Collins et T. Pinch, « The Construction of the Paranormal: Nothing Unscientific is Happening », The Sociological Review, vol. 27, no 1, 1979, p. 237-270, ont été parmi les premiers à noter l’importance des jeux sur la nature et la fonction du public. C. Lemieux, « À quoi sert l’analyse des controverses ? », art. cité, p. 195, soutient qu’une controverse a toujours une « structure triadique », le troisième pôle étant précisément le public. Toutefois, d’un point de vue pragmatique, il y a une grande différence entre un public réel qui intervient dans la controverse, et un public virtuel qui n’est jamais que la projection imaginaire du public que chacun souhaiterait avoir. Sur les variations historiques de la notion de public, voir A. Lilti, « Querelles et controverses. Les formes du désaccord intellectuel à l’époque moderne », Mil neuf cent, no 25, 2007, p. 13-28, ici p. 17-19 et 27-28.
11 G. Freudenthal, « Perpetuum Mobile: the Leibniz-Papin Controversy », Studies in History and Philosophy of Science, Part A, vol. 33, no 3, 2002, p. 573-637, ici p. 576-577 ; « A Rational Controversy Over Compounding Forces », Scientific Controversies. Philosophical and Historical Perspectives, P. Machamer, M. Pera et A. Baltas éd., New York, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 125-142.
12 J.-L. Fabiani, « Disputes, polémiques et controverses », art. cité, p. 50-51.
13 D. Raynaud, Scientific Controversies, ouvr. cité, parle en ce sens de la métacontroverse entre rationalistes et relativistes ; J. Debaz, « Entre science et société, les controverses comme enquêtes collectives », Zilsel, no 2, 2017-2, p. 149-166, ici p. 149-151, de la controverse au carré entre internalisme et externalisme.
14 J.-L. Fabiani, « Controverses scientifiques, controverses philosophiques », art. cité ; L. Schweber, « Controverses et styles de raisonnement », Débats et controverses, no 5, 1997, p. 83-108 ; puis, dix ans plus tard, D. Pestre, « L’analyse de controverses dans l’étude des sciences depuis trente ans. Entre outil méthodologique, garantie de neutralité axiologique et politique », Mil neuf cent, no 25, 2007, p. 29-44.
15 D. Bloor et B. Barnes ont rendu public le Programme fort respectivement dans Knowledge and Social Imagery, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1976, et dans Interests and the Growth of Knowledge, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1977 ; le premier l’a défendu contre les critiques de L. Laudan dans « The Strengths of the Strong Programme », Scientific Rationality: the Sociological Turn, J. R. Brown éd., Dordrecht, Springer, 1984, p. 75-94.
16 D. Bloor dir., Knowledge and Controversy: Studies of Modern Natural Science (numéro spécial de la revue Social Studies of Science, 11, 1981), en partie traduit dans M. Callon et B. Latour, La science telle qu’elle se fait, Paris, La Découverte, 1982 ; S. Shapin et S. Schaffer, Leviathan and the Air-Pump: Hobbes, Boyle and the Experimental Life, Princeton, Princeton University Press, 1985.
17 T. Pinch et C. Leuenberger, « Studying Scientific Controversy from the STS Perspective », paper delivered at the EAST Conference Science, Controversy and Democracy, Taïwan, 3-6 août 2006, disponible en ligne : [https://scholar.google.com/scholar?oi=bibs&cluster=11336465094846743656&btnI=1&hl=en].
T. Pinch a fait sa thèse sur les neutrinos solaires (1982) sous la direction de Bloor ; dix ans plus tard, ils ont publié ensemble The Golem: What Everyone Should Know About Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, qui reprenait en grande partie les études de cas présentées dans le numéro spécial de Social Studies of Science de 1981.
18 R. K. Merton, « Priorities in Scientific Discovery: a Chapter in the Sociology of Science », American Sociological Review, vol. 22, no 6, 1957, p. 635-659, repris dans The Sociology of Science. Theoretical and Empirical Investigations, N. K. Steurer éd., Chicago et Londres, Chicago University Press, 1973, p. 286-324.
19 D. Nelkin, Nuclear Power and its Critics. The Cayuga Lake Controversy, Ithaca, Cornell University Press, 1971 ; « The Political Impact of Technical Expertise », Social Studies of Science, vol. 5, no 1, 1975, p. 35-54 ; D. Nelkin éd., Controversy. Politics of Technical Decisions, Beverly Hills, Sage Publications, 1979 ; D. Nelkin, The Creation Controversy: Science or Scripture in the Schools, New York, W. W. Norton, 1982 ; « Controversies and the Authority of Science », Scientific Controversies, ouvr. cité, p. 283-294.
20 Y. Gingras, « Pourquoi le “Programme fort” est-il incompris ? », Cahiers internationaux de sociologie, no 109, 2000, p. 235-255 ; D. Raynaud, Sociologie des controverses scientifiques, ouvr. cité ; T. Shin et P. Ragouet, Controverses sur la science. Pour une sociologie transversaliste de l’activité scientifique, Paris, Raisons d’agir, 2005 ; Y. Gingras, Controverses. Accords et désaccords en sciences humaines et sociales, Paris, CNRS Éditions, 2014 ; P. Ragouet, L’eau a-t-elle une mémoire ? Sociologie d’une controverse scientifique, Paris, Raisons d’agir, 2016, passim.
21 M. Dascal, G.W. Leibniz, The Art of Controversies, Dordrecht, Springer, 2008. L’interprétation de Leibniz que donne Dascal est discutée dans U. Goldenbaum, « Reason Light? – Kritische Anmerkungen Zu Einer Neuen Leibnizinterpretation », Studia Leibnitiana, 36-1, 2004, p. 2-21. Une liste de publications de M. Dascal est disponible sur son site : [http://www.tau.ac.il/humanities/philos/dascal/publications.html].
22 L. Obrechts-Tyteca et C. Perelman, Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique [1959], Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2008.
23 Outre les nombreux volumes que Dascal a dirigés, voir Scientific Controversies, P. Machamer, M. Pera et A. Baltas éd., ouvr. cité, et en particulier M. Pera, « Rhetoric and Scientific Controversies ».
24 D. Bloor et T. Pinch, The Golem, ouvr. cité.
25 S. Shapin et S. Schaffer, Leviathan and the Air-Pump, ouvr. cité, et G. Freudenthal, « Perpetuum mobile » et « A Rational Controversy », art. cité.
26 S. Shapin et S. Schaffer, Leviathan and the Air-Pump, ouvr. cité, p. 15. Je traduis.
27 Ibid., p. 341-342.
28 R. Boudon, L’art de se persuader des idées fausses, fragiles ou douteuses, Paris, Fayard, 1990 ; Y. Gingras, « Pourquoi le “Programme fort” est-il incompris ? », art. cité, p. 246-248. Un argument qui montre que le principe de causalité n’était pas seulement méthodologique est la réaction des constructivistes aux propositions de B. Latour, Science in Action: How to Follow Scientists and Engineers Through Society, Harvard, Harvard University Press, 1987, p. 257-258, p. 287, passim. Cet ouvrage, reprochant au principe de causalité de supposer une asymétrie entre sciences et sociétés, et par là de trahir l’esprit du Programme fort, proposait de mettre en place une supersymétrie entre sciences et sociétés revenant, si je comprends bien, à nier leur distinction. Cela a été l’occasion d’une controverse au cube, les constructivistes ayant refusé cette supersymétrie (D. Bloor, « Anti-Latour », Studies in History and Philosophy of Science Part A, 30-1, 1999, p. 81-112, passim).
29 G. Freudenthal, « Perpetuum mobile », art. cité, p. 626.
30 T. L. Beauchamp, « Ethical Theory and the Problem of Closure », Scientific Controversies, H. T. Jr. Engelhardt et A. L. Caplan éd., ouvr. cité, p. 27-48, ici p. 28-35, et E. McMullin, « Scientific Controversy », art. cité, p. 77-82.
31 A. Lilti, « Querelles et controverses », art. cité, p. 13-28, ici p. 13.
32 J.-L. Fabiani, « Controverses scientifiques, controverses philosophiques », art. cité, fait de cette métacontroverse un débat idéologique.
33 Y. Gingras, « Pourquoi le “Programme fort” est-il incompris ? », art. cité, p. 238 ; « Following Scientists Through Society? Yes, but at Arm’s Length », Scientific Practice: Theories and Stories of Doing Physics, J. Z. Buchwald éd., Chicago, Chicago University Press, 1995, p. 123-150, ici p. 127.
34 D. Raynaud, Scientific Controversies, ouvr. cité, p. 46, p. 51.
35 J. Farley et G. L. Geison, « Science, Politics and Spontaneous Generation in Nineteenth-Century France: The Pasteur-Pouchet Debate », Bulletin of the History of Medicine, vol. 48, no 2, 1974, p. 161-198, traduction dans M. Callon et B. Latour, La science telle qu’elle se fait, ouvr. cité, p. 87-147, puis utilisé dans B. Latour, « Pasteur et Pouchet : hétérogenèse de l’histoire des sciences », Éléments d’histoire des sciences, M. Serres dir., Paris, Bordas, 1989, p. 423-445, passim, et dans D. Bloor et T. Pinch, The Golem, ouvr. cité.
36 P. Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 2003, p. 66-67.
Auteur
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Sophie Roux
ENS-PSL (UAR 3608 - République des savoirs, Mathesis)
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