Écrire l’histoire des idées : périodes et catégories
p. 17-38
Texte intégral
1Cet article part de l’identité que pose Spinoza entre l’interprétation d’un texte et celle de la nature pour mettre en parallèle la philosophie de l’histoire de la philosophie telle que la développe Pierre-François Moreau et la philosophie des sciences telle qu’elle s’est développée dans le sillage de l’école américaine de l’histoire des idées. Les travaux de Ian Hacking serviront de référence majeure, dans la mesure où, comme Moreau, il réfléchit particulièrement à l’usage nécessaire des catégories et des périodes pour écrire l’histoire, et souligne les effets non seulement théoriques mais aussi pragmatiques (éthiques, politiques et sociaux) de ces catégories et périodes. Mettre en parallèle ne veut pas dire confronter, mais comparer deux modalités contemporaines qui configurent actuellement l’exercice de l’histoire des idées (en philosophie et en science).
2Moreau a permis de mieux comprendre le rapport que Spinoza et le spinozisme entretiennent avec la Bible, lorsqu’ils analysent le texte en amont de la distinction entre nature et culture comme une réalité qui évolue et produit des effets. Surtout, à travers ses traductions et analyses, il a proposé des règles de lecture de la philosophie spinoziste en montrant comment le texte se transformait au gré des réceptions et comment s’attacher à lire le texte pour lui-même en deçà de ses avatars. Certes, selon Spinoza, la Bible est un ouvrage d’imagination, tandis que la philosophie et la science suivent les règles de la raison, mais lire la Bible consiste à « traiter la Bible comme la science philologique traite n’importe quel autre texte, et, plus généralement, comme la science de la Nature traite la Nature : en ce sens, interpréter l’Écriture à partir de l’Écriture elle-même signifie qu’on s’abstient de mélanger ses propres croyances, ou ses propres préférences (même si elles sont rationnelles) avec l’objet que l’on étudie »1. Lire un texte dans les champs de la religion, de la philosophie ou des sciences implique alors les mêmes exigences.
3De fait, selon Paul Feyerabend ou Ian Hacking, la philosophie des sciences étudie les concepts et théories scientifiques comme des objets culturels qui évoluent et déterminent des situations historiques particulières ; ils ne sont pas naturels au sens où ils seraient donnés une fois pour toutes, et leur objectivité se constitue historiquement. Un chassé-croisé s’institue alors entre philosophie et science en ce qu’elles conjoignent chacune des textes et des significations qui se constituent et se transmettent selon des circonstances contingentes tout en préservant une structure de signification conçue en termes de vérité, c’est-à-dire de nécessité et d’efficacité. La première section situe l’enjeu philosophique des travaux de Moreau dans le champ de l’histoire des idées et de la philosophie des années 1980. La deuxième section analyse deux notions communes à Moreau et Hacking, qui réfléchissent sur le besoin des catégories et des périodes pour écrire une histoire de la philosophie ou des sciences qui soit aussi une philosophie de l’histoire (de la philosophie et des sciences). La troisième section décrit l’effectivité causale de ces catégories. La conclusion souligne néanmoins trois différences concernant la rationalité, l’objet sur lequel opère l’effectivité, l’auteur. À travers ce cheminement, deux thèses sont ici défendues : premièrement, l’histoire des idées s’avère indissociable d’une philosophie de l’histoire ; deuxièmement, l’histoire des idées telle qu’elle est pratiquée actuellement se distingue des manières antérieures par son souci de comprendre les effets pratiques de cette histoire.
L’histoire des idées : une philosophie du concept
4L’histoire des idées pose le problème philosophique du statut ou de la réalité des idées. L’expression semble sous-entendre un génitif objectif : l’objet de cette histoire désignerait des entités, dont il suffirait de décrire la trajectoire. Or justement une idée n’est jamais bien identifiée : certes, les noms peuvent servir de premier indicateur et l’on peut noter que, sans le nom, la chose n’existe pas. Mais le nom évolue : sous son apparente rémanence, son sens se transforme. Ces variations indiquent d’emblée que l’idée déborde le nom ; sous la fixité du nom, l’idée supposée se transforme pour signifier parfois des choses différentes. Et en premier lieu, le mot idée lui-même, justement censé constituer l’objet de cette histoire à partir du moment où il s’impose avec Descartes, désigne, dès son émergence ou sa reprise moderne des réalités bien différentes chez les auteurs modernes. L’histoire des idées vise alors à établir une conscience philologique des termes pour les situer dans un espace contextuel propre à une époque et un ensemble de savoirs. Un deuxième indicateur associe l’idée à un texte et un auteur : comprendre une idée, c’est lire le texte qui la configure et ressaisir l’intention de l’auteur, texte et auteur s’inscrivant dans un espace public et privé, qui renvoie de proche en proche à des conditions sociales, intellectuelles, scientifiques, politiques, religieuses et littéraires. Toute histoire des idées requiert alors une archéologie du savoir et une conscience textuelle, voire éditoriale, qui contextualisent la pensée dans des champs de débats, de rapports de force, d’enjeux politiques ou religieux et des logiques de production et diffusion textuelles. Outre ces deux aspects, l’histoire des idées peut aussi valoir comme un génitif subjectif, qui convoque la façon dont les idées font histoire et constituent une manière d’être de la philosophie telle qu’elle émerge avec Diogène Laërce, se reconfigure à l’époque moderne avec Juste Lipse et produit une discipline instituée en France par Victor Cousin en 1829, reprise en 1923 aux États-Unis, à la John Hopkins University, par Arthur O. Lovejoy2 qui lui consacre une revue, Journal of the History of Ideas et la sépare de la philosophie pour l’instituer comme une discipline à part entière3. Son objet propre devient l’unité-idée, son enjeu la condition humaine4, son matériau le langage, car Lovejoy accentue l’importance du langage et de la philologie pour comprendre les idées et subordonne la philosophie à l’histoire des idées : celle-ci en constitue le sens, et non celle-là la vérité. Un mouvement analogue s’opère en France, sous l’impulsion d’Henri Berr qui fonde la Revue de synthèse et à travers de nouveaux projets se déclinant en histoire des sciences, de la littérature, des sciences sociales et de la philosophie. Néanmoins Martial Gueroult redonne sa teneur philosophique à l’histoire des idées qu’il ancre dans une conception néo-kantienne visant à ressaisir les conditions de possibilité d’un système de pensée. En 1951, Gueroult succède à Étienne Gilson à la chaire d’histoire et technologie des systèmes philosophiques du Collège de France, contre Koyré. À son tour, Pierre-François Moreau prolonge le projet d’une histoire de la philosophie capable d’assumer une philosophie de l’histoire, tout en renouvelant la manière dont Martial Gueroult l’a configurée à l’ENS de Lyon dans les années 1970, puisqu’il déplace cette philosophie de l’histoire de la philosophie à un triple niveau conceptuel, pédagogique et institutionnel, lorsqu’il retrace l’histoire du spinozisme, des passions, du libertinisme ou du matérialisme, lorsqu’il anime le CERPHI puis l’IHRIM à l’ENS de Fontenay-Saint-Cloud puis de Lyon. L’histoire des idées constitue alors une manière de philosopher : l’attention aux mots et aux textes vise à comprendre l’enseignement et la vérité qu’on peut retirer de ces idées et des textes, enseignement et vérité qui ne se réduisent pas à leur simple manifestation historique, mais permettent d’augmenter notre puissance de compréhension.
5Simultanément aux travaux de Gueroult, un mouvement parallèle se déploie dans le champ scientifique, avec la figure d’Alexandre Koyré qui écrit une histoire de la pensée scientifique en cherchant à la resituer dans son milieu intellectuel et spirituel. Directeur des études à la Ve section de l’École pratique des hautes études, puis missionné par de Gaulle pendant l’Occupation à New York, où il crée l’École libre des hautes études, Koyré noue des liens forts avec la recherche états-unienne et continue à enseigner dans les universités de Chicago, John Hopkins et de Wisconsin. Il y forme en particulier A. Crombie ; Hacking s’inscrit dans cette filiation qui caractérise la manière dont l’épistémologie historique s’est développée aux États-Unis, redécouverte une seconde fois après Bachelard sans Bachelard5, parallèlement à son destin français avec Georges Canguilhem, puis Michel Foucault6. De surcroît, il renoue les deux fils américain et français de cette histoire en effectuant le chemin inverse de Koyré et en aboutissant cette fois au Collège de France à travers un programme de cours dans les années 2000. Feyerabend formule sans doute la question centrale de cette pratique de l’histoire de la pensée scientifique dans un article de 19897 en se demandant comment des connaissances résultant de changements historiques contingents peuvent avoir pour objet des faits et des lois qui ne dépendent pas de l’histoire. Il configure ainsi l’objectivité scientifique comme un problème philosophique majeur. Hacking assume la question de l’objectivité en interrogeant notre rapport au vrai. Ce faisant, il déplace la question de notre rapport à la vérité que Foucault nomme véracité vers une analyse du sens du mot « vrai » sous trois modalités8 : la démonstration (alethes), l’argumentation (verum, wahr), la confiance (true, treu). Se démarquant de la philosophie analytique de George E. Moore, qui affirmait qu’il n’y a pas d’histoire des termes « vrai » en philosophie, Hacking suit au contraire la piste ouverte par Tarski pour explorer la sémantique de la vérité dans les sciences particulières historiquement déterminées. Or cette sémantique est plurielle et s’exprime à travers une diversité de styles de raisonnement scientifique qui déterminent les critères de la vérité ou de l’objectivité scientifique et les différentes manières dont les sciences façonnent et structurent notre ontologie historique. Ainsi, comme le remarque Anastasios Brenner9, se rejoignent actuellement les deux champs de l’analyse structurale et de l’épistémologie historique qui s’étaient déployés dans un premier temps parallèlement de chaque côté de l’Atlantique.
6Assumer le projet d’une actualité de l’histoire des idées (en sciences et en philosophie) implique de trouver un chemin sur un terrain balisé entre deux positions françaises. D’un côté, Michel Foucault critique l’histoire des idées comme une fausse discipline instituée entre l’histoire et la philosophie. Dans L’archéologie du savoir (1969)10, Foucault en critique trois postulats implicites en termes de « genèse, continuité et totalisation », dans la mesure où elle renvoie toutes les régions du savoir à un sujet individuel et collectif qui se développerait et permettrait de ressaisir un sens global se structurant à travers ses tâtonnements. Cette critique radicale mène à rejeter le livre comme unité historique et l’auteur comme sujet instaurateur du sens pour analyser des réseaux et des dispositifs. Reprenant une intervention de 196911, Foucault conteste dans son texte Qu’est-ce que les Lumières ? (1984) la notion d’auteur et, en insérant le geste kantien du transcendantal dans le champ social, déplace l’histoire des idées vers une ontologie historique de nous-mêmes et de nos catégories de pensée, qui ressaisit les formes historiques d’émergence du sujet en ce qu’elles constituent aussi des phases d’assujettissement à des dispositifs incluant un savoir, un pouvoir et une éthique. Les effets pratiques des dispositifs textuels se cristallisent dans l’émergence et la structuration des possibilités de choix et d’être qui agissent dans les individus et les populations. Les catégories de la modernité, du savoir et de l’assujettissement visent ainsi à sortir de la fascination de l’épistémé pour assumer le dispositif dans sa stratégie de normalisation éthique et politique. Hacking reconnaît sa dette envers Foucault dès 1975 ; Moreau édite et préface une série de lectures sur les Dits et écrits en 2014, mais demeure à distance des manières et thèmes foucaldiens. Cela dit, il conçoit l’histoire des idées aussi comme une manière de mieux comprendre notre identité contemporaine dans ses déterminations politiques (l’articulation entre le citoyen et l’État, les sciences mathématisées, la religion comme institution privée, certaines conceptions de la causalité). De l’autre côté, Paul Ricœur12 engage un tournant herméneutique pour ressaisir comment l’idée devient objective à partir d’une interrogation sans cesse rouverte sur le sens des idées et les conflits d’interprétations. L’histoire des idées débouche alors sur une herméneutique des textes, qui s’intéresse moins à leur situation historique qu’à l’héritage interprétatif qu’ils ouvrent et qui nous constituent en tant qu’héritiers d’un passé sédimenté. Ainsi elle cherche moins à rendre compte des idées que de la conscience ou de la condition historique qu’elles expriment selon une ontologie du Dasein heideggérien marqué par ses conditions d’existence : qui parle ? qui agit ? qui se raconte ? qui se pose comme responsable13 ? En quoi l’objectivité historique ne prend-elle sens qu’à partir d’une condition ? Même si elles paraissent symétriquement inverses, l’ontologie historique et l’herméneutique de la condition historique partagent la critique de la césure positiviste entre le sujet et l’objet et cherchent à ressaisir le processus ontologique se jouant dans l’histoire, à la fois comme science (rerum gestarum) et comme processus (res gestae), en pensant la dimension historique du rapport à soi. Ni Moreau ni Hacking ne poursuivent cette voie herméneutique.
7Un deuxième balisage plus précis rejoue cette opposition générale au sein des études spinoziennes en en déplaçant les lignes cette fois entre structure et genèse, pour reprendre les termes d’Émile Bréhier14, ou système et interprétation. D’un côté, dans l’Éthique de Spinoza I et II15, Martial Gueroult propose une méthode de lecture en termes d’analyse structurale qui vise à ressaisir l’unité d’un système de pensée spinozien déterminé par des philosophèmes organisés selon un ordre des raisons. Mogens Lærke distingue à juste titre l’analyse structurale du structuralisme16 : contrairement à des lectures rétrospectives, Gueroult n’applique pas à Spinoza une lecture structuraliste au sens anthropologique, mais, en reprenant une posture néo-kantienne, il cherche à mettre au jour les conditions de possibilité de la philosophie spinozienne en tant qu’elle forme un système qu’il faut étudier de façon neutre et rationnelle. Cette lecture veut analyser le texte dans sa littéralité et s’abstenir de toute herméneutique profonde pour ressaisir la valeur philosophique de l’œuvre en ce qu’elle s’inscrit dans une histoire de la philosophie. Cette inscription historique et philosophique suppose alors d’écrire une histoire de la philosophie qui assume l’effectivité d’une philosophie de l’histoire de la philosophie, que Gueroult nomme aussi dianoématique. L’histoire de la philosophie évite ainsi l’historicisme qui dénie la dimension proprement philosophique de l’œuvre. De l’autre côté, Ferdinand Alquié propose une lecture génétique qui vise à ressaisir le geste inaugural du philosophe selon une posture proche de la phénoménologie, ou Paul Vernière retrace la réception de Spinoza en France au xviiie siècle dans sa thèse sur Spinoza et la littérature française avant la Révolution (1954). L’enjeu ne consiste pas alors à ressaisir l’unité systématique d’une philosophie, mais son sens profond dans le premier cas, ou, dans le second, ses transformations postérieures à travers sa réception, qui en révèlent aussi une part de vérité. À travers la médiation d’Alexandre Matheron, Moreau s’approche certainement plus de Gueroult que d’Alquié, de Foucault que de Ricœur dans son souci de mettre au jour la strate sédimentée des conditions de pensée de Spinoza (la littérature latine, la Bible et la philosophie qu’il lit, l’histoire qu’il connaît et vit) pour repérer le nouvel espace de pensée que détermine Spinoza. Il propose un usage négatif de l’interprétation, mais capable d’internaliser aussi l’étude des réceptions et interprétations postérieures de Spinoza pour en ressaisir l’actualité, voire contribuer à actualiser une certaine figure du spinozisme en France et ailleurs face à d’autres17. Certes, Spinoza n’est pas le spinozisme tel qu’il se déploie après lui, mais son système ouvre un espace de possibilités qu’explore le spinozisme en faisant évoluer les lignes et les équilibres.
8Entre la volonté de savoir et le désir de comprendre, entre le système et l’herméneutique, entre la lecture immanente et l’enquête sur la réception, Pierre-François Moreau propose en effet d’ouvrir une troisième voie marquée par l’exigence philologique, l’étude scientifique de l’historicité des textes et la recherche d’une vérité, c’est-à-dire la prise au sérieux du fait que les philosophes ont cherché à dire quelque chose de vrai et voulu l’enseigner, qu’une œuvre produit des effets réels. Cette troisième voie n’induit pas néanmoins un horizon éclectique comme chez Victor Cousin ou une sortie de la philosophie comme chez Lovejoy ; elle s’ancre dans l’œuvre de Spinoza. Elle assume ainsi le geste propre de l’école française de l’histoire des idées qui vise à articuler l’histoire des œuvres avec leur devenir postérieur pour comprendre comment elles se transforment en irriguant la suite de l’histoire collective. Cela dit, à la différence de Vernière, Moreau ne laisse pas le texte original se dissoudre dans ses relectures, déplacements et trahisons : il conjoint une lecture immanente et une étude de la réception de l’œuvre. Autrement dit, il tient ensemble histoire de la philosophie et histoire des idées, et il ancre cette histoire des idées dans un centre de gravité : Spinoza, le spinozisme et les études spinoziennes. Cet ancrage le conduit à proposer une philosophie du concept – l’idée en tant que pensée par un esprit (Éthique II, 49, démonstration) –, plus que de la conscience se constituant historiquement comme rapport à soi ; un concept qui ne se donne pas sous forme de structures logiques comme chez Cavaillès lecteur de Spinoza18, mais sous des figures et formes philologiques, politiques et anthropologiques, dans la mesure où l’idée en acte n’est rien d’autre que l’esprit pensant des concepts. L’histoire du concept s’avère ainsi essentiellement celle de l’être humain affecté en tant qu’il pense et forme des idées-concepts19 ; elle est tout autant l’histoire de la nature humaine déterminée par les passions selon des organisations sociales, politiques et religieuses, où la raison cherche à comprendre les passions et l’imitation des affects (Éthique III, 27) pour ériger « des contre-feux passionnels »20. Elle est enfin l’histoire du corps et des corps humains (Éthique II, 17, scholie). Par conséquent, elle ne vise plus – ou pas seulement – la généalogie de la volonté ou du désir de reconnaissance, mais l’actualité des idées, qui, sous figure des passions, des textes, des institutions et des corps prennent part à des processus matériels efficaces à travers leurs inscriptions anthropologiques, politiques ou sociales : cette inscription se manifeste par des efforts, des rapports de force, des destructions et des constructions, et vient confirmer la fonction particulière de la philosophie : comprendre pour vivre, non seulement en sachant contrebalancer les passions par les intérêts ou les rapports de force, mais, plus fondamentalement, sous la conduite de la raison (Éthique IV, 35, corollaire 2). En ce sens, il n’est pas sûr que cette méthode de lecture puisse s’adapter à toute philosophie, mais il est sûr qu’elle trouve un lieu privilégié dans la philosophie spinoziste, qui a défini elle-même ses modes de lectures de la Bible et de connaissance de la nature en établissant, comme le souligne aussi Mogens Lærke21, une théorie du devenir de l’individu comme effort de persévérer dans son être. Connaître à notre tour la matérialité des textes et leurs conditions d’écriture et de lecture permet de saisir un ensemble d’idées dans leur effectivité historique individuelle.
9S’il s’agit bien d’un matérialisme historique, c’est donc un matérialisme capable d’intégrer une réflexion sur sa propre condition historique en tant qu’idée telle qu’elle se déploie depuis Hobbes et Spinoza, identifiés par leurs adversaires comme les initiateurs du matérialisme moderne, pour envisager une pratique politique et éthique qui assume la question du vrai et du faux, du juste et de l’injuste, du bien et du mal à l’aune de ce qui est utile pour l’homme. En ce sens, Moreau veille à resituer les idées philosophiques dans leur sphère politique et à ressaisir la philosophie comme une pratique socialement contextualisée, dans le prolongement de l’histoire des idées pratiquée par la Cambridge School of Intellectual History, notamment avec Quentin Skinner22. Sur ce point, il se distingue de Gueroult qui considère chaque philosophie comme un monde clos sur lui-même23. C’est aussi un matérialisme capable d’intégrer la dimension matérielle du savoir, notamment les éditions, traductions, diffusion et réception textuelles, mais aussi les institutions qui légitiment ou délégitiment le savoir et la philosophie24. La lecture philosophique de l’histoire des idées peut supposer une certaine érudition, mais elle la dépasse en acceptant le projet heuristique et didactique de toute philosophie pour savoir ce qu’elle enseigne non seulement d’un point de vue théorique mais aussi d’un point de vue pratique. Cette enquête n’a de sens que si elle nous aide à mieux comprendre l’homme, et si elle augmente notre capacité de comprendre notre présent. À ce titre, la philosophie de Spinoza et le spinozisme font eux-mêmes partie de l’histoire des idées tout en donnant particulièrement les moyens de la penser sous trois aspects : premièrement, elle requiert de saisir les conditions de constitution d’une pensée selon sa logique interne et selon sa genèse, ou son évolution jusqu’à un stade de maturité (comment Spinoza devient spinoziste) ; deuxièmement, elle demande de re-situer une pensée dans un réseau d’interactions avec d’autres théories, des sciences, des croyances, des valeurs, des institutions symboliques et politiques ; troisièmement, elle cherche à identifier l’intuition première de toute philosophie, sa prétention à une forme de vérité. Il y a une forme de nécessité au devenir des idées, et cette nécessité ne peut se comprendre qu’en reconnaissant qu’il s’agit de vérité, à condition d’avoir une juste idée du vrai. Ainsi Moreau désamorce le risque qu’encourt une histoire culturelle divorcée de la philosophie en assumant un conflit interne entre la description des conditions historiques et sociales d’une pensée et sa quête d’une vérité atemporelle, conflit qu’on retrouve d’ailleurs dans l’histoire des sciences, indissociable en réalité d’une philosophie des sciences, comme le soulignait Feyerabend : comment une pensée historiquement située nous permet-elle de comprendre des faits, des causes, des lois aujourd’hui ? Chaque philosophie existe en soi, mais se situe aussi dans des conditions historiques, scientifiques, politiques et sociales, et enfin se transforme comme un individu qui éprouve l’effectivité historique de son évolution jusqu’à nous. Se connaître soi-même, c’est comprendre notre histoire, retracer les modalités et enjeux des relectures qui conservent et modifient tout à la fois tout texte dans son rapport au vrai. Avant de regarder « le sens profond » d’une philosophie, il faut certainement re-découvrir son sens précis.
10Or le repérage de cette effectivité historique s’opère à travers deux éléments rétrospectifs (les catégories et les périodes) qu’Hacking et Moreau utilisent et conceptualisent. Pourquoi sont-ils utiles et nécessaires pour regrouper et distinguer les enjeux contextuels et conceptuels par tendance, filiation, opposition, et mieux comprendre l’histoire de la philosophie et des sciences, qui est aussi notre histoire, ou l’histoire de nous-mêmes25 ?
Catégories et périodes
11Le libertinisme, le matérialisme, le spinozisme, le xviie siècle, la modernité… Qu’ont en commun ces objets hétérogènes qui, pour le grand public, semblent des faits historiques s’imposant avec la même évidence que des faits scientifiques, tels que l’autisme, l’obésité ou le trouble de personnalité multiple ? Leur point commun ne réside pas dans leur contenu, mais dans leur fonction : ils classent, rassemblent et dissocient. Par cette opération de mise en ordre et en récit, ils organisent et interprètent l’histoire des idées tout en la faisant. Ce sont des catégories, dont la fonction commune introduit une tension interne entre une intelligence internaliste – qui étudie la logique interne d’une idée-concept (la matière, la liberté de penser), d’un auteur (Spinoza, Hobbes), d’un genre (l’autobiographie ou l’utopie) ou d’une période (le xviie siècle, la modernité) – et une posture externaliste, qui décrit les contextes et les interactions. Il s’agit alors de tenir simultanément ces deux aspects cognitifs et sociaux de la catégorie : ni pure construction, ni pure donnée, elle se déploie dans un processus de reprises, de controverses et de déplacements, qui débouche sur un produit final proposé au singulier (le libertinisme, le matérialisme, le spinozisme, la modernité en philosophie, ou l’obésité, la maltraitance infantile, l’autisme en médecine). Ce passage au singulier exprime une opération de la pensée – souvent rétrospective, mais aussi parfois effectuée par des contemporains, pour critiquer par exemple – qui cherche à comprendre des rapports entre événements pluriels. Cette opération incarne l’acte même de penser l’histoire. Ainsi, Pierre-François Moreau montre comment les libertins désignent, sous la plume de Calvin, un groupe de personnes caractérisées par des convictions et des mœurs. Pour Marin Mersenne, ils font référence à un ensemble d’auteurs et de textes qui s’opposent à la religion et revendiquent un art de vivre alternatif : le libertinisme constitue d’abord une catégorie forgée par des adversaires contemporains pour dénoncer l’impiété et la médiocrité d’auteurs mineurs, en les opposant à la philosophie classique. Au xixe siècle, elle vise, au contraire, à décrire la liberté de pensée et un style de vie, qui actualisent l’épicurisme ; par un renversement des effets, elle serait le fait d’esprits forts ; François-Tommy Perrens veut l’étudier et en écrire l’histoire pour comprendre le phénomène de la libre pensée, qu’il revendique lui-même. Pierre-François Moreau reprend à son tour cette catégorie qui mobilise déjà une histoire de l’histoire. Sous son unité, la catégorie s’avère ainsi instable, plurielle ; sa valeur s’inverse du péjoratif à l’éloge, de la condamnation à l’objet d’étude, et elle implique un positionnement philosophique, voire politique.
12À cette première strate de la catégorie réelle et construite, historique et conceptuelle, s’ajoute une dimension pragmatique. Le libertinisme produit des effets en tant que catégorie : d’abord des effets d’intelligence (concernant la revendication d’une liberté de penser associée à des mœurs et à un style d’écriture), mais aussi des effets de reconnaissance ou d’opposition (être ou ne pas être libertin), qui interagissent avec les acteurs de la philosophie, par exemple pour réfuter cette posture intellectuelle et existentielle ou, au contraire, pour instituer une histoire du libertinisme comme incarnation de la libre pensée. La périodisation permet de saisir les nuances et valeurs implicites de la catégorie.
13Réelles et construites, les catégories et périodes forment et informent indissociablement la lecture philosophique – marquée par des traditions, des auteurs et des disciples, qui se situent dans des relations d’héritage, de controverse ou de reprise, et des rapports au passé sans cesse relu et réactualisé –, et la conscience des philosophes qui apprennent à philosopher à travers ces catégories et périodes pour les interroger à leur tour, et, parfois, s’en émanciper. Elles permettent de « nouer philosophie et histoire de la philosophie »26 pour faire vivre ce dialogue avec soi-même qu’est la philosophie, en particulier lorsqu’elle ressaisit son histoire rendue effective au travers d’écrivains et d’enseignants, de textes et de paroles qui recueillent une épaisseur conceptuelle sans cesse enrichie évoluant au gré de leurs lecteurs. En lien avec l’idée du libertinisme, ou l’ensemble d’idées et de pratiques qu’il cristallise, émerge ainsi une ontologie historique du philosophe, ou une généalogie de la conscience philosophique, indissociable d’une conscience textuelle et d’une conscience philologique. Concept et conscience s’entre-déterminent et prennent forme dans des institutions, ou des contre-institutions.
14Au-delà des cas particuliers du libertinisme, du matérialisme ou du spinozisme qui se déploient historiquement soit dans une perspective critique soit comme affirmation d’une vérité, c’est aussi le cas paradigmatique de l’histoire des idées comme catégorie philosophique. De façon exemplaire, Victor Cousin l’institue comme discipline philosophique et opère le même geste d’ennoblissement en la déterminant comme une – voire la – philosophie, qu’il baptise éclectisme, jusqu’à en faire une philosophie d’État grâce à ses fonctions universitaires et ministérielles27. En prononçant un cours intitulé Leçons d’histoire de la philosophie à la Sorbonne, qu’il publie en 1828, Victor Cousin renforce la dynamique de la catégorisation en lui conférant une réalité sociale qui, d’une part, fait événement et, d’autre part, réalise l’idée de la philosophie, titre de sa leçon inaugurale. Alors qu’elle semblait relever d’auteurs mineurs, voire de vulgarisateurs ou doxographes, et que l’éclectisme signifiait un rassemblement d’idées sans ligne directrice, son identification avec l’histoire des idées en acte les réunit et les constitue comme philosophie à part entière, dans la mesure où ils permettent de dégager le vrai de chaque philosophie périmée, et donc, de dépasser chacune d’entre elles et toutes ensemble. L’éclectisme sélectionne le vrai et s’impose comme la philosophie. Pour Cousin, l’histoire de la philosophie n’est donc rien d’autre que celle de l’éclectisme, qui se déploie à travers des figures changeant, rétrospectivement, de statut, mais qui trie et progressivement relègue Spinoza comme une dérive de l’histoire de la conscience28. Pour Moreau, au-delà même du spinozisme qui constitue un fil de cette histoire, l’histoire de la philosophie s’inscrit dans le système de Spinoza, qui offre un modèle (exemplar29) pour comprendre l’effectivité des idées.
15Premièrement, l’ancrage spinozien conduit à assumer la lecture critique et historique que Spinoza pratique pour la Bible en la déployant sur d’autres textes. Deuxièmement, en établissant des catégories et les périodes, l’histoire des idées cherche à comprendre ce que donne à penser le déploiement empirique des idées en étudiant les assemblages, passations, transformations et actualisations des idées à chaque période. Comment vit la pensée à travers les formulations singulières qu’elle trouve chez un auteur ? Comment détermine-t-elle des cadres de la pensée collective, les conditions pour poser des questions et connaître à l’échelle d’un groupe ou d’une époque ? D’autant que l’idée, la théorie ou l’œuvre ne vivent jamais de façon isolée ou figée : elles s’allient à certaines autres, qui suscitent une unité de sens et se distancient d’autres qui ne lui sont pas congruentes. Contre Taine qui défend un nominalisme de l’œuvre, à la suite de Georg Misch et de Dilthey, Moreau cherche à ressaisir la réalité humaine sociale historique de l’esprit tel qu’il se déploie à travers des idées et des œuvres en se cristallisant sous forme de catégories constituant un sens ou un projet particulier pendant une période. La catégorie désigne alors la modalité d’intégration d’un ensemble d’idées faisant corps chez un ou des auteurs et co-évoluant de façon plus ou moins coordonnée par la suite. Elle se stabilise au moins sur une période et se transforme selon une périodisation, qui désigne un processus de structuration de contenus singuliers en un ensemble latent faisant sens : cet ensemble détermine « un présent en mouvement »30, qui se distingue du passé et produit des effets sur l’avenir.
16Ainsi le matérialisme n’existe pas en soi, mais comme la synthèse d’un ensemble de thèses et de critiques, qui prennent des figures différentes selon qu’elles résonnent avec les mathématiques (Spinoza), la vie (Diderot) ou la société (Marx) à tel ou tel moment historique ; le libertinisme peut servir à identifier un groupe d’auteurs, à en ressaisir les points communs, à situer les controverses et expliquer le sens de leurs contestations, son sens évolue au xviie ou au xixe siècle ; ou encore, le spinozisme désigne un processus de relectures récurrentes de Spinoza à travers divers prismes sans doute insoupçonnés de Spinoza ; l’autobiographie concrétise une forme de la conscience de soi objective textuellement et traduit une certaine expérience de l’individualisation, qui se modifie selon les époques « qu’elle contribue d’ailleurs à constituer »31 ou, enfin, l’histoire des idées ouvre une nouvelle manière de faire de la philosophie en inscrivant les idées dans une causalité historique qui ne relève pas du modèle cartésien de l’efficience, ni du modèle leibnizien de l’expressivité, mais d’un modèle généalogique au sens spinozien.
17Ces catégories et ces périodes constituent ainsi une matrice qui ressaisit les formes vécues de la pensée selon les conditions contingentes de son déploiement. Chaque catégorie se manifeste par un contenu positif et une démarcation à l’égard d’autres catégories connexes, adverses ou simplement étrangères, synchroniques ou diachroniques : héritage assumé, réaménagement d’un ancien topos dans une figure nouvelle résonnant avec les changements scientifiques, religieux ou politiques, ou irruption d’une nouvelle manière de penser. Elle façonne l’individu singulier, qui inaugure une nouvelle période et l’ensemble de ses reprises. Elle fait événement et se déploie dans une durée. Et bien que, parfois, cette durée puisse s’avérer si longue qu’elle recouvre l’histoire de la philosophie (le matérialisme, par exemple), aucune catégorie ne transcende l’histoire au point de devenir indifférente à son devenir historique. Chacune se transforme et se reconfigure en fonction du contexte présent : le matérialisme de Démocrite n’est pas le matérialisme de Gassendi ni celui de Marx, mais les postérieurs réinvestissent les antérieurs, de façon plus ou moins critique, et construisent une continuité. Ainsi la catégorie assume quatre fonctions : classifier, décrire, critiquer d’autres postures, expliquer ou interpréter.
18L’étude de ces reconfigurations permet de comprendre les périodes. La notion de période se constitue d’abord dans les sciences historiques, en particulier la philologie32 et vise principalement à identifier l’origine de la modernité à partir d’un critère essentiel : le processus de rationalisation, pour reprendre les termes de Max Weber, et la découverte de la subjectivité, qui occupe Foucault et Ricœur selon deux points de vue différents. La notion de période se distingue de la théorie du moment qui désigne une tension entre des événements susceptibles de se répéter que propose Frédéric Worms. Comprendre le matérialisme du xviie siècle permet d’interroger la modernité dans son rapport à son propre passé et à son présent impliquant un ensemble de données scientifiques, religieuses, esthétiques, politiques. Telle qu’elle émerge au début du xviie siècle, la première modernité se caractérise par une nouvelle valeur affectée au développement de l’individu : la religion se trouve désormais subordonnée à la réalisation de soi, la politique à la liberté. Les anciens topoi trouvent une nouvelle fonction, voire de nouveaux modes d’expression. Ainsi la médecine formule le projet de constituer une anthropologie, c’est-à-dire une connaissance de l’homme en conférant une nouvelle valeur au corps et à la science33. Ou l’autobiographie cherche désormais à exprimer la singularité et la liberté de l’individu34. S’instaure alors une tension entre l’impulsion de certains individus (Spinoza, La Mothe Le Vayer, Rousseau, Goethe…) et l’époque qui exerce une contrainte de forme pour faire émerger des individus et participe ainsi activement au processus d’individualisation. D’un côté, Spinoza donne forme à l’individu moderne, et, de l’autre, l’époque contribue à faire émerger des individus capables d’incarner l’accomplissement de ses valeurs.
19L’épistémologie historique reprend à son compte l’interaction entre catégories et périodes en sciences pour penser des phénomènes à grande échelle qui affectent les existences, les pensées et les institutions. Ian Hacking montre particulièrement comment l’invention du calcul des probabilités dans les années 1640-1693 induit un changement de raisonnement (la doctrine des chances, puis un déterminisme plus subtil que celui de la causalité efficiente) et d’objet (la population)35 ; l’accumulation de données quantifiées facilement manipulables dans les années 1820-1840 rend possible le déploiement des statistiques qui reconfigurent la raison d’État et la science36, à la fois en sociologie, en médecine et en thermodynamique, lorsque la lecture de Quetelet par Maxwell à travers la médiation d’un compte rendu de John Herschel en 1850 rapproche ces deux champs qui semblaient n’avoir aucun rapport. Sont créés de nouveaux objets proprement statistiques37. Or ces nouvelles analyses de populations (particules ou citoyens) correspondent à l’émergence de nouvelles manières de penser, de gouverner et d’exister, qui expriment et cristallisent une interaction historiquement déterminée entre les catégorisations mises en place par les scientifiques, les experts et les politiques, et les individus catégorisés.
Façonner et classifier
20La période vaut alors comme matrice de l’individu : elle ne peut exister sans lui et l’incite donc à trouver des formes appropriées d’expression et d’affirmation, comme l’autobiographie, la conscience religieuse, le corps comme lieu d’une médecine et d’une connaissance de soi, ou encore, la formation (Bildung) qui prend une nouvelle importance. L’individu n’a pas de sens en dehors d’elle et en dépend intrinsèquement, au moment même où il semble la transcender. Car les formes de vie s’avèrent indissociables des catégories et des périodes qui leur donnent sens et les configurent ; à l’inverse, les époques et les catégories changent et se transforment à l’occasion de l’irruption de nouvelles manières d’être, de faire et de penser en science, en religion, en philosophie, en science ou en politique, manières qui s’incarnent dans des individus, des théories, des idées et des œuvres. C’est d’autant plus vrai pour la période moderne qui invente l’anthropologie et valorise l’individu comme unité primordiale. Autrement dit, certains attributs qui semblent essentiels, comme la conscience, la revendication d’un pacte social primordial, la répartition entre le privé et le public, la valeur de la rationalité scientifique, en ce qu’ils incarnent la primauté de l’individu, s’avèrent en réalité le résultat de possibilités qui émergent de processus historiques dans lesquels les idées jouent un rôle majeur. Par conséquent, ces attributs ne décrivent pas une nature innée, ni une mentalité38, mais une configuration qui détermine les manières d’être, de faire et de penser possibles à une période par un jeu des catégories.
21Ces configurations se traduisent par des impératifs énoncés en termes de méthode, qui ne sont pas formulés en tant qu’obligation mais s’imposent comme la bonne manière de penser : le doute, l’introspection, le pari, la liberté de penser, la démonstration, le contrat, selon les objets qu’étudie Moreau, ou le dénombrement, la classification, l’expérimentation selon les objets d’Hacking. Les exemples du libertinisme, du spinozisme ou du matérialisme montrent comment leurs impératifs se transforment : être libertin, spinoziste ou matérialiste au xviie n’est pas pareil qu’au xixe siècle. Les existences, les thèses et les enjeux intellectuels changent, même si certains traits positifs ou critiques se retrouvent mutatis mutandis. Ces impératifs fonctionnent de deux façons : soit en étant assumés par des individus de façon positive, soit en formulant des interdictions ou des condamnations (il ne faut pas être libertin, matérialiste ou spinoziste). Le libertin, le philosophe spinoziste ou matérialiste n’existent pas, mais ils incarnent des genres de personnes qui se constituent de façon interactive, à la fois par référence à d’autres libertins, à Spinoza ou d’autres matérialistes et par différence avec des croyants, des cartésiens ou des idéalistes.
22Hacking analyse les différentes façons de faire science : comment émerge, puis s’impose, s’auto-justifie et se stabilise un style de raisonnement scientifique (l’expérimentation avec Boyle, l’analyse statistique avec Petty, les Bernouillis…). À la suite d’Alexandre Koyré, I. Bernard Cohen ou Alistair Cameron Crombie39, Ian Hacking développe cette notion de style pour penser la pluralité des catégories qui émergent à une période donnée puis co-habitent et façonnent les individus40. Dans l’étude majeure sur L’émergence de la probabilité (1975), il montre comment ce concept apparaît dans les années 1650 en alternative à l’opposition médiévale entre la demonstratio et l’opinio pour désigner une nouvelle forme de rationalité. Or la probabilité est non seulement un concept qui désigne à la fois une fréquence d’occurrence et des raisons de croire, mais aussi une manière de penser, un style. Les sciences s’enrichissent non seulement de catégories mais aussi de styles de raisonnement (la démonstration, l’analogie, l’observation et la taxinomie, l’expérimentation, les probabilités, la dérivation génétique, et le style du laboratoire contemporain), qui prennent des résonances nationales41. Chaque style se manifeste par deux traits : il tend à se stabiliser et s’auto-justifie : en effet, une connaissance n’a de pertinence qu’à l’intérieur d’un style. Sa capacité à produire des effets d’intelligibilité suffit à justifier sa qualité. En étudiant les effets induits par les classifications scientifiques, Ian Hacking parle de « genre interactif »42. S’inscrire dans une catégorie, c’est immédiatement se positionner par rapport à d’autres. Et cette inscription produit un effet en retour : l’individu classifié ou se classifiant soi-même comme libertin, spinoziste, matérialiste, ou obèse, autiste, ou personnalité multiple se modifie lui-même du simple fait de sa classification, et notre connaissance de la classe se transforme à son tour. Il y a un effet en boucle (looping effect) : les catégories et les périodes permettent de comprendre ce que les gens pensent et font, mais elles les déterminent aussi. Elles ouvrent un champ de possibilités pour nous affirmer et nous situer, mais elles nous façonnent tout autant, au moment où nous les utilisons pour comprendre les autres et nous-mêmes43. Les catégories et périodes interagissent avec ceux qui les utilisent, ou ceux qu’elles cherchent à organiser. Elles modifient les individus et les groupes. Être matérialiste, spinoziste, libertin, libre penseur, éclectique, historien des idées… détermine des manières de penser, d’être et de faire, qui, en retour, surdéterminent ces mêmes catégories et peuvent faire naître une période et en clore une autre. Certaines manières d’être ou de penser ne sont pas disponibles à une période – par exemple, le libertinisme avant le xviie siècle – ou elles deviennent plus valorisées à d’autres époques et donc plus attractives aussi – par exemple, l’éclectisme après Victor Cousin. Les individus adaptent leurs comportements et leurs manières de penser dans un espace de possibilités historiquement déterminé qu’ils contribuent à leur tour à faire évoluer. Cela vaut aussi dans le champ de l’histoire des sciences de la nature : à travers quatre exemples, l’abus envers les enfants, l’obésité, les personnalités multiples et l’autisme, Hacking montre comment un ensemble de savoirs médicaux, juridiques, politiques et sociaux fait voir et nomme des phénomènes qui n’existaient pas et deviennent des polarisations possibles pour les individus44. La maltraitance infantile devient une réalité à la fois pathologique, juridique et sociale qui produit des effets dans l’intimité des familles, et plus généralement dans le champ de l’éducation. À partir de l’inscription du trouble de l’identité dissociative dans le DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Diagnostic and Statistic Manual), les cas de double conscience puis de personnalités multiples se propagent et suscitent une prise en charge institutionnelle de ce qui est devenu une pathologie. En d’autres termes, l’existence d’une catégorie sociale ou scientifique induit des phénomènes d’intériorisation, d’identification, de reconnaissance et d’investissement qui « façonnent les gens ». Elles jouent le rôle de modèle : l’individu se reconnaissant dans une catégorie réagit à cette possible identité pour y adhérer ou la rejeter, et se trouve du même coup transformé par le champ des possibilités qui se déploie autour de lui. En outre, ces déterminations peuvent prendre une réalité institutionnelle : universitaire, politique, éditoriale, médicale, juridique. Elles constituent des nœuds où s’entrelacent à la fois le désir d’un individu, le regard des autres, le contexte dans lequel il évolue. Elles nouent l’histoire et la philosophie.
23Mais en deçà de cet effet en boucle général commun à toutes les catégories et périodes, chaque catégorie et période façonnent à sa façon : on ne devient pas libertin ou spinoziste ou historien des idées au xviie ou au xixe siècle de la même manière. Telle est particulièrement l’histoire d’un étudiant en philosophie qui devient à son tour professeur : il se pense à travers la philosophie de son temps, dans un champ structuré par des manières de faire de la philosophie qu’il va à son tour reconfigurer. On n’est pas historien des idées de la même façon en 1828, en 1930, 1975 ou en 2020 : c’est une évidence, or cette évolution ne dépend pas seulement du fait que nous ne nous baignons jamais deux fois dans le même fleuve, mais aussi du fait que ce que veut dire faire de l’histoire des idées a changé. Dès lors, les attributs des individus résultent d’un ensemble de possibilités qui correspondent à une époque : lesquels dépendent d’un choix ? lesquels d’impératifs ou de conditions nous déterminant ?
24Certes, aucune catégorie n’a de frontière et de critère définitif ou précis : ce sont des zones aux bords poreux. En outre, chaque catégorie façonne les individus selon des modalités propres, mais toutes partagent néanmoins le fait de classer les individus en identifiant des thèses ou des mœurs, en les rapportant à des institutions (certaines très officielles, comme la Sorbonne pour l’histoire des idées avec Cousin), d’autres plus instables (comme des revues, des groupes ou des clubs), et ces catégories débordent le champ des protagonistes pour exister dans le grand public comme des « faits » historiques (par exemple, en tant que doctrines : « le » libertinisme, « le » matérialisme…) ou scientifiques (l’autisme, l’obésité, la maltraitance infantile).
25Il s’agit alors de repérer les phénomènes de filtres et de réinsertions qu’opère chaque philosophe, lorsqu’il sélectionne, reprend et réaménage : quand Érasme lit la République de Platon non plus comme une affaire de conciliation éthique entre les hommes supérieurs, mais comme la réalisation de l’unité de l’espèce humaine, tout en récusant la communauté des femmes pour conserver la famille comme cellule sociale, il transforme le sens de la philosophie platonicienne en lui conférant une actualité. De même en science, quand Vésale lit le Timée de Platon pour lui donner une pertinence anatomique et physiologique renouvelée par la dissection des corps, il transforme l’idée de l’homme plante du Timée en un système veineux que repère la dissection : il transporte la recherche des analogies vitales vers une description anatomique et physiologique. Au moment où il se transforme, voire se dénature, le platonisme n’en gagne pas moins une actualité humaniste et scientifique qui prend sens aussi dans la fonction controversiale qu’il joue à l’égard d’autres traditions, au premier chef en médecine, Aristote, ou plus exactement l’aristotélisme.
Conclusion. Quatre points communs, trois différences
26L’histoire des idées que pratiquent respectivement Pierre-François Moreau et Ian Hacking plonge leurs sources méthodologiques dans des filiations communes ; elles utilisent toutes les deux le découpage par catégories et périodes ; elles retracent l’effectivité des idées dans notre histoire en montrant comment elles façonnent les individus ; elles produisent une philosophie de l’histoire comme réflexion sur l’objectivité qui vise à comprendre comment des connaissances historiquement situées peuvent avoir pour objet une vérité. À côté de ces quatre points communs, il n’en reste pas moins trois différences, voire différends. Premièrement, à la suite de Foucault, Hacking pense la diversité des rationalités et leurs transformations à travers la notion de style de raisonnements, tandis que Moreau maintient une identité de la raison, qu’il conçoit à la suite de Spinoza (Éthique IV, 35, corollaire 2) comme un type de connaissance avec des effets pratiques individuels et collectifs. Certes Moreau emprunte à l’analyse littéraire la notion de genre (l’autobiographie, le couple analyse-synthèse, l’utopie, le palimpseste…) pour décrire une pluralité d’écritures philosophiques45. Un genre se définit comme une manière d’agencer des catégories46. Ainsi le genre utopique se caractérise par un discours critique sur l’existant qui cherche à trouver la cause des maux présents (par exemple, la propriété privée), une dimension descriptive de la société utopique une fois réalisée, enfin une justification qui rend compte des conditions de possibilité. Il apparaît à un moment repérable (More) à la fois en continuité et en rupture avec d’autres, capable de réintégrer des catégories anciennes dans un nouveau récit. Cet intérêt pour l’écriture philosophique résonne avec l’étude du style de raisonnement scientifique que propose Hacking ; néanmoins, en deçà de cet intérêt commun pour le genre ou style, Moreau maintient une unité de la raison qu’il détermine en référence à Spinoza, tandis qu’Hacking défend une pluralité des raisonnements. La deuxième différence tient à l’accent mis sur l’individu ou le collectif. Hacking étudie les façons dont fonctionne le biopouvoir en constituant des types de personnes à travers l’interaction entre les catégories et les individus classifiés par ces catégories. Ainsi chaque époque se caractérise par un espace de possibilités de différentes personnalités et les catégories agissent d’abord en termes de populations. Moreau maintient l’ancrage dans l’individu en tant qu’héritier situé sur un échiquier de possibilités déterminées et capable de réorganiser et reconfigurer cette matrice. D’où la troisième différence : dans le sillage de Foucault, Hacking efface l’auteur, tandis que Moreau tient la fonction d’auteur – majeur ou mineur – pour centrale, dans la mesure où un auteur justement reconfigure l’espace des possibles et inaugure ou perpétue ou clôt une période.
Notes de bas de page
1 P.-F. Moreau, Spinoza. État et religion, Lyon, ENS Éditions, 2005, p. 85-86 ; voir Spinoza, Theological-Political Treatise, chap. 7, dans The Collected Works of Spinoza, vol. II, édition et traduction E. Curley, Princeton, Princeton University Press, 2016, p. 171.
2 A. O. Lovejoy, « Introduction: The Study of the History of Ideas », The Great Chain of Being: A Study of the History of an Idea, New York, Harper Torchbooks, 1936.
3 D. R. Kelley, The Descent of Ideas: The History of Intellectual History, Ashgate, Aldershot, 2002 ; D. R. Kelley, « Eclectism and the History of Ideas », Journal of the History of Ideas, vol. 62, no 4, 2001, p. 577-592.
4 « What’s the matter with man? », A. O. Lovejoy, « Reflections on the History of Ideas », Journal of the History of Ideas, vol. 1, no 1, 1940, p. 9.
5 I. Hacking, Historical Ontology, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2002, p. 44 ; M. Vagelli, « Ian Hacking, de l’archéologie de la probabilité au façonnement des gens », J.-F. Braunstein, I. M. Diez et M. Vagelli dir., L’épistémologie historique : histoire et méthodes, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2019, p. 159-172, en ligne : [https://books.openedition.org/psorbonne/39172?lang=fr] ; A. Benoît, « L’épistémologie historique en héritage. Althusser, Foucault et la fabrique conceptuelle de l’histoire », L’épistémologie historique…, ouvr. cité, p. 103-117.
6 P. Macherey, « Georges Canguilhem : un style de pensée », La philosophie de G. Canguilhem, no 69 des Cahiers philosophiques, 1996, p. 47-56 ; D. Lecourt, Pour une critique de l’épistémologie. Bachelard, Canguilhem, Foucault, Paris, Maspero, 1974 ; préface de l’édition américaine de Le normal et le pathologique : M. Foucault, « Introduction » [1978], Dits et écrits, t. II, Paris, Gallimard, 2001, texte no 219.
7 P. Feyerabend, « Realism and the Historicity of Knowledge », Journal of Philosophy, vol. 86, no 8, 1989, p. 393-406.
8 I. Hacking, « “Vrai”, les valeurs et les sciences », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 141-142, no 1-2, 2002, p. 13-20 ; « “Style” for Historians and Philosophers », Studies in History and Philosophy of Science, vol. 23, no 1, 1992, p. 1-20.
9 A. Brenner, « Quelle épistémologie historique ? Kuhn, Feyerabend, Hacking et l’école bachelardienne », Revue de métaphysique et de morale, vol. 49, no 1, 2006, p. 113-125, en particulier p. 123.
10 M. Foucault, L’archéologie du savoir, Paris, Gallimard (Bibliothèque des sciences humaines), 1969, chap. « Archéologie et histoire des idées », p. 177-183.
11 M. Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la société française de philosophie, 63e année, no 3, 1969, p. 73-104 ; Dits et écrits, t. I, Paris, Gallimard, 2001, texte no 69.
12 P. Ricœur, « Objectivité et subjectivité en histoire », Histoire et vérité, Paris, Seuil, 1955 ; « Événement et sens », L’événement en perspective, Paris, Éditions de l’EHESS (Raisons pratiques/2), 1991, p. 51-52 ; La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000.
13 A. Escudier, « L’herméneutique de la condition historique selon Paul Ricœur », Archives de philosophie, vol. 74, 2011, p. 581-597, p. 583.
14 É. Bréhier, « Originalité de Lévy-Bruhl », Revue philosophique de la France et de l’étranger, vol. 139, 1949, p. 385-388.
15 M. Gueroult, Spinoza, t. I, Dieu, Paris, Aubier, 1968 ; Spinoza, t. II, L’âme, Hidelsheim / New York, Georg Olms Verlag, 1974.
16 M. Lærke, « Structural Analysis and Dianomatics. The History (of the History) of Philosophy According to Martial Gueroult », Journal of the History of Philosophy, vol. 58, no 3, 2020, p. 581-607 ; « French Historiographical Spinozism, 1893-2018. Delbos, Gueroult, Vernière, Moreau », British Journal for the History of Philosophy, vol. 28, no 3, Historiographies of Philosophy 1800-1950, M. Lærke et L. Catana éd., 2020, p. 653-672.
17 P.-F. Moreau, « Spinoza est-il spinoziste ? », Qu’est-ce que les Lumières « radicales » ? Libertinage, athéisme et spinozisme dans le tournant philosophique de l’âge classique, C. Secretan, T. Dagron et L. Bove dir., Paris, Éditions Amsterdam, 2007, p. 289-324, p. 295.
18 Sur la filiation entre Spinoza et Cavaillès, voir K. Peden, Spinoza contra Phenomenology. French Rationalism from Cavaillès to Deleuze, Stanford, Stanford University Press, 2014. Et sur la postérité de Cavaillès, voir P. Cassou-Noguès et P. Gillot dir., Le concept, le sujet et la science. Cavaillès, Canguilhem, Foucault, Paris, Vrin, 2009 ; F. Taylan, « Le statut du concept dans l’épistémologie historique de Cavaillès à Foucault », L’épistémologie historique, ouvr. cité, p. 133-148.
19 L. Hamlaoui, « Corps et esprit : l’identité humaine selon Spinoza », Astérion, no 3, 2005. En ligne : [https://doi.org/10.4000/asterion.325].
20 P.-F. Moreau, Spinoza. État et religion, ouvr. cité, 2005, p. 47.
21 M. Lærke, « French Historiographical Spinozism, 1893-2018, art. cité.
22 Q. Skinner, « Meaning and Understanding in the History of Ideas », History and Theory, vol. 8, no 1, 1969, p. 3-53.
23 M. Gueroult, Philosophie de l’histoire de la philosophie. Dianoématique, t. II, Paris, Aubier, 1979, p. 234.
24 Sur ce point, Moreau comme Hacking se démarquent de Foucault en proposant une lecture précise des textes, attentive aux effets de traductions ou de distorsions.
25 « Une des difficultés de l’histoire des idées tient en effet au problème de la construction de ses catégories. Elles sont nécessaires si l’on ne veut pas tomber dans un nominalisme textuel qui, sous couleur de défendre le caractère irréductible de chaque auteur, voire de chaque œuvre, refuserait toute possibilité de déchiffrer les lignes de force de cette histoire. Pourtant il est de fait qu’à tel ou tel moment, on constate entre des auteurs ou des artistes une communauté ou au moins des proximités dans la pensée, le style, la démarche ; parfois ils en sont conscients, parfois ils vont jusqu’à se regrouper en un mouvement, d’autres fois au contraire, ce sont leurs contemporains ou c’est la postérité qui repèrent une similitude justifiant de réunir sous un même nom des individualités par ailleurs fort divergentes ». P.-F. Moreau, « Relire Perrens. Sur la construction des catégories », Dix-septième siècle, vol. 283, no 2, 2019, 283, p. 343-361, p. 344.
26 P.-F. Moreau, « Victor Cousin, la philosophie et son histoire », Le Télémaque, vol. 54, no 2, 2018, p. 57-66, p. 58.
27 D. R. Kelley, « Eclectism and the History of Ideas », art. cité ; The Descent of Ideas, ouvr. cité.
28 P.-F. Moreau, « Spinoza et Victor Cousin », Archivio di filosofia, no 1, 1978, p. 327-331, et Spinoza et le spinozisme, Paris, PUF (Que sais-je ?), 2003, chap. 4, p. 120 ; P. Vermeren, « La philosophie au présent : le juif Spinoza (l’institution philosophique et la doctrine maudite du juif Spinoza) », Lignes, no 10, 1990, p. 167-180 ; J.-P. Cotten, « Spinoza et Victor Cousin », A. Tosel, P.-F. Moreau et J. Salem dir., Spinoza au xixe siècle, Paris, Éditions de la Sorbonne, 2007, p. 231-242.
29 P.-F. Moreau, Spinoza. État et religion, ouvr. cité, p. 83. P.-F. Moreau ne reprend donc pas à son compte le sens de modèle que proposent G. Piaia et G. Santinello, dans la mesure où ces derniers explorent bien l’historicité de la philosophie, mais peu son enjeu philosophique : Models of the History of Philosophy, vol. II et III, G. Santinello éd., New York, Springer, 2011-2015. Le texte original italien est publié à partir de 1993.
30 P.-F. Moreau, « Une théorie de l’autobiographie : Georg Misch », Revue de synthèse, vol. 117, no 3-4, 1996, p. 377-389, p. 382.
31 Ibid., p. 383.
32 S. Caianiello, « L’enjeu épistémologique de la notion d’époque entre organisme et système au xixe siècle », Annales HSS, vol. 64, 2009, p. 111-139.
33 J. Chandelier, A. Robert, P. Koetschet, D. Jacquart, R. Mandressi dir., L’anthropologie des médecins, vol. 134, no 4, Revue de synthèse, 2013 ; S. Carvallo, L’homme parfait. L’anthropologie médicale de Harvey, Riolan et Perrault (1628-1688), Paris, Classiques Garnier, 2017.
34 P.-F. Moreau, « Une théorie de l’autobiographie : Georg Misch », art. cité, p. 384.
35 I. Hacking, The Emergence of Probability. A Philosophical Study of Early Idea About Probability, Cambridge, Cambridge University Press, 1975 ; The Taming of Chance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
36 I. Hacking, « Biopower and the Avalanche of Printed Numbers », Humanities in Society, vol. 5, 1982, p. 279-295.
37 I. Hacking, « Statistical Language, Statistical Truth and Statistical Reason: The Self-Authentification of a Style of Reasoning », The Social Dimensions of Science, E. MacMullin éd., Notre Dame, Notre Dame University Press, 1992, p. 130-157.
38 G. Lloyd, Demystifying Mentalities, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 (Pour en finir avec les mentalités, traduction F. Regnot, Paris, La Découverte, 1994).
39 A. C. Crombie, Styles of Scientific Thinking in the European Tradition, Londres, Duckworth, 1994.
40 M. Vagelli, « Ian Hacking, de l’archéologie de la probabilité au façonnement des gens », L’épistémologie historique, ouvr. cité, p. 159-170.
41 « Aussi longtemps que l’on se représente la méthode scientifique comme un ensemble de procédures guidées par leur seule logique interne, la notion de style scientifique semble paradoxale. Après tout, nous avons l’habitude d’associer le terme de style à des activités qui peuvent être accomplies de plusieurs manières, en particulier dans le cas du travail créatif de l’artiste. Cependant, au cours des années 1950 et 1960, l’émergence d’une tradition antipositiviste en philosophie des sciences a commencé à miner la conception unitaire de la science ». J. Harwood, Styles of Scientific Thought, Chicago, The University of Chicago Press, 1993, p. xiv. Voir M. J. Nye, « National Styles? French and English Chemistry in the Nineteenth and Early Twentieth Centuries », Osiris, vol. 8, 1993, p. 30-52. La notion de style national scientifique apparaît déjà par exemple chez P. Duhem, La théorie scientifique [1906], Paris, Vrin, 1981, I, chap. 4.
42 I. Hacking, Historical Ontology, Cambridge, Harvard University Press, 2002, chap. 6 (l’article correspondant au chapitre avait été publié en 1986) ; « The Looping Effects on Human Kinds », Causal Cognition: An Interdisciplinary Approach, D. Sperber, D. Premack, A. Premack éd., Oxford, Oxford University Press, 1995, p. 351-383 ; « Façonner les gens », I (2001-2002) et II (2004-2005), cours au Collège de France, en ligne : [https://www.college-de-france.fr/site/ian-hacking/course-2005-03-01.htm].
43 I. Hacking, Historical Ontology, ouvr. cité.
44 I. Hacking, Rewriting the Soul. Multiple Personality and the Sciences of Memory, Princeton, Princeton University Press, 1995 (L’âme réécrite. Étude sur la personnalité multiple et les sciences de la mémoire, traduction J. Brumberg-Chaumont et B. Revol, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1998).
45 P.-F. Moreau, Le récit utopique. Droit naturel et roman de l’État, Paris, PUF, 1982.
46 P.-F. Moreau, « Le récit utopique. Droit naturel et roman de l’État », Anthropology & Materialism, no 3, 2016. En ligne : [https://doi.org/10.4000/am.640], § 7.
Auteur
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Sarah Carvallo
université Claude Bernard Lyon 1, S2HEP, chercheuse associée à l’UMR 5317-IHRIM
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