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Une politique proactive au bénéfice d’une orientation construite

p. 43-48


Texte intégral

1L’enjeu de l’orientation des élèves constitue en réalité le cœur de notre activité éducatrice au quotidien, bien plus que nous pouvons a priori le penser, et bien davantage d’ailleurs que celui de l’acquisition des compétences et des connaissances, qui semble pourtant être l’enjeu essentiel.

2Mon expérience d’enseignant en éducation prioritaire, puis de personnel de direction, s’est construite progressivement sur ce constat que trop de choses sont encore corrélées aux catégories socioprofessionnelles dont sont issus les élèves, et qu’en conséquence, les mécanismes de décisions d’orientation ne prennent pas suffisamment appui sur les projets des élèves.

La gestion en volume et la hiérarchie mentale persistante

3La gestion des paliers d’orientation que constituent successivement les classes de 3e au collège et de 2de Générale Technologique (GT) au lycée général et technologique doit, institutionnellement, d’abord répondre à une gestion administrative pour parvenir à rendre les flux suffisamment fluides. Les objectifs qui nous sont officieusement suggérés s’appuient eux-mêmes sur des calculs statistiques issus des différentes typologies d’établissements sur des temporalités considérées comme représentatives.

4Tel collège en territoire plutôt favorisé doit donc, et c’est entendu de façon implicite, orienter tel taux d’élèves de 3e vers la 2de GT. On a donc toutes et tous le réflexe de pousser les élèves qui réussissent scolairement vers la 2de GT, en laissant entendre, là aussi de façon complètement implicite, que si les résultats scolaires sont moins bons, il faudra davantage songer à la voie professionnelle.

5La hiérarchie mentale entre voie générale (en collège, on fait encore rarement le distinguo entre voie générale et technologique) d’une part et voie professionnelle d’autre part est clairement acquise par tout un chacun. Pourquoi autant de parents cherchent-ils à pousser à tout prix leur enfant, même aux résultats fragiles, à tenter malgré tout sa chance en 2de GT ? Parce qu’en tant que parents, il est logique de porter une ambition certaine pour son enfant, et souvent de lui donner une opportunité d’un dépassement socioprofessionnel. Car le phénomène de reproduction sociale est particulièrement présent. Cette hiérarchie mentale repose sur un autre élément, qui rend l’approche de la voie professionnelle paradoxalement bien plus discriminante que l’accès à la voie générale.

6En effet, les élèves qui poursuivent en voie générale ont la certitude d’une certaine proximité géographique, puisque les lycées sont sectorisés. À l’exception des familles qui cherchent à contourner un établissement en particulier pour viser des options particulières, la majorité des élèves qui vont en voie générale et technologique se rendent dans un lycée proche ou relativement proche (en milieu rural, les distances peuvent être plus importantes). Mais cela est sans commune mesure avec les élèves qui choisissent un projet de formation dans la voie professionnelle : les établissements ne sont pas sectorisés, et même si le maillage des lycées professionnels est plutôt intéressant et réussi, tous les lycées professionnels n’offrent pas toutes les formations existantes. Tel lycée professionnel va plutôt être spécialisé dans des formations industrielles, tel autre dans des formations tertiaires. Il n’y a pas toujours adéquation territoriale avec le projet du jeune. Cet éloignement signifie qu’il faut gérer la distance, éventuellement envisager une place en internat, avec les frais qui vont avec. Et comme majoritairement, il s’agit de familles modestes, une poursuite de scolarité peut vite prendre des dimensions problématiques.

7En fin de 2de GT, la gestion des volumes répond aux mêmes contraintes institutionnelles, avec des logiques de cul-de-sac pour les élèves qui manifestement n’ont pas réussi à s’adapter aux exigences de ce palier. Il est à noter que les élèves qui ne parviennent pas à trouver leur place dans cette première année du lycée général et technologique ne sont pas toujours forcément ceux qui sont passés de justesse en 2de GT à l’issue de leur année de 3e.

8Il y a aussi régulièrement des élèves qui ont répondu à des injonctions implicites liées à leurs résultats et à leur origine socioprofessionnelle. Pour ces élèves, le retour vers la voie professionnelle, même lorsqu’il est réfléchi et construit, devient un véritable chemin de croix. Un détail particulièrement pernicieux rend les choses très difficiles pour ces élèves en quête d’une réorientation : un élève de 2de GT désireux de retourner en voie professionnelle et qui sollicite des formations identiques à celles demandées par des élèves de 3e se voit appliquer sur ses résultats scolaires un « malus », un coefficient réducteur. Les notes obtenues en 2de GT étant malheureusement souvent synonymes de relatives contre-performances scolaires, l’élève se retrouve dans un véritable système de double peine, qui rend sa réorientation quasiment inaccessible.

9Pourquoi cette gestion des volumes est-elle si difficile ? Elle est liée à une dichotomie flagrante entre la prise en compte des effectifs en voie générale d’une part, et en voie professionnelle d’autre part (sachant que la voie technologique répond aux mêmes impératifs).

10D’une part, une voie générale qui sait adapter ses structures d’accueil (classes en langage commun, divisions en jargon professionnel) en fonction des effectifs. Même si l’institution rechigne à ouvrir au dernier moment des divisions supplémentaires, elle s’y résout quand manifestement il n’y a pas d’autre choix. Il y a donc théoriquement toujours de la place en voie générale.

11D’autre part, une gestion contingentée des filières de formation en voie professionnelle. Une filière qui comporte par exemple 24 ou 32 places sera toujours bornée à ce plafond d’effectifs, et même si on a 48 candidats pour 24 places, il est incongru de penser qu’on va ouvrir une seconde division pour absorber les élèves qui souhaitent à tout prix cette formation. Au mieux, ces élèves se verront proposer une place très loin dans la même filière, ou alors ils se verront proposer une place dans une autre filière de formation, qui ne correspond pas toujours aux souhaits et projets, au pire, ces élèves se retrouvent sans solution.

12Cette particularité, qui semble une évidence pour notre institution, n’existe pas forcément dans d’autres pays, qui savent se montrer plus souples sur la gestion des volumes concernés par la voie professionnelle.

13Les acteurs du système éducatif sont donc confrontés à la quadrature du cercle : n’autoriser à poursuivre en 2de GT que les « bons » élèves, accompagner les élèves considérés comme insuffisamment armés pour réussir en 2de GT vers des choix en voie professionnelle, tout en trouvant des stratégies pour contourner les taux de pression, qui pour certains élèves sont des obstacles infranchissables.

L’accompagnement individualisé

14Tout cela peut paraître bien pessimiste quand on considère la rigidité systémique de la gestion de flux des cohortes. Sans constituer une solution miracle qui permettrait de tout résoudre, la seule approche qui permet de tordre – un peu – le cou aux logiques macro est de jouer sur le curseur de l’individualisation de l’accompagnement, en le poussant au maximum de ce qui est possible.

15Il existe dans l’accompagnement à l’orientation de très nombreux dispositifs qui permettent d’avoir une influence sur les enjeux. Les psychologues de l’Éducation nationale (ex-conseillers d’orientation) jouent un rôle primordial, tout comme les professeurs principaux qui relaient régulièrement les informations importantes. Nous avons aussi pris l’habitude d’organiser des soirées d’information, où tous les parents sont invités pour découvrir des présentations alléchantes sur les poursuites des cursus scolaires, avec un degré plus ou moins soutenable de notre incontournable jargon « EdNat ».

16Mais ces dispositifs de transmissions d’informations à caractère descendant se heurtent toujours au même problème : ils s’organisent dans le cadre d’une interaction entre le sachant (ou un petit groupe de sachants) et le grand groupe des non-initiés que sont les parents ou les élèves, lorsqu’ils sont en classe. Et il ne s’agit pas seulement d’un risque, mais d’un phénomène régulièrement constaté : comme la parole des usagers en ces moments n’est pas recueillie, faute de cadre le permettant, la mise en adéquation entre principe de réalité et projet personnel ne peut se faire. Et si on en reste là, alors des mécanismes de frustration émergeront tôt ou tard, en priorité chez les élèves et leurs parents qui pensent que tout un chacun doit avoir la chance de se voir proposer un accès à l’ascenseur social.

17À travers un tâtonnement qui s’est affiné au cours des années, l’entretien d’orientation concertée, qui rassemble idéalement l’élève, ses parents, le professeur principal, le psychologue de l’Éducation nationale et le chef d’établissement (pour garantir une bonne assise institutionnelle, car les professeurs principaux sont de plus en plus contestés dans leurs conseils avisés, lorsqu’ils sont seuls face aux parents), se déroule encore trop souvent de façon aléatoire, du moins ciblé avec une grille de lecture qui consiste à repérer les élèves en situation de fragilité. Cette approche porte malheureusement en son sein un défaut majeur : elle laisse à penser que l’entretien d’orientation concertée n’est légitime que pour les élèves en situation de fragilité, et que les élèves en situation de réussite n’en auraient pas besoin.

18En réalité, tous les élèves ont besoin de ce temps de rencontre et d’échange, et il n’est pas insensé de penser que ce sont surtout les élèves en réussite qui ont une impérieuse nécessité de bénéficier de cet échange.

19En effet, l’idée est de ne pas s’appuyer, dans un premier temps, sur les résultats scolaires, mais de faire émerger la parole de l’enfant, avant toute prise de parole des parents, et de bien indiquer que les résultats scolaires ne viendront qu’en éclairage, et non pas comme une condition déterminante. Cette approche au démarrage de l’entretien peut déstabiliser parents comme élèves, mais globalement, elle permet de discuter du projet futur de l’élève, ou à défaut de ses centres d’intérêt, et de montrer qu’il y a de très nombreux chemins pour y parvenir. Et lorsqu’on propose une voie professionnelle à un élève qui a 15 de moyenne, on peut en effet constater de l’étonnement chez les parents. Il faut rétorquer que la voie professionnelle est une voie bien plus difficile d’accès que la voie générale.

20L’entretien se poursuit en regardant l’écart qu’il y a entre le projet et le niveau scolaire. On peut faire le pari (réussi plus d’une fois) que la mobilisation autour d’un projet bien réfléchi fera comprendre à l’élève qu’il y a un sens donné aux apprentissages proposés. Parfois l’écart est trop important, et on peut alors envisager des stratégies de contournement pour finalement atteindre l’objectif final, et là encore on donne du sens.

21Il reste la question épineuse du temps consacré à cette démarche. En collège, globalement, le temps est disponible pour recevoir tous les élèves, compte tenu des structures existantes. En lycée GT, sur le niveau 2de, c’est parfois plus périlleux, mais même de grosses structures, si on en fait une priorité en termes de pilotage pédagogique, sont accessibles à cette politique volontariste.

22Les résultats sont probants. On parvient à corriger un peu certains mécanismes qui paraissaient trop rigides. On réussit surtout à réduire de façon très importante tous les quiproquos qui débouchent indéniablement sur des demandes de saisine de la commission d’appel en fin de 3e ou de 2de. Et le plus important est d’avoir réussi à casser certaines représentations qui ont la vie dure.

L’apprentissage

23La demande sociale au sujet de l’apprentissage est en forte augmentation ces dernières années. La loi de 2019, qui a libéralisé l’accès aux centres de formation pour apprentis, et qui a notamment permis aux GRETA de devenir des CFA publics, offre une vraie opportunité pour certains élèves. L’apprentissage est considéré comme revêtu d’un prestige plus important, du moins d’une efficience intéressante.

24La voie de l’apprentissage permet là aussi de casser les représentations, et cette voie parallèle donne souvent des débouchés intéressants pour des élèves qui n’ont pas la capacité à envisager une poursuite d’études dans la formation initiale.

25De ce fait, le développement de ce qu’on appelle la « mixité des publics » est incontestablement une piste à regarder de près, et qui permettra d’une part de consolider la présence du service public dans ce qui est devenu un marché concurrentiel, et d’autre part d’offrir aux élèves qui sont accueillis dans ce cadre une protection sous forme de parachute.

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