1Les enfants ne vivent pas leur vie cloîtrés entre les murs de la maison. Au contraire, ils se déplacent dans le monde. Ils sont tenus par la loi d’aller à l’école, et l’école est une présence puissante dans leur vie. Comme je l’ai montré, de nombreux enfants ont une vie organisée, remplie d’activités dirigées par des adultes ; d’autres enfants ont un rythme de vie plus calme, où ils passent du temps avec leurs cousins, regardent la télévision et jouent dehors. Même lorsque les enfants sortent des radars de l’environnement familial, l’amour et le souci qu’ont pour eux leurs parents restent inchangés, quelle que soit la classe sociale. Comme l’illustrent les cas de la partie suivante, les mères des classes populaires et des familles pauvres surveillent souvent avec anxiété la situation de leurs enfants, comme lorsque, en CP, CE1, CE2 et CM1, Wendy Driver avait du mal à apprendre à lire. De même, M^me Marshall est restée vigilante aux plaintes de ses filles concernant « Art », le chauffeur de bus.

2Pourtant, la classe sociale semble faire une différence dans la manière dont les parents, principalement les mères, gèrent les plaintes des enfants concernant les institutions. Les mères des classes moyennes sont souvent très interventionnistes, et ces situations les poussent à intervenir avec assurance. Parfois les parents réussissent, parfois non. Mais, ce faisant, elles apprennent directement à leurs enfants à « ne pas se satisfaire d’une réponse négative » et à faire pression sur les personnes en position de pouvoir dans les institutions pour que celles-ci répondent à leurs besoins. En revanche, les parents des familles pauvres et ceux des classes populaires ont tendance à attendre des enseignants et d’autres professionnels qu’ils jouent un rôle déterminant. L’enquête a montré qu’ils n’adoptent pas la même déférence envers d’autres personnes qui fournissent des services importants dans leur vie. M^me Driver, par exemple, s’estime « colérique » et peut s’emporter contre les dernières extravagances de leur propriétaire, mais dans le cas de l’école, elle se montre beaucoup plus passive. Dans la mesure où l’école est conçue autour d’un système de mise en culture concertée et que les enseignants s’attendent à ce que les parents jouent un rôle de premier plan dans la scolarité, la déférence de parents comme M^me Driver est problématique et ne favorise pas la réussite scolaire des enfants.

3Cependant, les ressources culturelles ne sont pas toujours rentables. Les efforts assidus de M^me Handlon, mère blanche des classes moyennes, pour aider sa fille Mélanie à l’école sont associés à une expérience souvent difficile à la maison et à un bénéfice discutable à l’école. En outre, il est important de dépasser la question des personnalités individuelles pour examiner plus largement les relations entre modèles de comportements et structures sociales. Les écoles, malgré leur prétention à être des lieux conviviaux, ont l’obligation légale de dénoncer les parents s’ils soupçonnent de la maltraitance ou une négligence envers un enfant. À ce titre, elles sont le bras armé de l’État. Comme je l’ai montré, les parents des familles pauvres et ceux des classes populaires sont relativement peu susceptibles d’utiliser le raisonnement et l’argumentation verbale comme forme de discipline. Au lieu de cela, ils sont nombreux à recourir à la punition physique. Je montrerai comment, dans le cas du petit Billy Yanelli, l’utilisation de la ceinture à la maison était clairement en conflit avec les principes de fonctionnement adoptés par l’école. En outre, les convictions de ses parents, persuadés qu’il est important que Little Billy se défende dans la cour de récréation, étaient également contraires aux règles de l’école. Il en a résulté une situation où les parents Yanelli se sont sentis tour à tour défiants, effrayés et impuissants. Ils ont, quand ils le jugeaient nécessaire, encouragé leur fils à se battre et, au besoin, ils l’ont frappé avec une ceinture à la maison. Mais une inquiétude latente, qu’ils partageaient avec d’autres familles pauvres et de classes populaires, pesait sur toute leur vie : « l’école » pouvait soudainement les dénoncer pour maltraitance et « venir chercher mes enfants ». La logique culturelle de la mise en culture concertée des enfants, parce qu’elle est en phase avec les normes des responsables scolaires, offre des avantages importants, et largement invisibles, aux parents et aux enfants des classes moyennes, dont les parents des classes populaires et des familles pauvres ne peuvent bénéficier.