1L’impact des différences de classe sociale sur les expériences de vie des enfants se manifeste dans les détails de la vie. Dans notre enquête, le rythme de vie des classes moyennes paraît différent de celui des classes populaires et des familles pauvres. Dans les classes moyennes, la vie est effrénée. Les parents courent d’une activité à l’autre. Dans les familles qui comptent plus d’un enfant, les parents doivent souvent jongler pour réussir à combiner les activités de chacun d’entre eux. Dans ces familles, les ressources économiques pour la nourriture, les vêtements, le logement, le transport, les activités des enfants et les autres dépenses courantes sont abondantes. Bien sûr, certains parents se sentent souvent à court d’argent. Ils ne sont pas toujours en mesure de prendre les vacances qu’ils souhaitent. Mais, comme je le montre, ces familles dépensent régulièrement des centaines, voire des milliers de dollars par an pour les activités des enfants.

2Les activités des enfants sont si nombreuses, et on leur accorde tellement d’importance, qu’elles déterminent l’emploi du temps de toute la famille. Les frères et sœurs doivent suivre, bon gré mal gré. Le temps libre des adultes est consacré aux activités des enfants. Les enfants passent également une grande partie de leur temps en compagnie ou sous la direction d’adultes. Ils ont également du temps libre non encadré, mais celui-ci est généralement entrecoupé d’activités structurées. Dans l’organisation de la vie quotidienne, les intérêts et les activités des enfants sont traités comme des questions essentielles.

3Dans les familles des classes populaires et les familles pauvres, l’organisation de la vie quotidienne diffère de celle des familles des classes moyennes. Il y règne une pression économique inconnue de beaucoup de familles des classes moyennes. Dans les familles pauvres, en particulier, s’assurer que la journée des membres de la famille puisse se dérouler normalement requiert un travail énorme. Les mères doivent économiser pour faire durer la nourriture jusqu’à ce qu’elles puissent refaire des courses, attendre des bus qui ne viennent pas, porter le linge des enfants aux lavomatiques, lever, nourrir, habiller et préparer les jeunes enfants pour l’école, et surveiller la vie quotidienne des enfants. Les enfants sont conscients de cette pression économique. Les questions d’argent sont fréquemment abordées.

4Bien que l’argent soit rare, la vie des enfants est plus calme et, surtout, le rythme de vie est plus lent. Les enfants jouent avec d’autres enfants en dehors de la maison. Ils jouent fréquemment avec leurs cousins et cousines. Certains enfants ont des activités organisées, mais celles-ci sont beaucoup moins nombreuses que dans les familles des classes moyennes. Dans d’autres cas, les enfants veulent prendre part à des activités organisées, mais les contraintes économiques, aggravées par le manque de transport public, rendent leur participation impossible. Lorsque les enfants cherchent à montrer leurs talents naissants et poursuivent des activités dans un cadre plus informel, à proximité de leur foyer, les adultes accordent généralement peu d’importance à leurs centres d’intérêt. De plus, comme ils ne se déplacent pas sans cesse en voiture avec leurs parents pour aller à des activités organisées et ne sont pas constamment supervisés par des adultes dans le cadre d’activités structurées, les enfants des familles des classes populaires et des familles pauvres ont à l’égard des adultes une plus grande autonomie. Ils disposent de longues périodes de temps libre pendant lesquelles ils regardent la télévision ou jouent avec des membres de leur famille et des amis dans le voisinage, trouvant par eux-mêmes comment s’occuper. Dans ces activités, il existe une plus grande séparation entre le monde des adultes et celui des enfants.

5En résumé, on a pu observer des différences entre les classes sociales en ce qui concerne le nombre d’activités organisées, le rythme de la vie familiale, la pression économique qui pèse sur la vie familiale, le temps consacré aux jeux informels, l’intérêt des adultes envers les activités des enfants, la domination qu’exercent les activités des enfants sur la vie des adultes et le degré d’autonomie des enfants par rapport aux adultes. Bien sûr, d’autres éléments jouent également un rôle, en plus de la classe sociale. Les différences entre les sexes sont particulièrement frappantes. Les filles et les garçons apprécient différents types d’activités. Les filles ont des vies plus sédentaires que les garçons. Elles jouent également plus près de chez elles. La race joue aussi un rôle, notamment en raison de la ségrégation raciale des quartiers résidentiels qui séparent les enfants en groupes de jeu informels racialement ségrégés (même si la race n’a pas d’influence sur le nombre d’activités des enfants).

6Cette première partie nous fait découvrir la vie de trois familles pour illustrer ces questions. D’abord, elle examine de près une famille des classes moyennes à travers la vie de Garrett Tallinger, un garçon blanc. (Bien que j’aie choisi un garçon blanc de classes moyennes pour ce chapitre, dans une certaine mesure, cette décision était arbitraire. N’importe lequel des autres enfants des classes moyennes que nous avons observés, y compris le garçon noir et la fille noire des classes moyennes, aurait pu avoir cette place dans le livre.) Ensuite, je cherche à montrer qu’il existe des différences importantes entre la vie des enfants des classes moyennes d’une part, et celle des enfants des classes populaires et des enfants des familles pauvres d’autre part. J’aborde également les différences entre les familles des classes populaires et les familles pauvres, et je mets en évidence les différences entre les expériences des garçons et des filles. Je compare notamment la vie de Garrett à celle de deux autres enfants : un garçon noir des classes populaires, Tyrec Taylor, et une fille blanche issue d’une famille pauvre, Katie Brindle. Chaque chapitre s’attache à fournir des informations de base sur chaque enfant, mais cherche également à mettre en évidence certaines dimensions particulières des différences entre les classes sociales. Ainsi, le chapitre 4 dépeint une vie moins effrénée et met l’accent sur l’importance du jeu informel et le nombre réduit d’activités organisées (Tyrec Taylor), et le chapitre 5 traite des contraintes économiques et du fait de considérer les activités des enfants comme insignifiantes (Katie Brindle). Les deux chapitres insistent sur l’autonomie des enfants vis-à-vis des adultes. Si ces chapitres visent à offrir un portrait approfondi de certaines familles, les tableaux de l’annexe C offrent un aperçu du calendrier des activités organisées pour les douze familles dans lesquelles nous sommes allés, ainsi qu’un résumé pour les quatre-vingt-huit enfants dont les familles ont été interviewées.