Postface
Capital culturel et inégalités sociales. Morales de classe et destinées sociales : passé et présent d’une problématique
p. 635-650
Texte intégral
La demande sociale, la question de recherche et le contexte dans les années soixante-dix
1Éric Mangez : L’ouvrage réédité aujourd’hui provient d’une thèse de doctorat que tu as réalisée conjointement avec Émile Servais (aujourd’hui malheureusement disparu) entre 1971 et 1974. La thèse avait été publiée sous forme d’un ouvrage aux éditions Vie ouvrière en 1978, sous le titre Capital culturel et inégalités sociales. Morales de classe et destinées sociales. À l’heure du Publish or Perish, alors que certains réduisent la valeur des chercheurs au nombre d’articles qu’ils ont publiés durant les cinq dernières années, la décision prise par la direction de la « Bibliothèque idéale des sciences sociales » de rééditer aujourd’hui un ouvrage publié il y a une quarantaine d’années est remarquable. Je crois qu’elle est aussi une chance pour la sociologie. Non seulement parce qu’elle nous (re)donne accès à un ouvrage important qui était devenu introuvable, mais aussi parce qu’en nous invitant à relire ou à découvrir cet ouvrage, elle nous permet d’utiliser le temps qui nous sépare de l’époque de sa première édition comme moyen pour mieux comprendre les évolutions et les changements à l’œuvre dans notre société. Les inégalités demeurent, mais certains des mécanismes qui les produisent et les reproduisent (tout en les modifiant) se transforment. La sociologie a tout à gagner à mobiliser la possibilité de comparer des époques différentes pour mieux comprendre son objet d’étude. Elle peut de cette manière percevoir la permanence de certains processus mais aussi certaines évolutions fondamentales. Bien évidemment, un tel projet demande une mise en contexte. Les premières questions que l’on voudrait te poser, avant d’en venir aux évolutions à l’œuvre dans le domaine des inégalités, sont donc naturellement liées au contexte dans lequel la thèse a été produite. Quelle était la place de la question des inégalités dans le contexte politique et intellectuel de l’époque ? Et comment avez-vous élaboré votre propre questionnement sociologique dans ce contexte ?
2Georges Liénard : La thèse a été réalisée grâce à deux financements. L’un provenait du ministère de la Culture de la Communauté française de Belgique. La question posée par le ministère de la Culture était la suivante : « Étant donné qu’on admet généralement aujourd’hui que les inégalités devant la culture apparaissent dès la petite enfance, peut-on faire quelque chose et comment, pour remédier aux handicaps que laisse subsister une politique de démocratisation culturelle ? ». Le second financement était un contrat du Fonds de la recherche fondamentale collective (FRFC), qui concernait les différences dans les conditions d’habitat et les façons d’habiter en Wallonie. Nous avons articulé les façons d’habiter avec les pratiques familiales de socialisation culturelle et la structuration de l’habitat familial. Ainsi, tout en respectant la demande sociale liée aux deux financements, nous l’avons reformulée pour en faire une question de recherche sociologique. Ce fut un cheminement.
3Il fallait d’abord sortir de la problématique du handicap pour travailler sur la problématique des inégalités. La plupart des acteurs concernés mobilisaient en effet la notion de « handicaps socioculturels », ce qui les conduisait à appréhender ces problèmes sous un angle individuel et psychologique plutôt que de façon systémique et sociologique. Secundo, il s’agissait de montrer et d’analyser les pratiques concrètes de socialisation culturelle des enfants des divers groupes familiaux et de voir comment ces pratiques pouvaient constituer, ou non, divers degrés de « capital culturel ». Pour ce faire, nous avons fait porter notre enquête sur l’ensemble du groupe familial au moins jusqu’aux pratiques de socialisation des grands-parents. Troisièmement, il était pertinent de tenter de reconstruire les pratiques de socialisation de familles de diverses classes sociales afin de saisir les cultures d’origine et de percevoir les écarts vis-à-vis de la culture légitime et d’examiner comment ces différences deviennent des inégalités par les verdicts scolaires. Quatrièmement, il était nécessaire d’élémentariser des pratiques culturelles et éducatives et de relier ces analyses détaillées aux concepts englobants d’habitus, d’éthos et de capital culturel. Au fond, nous cherchions à comprendre comment se constituent un habitus, un ethos, comment ils fonctionnent et produisent des effets.
La dette intellectuelle et la fabrication de Capital culturel et inégalités sociales…
4Hugues Draelants : Est-ce que tu pourrais dire un mot sur le contexte intellectuel de l’époque, et en particulier sur l’état de la sociologie ? On sait que c’est une époque foisonnante pour la sociologie, notamment pour la sociologie française, et un moment fondateur pour la sociologie de l’éducation. A priori, on pense bien sûr aux travaux sur l’enseignement de Bourdieu et Passeron. L’influence des Héritiers et de La reproduction sur les recherches ultérieures conduites sur les inégalités scolaires a été profonde et se fait encore sentir aujourd’hui. Qu’en fut-il pour vous à l’époque ? Quelles ont été vos principales sources intellectuelles dans ce travail de construction d’une problématique sociologique à propos des inégalités ?
5GL : Elles étaient d’abord liées à nos cours, à nos contacts et à nos lectures de travail qui concernaient des domaines diversifiés : sociologie, anthropologie, histoire et littérature. Dans le domaine de la sociologie, c’est effectivement l’époque de la montée en puissance des travaux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron sur l’enseignement. C’est aussi l’époque où ils publient Le métier de sociologue avec Jean-Claude Chamboredon. Dans le cadre de notre thèse, nous étions également intéressés par Travail et travailleurs en Algérie, Le déracinement et Un art moyen ainsi que par Esquisse pour une théorie de la pratique. Ces travaux nous poussaient à accorder une grande attention aux pratiques concrètes des individus et des groupes tout en construisant une théorie enracinée. Les travaux de Bourdieu et Passeron sur l’enseignement et la culture, des ouvrages tels que Les héritiers, L’amour de l’art, La reproduction, nous fournissaient l’idée de la « re-production » des inégalités, même si nous ne pensions pas à une reproduction à l’identique. En lisant Les héritiers et Rapport pédagogique et communication, nous étions attentifs au développement de Bourdieu, Passeron et de Saint-Martin sur la nécessité d’un travail de rationalité pédagogique, capable selon eux de faire face aux inégalités devant les exigences de la culture scolaire. Enfin, parmi les articles de Bourdieu, l’article « Condition de classe et position de classe » (1966) nous éclairait sur les processus centraux et structurels de production de génération en génération des inégalités de classe et de leur intériorisation1. Si Bourdieu était incontestablement important, Jean Remy, qui était le co-promoteur de notre thèse, nous a poussés à développer un rapport de critique constructive vis-à-vis de ces travaux. Il insistait sur le fait que les données primaient sur le cadre théorique et qu’il ne fallait pas les faire entrer de force dans le cadre venu de Bourdieu (risque de la surinterprétation des données) mais plutôt modifier ce qui devait l’être dans la théorie en fonction des données dérangeantes ou étonnantes.
6Nous avons aussi appris à connaître Jean-Claude Chamboredon au travers des travaux de Bourdieu. Nous nous étions rendus au Centre de sociologie européenne2, où nous avions rencontré longuement Chamboredon et Luc Boltanski. Chamboredon nous avait alors invités une ou deux fois au séminaire que Bourdieu donnait à l’École supérieure. Et comme il était en train de terminer sa recherche sur Le métier d’enfant avec Jean-Yves Prévot, on s’est finalement davantage arrimés à Chamboredon qu’à Bourdieu. À partir de ce moment-là, Jean-Claude Chamboredon a joué un rôle important comme co-promoteur de la thèse. Ses publications, avec Jean-Yves Prévot, sur l’enfance, ont été une référence essentielle pour notre travail. Le questionnaire, que Chamboredon et Prévot avaient utilisé pour leur enquête, est un outil empirique théoriquement pensé, qui nous a été fort utile. Les autres membres du comité d’accompagnement de la thèse nous ont également chacun apporté quelque chose à leur manière et en fonction de leurs propres travaux. Paul Vercauteren venait de publier son livre remarquable sur les sous-prolétaires, qui nous a permis de mieux situer les familles de classe ouvrière qui étaient présentes dans notre échantillon raisonné. Albert Doutreloup, avec sa formation d’anthropologue, nous a poussés à faire des observations fines qui devaient être intégrées à notre analyse des modes de socialisation. Jacques Delcourt, sociologue de l’enseignement et du travail, nous a permis de mieux articuler l’analyse de la position socioprofessionnelle des parents et celle des modes de socialisation des enfants et de leur rapport à l’école.
7Luc Boltanski nous a également beaucoup apporté au travers de ses travaux, en particulier ceux publiés dans Prime éducation et morale de classe où il étudie l’histoire des façons d’élever les enfants. Ces travaux précisaient et structuraient la façon d’analyser les pratiques éducatives et culturelles populaires (y compris celles de l’éducation aux pratiques corporelles) en décalage ou en retard relativement aux savoirs des professionnels de la santé des enfants. Nous avons transposé cette approche dans le rapport entre les exigences de la culture scolaire et les pratiques culturelles des groupes sociaux d’appartenance des familles. Nous voulions analyser comment des différences culturelles entre familles, parce qu’elles sont liées à la généalogie (très différenciée) des groupes familiaux de diverses classes, se transforment en inégalités et marquent à terme le destin social des enfants. Le texte de Boltanski, Prime éducation et morale de classe, nous a en outre orientés vers des ouvrages historiques, en particulier celui de Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime. Ce recul temporel nous aidait à mieux saisir la distance sociale et culturelle entre les groupes sociaux des diverses classes dans l’espace-temps actuel et nous faisait aussi percevoir l’utilité de retracer modestement la généalogie des groupes familiaux analysés.
8Boltanski nous a aussi fait découvrir les outils de sémiologie graphique de Jacques Bertin. Un des outils était constitué de cubes en aluminium de différentes couleurs, percés sur chacun de leurs côtés, et que l’on pouvait ainsi faire glisser et tourner sur des tringles, des tiges en métal, qui formaient des sortes de lignes et de colonnes. Comme on n’avait pas les moyens d’acheter l’outil que Bertin proposait, on l’a fabriqué nous-mêmes. On l’a appelé le Boltanskon. On mettait les familles en colonne et les caractéristiques des familles – sur trois générations – en ligne. On avait ainsi une représentation visuelle de notre base de données. On pouvait déplacer les familles, rassembler celles qui se ressemblaient, identifier des types, des groupes familiaux, des trajectoires familiales. On structurait l’ensemble, grâce aux nuances de couleurs, en allant du plus clair, qui représentait les ressources élevées des classes supérieures, au plus foncé, qui représentait les ressources les plus limitées des groupes ouvriers. Il y a une reproduction dans le livre de cet outil sémiologique (voir le diagramme 1, dans le chapitre 3). Lorsqu’on analysait nos entretiens et nos observations directes, on avait, grâce à cet outil simple, le rappel empirique de toutes les caractéristiques sociales et culturelles de la famille qu’on étudiait, et de sa position relativement aux autres familles. En réalité, ce que l’on faisait, avec les moyens de l’époque, c’était équivalent à la représentation graphique d’une analyse factorielle.
9Une autre référence importante est le livre de Richard Hoggart La culture du pauvre, qui nous a été indispensable pour commencer à mieux saisir les diverses facettes de la culture des milieux populaires et ouvriers et, en particulier, pour explorer des aspects qui ne sont pas uniquement la face pénalisante de la domination culturelle mais la face créative et défensive. Aujourd’hui, nous dirions que cela nous aidait à éviter deux postures : celle du misérabilisme dans l’analyse de la culture populaire, qui n’y voit que des effets de la domination, donc des manques ; et celle de la sanctification de cette culture qui, à l’inverse, échoue à saisir les marques de la domination culturelle. On a appris à saisir non seulement la domination, mais aussi, et en même temps, l’autonomie propre de la culture populaire. Par la suite, les travaux de Passeron et Grignon, notamment dans Le savant et le populaire, ont bien montré la nécessité de cette approche nuancée de la domination.
10Enfin, on peut souligner l’importance des romans à orientation autobiographique d’individus et de groupes familiaux, notamment Les Armoires vides d’Annie Ernaux, qui décrit le décalage éprouvé par une fille de petits commerçants qui réussit scolairement, et qui aide à saisir la culture et les pratiques éducatives de ce groupe familial. Il faut signaler aussi le roman de Françoise Mallet-Joris3, La Maison de papier, qui décrit la culture éclectique et décentrée d’une famille de groupe social supérieur de type intellectuel. Ces romans nous ont appris beaucoup de choses, même si nous ne connaissions pas encore à l’époque le livre de Wolf Lepenies4 qui nous a permis, a posteriori, de mieux saisir le lien que nous avions intuitivement fait à l’époque entre nos lectures de littérature et notre travail de sociologue.
11Et il ne faut pas oublier un début d’analyse et d’objectivation (autant que faire se peut) de notre propre expérience culturelle, scolaire et sociale5. Émile Servais et moi-même avons été élèves et étudiants dans des milieux sociaux différenciés. J’ai également enseigné dans les premières années de l’enseignement secondaire dans le Borinage dans un collège catholique avec des milieux populaires et moyens. Je rendais visite à tous les parents de mes élèves. J’avais ainsi une première vue assez claire de la différenciation des milieux. De plus, Émile Servais et moi donnions cours ensemble le samedi, à l’Institut supérieur de culture ouvrière, à des adultes de milieux populaires et moyens reprenant des études pour augmenter leurs capacités d’action citoyenne et professionnelle6.
Les relations entre la sociologie et les politiques d’enseignement
12ÉM : Je sais que tu as beaucoup réfléchi au cours de ta carrière au rapport entre l’analyse sociologique des inégalités et l’action des politiques scolaires, culturelles et des pédagogies. Comment envisageais-tu cette question à l’époque ? Compte tenu de la persistance des inégalités sociales devant l’école malgré toutes les tentatives entreprises depuis une cinquantaine d’années pour les atténuer, ton analyse a-t-elle évolué ? Quels sont, d’après toi, les niveaux et moyens d’action efficaces ? Qu’est-il permis d’espérer et que peuvent les enseignants ?
13GL : Vu mon expérience dans les années 1964 et suivantes (entre 1964 et 1968) lorsque j’étais enseignant dans les premières années du secondaire, et de mon expérience au cours de mes études en sociologie et de ma pratique de recherche couplée avec mon travail d’enseignant à temps partiel et aux cours donnés à l’ISCO (éducation permanente des adultes de milieux populaires), j’avais acquis la conviction que la socio-logique des retards et des échecs scolaires dans le primaire et aussi au début du secondaire (notamment le fait que les élèves ne maîtrisaient pas bien la lecture compréhensive, l’écriture structurée et la compréhension des mathématiques), provenait fondamentalement de ce qui se passait en école maternelle et dans les trois premières années de primaire (en Belgique, trois années de maternelle et six années de primaire).
14De plus, je faisais, sur le plan politique, l’analyse suivante. Alors que le système économique est dans le monde actuel (et déjà dans les années soixante-dix) au moins partiellement hors de la portée de la régulation par les États-nations pris individuellement, l’enseignement, à l’inverse, notamment en maternelle et en primaire, est à la portée des enseignants, des organisations scolaires et des politiques scolaires des États-nations considérés individuellement. Il est possible, avec des moyens et des outils pédagogiques adaptés ainsi que par des attitudes pertinentes des enseignants, des parents, des élèves et des politiques, de faire en sorte que tous les élèves (peu importe leur origine sociale et culturelle) maîtrisent réellement en fin de troisième primaire la lecture, l’écriture, le calcul. La thèse voulait poser le problème de la distance que l’école devait combler entre culture d’origine et culture scolaire exigée et j’estime toujours que l’action contre les inégalités culturelles et scolaires dépend et se situe à la portée des politiques d’enseignement et de culture des États-nations pris individuellement, de la conscience professionnelle des enseignants, de la dynamique des établissements scolaires, des parents, des enfants. Bref, il est possible, en principe, que l’école puisse effectivement agir sur la réduction forte des inégalités scolaires et culturelles ou à tout le moins pour la maîtrise par chacun de compétences significatives dans les domaines essentiels du savoir.
15Cet objectif est d’autant plus possible et atteignable qu’actuellement, statistiquement, les enfants de milieux populaires subissent majoritairement une triple peine. Première peine : une pénalisation en temps mesurée par le retard scolaire ; deuxième peine : une moindre voire une non-maîtrise des apprentissages fondamentaux mesurée notamment par les épreuves PISA7 ; troisième peine : une plus grande non-diplomation et/ou une relégation8. La logique pour assurer un niveau de maîtrise équivalent en qualité et performance des apprentissages centraux du savoir est que le temps nécessaire (aujourd’hui pris par la triple peine) soit utilisé pour que les enfants des milieux socioculturels concernés les acquièrent par des apprentissages adaptés, du tutorat et la diminution ciblée du nombre d’élèves par classe9. Bref le temps utilisé « en plus » doit garantir le résultat visé10.
16Enfin, pour arriver à cet objectif, il faut également travailler sur le plan de la formation des enseignants. J’estime que plutôt que d’augmenter la durée de la formation initiale (ce qu’on fait actuellement en Belgique francophone), il vaudrait mieux mettre au point un système de formation qui, dans les cinq à dix premières années de la carrière, donnerait droit, avec maintien du salaire et puis revalorisation si la formation est réussie, à trois semestres de formation universitaire fondée sur la confrontation entre leur expérience professionnelle et les meilleures recherches sur les questions dans divers domaines tels que la pédagogie de l’erreur (comment comprendre le mécanisme cognitif qui induit la difficulté pour un élève de ne pas saisir tel ou tel raisonnement), les questions de la gestion de classe, les questions d’analyse et d’action dans les organisations scolaires et dans le système scolaire, l’analyse des politiques publiques et privées d’enseignement.
Les changements dans les groupes sociaux
17HD : Une chose qui m’a frappé à la lecture de ce travail, c’est son côté précurseur. En particulier, la réalisation d’observations empiriques très précises qui visaient à entrer véritablement dans le processus de socialisation et de transmission culturelle, pour l’examiner de près, c’est quelque chose qui, à l’époque, se faisait très peu, qu’on voit se développer depuis quelques années et qui gagne en importance aujourd’hui, et dont le récent ouvrage collectif Enfances de classe dirigé par Bernard Lahire offre l’exemple le plus abouti11. Donc, on a à la fois quelque chose de précurseur dans l’analyse des processus sociaux au travers desquels les dispositions individuelles se constituent ; et, en même temps, le contexte est aujourd’hui différent, les stratégies et les pratiques de transmission culturelle des familles ont évolué. L’ouvrage montre par exemple parfaitement comment les classes populaires à l’époque avaient tendance à pratiquer une forme d’auto-exclusion dans leur rapport à la scolarité, type « les études, ce n’est pas pour nous », qui contraste avec ce que l’on observe aujourd’hui dans les milieux précarisés, où l’on voit des parents peu qualifiés, évoluant dans des conditions de travail et de vie difficiles, qui veulent que leurs enfants échappent à cette condition, et qui développent de réelles aspirations à la réussite scolaire, qui tentent de pousser leurs enfants à investir dans leur scolarité. Bien sûr, souvent, ces aspirations peinent à se concrétiser. Il semble aujourd’hui que les classes populaires ont en quelque sorte adopté des aspirations de classes moyennes mais sans nécessairement parvenir, faute parfois de connaissances et d’informations, à mettre en place des stratégies efficaces pour concrétiser ces aspirations dans un système éducatif complexe et hiérarchisé. Ce qui, par contre, demeure fort présent au sein des classes populaires, et qui est bien analysé dans le livre, c’est ce rapport fataliste à la scolarité : on a des aspirations certes mais lorsqu’elles sont déçues, lorsque des difficultés scolaires surviennent, on se plie au verdict scolaire et on accepte la relégation. À l’inverse, les parents de classes moyennes et supérieures font face au risque de l’échec de manière plus active ; ils anticipent davantage les difficultés et mettent en place des stratégies diverses pour éviter qu’il y ait relégation. Une autre évolution remarquable entre l’époque où le livre a été rédigé et le contexte actuel est le changement de composition des classes populaires. La question du multiculturalisme et de l’immigration était peu présente dans les années soixante-dix et elle occupe aujourd’hui une place prépondérante au sein de la sociologie des inégalités. Une autre évolution sans doute est le développement d’un sentiment de concurrence, d’une angoisse scolaire, visible dans le développement de ce que l’on appelle maintenant l’hyper-parentalité. Dans ce contexte de crise économique, d’inflation des diplômes, d’accroissement et de recomposition des inégalités, il y a vraiment une grande peur, en particulier dans les classes moyennes, d’être déclassés, à tort ou à raison d’ailleurs – car il n’est pas évident de déterminer indiscutablement si les inégalités ont diminué ou augmenté (cela dépend en fait du type d’indicateur que l’on choisit pour mesurer les évolutions). Ce qui s’est accru à tout le moins, c’est l’impression qu’il y a plus d’inégalités et que l’enjeu scolaire est plus déterminant aujourd’hui que par le passé. Du coup, dans un contexte davantage massifié encore qu’à l’époque, il y a des parcours scolaires qui sont plus diversifiés et plus hiérarchisés.
18ÉM : Mais, cette hyper-parentalité, que tu évoques Hugues, est-elle liée à une augmentation des inégalités ? Ne pourrait-on pas faire l’hypothèse presque inverse, en posant qu’elle est un effet d’une diminution des inégalités ou, au moins, d’un brouillement des logiques de reproduction, c’est-à-dire, au fond, d’un affaiblissement du lien entre origine sociale et réussite scolaire ? Une forme d’insécurisation naîtrait au sein de milieux sociaux qui, auparavant, bénéficiaient en quelque sorte de logiques de reproduction plus assurées ? On voit bien en tout cas que l’accès à l’éducation, et notamment à l’enseignement supérieur, a cru. Il y a aujourd’hui dans les institutions d’enseignement supérieur davantage de jeunes issus de milieux qui à l’époque n’y accédaient pas. Il y a, comme tu le disais, davantage d’aspirations aux études. Ces aspirations sont souvent déçues, mais signifient aussi, malgré tout, qu’il y a davantage d’accès et sans doute davantage de réussite au sein de milieux sociaux qui auparavant n’accédaient pas à l’enseignement supérieur. La massification n’est-elle pas au moins en partie une démocratisation ?
La transformation des inégalités
19GL : Il existe certainement davantage aujourd’hui qu’hier une composition diversifiée des étudiants bien qu’elle soit segmentée assez nettement selon les établissements scolaires (c’est ce que mesure en fédération Wallonie-Bruxelles l’indice socio-économique des élèves de chaque établissement et le taux de retard des élèves selon les établissements). En même temps, si les classes moyennes notamment doivent augmenter leur investissement scolaire, c’est aussi du fait que la translation du système passe par une augmentation générale du niveau des exigences. Si on prend l’exemple du capital linguistique, il est clair que les attentes en matière de maîtrise de langues étrangères sont plus élevées aujourd’hui. Naturellement, pour répondre à ces attentes, des investissements sont nécessaires, qui eux-mêmes demandent des ressources culturelles et économiques, et du temps. Lorsque j’étais assistant à l’université dans les années soixante-dix, l’exigence en matière de connaissances statistiques et de connaissances des langues était nettement moins élevée qu’elle ne l’était une quinzaine d’années plus tard, et, a fortiori, qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’était un monde tout à fait différent. On le voit bien sûr aussi au niveau des offres d’emplois, où les attentes sont plus élevées. Les séjours à l’étranger sont une stratégie. Cette translation augmente le niveau en bas de la hiérarchie (tout en créant de nouvelles relégations vu la vitesse de transformation) mais aussi naturellement en haut de la hiérarchie. Plus fondamentalement, ces transformations et le souci de veiller à ne pas tout analyser dans une logique de domination ou de négation de toute possibilité d’action positive mais pas non plus dans une logique de reconnaissance absolue de la valeur sociale de toute culture en dehors de tout lien avec la culture légitime et scolaire, me conduisent à distinguer et à hiérarchiser la notion de « capital ». Pour mieux appréhender les logiques d’action des divers groupes ou acteurs sociaux sans tomber dans le légitimisme, le misérabilisme ou le populisme, il me semble important de distinguer la hiérarchie suivante des moyens d’action : capital ordonnateur et innovateur12 / capital / moyen d’action ordinaire / moyen d’action précaire / moyen d’action de survie. Cela permet notamment d’avoir des concepts13 qui contiennent en eux-mêmes (grâce aux catégories d’indicateurs14 mis en œuvre) la présence, l’absence ou divers degrés de domination, d’inégalité mais aussi de capacité effective d’action même limitée. Ce serait trop long d’en monter la pertinence ici mais cela permet de mieux mettre au jour et de mieux analyser les dynamiques d’action des acteurs, y compris les plus faibles d’entre eux, dans certaines conditions. Je pense par exemple aux écoles de parents et de devoirs faites par des associations comme ATD Quart-Monde en Belgique ou le Secours populaire en France (pour ne citer qu’eux) avec la participation des enfants et des familles subissant des inégalités culturelles et sociales.
20HD : Ce qui a évolué aussi, c’est le fonctionnement des familles, qui se veulent plus démocratiques, plus sensibles à l’épanouissement de l’enfant. Cela peut créer des situations difficiles, des arbitrages entre l’épanouissement et des choix plus instrumentaux. Le rapport à l’enfance évolue.
21GL : Tu évoquais dans un de tes articles les travaux de Sandrine Garcia sur le goût de l’effort15…
22HD : Oui, ce sont des travaux qui montrent comment se fabriquent les dispositions scolairement rentables dans les classes moyennes et supérieures. Sandrine Garcia montre que ces dispositions supposent tout un travail de la part des parents, qui n’est pas nécessairement visible. Ce sont des travaux très intéressants car ils montrent les conditions qui rendent possibles la réussite. Il y a un investissement considérable en temps et en énergie de la part des parents dans certaines familles. C’est un travail qu’on ne voit pas et qui, selon Sandrine Garcia, met en place des conditions nécessaires pour que les enfants soient scolarisables. La transmission d’un capital culturel qui favorise la réussite ne peut s’envisager seulement sous un mode osmotique. Les travaux de sociologie de l’éducation se sont beaucoup intéressés à l’échec scolaire, en revanche la réussite n’a guère été problématisée ; or elle ne va pas de soi. Sandrine Garcia montre bien que ceux qui ne réussissent pas dans les classes moyennes notamment sont ceux où ce travail de constitution de dispositions, et notamment des dispositions à l’effort, ne se réalise pas. Ce sont des situations que l’on rencontre parfois dans des milieux qui se veulent attentifs à l’épanouissement et au bien-être de l’enfant, au point qu’ils ne vont pas faire ce travail. Dans d’autres cas, c’est une question de manque de temps. Dans ces situations, le capital culturel effectivement possédé par les parents ne se transmet pas ou mal.
23GL : Au fond on n’a que peu travaillé les cas des enfants de milieux populaires qui réussissent… ou au contraire ceux des enfants de classe supérieure qui ne réussissent pas ou doivent en « rabattre ».
24HD : Ce qui m’avait frappé dans votre ouvrage, c’est que ce travail, qui se fait maintenant depuis quelques années, vous l’aviez entamé bien avant les premiers travaux sur les trajectoires atypiques et improbables16. Il y a dans le livre des analyses de situations/trajectoires d’enfants et de jeunes qui, justement, échappent à leur destin sociologique en quelque sorte.
25ÉM : Tout cela renvoie à ce qui se passe du côté des familles. Mais on pourrait aussi s’interroger sur ce qui se passe du côté des écoles. Les travaux de beaucoup de sociologues avaient suggéré de promouvoir ce que Bourdieu et Passeron appelaient une pédagogie « explicite » ou « rationnelle » ou ce que Bernstein appelait une pédagogie visible à l’école. Rendre visible une série de choses qui n’étaient pas visibles. Ils pointaient le doigt vers ces pratiques assez ambivalentes qui à la fois cachent, ou ne rendent pas explicites les apprentissages cognitifs visés par exemple au travers du jeu, au travers de « projets », mais qui, en même temps, constituent chez les jeunes certaines dispositions, qui ne se constitueraient pas sans elles… C’est aussi ce que l’on observe dans certaines versions du mouvement dit des « compétences », ou de ce que les Anglo-Saxons appellent parfois le basculement du teaching au learning, où il s’agit de plus en plus de confronter les jeunes à des situations problèmes, de les mettre en projet, de mettre l’accent sur ce que l’on est capable de faire plutôt que sur les éléments cognitifs sous-jacents.
Exigence de la culture scolaire et cultures populaires
26GL : C’est très vrai à l’école maternelle, où le jeu et l’apprentissage ne se distinguent pas toujours évidemment. La capacité à saisir les apprentissages implicites ayant valeur scolaire dans les jeux pédagogiques, dans les tournures de langage, dans les postures corporelles, dans les attitudes à adopter est fort liée à la possession de compétences scolaires liées au niveau de diplôme et au type de transmission effectué par les parents et les membres de la généalogie familiale. En outre, ne pas acquérir préalablement à l’entrée en école les « bonnes » attitudes et postures sera perçu par une partie des enseignants au travers de stéréotypes négatifs. Ce fait renforce la difficulté des enfants de milieux populaires à entrer sur un pied d’égalité dans la culture scolaire légitime supposée partiellement connue lors de l’entrée en école maternelle. D’ailleurs Éric, c’est un résultat qui ressortait clairement de l’enquête que tu avais menée au début des années deux mille au CERISIS17 avec Magali Joseph et Bernard Delvaux sur les familles défavorisées à l’épreuve de l’école maternelle18.
27HD : Que faire justement de cette culture scolaire légitime ? Et quelle place réserver à l’école aux cultures populaires ?
28GL : C’est tout le problème du rapport des intellectuels aux cultures populaires. Entre l’attitude de ceux qui valorisent en tant que telles ces cultures populaires en ignorant son caractère dominé et ceux qui refusent de les reconnaître à cause de la domination, le chemin de crête à emprunter consiste à ne pas les mépriser mais à ne pas non plus faire abstraction de la réalité des rapports sociaux et de la nécessité de transmettre la culture scolaire à tous les enfants. Pendant un temps, le slogan d’une partie des intellectuels de gauche était de ne plus donner de diplôme ou alors de mettre la même note à tout le monde, à ce moment-là on bascule dans la logique du « tout se vaut » mais dans la réalité objective, tout ne se vaut pas. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas transformer la réalité objective mais savoir lire, écrire et calculer n’est pas une option parce qu’on ne vit plus dans des isolats. À Quaregnon (dans le Borinage, région minière de Wallonie) où j’ai habité assez longtemps, dans les années quarante et cinquante, le jeune ouvrier qui entrait dans la fosse à 14/15 ans pouvait encore vivre en ne connaissant que le patois borain, ça n’est plus vrai évidemment.
29ÉM : Ce qui a changé aussi c’est qu’à l’époque on ne se posait pas la question des inégalités, du coup cela avait pour effet que les gens savaient à quoi s’attendre dans leur vie en fonction de la position qui était la leur dans l’ordre social. L’inégalité rendait le monde social prévisible en quelque sorte, au sens où certains savaient que l’enseignement supérieur n’était pas pour eux.
30GL : Ils le savaient sans le savoir, car selon moi la première inégalité culturelle est la privation de la conscience explicite des inégalités. Mais effectivement, le « ça va de soi » leur permettait de ne pas avoir à s’appesantir sur les inégalités. À côté du « ça va de soi », une autre forme de privation de la conscience des inégalités me semble l’espoir déraisonnable, c’est-à-dire des aspirations non réalistes étant donné les moyens dont l’acteur dispose. C’est une manière de se protéger soi-même en s’illusionnant de bonne foi. Les enseignants eux-mêmes ne sont pas à l’abri. À la limite, pour pouvoir exercer leur métier au quotidien, ils ont intérêt à ne pas être trop conscients des inégalités. En fin de compte, la difficulté consiste à avoir une conscience des inégalités tout en ne commençant pas à désespérer de soi, des autres ou du système. Ce qui suppose de savoir comment agir pour contrer les inégalités. C’est toute la difficulté. Soulignons que la réforme et le changement de l’enseignement est une action dépendant de multiples facteurs et de beaucoup d’acteurs et s’implémente sur le temps long. Aussi, pour aider l’école à se réformer, la connaissance sociologique est certainement utile mais parmi les grandes leçons de la sociologie figurent aussi la complexité et les effets inattendus du changement. Notamment une réforme en profondeur exige aussi de convaincre les divers acteurs par une intériorisation de son bien-fondé. Comme Hugues l’a montré notamment dans ses travaux19, pour que le bien-fondé d’une réforme soit intériorisé, il est nécessaire d’en assurer la légitimation cognitive ou rationnelle, la légitimité morale par des valeurs centrales et une légitimité pragmatique (la réforme permet à l’école de mieux fonctionner et elle produit des résultats positifs pour les divers acteurs). J’ai donc appris à ne pas surestimer la force intrinsèque de la sociologie. Cependant je dirais qu’elle peut à tout le moins éclairer, donner des points d’attention, suggérer des endroits où il est possible d’agir, désigner et comprendre des obstacles à surmonter, aider dans l’explication des enjeux, contribuer à l’implémentation progressive et effective des changements en proposant des pistes tenant compte des réactions justes des acteurs. La sociologie souligne notamment que l’école oublie trop souvent les inégalités de départ entre enfants et qu’elle a un rôle important à jouer pour enseigner les savoirs de base à ceux qui autrement ne les trouveront pas dans leur famille d’origine.
Notes de bas de page
1 L’article de Bourdieu « Avenir de classe et causalité du probable » paru en 1974 mais dont nous avions peut-être obtenu une version préalable par J.-C. Chamboredon nous a aussi aidés.
2 À l’époque, il s’appelait le « Centre de sociologie de l’éducation et de la culture ».
3 De nationalité belge et francophone de Flandre, Françoise Mallet-Joris est la fille du ministre libéral Albert Lilar et de l’écrivaine Suzanne Lilar.
4 Le livre de Wolf Lepenies, Les trois cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, a été publié en 1990 aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme (traduction Henri Plard).
5 Comme le signalent François Buton et Eric Soriano (mai 2018) dans leur présentation de l’œuvre de Mary Douglas : « Dans son livre, Richard Fardon reproduit un extrait d’article dans lequel Mary Douglas explique être convaincue qu’un chercheur peut mieux résoudre les énigmes théoriques qu’il se pose quand il parvient à les relier à sa propre vie intérieure (“inner life”) ; dans l’expérience vécue (“some vivid experience”), il reconnaît une version simplifiée ou résumée qui l’aide à modéliser le problème. Décisive chez Mary Douglas, l’attention à sa propre expérience, ce qu’on pourrait appeler l’ordinaire de la vie quotidienne, soutient la montée en généralité dans sa manière d’écrire, et procède en partie de sa position d’universitaire peu épanouie » (François Buton et Eric Soriano, « Mary Douglas, un certain goût pour la hiérarchie », La vie des idées, 22 mai 2018. En ligne : http://www.laviedesidees.fr/Mary-Douglas-un-certain-gout-pour-la-hierarchie.html).
6 Sur la base de cette expérience et pour mieux la « comprendre », nous avions à l’époque publié : Georges Liénard, Francis Hambye et Émile Servais, « École ouvrière et autogestion », Autogestion et socialisme. Études, débats, documents, no 13-14, septembre-décembre 1970, p. 175-198. Ainsi que Georges Liénard, « Étudiants, travailleurs et travailleurs étudiants », Informations universitaires, no 2-3, avril 1971, p. 35-43.
7 Voir à ce sujet les travaux et publications de l’équipe liégeoise de Dominique Lafontaine (responsable des enquêtes PISA de l’OCDE pour la Belgique francophone), qui alimentent ce constat depuis le début des années deux mille.
8 Pour rappel selon l’IWEPS (Les chiffres-clés de la Wallonie. Édition 2018), en Wallonie, « en 2017, 10,5 % des 18-24 ans avaient quitté l’enseignement avant d’avoir obtenu un diplôme du secondaire supérieur ». Le lien entre les caractéristiques scolaires, socio-économiques ainsi qu’ethniques et le décrochage est de manière générale bien établi. Le risque de décrochage scolaire et de non-diplomation varie par exemple fortement selon le type d’enseignement poursuivi. L’édition 2018 des indicateurs de l’enseignement nous apprend ainsi qu’« en 2016, le taux de certification en sixième année de l’enseignement secondaire de plein exercice se situe aux alentours de 95,5 % pour l’enseignement général et autour de 79 % dans l’enseignement professionnel », or ce dernier concentre notoirement une part nettement plus importante d’élèves issus des milieux populaires et/ou d’origine immigrée que l’enseignement général.
9 Consulter notamment pour la France : Pierre Merle, « Le dédoublement des classes de CP et CE1 : quel bilan ? », La Vie des idées, 31 mai 2022. En ligne : [https://laviedesidees.fr/Le-dedoublement-des-classes-de-CP-et-CE1-quel-bilan.html].
10 Quelques années avant le travail de thèse, sur la base de mon expérience d’enseignant et lors de ma reprise des études de sociologie, j’avais lu et relu le livre : Les enfants de Barbiana, Lettre à une maîtresse d’école, Paris, Mercure de France, 1968. Ce livre m’avait fort marqué de par la façon dont les auteurs racontaient des inégalités vécues par ces enfants marqués par de fortes inégalités de départ mais qui, en même temps, voulaient s’en sortir par des efforts énormes de travail scolaire marqué par la coopération intensive entre eux et la stimulation empathique de tel ou tel enseignant militant, exigeant et rigoureux.
11 Bernard Lahire dir., Enfances de classe. De l’inégalité parmi les enfants, Paris, Seuil, 2019.
12 Le capital ordonnateur et innovateur des acteurs dominants est constitué de moyens culturels, économiques, sociaux, politiques et symboliques introduisant des moyens et des processus qui en disqualifient d’autres et permettant de modifier les normes, d’en instaurer de nouvelles, d’innover dans les moyens, de créer de nouvelles inégalités (par exemple dans le domaine de la maîtrise du numérique), d’en augmenter la vitesse de renouvellement et de modifier les références légitimes. Ces acteurs peuvent être dominants dans un seul champ social ou dans plusieurs champs en même temps. Mais dans les sociétés démocratiques, ils doivent aussi agir par rapport à d’autres groupes ayant des moyens d’action de type capital, moyens d’action ordinaire, etc.
13 Ces concepts se précisent selon qu’il s’agit (a) de capitaux ou de moyens d’action de type physique, économique, social, politique, culturel, symbolique et (b) de capitaux ou de moyens d’action de type individuel, collectif, organisationnel.
14 La différenciation entre les cinq concepts s’effectue en utilisant trois catégories d’indicateurs : (a) les types de moyens (quantité, diversité, capacité d’innovation…) ; (b) les degrés de compétence, de stratégie et de tactique dans leur utilisation ; (c) leur pertinence et leurs effets sur les relations entre les acteurs dans le processus analysé.
15 Sandrine Garcia, Le goût de l’effort. La construction familiale des dispositions scolaires, Paris, PUF ( Éducation et société), 2018.
16 L’analyse des individus dont les trajectoires scolaires et sociales dérogent au destin modal de leur classe sociale d’origine s’est constituée en champ de recherche spécifique à l’intérieur de la sociologie de l’éducation à la fin des années quatre-vingt sous l’impulsion de recherches menées notamment par Jean-Pierre Terrail, Zaïa Zéroulou, Bernard Lahire, Jean-Paul Laurens. Ces recherches portent au départ sur les réussites paradoxales dans les milieux populaires ou immigrés. Depuis les années deux mille, des recherches ont aussi été menées sur des « héritiers » en échec ou scolairement déclassés, voir notamment les travaux de Carole Daverne et ceux de Gaëlle Henri-Panabière.
17 Centre de recherche interdisciplinaire pour la solidarité et l’innovation sociale devenu depuis lors le CIRTES (Centre interdisciplinaire de recherche Travail, État et Société).
18 Éric Mangez, Magali Joseph et Bernard Delvaux, Les familles défavorisées à l’épreuve de l’école maternelle. Collaboration, lutte, repli, distanciation, Université catholique de Louvain, CERISIS, 2002.
19 Hugues Draelants, Réforme pédagogique et légitimation. Le cas d’une politique de lutte contre le redoublement, Louvain-la-Neuve, De Boeck (Pédagogies en développement), 2009.
Auteurs
Georges Liénard est sociologue, professeur ordinaire émérite de l’université de Louvain et membre associé au CIRTES (Centre interdisciplinaire de recherche Travail, État et Société). Il a été directeur de la FOPES-UCL (Faculté ouverte en politique économique et sociale). Ses recherches portent notamment sur les processus structurant les inégalités culturelles et sur la multidimension des modes de pouvoir social et de pouvoir symbolique (pouvoir, compromis, domination et violence sociale et symbolique).
Éric Mangez est sociologue, professeur à l’université de Louvain, membre du GIRSEF (Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation) et rédacteur en chef de la revue European Educational Research Journal. Ses recherches portent notamment sur l’européanisation et la globalisation de l’éducation.
Hugues Draelants est sociologue, professeur à l’université de Louvain et membre du GIRSEF (Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation). Ses recherches portent notamment sur les politiques éducatives et les inégalités devant l’école.
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Principes de géographie humaine
Publiés d'après les manuscrits de l'auteur par Emmanuel de Martonne
Paul Vidal de La Blache
2015
Historiographie de la littérature belge
Une anthologie
Björn-Olav Dozo et François Provenzano (dir.)
2014