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L’imaginaire de Marseille

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Marcel Roncayolo

Annexes

Annexe n° 15

Le Rhône à inventer

Louis Pierrein

Texte intégral

Louis Pierrein, « Marseille en France », Urbanisme, 1951, n° 5 et 6.

1Il est remarquable que, dans la littérature, l’art, ou simplement dans l’opinion, Marseille soit souvent représentée comme extérieure à la France proprement dite ; tout au moins marginale.

2C’est le diptyque fameux : « Marseille, Colonie Grecque » – « Marseille, Porte de l’Orient », où l’accent est mis et sur l’origine allogène et sur l’activité exotique de la grande ville.

3C’est l’expression popularisée de « Porte de l’Empire », qui la rapproche, d’un coup, des côtes d’Afrique.

4Par ailleurs, n’a-t-on jamais perçu le curieux de l’intonation, lorsque, à Paris, par exemple dans les couloirs d’un Ministère, l’interlocuteur écarte l’objection d’un : « Ah ! c’est à Marseille ! », comme si tout ce qui la concerne présentait un caractère particulier ?

5Évidemment, à la base de cette exterritorialité, se retrouvent les conditions du site, la ceinture de collines raides qui enferme le terroir marseillais ; et les difficultés de liaison avec l’intérieur, la pénible montée vers Septêmes.

6Influences géographiques si profondes que toute l’histoire économique de la ville s’en est trouvée affectée. Rejetée vers la mer, Marseille depuis 2 500 ans s’y consacre.

7Que d’une disposition naturelle si ingrate les Marseillais aient su tirer parti démontre leur ingéniosité.

8De l’isolement phocéen, ils se sont fait une source de prospérité, un comptoir de commerce. Le succès a été tel qu’ils se sont cramponnés à la formule. Intégrée au Royaume, Marseille en sort, fiscalement, par le biais de la franchise du port (1669), et se consacre aux affaires d’Orient. L’ère du port franc révolue, et, dans l’impossibilité de parvenir à la zone franche, du moins obtient-elle le régime de l’Entrepôt, dans des conditions particulièrement favorables (1817) ; c’est-à-dire au moins un point, à défaut d’un quartier ou du port, un point d’exterritorialité douanière.

9Et lorsqu’il faudra en venir, dans la deuxième moitié du xixe, à soutenir le commerce par l’industrie, c’est encore avec des formules du même genre que l’économie marseillaise prospérera : l’admission temporaire, la soumission cautionnée, soutiens de l’usine travaillant surtout avec l’Empire, au début du xxe siècle.

10Vient le moment où l’isolement ne paie plus ; où la concurrence généralisée, les barrières multipliées nécessitent pour un port l’aide d’un enracinement vigoureux, l’appui d’un bloc politique puissant.

11Aide et appui que Marseille ne trouvera pas aisément. L’aide régionale se trouve limitée par les conditions générales : au-delà du foyer marseillais, s’étendent ce que Marseille nomme, dans ses doléances, vers 1900, des déserts : Crau, Alpes du Sud, Cévennes… Il faut aller jusqu’au groupe Rhône et Loire, jusqu’à Lyon-Saint-Étienne pour trouver un aliment véritable au port. Et encore, entre cet arrière-pays lointain et les bassins portuaires, ne faut-il compter que sur le mince cordon nourrisseur du P.L.M., le Rhône restant à l’abandon.

12Quant à l’appui du Pouvoir, pourquoi se porterait-il sur Marseille, sur le Midi ? La France vivante, la France efficace, pour lui, en cette époque de Sénat rural soucieux par-dessus tout d’approvisionnement en blé indigène, en ce siècle de vapeur-charbon, et d’acier, c’est la France Nord. La France riche, la France qui paie l’impôt, la France peuplée… ! Quant à l’autre, la France Sud, tout au plus lui reconnaît-on quelque talent oratoire… Et ce sont les plaintes, élevées jusqu’à la lamentation biblique, du commerce méridional contre le « Nord » : « Le Nord armé contre le Midi comme contre un peuple ennemi » (sic), contre la distillerie de maïs, la raffinerie de canne, les oléagineux exotiques… Marseille seule.

13Les choses ont bien changé. La force hydroélectrique, le pétrole, l’aluminium et les aciers spéciaux ont revalorisé la France Sud. Les Alpes, le Massif Central, les Pyrénées pèsent lourdement dans la balance. Et maintenant le Rhône.

14Il ne relève plus de l’illusion de voir le Rhône coupé, du Léman au Comtat, de barrages, de centrales et de canaux de dérivation. Il est raisonnable désormais d’imaginer, de Lyon à la mer, toute une rue industrielle. Le « désert » vaincu. Et Marseille pourvue, comme Gênes de la vallée du Pô, d’une grande région industrielle.

15Cette possibilité de s’enraciner, les Marseillais ont décidé de l’exploiter avec une hardiesse, une ténacité vraiment exceptionnelles. Ils ont jeté les ponts par-dessus ou par-dessous les obstacles naturels : c’est la deuxième voie ferrée de Miramas, par le littoral et Caronte ; le Canal du Rove naguère, et aujourd’hui l’autoroute Nord. Le port a déjà franchi l’hémicycle montagneux, absorbé Port-de-Bouc et Berre, à quelques kilomètres seulement du Rhône. Entraînant avec lui la grande industrie, le pétrole, la chimie moderne. Ranimant les villes mortes des étangs du sel de la mer, de la vie de la mer.

16Au lieu du petit terroir marseillais adossé à des collines pelées, c’est toute une région portuaire et une région industrielle qui se développent du Lacydon au Rhône. Ce n’est plus de « Porte » qu’il s’agit, d’avant-poste isolé et fragile ; mais d’une large et solide base territoriale, française, bien assise sur le Rhône maritime. Marseille-en-France. Marseille, Porte du Rhône.

17« Le Rhône à Marseille » ou « Marseille au Rhône » ? Curieuse alternative. C’est « le Rhône à Marseille » et « Marseille au Rhône » qui se réalise. C’est-à-dire la région marseillaise, la véritable région géographique : la région urbaine. Marseille et son système de satellites, portuaires et urbains, gravitant autour de la métropole. L’idée régionale est, sous sa forme moderne, une conception de l’industrie ; elle « s’associe à celle de métropole industrielle ». Vidal de La Blache l’a bien noté.

18Au cœur du système économique Rhône-Méditerranée, Marseille sera l’organe directeur et coordinateur. Sans doute, songera-t-on à lui donner alors ce qu’elle réclame, ce qu’elle devrait avoir depuis longtemps, l’Université Marseillaise, c’est-à-dire, à côté des facultés traditionnelles et indispensables, un ensemble de grands instituts modernes.

19À 2 500 ans de sa fondation, une jeunesse nouvelle s’ouvre pour l’ancienne ville du Vieux-Port, pour la métropole de la région Rhône-Méditerranée.

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