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Une prison pour mémoire

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Marc André

Deuxième partie - Mémoires sur les murs, mémoires entre les murs. Résonances franco-algériennes (1958-1962)

Introduction

Salah, d’une résistance l’autre

Texte intégral

Nos yeux reçoivent la lumière d’étoiles mortes
— A. Schwarz-Bart, Le dernier des Justes

  • 1 Il qualifie sa famille de « famille pauvre ». Comme la majorité des Algériens, il a subi le proces (...)

1Salah Khalef n’a jamais entendu parler de Montluc lorsqu’il débarque en France en 1956 à l’âge de 16 ans. Pauvre1, mais pas sans ressources, il se rend place du Pont à Lyon à la rencontre des hommes debout (comme on appelle en ce lieu les migrants) muni d’une promesse de stage. Jeune, mais pas innocent – il vient d’une ville, Sétif, durablement marquée par les massacres du 8 mai 1945 –, il a déjà la conscience nationale chevillée au corps. Français – il a sa carte nationale d’identité –, mais pas citoyen à part entière pour autant, il sait qu’il reste un colonisé en métropole. Migrant, il devient militant.

2En parallèle de son stage de maçonnerie puis de son travail, il s’engage en effet pour l’indépendance de l’Algérie et gravit les échelons du FLN jusqu’à devenir chef de région à plein temps : « le chef c’est moi », rappelle-t-il. Traqué par la police, son nom inscrit sur un organigramme agrafé au mur du bureau du commissaire central de Vauban, il est arrêté en 1959, condamné à mort par le TPFA de Lyon le 9 janvier 1961 et emprisonné dans un quartier spécialement aménagé de Montluc du 12 janvier 1961 au 14 mai 1962. Il a en effet été reconnu coupable dans neuf affaires d’assassinat ou de tentatives d’assassinat, motifs toujours accompagnés d’atteinte à l’intégrité du territoire national, dont cinq concernent des « traîtres » au mouvement indépendantiste (indicateurs ou supposés tels, francophiles) et quatre des rivaux appartenant au MNA. À cinquante ans de distance, me recevant à cinq reprises dans son bureau à Sétif, il se fait passeur d’une mémoire crue. Évoquant ses missions, il qualifie son chef de groupe de choc de « machine à tuer » tout en me demandant, regard en coin : « Ça vous étonne que je parle comme ça ? ». Invitant d’autres anciens condamnés à mort à venir apporter leurs témoignages ou m’envoyant chez certains d’entre eux après un coup de téléphone (« Un historien veut te voir »… « Oui c’est un progressiste »), tous s’interrogent et m’interrogent avant de me parler librement de leur parcours migratoire, de la répression et de la détention : « On peut les énoncer [les assassinats] ? » (Ammar Bireche), « On n’est pas comme à la police hein ? » (Mohamed Achouri).

  • 2 S. Khalef, La grève de la faim, Paris, Éditions Boulanger, 1962.

3Salah Khalef a livré son témoignage sur Montluc tout en cherchant à ce qu’il soit le plus complet, précis et juste possible en acceptant de confronter sa mémoire à celle des autres et aux traces du passé remontées des archives (privées ou publiques) pour l’occasion. Grâce à ses souvenirs, on plonge dans le quotidien carcéral tel qu’il est vécu dans le couloir de la mort. Grâce à ceux de ses compagnons de lutte, de ses avocats et de son visiteur de prison, on observe la dimension collective de la souffrance et de la lutte tout autant que les mécanismes d’ouverture et de fermeture du site. Grâce à sa correspondance avec une militante du FLN, enfermée en même temps que lui (du 26 janvier au 19 septembre 1961) et qui deviendra son épouse, Tassadit Rahmouni, on découvre le fonctionnement d’une prison mixte durant la guerre d’Algérie. Grâce, enfin, à la rédaction d’un livre écrit en prison et publié au début de l’année 19622, et à celle d’un article remémorant la dernière exécution capitale à Montluc publié en 1976, on comprend qu’une nouvelle strate répressive s’est ajoutée à une histoire de la prison déjà bien chargée. Il apparaît, chiffres à l’appui, que cette période est la plus dure dans l’histoire française du TMP/TPFA de Lyon, à l’exception donc de la période allemande. Et il apparaît aussi que toute l’histoire du lieu s’est progressivement nichée dans les plis de la mémoire de Salah Khalef comme de ses compagnons et compagnes de lutte, de ses avocats, visiteurs de prison, gardiens, à l’époque comme aujourd’hui. Le dispositif punitif a été renouvelé tant dans ses logiques spatiales que temporelles. Les résonances se sont faites franco-algériennes.

Figure 39. Organigramme du FLN dressé par le service régional de police judiciaire de Lyon

Figure 39. Organigramme du FLN dressé par le service régional de police judiciaire de Lyon

Source : Archives nationales, 15275/938. Détention d’armes et d’explosifs, projet d’attentat et découvertes de cadavres dans la région de Lyon (Rhône)

Notes

1 Il qualifie sa famille de « famille pauvre ». Comme la majorité des Algériens, il a subi le processus de « clochardisation » dont parle à l’époque G. Tillion dans La traversée du mal, Paris, Arléa, 2004, p. 97. Également, L’Algérie en 1957, Paris, Minuit, 1957.

2 S. Khalef, La grève de la faim, Paris, Éditions Boulanger, 1962.

Table des illustrations

Titre Figure 39. Organigramme du FLN dressé par le service régional de police judiciaire de Lyon
Crédits Source : Archives nationales, 15275/938. Détention d’armes et d’explosifs, projet d’attentat et découvertes de cadavres dans la région de Lyon (Rhône)
URL http://books.openedition.org/enseditions/docannexe/image/42936/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 466k

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