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La démocratie au Japon, singulière et universelle

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Guibourg Delamotte

Partie III. Un épanouissement démocratique (1994-2009)

Chapitre 10

La transformation des relations de la majorité avec l’opposition

Texte intégral

1Philippe Lauvaux distingue les démocraties « de compétition » (les démocraties parlementaires) des « démocraties de compromis » (le régime présidentiel ou un régime directorial comme celui de la Suisse) qui, en l’absence de compromis entre institutions, sont bloquées. En régime parlementaire, une issue s’impose toujours grâce au fait majoritaire : trouver un compromis n’est pas nécessaire. Cela peut néanmoins s’avérer utile à la majorité comme à l’opposition. Si l’opposition choisit l’affrontement (manifestations, agressivité, blocages, révélations), elle passe pour peu constructive, pour hostile à l’intérêt général, est accusée de faire de l’obstruction. Alternativement, si elle exerce une pression en coulisse et obtient l’intégration de ses propositions, elle paraîtra effacée et l’origine de l’initiative sera oubliée. La majorité, elle, peut être taxée d’autoritarisme ou de faiblesse, tandis que les compromis avec l’opposition troublent les électeurs et encouragent leur volatilité.

2Les relations entre majorité et opposition sont-elles plus conflictuelles ou consensuelles au Japon que dans d’autres démocraties ? Quelle place la pratique politique japonaise réserve-t-elle au compromis et que révèlent de la démocratie japonaise les relations entre majorité et opposition ?

3Jusqu’en 1993, l’opposition, au Japon, est essentiellement composée des socialistes, des communistes et du Parti bouddhiste : le PLD gouverne, et rarement en coalition (entre décembre 1983 et novembre 1984, Nakasone Yasuhiro s’allie au « Nouveau club libéral »). C’est à partir de 1994 qu’il en a besoin pour consolider ses majorités.

4Entre août 1993 et juin 1994, une coalition de huit puis de sept partis (à partir d’avril 1994) exerce le pouvoir, le PLD et les communistes étant rejetés dans l’opposition.

  • 1 Le Minshutô naît en 1996 puis se recrée en 1998 après l’adhésion d’Ozawa Ichirô et de ses acolytes

5Entre juin 1994 et juin 1998, le PLD gouverne de nouveau, cette fois avec le Parti socialiste (qui en janvier 1996 devient Shakai minshutô, Parti social-démocrate) et le Nouveau parti pionnier (Sakigake, parti de droite). À partir de juillet 1998, le PLD s’allie au Parti libéral d’Ozawa, l’ancien défecteur, et au Parti bouddhiste qui est resté son principal allié depuis, le PSD repassant dans l’opposition et sombrant à partir de l’essor du Parti démocrate en 2003. Ces démocrates, dont le parti est apparu en 19981, accèdent au pouvoir en 2009 en coalition avec les sociaux-démocrates et avec le microparti Kokumin Shintô (Parti du peuple, issu du PLD, apparu contre la réforme de la Poste), puis avec ce dernier seulement (jusqu’en 2012). Le PLD, jusqu’en 2012, est en minorité, défait cette fois par un seul parti dont le passage au pouvoir aurait pu être pérenne et stable, mais qui a déçu : en 2012, le PLD revient au pouvoir.

6L’émergence d’un bipartisme plus équilibré a transformé les relations entre majorité et opposition au sein de la Diète. Le compromis y a tenu une place atypique des années 1960 aux années 1990. Le fait majoritaire l’emporte depuis les années 2000. La coopération avec l’opposition, quand elle a lieu, s’opère dans des phases particulières du travail législatif, et dépend du poids relatif de l’opposition et de sa stratégie.

La marge de manœuvre de l’opposition dans la procédure législative

L’attribution des présidences de commission

7Les commissions sont composées de parlementaires qui y sont aiguillés par les comités des affaires politiques et les caciques de leurs partis, autant que par leur intérêt personnel. Les présidences de commission sont réparties selon la règle de la majorité, laquelle détient les plus importantes. Néanmoins, sur les autres, une négociation s’opère entre présidents des affaires parlementaires des partis. Actuellement, toutes sont présidées par la majorité (dont deux par le Kômeitô) à l’exception de deux commissions, qui sont présidées par l’opposition démocrate : celles qui ont une fonction de contrôle – la commission de contrôle des comptes et la commission disciplinaire.

La saisine de la commission d’examen du texte

8C’est en commission que les textes sont examinés : la réforme du dispositif de sécurité en 2015 a mené à plus de 100 heures de délibérations en commission et a été adoptée en trois heures en séance plénière ensuite. À l’issue de son examen du texte, la commission émet un rapport sommaire et sans contenu politique qui autorise (ou non) le vote du texte en séance.

  • 2 Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, entretien, 19 janvier 2021.

9Pour l’essentiel, les lois proviennent du gouvernement (seifu teishutsu) : ces projets de loi sont portés par un ministère, et la commission parlementaire compétente en découle automatiquement. Néanmoins, quand un projet de loi a un contenu plus complexe, une commission spéciale est créée pour l’étudier. Dans ce cas de figure, le président du comité des affaires parlementaires (« kokutai ») prend l’avis du gouvernement et se concerte avec ses confrères des partis d’opposition, et c’est généralement son avis qui est suivi2.

Le dépôt de propositions de loi

  • 3 Ibid.

10Il y a très peu de propositions de loi de la majorité, mais le cas échéant, c’est le chef du comité de la politique parlementaire qui les dépose. L’opposition seule dépose beaucoup de propositions, mais, presque invariablement, elles ne franchissent pas le stade de l’examen en commission. « Un terme, “horitsubusu” (enterrer et écraser), existe : les textes ne sont examinés ni en commission ni en séance. La majorité a, sur ce plan, un droit de véto sur l’opposition, plus qu’en France ou en Europe, dans les évolutions que connaissent leurs régimes parlementaires depuis quelques années. »3 La commission examine les propositions de l’opposition au stade final de l’examen des projets de loi, mais ces propositions sont rarement reprises. Pourtant, occasionnellement, des membres de l’opposition et de la majorité s’entendent pour déposer ensemble une proposition de loi. Dans ce cas, la proposition peut aboutir.

La détermination du calendrier parlementaire

11Le calendrier de la session ordinaire est déterminé au moment de la convocation de la Diète. Le gouvernement détermine les dates d’ouverture et de clôture de la session parlementaire, en concertation avec le président des affaires parlementaires de la majorité. La session ordinaire est de 150 jours et dure généralement de la mi-janvier à la fin juin. Elle peut être prolongée une fois seulement. La décision de prolonger la session, et pour combien de jours, sont deux points qu’à nouveau le gouvernement détermine avec le président des affaires parlementaires. Ces aspects obéissent à la règle majoritaire : l’opposition s’y plie. Le gouvernement doit tenir compte des contraintes de la vie parlementaire – comme tous les trois ans en juillet, le renouvellement par moitié de la Chambre haute – qui lui sont objectées par l’opposition.

12Une session extraordinaire peut aussi être convoquée par le gouvernement. En théorie, cette session extraordinaire peut être prolongée, mais si le gouvernement et la majorité décident de plusieurs prolongations, leur image en souffre : l’opposition les critique. De plus, l’article 53 de la Constitution oblige la majorité à déférer à la demande d’ouverture d’une session extraordinaire formulée par un quart ou plus des membres de l’une des deux assemblées.

La fixation de l’ordre du jour

13La majorité ne place à l’ordre du jour pratiquement que ses projets ou propositions de loi. Cependant, l’ordre de passage des textes est établi par la majorité en concertation avec l’opposition.

  • 4 Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, entretien, 7 février 2021.

14Pour les projets de loi importants, qui cristallisent l’opposition partisane, il n’y a aucune restriction à la durée des débats : aucune date butoir ne peut être imposée pour le vote du texte. Le principe étant celui d’un vote des textes durant la session, majorité et opposition s’affrontent. Si l’opposition est résolument hostile à un texte, il est rare que la majorité s’obstine : les débats sont prolongés et alors même que le texte pourrait être adopté durant la session, il sera relégué à la session suivante4.

15L’opposition ne sait pas à l’avance quand elle pourra déposer ses propositions de loi : il n’y a pas de plage de temps réservée ou de processus destiné à ménager l’examen de ses propositions. Elle peut néanmoins dégager du temps pour l’examen des alternatives qu’elle propose aux « projets de loi phares » du gouvernement (jûyô kôhan gian, portés par le Premier ministre) en arbitrant ses priorités. Elle peut en effet rogner sur le temps consacré aux explications et questions (shushi setsumei, shitsugi) en séance plénière (en posant moins de questions), sur les heures prévues pour les délibérations en commission (100 heures sont allouées à l’examen d’un texte considéré comme difficile, 30 à 40 heures pour un texte plus simple), ou sur le nombre d’auditions du Premier ministre en commission (ce qui est impossible dans le système français).

16De plus, pour les projets de loi les plus importants, l’opposition intervient pour convenir d’auditions, et finaliser le calendrier jusqu’à l’adoption par la commission de sa position finale (saishû giketsu) (rejet ou approbation du projet). La négociation entre majorité et opposition est continue à ce stade.

17Le gouvernement et la majorité auraient juridiquement la possibilité de demander au président de la commission d’interrompre les délibérations et d’imposer le passage au vote quand le texte prend du retard, mais c’est contraire aux pratiques (chikuseiki sareta kanrei) ; il s’exposerait à une résistance, à un désordre de l’opposition, les médias dénonceraient un « passage en force » (kyôkô saiketsu), ce qui se répercuterait sur la popularité du gouvernement. L’opposition peut ainsi intervenir au stade de l’établissement du programme de travail, pour imposer un amendement. Elle ne le fait que pour les projets les plus importants (ceux que le Premier ministre lui-même défendra), qui ne représentent qu’une fraction des projets de loi votés – quatre ensembles de lois autour d’un projet de loi central. Pour les projets de loi plus techniques, auxquels l’opposition est moins hostile, une discussion peut avoir lieu en coulisse et les projets passent sans délai.

18On se situe là au stade initial de l’examen des projets de loi, celui des délibérations en commission. Il peut arriver que majorité et opposition s’affrontent sur l’opportunité d’avoir une séance d’explication et de questions en séance plénière sur le projet de loi, mais les discussions les plus importantes ont lieu au stade de l’examen en commission et concernent le calendrier de travail.

La « négociation en amont » avec l’opposition

19Le gouvernement n’a pas de pouvoir d’amendement : il est sans maîtrise sur ses textes une fois qu’ils ont été déposés sur le bureau de l’une ou l’autre des assemblées. La Constitution place en effet le pouvoir législatif dans la Diète, et la loi de la Diète pose les modalités du droit d’amendement sans donner au gouvernement le droit de l’exercer. Si le gouvernement veut voir ses projets aboutir, il doit s’assurer l’appui de sa majorité, et ajuster ses textes avant le dépôt du texte sur le bureau de l’une ou l’autre des assemblées. Le PLD, dès la seconde moitié des années 1950, a par conséquent pris l’habitude de pratiquer en amont une concertation (jizen chôsasei) de sa majorité.

  • 5 Nonaka Naoto, « LDP system and Japan’s post-war politics. Has post-war Japan had a parliamentary c (...)

20Compte tenu de la capacité de blocage de l’opposition et de l’absence de droit d’amendement du gouvernement, c’est en amont aussi qu’il s’est mis à consulter l’opposition. Certes, le fait majoritaire aurait assuré le passage des projets, mais dans quelles conditions et avec quels délais ? La consultation de l’opposition s’avérait préférable. Cette pratique subsiste. Le gouvernement intègre ses exigences dans le cadre d’une négociation qui revêt une dimension politique dépassant le projet de loi en question5. Ces négociations, qui ne sont pas systématiques, se déroulent à huis clos entre chefs de parti (l’avancée et le résultat des négociations sont toutefois publiés dans la presse), puis le projet est approuvé en commission.

Le « principe d’autonomie des sessions »

  • 6 Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, entretien, 19 janvier 2021.
  • 7 La commission saisie en adresse la demande au président de la Chambre ; à la Chambre basse, cette (...)

21L’opposition peut faire capoter les projets en faisant traîner les débats. En outre, à la Chambre haute comme à la Chambre basse, si l’examen d’un texte n’a pu aboutir à un vote avant la fin de la session, la procédure est interrompue et doit reprendre depuis le début à la session suivante6. Pour l’éviter, par exception au principe d’autonomie/de discontinuité des sessions (kokkai fudanzoku no kisoku), chaque Chambre peut voter une résolution de continuation des débats (heikai chû shinsa à la Chambre basse, danzoku shinsa à la Chambre haute)7. Mais cette procédure appelle une intervention sur chaque texte, en l’absence de laquelle le projet ou la proposition est par défaut caduc.

Les « Questions au gouvernement »

  • 8 Kokkai shingi kasseika hô [Loi sur l’approfondissement des débats parlementaires], no 116 du 26 ju (...)
  • 9 Quand une coalition gouverne, le Premier ministre rencontre seul les chefs de l’opposition.
  • 10 « Shogaikoku yori 3shû okure » [3 sessions de moins que dans beaucoup de pays], Yomiuri shimbun, 9 (...)

22Outre l’activité législative, l’opposition peut mettre à profit les « réunions de présidents de parti » (tôshû tôron). Inspirées du Question Time britannique, elles ont été instituées en 19998 à l’initiative d’Ozawa Ichirô pour rendre plus constructifs (kasseika) les « débats » parlementaires qui ont lieu essentiellement au sein de la commission du Budget, où ils sont de façade9. En vertu d’un accord passé entre majorité et opposition au moment de leur création, ces réunions se tiennent les semaines où le Parlement ne siège pas. Le reste du temps, l’opposition interroge le Premier ministre dans les commissions des finances ou en séance plénière, où les caméras sont présentes. Les questions sont soumises par écrit avant les commissions ou la séance. Dès lors qu’une question est adressée au Premier ministre, ce dernier est tenu d’être présent et ne peut se dérober en invoquant un déplacement. En pratique, l’opposition s’adresse donc presque systématiquement à lui. Il est ainsi prisonnier du calendrier parlementaire et l’organisation de son activité internationale en est compliquée10.

Des stratégies variables

Une logique coopérative

  • 11 Le Japon connaît un taux de syndicalisation qui, de 1975 à 2018, est très comparable à celui de l’ (...)
  • 12 Machidori Satoshi, Shushô seiji no seido bunseki [Analyse institutionnelle du Premier ministre], T (...)
  • 13 Arthur Stockwin, « The Japan Socialist Party: A politics of permanent opposition », The Japanese P (...)
  • 14 Thomas Pempel, « Uneasy toward autonomy. Parliaments and parliamentarians in Japan », Parliaments (...)

23C’est après 1960 que cette coopération se banalise. Jusqu’en 1960, en effet, l’opposition est radicale et, forte de l’appui des syndicats, elle organise les plus grandes manifestations de l’histoire du Japon contre la signature du traité de sécurité nippo-américain en 1960. En définitive, le traité est signé et le PSJ éclate (avec la naissance du Parti démocrate et social, Minshatô, favorable au traité), mais les syndicats optent alors pour une approche plus constructive11 de dialogue avec le patronat et le PS doit lui aussi changer de tactique pour conserver leur appui et influer sur le contenu des lois. Ainsi, à partir des années 1960, la confrontation est de façade et la coopération s’institutionnalise (seiji no rûtin ka)12 : une cartellisation se produit. Dans les années 1970, la négociation d’amendements se banalise13 : la négociation en amont ne suffit plus. Aux élections générales de 1967, le PLD recueille pour la première fois moins de la moitié des suffrages exprimés : un tiers des projets de loi est voté avec amendements entre 1972 et 1976 (pour 20 % entre 1955 et 1970)14.

Une logique plus concurrentielle

  • 15 Nakakita Kôji, Gendai nihon no seitô demokurashî [La démocratie représentative dans le Japon conte (...)
  • 16 Kokusairengô heiwa ijikatsudô tô ni taisuru kyôryoku ni kansuru hôritsu [Loi sur la coopération au (...)

24À partir de 1980, selon Nakakita Kôji, la classe politique japonaise intègre la culture concurrentielle (kyôsôshugi) qui s’imposait chez les Anglo-Saxons15. Le Parti socialiste, sous la présidence de Doi Takako (1986-1991), a recours à la « tactique du pas du bœuf » (gyûho senjutsu, quand les membres de la Diète se rendent à l’urne le plus lentement possible pour retarder l’adoption d’un texte) contre l’augmentation de la TVA en 1987 et en 1988, puis contre la loi sur les opérations de maintien de la paix en 199216. Les victoires électorales du PSJ en 1989 (le PSJ détient 68 sièges à la Chambre haute, le PLD n’en ayant plus que 109 sur 242), puis aux élections générales de 1990 (le PSJ passe de 85 à 136 sièges, pour 275 au PLD), marquent l’apogée de cette phase.

  • 17 Kayano Chieko, « Giin rippô wa dono yô ni okonawaretekita ka » [L’évolution des propositions de lo (...)
  • 18 Masuyama Mikitaka, « Kokkai unei » [Le fonctionnement de la Diète], Ryôdôki no nihonseiji. «Ushina (...)

25Dans les années 1990, l’opposition, largement issue du PLD, adopte aussi une activité plus constructive : le nombre de propositions de loi augmente. Toutefois, les partis d’opposition doivent se concerter entre eux et avec la majorité pour espérer leur succès. Le taux d’amendement des projets de loi augmente également17. La gauche non communiste vote ainsi en moyenne 73,9 % des projets ou propositions de loi de la majorité entre 1989 et 200118.

26Ainsi, la majorité et l’opposition sont entrées dans une logique coopérative après 1960, parce que l’opposition socialiste était trop faible pour faire usage des moyens de pression que la Constitution lui conférait. À la fin des années 1980, trop faible encore mais plus forte, elle a eu recours à des techniques de blocage. Les démocrates, dans une situation similaire, y ont toujours recours au milieu des années 2000 (contre la réforme des retraites de Koizumi en 2004), mais à partir de 2007, ils sont suffisamment puissants pour user des leviers d’action que la Constitution leur offre.

  • 19 Koga Gô, Kirihara Yasue et Okumura Masato, « Teikokugikai oyobi kokkai no rippô tôkei » [Statistiq (...)

27En effet, en 2007-2009 et en 2010-2013, la Diète est dite « divisée » (nejire kokkai) : le parti majoritaire, au gouvernement, perd la Chambre haute aux élections de 2007 (le PDJ gagne au détriment du PLD), et en 2010 (le PDJ perd la Chambre haute au profit du PLD). Le nombre de propositions de loi augmente et le taux d’adoption des projets de loi chute. Le taux d’amendement augmente (de 24 % en 2007)19.

28Le PDJ, au pouvoir de 2009 à 2012, ne détient la majorité des deux chambres qu’une année durant (2009-2010) et doit se résoudre à des négociations avec l’opposition libérale-démocrate : Kan Naoto met en jeu son poste pour obtenir le passage de la loi sur les énergies renouvelables ; l’augmentation de la TVA est votée par le PLD en échange de la démission de Noda Yoshihiko et de la convocation d’élections, qu’il allait remporter.

  • 20 Heisei 13 nen 9 gatsu 11 nichi no amerikagasshûkoku ni oite hassei shita terorisuto ni yoru kôgeki (...)

29Les Diètes divisées (2007-2008 au profit des démocrates contrôlant la Chambre haute, 2010-2011 au profit du PLD la contrôlant à son tour) ont ensuite fourni l’occasion à l’opposition de bloquer l’action gouvernementale : le gouvernement a dû faire voter ses projets en seconde lecture par la Chambre basse 60 jours après que la Chambre haute avait été saisie du projet de loi (30 jours pour un projet de loi de finances). Le texte dut être approuvé à la majorité des deux tiers des membres présents (article 59 de la Constitution). Les Forces d’autodéfense durent ainsi cesser leur activité de réapprovisionnement en pétrole dans l’Océan indien en 2008 et quitter la zone, pour la reprendre sur la base d’une nouvelle loi, adoptée grâce au fait majoritaire en seconde lecture20.

30Sur les questions de défense, le Parti démocrate n’a toutefois pas systématiquement opté pour l’affrontement. Ainsi appuie-t-il la création d’un Conseil de sécurité nationale (par la décision du Cabinet du 23 octobre 2013 [Kokka senryaku kaigi no kaisai ni kansuru kakugikettei], et la loi no 89 du 4 décembre 2013 [Anzenhoshô kaigi secchi hô tô no ichibu wo kaisei suru hôritsu]) et vote-t-il contre le projet de loi pour la protection des informations classées « secret-défense » (Tokutei himitsu no hogo ni kan suru hôritsu, loi no 108 du 13 décembre).

La pratique d’Abe Shinzô

31Abe Shinzô a gouverné de 2012 à 2020 en présence d’une opposition démocrate divisée et affaiblie, et a abandonné la déférence de ses prédécesseurs.

32Certaines des pratiques politiques antérieures à 1947 avaient en effet été conservées. La coutume voulait ainsi que le calendrier parlementaire (jours de séance) et l’ordre du jour (ordre de passage des textes) soient négociés avec l’opposition, ce qui conférait à cette dernière une capacité de blocage. Abe Shinzô a rompu avec la pratique.

  • 21 139 fois entre 2017 et 2018 selon « Abe seiken ga “jijitsu to kotonaru” kokkai tôben Moritomo mond (...)

33Tout d’abord, il a rejeté avec une véhémence peu habituelle (« jijitsuto kotonaru » [cela ne correspond pas à la réalité])21 les accusations d’un membre du Rikken minshutô au sujet d’un scandale qui défrayait l’actualité.

34Par ailleurs, il s’est soustrait à l’article 53. L’opposition demandait la convocation d’une session extraordinaire dès juin 2017 et Abe ne l’a convoquée qu’en septembre avant d’annoncer des élections surprises en octobre, prenant de court l’opposition.

  • 22 Entretien avec Nonaka Naoto, professeur, Gakushûin, 18 février 2020.

35De fait, elle n’eut, pour organiser son plan de campagne, que les 15 jours de la durée légale22, alors qu’elle était en pleine recomposition.

36Fondamentalement pourtant, l’équilibre institutionnel est demeuré, nonobstant la marge de manœuvre que s’est octroyée Abe Shinzô.

  • 23 Entretien avec Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, 1er février  (...)

Rien n’est venu diminuer l’importance de la coopération entre majorité et opposition. La procédure et les agencements parlementaires n’ont pas changé. La concertation s’est observée sur le projet de loi comportant des mesures spéciales dans le contexte de la crise sanitaire. Comme l’opposition refusait certains points du texte, il fut très retravaillé avant d’être soumis à la Diète sous la forme d’un projet de loi dans des discussions menées par les présidents des comités des affaires parlementaires des deux partis, un processus qui aboutit au résultat qu’aurait le travail parlementaire.23

37Les relations du gouvernement avec la majorité connaissent également des changements.

Notes

1 Le Minshutô naît en 1996 puis se recrée en 1998 après l’adhésion d’Ozawa Ichirô et de ses acolytes.

2 Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, entretien, 19 janvier 2021.

3 Ibid.

4 Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, entretien, 7 février 2021.

5 Nonaka Naoto, « LDP system and Japan’s post-war politics. Has post-war Japan had a parliamentary cabinet government? », intervention donnée lors de la conférence annuelle de la Political Science Association anglaise, Manchester, 14 avril 2014.

6 Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, entretien, 19 janvier 2021.

7 La commission saisie en adresse la demande au président de la Chambre ; à la Chambre basse, cette demande peut aussi être formulée par une résolution votée en séance plénière. Si l’examen du texte se termine durant l’intersession, la commission doit déposer son rapport (hôkokusho) au président (le cas ne s’est jamais produit à la Chambre basse). Dans le cas contraire, la procédure peut se poursuivre (la commission compétente doit de nouveau être saisie par le président à la Chambre basse). Si des élections générales doivent avoir lieu entre les deux sessions, la poursuite de l’examen du texte n’est permise dans aucune des chambres. En ligne : [https://www.sangiin.go.jp/japanese/aramashi/keyword/keizoku.html].

8 Kokkai shingi kasseika hô [Loi sur l’approfondissement des débats parlementaires], no 116 du 26 juillet 1999.

9 Quand une coalition gouverne, le Premier ministre rencontre seul les chefs de l’opposition.

10 « Shogaikoku yori 3shû okure » [3 sessions de moins que dans beaucoup de pays], Yomiuri shimbun, 9 octobre 2013. Ces question times ont eu lieu à 4 reprises avec Obuchi Keizô (2000), 6 avec Mori Yorihiro (2001), 28 avec Koizumi Jun.ichirô (2001-2006), moins de 4 fois par Premier ministre (ou, grosso modo, par an) depuis. L’Angleterre, entre mai 2012 et mai 2013, avait eu 28 question times tandis que le Premier ministre Abe ne s’est prêté qu’à un tôshûtôron en 2013.

11 Le Japon connaît un taux de syndicalisation qui, de 1975 à 2018, est très comparable à celui de l’Allemagne (respectivement 34,5 % et 34,6 % en 1975 ; 17,4 % et 16,6 % en 2018) et supérieur à celui de la France (8 %), d’après les statistiques de l’OCDE. En ligne : [https://www.oecd-ilibrary.org/fr/employment/data/syndicats/taux-de-syndicalisation_data-00371-fr?isPartOf=/content/datacollection/lfs-data-fr]. L’efficacité des syndicats, leur capacité d’action et la nature de celle-ci varient en fonction de leur organisation. Si la négociation salariale est extrêmement décentralisée, comme aux États-Unis, l’adaptation du marché du travail tend à se faire par la flexibilité de la main-d’œuvre et un ajustement des salaires (les syndicats sont faibles) ; si elle est centralisée, comme dans les démocraties sociales de type allemand ou suédois, les syndicats, puissants, consentent volontiers des ajustements en fonction des équilibres macroéconomiques. Si les syndicats sont organisés par branche, comme en France, la négociation est plus difficile. Voir Arthur Ross et John Dunlop cités par Étienne Barel, Christophe Beaux, Emmanuel Kesler et Olivier Sichel, Économie politique contemporaine, Paris, Armand Colin, 2007, p. 138. Le Japon a un modèle syndical décentralisé, organisé autour des branches ou des entreprises.

12 Machidori Satoshi, Shushô seiji no seido bunseki [Analyse institutionnelle du Premier ministre], Tôkyô, Chikura shobô, 2012, p. 28 et 38.

13 Arthur Stockwin, « The Japan Socialist Party: A politics of permanent opposition », The Japanese Party System. From One-Party Rule to Coalition Government, Ronald Hrebenar, Boulder, Westview Press, 1986, p. 83-115, p. 108-109.

14 Thomas Pempel, « Uneasy toward autonomy. Parliaments and parliamentarians in Japan », Parliaments and Parliamentarians in Democratic Politics, Ezra Suleiman dir., New York, Holmes and Meier, 1986, p. 106-153, p. 137.

15 Nakakita Kôji, Gendai nihon no seitô demokurashî [La démocratie représentative dans le Japon contemporain], Tôkyô, Iwanami Shinsho, 2012, p. 20, p. 23.

16 Kokusairengô heiwa ijikatsudô tô ni taisuru kyôryoku ni kansuru hôritsu [Loi sur la coopération aux activités de maintien de la paix des Nations unies] no 79 du 29 juin 1992, dite loi « PKO ».

17 Kayano Chieko, « Giin rippô wa dono yô ni okonawaretekita ka » [L’évolution des propositions de loi], Referensu, National Diet Library, janvier 2016, p. 31-62.

18 Masuyama Mikitaka, « Kokkai unei » [Le fonctionnement de la Diète], Ryôdôki no nihonseiji. «Ushinawareta jûnen» no seijigaku teki kenshô [La politique japonaise en phase de changement : la « décennie perdue » du point de vue de la science politique], Hiwatari Nobuhiro et Miura Mari dir., Tôkyô, Tôkyô daigaku shuppankai, 2002, p. 97-114, p. 107.

19 Koga Gô, Kirihara Yasue et Okumura Masato, « Teikokugikai oyobi kokkai no rippô tôkei » [Statistiques des propositions de loi de la Diète impériale et de la Diète], Referensu, National Diet Library, novembre 2010, p. 117-155, p. 122.

20 Heisei 13 nen 9 gatsu 11 nichi no amerikagasshûkoku ni oite hassei shita terorisuto ni yoru kôgeki tô ni taiôshite okonawareru kokusairengô kenshô no mokuteki tassei no tame no shogaikoku no katsudô nitaishite wagakuni ga jicchi suru sochi oyobi kanrensuru kokusai Rengôketsugi tô ni motozuki jindôteki sochi ni kansuru tokubetsu sochi hôritsu [Loi spéciale sur les mesures humanitaires fondées sur une résolution des Nations unies et sur les mesures adoptées face à l’action de plusieurs pays pour la réalisation des objectifs de la Charte des Nations unies en réplique aux attentats terroristes survenus le 11 septembre 2001 aux États-Unis], no 113 du 3 novembre 2001. La majorité s’est heurtée au calendrier parlementaire : le projet de loi avait été voté par la Chambre basse le 13 novembre 2007 et la Chambre haute s’est saisie du texte le 19, mais la session (prolongée une fois) devait se clôturer le 15 décembre : le 13 novembre, le PLD ne disposait déjà plus de 60 jours.

21 139 fois entre 2017 et 2018 selon « Abe seiken ga “jijitsu to kotonaru” kokkai tôben Moritomo mondai de 139kai » [Le gouvernement Abe, au sujet de l’affaire Moritomo, a déclaré 139 fois à la Diète « cela ne correspond pas à la réalitécela n'est pas la vérité »], Asashi shimbun, 24 novembre 2020.

22 Entretien avec Nonaka Naoto, professeur, Gakushûin, 18 février 2020.

23 Entretien avec Nonaka Naoto, professeur, président de la faculté de droit, Gakushûin, 1er février 2021.

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