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Chapitre 9
Fernand Deligny et l’autisme aujourd’hui : repoussoir, apôtre, précurseur
p. 147-165
Texte intégral
1La préface que Sandra Alvarez de Toledo propose en ouverture du recueil des Œuvres de Deligny s’intitule « L’inactualité de Fernand Deligny »1. Inspiré de Nietzsche, cet emploi du terme inactualité évoque le caractère décalé et « intempestif » d’une pensée par rapport à son temps, mais aussi sa puissance de résonance ultérieure, par-delà le contexte de son émergence. Dans cette perspective, on peut observer la résurgence, discrète mais récurrente, du nom de Deligny dans les débats contemporains sur la prise en charge de l’autisme, à la lumière desquels le réseau d’accueil d’enfants autistes et psychotiques mis en place par Fernand Deligny et ses collaborateurs, entre 1967 et 1986, apparaît comme un objet historique étrange. Accueillir des enfants aux troubles sévères, le plus souvent mutiques, dans un cadre rural et précaire, à la marge des institutions et en dehors de tout projet thérapeutique ou éducatif, semble, en effet, encore plus difficilement concevable aujourd’hui qu’au temps de l’existence du réseau. Une telle expérimentation appartient à un passé que nous tenons pour révolu. Pourtant, les réflexions de Deligny sur sa « tentative » avec les enfants autistes, exposées dans ses films et ses écrits, suscitent, depuis une dizaine d’années, l’intérêt de différents auteurs, en France et au-delà.
2Donnant lieu à des usages discursifs variés, d’où découlent des interprétations divergentes, voire contradictoires, le cas de Deligny se prête particulièrement bien à une étude de réception centrée sur les mécanismes intellectuels de production d’une figure historiographique2. En l’occurrence, ce chapitre étudie différents usages de la référence à Deligny dans le contexte des controverses actuelles sur l’autisme. L’analyse de différents supports documentaires, tous postérieurs à 2007, montre comment la construction d’une figure de Deligny visant à susciter la répulsion ou l’attraction du public, est révélatrice du contenu moral de ces controverses, et met en évidence certains des enjeux cliniques, anthropologiques et politiques qui les sous-tendent. Emblématique du discours médiatique contemporain sur le « scandale » de la prise en charge des enfants autistes en France, le documentaire télévisuel qui fait l’objet de notre première partie exprime, à travers la figure d’un Deligny repoussoir, le jugement civilisationnel qui accompagne le rejet de la psychanalyse dans le champ de l’autisme. Ce rejet constitue la toile de fond de la réception étonnamment favorable dont Deligny bénéficie de la part de certains psychanalystes français. Notre deuxième partie examine la manière dont cette réception tend à faire de Deligny le porteur quasi apostolique d’un message de soutien à la réaffirmation sociale de la position psychanalytique. Enfin, notre troisième partie est consacrée à la construction d’un Deligny précurseur du mouvement de la « neurodiversité », sous la plume d’un chercheur et activiste anglais dont la démarche s’inscrit dans une logique de fondation de ce mouvement.
Première partie – L’emblème d’un archaïsme
3En France, depuis les années quatre-vingt-dix, la mobilisation des associations de parents d’enfants autistes a fait de l’autisme un « problème public », objet d’une attention politique et médiatique croissante. Un aspect essentiel de cet activisme est la dénonciation virulente de l’influence néfaste de la psychanalyse sur la pédopsychiatrie française : ancrée dans la culture des institutions et la formation des professionnels, la référence psychanalytique aurait fait obstacle à l’adoption de la définition de l’autisme comme handicap d’origine neurologique qui s’est largement imposée ailleurs dans le monde3. Cette « bataille de l’autisme » menée par des associations de parents se traduit notamment par la diffusion médiatique d’un récit du « scandale » et du « retard » français4. Le docu-fiction Le Cerveau d’Hugo5, qui en est une illustration parfaite, a joué un rôle important à un moment clé de la constitution du problème public de l’autisme dans les médias français. Présenté en première partie de soirée sur France 2 et France 3 le 27 novembre 2012, suivi d’un débat intitulé « Autisme, le scandale français », ce film a rencontré un important succès d’audience, et a été rediffusé depuis à plusieurs reprises6. Cette même année, l’autisme avait été déclaré « Grande Cause nationale » par le gouvernement de François Fillon, et la Haute Autorité de santé (HAS) avait suscité la controverse avec la publication d’une « Recommandation de bonne pratique » préconisant le recours aux thérapies comportementales, et reléguant la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle au rang d’approches « non consensuelles »7. Ces prises de positions officielles intervenaient dans un contexte de durcissement de la mise en cause médiatique et politique de la psychanalyse, à travers notamment l’affaire du packing, dont les débuts remontaient à 20078, et la polémique provoquée par le documentaire Le Mur, en 20119.
4Alternant séquences jouées, images d’archives et témoignages de familles, Le Cerveau d’Hugo évoque à grands traits l’histoire de l’autisme en France. La référence à Fernand Deligny y est accompagnée d’images extraites du film Ce gamin, là. Voici le commentaire tel qu’on peut l’entendre à partir de la 39e minute :
La France est un cas particulier où l’école psychanalytique occupe une place dominante dans la psychiatrie. Pour la plupart des psychiatres français, héritiers de Freud, l’autisme est une maladie psychologique, liée à un traumatisme d’enfance. Dans les années 1970, le psychologue Fernand Deligny est sincèrement convaincu de pouvoir guérir l’autisme. Il emmène les enfants autistes vivre une vie sans contrainte, et proche de la nature, dans les Cévennes. Séparé de ses parents toxiques, l’enfant doit prendre lui-même la décision de s’ouvrir au monde. Hélas, pour tous les enfants que vous voyez sur ces images, la vie au grand air n’apportera aucun résultat. La plupart d’entre eux ne parviendront jamais à parler, leur intelligence restera un diamant caché. Privés de langage, ils seront condamnés à la colère et à l’agressivité pour se faire comprendre, et aux neuroleptiques, pour se calmer. Une fois adultes, ils seront enfermés à vie dans des hôpitaux psychiatriques, où ils se trouvent encore aujourd’hui.
5Caricature destinée à susciter le sourire ironique en même temps que l’indignation du spectateur, la figure de Deligny condense ici les motifs récurrents du rejet de la psychanalyse dans le discours des associations de parents : ignorance des causes biologiques de l’autisme, culpabilisation des parents, inaction et inefficacité thérapeutiques, et responsabilité dans le destin psychiatrique ultérieur des jeunes autistes. Comme l’a montré Florence Vallade10, ce type de discours reproduit en grande partie la rhétorique développée dès la fin des années soixante par le psychologue américain Eric Schopler, le fondateur du programme éducatif behavioriste TEACCH aux États-Unis11. Le documentaire présente d’ailleurs ce dernier, aussitôt après le passage sur Deligny, comme l’un des professionnels américains « courageux » ayant fait alliance avec les parents pour inventer des méthodes de traitement enfin efficaces, à l’époque où la pédopsychiatrie française s’embourbait dans la psychanalyse et la terre cévenole. Dans ses premières présentations, Schopler insistait en effet sur l’opposition entre son approche et les thérapies d’inspiration psychanalytique alors dominantes : là où ces dernières encourageaient les manifestations spontanées de la subjectivité des enfants autistes ou psychotiques dans un cadre institutionnel qui tenait les parents à distance – ce que Schopler désignait par l’expression « parentectomie » – le programme TEACCH proposait un apprentissage comportemental très actif et structuré, auquel les parents étaient étroitement associés en tant que « co-thérapeutes »12. Le récit de l’histoire de l’autisme qui s’est imposé dans le sillage des écrits de Schopler13 fait de l’École orthogénique de Chicago, alors dirigée par Bruno Bettelheim, le paradigme de l’institution alliant psychanalyse et « thérapie de milieu » (milieu therapy) dans laquelle les enfants, séparés de leurs parents au nom de la responsabilité supposée de ces derniers dans l’étiologie des troubles, étaient abandonnés à une liberté erratique et stérile14. Bettelheim y apparaît comme un repoussoir absolu, que Le Cerveau d’Hugo ne manque pas d’évoquer, non sans insister sur sa réception favorable en France15.
6La figure de Deligny ne constitue cependant pas ici un équivalent français de Bettelheim. Il n’apparaît pas vraiment comme l’instigateur d’un modèle de traitement, une figure fondatrice, mais plutôt comme un exemple typique des égarements de la psychanalyse en général, un cas d’école. Dans le contexte américain, Bettelheim incarne une figure du Mal, en tant que représentant par excellence de la stigmatisation des parents, ou « parent-blaming ». Il a, de plus, fait l’objet d’attaques directes mettant en cause sa probité, au point d’être accusé de maltraitance sur les enfants dont il a eu la charge16. Deligny, quant à lui, apparaît plus naïf que méchant. Ce qu’il illustre avant tout, c’est l’inaction fondamentale des approches psychanalytiques dont les tenants attendent, sans rien faire, « l’émergence du désir de l’enfant ». La critique de cette inaction constitue un leitmotiv des discours de promotion des thérapies comportementales, qui apparaissent, par contraste, entièrement du côté de l’action. Loin d’être uniquement rhétorique, cette opposition renvoie à des explications radicalement divergentes du retrait relationnel de l’enfant autiste. De manière générale, les conceptions psychanalytiques du xxe siècle y ont vu une forme de repli actif de l’enfant vers son monde interne et ses sensations corporelles, conséquence de l’angoisse fondamentale que suscite en lui la relation à l’autre. En revanche, le modèle de compréhension de l’autisme qui s’impose progressivement dans le monde scientifique anglophone à partir des années soixante attribue ce repli à un défaut dans les moyens dont dispose l’enfant autiste pour interagir avec son environnement social17. Le traitement de l’autisme ne saurait, dès lors, être conçu uniquement comme l’établissement patient d’une relation entre l’enfant et le thérapeute, mais relève avant tout d’une pédagogie spécialisée visant à faire acquérir à l’enfant des compétences relationnelles, communicationnelles et plus généralement « adaptatives »18. Ne pas y recourir, c’est priver l’enfant de l’éducation nécessaire à son développement, ne pas répondre à l’un de ses « besoins » fondamentaux, et le condamner ainsi à la stagnation, sinon à la régression. C’est pourquoi, faute de mettre en œuvre les méthodes adaptées, la pédopsychiatrie française se voit accusée de pratiquer une « maltraitance par défaut »19, potentiellement aggravée d’une maltraitance psychiatrique plus directe lorsque l’enfant grandit. Tel est l’arrière-plan du retournement rhétorique opéré dans l’extrait du Cerveau d’Hugo : dans l’histoire française de l’autisme, le silence des enfants n’est rien d’autre que la privation de parole qui leur a été imposée. Le traumatisme aurait, du coup, été causé par ceux-là mêmes qui prétendaient le guérir : au cri de révolte de leurs victimes, les tenants d’une pseudo-liberté auraient opposé le bâillon psychiatrique. Aussi le public est-il appelé à s’indigner pour les victimes du scandale qui se perpétuerait, aujourd’hui encore, derrière les murs des hôpitaux.
7Par-delà la critique de la psychanalyse en tant que méthode de traitement, la dénonciation de ce scandale procède d’un discours visant l’édification du spectateur. À travers la référence à Deligny, symptôme de son temps, se joue le jugement de l’époque actuelle à l’égard d’un passé dans lequel il n’est plus moralement possible de se reconnaître. À ce Moyen-Âge où l’obscurantisme clinique accompagne l’enfermement asilaire semblent s’opposer les Lumières des thérapies comportementales, dont l’advenue relèverait presque d’un geste libérateur à la Pinel. Mais l’on peut pousser plus loin ce parallèle. Avec la tentative des Cévennes, l’approche psychanalytique de l’autisme se trouve, en effet, renvoyée au primitivisme de la vie naturelle et « sans contraintes », par rapport auquel la pédagogie comportementaliste se trouve résolument inscrite dans le processus de civilisation20. Nature et idiotie d’un côté, éducation et épanouissement de l’intelligence de l’autre. Dans la légende de l’autisme, la tentative d’Itard avec Victor de l’Aveyron constitue la première occurrence d’une expérience éducative menée avec un enfant « idiot », au nom d’une conception médico-philosophique de ce genre. La tentative des Cévennes en serait l’exact inverse : l’abandon de l’enfant à la « nature » pour le libérer des exigences d’une société pathogène. Deligny, anti-Itard21.
8Dans ce discours militant, le choix de Deligny comme représentant paradigmatique de son temps ne s’embarrasse guère d’exactitude historique. Sa figure est construite de façon ad hoc, en lui attribuant certains traits de manière pour le moins discutable22. Pour autant, il ne faut pas voir dans la tentative des Cévennes une expérience entièrement marginale par rapport aux institutions et dispositifs qui lui sont contemporains23. Ainsi, elle ne se distingue guère, rétrospectivement du moins, des « lieux de vie et d’accueil » et autres « structures intermédiaires »24 qui se développent alors. La Haute Autorité de santé la mentionne d’ailleurs comme une référence inaugurale de ce courant, dans l’argumentaire de sa recommandation de 201225. Ces dispositifs émergent dans un contexte idéologique marqué par l’antipsychiatrie et, plus largement, par la critique des institutions médicales, judiciaires et éducatives26. Son passage par La Borde, ses échanges nourris avec Guattari, ses liens avec Maud Mannoni, qui lui envoie régulièrement des enfants, montrent la proximité de Deligny avec un courant intellectuel où l’antipsychiatrie, la psychanalyse, la psychothérapie et la pédagogie institutionnelles convergent dans la contestation, exprimée avec une subtilité variable, de toute médicalisation, rééducation ou « normalisation » des déviants et des « inadaptés » sociaux. En ce qui concerne l’enfance handicapée ou inadaptée, s’y ajoute une conception critique de l’éducation qui voit dans la tentative d’Itard une « erreur », sinon un repoussoir27. Les lieux de vie et dispositifs « alternatifs » fondés sur de telles conceptions offrent aux inadaptés sociaux un milieu dégagé des exigences et des contraintes d’une société dont ils sont exclus, et qu’ils ne sont, à la rigueur, pas destinés à réintégrer28. Qu’ils aient ou non une ambition thérapeutique, ils tendent à maintenir, en pratique, le principe d’une séparation entre l’enfant et son milieu de vie habituel, comme en témoigne l’expression de « séjour de rupture » qui leur est associée. Issus de la lutte contre la ségrégation asilaire, par rapport à laquelle ils représentent sans doute un progrès, ils en reconduisent, paradoxalement, la dynamique d’exclusion : alors qu’au milieu des années soixante certains prophétisaient déjà « la fin d’un exil » pour les enfants handicapés29, les expériences de vie alternative « à la campagne » reconduisent en partie une logique de relégation. Plus précisément, à l’aune de la logique de désinstitutionnalisation dans laquelle s’inscrit le combat des associations de parents pour l’inclusion sociale des enfants autistes en milieu « ordinaire » – notamment à l’école, sur le modèle du programme TEACCH – de telles expériences paraissent dérisoires ou contre-productives. Il faut toutefois rappeler qu’elles ont été développées, au moins initialement, à l’attention de ceux que l’époque jugeait précisément « inéducables » et impossibles à intégrer aux institutions et dispositifs de droit commun30.
9Relayant sans nuance le discours sur l’autisme qui, en 2012, s’impose largement dans l’espace public français, Le Cerveau d’Hugo mobilise une historiographie entièrement orientée vers un objectif de dévalorisation morale de ce qui a été, ou plutôt n’a pas été fait à des enfants, et plus largement à des personnes vulnérables, par les institutions et les professionnels qui en ont eu la charge. Inactuel en un sens totalement péjoratif, Deligny symbolise une époque qui, faute de prendre en compte leurs besoins et leurs droits en matière d’éducation, a maintenu ces êtres fragiles aux marges de la société et de l’humanité. Nous serions aujourd’hui en passe d’accéder à un plus haut degré de civilisation, à condition d’en finir avec un passé dont la liquidation est encore en cours. Par son indignation, le public est ainsi invité à prendre, affectivement et moralement, sa part de responsabilité générationnelle. La dénonciation de la psychanalyse acquiert, dans ce contexte, une dimension anthropologique et politique dont l’écho se retrouve, de manière inversée, dans la réception contemporaine de Deligny par les psychanalystes eux-mêmes.
Deuxième partie – Deligny apôtre ?
10Dans son Histoire de l’autisme, publiée en 2009, le pédopsychiatre et psychanalyste Jacques Hochmann critique vertement Deligny pour son primitivisme naïf, et les conditions déplorables dans lesquelles il laissait végéter les enfants31. Ayant débuté sa carrière de psychiatre peu de temps avant la création du réseau des Cévennes, Hochmann est un acteur et un témoin de l’histoire française de l’autisme, et défend une approche intégrant de manière complémentaire les aspects thérapeutiques et éducatifs dans le traitement de l’autisme. À travers plusieurs articles sur la bataille de l’autisme, Hochmann a dénoncé la manière dont certaines associations de parents caricaturent l’approche psychanalytique de l’autisme, pour en faire un « objet imaginaire » qui dépeint les psychanalystes en persécuteurs32. Mais il juge également que les psychanalystes se sont rendus coupables d’erreurs sinon de fautes, dont il s’efforce de se démarquer. Sur ce point, il cible particulièrement les représentants du courant lacanien proches de l’antipsychiatrie, à commencer par Maud Mannoni, véritable bête noire que la figure de Deligny sert à repousser un peu plus loin du mauvais côté de l’Histoire. Ce discours, pas si éloigné en somme de celui du Cerveau d’Hugo, ne peut cependant être considéré comme représentatif de la réception contemporaine de Deligny dans le champ psychanalytique.
11Une recherche bibliographique dans le portail Cairn montre que la référence à Deligny reste relativement discrète dans la littérature psychanalytique et pédopsychiatrique antérieurement à la publication du volume des Œuvres en 200733. Les articles consacrés à Deligny dans les années suivant ces publications émanent majoritairement de psychanalystes revendiquant leur orientation lacanienne, et témoignent d’une réception très favorable. Nous pouvons en illustrer les principaux thèmes et modes d’argumentation à travers l’analyse de trois articles, sélectionnés ici pour leur approche à la fois convergente et contrastée, et leur échelonnage temporel. Le premier a été publié par Annie Tardits en 2008 dans la revue psychanalytique Essaim34 ; le second, en 2010, par Erik Porge dans la revue pédopsychiatrique Enfances & Psy35 ; le troisième, par Franck Chaumon dans Critique, en 201436. Ils s’adressent donc à un public culturellement et professionnellement proche de la psychanalyse.
12Chacun de ces textes fait, à sa manière, écho aux évolutions de la politique publique et de la bataille de l’autisme. L’article d’Annie Tardits correspond à une première phase, dans laquelle les controverses sur l’autisme semblent encore pouvoir être qualifiées de « débats », mais commencent à faire l’objet d’une résonance sociale et politique plus forte37. Évoquant positivement « l’inactualité de Deligny » dans le « toujours actuel » des débats sur la prise en charge des enfants handicapés, l’autrice note ainsi que « les impasses de l’institué, déboussolé entre maltraitance et génétique, vont s’aggravant »38 et souligne la « perspicacité [de Deligny] à l’endroit du risque que le naturalisme bio-physio-génétique vienne à régner en ce point et à en faire une base d’opérations pour coloniser d’autres territoires »39. En 2010, Erik Porge écrit dans son introduction que la « position » de Deligny « ne serait sans doute plus possible aujourd’hui » tant « elle contraste avec les prises de position officielles de la HAS […] qui suivent les classifications de l’OMS en étiquetant l’autisme comme un trouble d’origine biologique ». Il ajoute que l’autisme « est devenu un terrain de conflit, du fait de la prévalence de la référence aux thérapies cognitivo-comportementales et aux méthodes d’apprentissage »40. En 2014, enfin, Franck Chaumon ouvre son article en rappelant que « l’avenir de la psychanalyse n’est en rien assuré ». Évoquant « l’affaire de l’autisme », il écrit que « le conflit des discours peut aller jusqu’à la tentation d’évincer l’un d’eux », et ajoute, à propos de la polémique sur le packing : « La nouveauté de l’affaire ne tient pas aux propos, certes violents, qui ont visé les psychanalystes mais au fait que ces propos ont trouvé un large écho dans les médias, au sommet de l’État et à l’Assemblée nationale. Les énoncés les plus caricaturaux ont été soutenus au nom d’une évidence partagée, moderne, actuelle – ce qui signe la position hégémonique de ce nouveau discours »41. Particulièrement marquée dans le contexte de la bataille de l’autisme, la perte d’autorité publique de la psychanalyse42 constitue donc, de manière toujours plus nette, un arrière-plan décisif des textes psychanalytiques consacrés à Deligny.
13Les trois articles soulignent la convergence entre la psychanalyse et l’approche de Deligny, et ce en dépit de ses critiques antipsychanalytiques récurrentes. Pour Erik Porge, Deligny partage avec les psychanalystes une même démarche « antipsychologique », soit un refus du « forçage dans les interprétations expliquant pourquoi l’enfant ne parle pas »43. Et s’il a par ailleurs souvent contesté Lacan, c’est qu’il ne l’a lu que de façon « partielle » et très « réductrice ». Pour Franck Chaumon, quelle qu’ait été l’hostilité de Deligny envers la psychanalyse, « quelque chose de la psychanalyse se retrouve pourtant tout au long de son parcours, qu’il s’agisse de son refus du face-à-face imaginaire et de l’intersubjectivité psychologique, de son rejet de tout savoir “expert” préalable à la rencontre, ou de la prévalence donnée à l’acte (la présence proche) »44. Annie Tardits, enfin, salue la parution des Œuvres comme l’occasion de nouvelles « rencontres », autrement dit d’une redécouverte de Deligny par le champ psychanalytique, qui l’aurait largement ignoré. L’autrice observe ainsi la convergence théorique entre la pensée psychanalytique lacanienne et la réflexion anthropologique de Deligny sur l’incidence du langage dans le processus d’hominisation – une réflexion qui « esquive », selon elle, la question de l’inconscient. Mais elle souligne surtout que Deligny tient une position « radicalement différente et pourtant affine à la position qu’un psychanalyste essaie de tenir »45 : en témoigne une même « méfiance » à l’égard de la communication, considérée comme « l’instrument privilégié du psychologue, du psychothérapeute, de l’éducateur » (ibid., p. 216), autant de professions dont il semble évident que la psychanalyse se démarque clairement, et qui font ici l’objet d’une dévalorisation à peine voilée.
14L’usage répété de la notion de « position », qui renvoie à l’attitude, à l’ethos du thérapeute dans sa relation à l’enfant et à son langage, est révélateur du fait que la convergence principale entre Deligny et la psychanalyse se situe, pour nos trois auteurs, dans le registre de l’éthique clinique. Erik Porge décrit ainsi le « style de vie » de Deligny avec les autistes en des termes évoquant une profession de foi d’éthique psychanalytique : « Deligny ne s’autorisait pas de vouloir le Bien des enfants », il « respectait [leur] espace de retrait », et « s’est mis en position de se laisser enseigner par les autistes »46. On retrouve également chez Franck Chaumon les thèmes du « respect » et de la « présence attentive »47. Cette éthique du respect et de la non-intrusion, sensible à la « violence » angoissante que la relation à autrui représente pour l’enfant autiste, s’oppose radicalement, ici de manière implicite, à l’éthique des thérapies comportementales de l’autisme, dont les promoteurs revendiquent depuis toujours le caractère intrusif au nom de la nécessité éducative48. Cette opposition tient, on l’a dit, à des conceptions divergentes du retrait relationnel de l’enfant, mais aussi à une différence importante dans la manière de l’aborder en tant que personne. Dans la perspective diachronique des approches mettant l’accent sur l’éducation de l’enfant, ce dernier est conçu comme un sujet en développement, avec lequel la relation vise la construction progressive de la personne. La position psychanalytique inscrit, au contraire, cette relation dans le registre d’une synchronie qui implique ipso facto l’existence de la personne : dans la perspective lacanienne, l’universalité de l’ordre du langage assure à chaque individu un statut de sujet, en droit tout au moins. Bien qu’elle remette en cause cette notion de sujet en mettant l’accent sur l’extériorité de l’autiste par rapport au langage, l’approche délinéenne se situe sans conteste à distance de toute perspective développementale. Ces réceptions psychanalytiques l’interprètent de surcroît à l’aune d’une grille de lecture qui universalise l’éthique de la relation clinique en général. L’enjeu, ici, n’est ni la conception épistémologique et clinique de l’autisme, ni le problème de l’action thérapeutique sur les enfants autistes – ce qu’il faudrait ou non leur faire – mais la manière dont il est possible d’être avec ou auprès d’eux. Deligny, écrit Franck Chaumon, permet de penser l’asile « non comme lieu, mais comme présence »49. Cette présence est une disponibilité à l’individu comme prochain50, reconnu abstraitement et universellement en tant que personne, quelle que soit la nature de son altérité : enfance ou déficience quelconque. On retrouve à certains égards ici un écho du nouage spécifiquement français entre psychanalyse et universalisme républicain, mâtiné d’influences catholiques, qui a été mis en évidence par ailleurs51.
15Ainsi posée par les psychanalystes, la question de la relation avec l’enfant autiste reste en grande partie déconnectée de toute institution sociale, hormis la rencontre clinique en elle-même. Il y a pourtant une différence de fond entre le cadre micropolitique de la cure52 et le « style de vie » que Deligny tente d’inventer avec les enfants autistes. Les psychanalystes ici étudiés ne semblent d’ailleurs pas envisager une quelconque actualité des modalités concrètes de la tentative des Cévennes, qui relève à leurs yeux, sans ambigüité, d’une époque révolue53. Seul Franck Chaumon s’efforce d’en tirer des conséquences politiques plus générales. Prenant au sérieux la « portée positive d’anthropologie politique » de la tentative des Cévennes, il considère ainsi que la présence de l’autiste « nous contraint à inventer une conception renouvelée du politique »54. Cette mise en question s’adresse avant tout aux psychanalystes, à qui l’auteur enjoint d’« accuser réception » du message de Deligny, non sans rappeler qu’il a lui-même échangé une correspondance directe avec ce dernier. Dans le contexte de la bataille de l’autisme, il s’agit pour lui d’interroger la situation de la psychanalyse par rapport aux discours « dominants », et d’exhorter ses confrères à un retour réflexif sur la « politique de la psychanalyse » – exhortation non dénuée d’inquiétude morale, puisque Chaumon se demande « si nous sommes en mesure d’entendre ce qui nous est adressé, si le temps est venu d’en prendre acte »55.
16L’on voit ainsi que certains psychanalystes lacaniens ont pu trouver en Deligny un catalyseur de la réaffirmation de leur éthique et de l’élaboration réflexive de leur propre position – terme qui renvoie ainsi non seulement à un mode de relation clinique mais aussi à une situation effective dans l’ordre discursif, politique et social. Deligny se trouve dès lors mobilisé comme une sorte d’apôtre : aussi extérieur soit-il au champ psychanalytique, il encourage les psychanalystes à rester fidèles à leur engagement. Là encore, l’usage français de la référence à Deligny apparaît étroitement lié au problème du statut social et institutionnel de la psychanalyse. Ce lien s’avère toutefois beaucoup moins décisif lorsque cette référence est mobilisée dans un contexte linguistique et culturel différent.
Troisième partie – Un précurseur
17Depuis les années quatre-vingt-dix, dans le monde occidental anglophone notamment, le champ social de l’autisme a été marqué par l’émergence de nouveaux acteurs, aux côtés des professionnels et des associations de parents. Des personnes présentant des formes d’autisme sans déficience intellectuelle, notamment le syndrome d’Asperger56, sont devenues les « porte-parole » (self-advocates) de la cause des autistes. Suivant la perspective des disability studies57 et du disability rights movement, selon laquelle le handicap ne résulte pas d’une déficience individuelle mais d’une organisation sociale inadaptée à certaines variations physiques ou cognitives58, le mouvement de la neurodiversité59 a ainsi appelé à considérer l’autisme comme une particularité neurologique, une « différence », et non une pathologie ou un déficit. Or, dans un article de 201660, le chercheur et activiste britannique Damian Milton, lui-même diagnostiqué autiste, a établi un rapprochement entre les revendications de ce mouvement et les conceptions politico-anthropologiques de Fernand Deligny.
18Milton rappelle d’abord l’attitude critique de Deligny à l’égard des institutions asilaires, et le fait qu’il « rejetait aussi la domination de la théorie et de la pratique psychanalytiques qui imprégnaient souvent (et continuent d’imprégner) les attitudes culturelles envers l’autisme dans les nations francophones »61. Ce rejet consacre d’emblée la posture critique de Deligny et sa place d’outsider dans l’histoire française de l’autisme. Le récit du « scandale » et du « retard » domine, en effet, la perception de la situation française par les auteurs anglophones, y compris dans le champ des disability studies62. En outre, peu au fait des liens de Deligny avec certains psychanalystes de son temps63, Milton voit avant tout dans sa critique de la psychanalyse l’expression d’une position antipsychiatrique plus générale. Plus précisément, Milton trouve en Deligny le représentant d’une position « anti-interventionniste », c’est-à-dire opposée à toute approche qui viserait à modifier les manières d’être et le comportement des autistes. Dans la perspective neurodiversitaire, en effet, toute forme de traitement (cure) de l’autisme relève en dernière analyse d’une tentative de normalisation illégitime, et parfois violente64. Simple particularité de fonctionnement cognitif et social, l’autisme n’appelle rien d’autre que l’acceptation (acceptance) de ceux qui en sont porteurs par les « neurotypiques ».
19L’œuvre de Deligny offre précisément à Milton de quoi étayer ce type de conception non pathologisante de l’autisme. Le travail d’observation des enfants autistes dans le réseau des Cévennes, le recueil de leurs déambulations, à travers les cartes et les « lignes d’erre », hors de tout jugement sur la fonction de leurs comportements, relèvent en effet d’une appréhension de l’autisme comme « mode d’être ». Ils permettent de situer le fonctionnement autistique dans le registre de l’humain, aussi étranger soit-il avec les normes institutionnelles et sociales courantes, à commencer par le langage verbal. De même, la manière dont Deligny cherche à concevoir une existence humaine non référée au sujet rejoint les propres réflexions de Milton sur le récit biographique autistique, « l’aut-ethnographie », en tant que récit fragmenté, échappant aux normes narratives de l’identité personnelle. Tout ceci conduit Milton à voir en Deligny un véritable précurseur : « Plusieurs décennies avant l’essor du mouvement de la neurodiversité, Deligny et ses collaborateurs rejetaient l’idée de l’autisme comme déviation pathologique de la norme »65.
20Une telle dépathologisation de l’autisme comporte une dimension profondément politique, à laquelle fait écho la notion délinéenne de « communisme primordial ». L’enjeu n’est rien moins que la possibilité d’une vie commune aux autistes et aux neurotypiques, qui n’impliquerait ni la normalisation du comportement des uns, ni la condescendance des autres. Sur ce point, l’œuvre et l’action de Deligny – en particulier la manière dont il cherche à envisager le « point de voir » des autistes – semblent répondre, comme par anticipation, à l’appel de Jim Sinclair, l’une des figures fondatrices du mouvement de la neurodiversité66, que Milton cite en conclusion de son article :
Accordez-moi la dignité de me rencontrer selon mes propres termes… Admettez que nous sommes également étrangers les uns aux autres, que mes façons d’être ne sont pas simplement des versions dégradées des vôtres. Remettez vos présupposés en question. Définissez vos termes. Travaillez avec moi à construire des ponts entre nous.67
21Il importe toutefois de rappeler que la revendication neurodiversitaire se situe à un niveau macropolitique, dans le sillage des mouvements de défense des droits sociaux des minorités68 et des luttes féministes69. L’enjeu en est l’acceptation des autistes par une société vis-à-vis de laquelle ils se trouvent en position d’étrangers (alien), ce qui implique généralement, dans le contexte politique et culturel anglo-saxon, la référence à une communauté autistique, selon une logique politique et sociale fort éloignée de l’universalisme républicain à la française70, aussi bien que de la notion de « communisme primordial »71. Il n’en demeure pas moins que l’utopie délinéenne montre la possibilité d’une réalisation locale du projet que le mouvement de la neurodiversité porte à l’échelle de la société entière, celui d’une socialisation qui n’imposerait pas aux autistes les normes de la société des « neurotypiques ».
22Ces différents points de convergence inscrivent la lecture de Deligny par Milton dans une logique de fondation intellectuelle du mouvement de la neurodiversité. La proximité entre les conceptions de Deligny et certaines revendications de ce mouvement apparaît si « frappante » (striking) qu’elle évoque à Milton l’image d’une perpétuation « rhizomesque » et « dans l’ombre » du réseau délinéen jusqu’à aujourd’hui. Le mouvement de la neurodiversité s’ancre ainsi, de façon très profonde, dans une modernité philosophique marquée notamment par l’œuvre de Deleuze et Guattari. Publié dans une revue de référence des disability studies, l’article de Milton illustre, en outre, l’intrication des enjeux académiques et politiques dans ce type de recherches. Il s’agit en effet pour l’auteur d’offrir une généalogie intellectuelle glorieuse à un mouvement qui, plus de vingt ans après son émergence, reste encore instable et traversé de débats idéologiques internes. S’il exerce une influence incontestable dans le champ politique et social de l’autisme, il entre parfois en confrontation avec certaines associations de parents, par exemple sur le statut des thérapies et de la recherche sur les causes génétiques de l’autisme. Assurer les assises conceptuelles du mouvement, et en particulier de la frange radicale à laquelle Milton se rattache, relève donc également d’une opération stratégique.
23L’article de Milton peut également ouvrir différentes pistes de recherche, au carrefour de l’épistémologie historique, de l’anthropologie et de la clinique. Nous pouvons ici en évoquer brièvement trois. D’abord, l’intérêt de Milton pour la critique délinéenne de l’unité du sujet, et l’absence, dans son texte, de toute référence au cerveau, suggèrent la possibilité d’analyser la revendication neurodiversitaire moins comme un avatar du « Sujet cérébral »72, qu’en lien avec la critique philosophique contemporaine de la subjectivité73. Un deuxième champ d’études pourrait concerner la généalogie française de la neurodiversité : il y aurait lieu d’étudier, par exemple, le parcours intellectuel et géographique de certains promoteurs francophones de ce courant, tels que le psychiatre et neuroscientifique franco-québécois Laurent Mottron74. Il y a lieu, enfin, de confronter la réflexion de Milton aux transformations du concept même d’autisme et de son champ d’application. On peut, en effet, se demander ce que la demande de reconnaissance sociale émanant de personnes capables de prendre publiquement la parole peut avoir en commun avec l’expérience de Deligny avec des enfants sans langage. Ceci renvoie au problème général de l’hétérogénéité du « spectre de l’autisme » et de la représentativité des autistes « de haut niveau » par rapport à ceux qui souffrent de formes plus sévères d’autisme, mais impose aussi de rappeler le rôle essentiel joué, depuis la fin des années quatre-vingt, par les témoignages verbaux de personnes autistes. Le philosophe Ian Hacking a montré l’influence de ces témoignages sur la manière dont l’expérience et le mode de fonctionnement des autistes mutiques peuvent être compris par leur entourage : ces récits font office de traduction de ce vécu, à l’attention des parents, des professionnels et même du grand public75. Dans cette perspective, il faudrait se pencher sur les résonances entre les intuitions cliniques de Deligny et certains de ces témoignages, à commencer par celui de Temple Grandin, autrice, en 1986, d’une autobiographie dans laquelle elle évoque les particularités de ses perceptions sensorielles et de sa « pensée en images »76. Ce rapprochement pourrait conduire à accorder une attention particulière à la remarque de Jacques Lin, l’un des participants historiques au réseau cévenol, selon laquelle Deligny « était un peu autiste »77 : elle suggère qu’à la source du changement de regard sur les autistes que tente d’opérer Deligny, il y a peut-être l’intuition vécue d’un mode différent d’appréhension du monde.
24En écrivant que « l’actualité de Deligny est donc sa permanente inactualité : le repère de l’humain lui permet de penser et d’agir en avance sur son temps » (Ibid., p. 37.), Sandra Alvarez de Toledo pointe la grande modernité de l’œuvre et de la pensée délinéennes, mais aussi, à travers la notion d’« humain », une forme d’intemporalité de la référence morale. Au terme de ce chapitre, nous constatons cependant que Deligny fait l’objet d’actualisations qui renvoient à des conceptions de « l’humain » non seulement divergentes, mais potentiellement concurrentes, comme le montre notamment la « bataille » française autour de l’autisme. Le combat des associations de parents d’enfants autistes porte ainsi, avant tout, sur le droit des enfants autistes à recevoir, comme tout autre humain, une éducation adaptée. Pour les psychanalystes qui trouvent en Deligny un interlocuteur toujours actuel, voire un apôtre guidant la réaffirmation de leur propre engagement éthique et politique, l’enjeu majeur concerne plutôt la possibilité d’établir avec l’enfant autiste une relation d’ordre micropolitique, soit une relation entre prochains. Enfin, dans le cadre conceptuel et culturel des disability studies, la pensée délinéenne révèle surtout sa portée politique, en ce qu’elle peut contribuer à fonder une revendication d’acceptation radicale des autistes en tant qu’étrangers aux normes majoritaires de la société humaine. À l’aune de ces différentes interprétations, ce qui apparaît profondément moderne chez Deligny, c’est finalement le fait d’avoir pris appui sur l’existence des enfants autistes pour modifier notre idée même de ce qui définit l’humain. Par des voies philosophiques et littéraires, Deligny rejoint ainsi, à certains égards, le mouvement de transformation radicale des représentations de l’humain auxquelles les explorations scientifiques de l’autisme ont contribué au xxe siècle.
Notes de bas de page
1 S. Dans F. Deligny, Œuvres, Paris, L’Arachnéen, 2017, p. 21-37.
2 D. Antoine-Mahut, S. Lézé, « Dé-lire », Les classiques à l’épreuve, Actualité de l’histoire de la philosophie, D. Antoine-Mahut et S. Lézé dir., Paris, Éditions des archives contemporaines, 2017, p. 8-12.
3 Voir notamment B. Chamak, « Autisme, handicap et mouvements sociaux », ALTER European Journal of Disability Research, vol. 4, 2010, p. 103-115 ; C. Borelle, Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique, Paris, Presses des Mines, 2017 ; L. Demailly, « Le champ houleux de l’autisme au début du xxie siècle », SociologieS, en ligne : [http://journals.openedition.org/sociologies/9593].
4 F. Vallade, « Le problème public de l’autisme dans la presse française », ALTER, European Journal of Disability Research, 10, 2016, p. 263–276.
5 S. Révil, Le Cerveau d’Hugo, France Télévisions Distribution, 2012. Accessible sur Youtube : [https://www.youtube.com/watch?v=qFLHNPnKYKY&t=2468s].
6 Voir A. Struk Kachani, La construction des politiques de l’autisme : concurrence des acteurs et arbitrage de l’État, thèse de science politique, Université de Bordeaux, 2017, p. 89-90.
7 Haute Autorité de santé, « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », Saint-Denis La Plaine, HAS, 2012.
8 Le packing est une thérapeutique à médiation corporelle parfois utilisée dans le traitement des patients autistes ou psychotiques, notamment en cas de comportements auto-agressifs sévères. Elle consiste à envelopper un patient, nu ou en sous-vêtements, dans des serviettes humides et froides, avant de le réchauffer progressivement. Promue notamment par des pédopsychiatres de tradition psychanalytique, en particulier Pierre Delion, cette pratique a fait l’objet d’une campagne de dénonciation virulente conduite par des associations de parents, qui l’ont dénoncée comme une forme de « torture ». Pour une description de cette polémique sous l’angle sociologique, voir B. Chamak, « Lobbying by Association: The Case of Autism and the Controversy over Packing Therapy in France », Social Science and Medicine, 230, 2019, p. 256-263.
9 S. Robert, Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme, Dragon Bleu Productions, 2011. L’affaire suscitée par ce documentaire est décrite par exemple par C. Borelle, Diagnostiquer l’autisme. Une approche sociologique, ouvr. cité.
10 Voir F. Vallade, « Le problème public de l’autisme dans la presse française », art. cité.
11 Développé en Caroline du Nord à partir de 1966, le programme TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication Handicapped Children) est l’une des principales approches comportementalistes de l’autisme. Il a été progressivement importé en France à partir des années quatre-vingt.
12 E. Schopler et R. Reichler, « Parents as Cotherapists in the Treatment of Psychotic Children », Journal of Autism and Childhood Schizophrenia, 1, 1, 1971, p. 87-102.
13 Sur les raisons de ce succès, voir G. Eyal et al., The Autism Matrix: The Social Origins of the Autism Epidemic, Malden, Polity Press, 2010.
14 Sur l’École orthogénique de Chicago, voir C. Silverman, Understanding Autism: Parents, Doctors, and the History of a Disorder, Princeton, Princeton University Press, 2011.
15 Sur la réception française de Bettelheim, voir J. Briggs, « The Enduring Fortress: the Influence of Bruno Bettelheim in the Politics of Autism in France », Modern Intellectual History, 2019, p. 1-29.
16 R. Pollak, The Creation of Dr. B: A Biography of Bruno Bettelheim, New York, Simon & Schuster, 1997.
17 B. Evans, « How Autism Became Autism: The Radical Transformation of a Central Concept of Child Development in Britain », History of the Human Sciences, 26(3), 2013, p. 3-31.
18 E. Schopler, V. Shea et G. Mesibov, The TEACCH Approach to Autism Spectrum Disorders, New York, Springer, 2004.
19 Expression récurrente des discours des associations de parents, que l’on trouve reprise dans différents textes officiels, par exemple l’avis du Comité consultatif national d’éthique suite à sa saisine par ces associations en 2005 : voir CCNE, Avis no 102, « Sur la situation en France des personnes, enfants et adultes, atteintes d’autisme », 2007.
20 Voir N. Elias, La civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973.
21 Sur le primitivisme de Deligny et sa réception des écrits d’Itard, voir S. Alvarez de Toledo dans Fernand Deligny, Œuvres, ouvr. cité, p. 640.
22 Il est ainsi particulièrement injuste d’attribuer à Deligny une théorie de la « toxicité » parentale. Comme le soulignait déjà Pierre-François Moreau dans un ouvrage contemporain de la tentative des Cévennes, Deligny s’appuyait sur un réseau étendu, « et d’abord sur les parents », qu’il s’agissait d’impliquer, et non de « décharger » comme le proposaient alors les institutions traditionnelles. Voir P.-F. Moreau, Fernand Deligny et les idéologies de l’enfance, Paris, Retz, 1978, p. 126.
23 Voir la documentation et les commentaires réunis par S. Alvarez de Toledo dans Fernand Deligny, Œuvres, ouvr. cité, et aussi : I. Krtolica, G. Sibertin-Blanc, « The Children Estranged from Language: Fernand Deligny, in his Time, and Against Lacan », Psychoanalysis and History, 21(2), 2019, p. 211-227.
24 R. Cahn, « Les structures intermédiaires. Panorama et bilan », La psychiatrie de l’enfant, XXVI, 1, 1983, p. 257-298.
25 « Certains accueils familiaux thérapeutiques se sont inspirés des expériences de Fernand Deligny, dans les Cévennes, et ont obtenu des tutelles d’être agréés en tant que lieux de vie, institutions se voulant alternatives et souhaitant promouvoir une prise en charge démédicalisée. » HAS, « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l’enfant et l’adolescent », art. cité, Argumentaire, annexe 6, p. 374.
26 Critique référée notamment aux travaux d’Erving Goffmann, de Michel Foucault, d’Ivan Illich, entre autres.
27 Voir par exemple M. Mannoni, « La débilité mentale en question », Esprit, 343(1), 1965, p. 665-684.
28 Voir à ce sujet la citation particulièrement explicite de J. Houssaye, dans I. Krtolica, G. Sibertin-Blanc, « The Children Estranged from Language: Fernand Deligny, in his Time, and Against Lacan », art. cité, p. 214.
29 A. Olivennes-Olivenstein, « Vers la fin d’un exil », Esprit, 343(1), 1965, p. 581-587.
30 L’insuffisance du processus de désinstitutionnalisation tient aussi au manque de continuité entre les dispositifs développés, à l’image de la tentative des Cévennes, pour accueillir des enfants, et les dispositifs pour adolescents et adultes qui ont longtemps fait cruellement défaut. Jusqu’aux années quatre-vingt-dix au moins, ce défaut de prise en compte institutionnelle du devenir ultérieur des enfants autistes semble avoir lourdement contribué à certains parcours asilaires, et a pu être analysé comme un aspect majeur de la crise de la prise en charge de l’autisme en France : voir M. Assouline, « Un arrière-fond historique aux critiques contre la psychiatrie et la psychanalyse », 2014, en ligne : [https://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/040614/autisme-un-arriere-fond-historique-aux-critiques-contre-la-psychiatrie].
31 J. Hochmann, Histoire de l’autisme, Paris, Odile Jacob, 2009, p. 403-406. Il y aurait lieu de vérifier si cet ouvrage, seule « histoire de l’autisme » publiée en français, a servi de source documentaire à la réalisatrice du Cerveau d’Hugo.
32 J. Hochmann, « Le communautarisme dans la bataille de l’autisme », PSN, 14(3), 2016, p. 7-16 ; K. Skuza et al., « L’importation de la bataille de l’autisme en Suisse romande : une lecture sociologique », PSN, 15(4), 2017, p. 7-34.
33 À titre d’illustration, une recherche croisant les mots-clés « autisme », « Deligny » et « psychanalyse » retrouve 247 résultats, dont 176 postérieurs à 2007 (actualisation le 17 décembre 2019).
34 A. Tardits, « Position(s) de Fernand Deligny », Essaim, 20(1), 2018, p. 213-220.
35 E. Porge, « Fernand Deligny, un style de vie avec les autistes. Y être entre les lignes », Enfances & Psy, 48(3), 2010, p. 130-136.
36 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », Critique, no 800-801, 2014, p. 131-143.
37 En 2008 débute le second « Plan Autisme », tandis que l’année précédente marque le déclenchement de l’affaire du packing : voir B. Chamak, « Lobbying by Association: The Case of Autism and the Controversy over Packing Therapy in France », Social Science and Medicine, 230, 2019, p. 256-263.
38 A. Tardits, « Position(s) de Fernand Deligny », art. cité, p. 214.
39 Ibid., p. 218.
40 E. Porge, « Fernand Deligny, un style de vie avec les autistes. Y être entre les lignes », art. cité, p. 131.
41 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », art. cité, p. 133. Rappelons qu’en 2012, puis à nouveau en 2016, le député Daniel Fasquelle a défendu une « proposition de loi visant l’arrêt des pratiques psychanalytiques dans l’accompagnement des personnes autistes, la généralisation des méthodes éducatives et comportementales et la réaffectation de tous les financements existants à ces méthodes. » En ligne : [http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion4211.asp].
42 Voir S. Lézé, L’autorité des psychanalystes, Paris, PUF, 2010.
43 E. Porge, « Fernand Deligny, un style de vie avec les autistes. Y être entre les lignes », art. cité, p. 134.
44 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », art. cité, p. 140.
45 A. Tardits, « Position(s) de Fernand Deligny », art. cité, p. 220.
46 E. Porge, « Fernand Deligny, un style de vie avec les autistes. Y être entre les lignes », art. cité, p. 131.
47 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », art. cité, p. 135. Le thème du respect de « l’autiste tel qu’il est » apparaît tout aussi central dans un chapitre consacré à Deligny par le psychanalyste H. Rey-Flaud, dans son ouvrage Sortir de l’autisme : Parents, ces vérités qu’on vous cache, Paris, Flammarion, 2013, p. 59-101.
48 E. Schopler, R. Reichler, « Parents as Cotherapists in the Treatment of Psychotic Children », art. cité ; G. Eyal et al., The Autism Matrix: The Social Origins of the Autism Epidemic, ouvr. cité.
49 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », art. cité, p. 135.
50 Terme employé par F. Chaumon, en référence à Freud, ibid., p. 139.
51 C. Robcis, La loi de la parenté. La famille, les experts et la République, Paris, Fahrenheit, 2016.
52 Voir S. Lézé, L’autorité des psychanalystes, ouvr. cité.
53 Pour un éclairage plus précis sur ce qui distingue, en pratique, la tentative délinéenne de l’approche psychanalytique lacanienne de l’autisme telle qu’elle a été élaborée depuis les années quatre-vingt, voir H. Rey-Flaud, Sortir de l’autisme : Parents, ces vérités qu’on vous cache, ouvr. cité.
54 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », art. cité, p. 136-137. Chaumon discute notamment ce point à partir de la correspondance entre Deligny et Althusser. Voir à ce sujet M. Miguel, « Le matérialisme concret de Fernand Deligny : Vers une pensée du milieu humain », Actuel Marx, 62(2), 2017, p. 124-139.
55 F. Chaumon, « L’autiste, au bord du politique », art. cité, p. 134.
56 Le syndrome d’Asperger désigne une forme d’autisme « de haut niveau », c’est-à-dire sans déficience intellectuelle ni troubles majeurs du langage. Conceptualisée au cours des années quatre-vingt, cette catégorie a fait l’objet de controverses sur sa validité. Le passage à la notion de « spectre de l’autisme » l’a, depuis, fait disparaître des classifications de référence, mais le terme reste très utilisé.
57 Courant qui reste peu développé en France, voir I. Ville et J.-F. Ravaud, « French Disability Studies: Differences and Similarities », Scandinavian Journal of Disability Research, 9(3-4), 2007, p. 138-145.
58 G. L. Albrecht, J.-F. Ravaud, H.-J. Stiker, « L’émergence des disability studies : état des lieux et perspectives », Sciences sociales et santé, 19(4), 2001, p. 43-73.
59 Ce terme a été popularisé par la sociologue féministe Judy Singer : J. Singer, « Why Can’t you Be Normal for Once in your Life? From a “Problem with no Name” to the Emergence of a New Category of Difference », Disability Discourse, M. Corker et S. French dir., Buckingham, Open UP, 1999, p. 59-67. Pour une présentation critique plus générale, voir F. Ortega, « The Cerebral Subject and the Challenge of Neurodiversity », BioSocieties, 4, 2009, p. 425-445.
60 D. Milton, « Tracing the Influence of Fernand Deligny on Disability Studies », Disability & Society, 31-2, 2016, p. 285-289. L’article s’appuie essentiellement sur la traduction anglaise de L’Arachnéen (F. Deligny, The Arachnean and Other Texts, traduit par Drew S. Burk et Catherine Porter, Minneapolis, Univocal publishing, 2015) ainsi que sur un bref essai de D. Burk, « Living Network Ecologies: A triptych on the Universe of Fernand Deligny », 2013, en ligne : [https://sites.fhi.duke.edu/ecologyofnetworks/2013/04/23/living-network-ecologies-a-triptych-on-the-universe-of-fernand-deligny/].
61 Notre traduction. Texte original : « he also rejected the dominance of psychoanalytic theory and practice that often permeated (and continues to permeate) cultural attitudes to autism within Francophone nations », D. Milton, « Tracing the Influence of Fernand Deligny on Disability Studies », art. cité, p. 285.
62 V. Orchard évoque ainsi, sans nuances, « l’establishment psychanalytique-psychiatrique français » dont elle décrit l’influence néfaste sur la prise en charge de l’autisme, notamment à partir d’arguments tirés du documentaire Le Mur. Voir V. Orchard, « The “rendez-vous manqués” of Francophone and Anglophone Disability Studies: the Case of Autism in Cross-Cultural Context », Synergies Royaume-Uni et Irlande, no 6, 2013, p. 53-73. Voir aussi M. Waltz, Autism: A Social and Medical History, Londres, Palgrave MacMillan, 2013.
63 Nous avons pu nous-même constater la perplexité de Milton quand nous l’avons informé des liens entre Deligny et Maud Mannoni, à l’occasion d’une rencontre lors d’un symposium à Londres (Milton, communication personnelle, avril 2017).
64 M. Dawson, « The Misbehaviour of Behaviourists », en ligne : [https://www.sentex.ca/~nexus23/naa_aba.html].
65 « Several decades before the growth of the neurodiversity movement, Deligny and his collaborators were rejecting notions of autism as a pathological deviation from the norm », M. Milton, « Tracing the Influence of Fernand Deligny on Disability Studies », art. cité, p. 288.
66 J. Sinclair a participé à la création, en 1991, de l’Autism International Network, le premier réseau international d’activistes autistes. Son discours de 1993 « Ne nous pleurez pas » (« Don’t mourn for us ») est resté célèbre.
67 « Grant me the dignity of meeting me on my own terms […]. Recognise that we are equally alien to each other, that my ways of being are not merely damaged versions of yours. Question your assumptions. Define your terms. Work with me to build bridges between us », M. Milton, « Tracing the Influence of Fernand Deligny on Disability Studies », art. cité, p. 288.
68 D. Caruso, « Autism in the US: Social Movement and Legal Change », American Journal of Law & Medicine, 36, 2010, p. 483-539.
69 Voir J. Singer, « Why Can’t you Be Normal for Once in your Life? From a “Problem with no Name” to the Emergence of a New Category of Difference », art. cité.
70 B. Chamak et B. Bonniau attribuent ainsi le faible développement du mouvement de la neurodiversité en France à l’influence d’une culture politique universaliste peu favorable aux revendications d’ordre communautaire. Voir B. Chamak et B. Bonniau, « Autism and Social Movements in France: A Comparative Perspective », dans J. Davidson et M. Orsini, Worlds of Autism, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2013.
71 On pourrait en revanche la confronter aux réflexions de Deligny sur la « singulière ethnie ».
72 F. Ortega, ouvr. cité. Voir aussi A. Ehrenberg, « Se définir par son cerveau. La biologie de l’esprit comme forme de vie », Esprit, no 411, 2015, p. 68-81.
73 Voir par exemple A. Wiame, « Reading Deleuze and Guattari through Deligny’s Theatres of Subjectivity: Mapping, Thinking, Performing », Subjectivity, 9(1), 2015, p. 38-58.
74 Voir L. Mottron, L’autisme, une autre intelligence, Bruxelles, Mardaga, 2004.
75 I. Hacking, « Autistic Autobiography », Philosophical Transactions of the Royal Society B, 364, 2009, p. 1467-1473.
76 Voir T. Grandin, Emergence: Labeled Autistic, Novato, Arena Press, 1986 (traduction française : Ma vie d’autiste, Paris, Odile Jacob, 1994) et T. Grandin, Thinking in Pictures: and Other Reports from my Life with Autism, New York, Doubleday, 1995 (traduction française : Penser en images et autres témoignages sur l’autisme, Paris, Odile Jacob, 1997).
77 S. Alvarez de Toledo, « L’inactualité de Fernand Deligny », art. cité, p. 642.
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Fernand Deligny et la philosophie
Ce livre est cité par
- Le Louarn, Nathalie. Yvorel, Jean-Jacques. (2022) L’actualité bibliographique. Revue d’histoire de l’enfance « irrégulière », N° 24. DOI: 10.3917/rhei.024.0180
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