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Le hasard de la preuve

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Judith Favereau

Introduction générale

Texte intégral

1Le prix Nobel d’économie est un prix étrange, même s’il n’est pas entouré des mêmes légendes que celui de mathématiques, prix Nobel inexistant car la rumeur voudrait que la femme d’Alfred Nobel eut une histoire d’amour avec un mathématicien brillant. Alfred Nobel aurait dit : « Il a déjà ma femme, il ne va pas en plus avoir mon prix ! » Le prix Nobel d’économie est un prix tardif, le premier est remis en 1969 alors que les premiers Nobel des autres disciplines ont été décernés à la fin du xixe siècle. De plus, le Nobel d’économie n’est pas financé par la famille Nobel mais par la banque de Suède. C’est pourquoi, d’ailleurs, on ne parle pas de prix Nobel d’économie, mais de prix de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire à Alfred Nobel. Les appellations comptent ! Derrière eux se cache le sens de leur particularité institutionnelle. Les domaines du développement économique et de la lutte contre la pauvreté ont connu peu de prix de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire à Alfred Nobel, il faut dire que l’économie recèle beaucoup de sous-disciplines. Le plus fameux sans doute est celui attribué en 1998 à l’économiste et philosophe du développement Amartya Sen. Néanmoins, ce n’est pas pour ses théories du développement qu’Amartya Sen est récompensé mais pour ses travaux sur l’économie du bien-être. Il faut attendre 2015, pour qu’Angus Deaton soit récompensé pour ses travaux sur la consommation, la pauvreté et le bien-être. Pour autant, ce n’est qu’en 2019 qu’un prix Nobel de la banque de Suède en sciences économiques en mémoire à Alfred Nobel récompense des travaux sur la lutte contre la pauvreté, en décernant ce prix à Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer pour leur approche expérimentale visant à réduire la pauvreté. Le développement et la lutte contre la pauvreté ont eu plus de succès avec le prix Nobel de la paix !

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  • 1 Tout au long de ce livre lorsque je parlerai de pauvreté je me référerai à la définition d’Angus D (...)
  • 2 Pour une présentation de l’histoire des expériences de laboratoires en économie et une analyse de (...)
  • 3 Tout au long de ce livre, je prendrai pour synonymes expériences randomisées, randomisation, expér (...)

2Le prix d’Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer couronne au moins deux sous-disciplines de l’économie, l’économie du développement et l’économie expérimentale, l’économie comportementale étant ici fantomatique. La caractéristique première de leurs travaux est de combiner ces deux sous-disciplines. L’objectif est clair et simple : promouvoir les expériences de terrain pour évaluer les programmes de lutte contre la pauvreté1. Dans cette perspective, Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Sendhil Mullainathan créent en 2003 le Abdul Latif Jameel Poverty Action Lab (J-PAL) au Massachusetts Institute of Technology. Un tel laboratoire entend donc placer les expériences au cœur de la lutte contre la pauvreté. Des expériences, non pas de laboratoires, comme c’est le cas généralement en économie2, mais de terrain, et des expériences de terrain particulières car directement inspirées des essais cliniques en médecine. On les appelle des expériences randomisées3. Elles permettent de comparer deux situations, une première où un programme de lutte contre la pauvreté est mis en place et une seconde où il est absent. Il serait alors possible de déterminer l’impact du programme en comparant les deux situations. La constitution de ces deux groupes se réalise aléatoirement. Par la dimension aléatoire qui les caractérise, les expériences randomisées permettent d’annuler les biais de sélection, ce que les méthodes non expérimentales ne parviennent pas à faire. L’assignation aléatoire au sein des deux groupes les rend parfaitement comparables ; autrement dit seul l’effet du programme est rendu visible, et l’intervention d’autres facteurs est annulée. En matière d’évaluation, cela offre à la randomisation son statut de gold standard méthodologique, puisqu’en annulant les biais de sélection, la randomisation offre des résultats fiables et solides, permettant de produire des preuves. En effet, la randomisation est une des seules méthodes permettant d’annuler ce biais de sélection. De ce fait, elle est souvent considérée comme la méthode de référence (i.e. gold standard). Angrist et Pischke (2010) parlent même de « révolution en termes de crédibilité empirique ». Une telle approche tend à orienter l’économie du développement dans une nouvelle direction en replaçant en son centre les expériences randomisées. Cette nouvelle perspective offerte par les chercheurs du J-PAL vise à montrer qu’il n’est pas nécessaire d’implanter des politiques d’envergure afin de lutter contre la pauvreté. Face aux problèmes concrets, des solutions concrètes impliquant des changements à la marge peuvent avoir d’importants effets. Dans cette optique, l’approche du J-PAL, à travers les expériences randomisées, cherche à évaluer des solutions concrètes de lutte contre la pauvreté, dont l’accumulation pourrait conduire à une « révolution douce » (voir Banerjee et Duflo 2011, p. 356-357). Même si l’objectif du J-PAL se résume à évaluer des programmes locaux, l’ambition n’est pas pour autant mineure : l’accumulation de solutions concrètes pourrait contribuer à transformer la situation des pauvres, et en ce sens lutter efficacement contre la pauvreté.

Le J-PAL et les raisons de son succès

3L’objet de ce livre est l’approche expérimentale du J-PAL dans la lutte contre la pauvreté. Il y a plusieurs raisons qui m’ont poussée à m’intéresser à un tel objet, pour ensuite l’étudier et enfin le décortiquer. La première, c’est qu’en tant qu’économiste, mon principal intérêt et objet d’étude, de façon parfois directe mais le plus souvent de façon indirecte, est la pauvreté. La deuxième, plus pragmatique, c’est que depuis ces quinze dernières années l’approche du J-PAL domine massivement l’économie du développement. Elle domine en nombres : par le nombre de publications académiques, et de chercheurs. Elle domine institutionnellement : le J-PAL est désormais un laboratoire présent sur tous les continents et ce dans les meilleures universités du monde. Elle domine moralement : lutter contre la pauvreté c’est agir.

4Il est difficile d’expliquer un tel succès. Mais je peux commencer par expliquer le succès qu’une telle approche a eu pour moi. Ce succès né d’une ironie fameuse qui entoure les économistes du développement. Dans l’opinion commune, ils sont considérés comme détachés de leur objet, reclus dans des bureaux à Washington. Ils sont dans les pays les plus riches du monde, ils ont sans doute vu la pauvreté, mais très peu ont été confrontés à l’extrême pauvreté. Et pour autant ce sont eux qui la pensent, rejoignant la plus commune et la plus grande critique faite à l’économie : son détachement vis-à-vis du réel, alors même que cette discipline cherche à transformer directement le réel. Une telle critique a une résonance particulière lorsqu’il s’agit de pauvreté. La pauvreté est souvent synonyme d’urgence, et donc de nécessité d’action immédiate. Il apparaît communément obscène de travailler sur la pauvreté sans y être confronté. Cela semble être, dans l’opinion commune, un prérequis. Le J-PAL a mis le terrain au premier plan. Il a, en apparence, sorti les économistes de leurs bureaux de Washington. À travers les expériences, il a permis de prendre des photographies de la pauvreté, de poser un regard. C’est pour moi son principal succès et sa plus grande force. Le J-PAL a rendu les pauvres visibles en économie. À cela s’ajoute la volonté d’action du J-PAL. De façon anecdotique, je me rappelle que lorsque j’ai commencé ma thèse sur le sujet, une de mes professeurs de licence m’a demandé quel était mon sujet de thèse, je lui ai expliqué alors très brièvement, ne sachant pas vraiment où j’irai et en plaçant furtivement le nom d’Esther Duflo – qui venait juste de donner sa leçon inaugurale au Collège de France. Cette professeure me répond : « Ah ! Enfin, une économiste [Esther Duflo] qui fait quelque chose ! » S’ensuivit un certain dénigrement de la profession décrivant les économistes comme dans leur bulle, s’amusant avec des modèles et des hypothèses invalidées par le réel. Cette professeure est elle-même une économiste théorique. Le décalage était complet. Le succès du J-PAL est donc pour moi cette volonté d’attachement au réel, dans le regard qu’il pose puis dans la volonté d’action immédiate.

5C’est avec un a priori très positif que j’ai commencé à étudier le J-PAL, pensant presque que la révolution douce souhaitée par Banerjee et Duflo aurait lieu ; avec l’intuition que le J-PAL permettrait de rendre opérationnelles les théories économiques du développement, théories à la croisée de l’éthique et du développement, comme celle d’Amartya Sen, faisant de la pauvreté une privation, une privation de liberté, une privation de liberté politique. La participation publique et collective, fondée sur des idées de justice immédiate, est pour Sen le moyen de réduire la pauvreté. Le développement est liberté. Une telle théorie a beaucoup séduit, mais a aussi été beaucoup critiquée par son manque d’opérationnalisation. C’est beau mais difficile à mettre en place. Une des premières expériences du J-PAL, décrite par Duflo lors de sa leçon inaugurale, portait sur les libertés politiques au Brésil. Il s’agissait de réaliser des audits des politiciens locaux afin de déterminer s’ils avaient suivi leur programme et si corruption il y avait eu. Comme le souligne Sen, si les politiciens étaient soumis à la sanction de la démocratie, si liberté politique il y avait, de nombreuses famines auraient pu être évitées. Ma question est alors : ces expériences, en plaçant le terrain et la pratique au centre, permettent-elles d’opérationnaliser les théories économiques du développement ? Et ce faisant, de combiner le scientifique au politique ?

Les expériences randomisées comme photographies de la pauvreté

6Le J-PAL se fixe deux objectifs : (1) produire des preuves, et (2) guider les décideurs politiques des pays en développement afin qu’ils mettent en place des programmes de développement qui ont fait leurs preuves. Ce double objectif se combine en ce qu’on appelle la politique fondée sur les preuves. Les expériences randomisées fournissent les preuves, grâce à leur statut de gold standard méthodologique. Les décideurs politiques des pays en développement se doivent d’utiliser ces preuves. Ces expériences sont telles des photographies scientifiques qui fournissent les preuves d’efficacité des programmes de lutte contre la pauvreté. Ces expériences sont réalisées à petite échelle, et donc au niveau local, comme une photographie, elles ne donnent accès qu’à une partie de l’image, et laissent hors champ certains aspects. Mais, tout comme une photographie, elles rendent visibles des phénomènes qui étaient auparavant invisibles. Les chercheurs du J-PAL prennent la photographie, les décideurs politiques la transforment en l’utilisant. Un des principaux enjeux est alors cette possible utilisation de la preuve par le politique, autrement dit la transformation de la photographie. Une telle transformation dépend à la fois du hors champ laissé de côté et de la façon dont la photographie a été prise.

7Savoir si l’approche du J-PAL transforme la lutte contre la pauvreté, c’est alors comprendre comment la photographie est faite, puisque la photographie n’est pas prise. C’est se demander : qui est le photographe ? que regarde-t-il ? qu’y a-t-il derrière la photographie ? qu’est-ce qui est laissé de côté ? quel est le hors champ ? et surtout, de quoi est fait son appareil photo ?

Une analyse épistémologique comme levier critique du politique

8Afin de déterminer le pouvoir politique de l’approche du J-PAL, et donc de l’approche dominante en économie en matière de lutte contre la pauvreté, il m’est apparu nécessaire de mener une analyse épistémologique. C’est-à-dire de comprendre de quoi étaient faites les photographies offertes par les expériences du J-PAL, afin d’évaluer leur pouvoir politique et donc leur opérationnalisation potentielle, leur pouvoir d’action. L’analyse épistémologique est donc dans ce livre un levier vers une analyse politique. En effet, la thèse centrale que je défends dans ce livre c’est que les fragilités méthodologiques d’une telle approche engendrent un glissement au niveau politique, un glissement vers une approche paternaliste de la lutte contre la pauvreté.

  • 4 Pour une analyse des différentes manières de faire de l’épistémologie, voir, par exemple, Picavet (...)
  • 5 C’est donc une analyse en termes de philosophie des sciences, philosophie politique et économie qu (...)

9Cette analyse épistémologique4 de l’approche du J-PAL est double. Elle est à la fois une analyse méthodologique et une analyse théorique. La dimension méthodologique vise à interroger la méthode utilisée par le J-PAL : comment est faite la photographie. Elle questionne les modes d’inférence que les expériences randomisées permettent de produire (comment les résultats sont-ils produits ?), la fiabilité de ces résultats ainsi que leur possible utilisation par la sphère politique (sont-ils utilisables par les décideurs politiques ou sont-ils cantonnés à leur contexte – celui de l’expérience ?), tout comme leur possible généralisation (est-il envisageable d’étendre un programme à une échelle plus large, à partir des résultats obtenus ?). Pour résumer, deux principales questions guident mon analyse méthodologique : (1) la nature de gold standard méthodologique de la randomisation, ainsi que (2) la possible transposition des résultats obtenus par le J-PAL dans la sphère politique. Il est donc question ici de décortiquer la photographie : (1) De quoi est-elle faite ? (2) Est-elle modifiable ? La seconde dimension, théorique, questionne l’apport du J-PAL aux débats théoriques qui ont traversé l’économie du développement au cours de ces dix dernières années. Cette dimension s’interroge sur le tournant que le J-PAL aurait opéré sur l’économie du développement : s’agit-il uniquement d’un tournant empirique ou est-il aussi question d’un tournant théorique et politique ? S’intéresser à ces deux dimensions permet d’examiner l’approche du J-PAL dans son ensemble, cette approche ne se limitant pas à la méthode qui la fonde – la randomisation. Elle se fixe aussi deux principaux objectifs : (1) produire des preuves, afin (2) de guider la décision politique en matière de lutte contre la pauvreté. Étudier uniquement la dimension méthodologique de cette approche ne me permettrait de traiter qu’un de ces objectifs. C’est pourquoi il est nécessaire de s’intéresser aussi à sa dimension théorique, afin de pouvoir questionner les deux objectifs indissolublement liés que s’est donnés le J-PAL. Le caractère double de cette analyse épistémologique m’offre la possibilité d’interroger et de limiter le pouvoir d’action politique du J-PAL. En effet, c’est en décortiquant tout d’abord une telle approche et donc en déterminant ce qu’elle produit et comment elle le produit que je serai ensuite à même de définir ce qu’elle est en mesure d’offrir à la sphère politique5.

La dimension théorique (et politique) de l’approche du J-PAL

  • 6 Le fait de mettre l’accent sur la lutte contre la pauvreté et non sur la définition de la pauvreté (...)

10La dimension théorique de mon analyse épistémologique s’attache à questionner l’apport du J-PAL à l’économie du développement. Cette dimension théorique ne peut être détachée de sa portée politique. D’une part, le J-PAL entend explicitement guider la décision. En ce sens, ce laboratoire possède une importante vocation politique6. D’autre part, les débats théoriques auxquels le J-PAL souhaite offrir une réponse sont en eux-mêmes éminemment politiques. À titre d’illustration, un des principaux débats auxquels le J-PAL se réfère est celui de l’aide au développement. Ce débat oppose les tenants d’une aide massive destinée à éradiquer la pauvreté aux critiques qui pointent le rôle désastreux de l’aide dans le processus de développement et la rendent responsable des échecs de développement. Le J-PAL cherche à offrir des preuves d’efficacité de l’aide. Il entend trancher ce débat à travers des preuves, qui doivent ensuite constituer l’un des principaux outils des décideurs politiques. La question est alors de savoir si le J-PAL parvient, réellement, à fournir ces preuves d’efficacité et donc à guider la décision politique.

  • 7 Voir par exemple Duflo 2006c, où Esther Duflo démontre explicitement ce point.

11De plus, s’intéresser à la dimension théorique d’une telle approche revient aussi à se demander si les résultats obtenus à l’aide de la randomisation participent à la construction d’un nouveau cadre théorique en économie du développement. Beaucoup de résultats obtenus par les expérimentations du J-PAL sont décrits comme surprenants et contredisant les résultats de la théorie économique standard, notamment les travaux de Theodore Schultz (1964)7. Participent-ils, pour autant, à un nouveau cadre d’analyse ? Permettent-ils d’offrir une nouvelle appréhension des phénomènes de pauvreté ? Ont-ils une implication dans la compréhension de la pauvreté ?

  • 8 Par théorie, j’entends la définition qu’en donne Marion Vorms (2009), c’est-à-dire un outil de rep (...)

12Interroger la dimension théorique8 de l’approche du J-PAL renvoie alors à deux questionnements : celui du cadre théorique potentiel offert par une telle approche et celui de sa portée au sein de l’économie du développement. L’objectif est donc de déterminer si la randomisation du J-PAL offre une révolution complète, c’est-à-dire à la fois empirique, théorique et politique, des modalités de lutte contre la pauvreté.

La dimension méthodologique de l’approche du J-PAL : les critères de validité interne et externe

13Une telle analyse théorique ne peut se réaliser sans définir en premier lieu de quoi sont faites les expériences du J-PAL. Autrement dit, les implications ne peuvent être questionnées sans avoir préalablement défini précisément de quoi ces implications sont le fruit. On le verra, ces deux aspects sont extrêmement interdépendants : l’un engendre l’autre. La dimension méthodologique de mon analyse entend donc définir ce quoi. Cette dimension méthodologique se définit autour de deux critères : la validité interne et externe des résultats obtenus par la randomisation. La validité interne est la garantie que l’expérience mesure bien le phénomène qu’elle est censée mesurer et non un autre phénomène. La validité externe, elle, nous dit si le résultat obtenu au sein du cadre expérimental sera similaire dans un contexte similaire ou non.

  • 9 Pour une histoire du concept de validité en psychologie et en économie voir Heukelom 2009.

14Donald Campbell (1957) définit ces notions de validité interne et externe, vocabulaire qui prévaut, toujours aujourd’hui, en sciences sociales9. C’est pourquoi, je structurerai mon analyse méthodologique des expériences randomisées autour de ces deux critères. En premier lieu, car ils sont les critères de référence dans le domaine ; et en second lieu, en ce qu’ils me permettent d’éclairer et de questionner une telle méthode.

  • 10 Campbell, Cook et Shadish (2002) précisent cette typologie autour de quatre types de validité : (1 (...)

15De façon générale, la validité est ce qui permet d’évaluer la fiabilité d’une inférence obtenue à partir d’un procédé expérimental particulier. De cette définition de la validité, Campbell (1957) distingue la validité interne de la validité externe10. De façon générale, la validité interne est la validité d’un résultat expérimental au sein du cadre expérimental ; alors que la validité externe est la validité de ce résultat en dehors du cadre expérimental, et a donc trait à son utilisation, par exemple par le politique.

  • 11 Campbell, Cook et Shadish (2002) appellent aussi cette validité interne « validité locale d’ensemb (...)

16Cette fois, de façon plus précise, la validité interne renvoie au fait que la variation statistique observée est bien le fruit d’une relation causale et non une simple corrélation. La validité interne garantit le fait que la variation statistique observée est bien causée par le traitement – ou par le programme – et non par d’autres facteurs11. En économie du développement, Duflo et Banerjee prennent aussi pour critères les notions de validité interne et externe. La validité interne renvoie à la fiabilité des résultats trouvés à l’aide des expériences randomisées. Elle rend compte ici de la fiabilité de l’évaluation. C’est à travers elle qu’il est possible de questionner le premier objectif du J-PAL : produire des preuves.

17La validité externe a trait à la possibilité de généraliser la relation causale que l’expérience a déterminée. La validité externe exprime la généralisation d’une inférence causale d’un contexte à un autre, d’une population à une autre, ou encore d’un traitement à un autre traitement. Appliquée à la méthodologie du J-PAL, la validité externe renvoie à la portée générale de cette approche en économie du développement. En effet, Duflo (voir Duflo, Glennerster et Kremer 2007) définit la validité externe des résultats expérimentaux à travers leur possible généralisation et réplication. La validité externe a donc une double caractérisation. Je choisis dans ce livre de distinguer ces deux niveaux au sein de la validité externe. Le premier niveau traduit la possible utilisation d’un résultat dans un contexte autre que celui de l’expérience dans lequel il a été établi. Lorsque ce premier niveau de validité externe est garanti, on parle d’indépendance du résultat par rapport à l’environnement ; à l’inverse, lorsqu’il n’est pas assuré, on parle de dépendance à l’environnement :

La dépendance à l’environnement est un élément clé de la possibilité de généralisation (ou de la validité externe). La question posée est la suivante : obtiendrions-nous le même résultat si nous menions la même expérimentation dans un contexte différent ? Ou plus exactement, le programme qui est en cours d’évaluation aurait-il les mêmes effets s’il était mis en œuvre ailleurs (et pas dans le cadre d’une expérimentation) ? (Banerjee et Duflo 2009, p. 702)

18Le premier niveau exprime la possible transposition d’un résultat donné à un autre contexte. Le second niveau, quant à lui, envisage la généralisation d’un programme à une échelle plus large, ce qui peut, en effet, transformer le résultat obtenu par l’expérience :

Un problème connexe est celui posé par ce que l’on appelle couramment les effets d’équilibre général (bien que ce terme puisse créer une confusion ; nous préférons donc parler d’effets d’équilibre car le concept d’équilibre général est essentiellement un concept multimarché). Les effets d’un programme identifiés dans le cadre d’une petite étude peuvent être différents des effets du programme s’il était généralisé au niveau national. (Banerjee et Duflo 2009, p. 712)

19L’analyse méthodologique du J-PAL que je propose s’organise autour de ces deux critères, celui de validité interne et celui de validité externe. Le premier me permet de questionner la nature des inférences produites par une telle approche. Le second, au sein duquel je distingue deux niveaux, vise à interroger la possible utilisation par la sphère politique des résultats expérimentaux du J-PAL ainsi que leur généralisation à une échelle plus large.

Faille épistémologique et paternalisme démocratique

  • 12 Voir par exemple Duflo 2006b ; Duflo, Glennerster et Kremer 2007 ; Banerjee et Duflo 2009 ; Duflo (...)
  • 13 Par exemple Guala (1999, 2003, 2005) et Guala et Mittone (2005) considèrent qu’il y a un compromis (...)

20Le J-PAL a très souvent mis l’accent sur la validité interne de son approche12. Sa validité externe est beaucoup plus faible. Ces deux types de validité peuvent se compromettre l’une et l’autre. Autrement dit, favoriser la validité interne d’un procédé expérimental peut compromettre sa validité externe, et inversement13. Concernant le J-PAL, l’insistance portée sur la validité interne tend à fragiliser sa validité externe. Le J-PAL, par sa volonté de produire des preuves, place au premier plan la fiabilité de ces résultats. Ses chercheurs entendent minimiser le nombre d’hypothèses a priori afin de favoriser au maximum la validité interne de leurs résultats. Ce faible nombre d’hypothèses a priori, voire leur absence, ne permet pas aux chercheurs du J-PAL de mettre en évidence « pourquoi un programme fonctionne », mais leur permet uniquement de montrer que « le programme fonctionne ou ne fonctionne pas ». En d’autres termes, l’approche du J-PAL peine à mettre en évidence les mécanismes sous-jacents à ses résultats expérimentaux. Ces résultats fonctionnent ainsi comme une « boîte noire ». Ils mettent en évidence un lien causal fiable, mais n’arrivent pas à expliquer cette causalité. Cela se comprend en grande partie – et c’est l’une des thèses que je développerai dans ce livre – par l’ambiguïté du rôle donné à la théorie dans une telle approche. L’approche du J-PAL a souvent été critiquée pour sa dimension a-théorique. Pourtant, la place de la théorie ne s’y résume pas uniquement à une absence. Pour ne pas perdre en validité interne, les chercheurs du J-PAL se refusent à toute théorie pensée en amont. Mais ils entendent créer une théorie à partir de leurs résultats expérimentaux, ils souhaitent développer une théorie qui unifierait les différents résultats.

21Il semble toutefois difficile, voire impossible, de créer cette théorie unificatrice sans une première théorie, pensée en amont, qui permettrait de saisir les mécanismes sous-jacents aux résultats expérimentaux. Il existe alors une tension importante entre validité interne et validité externe. Un arbitrage semble nécessaire. La thèse que je défendrai dans ce livre est que cette tension fragilise les deux objectifs du J-PAL, les rendant contradictoires. Cette tension ou cette contradiction définit ce que j’appellerai une faille épistémologique. Cette faille épistémologique me semble expliquer la difficulté du J-PAL à produire des recommandations politiques claires, ainsi que sa difficulté à produire une théorie unificatrice.

  • 14 Voir Duflo 2012a.
  • 15 Voir Sen 1982, 1992, 1999a, 1999b, 2009.

22Le récent tournant d’Esther Duflo vers un nouveau « paternalisme démocratique »14, me semble illustrer parfaitement les conséquences de cette faille épistémologique. Duflo propose d’envisager un « paternalisme démocratique » qui, en imposant certains choix aux pauvres, augmenterait leur liberté. La notion de liberté à laquelle elle se réfère est celle qu’avait définie Amartya Sen dans le cadre de l’approche par les capabilités15. Mais la proposition de Duflo s’éloigne sensiblement de la définition même des capabilités, pointant alors certaines contradictions au sein de sa proposition. Tout d’abord, le paternalisme envisagé n’est fondé sur aucune preuve, ce qui semble paradoxal compte tenu de la position initiale du J-PAL. Ensuite, la liberté, telle que la définit Sen, est à la fois instrumentale et substantielle. Dans cette perspective, le paternalisme ne peut être pensé comme un instrument vers plus de liberté, puisque la liberté ne s’acquiert, chez Sen, que par la liberté. Enfin, retirer certains choix aux pauvres suppose d’avoir déterminé le processus de décision des pauvres, ce qui reste absent de l’approche du J-PAL. Tous ces éléments pointent le fait qu’il est difficile, uniquement à partir d’expériences, de produire des recommandations politiques claires à destination des décideurs politiques. En d’autres termes, en se refusant à théoriser, à postuler des hypothèses, à mettre en évidence des mécanismes, l’approche du J-PAL fournit des résultats dont la validité interne est très forte, probablement beaucoup plus élevée que dans d’autres méthodes, mais elle ne parvient pas à guider les décisions politiques, ne remplissant qu’un seul des deux objectifs qu’elle se fixe. On peut alors comprendre pourquoi Duflo propose un nouveau paternalisme : la recommandation politique ne peut qu’être détachée de sa méthodologie. En ce sens, l’approche du J-PAL ne permet pas d’opérationnaliser la théorie économique du développement d’Amartya Sen. Pour une telle opérationnalisation, un cadrage théorique, en amont de l’implantation des expériences, devrait être défini et rendu explicite. En l’absence de celui-ci, le politique est voué à être détaché des résultats expérimentaux.

23La problématique de ce livre est donc la suivante : dans quelle mesure la faille épistémologique de l’approche du J-PAL explique-t-elle sa difficulté à fournir des recommandations politiques claires de lutte contre la pauvreté ? Ou, pour le formuler autrement, dans quelle mesure les deux objectifs que se fixe le J-PAL sont-ils contradictoires ? C’est à travers une analyse épistémologique que je définis la faille épistémologique de l’approche du J-PAL, ainsi que sa traduction politique. Ce qui me conduit à m’intéresser d’abord à une dimension méthodologique puis à une dimension théorique.

Organisation du livre

24La double dimension définissant mon analyse épistémologique structure l’argumentation de ce livre. Les deux premières parties s’attachent à la dimension méthodologique et ont pour objectif de définir la faille épistémologique qui caractérise l’approche du J-PAL. La première partie étudie la validité interne des expériences randomisées et la deuxième partie leur validité externe. La troisième partie est consacrée à la dimension théorique, son objectif étant d’évaluer les apports théoriques du J-PAL à l’économie du développement.

La première partie : la force du J-PAL et son importante validité interne

25La première partie du livre présente la force de la randomisation et son statut de gold standard méthodologique. Un premier chapitre se concentre sur l’histoire de la randomisation. J’y retrace l’histoire de ce procédé expérimental, depuis ses débuts en psychologie, jusqu’à sa définition précise et rigoureuse par Ronald Fisher, son essor en médecine au travers des essais cliniques médicaux et son utilisation en sciences sociales. Ce retour historique me permet de montrer que cette méthode a toujours été utilisée et promue au nom de la fiabilité des évaluations qu’elle permet.

26Le deuxième chapitre est consacré à la méthode du J-PAL. Je présente tout d’abord l’histoire, la structure et le fonctionnement du laboratoire. Ensuite, je m’intéresse plus particulièrement à la volonté première de ce laboratoire qui consiste à produire des preuves. Je montre aussi comment les expériences randomisées sont implantées ainsi que les différents enjeux de cette implantation.

27Le troisième chapitre présente le second objectif du J-PAL : guider la décision politique dans le cadre du mouvement d’evidence-based policy. Je reviens alors sur la naissance d’un tel mouvement, dans le but d’en saisir les enjeux, puis je montre comment le J-PAL se l’approprie. Cette première partie permet d’expliciter les deux objectifs du J-PAL, ainsi que leur articulation autour de la validité interne de la randomisation.

La deuxième partie : la faiblesse du J-PAL, son insuffisante validité externe

28La deuxième partie passe d’un questionnement en matière de validité interne à un questionnement sur la validité externe de la méthodologie du J-PAL. L’objectif de cette partie est de montrer que la forte validité interne du J-PAL se fait au prix d’une très faible validité externe. De ce fait, cette partie définit la « faille épistémologique » d’une telle approche.

29Le quatrième chapitre pose un cadre analytique à partir de l’épistémologie de Nancy Cartwright, qui permet de définir un premier niveau de validité externe. Cartwright questionne explicitement l’utilisation des preuves dans le domaine politique. Elle distingue la production de preuves de leur utilisation.

30Le cinquième chapitre interroge le second niveau de la validité externe de la randomisation. Le chapitre reprend les différentes critiques qui ont été adressées à la randomisation et tente d’en offrir une unité. Il permettra de montrer que pour produire des résultats utilisables, l’approche du J-PAL doit perdre en validité interne au profit d’une plus grande validité externe, ce à quoi elle semble se refuser. De ce fait, les résultats qu’elle produit sont comme une « boîte noire ». Le second niveau de la validité externe se trouve alors fragilisé.

31Le sixième chapitre se concentre sur une critique spécifique adressée à la randomisation du J-PAL, sa dimension athéorique. Cette critique me semble englober toutes les autres. De plus, elle me permet d’envisager simultanément les deux niveaux de validité externe. Autrement dit, elle permet de penser en même temps l’analyse de Cartwright et les différentes critiques adressées à la randomisation. Je montre que la théorie dans l’approche du J-PAL ne se résume pas à une absence, mais qu’un double statut lui est accordé. Je définis ce double statut par (1) le refus des chercheurs du J-PAL de penser une théorie avant de conduire les expériences et (2) la volonté de construire une théorie fondée sur les différents résultats et les englobant. Cette absence de théorie pensée en amont fragilise la création d’une théorie a posteriori et de ce fait fragilise les deux niveaux de validité externe. Ce qui définit la faille épistémologique d’une telle approche, qui me semble expliquer la tension entre validité interne et validité externe de l’approche du J-PAL.

La troisième partie : les apports théoriques du J-PAL, entre paternalisme et irrationalité

32La troisième partie a pour objectif d’évaluer l’apport du J-PAL aux débats qui traversent l’économie du développement. Cette partie vise à montrer que l’approche du J-PAL peine à fournir les réponses politiques qu’elle aurait souhaité offrir. Cette faiblesse explique la position paradoxale de Duflo en faveur d’un paternalisme. Cela tend à renverser la perspective initiale du J-PAL, et éclaire la contradiction entre les deux objectifs qu’il se fixe.

33Le septième chapitre définit le contexte théorique auquel fait référence le J-PAL, contexte face auquel il souhaite se situer et apporter des réponses. J’y explicite l’effondrement du « consensus de Washington » qui a ravivé la question de l’aide au développement. Cette question trouve dès lors une traduction politique clivée, soit en faveur d’une forte assistance des pays développés vers les pays en développement soit en faveur de la mise en avant d’empowerments.

  • 16 L’idée de nudge est développée par Cass Sunstein et Richard Thaler (2008) et vise à modifier l’arc (...)

34Le huitième chapitre cherche à évaluer l’apport concret du J-PAL à ces débats. Dans ce dessein, on retracera les expériences que Pascaline Dupas a menées sur le paludisme, qui constituent l’emblème du débat sur l’aide au développement. Ce chapitre permettra de montrer la force et la limite de l’approche du J-PAL. La première expérience de Dupas pointe une énigme (la faible utilisation des moustiquaires dans les zones étudiées), les expériences qui suivent cherchent à évaluer des dispositifs de nudging16 qui répondraient à cette énigme, mais aucun de ces dispositifs ne fonctionne. Ces différentes expériences posent donc très clairement la question de la nécessité éventuelle de mesures paternalistes et laissent présager la proposition de Duflo pour un paternalisme fort.

35Le dernier chapitre questionne le tournant récent d’Esther Duflo en faveur d’un paternalisme démocratique : expliquer ce tournant me permet d’analyser le cadre théorique et politique d’Esther Duflo. Elle envisage un paternalisme fondé sur l’approche par les capabilités. L’objectif d’un tel paternalisme est d’imposer aux pauvres un certain nombre de biens en vue d’accroître leur liberté. Cette position philosophique me semble recouvrir deux principales confusions. Je montrerai alors que ces confusions ne font que traduire la faille épistémologique de l’approche dont Esther Duflo se fait la principale promotrice.

*

36L’approche du J-PAL place au premier plan l’action mais en se refusant à théoriser en amont, cette dernière est fragilisée. Pour reprendre les termes de Victor Hugo, la vive force du J-PAL peine alors à achever ce que l’idée aurait dû ébaucher.

Notes

1 Tout au long de ce livre lorsque je parlerai de pauvreté je me référerai à la définition d’Angus Deaton et d’Olivier Dupriez (2011). Ces derniers fixent le seuil de pauvreté à 99 centimes de dollars en parité de pouvoir d’achat. C’est ce seuil qui est retenu par Banerjee et Duflo. La Banque mondiale dans son rapport en 1990 définissait le seuil de pauvreté à 1 dollar par jour (voir Banque mondiale 1990). Depuis 2009, à la suite des travaux de Martin Ravallion, Shaohua Chen et Prem Sangraula (2009), la Banque mondiale définit le seuil de pauvreté à 1 dollar et 25 centimes en parité de pouvoir d’achat.

2 Pour une présentation de l’histoire des expériences de laboratoires en économie et une analyse de leur méthodologie, voir Guala (2005).

3 Tout au long de ce livre, je prendrai pour synonymes expériences randomisées, randomisation, expérience par assignation aléatoire, essais randomisés.

4 Pour une analyse des différentes manières de faire de l’épistémologie, voir, par exemple, Picavet (1995, 1996).

5 C’est donc une analyse en termes de philosophie des sciences, philosophie politique et économie que je propose ici. En effet le J-PAL a depuis une dizaine d’années était très largement critiqué. Une première vague de critiques provient de « l’intérieur » de l’économie (Deaton 2009, 2010a ; Rodrik 2007 ; Ravallion 2009a, 2009b ; Barett et Carter 2010 ; Harrison 2011 ; Heckman 1992, 2010 ; Heckman et Smith 1995 ; Heckman, Clement et Smith 1997 et Heckman, Ichimura, Smith et Todd 1998). Une seconde vague de critiques provient de « l’extérieur de l’économie », en philosophie des sciences (Cartwright 2007a, 2009c, 2010, 2011a ; Cartwright et Munro 2010 ; Guillin 2013 ; Teira et Reiss 2013). Ce sont ces deux vagues de critiques que je cherche à combiner. Je laisserai alors de côté une autre vague de critiques qui provient de la sociologie (Desrosières 2013 ; Labrousse 2010 ; Jatteau 2013 ; Bardet et Cusso 2012 ; Servet 2018).

6 Le fait de mettre l’accent sur la lutte contre la pauvreté et non sur la définition de la pauvreté, comme le font Duflo et Banerjee, pointe aussi cette volonté d’action.

7 Voir par exemple Duflo 2006c, où Esther Duflo démontre explicitement ce point.

8 Par théorie, j’entends la définition qu’en donne Marion Vorms (2009), c’est-à-dire un outil de représentation et d’inférence. En ce sens, une théorie exprime des hypothèses permettant de décrire et d’expliquer des inférences. Une théorie doit ainsi « dire quelque chose » des inférences qu’elle observe et vise à les expliquer. La question est alors de savoir si la randomisation du J-PAL permet de produire cette représentation tout en étant un outil d’inférence. Mais, il est aussi question de l’implication et des effets en économie du développement de cette représentation.

9 Pour une histoire du concept de validité en psychologie et en économie voir Heukelom 2009.

10 Campbell, Cook et Shadish (2002) précisent cette typologie autour de quatre types de validité : (1) celle des conclusions statistiques ; (2) celle qualifiée d’interne ; (3) celle comprise comme construite ; et enfin (4) la validité externe.

11 Campbell, Cook et Shadish (2002) appellent aussi cette validité interne « validité locale d’ensemble » (local molar validity). Le terme local traduit le fait que la conclusion causale est limitée au cadre de l’expérience, et l’idée d’ensemble montre que même limitée à un cadre la conclusion causale s’inscrit dans un ensemble de plusieurs composantes.

12 Voir par exemple Duflo 2006b ; Duflo, Glennerster et Kremer 2007 ; Banerjee et Duflo 2009 ; Duflo et Kremer 2005.

13 Par exemple Guala (1999, 2003, 2005) et Guala et Mittone (2005) considèrent qu’il y a un compromis à trouver entre les deux types de validité. Heukelom (2009) tente de nuancer ce point de vue en montrant qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la validité interne et externe. Je ne rentrerai pas dans le détail d’une telle discussion. Mon objectif n’est pas de discuter des notions de validité interne et externe, mais de les utiliser comme critères afin d’examiner la randomisation du J-PAL. Et il se trouve que dans ce procédé expérimental précis et dans les postulats des différents chercheurs qui constituent le J-PAL, les notions de validité interne et externe entrent clairement en opposition, et semblent être deux objectifs antagonistes. L’ambition de ce livre, on l’a vu, est de rendre cela explicite. Mais cela ne signifie pas que la validité interne entre toujours en opposition avec la validité externe.

14 Voir Duflo 2012a.

15 Voir Sen 1982, 1992, 1999a, 1999b, 2009.

16 L’idée de nudge est développée par Cass Sunstein et Richard Thaler (2008) et vise à modifier l’architecture des choix, c’est-à-dire à orienter la prise de décision des individus. Sunstein et Thaler parlent de « paternalisme libertarien » (voir Sunstein et Thaler 2003a et 2003b).

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