Des forêts
|Chapitre IV. Description sommaire des travaux forestiers
§ 18. Dépenses de toute nature dues à la production, à la récolte et au transport des bois
Texte intégral
1Les dépenses de la production du bois varient, on le conçoit aisément, en raison de toutes les circonstances techniques et économiques dont les considérations précédentes font suffisamment apprécier l’influence. Le prix de vente varie encore davantage à raison de la somme entièrement variable que le propriétaire de la forêt prélève pour la location du sol. C’est ainsi que dans les Monts Ourals et dans plusieurs autres parties du Nord-Est de l’Europe, où jusqu’à ce jour le sol ne peut être employé à aucun autre usage qu’à la production des bois, où ceux-ci se reproduisent spontanément, et où par conséquent les propriétaires de mines qui emploient les forêts, n’attribuent aucune valeur au bois sur pied, les 1 000 kilogrammes de ligneux rendus aux usines toujours voisines des massifs boisés, sont ordinairement évalués dans la comptabilité de ces établissements à des prix intermédiaires entre 1F40 et 3F. Dans le Nord-Est de l’Europe, où le sol forestier a. toujours une assez grande valeur, où les principaux lieux de consommation sont ordinairement éloignés des forêts, le prix du bois est toujours beaucoup plus considérable. C’est ainsi par exemple que le ligneux du Morvan destiné à l’approvisionnement de Paris vaut moyennement sur pied dans les forêts 19F la tonne ; cette valeur est portée à 30F lorsque le ligneux est amené aux ruisseaux de flottage à 15 kilomètres de la forêt ; et 75F, lorsqu’il est rendu aux magasins de Paris, à 385 kilomètres environ des ports de flottage. Il est évidemment impossible de trouver un cas particulier qui puisse être présenté comme une moyenne entre des cas aussi différents ; mais pour préciser toutes les questions techniques et administratives que soulève l’économie forestière, il nous paraît utile de présenter pour un cas bien défini tous les éléments du prix de revient du ligneux. On prendra pour exemple un prix de revient ordinaire pour plusieurs localités alimentées par les plus grands massifs boisés de la région méridionale de l’Europe, où la valeur du sol forestier, et les conditions générales de la production, s’approchent de l’état moyen qui nous paraît devoir s’établir sur le continent européen, lorsque la civilisation et l’industrie s’y seront propagées d’une manière plus générale et plus uniforme. Ces éléments nous paraissent coordonnés sous la forme à la fois la plus complète et la plus simple dans le tableau ci-après : on y peut introduire aisément, en partant des résultats consignés dans le cours de cette notice, les modifications qui peuvent convenir à tout autre cas particulier.
2 [Le tableau annoncé par Le Play manque dans le manuscrit]
3 Le prix de revient du ligneux se compose donc en résumé des éléments indiqués ci-après :
Frais de production proprement dits | 2,501 |
Rente du terrain (à raison de 24 F par hectare et par an) | 8,000 |
Intérêts à 3 % sur le combustible accumulé | 12,720 |
Impôts sur le sol et sur l’industrie | 1,600 |
Bénéfices de l’industrie (compris dans la rente du terrain) | – |
Prix de transport à 100 kilomètres | 4,582 |
Total | 29,403 |
4La forme donnée au prix de revient du ligneux met en évidence plusieurs lois remarquables. Elle explique très bien la tendance de l’économie forestière dans les diverses contrées de l’Europe, et nous aidera plus loin à résoudre les questions si complexes, si délicates, que fait naître au point de vue de l’intérêt public, l’administration des forêts d’un grand empire.
5Nous pouvons dès à présent en déduire cette conclusion que la production de bois n’exige qu’une très modique consommation de matériaux de travail animal et de main-d’œuvre : dans une contrée où le sol, ainsi que le bois sur pied seraient sans valeur, où le terrain proprement dit serait exempt d’impôts, la tonne de ligneux dans les conditions moyennes précédemment admises, ne reviendrait qu’à 3F56, c’est-à-dire au prix que coûtent ordinairement en Europe les matières les plus communes, la pierre à bâtir, le sable, les matériaux de remblai, etc. À cet égard, ainsi qu’on le prouvera plus loin, la production du ligneux offre des avantages décidés sur celle du combustible minéral. Ainsi s’explique la supériorité que présentent pour la production des métaux la Scandinavie et la Sibérie, sur les plus riches bassins houillers de l’Europe occidentale : on comprend par exemple que les frais de production de la fonte de fer n’excèdent pas 28F par tonne dans plusieurs grandes usines de Sibérie, tandis que les mêmes prix descendent rarement à 40F dans les usines de Grande-Bretagne les mieux situées.
6Dans un pays où le terrain a acquis de la valeur, le bois possède lui-même avant la coupe une valeur intrinsèque formée de deux éléments qui correspondent, le premier à la rente du terrain, le second à la rente que produirait le placement du capital réalisé par la coupe à blanc de tout le bois existant dans la forêt. Dans les conditions moyennes de l’exemple précédent, où la rente attribuée au terrain est inférieure à celle qu’on peut ordinairement obtenir d’un sol médiocre pour l’agriculture perfectionnée de l’Europe occidentale, ces deux éléments de la valeur du bois montent à 20F72 et sont sextuplés des frais de production proprement dits ; il est donc évident que, dans le cours naturel des choses, la culture des bois n’est possible sur un terrain auquel l’agriculture pourrait donner une grande valeur, que dans le cas où le bois peut être vendu à un prix fort élevé. Toute législation qui pour empêcher l’élévation du prix du bois, interdit la conversion des forêts en cultures agricoles, a donc essentiellement pour résultat d’empêcher le sol consacré à la production du bois de prendre la même valeur que celui qui sert à produire les autres denrées.
7Le second élément de la valeur du bois augmente ou diminue avec la durée de l’aménagement et avec le taux de l’intérêt des capitaux dans la contrée. Il est toujours plus grand que le premier élément dans le système des futaies aménagées à long terme, il est toujours moindre dans le système des taillis. Pour que ces deux termes entrent pour une part égale dans la valeur du bois, il faut que le produit des deux nombres qui expriment d’une part le rapport du bois sur pied au produit annuel, de l’autre l’intérêt annuel de l’argent, soit égal à l’unité : ainsi l’intérêt de l’argent étant 0,05 il faudrait que le bois sur pied fut égal à 20 fois le produit annuel. Dans le cas admis précédemment, c’est-à-dire pour l’intérêt de 0,03 il faut que la quantité de bois sur pied soit égale à 33 1/3 fois le produit annuel. Si dans cette dernière hypothèse la valeur intrinsèque du bois restait toujours fixée à 20F72, les deux éléments se calculeraient comme suit :
8L’établissement du prix de revient met encore en évidence sous une nouvelle forme l’intérêt que nous avons déjà signalé et qui porte ordinairement le propriétaire de forêts à diminuer la durée des aménagements, malgré la réduction correspondante qui en résulte dans la force productive du sol. Si on suppose en effet que l’aménagement à 120 ans soit remplacé par un aménagement à 20 ans, impliquant l’existence d’une quantité de bois sur pied égale seulement à 10 fois le rendement annuel : le produit annuel en ligneux sera réduit de trois tonnes à une tonne au plus. Si on admet en outre que les autres conditions et notamment le prix de vente du bois restent invariables, le prix de revient et de vente de la tonne s’établira comme suit dans le nouveau mode de culture.
9 La rente du terrain par tonne ou le bénéfice du propriétaire se trouvera donc augmenté de 8F à 15F93 ; à la vérité la rente de l’hectare se trouvera réduite de 24F à 15F93 ; mais en balance de cet inconvénient le propriétaire a l’avantage très séduisant de réaliser pendant la période consacrée à la conversion des cultures un capital égal à 43 fois la récolte annuelle. Cette conversion présente en outre une autre chance très favorable au propriétaire : la conversion ayant réduit des deux tiers l’ancienne production de la forêt, la pénurie de bois qui en résulte, doit nécessairement amener une certaine augmentation sur le prix de cette matière ; il suffit que par cette cause le bénéfice par tonne soit augmenté de 50 %, pour que la conversion ait été sous tous les rapports avantageuse au propriétaire. Ainsi le propriétaire particulier sera intéressé à accomplir un changement qui, en augmentant considérablement le prix du combustible, réduira des 2/3 les ressources de la population et de l’industrie c’est-à-dire ce qu’on pourrait appeler les forces vives du pays.
10Dans les mêmes conditions le propriétaire ne sera jamais intéressé à opérer la conversion inverse ; celle-ci, à la vérité, triplerait les ressources d’une population et donnerait satisfaction à l’intérêt général, mais elle restreindrait pour le présent ou même supprimerait le revenu du propriétaire ; tandis que dans l’avenir elle diminuerait certainement le produit net pour chaque tonne de ligneux obtenu et peut-être même pour chaque hectare consacré à la culture des forêts.
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