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Des forêts

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Frédéric Le Play

Chapitre IV. Description sommaire des travaux forestiers

§ 14. Méthodes diverses employées pour la récolte et la reproduction du bois ; outils forestiers

Texte intégral

1La récolte du bois si intimement liée à la régénération de la forêt est toujours le trait le plus saillant de la culture forestière, et présente naturellement d’un système à l’autre de grandes variations. Nous allons d’abord énumérer rapidement les principaux modes employés dans la culture des futaies. Le système le plus employé en Europe consiste à enlever en une fois la totalité du bois contenu dans chaque coupe ; puis à laisser le réensemencement se produire au moyen des semences fournies par les massifs voisins. La reproduction s’opère ainsi d’une manière satisfaisante dans ces forêts à développement spontané qui abondent en Europe et que peuplent des essences à semence légère telles que la plupart des résineux, les bouleaux, les peupliers, les aulnes, les saules, les tilleuls, les érables, les ormes, etc. Le service de la reproduction et celui de l’abattage y réunissent au plus haut degré les principales conditions de simplicité, de bon ordre, et d’économie. À tous ces titres ce mode mérite, dans le cas où il peut être employé, la faveur dont il jouit. Elle (sic) est suivie presque exclusivement en Sibérie, dans la Russie d’Europe et en Scandinavie, c’est-à-dire dans toute la région septentrionale de l’Europe. On la retrouve fréquemment dans la région méridionale, particulièrement en Pologne, en Danemark, dans le nord et dans le centre de l’Allemagne, en Tyrol, en Illyrie, en Styrie et en Hongrie. Ce système nommé par les forestiers allemands kahlschlagwirtschaft (exploitation par coupes chauves) et par les forestiers français coupes à blanc étoc pourrait être nommé par excellence la méthode du Nord de l’Europe.

2Un second groupe de méthodes consiste à réserver ça et là sur la coupe un certain nombre d’arbres destinés d’abord à fournir de la semence au sol inférieur puis à préserver la jeune forêt contre l’action trop vive des vents et du soleil. Elles sont usitées dans la région méridionale de l’Europe, particulièrement sur les terrains où les sécheresses contrarient la germination des graines ; dans les forêts peuplées d’essences feuillues qui dans leur premier âge résistent moins aux gelées et aux vents trop froids ou trop secs que ne le font, dans la région septentrionale, le bouleau et les résineux ; enfin surtout pour les essences telles que le chêne, le hêtre et le châtaignier dont la semence lourde ne peut être entraînée par les vents à de grandes distances.

3La plus simple de ces méthodes consiste à enlever en une seule fois, comme dans le Nord de l’Europe, la totalité du bois que la coupe doit produire, en réservant un petit nombre d’arbres à semence, choisis parmi les espèces dont on veut favoriser la reproduction, et qui restent sur le sol pendant toute la durée de la révolution suivante. Telle est par exemple, l’ancienne méthode française caractérisée par une réserve de 20 arbres par hectare, et qui prescrite par le code forestier de 1669, a été appliquée aux forêts domaniales du royaume jusqu’à la promulgation du nouveau code en 1827. Nous l’avons vu pratiquée dans les autres parties de l’Europe, mais toujours en quelque sorte par exception et sans ce caractère général et réglementaire que lui avait donné l’ancienne loi française : c’est ainsi que dans les forêts de Sibérie, nous avons vu parfois réserver dans les coupes, les mélèzes, les pins cembro, les plus beaux pins sylvestres.

4Le type le plus complexe des mêmes méthodes est celui qui, depuis un siècle environ s’introduit régulièrement comme méthode classique, dans plusieurs districts forestiers de l’Allemagne. Le principe de cette méthode est de ne dégarnir le sol, lors de la première coupe, que juste autant que cela est nécessaire pour permettre le réensemencement naturel sur toute la surface de la coupe, et de laisser au contraire, le maximum d’abri que comporte cette condition ; c’est pour ce motif que les forestiers allemands désignent souvent l’ensemble de la méthode de la culture, d’après le caractère de cette coupe caractéristique, sous le nom de dunkel schlagwirtschaft (exploitation par coupe sombre). On enlève ensuite à plusieurs reprises une partie du bois sur pied, à mesure que le jeune bois prenant du développement et ayant moins besoin d’abri, exige plus d’espace et de lumière ; on enlève enfin toutes les dernières réserves quand la nouvelle forêt peut se suffire à elle-même. Ce système qu’on peut justement appeler la méthode allemande par suite de l’éclat avec lequel elle est professée par plusieurs écoles de ce pays, exige donc contrairement au caractère distinctif des méthodes précédemment signalées que l’on revienne au moins à trois reprises dans chaque coupe pour en extraire le bois. La plupart des forestiers de l’Allemagne et de la Hongrie s’accordent à reconnaître que depuis 40 ans environ cette méthode prend quelque développement dans leur pays. Il ne nous a pas paru cependant qu’elle y ait encore une importance proportionnée au renom qui lui a été fait par des écrivains célèbres. Nous l’avons rarement vu appliquer aux essences dominantes en Europe c’est-à-dire, au sapin épicéa et au pin sylvestre : elle s’est plus spécialement propagée dans les districts peuplés de chênes, de hêtres et de sapins argentés. La méthode allemande est vivement recommandée par l’école distinguée qui s’est développée à Nancy depuis 1827 : sous cette influence, faiblement appuyée par une indication de l’ordonnance réglementaire jointe au nouveau code forestier, cette méthode a déjà pris en France une certaine extension et tend chaque jour à se propager davantage dans les forêts domaniales. Sauf quelques tentatives faites en Pologne, en Danemark et dans le midi de la Suède, nous ne l’avons jamais trouvée en usage dans le reste de l’Europe.

5Enfin une troisième méthode, fondée comme la précédente sur le réensemencement naturel, établit pour ainsi dire en permanence dans chaque partie de la forêt, les coupes et les réserves. Elle consiste essentiellement à enlever ça et là chaque année, ou lorsque les besoins se manifestent, une quantité de bois à peu près égale à la production moyenne de la forêt. On coupe généralement pour en faire du combustible les bois de mauvaise venue ou détériorés par quelque accident : on prend comme bois d’œuvre les plus grands arbres ou ceux qui conviennent, par quelque cause spéciale, à l’objet qu’on a en vue. Dans ce système nommé par les forestiers français jardinage ou furetage, on a donc à la fois sur le même sol des bois de tous les âges, et le jeune bois se régénère surtout dans les lieux où se sont opérés les derniers abattages, à peu près dans les mêmes conditions que dans les coupes sombres de la méthode allemande. Cette méthode est fort répandue en France et en Allemagne. L’un de ses principaux avantages est de se prêter aux intermittences de la consommation et aussi aux coupes forcées que commandent diverses nécessités. Pour ce motif, elle convient souvent aux forêts des particuliers, des établissements publics et de diverses sortes de communautés qui, de loin en loin, indépendamment de la consommation courante, ont besoin de se créer des ressources extraordinaires. Les forestiers de la chaîne des Alpes depuis la frontière de France jusqu’à celle de Hongrie, sont généralement disposés à conserver les coupes par furetage dans les forêts d’arbres résineux dont la hauteur au-dessus de la mer dépasse 1 300 mètres et en général dans toutes les localités où, à raison de l’âpreté du climat et de la violence des vents, les jeunes arbres ne peuvent jamais se passer complètement de la protection d’arbres plus élevés. On remarque aujourd’hui une tendance prononcée dans les parties de l’Europe où les bois ont le plus de valeur, et où l’on attache le plus d’intérêt à la richesse forestière, à rendre la reproduction du bois indépendante du réensemencement spontané. C’est ainsi que les arbres isolés soumis à l’étêtage et à l’émondage, ou abandonnés à leur développement naturel, sont toujours dus à des semis artificiels ou à la transplantation de jeunes arbres élevés dans des pépinières. Des systèmes analogues sont suivis pour des forêts proprement dites, où la récolte du bois devient alors complètement indépendante de la reproduction. On pourrait distinguer dans la méthode forestière fondée sur un repeuplement artificiel des nuances encore plus variées que dans les méthodes qui admettent le réensemencement naturel. Toutefois, nous n’avons vu pratiquer sur une grande échelle que deux types principaux que nous décrirons sous le nom même des contrées où elles ont pris le plus de développement : toutes deux s’appliquent plus spécialement à l’essence dominante de l’Europe, le sapin épicéa.

6La méthode de Bohème et d’illyrie, consiste en une coupe à blanc étoc, pratiquée comme dans le Nord de l’Europe, et suivie d’un semis artificiel. L’abattage est ordinairement opéré par des bûcherons de la localité ; le réensemencement est au contraire confié à des ouvriers spéciaux venant chaque année de certains cantons de la Bohème qui, pourvus de semence récoltée dans leur pays, parcourent rapidement dans la saison des semis (avril et mai) les forêts de la monarchie autrichienne soumises à ce régime. Les brigades se composent ordinairement d’une trentaine d’ouvriers qui opèrent disposés sur deux lignes parallèles. Les ouvriers de la première ligne armés d’une sorte de houe pratiquent dans le sol végétal de petits trous espacés d’environ 0m90. Ceux de la seconde ligne, suivant constamment les précédents, déposent dans chaque trou une pincée de semence et la recouvrent de quelques millimètres de terre. Sur les terrains en pente où se cultive ordinairement le sapin épicéa en Bohème et en Illyrie, les ouvriers d’une même ligne se disposent selon la direction des courbes de niveau et s’avancent de la base au sommet de la montagne ; en sorte que le travail se fait successivement par bandes rectangulaires juxtaposées ayant pour largeur 30 mètres et pour hauteur le versant de la montagne. La dextérité des ouvriers bohémiens rend ce peuplement très expéditif et peu dispendieux : dans des conditions moyennes propres aux hautes montagnes de la Carinthie, il exige dix journées de travail et 20 kilogrammes de graine ailée, par hectare.

7La méthode du Hartz consiste également en une coupe à blanc étoc, puis en une plantation régulière de jeunes arbres préalablement élevés dans une pépinière. La première opération est pratiquée comme toujours par des bûcherons du pays ; la seconde est confiée aux jeunes filles du pays même, qui ne trouveraient guère, dans les habitudes de la contrée, d’autres moyens de travail, et qui se montrent d’ailleurs éminemment propres à une opération qui exige du soin et de l’adresse de main. Cinq ans environ avant l’année où, d’après la révolution adoptée (100 à 120 ans suivant l’habitation), le bois doit être récolté sur une coupe déterminée, on déblaie un petit espace au centre de la coupe et on y établit une pépinière, sur un sol soigneusement labouré. La graine recueillie régulièrement chaque année dans la coupe ou dans les massifs voisins est semée de manière que les jeunes brins lèvent aussi serrés que possible. La récolte de bois comprend à la fois l’abattage de la tige et l’extraction des racines : cette extraction peu difficile pour l’épicéa, permet un reboisement régulier, ameublit le sol, et fournit un ligneux dense éminemment propre à la fabrication du charbon. Dès que les coupes sont débarrassées de l’ancienne récolte, c’est-à-dire au premier printemps, on procède sans perte de temps à la plantation : à cet effet on enlève le plant à la houe par petites mottes que l’herbe rend adhérente qui contiennent trois à cinq brins et que l’on a grand soin de ne pas briser, puis on les plante dans des trous pratiqués en quinconce, au moyen de la houe, à une distance moyenne de 1m47. La dimension des coupes est tellement calculée que le transport du plant se (ill.) moyennement à une distance d’un millier de pas. Les plantations qui n’ont pu être effectuées du 15 avril au 15 juin se complètent pendant le mois de septembre ; en sorte qu’on peut consacrer chaque année trois mois à la régénération. Dans ce système, le travail de repeuplement exige environ 50 journées de travail par hectare. La reprise du jeune plant manque très rarement et l’année suivante, on n’a ordinairement à remplir qu’un très petit nombre de places vides.

8La récolte du bois dans les taillis présente beaucoup moins de variations que dans les futaies : dans certains taillis, et par exemple dans les macchie de la zone méditerranéenne, on coupe la totalité du bois ; ordinairement on réserve un certain nombre de brins qui fournissent un peu de semence et d’ombrage et qui restent debout pendant la durée d’une ou de deux autres révolutions : enfin dans les taillis composés où l’on veut produire des arbres de haute futaie, on donne une très grande attention aux arbres de divers âges qui doivent être abattus ou laissés debout, et on les signale aux bûcherons par des marques particulières appliquées sur l’écorce. Une exploitation intelligente réserve, en outre, dans tous les cas les jeunes brins de semence ou les rejets de souche de faible dimension : ceux-ci n’augmenteraient que d’une manière insignifiante le produit de la coupe, et donnent au contraire dans la révolution suivante des produits fort importants parce qu’ils croissent avec vigueur dès que le sol est débarrassé des arbres qui empêchaient leur essor. Dans les cultures par étêtage et par émondage la récolte de bois est encore plus simple et ne comporte guère d’un lieu à l’autre d’autre variation que l’intervalle établi entre deux coupes successives.

9L’outil forestier par excellence, le mieux adapté à la nature physique du bois, le seul avec lequel on puisse exécuter à la rigueur non seulement la récolte, mais encore toutes les élaborations du bois, est le simple tranchant agissant par le choc, la hache manœuvrée à une ou deux mains suivant la grandeur de l’effort à exercer, selon qu’il s’agit d’abattre des tiges de grosse dimension, ou seulement de couper de jeunes tiges et des rejets de médiocre dimension. La hache est non seulement l’outil le plus simple et le moins dispendieux qui se peut concevoir pour le travail du bois, c’est aussi celui dont l’entretien par l’ouvrier est le plus facile, dont le transport entraîne le moins d’embarras. Enfin il admet le travail individuel même pour l’abattage et la façon des arbres de la plus grande dimension. À tous ces titres la hache est en général l’instrument de prédilection des bûcherons qui exécutent presque toujours à la tâche le travail de l’abattage, à la condition de pourvoir eux-mêmes à leur outillage. Armé seulement de sa hache et suivi d’un cheval qui porte la provision de céréales et qui trouve sa nourriture dans les forêts, le paysan sibérien quitte souvent sa demeure pour une saison entière. Il pénètre dans les forêts vierges, s’y crée un abri contre les rigueurs du climat, prépare du bois de feu, du bois d’œuvre ou du charbon, construit selon la saison un chariot ou un traîneau, et transporte aux lieux de consommation, et surtout dans les grandes forges du pays le produit de son industrie. C’est encore avec sa hache qu’il se défend au besoin contre les animaux féroces, qu’il construit et décore la demeure de sa famille, qu’il fabrique son mobilier et les menus ustensiles de l’économie domestique. L’esprit humain ne peut imaginer en fait d’outillage rien qui réunisse au même degré la simplicité et la fécondité. Les métallurgistes suédois et anglais, en combinant leurs efforts, parviennent maintenant à fabriquer à bon prix en acier fondu des tranchants incomparablement plus durs et plus inaltérables que tous ceux qu’on produisait précédemment ; sous ce rapport ils rendront à l’humanité un service inappréciable en doublant pour ainsi dire la force de la population si laborieuse, si utile, sur laquelle retombe le poids des travaux forestiers.

10Mais le propre de la civilisation est de rendre moins nécessaire dans les travaux industriels la simplicité de l’outillage. La métallurgie qui a mission de fabriquer les principaux outils, parvient chaque jour à réduire dans une proportion inespérée les prix des instruments les plus complexes ; et la question du prix d’achat étant écartée, l’outil par excellence pour chaque travail n’est pas nécessairement le plus simple, mais bien celui qui assure à l’homme le meilleur emploi de sa force.

11À ce point de vue, la scie tend chaque jour à prendre une plus grande place dans les travaux forestiers. Elle offre une supériorité décidée sur la hache pour l’abattage et le débit en tronçons des arbres de grande dimension. Des expériences suivies avec persévérance ont prouvé que deux hommes associés pour manœuvrer une scie agissant dans un plan horizontal abattent dans toutes les conditions plus de bois qu’en se servant de la hache. La scie qui ne disperse à l’état de sciure qu’une portion insensible de la matière ligneuse offre encore, eu égard au bon emploi de celle-ci, un avantage décidé. En abattant un arbre de grande dimension et en le débitant en tronçons, l’ouvrier ne peut faire pénétrer le tranchant de la hache au cœur de l’arbre, qu’en pratiquant une large entaille de forme angulaire qui convertit en copeaux de nulle valeur une grande partie du bois : la nature de l’effort exigé par chaque outil, veut d’ailleurs que l’entaille faite à la hache soit plus élevée au dessus du sol que celle qui se peut faire à la scie ; dans les forêts du Nord de l’Europe, où les bûcherons tendent à épargner autant que possible leur peine aux dépens de la matière ligneuse, on perd souvent ainsi, sur plus d’un mètre de hauteur, la partie inférieure de la tige ; ainsi avons-nous souvent calculé que l’emploi de la hache pour la préparation du bois à charbon y entraînait la perte d’un huitième sur le produit total d’une coupe de bois. Mais pour réunir tous ces avantages, il faut que la scie soit construite avec une grande précision, que l’épaisseur de l’acier, la forme, la grandeur et l’écartement et l’affûtage de diverses sortes de dents soient parfaitement appropriés à la nature et à la grosseur des arbres, à l’époque de l’année où se fait l’abattage, etc. Un mauvais choix d’instrument laisserait à une hache médiocre, ainsi qu’on l’a souvent constaté, une grande supériorité.

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