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Des forêts

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Frédéric Le Play

Premier chapitre. Considérations préliminaires

§ 3. Nécessité des produits forestiers

Texte intégral

1Pour comprendre l’utilité sociale des bois et des autres produits forestiers, il faut d’abord considérer qu’ils pourvoient spécialement à ce qu’on pourrait nommer la troisième condition d’existence des sociétés, l’habitation, de même que les deux premières conditions, la nourriture et le vêtement sont plus particulièrement remplies par les produits de l’agriculture. Les bois sont les seuls matériaux qu’emploient d’abord pour cet usage les sociétés qui se développent à proximité des régions boisées ; dans la civilisation la plus avancée, où se manifeste déjà la pénurie des bois, ceux-ci jouent encore dans la construction des habitations un rôle fort important. Les bois sont la matière par excellence pour la construction des véhicules employés au transport des produits de l’industrie humaine ; sur la plus grande partie de la surface du globe, les chariots pour le tirage sur la terre, les traîneaux pour le trajet sur la neige et les eaux glacées, les bateaux propres au transport sur les eaux liquides sont à peu près exclusivement construits avec des bois. Enfin le bois est encore une matière usuellement employée pour la façon du mobilier dont l’homme s’entoure dans ses habitations, et de l’outillage à l’aide duquel il domine les agents naturels et prend pour ainsi dire possession de sa planète. Les arbres viennent encore assister la civilisation en lui fournissant une multitude de matières dont cette notice ne saurait renfermer l’énumération complète ; tels sont : des aliments précieux, des matières textiles, des enduits imperméables à l’humidité, des huiles, des matières tinctoriales, des médicaments, des parfums, etc. Ces produits sont tellement variés que l’on pourrait imaginer un état de civilisation assez avancé, qui sans autre concours étranger que celui des métaux, serait exclusivement fondé sur la culture des forêts.

2Pour la plupart de ces usages, l’emploi des produits forestiers est absolument indispensable au progrès et même au maintien de la civilisation. Il faut reconnaître cependant que le progrès des arts industriels et la pénurie causée à diverses époques, chez beaucoup de peuples, par une mauvaise administration des forêts, ont conduit à remplacer parfois sans inconvénient notable, souvent avec grand succès, le bois par d’autres produits. C’est ainsi que l’on a graduellement substitué au bois, dans les constructions, dans le matériel des transports, dans le mobilier et l’outillage, les pierres, les terres cuites, le verre et les métaux.

3Mais la principale utilité qui s’attache à l’emploi du bois résulte de ce que celui-ci est jusqu’à ce jour le seul moyen économique dont les sociétés humaines puissent disposer pour produire la chaleur, l’un des agents physiques les plus indispensables à leur existence. Le bois est le combustible par excellence : c’est à vrai dire le combustible unique, car les populations rares qui privées de forêts brûlent des végétaux herbacés ou des produits animaux sont complètement en dehors des conditions essentielles de la civilisation.

4Ici toutefois vient se placer une distinction essentielle à l’intelligence des questions techniques et administratives qui se rattachent aux forêts. Il existe dans l’écorce solide du globe des dépôts de végétaux forestiers formés à des périodes géologiques antérieures à la période humaine, sous l’influence de causes analogues à celles que nous voyons encore agir en certains points de la surface du globe. Ces combustibles, en raison de leurs gisements et des modifications survenues depuis l’époque de leur formation dans leur composition chimique et surtout dans leurs propriétés physiques, ont été très convenablement, à beaucoup d’égards, distingués du bois sous le nom de combustibles minéraux ou de houilles. Cependant au point de vue philosophique, ce ne sont que des combustibles végétaux qui au lieu de se résoudre en gaz au terme de leur existence, et de retourner à l’atmosphère, comme tous les êtres vivants qui ont successivement paru à la surface de la planète, ont été en quelque sorte emmagasinés à une faible profondeur au-dessous de cette surface. Ces magasins, ou en d’autres termes, les mines de houille, sont incomparablement plus riches en combustibles que les forêts actuelles ; mais en balance de cet avantage les ressources qu’elles fournissent s’épuiseront un jour, tandis que l’homme disposera toujours de la production des forêts. Pendant longtemps les sociétés ont négligé les combustibles minéraux mais depuis plusieurs siècles, leur emploi ne cesse de se propager, soit pour des usages entièrement nouveaux, soit pour ceux où l’on croyait pouvoir n’admettre que le combustible végétal. C’est au XIXe surtout que reviendra l’honneur d’avoir mis en complète évidence les avantages que la civilisation doit retirer des combustibles minéraux. L’emploi de ce combustible dans l’économie domestique, en métallurgie et dans les autres arts qui exigent le concours de la chaleur, l’application de la machine à vapeur à toutes les opérations mécaniques et surtout à l’industrie des transports ouvrent à l’humanité une ère de puissance et de bien-être qui devra justement s’appeler l’âge de la houille. La consommation de la houille dans un avenir prochain deviendra incomparablement plus considérable et plus générale qu’elle ne l’est aujourd’hui. Cependant l’importance des forêts ne se trouvera nullement diminuée : loin de là, cette importance augmentera en proportion de l’essor imprimé à la civilisation par l’extraction des combustibles minéraux. Ainsi qu’on l’indiquait précédemment, les forêts indépendamment des produits matériels qu’on en tire, sont le moyen le plus puissant dont l’homme puisse disposer pour perfectionner la météorologie et l’hydrographie de la planète, pour accroître la fertilité et l’étendue du domaine agricole. C’est seulement à l’aide des forêts qu’il pourra entreprendre de rendre habitables les vastes déserts qui déshonorent aujourd’hui la surface de la terre, qui repoussant la civilisation de continents entiers, et qui, introduisant dans la météorologie du globe une cause constante de brusques perturbations, étendent sur toutes les autres régions leur désastreuse influence. Nous entrons évidemment dans une ère nouvelle où les nations européennes qui donnent l’impulsion aux autres peuples, ne voudront pas plus laisser subsister les déserts sur les territoires étrangers qu’elles ne conservent aujourd’hui de terres incultes sur leur propre territoire. Sous ce rapport seulement, la houille en donnant à l’homme, une puissance qu’on n’eût pu soupçonner il y a un siècle et dont l’esprit ne peut plus maintenant apprécier les limites, a assuré à l’art forestier une importance qu’il n’avait point eue jusqu’à ce jour. En outre pour tous les emplois autres que la production de la chaleur, la consommation du bois doit s’étendre dans toutes les contrées largement pourvues de forêts ; sur une grande partie de la surface du globe, le bois sera toujours le seul combustible dont les populations puissent faire usage. Enfin, dans un avenir plus ou moins éloigné, il faudra progressivement redemander aux forêts, une partie du combustible que les mines de houille ne pourront plus fournir.

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