La Grande Encyclopédie (Berthelot, 1900) Définition : « Revue »

1Note : le mot magazine ne fait pas l’objet d’une définition – il est accompagné d’un simple renvoi au mot revue.

2 Revue. Littérature – Les revues sont des recueils paraissant à date fixe, ordinairement mensuels ou hebdomadaires, jamais quotidiens. Outre cette différence avec les journaux proprement dits, qui se publient généralement tous les jours, la revue s’en écarte encore par ses dimensions généralement plus considérables et sa forme extérieure qui est celle du livre de grand format. Ces dissemblances sont insignifiantes en soi. Elles n’en restent pas moins caractéristiques en ce qu’elles indiquent que la revue et le journal ne visent pas au même but et s’adressent à un public différent. Le journal se pique surtout de renseigner rapidement ses lecteurs sur tous les faits du jour. Ses articles, même les plus soignés, retiendront toujours quelque chose de l’information pure et simple. En fait, dans la presse d’aujourd’hui, l’article de doctrine se fait plus rare de jour en jour : les dépêches, les comptes rendus rapides, l’exposé plus ou moins impartial de doctrines contradictoires l’ont presque entièrement remplacé. Plus que jamais l’actualité doit rester le souci du journaliste. Au hasard des circonstances tout lui deviendra matière à article, mais il lui sera interdit de s’appesantir trop longtemps sur le même sujet. Il lui est permis d’être universel et compétent sur tout. Mais comme il s’adresse à tout le monde, il lui faut, pour plaire à tous, toucher agréablement à toutes les questions sans les approfondir. Ce n’est pas dans leur journal que les professionnels de n’importe quel ordre iront chercher des renseignements sûrs ou des lumières nouvelles sur ce qui fait l’objet de leurs études. Au contraire, une revue a son public à elle, relativement restreint, bien distinct des autres. Comme elle se lit à tête reposée, ainsi qu’un livre, aux instants de loisir, elle peut accueillir de longs articles, complets, documentés et rédigés par des hommes bien au courant de la question qu’ils traitent. Comme elle paraît à intervalles éloignés, ses rédacteurs auront toujours le temps de méditer leur travail et d’écrire à leur aise. De plus, souvent ces articles sont indépendants des événements du jour. Fussent-ils inspirés par l’actualité, on n’y tolérerait point les erreurs de tout genre qui déparent ceux des journaux les plus sérieusement rédigés. Le public ne s’aperçoit point de ces imperfections. La feuille à peine lue est jetée au loin : l’article n’a fait que passer entre les mains. Qui voudrait conserver la collection d’un journal et qui s’aviserait de la lire ? C’est assez que nous en ayons tiré, en son temps, quelques renseignements sur les faits du jour. Au contraire, les revues prennent place dans les bibliothèques. Elles publient continuellement des œuvres de longue haleine, romans, mémoires ou travaux importants, dont l’intérêt est considérable. Celles qui ne donnent même que des articles assez courts savent assez bien les approprier aux goûts et aux occupations de leur public pour que personne ne soit tenté de se priver de ces renseignements précieux. Il est des revues de plusieurs espèces. Les unes, comme par exemple la Revue des deux mondes, traitent tous les sujets. Leur ambition est de s’adresser à tout homme cultivé et de s’occuper tour à tour de tout ce qui peut intéresser ce public d’élite. Politique, littérature, économie sociale, beaux-arts, sciences, tout cela paraît tour à tour dans leurs colonnes ; ces revues sont en quelque sorte de véritables encyclopédies des connaissances humaines. Ce sont celles qui se rapprochent le plus des journaux, celles aussi où le directeur exerce l’influence la plus immédiate. Il est nécessaire de savoir choisir avec discernement les divers articles de chaque numéro. Il faut savoir écarter les questions trop particulières ou les discussions techniques qui rebuteraient la masse des lecteurs. Celles-ci sont du domaine des revues spéciales qui constituent la deuxième espèce. Ici le domaine où les rédacteurs vont exercer leur activité est étroitement délimité. Une de ces revues traitera exclusivement des sciences en général, ou de tel ordre de sciences, ou d’une science, ou bien encore d’une partie de cette science. Il y aura des revues ainsi comprises pour toutes les branches des connaissances et des arts : histoire, géographie, mathématiques, chimie, peinture, musique, archéologie, linguistique, etc. C’est dans les recueils de cette nature que se publient, plus souvent peut-être qu’en volume, les travaux les plus profonds et les plus originaux, surtout s’il s’agit de sciences très spéciales. Tous ceux qui s’y intéressent en deviennent en quelque sorte les collaborateurs aussi bien que les lecteurs. Aussi la discussion devant ce public restreint, mais supérieur, peut-elle s’élever à de grandes hauteurs, aborder facilement en tout cas les problèmes les plus ardus et les plus difficiles. Dans un ordre d’idées un peu plus étroit, mais tout près de celles-ci, prendront place les revues que l’on peut dire professionnelles. Celles-ci visent surtout à l’utilité pratique. Elles sont pour ainsi dire de véritables manuels de chaque art ou de chaque profession. Indispensables à tous ceux qui les exercent pour se tenir au courant des procédés nouveaux, des découvertes intéressantes, elles sont généralement prospères, et si leur existence sans éclat reste ignorée du grand public, elles n’en sont pas moins utiles. D’autres revues ne s’occupent point de fournir à leurs lecteurs des articles instructifs ou divertissants sur différents sujets. Elles se bornent à publier à la fois plusieurs œuvres littéraires, romans ou nouvelles, composés spécialement pour elles ou choisis avec soin dans la production courante. On réserve le nom de magazine à ce genre de revues, spécialement prospères en Angleterre et en Allemagne. La plupart, d’ailleurs, font aussi dans leur texte une part aux articles généraux, aux variétés, aux chroniques. Mais pour les lecteurs de ces feuilles, les romans qu’elles donnent constituent l’attrait principal. Presque tous les magazines sont en outre illustrés. Enfin il est une dernière variété qui depuis quelques années a pris en France une grande importance. C’est ce que l’on appelle les petites revues. Celles-ci ne se distinguent pas tant des autres par leur aspect ni par leur format que par leur mode de publication et le but que se proposent leurs fondateurs. Les petites revues sont pour l’ordinaire l’organe de quelques jeunes littérateurs débutants, soucieux, avant tout, de s’assurer un moyen commode de faire paraître leurs œuvres. Réunis en un certain nombre, ils font les frais de la publication au moyen de cotisations mensuelles généralement fort modestes. Ils en constituent à eux seuls la rédaction et y insèrent une foule de productions que leur caractère écarterait des revues régulières. Les vers, tout particulièrement les poèmes modernes et ultra-modernes, en prose ou en vers libres, que les éditeurs accueillent difficilement, trouvent là leur terrain de prédilection. Les petites revues appartiennent aux poètes. On les a beaucoup raillés [sic]. Cependant depuis qu’un certain nombre de leurs collaborateurs ont pris rang parmi les écrivains classés, on se montre moins dédaigneux pour elles. Quelques-unes sont florissantes d’ailleurs, et comptent un public d’abonnés assez considérable pour que leur existence soit convenablement assurée. Au point de vue matériel, l’organisation intérieure d’une revue, quelle qu’elle soit, ne diffère de celle d’un journal quotidien que par plus de simplicité […]. La direction, l’administration et la rédaction s’y confondent très souvent en une seule personne, et il est rare qu’il y ait un grand nombre de rédacteurs à poste fixe. Le directeur s’occupe à la fois de la partie commerciale et administrative, réduite ici à un minimum, et des questions de publicité, généralement traitées à part sur la couverture de la revue ou sur un certain nombre de pages accessoires qui ne font pas corps avec le texte. Mais c’est la rédaction qui doit surtout attirer son attention. Si la publicité et les affaires sont pour un journal quotidien une importante source de revenus, pour les revues elles seraient une ressource insignifiante. C’est l’intérêt de ce qu’elle contient [sic] qui déterminera l’abonnement ou la vente. Il faut donc que le directeur d’une revue sache nettement à qui il entend s’adresser et qu’il écarte résolument tous les articles qui, tout en offrant une certaine valeur, pourraient ne pas plaire à sa clientèle de lecteurs. Les revues spéciales sont pour cela les plus faciles à diriger. Pour les autres, le travail se complique d’autant plus que les collaborateurs d’une revue changent à chaque instant. Aucune ne compte de rédacteur en titre, en dehors de quelques-uns chargés d’un service spécial. Tels la critique dramatique ou musicale, la critique littéraire, les comptes rendus politiques du mois ou de la quinzaine, la revue financière, etc. Comme la variété des articles est un des meilleurs éléments de succès, le directeur doit faire bon accueil à tous les nouveaux venus et prendre la peine de juger par lui-même les travaux qu’ils lui apportent. Un secrétaire de rédaction peut l’aider dans cette tâche en opérant une première sélection parmi les manuscrits ; mais il est rare que le directeur ne se prononce pas en dernier ressort. Cependant pour quelques écrivains dont la manière et le talent lui sont personnellement connus, il arrive quelquefois que la direction s’engage par traité à accepter d’avance un certain nombre d’articles. Mais c’est tout à fait exceptionnel. À la différence des journaux où les rédacteurs sont ordinairement rémunérés au mois ou à la ligne, les articles de revues se payent à la page, quelquefois, dans de très grandes revues, à la feuille d’impression. Le prix moyen varie de 6 à 20 fr. la page, mais le format, la justification, les caractères employés en font varier considérablement le contenu. En somme, en France du moins, la rétribution des écrivains de revues est assez modeste. On s’accorde généralement à faire de l’Angleterre la patrie des revues. Cela est fort exact si l’on s’attache exclusivement au mot, mais la chose avait existé ailleurs auparavant. Des publications telles que le Mercure de France et le Mercure galant étaient de véritables revues, tout au moins des recueils plus près de la revue que du journal. Ce n’est guère que depuis que les journaux sont devenus quotidiens que la différence s’est faite. Quoi qu’il en soit, le mot de revue semble avoir été employé pour la première fois en Angleterre ; la Monthly Review et la Critical Review, fondées l’une en 1749, l’autre en 1756, sont les vénérables ancêtres de nos modernes périodiques. Leur succès fut assez médiocre et le genre ne prit faveur chez nos voisins qu’après la fondation de la célèbre Edinborough Review [sic], qui parut en 1802. Successivement suivirent la Quarterly Review (1809), la Foreign Quarterly Review (1824), la Westminster Review (1827), London Review (1835), New Quarterly Review (1852), etc. La plupart de ces revues existent encore à l’époque actuelle : elles ont exercé sur le développement intellectuel et politique de l’Angleterre une influence considérable. À côté de ces puissants organes, d’innombrables magazines distribuent aux Anglais la littérature qui leur est la plus nécessaire. Cette forme, à laquelle les Français restent rebelles, est celle que préfèrent nos voisins : l’assimilation d’un roman leur semble aisée par l’intermédiaire d’un magazine hebdomadaire ou mensuel. C’est pour eux l’équivalent des feuilletons des journaux français, usage que n’ont pas accepté les grands quotidiens d’outre-Manche. En France, la première revue en date est la Revue philosophique (1804). Vinrent ensuite la Revue encyclopédique (1818), la Revue britannique (1825). La Revue de Paris (1829) et La Revue des deux mondes (1829) ont été des organes plus littéraires que politiques. La première, fondée par le Dr Véron et dont le titre fut plusieurs fois repris depuis, a servi d’organe à toute la jeune littérature de son temps : Balzac, Dumas, Musset, Sainte-Beuve, George Sand, bien d’autres encore y ont publié diverses œuvres. Cette première période se termine en 1845. La revue renaît en 1852. Gustave Flaubert et Louis Bouilhet furent les héros de cette période. La Revue des deux mondes, fondée par Buloz […] est à peu près la seule qui depuis sa fondation ait paru sans interruption, et conservant toujours, à peine modifiés, l’esprit et la tradition du créateur. Il serait assez inutile de poursuivre l’énumération des diverses revues qui paraissent de nos jours. Du moins faudrait-il alors esquisser l’histoire et les vicissitudes de chacune. Car le titre est peu significatif par lui-même. Souvent repris, il a désigné, à diverses époques, des publications qui n’avaient rien de commun entre elles, et telle revue qui de nos jours porte le nom d’une ancienne n’en est en aucune façon l’héritière. Il serait encore plus difficile de se reconnaître dans l’innombrable foule des périodiques qui s’adressent à un public spécial. Nés de besoins qui se multiplient chaque jour, ceux-ci se multiplient et se transforment très vite. Chaque industrie nouvelle, chaque progrès des sciences amène la création d’une ou plusieurs revues. Pour les hommes d’études qui ont besoin de se tenir au courant, c’est même un véritable travail que de suivre tous les mémoires, souvent d’un intérêt capital, publiés en chaque pays sur les questions qui leur importent. Une bibliographie générale de tous les articles publiés dans toutes les revues et souvent ignorés de tous si la publication en remonte à quelques années est un des desiderata de la science contemporaine. Il est fâcheux que l’extrême complication d’un tel travail en ait jusqu’à présent retardé l’exécution.

3 H. Quittard