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    Plan détaillé Texte intégral Difficultés et justifications d’un travail philosophique sur le libéralismeLe libéralisme et la question de la normativité juridique : un biais privilégié pour l’entreprise d’élucidationAcquis de la recherche : quelques perspectives synthétiques Notes de bas de page Auteur

    Le libéralisme au miroir du droit

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Introduction

    Le libéralisme et la question du droit

    Blaise Bachofen

    p. 7-27

    Texte intégral Difficultés et justifications d’un travail philosophique sur le libéralismeLe libéralisme et la question de la normativité juridique : un biais privilégié pour l’entreprise d’élucidationAcquis de la recherche : quelques perspectives synthétiques Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Difficultés et justifications d’un travail philosophique sur le libéralisme

    1Le libéralisme peut-il être un objet d’étude philosophique ? On pourrait considérer que la présence envahissante de ce vocable dans le débat public l’a tellement galvaudé qu’il a été absorbé dans le registre du discours doxique, perdant en contenu conceptuel ce qu’il gagnait en (im) popularité. Le libéralisme serait alors devenu un terme à éviter pour qui veut penser philosophiquement, tant il devient difficile de dégager, à son propos, les caractéristiques claires et distinctes qu’exige la rigueur d’un discours méthodique.

    2Ces premières raisons de regarder avec scepticisme l’entreprise visant à appréhender philosophiquement cette notion semblent d’ailleurs corroborées par l’histoire même du vocable. Dans les années 1810-1820, le terme « libéral » est utilisé en un sens entièrement nouveau, distinct de son sens ancien synonyme de « généreux ». Ce nouvel usage du mot apparaît d’abord en Espagne, dans l’assemblée des Cortès formée en 1810, où s’aff rontent les traditionalistes, désignés comme « constitutionnalistes historiques », et les radicaux, admirateurs de la Révolution française, qui se baptisent liberales. Il est ensuite utilisé en France à partir des années 1820 pour désigner l’opposition parlementaire modérée à la politique autoritaire de la Restauration. En Angleterre, les whigs, situés traditionnellement à la gauche des tories conservateurs, adoptent le nom de liberals vers le milieu du xixe siècle1. Dans ce moment fondateur, la mouvance politique qui se désigne elle-même comme « libérale » s’autoqualifie pour ainsi dire sur le mode du slogan en se réclamant de ce que Friedrich Hayek nommera plus tard la « tradition de la liberté »2, ou de ce qu’Adam Smith nommait dès le xviiie siècle le « système de la liberté »3.

    3L’usage politique, polémique, et qui plus est daté, de ce terme en ferait donc un objet documentaire, voire un leurre idéologique, mais non un concept philosophique. De fait, les avatars du terme depuis ses premiers usages politiques témoignent des sollicitations et des variations plus ou moins aléatoires qu’il a subies et qui contribuent à faire obstacle à son usage rigoureux. On doit ainsi noter qu’il a connu des destins en partie contradictoires selon que l’on se situait d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique. L’explication de cette évolution est à chercher dans l’usage anglais du terme, d’abord en Grande-Bretagne, puis aux États-Unis. Le libéralisme étant à l’origine situé plutôt à gauche de l’éventail politique en Grande-Bretagne comme ailleurs en Europe, le terme a ensuite continué à désigner en anglais américain un courant « de gauche », se diluant même en définitive dans une acception aussi large et mouvante que le terme « gauche » en général4 : lorsque, à la fin du xixe siècle, les liberals anglais (les anciens whigs) eurent gagné leurs principaux combats relatifs à l’organisation politico-juridique du régime et subirent la pression des doctrines socialistes sur leur gauche, ils adoptèrent certains éléments d’un programme de législation redistributrice. De là vient le sens donné autour de 1900 au mot liberal en Angleterre (celui dont se revendiquait le new liberalism, théorisé notamment par Leonard T. Hobhouse), sens qui fut adopté et conservé jusqu’à nos jours dans le vocabulaire américain5. Cette redéfinition progressive des enjeux des luttes politiques, notamment l’importance de plus en plus grande accordée aux enjeux économiques et sociaux, a conduit à introduire une distinction entre libéralisme « politique » et libéralisme « économique »6.

    4On pourrait, de ces quelques remarques préliminaires, conclure à l’absence de pertinence de tout usage du terme libéralisme comme concept philosophiquement consistant. Il serait plus rigoureux de prendre conscience de ce que Marcel Gauchet nomme la « vague, plate et fausse “évidence” » du libéralisme7, voire de considérer, comme Didier Deleule, que « l’unité du libéralisme est un mythe »8. Et il faudrait donc, à la limite, se résoudre à décrire chaque doctrine séparément, en distinguant pour ainsi dire autant de libéralismes qu’il y a de libéraux, en se gardant en outre d’utiliser le terme pour qualifier des auteurs ne se réclamant pas eux-mêmes explicitement de ce vocable, a fortiori des auteurs qui écrivent antérieurement à l’apparition du terme dans son sens contemporain.

    5Sans nier les difficultés soulevées par ces différentes remarques, ni leur caractère partiellement irréductible, il nous paraît à la fois possible et nécessaire de conduire un travail philosophique sur la notion générique de libéralisme. D’abord la polysémie du terme et sa contamination par des déterminations polémiques et idéologiques ne sont pas nécessairement rédhibitoires : à ne vouloir travailler que sur des concepts parfaitement clairs et distincts, on risque de laisser hors du champ de l’analyse philosophique la quasi-totalité du champ lexical des langues naturelles. Comme le remarque Spinoza dans le Traité de la réforme de l’entendement, « les mots ont été créés arbitrairement et suivant le niveau du vulgaire », c’est pourquoi ils « peuvent être la cause d’erreurs graves et multiples, à moins que nous ne nous mettions en garde très vigoureusement contre eux »9. Cela vaut avertissement : la philosophie doit entretenir un rapport suspicieux et critique à l’égard des langues naturelles. Mais cela n’implique pas que la philosophie doive renoncer à penser à partir des langues naturelles et avec les ressources qu’elles offrent. C’est même peut-être ce qui fait sa tâche la plus fondamentale. Kant a clairement analysé ce rapport de la philosophie à la langue naturelle, qui est à la fois la seule langue qu’elle puisse parler et un obstacle aux exigences de clarté et de distinction qui la caractérisent :

    En philosophie on ne doit pas imiter la mathématique en commençant par les définitions, à moins que ce ne soit à titre de simples essais. En effet, comme ces définitions ne sont que des analyses de concepts donnés, nous avons d’abord ces concepts, bien qu’ils ne soient encore que confus, et l’exposition imparfaite précède l’exposition parfaite de telle sorte que, de quelques caractères, que nous avons tirés d’une analyse encore incomplète, nous pouvons en conclure encore plusieurs autres, avant d’être arrivés à l’exposition parfaite, c’est-à-dire à la définition.10

    6Pour la philosophie, en tant qu’elle n’est pas une science spécialisée dans un domaine de l’être, qui userait pour ce faire d’une langue savante artificielle, s’engager dans le travail sur les concepts, c’est s’engager dans une confusion originellement donnée comme l’état brut de la question et chercher à y introduire tendanciellement de l’ordre – sans que ce travail puisse jamais être réputé achevé.

    7Ensuite le caractère historiquement déterminé d’un terme ne signifie pas que son sens et son usage pertinents doivent se réduire à un registre documentaire. Nous pourrions nous en tenir ici à des arguments d’autorité : outre les multiples exemples d’usage large et anachronique du terme, on peut rappeler l’importance que de nombreux philosophes ou historiens des idées accordent à un travail archéologique sur le concept de libéralisme11. Mais cette position doit être justifiée sur le fond.

    8D’abord, l’argument même de la fortune linguistique du terme, fortune suspecte en raison des sollicitations peu rigoureuses qu’elle a pu impliquer, peut être retourné pour montrer précisément la nécessité de s’y intéresser : le succès linguistique d’un terme est toujours le symptôme de l’émergence d’un nouvel état de la pensée12, qui constitue un objet auquel la philosophie a pour devoir de s’affronter, fût-ce au risque de s’aventurer dans des terrains mouvants. Par ailleurs, il est évident que l’idée libérale n’a pas pu naître ex nihilo au début du xixe siècle, au moment où elle a reçu un nom consacré par l’usage : cette émergence explicite du concept dans le lexique est préparée de longue date par une élaboration de ses éléments constitutifs, elle est le fruit d’une invention progressive identifiable dès le xviie siècle, si ce n’est dès le xvie siècle. Aussi est-il concevable d’étudier un libéralisme avant le libéralisme13. On peut même considérer que la période de cette élaboration est particulièrement intéressante à observer, puisque c’est dans ce moment de gestation que peut être identifié un déplacement des idées, des schèmes discursifs et des pratiques. Lorsqu’un édifice est achevé, lorsque sont recouvertes les fondations, ôtés les échafaudages, lorsque les façades sont peintes et les ouvertures occultées par les portes et les fenêtres, c’est alors sans doute que l’on discerne le moins bien le travail des architectes et des bâtisseurs – même si c’est à ce moment-là seulement que l’on voit où ils voulaient en venir. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’accorder au moins autant d’importance à des auteurs situés en amont de l’apparition du terme « libéralisme » (aux xviie et xviiie siècles) qu’en aval (aux xixe et xxe siècles).

    Le libéralisme et la question de la normativité juridique : un biais privilégié pour l’entreprise d’élucidation

    9Ces premières remarques ont pour objet d’écarter de possibles objections invalidant a priori toute tentative de cerner la consistance conceptuelle du libéralisme ; elles ne permettent pas pour autant d’affirmer que cette entreprise soit nécessairement fructueuse, elles en soulignent au contraire la difficulté. Il n’est pas impossible que nous nous trouvions effectivement face à un objet en définitive tellement protéiforme qu’il en deviendrait insaisissable ; et que la fortune du terme, son usage rétrospectif, sa présence envahissante dans le champ du débat public, recouvrent en réalité des malentendus irréductibles : la croyance en l’existence d’un contenu de signification identifiable se verrait démentie par un travail approfondi sur les doctrines habituellement associées au libéralisme. Il est possible aussi que ce caractère protéiforme de la notion reste circonscrit dans le champ d’une série de variations autour d’un noyau de significations effectivement identifiables et relativement permanentes. Notre choix est de ne rien préjuger quant à l’issue de la recherche, mais au contraire de mener celle-ci de façon à mettre précisément à l’épreuve ces différentes hypothèses14. Il ne s’agit donc pas ici d’énoncer préalablement l’ensemble des caractéristiques que l’on supposerait évidemment constitutives du libéralisme, encore moins de théoriser un libéralisme « orthodoxe »15 : ce serait, pour reprendre les termes de Kant, « commencer par les définitions » et adopter ainsi une position fermée dans un débat théorique et surtout idéologique, ce qui ne peut être notre objet.

    10Cependant, il faut bien commencer la recherche et donc trouver une modalité d’approche de l’objet, qui éclaire sans aveugler. Kant souligne, dans la Logique, la nécessité de « juger provisoirement et pour ainsi dire flairer la connaissance que la méditation nous permettra d’acquérir. […] On peut donc comprendre dans les jugements provisoires les maximes de recherche. On pourrait aussi les nommer anticipations »16. Notre étude repose sur les « anticipations » suivantes. Le libéralisme s’est construit sur un mode stratégique et dialectique, plutôt que sur un mode académique et didactique : il est né d’un ensemble de réponses forgées, au cours de l’histoire moderne et contemporaine, pour résoudre un certain nombre de problèmes spécifiques, dans un contexte toujours polémique. Là est sans doute la voie la plus féconde pour mettre à l’épreuve la consistance conceptuelle du libéralisme : des auteurs ont travaillé de façon relativement convergente à résoudre un certain type de problèmes qu’ils s’accordaient au moins à considérer comme décisifs, même si cela ne les a pas conduits à constituer une doctrine systématique et parfaitement homogène.

    11Parmi les problèmes autour desquels s’est construite la constellation théorique du libéralisme, nous avons cru pouvoir privilégier ceux relatifs à la question de la normativité, et tout particulièrement de la normativité juridique. Si l’on suppose que le terme même de « libéralisme » contient une indication minimale sur les choix doctrinaux qu’il désigne, si donc il existe bien quelque chose comme ce que Hayek nomme une « tradition de la liberté », alors le libéralisme doit impliquer, dans toutes ses expressions historiques, une certaine position face à la portée des normes, à leur origine et à leur validité. Il serait en effet naïf de confondre le libéralisme avec une théorie de la liberté en général. La liberté dont il s’agit ne doit pas s’entendre comme liberté métaphysique : son contraire n’est pas le déterminisme17. Le courant qui se nomme aujourd’hui libéralisme s’étant progressivement constitué dans des combats et des controverses dont les enjeux sont foncièrement pratiques, plus particulièrement politiques, la liberté que défend le libéralisme doit s’entendre comme possibilité d ’action définie par rapport à des cadres normatifs. En ce sens, la liberté que promeut le libéralisme est soit résistance à des normes, soit transgression de normes, soit acceptation de normes, soit position de normes. Cela étant admis, il semble particulièrement fécond de construire l’enquête autour de la thématique de la normativité juridique. Le propre de la norme juridique est en effet d’être l’objet de décisions humaines historiquement identifiables, et donc l’enjeu de controverses concernant ces décisions. Le libéralisme s’est inventé dans des prises de position face à ce que peut et ce que doit être la norme juridique.

    12Trois grands champs conceptuels de la normativité ont été retenus pour définir les contours de notre enquête : l’État, la personne et la propriété. Ces notions ne sont évidemment pas choisies au hasard. D’abord, l’État étant dans son essence producteur de normes, et plus particulièrement de normes collectives et contraignantes18, une des questions que pose son existence est celle de savoir dans quelle mesure ces normes sont acceptables pour les volontés qui lui sont soumises, dans quelle mesure elles constituent une menace pour le libre exercice de la volonté, ou en sont au contraire les garants. Aussi l’individu, en tant qu’être capable de jugement et de volonté auquel s’applique la norme et qui est susceptible de la reconnaître ou de la transgresser, s’impose-t-il également comme objet privilégié de notre recherche. Plus précisément, c’est la notion de personne qui y est objet d’investigation. La personne est en effet autre chose que l’individu, elle est un statut, elle est donc une réalité intrinsèquement normative. Cette normativité émane-t-elle nécessairement de l’État, ou peut-elle avoir un fondement infra-étatique ? La personne est-elle un sujet de droit indépendamment du statut positif que lui accorde l’État ? Ce qui peut s’énoncer autrement : si le libéralisme doit être interprété comme un individualisme, ce courant de pensée détruit-il tendanciellement les rapports et les statuts symboliques qui donnent traditionnellement consistance à l’existence civile de la personne ? Enfin, le concept de propriété engage une problématique qui est à la fois un développement analytique des questions relatives à la personne et un enjeu majeur de l’exercice de la liberté dans l’État. En effet, si l’on entend par « propriété » ce qui est le propre, la réflexion sur la propriété est immédiatement engagée dans l’interrogation sur le statut normatif de la personne. Si l’on entend par « propriété » ce qui donne un titre juridique à la possession, alors elle est une des modalités de ce que nous nommions plus haut la liberté comme capacité d’action dans un ordre normatif donné. Ces deux perspectives (qui peuvent d’ailleurs être articulées l’une à l’autre) font des théories de la propriété un objet central dans une recherche portant sur l’invention du libéralisme – cette réflexion engageant la question du rapport entre libéralisme et capitalisme19.

    13Le choix des auteurs étudiés ne pouvait pas prétendre à l’exhaustivité ; il ne prétend pas même passer en revue ce que l’on supposerait par avance être les grandes « catégories » du libéralisme. Certes, le choix d’auteurs considérés comme significatifs a été nécessairement préorienté par les traditions interprétatives qui les intègrent communément à une histoire du libéralisme – ou, s’agissant des auteurs contre-révolutionnaires, à l’histoire de sa critique20. Cependant, notre objet était précisément de mettre à l’épreuve, de la façon la plus ouverte possible, des préinterprétations trop simplificatrices du libéralisme. Aussi s’agissait-il essentiellement d’observer, chez les auteurs en question, non leur hypothétique fidélité à un corps doctrinal présupposé orthodoxe, mais la façon dont se sont posés chez eux les problèmes que nous avons décrits précédemment et la façon dont ils ont élaboré des stratégies théoriques dans le cadre de controverses. Le parti pris d’observer et de comparer des pensées saisies dans leur travail de critique et d’invention, choisies sur le critère des questions qu’elles posent plutôt que des réponses qu’elles apportent, permet de rendre visibles la richesse et la complexité d’un champ de renouvellement théorique.

    Acquis de la recherche : quelques perspectives synthétiques

    14Nous pouvons tenter de présenter de façon synthétique la façon dont les études réunies dans cet ouvrage contribuent à dessiner quelque chose comme une cartographie de la constellation libérale – cartographie évidemment partielle, à la mesure du choix volontairement restreint des problématiques et des auteurs étudiés, ces études ayant vocation à se prolonger dans d’autres travaux que l’on pourrait souhaiter toujours plus systématiques.

    15Cette constellation, comme on l’a vu, s’organise autour de questions centrales, qui constituent autant de centres de gravité dans l’invention doctrinale ; il serait cependant imprudent de prétendre opérer une classification des doctrines elles-mêmes selon le critère de leur position plus ou moins centrale ou périphérique. Il semble même difficile de construire de grandes « catégories » de libéralisme, tant les variations dessinent une combinatoire complexe, les rapprochements et les distinctions s’opérant de façon différente selon que l’on fait porter l’accent sur tel ou tel objet de théorisation. Deux séries de remarques peuvent être faites à propos de cette complexe cartographie de la constellation libérale.

    161. On soulignera d’abord le problème que pose l’identification d’un point de vue authentiquement ou purement libéral, et ce en s’appuyant notamment sur les enseignements de deux des contributions réunies ici (Frédéric Brahami et Vincent Valentin). Les contre-révolutionnaires, présentant une configuration théorique descriptible comme l’envers du libéralisme (Frédéric Brahami), devraient permettre de reconnaître de l’extérieur les frontières délimitant strictement le champ du libéralisme. De fait, il suffit de comparer les thèses des contre-révolutionnaires avec celles de Locke sur la question du droit accordé aux individus d’être juges du pouvoir qui s’exerce sur eux (Michaël Biziou et Frédéric Brahami) pour prendre la mesure de l’antilibéralisme radical des contre-révolutionnaires. Or le « super-libéralisme » des anarcho-capitalistes contemporains se revendique comme la position la plus authentiquement fidèle à l’esprit du libéralisme (Vincent Valentin). Il n’en est que plus intéressant de noter que la conséquence qui devrait en découler, à savoir une antinomie pure et simple entre ces deux traditions théoriques, ne se vérifie que partiellement.

    17Le statut de la démocratie est, sur ce point, l’un des éléments les plus significatifs. Une thèse essentielle que les contre-révolutionnaires critiquent dans la tradition libérale est l’idée selon laquelle le peuple aurait le droit et surtout la capacité de prendre part à l’exercice du pouvoir. Or les ultralibéraux, comme le montre Vincent Valentin, ne font pas de la démocratie une exigence fondamentale, mais tout au plus un moyen imparfait, et parfois tellement imparfait qu’il va à l’encontre de son objet, de limiter le pouvoir étatique. Dans ces deux courants se rencontre plus profondément une méfiance convergente à l’égard du principe d’un pouvoir politique conçu comme pouvoir souverain, expression d’une capacité, à l’échelle de l’intelligence humaine, à trancher en dernière instance des questions d’intérêt collectif (l’idéal démocratique constituant l’ultime conséquence de l’idée selon laquelle les décisions collectives pourraient être prises de façon maîtrisée, transparente et publique). Si quelque chose comme une décision en dernière instance existe, c’est hors d’un pouvoir visible et maîtrisable qu’il doit être cherché : dans la volonté de Dieu, seule instance capable de « vouloir » un bien commun, pour Bonald et de Maistre ; dans l’ordre spontané d’une société s’autorégulant, pour les ultralibéraux.

    18Que « l’indépassable opacité des rapports sociaux [soit] bonne », on peut le dire du point de vue des contre-révolutionnaires (Frédéric Brahami), mais non moins de celui des ultralibéraux21. Or cette convergence n’est pas nécessairement fortuite et superficielle : on peut trouver, dans la figure singulière de Burke, un lieu où se rencontrent et se fécondent ces deux traditions. Burke est toujours resté fidèle au parti whig et ses écrits sur la Révolution française sont inspirés par le souci de défendre les valeurs propres à sa famille de pensée. Or il n’en a pas moins posé les principes de la critique contre-révolutionnaire d’un certain libéralisme en s’appuyant sur le primat accordé aux lentes sédimentations historiques pour comprendre l’établissement des institutions et de l’ordre social. Pour Burke et les contre-révolutionnaires comme pour les anarcho-capitalistes, ordonner la société n’est pas l’objet d’une volonté étatique s’affirmant à un moment de l’histoire et procédant d’un projet global rationnellement construit.

    19Cela n’enlève rien au fait que l’« ordre social » excédant toute possibilité de décision humaine rationalisable prend des figures radicalement différentes selon que l’on se situe dans la perspective des contre-révolutionnaires ou dans celle des anarcho-capitalistes. Quand le contrat privé et la recherche du profit sont érigés, par les anarcho-capitalistes, en moyens par excellence de sélection des institutions socialement viables (Vincent Valentin), la dénonciation d’une société bourgeoise pensée sur le modèle d’une association commerciale et produisant une nouvelle aristocratie « honteuse », celle de l’argent, place pour le coup effectivement les contre-révolutionnaires dans une position absolument extérieure à toute la tradition libérale, de quelque façon qu’on la définisse (Frédéric Brahami).

    20C’est donc dans ce mélange intrigant de grande proximité et de distance non moins grande entre deux systèmes de pensée – dans quelque chose qui relève du brouillage et non de la distinction – que se joue paradoxalement une des vérités du libéralisme, qui reste ouverte à l’interprétation. Une question qui se révèle sur ce point cruciale est en définitive celle du rapport entre libéralisme et conservatisme22 : si certains courants de l’ultralibéralisme contemporain renouent tendanciellement – et non sans poser de grandes difficultés théoriques – avec l’utopisme anarchique d’un Proudhon ou d’un Stirner (Vincent Valentin), il existe un fort tropisme autoritaire ou sécuritaire chez de nombreux libéraux : Guizot, par exemple, propose une théorie de l’ordre collectif et du pouvoir qui présente d’importantes convergences avec les principes des contre-révolutionnaires23. Si le libéralisme est, d’une façon ou d’une autre, une philosophie de la liberté, il n’est du moins pas certain qu’il soit dans toutes ses formulations une philosophie de la liberté contre le pouvoir. Cette problématique en rencontre une autre, celle du lien entre libéralisme et élitisme. Prise en un certain sens – notamment en se définissant moins comme le fondement d’un droit universel ou d’une valeur morale et politique attachée au sujet humain en général, que comme une capacité d’action distinguant les hommes les uns des autres – la liberté peut faire du pouvoir et de la hiérarchie, donc de l’institution et de l’instrumentalisation d’un certain ordre normatif, les modalités par excellence de son expression.

    212. Une des lignes de force traversant toutes les doctrines étudiées dans cet ouvrage consiste dans une discussion, étalée sur trois siècles, des thèses de Locke. Si Locke est bien un « père fondateur » du libéralisme, selon une formule consacrée et pleinement vérifiée, la filiation qu’engendre cette paternité s’exprime au moins autant dans un travail de critique, voire d’aff ranchissement, que dans la fidélité à l’égard de ces thèses fondatrices. On peut synthétiser cette histoire dialectique en dégageant quatre problématiques récurrentes, qui font apparaître des lignes de partage ne se recoupant pas d’une problématique à l’autre.

    22a) Quel statut faut-il accorder au droit positif, comme droit édicté ou garanti par l’État ? Le libéralisme est-il réductible à un anti-étatisme ? N’est-il pas plutôt, au moins dans la plupart de ses expressions, une théorie de l’État, inscrivant par exemple celui-ci dans une exigence de type jusnaturaliste qui, certes, le surplombe, mais contribue aussi à enraciner sa légitimité sous certaines conditions ? Selon Michaël Biziou, « fixer [l]es limites [de l’action étatique] n’est pas avant tout faire preuve d’une défiance envers l’État, c’est plutôt montrer les conditions d’accomplissement de la tâche qui lui incombe. Le libéralisme politique ne souhaite nullement rendre faible un État dont il se méfierait, car limiter un pouvoir ne revient pas forcément à l’affaiblir. Il veut au contraire un État fort parce que concentré sur ce qu’il a à faire ».

    23Comment penser alors la possibilité d’une norme supra-étatique qui à la fois consacrerait et limiterait le pouvoir de l’État – et cette norme peut-elle aller jusqu’à fonder un droit de désobéissance ou d’insurrection ? Michaël Biziou montre que cette question trouve chez Locke sa solution dans l’affirmation de l’existence d’une normativité substantielle, objective et universelle présente par nature dans l’individu en tant que créature douée de raison par Dieu – dont ne résulte donc en aucune façon une caution donnée a priori à toute expression de la volonté arbitraire et capricieuse des individus.

    24Claude Gautier examine la critique humienne de ces thèses de Locke en posant la question des « limites » dans lesquelles s’inscrit le pouvoir étatique : y a-t-il, chez Hume comme chez Locke, une limite identifiable entre nature et institution, et cette limite est-elle le lieu où se décident les conditions de limitation du pouvoir ? En décrivant l’institution politique comme le produit d’un jeu de « forces » naturelles, à savoir les affects qui sont en concurrence dans l’individu, Hume déplace la question du fondement et des limites du pouvoir : agissant comme une « seconde nature », c’est l’habitude qui consacre les usurpations originelles créatrices de tout pouvoir et de tout droit. L’artifice socio-historique précède et rend possible l’artifice politico-juridique. La possibilité de l’insurrection doit donc se penser non comme résurgence d’une souveraineté constitutivement présente dans un peuple capable de décider en dernière instance, mais comme résultat d’une modification des affects individuels, lorsque, comme l’écrit Hume, « un grand avantage présent nous [fait] négliger l’avantage que nous avons à préserver la paix et l’ordre dans la société » (cité par Claude Gautier)24.

    25Céline Spector, pour examiner le statut du « droit politique » chez Montesquieu, mesure également la distance qui sépare celui-ci de Locke. L’idée de contrat social faisant chez Montesquieu l’objet d’une critique historiciste comparable à celle que formulera Hume, « le point de vue [lockien] de l’institution fait place [chez Montesquieu] à celui de la régulation ». Ce qui se traduit, là encore, par un déplacement dans la question du statut du droit dont peut se prévaloir l’État. L’idée d’un droit naturel n’ayant guère de sens pour Montesquieu, puisque l’existence du droit suppose toujours-déjà une institution sociale, la question est plutôt celle de savoir comment s’articulent droit civil (privé) et droit politique (public). C’est donc là encore dans une certaine configuration de l’ordre normatif, plutôt que dans une opposition de principe à la norme, que s’exprime une exigence de liberté. Puisqu’il n’existe aucune nécessité naturelle qui interdirait à l’État de déterminer les limites des droits attachés aux personnes, c’est l’exigence interne de conservation d’un régime favorable à la liberté (dont le paradigme du despotisme constitue le repoussoir) qui impose à l’État les contraintes auxquelles il doit se conformer dans son œuvre de législation.

    26Emmanuelle de Champs souligne que Bentham, critiquant l’idolâtrie dont Locke fait l’objet chez les whigs de son temps, se refuse également à fonder les limites du pouvoir étatique dans un droit naturel qui prétend légitimer des inégalités socialement insupportables et donc incompatibles avec les principes de l’utilitarisme.

    27b) Dans la discussion relative aux fondements et aux limites du pouvoir étatique se pose particulièrement le problème de l’existence d’une instance collective infra-étatique capable de s’organiser, de définir une exigence normative commune et de peser politiquement face au pouvoir institué. La consécration de l’individu comme sujet de droit et source essentielle du droit condamne-t-elle le libéralisme à faire son deuil de la société pensée comme communauté ? C’est en grande partie au nom de cette idée que les auteurs contre-révolutionnaires condamnent la tradition libérale : celle-ci produirait nécessairement une société désagrégée, animée par une haine de classes liée à l’impossible conciliation entre la promesse d’égalité sur laquelle repose originellement le libéralisme et le fait de l’inégalité économique qu’il contribue à consacrer (Frédéric Brahami).

    28Or la pensée de Locke accorde au contraire à la communauté, au sens d’une société constituée par les rapports interindividuels indépendants de l’action de l’État, un rôle majeur dans la responsabilisation et dans la formation d’une capacité de jugement, et donc d’action politique, des individus (Michaël Biziou). On peut rapprocher cette thèse de celles que Florent Guénard découvre, contre les interprétations courantes, dans les analyses de Tocqueville sur la société américaine. Si Tocqueville dénonce l’individualisme, c’est principalement dans sa formulation théorique, l’expérience pratique contredisant partiellement l’atomisme méthodologique des philosophes et des économistes modernes. La réalité de la société américaine montrerait empiriquement la possibilité d’une sociabilité et d’une solidarité unissant des hommes juridiquement égaux et animés par un désir concurrentiel d’enrichissement. L’une des difficultés du libéralisme, comme nous l’avons noté plus haut, est son rapport ambivalent à l’idée d’égalité : il y a un élitisme libéral. Or, cette difficulté trouve là une de ses possibles réponses. C’est paradoxalement dans la course infinie à la satisfaction, productrice d’inégalités, que les Américains préservent une certaine expérience de l’égalité : il résulte en effet de ce rapport concurrentiel un sentiment d’égalité dans la faiblesse et dans l’inquiétude, qui les rapproche plus qu’il ne les sépare. Et on peut considérer que, l’individualisme ayant pour corrélat une culture de l’esprit critique, antithétique de l’esprit de système et d’uniformité, il développe dans la masse de la population les facultés qui lui permettent, comme l’écrit Tocqueville, « de diriger et de surveiller elle-même son gouvernement ».

    29c) L’un des enjeux essentiels de cette réflexion sur le statut du droit édicté par l’État est le fondement du droit de propriété. Éléonore Le Jallé restitue les arguments de Locke visant à assimiler celui-ci à un droit naturel, ainsi que l’enjeu de cette démonstration : il s’agit de concevoir des institutions ayant pour but essentiel de préserver un droit qui existe antérieurement à elles et indépendamment d’elles. Selon Vincent Valentin, l’« utopie » anarcho-capitaliste s’inscrit directement, sur ce point, dans une lignée lockienne, puisqu’elle vise à penser les conditions dans lesquelles l’individu considéré comme producteur et consommateur serait lui-même source, à travers l’échange commercial de gré à gré, de la totalité de ses propres droits. En revanche, Hume inaugure une critique de Locke particulièrement radicale sur les deux principes fondant l’affirmation de droits naturellement attachés à la personne : il refuse l’idée d’un fondement naturel de l’« identité » personnelle (donc d’une existence absolue de l’individu) et celle d’un fondement naturel de la propriété privée – ces deux critiques pouvant d’ailleurs être rapprochées formellement et ontologiquement (Éléonore Le Jallé). Ce qui fait le « propre » d’un individu et lui donne le statut de « personne », comme ce qui attache un bien à un individu sous le nom de « propriété », relève d’une association d’idées qui ne peut être confondue avec une véritable unité physique. La propriété est donc pour Hume une « relation morale » fondée sur l’habitude, au même titre que l’est tout statut juridique : comme l’écrit Claude Gautier, « la propriété et l’obéissance sont toutes deux, pour Hume, “filles du temps” ».

    30Montesquieu récuse de même l’idée d’une propriété naturelle : même si, comme il l’écrit, « la loi civile doit être le palladium de la propriété », cela ne se justifie que des effets (contingents) de la propriété privée comme instrument de protection de la liberté ; tout régime de propriété doit se penser dans une perspective historique, ses conditions relevant de structures sociales et économiques déterminées (Céline Spector).

    31Emmanuelle de Champs souligne, quant à elle, l’influence de Hume sur Bentham, tout particulièrement sur cette question du droit de propriété. La propriété, loin d’être un « droit naturel », est bien plutôt pour Bentham un « statut » socialement reconnu, une croyance fondée sur l’espérance d’une satisfaction. Si Bentham affirme la nécessité de préserver la propriété par la loi, s’il critique les « systèmes niveleurs », il ne récuse pas absolument le principe d’une certaine redistribution par la loi : la protection de la propriété ne se justifie pas absolument, mais relativement, à savoir par « la nécessité d’assurer “la sécurité des espérances” ».

    32d) On peut enfin identifier une quatrième ligne de fracture, qui induit une autre distribution entre différentes provinces du continent libéral : elle concerne cette fois-ci le rôle de la raison. Michaël Biziou insiste sur la dimension rationaliste du libéralisme lockien. C’est parce qu’il est doué de raison que l’individu est susceptible de se faire lui-même « juge » de ses propres droits et des abus du pouvoir étatique. La faculté de juger, acte politique par excellence, est conçue comme faculté de raisonner appliquée à des situations concrètes. La rationalité des acteurs est également au cœur des postulats de l’ultralibéralisme contemporain, même si cette rationalité s’exprime dans un calcul d’optimisation de la satisfaction individuelle plutôt que dans la formulation de valeurs normatives visant la justice en tant que telle (Vincent Valentin).

    33Or, c’est au contraire dans un acte de croyance, dans lequel l’imagination joue le premier rôle, que Hume fait résider toute adhésion à des normes (Éléonore Le Jallé), et donc l’origine de l’obéissance comme de la désobéissance (Claude Gautier). Bentham, dans son entreprise de déduction d’une « jurisprudence universelle », décrit de même le droit comme un ensemble de fictions liées aux affects que produisent, dans les individus, les relations aux choses et aux hommes (Emmanuelle de Champs).

    34Ce primat de la croyance sur la raison est encore plus accusé chez Constant, quoique les enjeux en soient différents – la croyance n’ayant plus ici le sens d’une confiance dans des institutions humaines. L’apologie de la croyance contre le rationalisme est au centre de sa théorie du sentiment religieux, dont il convient de saisir la signification foncièrement politique dans le contexte post-révolutionnaire (Blaise Bachofen). En voyant dans le sentiment religieux le fond le plus authentique de la pensée individuelle et en donnant à ce sentiment un contenu qui, même dans ses formes antiques, annonce paradoxalement l’essentiel des valeurs qu’il associe aux « modernes », Constant enracine ces valeurs dans une anthropologie atemporelle. Plus généralement, en faisant des croyances et des opinions, conçues comme rétives à toute rationalisation, le socle de ce qui appartient en propre à l’individu et le sanctuaire par excellence de la liberté, en inventant même la notion de « droits de l’opinion », Constant lie intimement méfiance à l’égard de la raison et protection de l’ordre privé contre tout pouvoir collectif institué. Il y a là une reconfiguration du lien associant les différentes modalités de ce que Locke nomme la « propriété de soi » (propriété de ses biens, de son corps et de sa pensée). Ce n’est plus tant le travail (c’est-à-dire le corps guidé par la pensée) qui fait de la propriété privée un droit naturel inaliénable, c’est la sacralisation d’un vécu intérieur insaisissable et insondable qui vise à fonder radicalement l’existence d’une sphère privée soustraite à tout arraisonnement, donc à toute exigence relevant de l’ordre public25.

    35On peut ainsi opposer schématiquement au rationalisme de Locke le rôle assigné, chez un grand nombre d’auteurs libéraux, à la croyance, à la coutume et aux effets de la contingence historique – ce qui fait d’ailleurs un autre point de convergence troublant entre le libéralisme et la contre-révolution. Cependant, cette façon de penser l’opposition entre deux catégories de libéralisme doit, comme les autres tentatives de catégorisation, être nuancée. Michaël Biziou souligne l’importance que revêt, chez Locke lui-même, le problème de l’application des principes universels aux situations particulières, qui n’autorisent à juger qu’en termes de probabilité et non de nécessité. Une constante qui parcourt l’ensemble de la tradition libérale est donc la prise en compte des circonstances et un tropisme foncièrement pragmatique. N’y a-t-il pas là au moins une raison de considérer avec méfiance, comme intrinsèquement contradictoire, toute expression dogmatique du libéralisme ?

    Notes de bas de page

    1 Voir notamment A. Derozier, Manuel Quintana et la naissance du libéralisme en Espagne, Besançon, Les Belles Lettres, 1968 ; L.Girard, Les libéraux français. 1814-1875, Paris, Aubier, 1985 ; P. Lévêque, Histoire des forces politiques en France. 1789-1880, Paris, Armand Colin, 1992 ; F. Bédarida, L’ère victorienne, Paris, PUF, 1974.

    2 F. Hayek, Droit, législation et liberté [1978], vol. II, Le mirage de la justice sociale, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 1.

    3 Voir A. Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. VII et IX. Cité par M. Biziou, Adam Smith et l’origine du libéralisme, Paris, PUF, 2003, p. 11.

    4 Voir J. A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique [1954], IIIe partie, chap. II, trad. sous la direction de J.-C. Casanova, Paris, Gallimard (NRF), 1983, vol. II, p. 30-31. Si les termes « libéral », « néolibéral » ou « ultralibéral » sont utilisés en français pour désigner des courants de pensée et des auteurs américains tels que M. Friedman, D. Friedman, M. Rothbard ou R. Nozick, ces auteurs eux-mêmes privilégient les périphrases intégrant le terme de « liberté » (freedom) ou, récemment, les vocables libertarian, voire, pour certains, anarcho-capitalist : le terme liberal connote en anglais américain un projet politique permissif dans le domaine moral, et interventionniste dans le domaine économique ; il est en général associé aux États-Unis à des auteurs comme Rawls ou Dworkin, favorables à une action redistributrice de l’État. Ce qui malgré tout donne un minimum de contenu identique au terme libéralisme en français et en anglais américain est l’idée de neutralité idéologique de l’État : l’application plus ou moins large de cette exigence de neutralité éloigne ou rapproche le libéralisme américain de ce que l’on entend par ce terme en Europe continentale.

    5 Voir A. Laurent, Le libéralisme américain. Histoire d’un détournement, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 27-28, 45-46, 51, 57. A. Laurent voit dans cette évolution un dévoiement de l’idée libérale. Pour M. Gauchet, au contraire, c’est le prolongement naturel d’une philosophie de l’émancipation, même s’il note que dès cette époque, un auteur comme H. Spencer s’est opposé fortement à la « gauchisation » du parti liberal (voir La crise du libéralisme, Paris, Gallimard, 2007, p. 10 et 189). De fait, ce parti s’est trouvé broyé entre labour et tories et a été réduit en définitive à un parti centriste résiduel – d’autant que le programme du libéralisme économique a été progressivement adopté par les tories. Aux États-Unis, le « libéralisme », au sens où le terme s’est imposé dans la langue américaine, occupe une position encore plus marginale dans le débat politique, pour des raisons inverses. Comme le montre Schumpeter, le socialisme n’a jamais pesé politiquement aux États-Unis (voir Histoire de l’analyse économique, IVe partie, chap. II, op. cit., vol. III, p. 23) : ce qui explique que le mouvement qualifié de liberal occupe l’espace disponible situé le plus à gauche de l’éventail politique et que le terme signifie souvent « gauchiste », en un sens principalement péjoratif.

    6 Sur cette distinction, voir notamment J. A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, IIIe partie, chap. II, op. cit., vol. II, p. 30-31. Si l’on peut identifier des situations où l’application d’un des deux aspects du libéralisme se fait indépendamment de l’autre, cette distinction est cependant elle-même loin d’être parfaitement claire, les hypothèses fondamentales auxquelles renvoient ces deux syntagmes se recouvrant partiellement. En témoigne principalement la place accordée dans les deux acceptions, « politique » et « économique », du libéralisme, à l’idée d’une autorégulation par la concurrence. Sur le rôle essentiel accordé à la notion de concurrence pour définir la nature de la démocratie libérale, voir R. Aron, Démocratie et totalitarisme [1957-1958], 1re partie, chap. IV, Paris, Gallimard, 1981, p. 74-77. La notion de « société ouverte », théorisée par K. Popper, société étendant à la totalité du champ social le principe de la mise en concurrence d’une pluralité d’offres (aussi bien politiques, morales et théoriques qu’économiques), est reprise par Hayek pour démontrer, au moyen de ce qu’il considère comme l’efficacité sociopolitique et culturelle de la concurrence, son efficacité économique. Voir K. Popper, La société ouverte et ses ennemis [1945], Paris, Seuil, 1979 et F. Hayek, Droit, législation et liberté, op. cit., vol. I, p. 3 et suiv.

    7 M. Gauchet, préface au recueil de textes de B. Constant, De la liberté chez les modernes, Paris, Le Livre de poche, 1980, p. 11.

    8 D. Deleule, Hume et la naissance du libéralisme économique, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 402. La solution de D. Deleule est de distinguer deux courants hétérogènes au sein du libéralisme économique, l’un fondé sur la soumission à des lois naturelles, l’autre (issu de Hume) faisant une place à l’artifice et donc à l’invention politico-juridique. La distinction de grandes « catégories » au sein du libéralisme est une hypothèse séduisante et souvent adoptée. On la retrouve, par exemple, chez P. Manent (Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy, 1987). Elle est certes souvent féconde, mais, comme nous essayons de l’indiquer à la fin de cette introduction, elle se heurte à des objections dans l’étude détaillée des différentes doctrines. Nous privilégions pour notre part l’idée d’une combinatoire mouvante, au sein de la constellation libérale, variant selon les objets de théorisation.

    9 B. Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, § 88 et 89, trad. R. Caillois, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Pléiade), 1954, p. 133-134.

    10 E. Kant, Critique de la raison pure, IIe partie, Théorie transcendantale de la méthode, chap. I, Ire section, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, 1950, p. 503.

    11 On rappellera notamment que L. Strauss voit en Hobbes « le fondateur du libéralisme » (Droit naturel et histoire, trad. M. Nathan et E. de Dampierre, Paris, Flammarion (Champs), 1995, p. 166) ; P. Manent fait remonter « l’histoire intellectuelle du libéralisme » à Machiavel, Hobbes et Locke (Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit.) ; D. Deleule examine, dans la pensée de Hume, certains aspects de « la naissance du libéralisme économique » (Hume et la naissance du libéralisme économique, op. cit.) ; S. Meyssonnier identifie une « césure entre mercantilisme et libéralisme […] bien antérieure à 1758 » (La balance et l’horloge : la genèse de la pensée libérale en France au xviiie siècle, Montreuil, Les Éditions de la Passion, 1989, p. 16) ; C. Larrère identifie chez Gournay et Turgot l’apparition d’une « critique libérale » de la réglementation économique (L’invention de l ’économie, Paris, PUF, 1992, p. 138 et 162) ; C. Gautier trouve dans l’étude de Mandeville, Smith et Ferguson les moyens d’une « compréhension du paradigme de l’individu libéral » (L’invention de la société civile, Paris, PUF, 1993, p. 9) ; M. Biziou étudie, à travers l’œuvre d’A. Smith, « l’origine du libéralisme » (Adam Smith et l’origine du libéralisme, op. cit.).

    12 On pourrait le montrer en s’appuyant sur l’exemple d’autres termes dont la consistance conceptuelle est moins controversée. Ainsi le mot « État », apparu au xvie siècle dans diverses langues européennes par réaffectation d’un ancien mot latin (status), témoigne de l’apparition d’une nouvelle forme d’organisation politique qui ne pouvait plus être désignée de façon entièrement adéquate par les termes jusqu’alors disponibles, tels que « république » ou « cité ». Sur ce point, voir J.-P. Brancourt, « Des “estats” à l’État : évolution d’un mot », Archives de philosophie du droit, t. 21, Paris, Sirey, 1976, p. 39-54.

    13 La comparaison avec les usages du terme « État » à l’époque moderne peut encore être mobilisée ici, pour éclairer la question de l’usage du terme « libéralisme » à propos d’auteurs ne se désignant pas eux-mêmes explicitement comme tels. Alors que Machiavel, dès le début du xvie siècle et dès les premières lignes du Prince, utilise le terme moderne d’État (stato), et alors que le terme existe en français dans son sens moderne depuis 1490, Jean Bodin n’en fait pas usage, en 1576, dans Les six livres de la république. Il n’en est pas moins évident que c’est bien de l’État moderne que Bodin fait la théorie, plus encore que ne le fait Machiavel. Or, on pourra probablement en dire autant de tel ou tel auteur qui, au xixe ou au xxe siècle, ne se désignerait pas explicitement comme « libéral », alors que le mot est déjà disponible. De même, quoiqu’il soit évidemment anachronique et erroné d’utiliser le terme d’État pour désigner des formes politiques antiques, les historiens s’accordent à considérer que la gestation de l’État moderne commence dès le xiiie siècle, c’est-à-dire environ trois siècles avant l’apparition explicite du terme dans le lexique : il y a donc bien de l’« État » ou de l’étatique, au moins sous forme embryonnaire, avant que le mot lui-même n’apparaisse (sur ce point, voir notamment J. R. Strayer, Les origines médiévales de l’État moderne, trad. M. Clément, Paris, Payot, 1979). On peut pour les mêmes raisons concevoir un libéralisme avant le libéralisme.

    14 Les études réunies ici sont les versions écrites de communications prononcées en 2004 et 2006 à l’université de Cergy-Pontoise, dans le cadre du Centre de philosophie juridique et politique, lors de journées d’études sur le thème Droit et libéralisme : l ’usage des concepts juridiques dans l ’histoire de la pensée libérale et de sa critique.

    15 Il est impossible d’évoquer ici toutes les tentatives qui ont été proposées pour définir le libéralisme et dont certaines ont évidemment contribué à nourrir notre réflexion (comme en témoignent d’ailleurs les références qui y sont faites dans les différentes contributions). On mentionnera seulement, à titre indicatif, les ouvrages suivants : L. Dumont, Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1977 ; P. Manent, Les libéraux, Paris, Hachette, 1986 et Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit. ; M. Foucault, Résumé des cours au Collège de France, Paris, Julliard, 1989, notamment p. 113-116 ; J.-P. Dupuy, Le sacrifice et l’envie. Le libéralisme aux prises avec la justice sociale, Paris, Hachette, 1992 ; P. Raynaud, « Libéralisme », dans Dictionnaire de philosophie politique, P. Raynaud et S. Rials éd., Paris, PUF, 1996 ; G. Souchon, Les grands courants de l’individualisme, Paris, Armand Colin, 1998 ; L. Jaume, La liberté ou la loi. Les origines philosophiques du libéralisme, Paris, Fayard, 2000 ; A. Laurent, La philosophie libérale, Paris, Les Belles Lettres, 2002.

    16 E. Kant, Introduction, § IX, Logique, trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1970, p. 84.

    17 J. S. Mill écrit dans De la liberté : « Le sujet de cet essai n’est pas ce qu’on appelle le libre arbitre – doctrine opposée à tort à la prétendue nécessité philosophique –, mais la liberté sociale ou civile : la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l’individu » (trad. D. White revue par L. Lenglet, Paris, Gallimard (Folio Essais), 1990, p. 61).

    18 On admet ici que la souveraineté est ce qui définit le pouvoir sous sa forme étatique, lequel se caractérise, comme l’écrit Bodin, comme pouvoir de « donner et de casser la loi » (Les six livres de la République, livre I, chap. X, textes choisis par G. Mairet, Paris, Le Livre de poche, 1993, p. 162).

    19 C’est pourquoi cette perspective a conduit à nourrir, dans plusieurs des contributions, une réflexion critique sur la pertinence des thèses de C. B. Macpherson relatives à ce qu’il nomme l’« individualisme possessif » (voir La théorie politique de l’individualisme possessif de Hobbes à Locke [1962], trad. M. Fuchs, Paris, Gallimard, 1971).

    20 Nous renvoyons sur ce point aux différentes contributions, qui, chacune à leur tour, explicitent et discutent la question de la pertinence d’une association entre les auteurs étudiés et la tradition « libérale ». S’agissant des auteurs contre-révolutionnaires, ils ne représentent certes pas la seule entreprise de critique systématique du libéralisme : dès le début du xixe siècle, avec Saint-Simon puis le courant socialiste, une autre critique s’élabore. Cependant, il ne s’agit pas ici de traiter exhaustivement des doctrines antilibérales, pas plus d’ailleurs que des doctrines libérales : notre recherche participe d’un chantier ouvert et inachevé. Cela étant admis, on doit néanmoins reconnaître un privilège théorique aux contre-révolutionnaires dans la problématique qui est la nôtre : comme le montre R. A. Nisbet, la pensée sociologique puis le socialisme dérivés des travaux de Saint-Simon et de Comte ont une dette essentielle à l’égard des renversements opérés par les contre-révolutionnaires dans la conception de l’ordre social. Voir R. A. Nisbet, La tradition sociologique [1966], trad. M. Azuelos, Paris, PUF, 1993, p. 26 ; et P. Macherey, « Aux Sources des rapports sociaux (Bonald, Saint-Simon, Guizot) », conférence prononcée à la Maison des sciences de l’homme, 1990 (communication personnelle).

    21 F. Hayek écrit : « Le fait de notre irrémédiable ignorance de la plupart des faits particuliers qui déterminent les processus sociaux est […] la raison pour laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la forme qu’elles ont en fait. » Et plus loin : « Le point de départ de la théorie sociale […] est la découverte qu’il existe des structures ordonnées, qui sont le résultat de l’action d’hommes nombreux mais qui ne sont pas le résultat d’un dessein humain. Dans certains domaines, cela est universellement accepté. Bien qu’il y ait eu une époque où les gens croyaient que même le langage et la morale avaient été “inventés” par quelque génie du passé, tout le monde reconnaît maintenant qu’ils sont l’aboutissement d’un processus d’évolution dont personne n’avait prévu ni projeté les résultats. Mais dans d’autres domaines, bien des gens traitent encore avec suspicion l’affirmation que des schémas d’interaction d’hommes nombreux puissent présenter un ordre qui n’est l’œuvre délibérée de personne. Dans la sphère économique notamment, les critiques déversent encore des sarcasmes à base d’incompréhension sur l’expression d’Adam Smith parlant de la “main invisible”, image par laquelle, dans la langue de son temps, il décrivait comment l’homme est conduit à “promouvoir un résultat qui ne faisait nullement partie de ses intentions” » (Droit, législation et liberté, vol. I, Règles et ordre, op. cit., p. 14 et 43-44).

    22 Il est significatif que, comme le note A. Laurent, les auteurs américains représentatifs du courant qu’il considère comme le libéralisme « orthodoxe » se soient nommés eux-mêmes conservatives, l’adjectif liberal ayant reçu en anglais américain, comme on l’a noté, un contenu social-démocrate (voir Le libéralisme américain, op. cit., p. 22). J. A. Schumpeter utilise d’ailleurs comme des équivalents les adjectifs « libéral » et « conservateur » pour désigner les courants politiques opposés à l’intervention redistributrice de l’État (Histoire de l’analyse économique, op. cit., passim). On peut enfin rappeler les nombreux exemples historiques d’alliance entre des programmes conservateurs, voire réactionnaires, sur le plan politique, et libéraux sur le plan économique : en témoignent par exemple les responsabilités politiques exercées par les libéraux Guizot puis Thiers, au xixe siècle, au service de régimes autoritaires, ou encore, au xxe siècle, l’exemple très caractéristique du Chili de Pinochet. Quant au courant néoconservateur, très présent dans la politique américaine depuis les années Reagan jusqu’au second mandat de G. W. Bush, il associe, de façon semble-t-il très naturelle, désinvestissement de l’État dans le domaine économique, autoritarisme moral et mise sous contrôle sécuritaire de la société civile.

    23 Voir notamment F. Guizot, Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France [1821], Paris, Belin, 1988. La théorie des « capacités » élaborée dans le libéralisme conservateur de Guizot – « capacités » qui se traduisent, concrètement, par des statuts de pouvoir légitimant une nouvelle aristocratie sociale émergente – articule de façon très cohérente réhabilitation du pouvoir et de la hiérarchie, et valorisation d’une forme de concurrence ouverte entre les membres de la société civile.

    24 La thèse peut d’ailleurs être rapprochée de celle des ultralibéraux contemporains, qui s’inscrivent sur ce point dans une lignée humienne : pour ce courant, bien plus que les principes généraux d’une loi naturelle ou d’une constitution, c’est la force critique de la défense et de l’affirmation, par les individus eux-mêmes, d’intérêts particuliers subjectivement éprouvés qui forme le rempart le plus efficace contre les abus de l’État.

    25 Cela peut contribuer à éclairer le sens de la préoccupation récurrente manifestée par les libéraux, depuis le xviie siècle jusqu’à nos jours, pour la problématique théologico-politique : préoccupation souvent remarquée, mais presque toujours sous-interprétée. L’explication n’est pas trivialement que les libéraux aiment l’exercice de la liberté sous toutes ses formes, donc la libre-pensée : leur préoccupation récurrente n’est pas tant celle d’une émancipation de la pensée par la raison (telle qu’on peut la concevoir par exemple dans une optique spinoziste) qu’une valorisation de la croyance religieuse s’exprimant dans sa plus grande pluralité. Les récentes inflexions de la droite libérale française sur la question de la laïcité, qu’il conviendrait de repenser selon un modèle plus proche de la tradition anglo-saxonne, pourraient donner lieu à une telle analyse de fond.

    Auteur

    • Blaise Bachofen

      Maître de conférences en philosophie à l’université de Cergy-Pontoise

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    1 Voir notamment A. Derozier, Manuel Quintana et la naissance du libéralisme en Espagne, Besançon, Les Belles Lettres, 1968 ; L.Girard, Les libéraux français. 1814-1875, Paris, Aubier, 1985 ; P. Lévêque, Histoire des forces politiques en France. 1789-1880, Paris, Armand Colin, 1992 ; F. Bédarida, L’ère victorienne, Paris, PUF, 1974.

    2 F. Hayek, Droit, législation et liberté [1978], vol. II, Le mirage de la justice sociale, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1995, p. 1.

    3 Voir A. Smith, Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, livre IV, chap. VII et IX. Cité par M. Biziou, Adam Smith et l’origine du libéralisme, Paris, PUF, 2003, p. 11.

    4 Voir J. A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique [1954], IIIe partie, chap. II, trad. sous la direction de J.-C. Casanova, Paris, Gallimard (NRF), 1983, vol. II, p. 30-31. Si les termes « libéral », « néolibéral » ou « ultralibéral » sont utilisés en français pour désigner des courants de pensée et des auteurs américains tels que M. Friedman, D. Friedman, M. Rothbard ou R. Nozick, ces auteurs eux-mêmes privilégient les périphrases intégrant le terme de « liberté » (freedom) ou, récemment, les vocables libertarian, voire, pour certains, anarcho-capitalist : le terme liberal connote en anglais américain un projet politique permissif dans le domaine moral, et interventionniste dans le domaine économique ; il est en général associé aux États-Unis à des auteurs comme Rawls ou Dworkin, favorables à une action redistributrice de l’État. Ce qui malgré tout donne un minimum de contenu identique au terme libéralisme en français et en anglais américain est l’idée de neutralité idéologique de l’État : l’application plus ou moins large de cette exigence de neutralité éloigne ou rapproche le libéralisme américain de ce que l’on entend par ce terme en Europe continentale.

    5 Voir A. Laurent, Le libéralisme américain. Histoire d’un détournement, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 27-28, 45-46, 51, 57. A. Laurent voit dans cette évolution un dévoiement de l’idée libérale. Pour M. Gauchet, au contraire, c’est le prolongement naturel d’une philosophie de l’émancipation, même s’il note que dès cette époque, un auteur comme H. Spencer s’est opposé fortement à la « gauchisation » du parti liberal (voir La crise du libéralisme, Paris, Gallimard, 2007, p. 10 et 189). De fait, ce parti s’est trouvé broyé entre labour et tories et a été réduit en définitive à un parti centriste résiduel – d’autant que le programme du libéralisme économique a été progressivement adopté par les tories. Aux États-Unis, le « libéralisme », au sens où le terme s’est imposé dans la langue américaine, occupe une position encore plus marginale dans le débat politique, pour des raisons inverses. Comme le montre Schumpeter, le socialisme n’a jamais pesé politiquement aux États-Unis (voir Histoire de l’analyse économique, IVe partie, chap. II, op. cit., vol. III, p. 23) : ce qui explique que le mouvement qualifié de liberal occupe l’espace disponible situé le plus à gauche de l’éventail politique et que le terme signifie souvent « gauchiste », en un sens principalement péjoratif.

    6 Sur cette distinction, voir notamment J. A. Schumpeter, Histoire de l’analyse économique, IIIe partie, chap. II, op. cit., vol. II, p. 30-31. Si l’on peut identifier des situations où l’application d’un des deux aspects du libéralisme se fait indépendamment de l’autre, cette distinction est cependant elle-même loin d’être parfaitement claire, les hypothèses fondamentales auxquelles renvoient ces deux syntagmes se recouvrant partiellement. En témoigne principalement la place accordée dans les deux acceptions, « politique » et « économique », du libéralisme, à l’idée d’une autorégulation par la concurrence. Sur le rôle essentiel accordé à la notion de concurrence pour définir la nature de la démocratie libérale, voir R. Aron, Démocratie et totalitarisme [1957-1958], 1re partie, chap. IV, Paris, Gallimard, 1981, p. 74-77. La notion de « société ouverte », théorisée par K. Popper, société étendant à la totalité du champ social le principe de la mise en concurrence d’une pluralité d’offres (aussi bien politiques, morales et théoriques qu’économiques), est reprise par Hayek pour démontrer, au moyen de ce qu’il considère comme l’efficacité sociopolitique et culturelle de la concurrence, son efficacité économique. Voir K. Popper, La société ouverte et ses ennemis [1945], Paris, Seuil, 1979 et F. Hayek, Droit, législation et liberté, op. cit., vol. I, p. 3 et suiv.

    7 M. Gauchet, préface au recueil de textes de B. Constant, De la liberté chez les modernes, Paris, Le Livre de poche, 1980, p. 11.

    8 D. Deleule, Hume et la naissance du libéralisme économique, Paris, Aubier-Montaigne, 1979, p. 402. La solution de D. Deleule est de distinguer deux courants hétérogènes au sein du libéralisme économique, l’un fondé sur la soumission à des lois naturelles, l’autre (issu de Hume) faisant une place à l’artifice et donc à l’invention politico-juridique. La distinction de grandes « catégories » au sein du libéralisme est une hypothèse séduisante et souvent adoptée. On la retrouve, par exemple, chez P. Manent (Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy, 1987). Elle est certes souvent féconde, mais, comme nous essayons de l’indiquer à la fin de cette introduction, elle se heurte à des objections dans l’étude détaillée des différentes doctrines. Nous privilégions pour notre part l’idée d’une combinatoire mouvante, au sein de la constellation libérale, variant selon les objets de théorisation.

    9 B. Spinoza, Traité de la réforme de l’entendement, § 88 et 89, trad. R. Caillois, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard (Pléiade), 1954, p. 133-134.

    10 E. Kant, Critique de la raison pure, IIe partie, Théorie transcendantale de la méthode, chap. I, Ire section, trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud, Paris, PUF, 1950, p. 503.

    11 On rappellera notamment que L. Strauss voit en Hobbes « le fondateur du libéralisme » (Droit naturel et histoire, trad. M. Nathan et E. de Dampierre, Paris, Flammarion (Champs), 1995, p. 166) ; P. Manent fait remonter « l’histoire intellectuelle du libéralisme » à Machiavel, Hobbes et Locke (Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit.) ; D. Deleule examine, dans la pensée de Hume, certains aspects de « la naissance du libéralisme économique » (Hume et la naissance du libéralisme économique, op. cit.) ; S. Meyssonnier identifie une « césure entre mercantilisme et libéralisme […] bien antérieure à 1758 » (La balance et l’horloge : la genèse de la pensée libérale en France au xviiie siècle, Montreuil, Les Éditions de la Passion, 1989, p. 16) ; C. Larrère identifie chez Gournay et Turgot l’apparition d’une « critique libérale » de la réglementation économique (L’invention de l ’économie, Paris, PUF, 1992, p. 138 et 162) ; C. Gautier trouve dans l’étude de Mandeville, Smith et Ferguson les moyens d’une « compréhension du paradigme de l’individu libéral » (L’invention de la société civile, Paris, PUF, 1993, p. 9) ; M. Biziou étudie, à travers l’œuvre d’A. Smith, « l’origine du libéralisme » (Adam Smith et l’origine du libéralisme, op. cit.).

    12 On pourrait le montrer en s’appuyant sur l’exemple d’autres termes dont la consistance conceptuelle est moins controversée. Ainsi le mot « État », apparu au xvie siècle dans diverses langues européennes par réaffectation d’un ancien mot latin (status), témoigne de l’apparition d’une nouvelle forme d’organisation politique qui ne pouvait plus être désignée de façon entièrement adéquate par les termes jusqu’alors disponibles, tels que « république » ou « cité ». Sur ce point, voir J.-P. Brancourt, « Des “estats” à l’État : évolution d’un mot », Archives de philosophie du droit, t. 21, Paris, Sirey, 1976, p. 39-54.

    13 La comparaison avec les usages du terme « État » à l’époque moderne peut encore être mobilisée ici, pour éclairer la question de l’usage du terme « libéralisme » à propos d’auteurs ne se désignant pas eux-mêmes explicitement comme tels. Alors que Machiavel, dès le début du xvie siècle et dès les premières lignes du Prince, utilise le terme moderne d’État (stato), et alors que le terme existe en français dans son sens moderne depuis 1490, Jean Bodin n’en fait pas usage, en 1576, dans Les six livres de la république. Il n’en est pas moins évident que c’est bien de l’État moderne que Bodin fait la théorie, plus encore que ne le fait Machiavel. Or, on pourra probablement en dire autant de tel ou tel auteur qui, au xixe ou au xxe siècle, ne se désignerait pas explicitement comme « libéral », alors que le mot est déjà disponible. De même, quoiqu’il soit évidemment anachronique et erroné d’utiliser le terme d’État pour désigner des formes politiques antiques, les historiens s’accordent à considérer que la gestation de l’État moderne commence dès le xiiie siècle, c’est-à-dire environ trois siècles avant l’apparition explicite du terme dans le lexique : il y a donc bien de l’« État » ou de l’étatique, au moins sous forme embryonnaire, avant que le mot lui-même n’apparaisse (sur ce point, voir notamment J. R. Strayer, Les origines médiévales de l’État moderne, trad. M. Clément, Paris, Payot, 1979). On peut pour les mêmes raisons concevoir un libéralisme avant le libéralisme.

    14 Les études réunies ici sont les versions écrites de communications prononcées en 2004 et 2006 à l’université de Cergy-Pontoise, dans le cadre du Centre de philosophie juridique et politique, lors de journées d’études sur le thème Droit et libéralisme : l ’usage des concepts juridiques dans l ’histoire de la pensée libérale et de sa critique.

    15 Il est impossible d’évoquer ici toutes les tentatives qui ont été proposées pour définir le libéralisme et dont certaines ont évidemment contribué à nourrir notre réflexion (comme en témoignent d’ailleurs les références qui y sont faites dans les différentes contributions). On mentionnera seulement, à titre indicatif, les ouvrages suivants : L. Dumont, Homo aequalis. Genèse et épanouissement de l’idéologie économique, Paris, Gallimard, 1977 ; P. Manent, Les libéraux, Paris, Hachette, 1986 et Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit. ; M. Foucault, Résumé des cours au Collège de France, Paris, Julliard, 1989, notamment p. 113-116 ; J.-P. Dupuy, Le sacrifice et l’envie. Le libéralisme aux prises avec la justice sociale, Paris, Hachette, 1992 ; P. Raynaud, « Libéralisme », dans Dictionnaire de philosophie politique, P. Raynaud et S. Rials éd., Paris, PUF, 1996 ; G. Souchon, Les grands courants de l’individualisme, Paris, Armand Colin, 1998 ; L. Jaume, La liberté ou la loi. Les origines philosophiques du libéralisme, Paris, Fayard, 2000 ; A. Laurent, La philosophie libérale, Paris, Les Belles Lettres, 2002.

    16 E. Kant, Introduction, § IX, Logique, trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1970, p. 84.

    17 J. S. Mill écrit dans De la liberté : « Le sujet de cet essai n’est pas ce qu’on appelle le libre arbitre – doctrine opposée à tort à la prétendue nécessité philosophique –, mais la liberté sociale ou civile : la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l’individu » (trad. D. White revue par L. Lenglet, Paris, Gallimard (Folio Essais), 1990, p. 61).

    18 On admet ici que la souveraineté est ce qui définit le pouvoir sous sa forme étatique, lequel se caractérise, comme l’écrit Bodin, comme pouvoir de « donner et de casser la loi » (Les six livres de la République, livre I, chap. X, textes choisis par G. Mairet, Paris, Le Livre de poche, 1993, p. 162).

    19 C’est pourquoi cette perspective a conduit à nourrir, dans plusieurs des contributions, une réflexion critique sur la pertinence des thèses de C. B. Macpherson relatives à ce qu’il nomme l’« individualisme possessif » (voir La théorie politique de l’individualisme possessif de Hobbes à Locke [1962], trad. M. Fuchs, Paris, Gallimard, 1971).

    20 Nous renvoyons sur ce point aux différentes contributions, qui, chacune à leur tour, explicitent et discutent la question de la pertinence d’une association entre les auteurs étudiés et la tradition « libérale ». S’agissant des auteurs contre-révolutionnaires, ils ne représentent certes pas la seule entreprise de critique systématique du libéralisme : dès le début du xixe siècle, avec Saint-Simon puis le courant socialiste, une autre critique s’élabore. Cependant, il ne s’agit pas ici de traiter exhaustivement des doctrines antilibérales, pas plus d’ailleurs que des doctrines libérales : notre recherche participe d’un chantier ouvert et inachevé. Cela étant admis, on doit néanmoins reconnaître un privilège théorique aux contre-révolutionnaires dans la problématique qui est la nôtre : comme le montre R. A. Nisbet, la pensée sociologique puis le socialisme dérivés des travaux de Saint-Simon et de Comte ont une dette essentielle à l’égard des renversements opérés par les contre-révolutionnaires dans la conception de l’ordre social. Voir R. A. Nisbet, La tradition sociologique [1966], trad. M. Azuelos, Paris, PUF, 1993, p. 26 ; et P. Macherey, « Aux Sources des rapports sociaux (Bonald, Saint-Simon, Guizot) », conférence prononcée à la Maison des sciences de l’homme, 1990 (communication personnelle).

    21 F. Hayek écrit : « Le fait de notre irrémédiable ignorance de la plupart des faits particuliers qui déterminent les processus sociaux est […] la raison pour laquelle la plupart de nos institutions sociales ont pris la forme qu’elles ont en fait. » Et plus loin : « Le point de départ de la théorie sociale […] est la découverte qu’il existe des structures ordonnées, qui sont le résultat de l’action d’hommes nombreux mais qui ne sont pas le résultat d’un dessein humain. Dans certains domaines, cela est universellement accepté. Bien qu’il y ait eu une époque où les gens croyaient que même le langage et la morale avaient été “inventés” par quelque génie du passé, tout le monde reconnaît maintenant qu’ils sont l’aboutissement d’un processus d’évolution dont personne n’avait prévu ni projeté les résultats. Mais dans d’autres domaines, bien des gens traitent encore avec suspicion l’affirmation que des schémas d’interaction d’hommes nombreux puissent présenter un ordre qui n’est l’œuvre délibérée de personne. Dans la sphère économique notamment, les critiques déversent encore des sarcasmes à base d’incompréhension sur l’expression d’Adam Smith parlant de la “main invisible”, image par laquelle, dans la langue de son temps, il décrivait comment l’homme est conduit à “promouvoir un résultat qui ne faisait nullement partie de ses intentions” » (Droit, législation et liberté, vol. I, Règles et ordre, op. cit., p. 14 et 43-44).

    22 Il est significatif que, comme le note A. Laurent, les auteurs américains représentatifs du courant qu’il considère comme le libéralisme « orthodoxe » se soient nommés eux-mêmes conservatives, l’adjectif liberal ayant reçu en anglais américain, comme on l’a noté, un contenu social-démocrate (voir Le libéralisme américain, op. cit., p. 22). J. A. Schumpeter utilise d’ailleurs comme des équivalents les adjectifs « libéral » et « conservateur » pour désigner les courants politiques opposés à l’intervention redistributrice de l’État (Histoire de l’analyse économique, op. cit., passim). On peut enfin rappeler les nombreux exemples historiques d’alliance entre des programmes conservateurs, voire réactionnaires, sur le plan politique, et libéraux sur le plan économique : en témoignent par exemple les responsabilités politiques exercées par les libéraux Guizot puis Thiers, au xixe siècle, au service de régimes autoritaires, ou encore, au xxe siècle, l’exemple très caractéristique du Chili de Pinochet. Quant au courant néoconservateur, très présent dans la politique américaine depuis les années Reagan jusqu’au second mandat de G. W. Bush, il associe, de façon semble-t-il très naturelle, désinvestissement de l’État dans le domaine économique, autoritarisme moral et mise sous contrôle sécuritaire de la société civile.

    23 Voir notamment F. Guizot, Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’état actuel de la France [1821], Paris, Belin, 1988. La théorie des « capacités » élaborée dans le libéralisme conservateur de Guizot – « capacités » qui se traduisent, concrètement, par des statuts de pouvoir légitimant une nouvelle aristocratie sociale émergente – articule de façon très cohérente réhabilitation du pouvoir et de la hiérarchie, et valorisation d’une forme de concurrence ouverte entre les membres de la société civile.

    24 La thèse peut d’ailleurs être rapprochée de celle des ultralibéraux contemporains, qui s’inscrivent sur ce point dans une lignée humienne : pour ce courant, bien plus que les principes généraux d’une loi naturelle ou d’une constitution, c’est la force critique de la défense et de l’affirmation, par les individus eux-mêmes, d’intérêts particuliers subjectivement éprouvés qui forme le rempart le plus efficace contre les abus de l’État.

    25 Cela peut contribuer à éclairer le sens de la préoccupation récurrente manifestée par les libéraux, depuis le xviie siècle jusqu’à nos jours, pour la problématique théologico-politique : préoccupation souvent remarquée, mais presque toujours sous-interprétée. L’explication n’est pas trivialement que les libéraux aiment l’exercice de la liberté sous toutes ses formes, donc la libre-pensée : leur préoccupation récurrente n’est pas tant celle d’une émancipation de la pensée par la raison (telle qu’on peut la concevoir par exemple dans une optique spinoziste) qu’une valorisation de la croyance religieuse s’exprimant dans sa plus grande pluralité. Les récentes inflexions de la droite libérale française sur la question de la laïcité, qu’il conviendrait de repenser selon un modèle plus proche de la tradition anglo-saxonne, pourraient donner lieu à une telle analyse de fond.

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    Ce livre est cité par

    • Stewart, Iain. (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.005
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.004
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.007
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.006
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    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.003
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    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.010
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.011
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.008
    • (2019) Raymond Aron and Liberal Thought in the Twentieth Century. DOI: 10.1017/9781108695879.009

    Ce chapitre est cité par

    • Spector, Céline. (2012) French Liberalism from Montesquieu to the Present Day. DOI: 10.1017/CBO9781139084178.006
    • Loncle, Stéphanie. (2013) Le théâtre, la littérature et les valeurs marchandes. Une analyse sociocritique de Chatterton et de Ruy Blas entre hier et aujourd’hui. Études littéraires, 43. DOI: 10.7202/1016848ar

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    Bachofen, Blaise. « Introduction ». In Le libéralisme au miroir du droit, édité par Blaise Bachofen. Lyon: ENS Éditions, 2008. https://doi.org/10.4000/books.enseditions.28715.
    Bachofen, Blaise. « Introduction ». Le libéralisme au miroir du droit, édité par Blaise Bachofen, ENS Éditions, 2008, https://doi.org/10.4000/books.enseditions.28715.

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