Chapitre 8
Un militantisme urbain
p. 205-236
Texte intégral
1Même si de nombreux travaux ont déjà envisagé l’histoire du développement et de l’organisation des écoles socialistes1, il est fondamental d’évoquer la façon dont ces différentes mouvances se situent dans leurs rapports à la ville. Où vivent ces avocats de la ruralité, ces dénonciateurs des méfaits des grandes villes ? En évitant une réponse simpliste – quoique valable : nous sommes toujours en présence d’urbains qui parlent doctement de la vie rurale dont ils ignorent l’essentiel – il importe de rappeler, à la lumière d’ouvrages portant sur ces organisations, ainsi qu’à travers le discours militant qu’elles produisent, le poids du milieu urbain dans le recrutement et la diffusion des idéologies socialistes.
Les organisations owénistes urbaines
2Les spécificités nationales jouent dans ce domaine un rôle non négligeable. L’existence en Grande-Bretagne d’une législation précoce sur les associations2, la pratique qui en découle permet une bonne connaissance de la structure administrative des différents mouvements socialistes (mais aussi syndicaux, culturels ou coopératifs). Malgré la tolérance – très relative – des débuts de la Monarchie de Juillet, le droit et les pratiques limitent considérablement en France la reconnaissance de groupes, ou de mouvements en tant que tels ; la structuration se fait de façon plus lâche, et par d’autres biais.
Les structures associatives
3J.F.C. Harrison recense les différentes organisations qui se succèdent dans la mouvance owéniste. Il souligne que la rencontre d’Owen, à son retour des États-Unis après l’échec de New Harmony, avec la classe ouvrière britannique « en formation » est un moment clé pour la structuration du mouvement. Ce moment bref et intense, où « pendant, cinq ans le mouvement ouvrier britannique fut saturé d’owénisme3 », constitue une expérience fondamentale. Jusqu’en 1829, on ne comptait que de petits groupes de disciples, entretenant des relations personnelles, et quelques périodiques. À partir de là, et cela se maintient après 1834, lorsque l’owénisme retourne à son ancienne approche non classiste, on a appris la valeur de l’organisation populaire aux niveaux local et national. L’owénisme devient un « mouvement social visible », avec des institutions, des leaders clairement désignés, des publications répandues. La capacité des owénistes à participer à des mouvements qui ne sont pas explicitement socialistes leur permet de faire pénétrer dans des couches larges les idées de leur maître. Outre le grand mouvement syndical unifié (Grand National Consolidated Trade Union) qui porte Owen à sa tête jusqu’en 1834, les associations coopératives voient se rencontrer owénistes, leaders du radicalisme artisan londonien, syndicalistes... L’expérience du National Equitable Labour Exchange, cette bourse où les marchandises s’échangeaient grâce à des « Labour Notes » sensés représenter le travail nécessaire à leur élaboration, s’inscrit dans ce contexte4. Cette période est la seule, selon J.F.C. Harrison, où l’owénisme fut un mouvement de masse. Réticente, voire hostile au chartisme, la nébuleuse owéniste fut très largement absente, sauf pour certains militants à titre personnel, de la grande revendication des années 1836 à 1848. Il n’en reste pas moins que cette phase correspond à une structuration ferme de l’organisation socialiste.
4L’Association de toutes les classes de toutes les nations (« Association of All Classes of All Nations »), fondée en 18355, illustre cet effort. The New Moral World publie les « lois » qui régissent cette association. Une disposition hiérarchisée couvre tout le territoire, à partir d’une association mère londonienne6 et de sections provinciales. Elle a un président, « le père du Nouveau Monde moral » et des membres répartis en trois catégories, qui constituent trois niveaux de connaissance et d’intégration au mouvement. Seuls les membres de la troisième catégorie jouent un rôle actif dans l’association. La publication rend compte régulièrement des activités de l’association, en particulier au moment de son congrès annuel comme celui de Manchester en 1837, qui crée la « Missionary Tract Society », chargée de la propagande et la « National Community Friendly Society », chargée de préparer la fondation d’une communauté. Ces deux associations forment en mai 1839 la « Universal Community Society of Rational Religionists », qui est dotée d’un comité exécutif et devient en 1842 la « Rational Society ».
5L’activité de ces diverses associations développe une intense propagande, par le biais de conférences, de controverses publiques, par la publication de multiples brochures et tracts. C’est contre ces pratiques que l’évêque d’Exeter prononce un discours en janvier 1840 à la Chambre des Lords, discours qui déclenche la grande offensive de l’épiscopat anglican contre l’owénisme. Il dénonce une organisation illégale, qui tient un congrès annuel regroupant des délégués issus de soixante-et-une sections locales (« chartered branches »), une organisation qui a quadrillé le territoire en quatorze districts, pris en main chacun par un « social missionary » appointé par un bureau central. Selon l’évêque, ces missionnaires visitent régulièrement trois cent cinquante villes... Comme le souligne J.F.C. Harrison, le mouvement owéniste bénéficie probablement, comme c’est fréquemment le cas, d’une exagération de son importance et de sa solidité. Les statistiques de l’évêque – qui évoque 500 000 tracts diffusés en 1839 – sont issues des publications owénistes et des rapports de cléricaux anti-owénistes, qui donnent – dans leur intérêt réciproque – une vision très favorable voire exagérée de l’activité du mouvement7. Le propos de l’épiscopat anglican est de dénoncer une secte religieuse, qui prêche des pratiques immorales.
6Que ce soit au travers des attaques cléricales ou des comptes rendus d’activité dans la presse socialiste, le mouvement se dessine comme essentiellement voire exclusivement urbain, par son recrutement, même s’il est difficile de connaître avec précision ce que fut le mouvement, d’où émergent, toujours selon J.F.C. Harrison, environ 150 owénistes connus, qui ne représentent qu’une fraction d’un mouvement revendiquant 70 000 à 100 000 adhérents. Les congrès des différentes associations regroupent des militants venant de différentes villes8, et mandatés par une association locale purement urbaine. The New Moral World publie à plusieurs reprise une « liste des adresses des secrétaires de la Universal Community Society of Rational Religionists9 ».
7Une soixantaine d’adresses nous donnent un aperçu de l’implantation locale du mouvement au moment de son influence maximale en 1840-1841. Du point de vue régional, c’est la Grande-Bretagne urbaine et industrialisée qui domine, comme en témoigne le tableau 1 (page suivante) : les Midlands et le vaste bassin de Manchester représentent près des deux tiers des sections. Si l’on y ajoute les « branches » londoniennes, il s’agit des trois quarts. La carte de ces sections coïncide avec celle de la densité de population de la Grande-Bretagne. Grand Londres, Grand Manchester, Midlands constituent l’essentiel, avec les grands centres écossais et quelques villes moyennes isolées. L’Angleterre « verte » n’est pas représentée dans cette carte. Les villes les plus importantes, depuis le début du xixe siècle, possèdent toutes une ou plusieurs sections ; sur les quinze premières villes anglaises de 1800, seules trois ne sont pas en 1841 le siège d’une section. Il est intéressant de souligner qu’il s’agit de trois villes méridionales, sans activités industrielles majeures, qui s’orientent vers le tourisme balnéaire10 et dont la population croit de façon limitée11. L’étude de la répartition de ces sections locales à la lumière des hiérarchies urbaines établies lors du recensement de 1851, décrite tableau 2 (page suivante)12 confirme cette tendance. Les quinze plus grandes villes britanniques de la moitié du siècle abritent en 1841 une section locale de l’Universal Community Society of Rational Religionist13. La corrélation reste très forte pour les grandes et moyennes agglomérations : près de neuf villes de plus de 50 000 habitants en 1851 sont recensées sur la liste des sections locales de 1841. Enfin, un peu moins de la moitié des « vraies » villes du milieu du siècle, regroupent suffisamment de militants pour qu’ait été créée une institution locale14. La comparaison avec la liste, beaucoup plus restreinte des villes représentées au congrès de Manchester de l’Association of All Classes of All Nations de 183715, mérite quelque attention : seize villes étaient représentées et huit avaient envoyé un rapport. Seules six des quinze plus grandes villes étaient représentées (Birmingham, Bradford, Bristol, Liverpool, Manchester et Londres), alors que l’on trouve neuf noms de villes qui ont disparu de la liste de 1840-1841. Il s’agit pour l’essentiel de petites villes, voire de bourgades16. Cette disparition que l’on peut mettre sur le compte de l’arrêt de l’activité d’un ou deux militants installés dans ces petites villes, rend peut-être également compte d’une hiérarchisation croissante de l’organisation, qui a tendance à privilégier les centres urbains majeurs pour implanter ses sections locales, quitte, lorsqu’un centre urbain de second rang compte suffisamment de militants, à dédoubler les sections17.
Tabl. 1 – Répartition régionale des sections locales de l’UCSRR.
Région | Section | % / total |
Londres | 7 | 13 % |
Londres + Sud Ouest | 11 | 20 % |
Lancashire (dont Manchester, Liverpool) | 14 | 26 % |
Lancashire + Cheschire | 18 | 33 % |
Midlands | 16 | 30 % |
Écosse | 4 | 7 % |
Écosse + Nord | 6 | 11 % |
Est | 3 | 6 % |
total | 54 | 100 % |
Tabl. 2 – Hiérarchies urbaines et répartition de sections locales de l’UCSRR.
Nombre de villes | g.b. | ucsrr | % |
de plus de 20000 habitants | 82 | 37 | 45 % |
de plus de 50000 habitants | 32 | 28 | 87,5 % |
de plus de 60000 habitants | 23 | 21 | 91 % |
de plus de 80000 habitants | 14 | 14 | 100 % |
8Il n’en reste pas moins qu’un tiers environ des sections owénistes est installé dans de petits centres urbains : il va de soi que la présence d’un ou de quelques militants décidés cristallisent une adhésion supérieure à la moyenne nationale. Ces « petites » sections sont pour la plupart localisées dans les zones où la densité militante est la plus forte : Lancashire, Cheschire et Midlands. Hors de ces régions, seules les grandes villes sont concernées.
Pratiques urbaines
9Nous avons déjà, à plusieurs reprises, souligné le rôle éminent des « social missionaries » appointés par le mouvement pour diffuser le message owéniste. Responsables d’une région, ils sont tous basés dans une grandes ville18 ; la trentaine de militants qui se succèdent rapidement dans ces postes sont pour la plupart des ouvriers autodidactes, qui se sont formés dans différents mouvements revendicatifs, syndicaux, coopératifs, dans la presse « unstamped », tout en se proclamant owénistes. Leur expérience est, pour les plus connus19, exclusivement urbaine, même s’ils sont amenés à traverser des régions rurales pour se rendre – parfois à pied – d’une ville à l’autre. Tous ou presque sont nés en ville ; et leur vie professionnelle et militante se déroule exclusivement en milieu urbain. Ce qui paraît net, c’est que le mouvement owéniste n’a jamais « ciblé » sa propagande sur telle ou telle catégorie de la population, en prétendant toujours s’adresser à l’humanité entière. De ce fait, le discours semble particulièrement adapté à une classe ouvrière urbaine plutôt cultivée, bien sûr alphabétisée. Il n’y eut jamais de brochures, de journaux explicitement adressés aux populations rurales20. Un owéniste isolé s’en plaint d’ailleurs amèrement dans une lettre que publie le New Moral World. Il commence par remarquer que les problèmes rencontrés dans la communauté d’Harmony Hall, qui tiennent aux relations tendues qu’entretiennent les travailleurs agricoles et les socialistes, sont la conséquence d’une méconnaissance de la part des premiers du message socialiste. Si on avait instruit et formé ces travailleurs de la terre, les problèmes ne se seraient pas posés. Ensuite, il expose ses propres revendications, reprochant l’absence de propagande dans la région rurale qu’il habite (le Lincolnshire). Ce militant « de base » se plaint de son isolement et réclame qu’une « personne compétente soit envoyée pour prononcer des conférences dans chaque ville de cette région [...] afin de (la) sauver de l’erreur théologique et politique21 ». Insérée sans commentaire dans le journal, la lettre de ce « jeune converti », qui écrit d’Homcastle, Lincolnshire, souligne – de façon négative – la façon dont le mouvement owéniste s’ancre surtout dans les grandes villes, délaissant une propagande rurale, mais aussi en direction des petites villes, qui s’avère trop aléatoire.
10Les activités militantes prennent de nombreuses formes ; il semble que la diffusion de tracts ou de brochures soit le moyen le plus répandu de faire connaître le message socialiste : on estime que deux millions et demi de tracts ont été distribués entre 1839 et 1841, au moment où l’owénisme atteint son sommet. De même, les libraires, les éditeurs, comme Joshua Hobson22, ont une place fondamentale dans la diffusion des écrits owénistes mais offrent aussi des lieux de propagande orale active.
11L’attaque menée par l’épiscopat anglican contre le mouvement permet de voir la façon dont l’espace urbain est un enjeu de cette lutte : un certain Walker propose ainsi de riposter à la distribution de tracts anti-socialistes, en ridiculisant les « hommes-sandwichs » payés par les ennemis du socialisme : il suffirait qu’un militant les suive pas à pas avec une « contre-affiche et des tracts d’un contenu opposé23 ». Le même numéro du New Moral World rend compte d’une autre utilisation de l’espace urbain, à l’occasion des funérailles d’une socialiste de Stockport, accompagnée au cimetière par trois cents socialistes menés par Robert Owen. Ce dernier se voit refuser le droit d’officier dans le cimetière et décide donc de tenir un discours improvisé à l’extérieur devant les militants et les curieux. La cérémonie funéraire se transforme en démonstration de force à travers la ville et en occasion de développer la propagande24. Owen, orateur réputé, parcourt le pays pour répandre son message ; la propagande orale est de toute évidence fondamentale. Les organes owénistes en rendent compte régulièrement, soulignant les assistances nourries. Au plus fort du mouvement, on compte mille quatre cent cinquante conférences prononcées dans l’année. Ainsi, la possibilité de pouvoir délivrer des discours ou des conférences régulièrement est-elle partie prenante dans la volonté d’établir une organisation stable dans chaque grande ville, qui passe le plus souvent par la construction ou l’achat d’un bâtiment. Cette politique systématique, originale (les Trade Unions ne le font par exemple pas) répond à une nécessité : les socialistes ont des difficultés à obtenir de locaux religieux ou municipaux. Pour J.F.C. Harrison, l’aspect millénariste du mouvement, la proximité du modèle religieux de la secte est très important pour expliquer le rôle de ce type de bâtiment. Une maison permanente, visible, offre une opportunité de renforcer – à moindre frais et à moindre risque par rapport à une expérience communautaire – la combativité des militants. Les années 1839-1841 voient une véritable fièvre de construction de « Halls of Science » dans les villes où l’owénisme est puissant25. Outre les bâtiments préexistant à Londres et Leeds, on construit des « Halls of Science » à Sheffield, Huddersfield, Glasgow, Radcliffe Bridge, Manchester (il y remplace la Social Institution de Salford), Liverpool, Birmingham, Halifax, Stockport, Bristol... et même dans de petites villes comme Worcester, Yarmouth, Macclesfield. Ces bâtiments abritent des activités diverses26 : de grandes conférences (souvent le dimanche en concurrence directe avec la messe), mais aussi des écoles du dimanche, voire des écoles primaires, des cours pour adultes, une petite bibliothèque... Ils ont aussi une fonction sociale : les owénistes sont célèbres pour leurs bals... Le destin de ces « Halls » est en général bref. J.F.C. Harrison souligne qu’à l’instar des communautés des années 1820, ils ne survivent que deux ou trois ans dans leurs conditions originales, en particulier à cause de problèmes financiers. Manifestant la vitalité d’un groupe local27, l’érection et l’entretien du lieu de réunion préoccupe au premier chef les militants. Comme il faut également financer l’expérimentation contemporaine de Queenwood (Harmony Hall) et payer les « social missionaries », nombreux sont les conflits28 qui éclatent entre les « local branches », soucieuses de consacrer beaucoup d’argent à leur propre « Hall » et le « Central Board » qui veut centraliser toutes les énergies. Sans sur interpréter ces points de discorde, on peut y voir une distorsion entre la volonté affichée de réaliser une expérimentation (en milieu rural) et la force des pratiques militantes urbaines, ancrées dans une réalité sociale.
12L’une des raisons de l’échec des « Halls of Science » réside dans le combat violent mené par un certain nombre de religieux contre le socialisme. Le conflit fait du lieu un enjeu idéologique fort, l’assimilant à une sorte de contre-église, ce qui interdit à toute une frange de la population qui aurait pu être intéressée par certaines activités culturelles ou éducatives d’y pénétrer sous peine d’être taxée d’infidélité. Robert Buchanan consacre un chapitre de sa très anticléricale petite histoire du clergé moderne29 aux « persécutions des socialistes par le clergé et ses adeptes ». Il décrit (le New Moral World et de nombreuses brochures concordent avec ce discours) la façon dont clergé « de choc » et socialistes s’affrontent pour s’imposer dans l’espace urbain. À côté des débats contradictoires où s’opposent « social missionaries » et véritables professionnels de l’antisocialisme, il évoque les interventions musclées, les coups de main dans les meetings owénistes, la diffusion de tracts calomnieux pour dissuader les gens d’écouter une conférence voire pour les appeler à empêcher physiquement la tenue des réunions. Bagarres, provocations sont monnaie courante dans ces années 1839-1841, souvent avec la bénédiction voire l’appui des autorités locales. Cette logique d’affrontement montre comment, avec le soutien du clergé local, relayé par le patronat (à Manchester, Brindley fait le tour des employeurs pour leur « conseiller » de ne pas engager voire de renvoyer les ouvriers socialistes...) des révérends comme John Brindley ou Joseph Barker (qui voyagent de ville en ville pour s’opposer à la propagande owéniste) livrent une dure bataille sur le terrain urbain pour tenter d’interdire la propagande socialiste. Dans ce contexte, l’existence des « Halls of Science » apparaît comme une provocation pour ces opposants : c’est un lieu de réunion d’où on ne peut expulser les socialistes et certains font un parallèle avec les églises...
13Dans ce rapport militant à la ville, les owénistes privilégient les structures plutôt closes ; la manifestation ne fait pas partie de leurs pratiques, à l’exception du bref moment où l’owénisme fut à la tête du mouvement syndical : The Crisis du 26 avril 183430 relate en détail le déroulement de la grande manifestation londonienne qui veut déposer une pétition en faveur des « six de Dorchester31 ». Toutes les composantes de la manifestation chartiste des années suivantes s’y trouvent déjà : la foule à la fois défilant et spectatrice, le bon ordre, la présence policière. Un véhicule porte les pétitions, suivis des leaders (ici Owen et le radical Carpenter, ainsi qu’un révérend en habits sacerdotaux) ; devant le refus des autorités de recevoir la pétition, toute la manifestation passe alors devant le véhicule... Cet exemple isolé illustre la proximité de certains aspects de l’owénisme avec les pratiques qui seront celles du chartisme. De nombreux responsables chartistes ont été formés au militantisme dans les associations owénistes ; et certains restent des owénistes « de cœur » fort tardivement.
14Les historiens de l’owénisme soulignent que, contrairement au chartisme, il ne fut pas un mouvement de masse après 183432. De ce point de vue, il convient de souligner qu’à l’aune des mouvances socialistes françaises les dizaines de milliers de militants33 revendiqués par Owen et ses organisations apparaissent gigantesques.
Les réseaux fouriéristes
15Le système des sociétés secrètes républicaines de la Restauration et de la Monarchie de Juillet constitue la seule référence qui ait pu influencer les organisations socialistes françaises34. Elle n’inspire de toute évidence pas les fouriéristes, qui témoignent une nouvelle fois du fait qu’ils ne se situent pas dans cette filiation.
16De son vivant, Fourier fut au centre d’un petit cénacle de disciples, qui s’élargit un peu dans les années 1830, à la faveur de la publication du Phalanstère. Le fouriérisme ne fut jamais un mouvement constitué, mais une nébuleuse dont le centre était constitué par l’organe de presse de ce qui était devenu « l’école ». Si certains disciples, au premier plan Considerant, cherchent à diffuser les thèses de Fourier par des conférences, des cours à Paris et dans les grandes villes de province, c’est par l’écrit que l’on tente de faire connaître le message. Fourier lui-même, convaincu que son but immédiat était de découvrir un généreux expérimentateur, ne se préoccupe pas énormément d’une propagande active. Considerant au contraire fait de l’école une véritable machine de propagande, multipliant les brochures, les ouvrages, les périodiques. Le « catalogue » des publications de l’école sociétaire le démontre de façon explicite. Michel Vernus décrit précisément la façon dont les locaux de La Phalange puis de la Démocratie pacifique constituent le centre de la nébuleuse fouriériste35. Le recrutement plutôt bourgeois qui caractérise le mouvement explique peut-être l’absence d’organisation structurée, même après la mort de Fourier. Ainsi Maurice Agulhon, tout en « soupçonnant » une présence phalanstérienne à Toulon depuis au moins 1845, n’est pas en mesure d’en rendre compte avant la création au début de la révolution de 1848 d’un « club phalanstérien ». Il souligne cependant le poids des officiers dans le mouvement fouriériste. De ce point de vue, Toulon, garnison importante, n’échappe pas à la règle. Mais la « lisibilité » des réseaux saint-simoniens est bien supérieure36. Le fouriérisme est une théorie, qui concerne chaque disciple personnellement et ne débouche pas forcément sur un engagement public. De plus, le refus de Considerant de voir se constituer une véritable association s’explique probablement par une volonté d’assurer seul la direction du mouvement. C’est tout le sens de la controverse qui l’oppose en 1836 en particulier à Muiron et aux francs-comtois, qui souhaitaient la mise en place d’une société, avec des règles, un processus d’admission ou d’affiliation, qui soit en mesure d’organiser les relations entre les différents groupes de province et la rédaction du journal37. La dispute rebondit en 1837 et fut à l’origine de la dissidence de ceux qui allaient tenter, autour de Jean Czynski, et plus tard de l’expérience avortée de Cluny, de créer l’Institut sociétaire.
17De ce fait, tenter de rendre compte des implications urbaines de la diffusion du fouriérisme « orthodoxe », très largement majoritaire, ne peut se concevoir qu’à travers une étude précise de l’activité de Victor Considerant, étude qui reste très largement à faire38. La seule activité collective qu’il nous soit donné de connaître au travers de la presse fouriériste s’apparente à une cérémonie commémorative : tous les ans, pour célébrer l’anniversaire de la mort de Fourier, se tient un grand banquet phalanstérien, occasion de forger l’unité du mouvement dans le souvenir du maître disparu. Les débuts de la seconde République voient une amplification du phénomène, avec la tenue de plusieurs banquets, parfois en province. Toutefois, il ressort de cette évocation de l’activité militante fouriériste une image modeste. Il s’agit de propager un message, de faire connaître un discours, fort peu d’imposer des pratiques et de créer des liens organiques. Les bureaux de la rue Jacob puis de la rue de Tournon constituèrent le lieu de rencontre des socialistes proches du journal, sans acquérir de dimension militante. Goodwyn Barmby, rendant compte dans le New Moral World, de son séjour en France en 1840, souligne qu’en débarquant à Boulogne il lui fut impossible, tout comme à Abbeville, de trouver la Phalange ou tout autre écrit de Fourier...39 Quant à ses contacts parisiens, il publie une liste des « réformateurs sociaux de Paris », se contentant de différencier les « phalanstériens » des « communitariens »40, visiblement surpris de la faiblesse des organisations socialistes.
18La nature du militantisme urbain apparaît, à côté de l’étude des mouvements socialistes, également à travers les discussions sur le bien-fondé des expérimentations communautaires rurales et sur la nécessité du départ de la ville.
Quitter la ville ?
19Lorsqu’il s’agit d’expliquer, pour les owénistes, les raisons de l’échec des différentes tentatives communautaires, le discours est toujours le même : les participants n’étaient pas préparés à l’expérimentation41. En 1837, deux articles du New Moral World sont consacrés à tirer « les leçons du passé ». Ils envisagent les raisons de l’échec de New Harmony et d’Orbiston42 : mésentente entre les membres, absence ou départ de Robert Owen, lenteur des travaux (particulièrement à Orbiston) et surtout inadaptation des populations à leur nouveau mode de vie. On ne s’improvise pas paysan. Ceci explique probablement – avec la disparition de la fortune personnelle de Robert Owen, engloutie dans New Harmony – les précautions prises avant une nouvelle expérimentation. L’expérience fouriériste de Condé-sur-Vesgre (1832-1833) fournit à peu près les mêmes récriminations et est l’objet du même refus de reconnaissance de la part des fouriéristes officiels. Le raisonnement tautologique fonctionne toujours : la phalange, par sa réussite, convaincra le monde entier ; si Condé a échoué, c’est donc que ce n’était pas une phalange d’essai43. L’impatience de certains militants perce dans les lettres qu’ils envoient aux journaux.
Impatiences et réticences militantes
20Suite à la publication d’une lettre signée W.H.S. en octobre 1836, souhaitant l’expérimentation44, un lecteur, qui signe « Socialist », réclame de façon relativement virulente sa mise en pratique. Il met le retard sur le compte des atermoiements londoniens, qui freinent l’enthousiasme provincial :
« Je ne vois pas pourquoi une Communauté ne pourrait pas être immédiatement établie. Je ne vois pas d’obstacle à cela. À Salford, cette question provoque un vif intérêt ; une souscription a été mise sur pied. [...] Aux admirateurs silencieux du Système, je crie : levez-vous, débarrassez-vous de la léthargie qui vous a envahis, montrez vous dignes d’être les disciples de M. Owen45. »
21La rubrique « Herald of Community », outre des extraits d’ouvrages d’Owen ou de Thompson, à visée pratique, regroupe les lettres sur ces questions. On peut penser qu’il s’agit de préparer les esprits à l’expérimentation de Queenwood, qui commence en 1839. De toute évidence, les années 1836-1837 voient un fort bouillonnement militant, autour de l’expérimentation. La volonté de faire quelque chose se manifeste partout. On trouve, ainsi, une étude signée W.H.S. (William Hawkes Smith46), parue le 31 décembre 1836. S’adressant en particulier aux « socialistes du Warwickshire et du Staffordshire47 », il encourage, à la lumière des rencontres qu’il a faites, les socialistes à tenter une expérimentation. Soulignant que la conjoncture économique plutôt favorable les autorise à épargner pour constituer un capital, il s’attache à réfuter toutes les objections qui pourraient être faite contre ce processus. On peut penser que, ce faisant, il est probable qu’il formule une réponse à de multiples réflexions émanant de militants urbains, acquis à la cause mais doutant de la possibilité pour eux d’être les acteurs du changement. Premier obstacle : les femmes. W.H. Smith explique qu’il faut désamorcer leur hostilité, en leur expliquant tous les bénéfices à tirer de l’habitation communautaire, du point de vue de l’intimité et des conditions de vie. La question du travail agricole se pose clairement, car elle constitue un obstacle à l’implantation de communautés. La réponse est claire : « Quel travailleur est-il totalement étranger à la délicieuse activité du jardinage ? » L’agriculture communautaire, ce n’est en fait que du « jardinage sur une large échelle ».
22Aussi, les ouvriers, qui ont été capables de comprendre le message d’Owen, n’auront aucune difficulté à apprendre à travailler la terre, grâce à la science du travail et de la vie en commun que l’owénisme dispense. Cette réticence s’explique selon W.H. Smith par l’esclavage dans lequel sont maintenus les ouvriers. Il leur faut cesser de se penser comme de ouvriers, comme une classe ou une caste. Chacun doit se considérer avant tout comme un être humain. Cette réflexion est intéressante : elle témoigne d’une certaine difficulté des dirigeants owénistes à effacer le caractère prolétarien de l’adhésion au mouvement, dans une phase où le discours se fait résolument non classiste. Smith l’exprime clairement quand il écrit :
« Il y a deux vérités, dont vous devez être convaincus afin d’être de vrais, d’actifs Socialistes. I) Vous ne constituez pas forcément une classe ouvrière. II) Vous n’êtes pas forcément habitants des grandes villes insalubres, sans aucun confort, et pleines d’incitation à la démoralisation48. »
23L’appartenance de classe est donc clairement liée à la résidence urbaine. Pour convaincre les sympathisants et les militants owénistes de la possibilité de l’expérimentation, il est nécessaire de combattre ensemble deux attitudes liées : le sentiment de classe et celui d’appartenance à une communauté urbaine. Il existe plusieurs façons de comprendre le message socialiste : littéralement comme un appel à la réalisation communautaire ou, plus souplement, comme un mode de compréhension et d’explication de la société contemporaine. On peut donc se réclamer de l’owénisme, mais aussi du fouriérisme, et n’avoir aucune ambition de quitter son atelier et son échoppe. En témoignent les souscriptions purement militantes en faveur des communautés ; on est prêt à aider à la réalisation du projet, mais sans se sentir impliqué réellement. La civilisation urbaine est corrompue, malsaine, certes ; mais on y est habitué...
24Nous touchons ici l’une des limites fondamentales de ce socialisme : négligeant la force de la conscience de classe49, il ne prend pas vraiment en compte l’amour de la ville qui s’exprime chez ces classes populaires urbaines, à travers la « parole ouvrière50 ». Nombreux sont en effet les récits témoignant d’un véritable amour de la ville, qui vérifient la formule de Michelle Perrot selon laquelle « l’ambition ouvrière s’inscrit au cœur des villes51 ». Contrairement à l’attitude constatée au xxe siècle52, la revendication ouvrière du xixe siècle porte d’abord sur le droit à la ville. Les conflits concernent plus les problèmes de loyer que de logement. Les mémoires de Martin Nadaud53 ou d’Agricol Perdiguier54, les écrits de Charles Noiret55, tout comme les nombreuses autobiographies ouvrières de l’époque victorienne56 convergent largement pour dessiner le tableau d’une ville où l’on échappe aux contraintes et à la surveillance familiale et villageoise, où l’on jouit, même incomplétement, d’une ouverture culturelle et sociale très appréciée57.
25Les réticences au départ s’inscrivent de toute évidence dans cette perspective. George Jacob Holyoake est l’auteur d’un article en trois parties qui relate une « visite à Harmony Hall », dans le journal qu’il dirige en 1843-1844, The Movement58. Les premières phrases de ce « reportage » augurent parfaitement du ton général :
« La visite à Harmony constitue un pèlerinage parfait, tellement est grande la distance avec n’importe quelle section socialiste. En réalité, ceux qui ont la hardiesse de faire le voyage devraient être capables de cette façon d’assurer leur salut social. La rédemption catholique a souvent été acquise par des moyens plus faciles. »
26Holyoake décrit dans le détail toutes les difficultés rencontrées pour arriver à Harmony : personne ne connaît l’adresse, la gare de chemin de fer elle-même est inconnue à Londres. On lui indique de mauvaises routes, les conditions climatiques sont déplorables... Jouant sur le registre de la connivence, il dresse le tableau d’un Londonien perdu en pleine campagne, dans un milieu sauvage et hostile. Arrivé à Harmony Hall, le constat est rude : on a dépensé l’argent (la critique implicite est qu’on a gâché inutilement les efforts militants) pour décorer splendidement un bâtiment, faire travailler la terre par des salariés, et ne rien réaliser de concret. Loin des bases militantes, loin des régions industrielles, l’expérimentation ne dispose d’aucun appui, d’aucun débouché. Derrière l’ironie amère de l’auteur, perce nettement un ressentiment face à la direction du mouvement, dont l’évolution « sectaire » provoque un malaise grandissant chez les militants urbains. Ces articles provoquent de nombreuses réactions, souvent indignées, dans la presse owéniste59. The Movement reproduit le commentaire désabusé d’un militant owéniste anonyme, qui pense qu’il aurait fallu continuer la propagande, pour que les conditions d’une expérimentation moins risquée soient réunies. Au détour de cette lettre, l’auteur, qui signe W C (working class ?), délivre sa propre conception de l’engagement militant. On se trouve ici dans le cadre d’une adhésion à l’owénisme qui ne s’accompagne pas du désir de quitter la ville pour tenter une expérimentation rurale. Après « avoir rejoint le mouvement social », ce militant a cotisé pour la réalisation de la communauté mais « sans la moindre idée de devenir jamais l’habitant d’une communauté, car mes goûts ne sont pas adaptés à une telle vie. Je préfère les hauts et les bas du vieux monde, et la quiétude et le calme d’une communauté ne me plairaient pas du tout60 ».
27L’owéniste français Jules Gay, dans la longue série d’articles qu’il publie dans le New Moral World, tentant une forme de synthèse entre l’owénisme et le fouriérisme souligne que la communauté peut très bien s’installer en périphérie urbaine :
« C’est ici, c’est à Paris, c’est à Londres, c’est au milieu de ce progrès qui nous a formés, au milieu de la production de nos arts, de la lumière de notre science ; c’est au milieu des amis de notre enfance, que nous devrions rester, parce que nous les aimons, même si parmi eux nous n’avons trouvé que misère et indigence61. »
28La ville lieu du progrès – J. Gay place les socialismes dans une démarche progressiste – joue un rôle dans la naissance et l’épanouissement des thèses socialistes. De plus, le devoir d’humanité qui s’impose aux socialistes leur commande de se préoccuper directement du salut de leurs concitoyens, en ville. Cette opinion, originale, s’accompagne chez Jules Gay d’un appel vibrant à l’essor du militantisme urbain.
29Ces tensions sont particulièrement sensibles dans le mouvement owéniste où la composante prolétarienne est importante. Se faisant l’avocat de la communauté en direction des classes populaires urbaines, Owen est dans une certaine mesure prisonnier du militantisme urbain qu’il a motivé et créé. L’opposition entre leaders « bourgeois » et militants ouvriers se fait parfois vive, notamment dans le cadre des tentatives communautaires. Jusqu’à un certain point, les fouriéristes n’ont pas à affronter ces réticences au départ. La composition sociale plutôt bourgeoise du mouvement et surtout le côté abstrait de l’expérimentation (qui constitue davantage une référence qu’un objectif clairement désigné, surtout après l’échec de Condé-sur-Vesgre) explique probablement cette singularité. On ne rechigne pas à quitter la ville, puisque aucun projet sérieux n’est mis en place avant la fin de notre période. Notons cependant qu’une fraction de l’école fouriériste manifeste son impatience d’une tentative, certains allant même juqu’à rallier le mot d’ordre de Cabet de « partir pour Icarie ».
La voie coopérative
30La constitution de coopératives62 en milieu urbain semble parfois un bon moyen de résoudre cette contradiction ; cela peut permettre de constituer le capital nécessaire à l’expérimentation communautaire63. Un article du Lancashire and Yorkshire Co-operator, journal publié par l’owéniste Edward T. Craig64, intitulé « Co-operation65 », décrit précisément la façon dont la coopérative peut servir de préparation à la communauté. Au départ, grâce à de petits dépôts, on peut construire une sorte de caisse d’épargne, qui permet à l’association de constituer le capital pour l’achat de la terre et les constructions, et permettre l’instauration d’une communauté. Ce schéma est celui que les militants owénistes tentent d’appliquer à partir du moment où les ressources financières personnelles d’Owen ne lui permettent plus de financer une communauté et où les riches adeptes du « système social » se font rares. Le principe coopératif offre une opportunité d’accomplir l’expérimentation. Cependant, l’article prend en compte d’éventuelles réticences à s’implanter à la campagne ; il explique que l’on n’est pas forcé d’avoir pour but la communauté, et que le principe coopérateur peut aussi améliorer la vie des citadins. On anticipe ici sur un refus du départ de la ville, en prenant en compte ce désir de la ville qui se manifeste. À l’intérieur même de la mouvance owéniste se crée ainsi une concurrence urbaine au modèle communautaire. On peut penser que cette « menace » constitue l’un des facteurs d’explication de la rupture des années 1834- 1835 qui s’opère entre l’owénisme et le mouvement ouvrier naissant. Owen est favorable au syndicalisme et à la coopération s’ils ont pour but de préparer l’avènement du « Nouveau Monde moral » et de la communauté ; la coopération comme fin en soi lui semble une déviation de son discours (il en va de même du Trade Unionisme).
31La référence fouriériste à la coopération est beaucoup plus tardive. Certes, on évoque le système des fruitières franc-comtoises66, et l’on accueille avec bienveillance des « boulangeries sociétaires67 » ; mais il n’y eut jamais – avant 1848 – de tentative réelle de promouvoir par ce biais le discours et les pratiques fouriéristes, si l’on excepte l’expérience lyonnaise menée par Michel Derrion du « Commerce véridique et social », première coopérative de consommation française (1835-1838). Saint-simonien d’abord, puis plutôt proche du groupe fouriériste « dissident » du Nouveau Monde, Derrion met sur pied un réseau de distribution (sept magasins) qui survit trois ans. Ignoré de Considerant et de la plupart des fouriéristes (au moins à ce qu’il nous paraît), il ne semble pas avoir joué un rôle fondamental dans le mouvement, même du côté des « dissidents68 ». Le grand développement des associations de travailleurs et de consommateurs à la veille de la révolution de février et surtout après l’établissement de la Seconde République n’est certes pas pour déplaire aux rédacteurs de la Démocratie pacifique. La diffusion du thème de l’association, même si elle doit plus à Bûchez et à Louis Blanc qu’à Fourier, leur semble positive. Ainsi, La Démocratie pacifique consacre une rubrique hebomadaire69, intitulée « Visite aux associations », aux coopératives de production ou de consommation70. Maurice Agulhon souligne l’existence à Toulon d’un « restaurant sociétaire » d’août à décembre 185171. Il est intéressant de constater que s’y réalise, à très petite échelle, la fusion d’une association ouvrière et de certaines préoccupations bourgeoises, dans une France urbaine méridionale où le débat politique est déjà muselé.
32À côté de ces évolutions coopératives, d’autres socialistes, plus proches du projet originel, proposent des adaptations urbaines du modèle communautaire.
Les adaptations urbaines
33L’idée d’une application même ponctuelle des théories socialistes à la réalité urbaine n’est pas uniquement le fait de disciples plus ou moins émancipés. L’exemple vient de haut : Fourier comme Owen sont amenés à prendre en compte cette hypothèse. Il s’agit de démontrer la viabilité de leur système, même dans des conditions inadéquates.
34C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre les développements de Fourier dans La Fausse Industrie72, dans lesquels il évoque la construction par le gouvernement, en plein centre de Paris, d’un restaurant prévu pour rassembler six mille consommateurs. Grâce à l’application des méthodes préconisées, centralisation des achats, de la fabrication et du service, on fournira à un prix très économique une nourriture de bonne qualité, adaptée à la bourse des différents clients. Outre cet avantage immédiat, cette réalisation est sensée avoir un grand rôle dans l’évolution des idées et des mœurs. L’expérimentation limitée dans un cadre urbain permet une démonstration de la supériorité sociale et économique du système sociétaire, même dans le cadre de la société civilisée73.
35Le problème rencontré par Owen lors de la tentative américaine de New Harmony est inverse : comment transformer une petite ville de l’Indiana en communauté ? Owen est amené à utiliser les bâtiments préexistant et à s’adapter à l’établissement qu’il a acquis. Il était prévu de construire à l’écart de la ville une communauté selon le modèle « classique74 », mais ce projet ne fut jamais réellement mis en application. Le premier grand échec owéniste est ainsi en quelque sorte un projet urbain, même s’il s’agit d’une toute petite ville, ce qui n’est pas le cas des propositions qui, tout au long de l’histoire du mouvement owéniste, émanent des militants.
Une communauté londonienne ?
36Dès les origines, des voix se lèvent en effet pour discuter de l’opportunité d’une tentative urbaine. Le premier numéro du premier journal owéniste, The Economist, en janvier 1821, se fait l’écho d’un projet de « Co-operative and Economical Society75 ». On se trouve face à un « degré zéro » de la communauté, applicable à la ville : deux cent cinquante familles, occupant des logements contigus, se réuniraient pour prendre leurs repas en commun, pour partager les travaux domestiques et l’éducation des enfants. Chacun continuerait son activité professionnelle et verserait une participation financière pour le bon fonctionnement de la société. Le responsable de The Economist, George Mudie, semble être à l’origine de cette association76. Plus précise, la lettre de « Philo Justitia » publiée en août 182177 propose explicitement l’établissement d’une communauté dans Londres. Les motivations avancées pour ce projet ne manquent pas d’être intéressantes. L’auteur évoque la tentative de Motherwell, lancée par James Hamilton, qui échoua par manque de fonds. Il reproche à ce projet son isolement et préconise une tentative dans Londres ou à proximité immédiate. Située au cœur de la capitale, la communauté, à l’instar d’un caillou jeté au milieu d’un étang, serait connue d’un cercle de plus en plus grand, qui finirait par couvrir l’ensemble du pays. De plus, ainsi localisée, elle pourrait être connue de tous les « gens de talent », qui seraient vite convaincus78. L’article décrit avec précision toutes les activités auxquelles pourraient se livrer les habitants de cette communauté urbaine79. L’essentiel serait d’abord centré sur une économie domestique, puis sur des activités d’enseignement voire plus tard sur des productions spécifiques.
37Il exista effectivement de 1821 à 1824 une communauté située en plein Londres, à Spa Fields (dans le quartier de Finsbury), sous la responsabilité de George Mudie, sur laquelle on ne connaît que fort peu de détails80. Désavouée par Owen qui n’est pour rien dans sa création, elle constitue l’unique exemple de tentative communautaire délibérée en milieu urbain. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle se situe aux origines du mouvement owéniste, à un moment où Owen ne disposait que d’une petite cohorte de fidèles. La décision de s’installer en ville n’est donc pas liée à une implantation militante forte mais directement à une relecture des projets owénistes, à une adaptation urbaine des « villages de coopération » à base largement agricole que préconise Owen. Ceci explique probablement l’hostilité d’Owen vis-à-vis de ce projet, dont il fut parfois accusé d’avoir précipité la chute.
38Les autres suggestions du même type concernent la période, où au contraire se met en place le militantisme owéniste. Elles s’intègrent dans le bouillonnement que nous avons évoqué précédemment. La plus originale est sans conteste celle qui préconise la création d’une « Floating Co-operative Community81 ». Avant de développer son projet, l’auteur, rendant hommage à la pensée de Robert Owen, établit un parallèle avec l’arche de Noé :
« Comme la préservation de l’espèce humaine a dépendu de l’arche, pourquoi la régénération de la société ne sortirait-elle pas de l’eau. Le déluge qui a détruit les imperfections de la société antédiluvienne, peut contribuer, grâce à la science moderne, à établir les fondations du nouveau monde moral, en donnant une habitation et un nom à ce qui a été appelé avec mépris le système visionnaire de M. Owen82. »
39Le projet est simple : il s’agit d’acheter un vieux bateau, de grande dimension et de trouver un emplacement pour l’amarrer sur les berges de la Tamise. Peu onéreuse (par rapport à l’achat d’un terrain ou de bâtiments), cette solution se révèle, selon son auteur, très pratique et très modulable. On pourra y loger de nombreuses personnes (avec toutes les commodités et l’intimité requise par le système), y créer des espaces communs (salle de bal, de lecture, salles de jeu pour les enfants, restaurant...), et disposer sur place de réserves pour tous les produits nécessaires. Le vaisseau pourra également contenir des ateliers, voire une laiterie. Sa situation sur le fleuve le rendra économique : le charbon et tous les autres produits importés ou exportés seront acquis au meilleur prix et l’on pourra utiliser la force motrice de la Tamise pour actionner des machines. La localisation de ce bateau permettra en outre à ceux qui le souhaitent de conserver un emploi dans Londres.
40L’auteur termine sa lettre en exprimant la conviction que la réussite de cette réalisation, même de faible ampleur, aura des conséquences décisives, soulignant a contrario que l’incapacité du mouvement à mettre sur pied un si petit projet serait un révélateur de sa faiblesse. Fait notable, Robert Owen est loin d’être hostile au projet. Dans la présentation qu’il donne de cette lettre, il explique que « c’est de loin le projet le plus réalisable qui ait été proposé pour donner aux “social friends” de la métropole beaucoup d’avantages relevant de l’état social d’existence83 ». Cela permet à ceux qui continueraient à « travailler dans et pour le vieux monde » d’avoir un aperçu, certes incomplet, du bonheur social. Il conseille aux officiers en demi-solde, aux gens qui travaillent sur les docks ou à proximité du fleuve d’étudier en détail ce projet, qui n’eut, à notre connaissance, aucune suite concrète. Tout en soulignant le côté imparfait et provisoire de cette création, l’auteur de l’article et dans une certaine mesure Robert Owen tendent à réduire les contradictions qui existent entre un militantisme urbain et un modèle communautaire qu’on aurait tort de considérer comme complétement figé. C’est à notre sens le principal défaut d’une réflexion de type « utopiste ». Trop persuadés que le projet communautaire ne se situe que dans l’imaginaire, certains auteurs rencontrent des difficultés lorsqu’il s’agit de considérer les adaptations, voire les modifications de ces systèmes et sont parfois tentés de les ignorer84.
41La proposition de « J.W. » est encore plus explicite. Il estime qu’il est nécessaire, une fois convaincu de la justesse de la théorie d’Owen et une fois pénétré des grands principes, de se préparer physiquement au nouveau monde moral :
« Je pense que nous n’avons pas fait tout ce qui est en notre pouvoir pour nous préparer à un état de la société si radicalement opposé à notre expérience, même si elle nous est familière en théorie. [...] Sommes-nous prêts à franchir le pas sur l’instant vers un état social, un véritable paradis comparé au présent, sans aucune préparation préalable, je veux dire une préparation expérimentale ? Serons-nous capables, en quittant la vieille société, de laisser derrière nous ces pratiques que nous suivons depuis notre naissance, presque inconsciemment quoique de façon strictement mécanique85 ? »
42La question est d’importance, compte tenu de la place privilégiée donnée à l’éducation dans le système owéniste. Si le caractère de l’homme, pour reprendre l’expression bien connue, n’est pas formé par lui mais pour lui (et donc par la société), comment résoudre la contradiction qui se présente ? Owen explique clairement comment les générations formées dans la communauté accéderont à une vie sociale harmonieuse ; il néglige de s’intéresser à la génération qui doit effectuer la liaison entre les deux mondes. La proposition de « J.W. » n’en est que plus intéressante : il soumet l’idée qu’à travers Londres les militants owénistes se regroupent de façon informelle, en louant une maison pour deux ou trois familles, afin à cette échelle minimale de se préparer au nouveau monde moral, en mettant en commun leurs finances et leurs activités domestiques. Bien que publiée dans The New Moral World, cette lettre ne fut pas commentée. Elle fournit une nouvelle indication de la façon dont le thème communautaire est constamment questionné, remis en cause, en milieu urbain.
43La préoccupation de John Minter Morgan, nous l’avons vu, se situe sur un autre registre. Il adhère au système owéniste sur une base essentiellement philanthropique ; son propos n’est pas – au moins à partir de 1830 – de transformer la société mais de tenter de résoudre certains problèmes sociaux. Il publie en 1830 une Lettre à l’évêque de Londres pour lui proposer un plan destiné à mieux loger et moraliser les classes ouvrières. Compte tenu du coût élevé du terrain et en conséquence du logement, il s’agit de favoriser la construction par des propriétaires de logements collectifs pour les ouvriers en périphérie de Londres86. Outre le logement, ces bâtiments offriraient des écoles pour les enfants, des activités récréatives, ainsi que des magasins, des artisans... Morgan utilise le modèle owéniste, reprenant jusqu’à la forme des bâtiments, pour proposer une solution qui s’apparente aux cités-dortoirs87.
Ménages sociétaires et hôtels d’ouvriers
44Charles Harel, industriel établi à Vaugirard, et inventeur d’une rotissoire mécanique, fut l’un des administrateurs de La Démocratie pacifique. Il publie en 1839, « au bureau de la Phalange », c’est-à-dire dans le cadre des publications de l’école fouriériste « orthodoxe », un petit ouvrage intitulé Ménage sociétaire ou moyen d’augmenter son bien-être en diminuant sa dépense88. S’affirmant dans la droite ligne du message fouriériste, il entend l’appliquer ponctuellement dans le cadre d’une initiative parisienne.
45Ce ménage sociétaire est conçu pour abriter au moins deux cents personnes, l’idéal étant d’atteindre le nombre de mille cinq cents ou deux mille (et donc la taille d’un phalanstère). Harel reprend très classiquement tous les avantages de l’association : c’est économique, on est mieux servi, on jouit de la compagnie des voisins tout en bénéficiant d’une intimité intacte. Chacun disposera d’une chambre individuelle, et aura accès au restaurant ou à la bibliothèque. « Cet ouvrage est surtout adressé aux veufs et aux célibataires »89, précise-t-il, si possible d’un âge raisonnable, entre 35 et 70 ans ; car cela correspond à « la maturité de la raison, et dans le milieu de la vie on possède à peu près les mêmes goûts90 ». Il estime que l’établissement pourra accueillir des hommes et des femmes. Certes, il y aurait un risque que la mixité posât des problèmes (rien n’est prévu pour d’éventuels couples...) mais en bon fouriériste, Harel estime que l’animation qu’offrirait cette présence féminine serait bénéfique pour l’essor des passions. Son projet lui semble permettre à une frange de la population qui n’a pas les moyens de vivre selon ses désirs dans la capitale, et qui se voit obligée de « s’exiler » en province, de rester à Paris, tout en bénéficiant des meilleures conditions de vie. Dénonçant l’ennui des petites villes, où se réfugient des Parisiens qui n’ont plus les moyens de vivre dignement à Paris, il leur propose une solution pour conjuguer vie confortable et atmosphère parisienne, car s’exclame-t-il : Peut-on quitter Paris quand on aime les sciences, les arts et la liberté91. Le projet de Harel s’inscrit ainsi dans la même lignée que les réflexions « parisianistes » sur les cancans de la petite ville. Il rend de plus bien compte du milieu social d’une large partie de l’auditoire fouriériste. Sa maison sociétaire semble conçue pour abriter petits rentiers, employés, petits bourgeois ; on peut se demander si les ouvriers auraient leur place dans cette résidence...
46On retrouve un écho de ces préoccupations dans l’organe des fouriéristes « conservateurs », Le Nouveau Monde92. Le numéro du 1er septembre 1840 annonce la création d’une société dont l’objectif est d’établir une « maison sociétaire pour cent personnes ». Le projet reposait sur l’acquisition d’un immeuble « dans le plus bel emplacement des Champs-Élysées93 », dans lequel on installerait cent logements commodes, de quatre catégories différentes. Chaque « sociétaire-locataire », propriétaire d’actions de la société et payant une sorte de loyer deviendrait propriétaire d’une partie de la maison. L’article, comme c’est la coutume, prévoit au franc près le budget annuel de la société, et en démontre la viabilité et l’intérêt. Il ne semble pas que ce projet ait jamais connu un début de réalisation.
47Ces deux projets concernaient surtout les classes moyennes voire la petite bourgeoisie ; les « hôtels d’ouvriers », au contraire, comme leur nom l’indique, constituent un effort particulier d’amélioration des conditions de vie populaire en milieu urbain94. Valois, l’auteur des deux articles qui présentent ces « hôtels » a, quelques semaines plus tôt, publié dans La Démocratie pacifique des articles sur les « comptoirs communaux », qui ont pour but d’« adapter l’association au service des échanges, principalement dans les campagnes95 ». Dans la continuité, Valois entend « faire voir aujourd’hui comment le même principe pourrait s’appliquer à la consommation ». L’ouvrier est mal logé, mal nourri, mal vêtu ; ainsi sa santé est précaire, et son travail insuffisant pour lui permettre de vivre décemment. Par rapport à l’ouvrier anglais, son homologue français est rachitique, moins vigoureux. En particulier, il ne consomme pas assez de viande, et de moins en moins de vin96. Grâce à l’association, il se logerait et se nourrirait économiquement ; on établirait même une boulangerie commune afin de réduire encore les coûts. Ces hôtels seraient de grande ampleur : quatre ou cinq cents ménages, des écoles, des salles d’asile, une cuisine commune... Après avoir décrit les logements, Valois détaille les différentes activités abritées par ces hôtels. Il est frappant de constater qu’à l’exception notable de l’agriculture, on retrouve les fonctions remplies par le phalanstère : logement, nourriture, éducation, garde des enfants mais aussi « ouvroirs pour les femmes, ateliers pour les hommes, où s’exécuteront tous les travaux que font aujourd’hui les ouvriers qui travaillent en chambre97 ».
48Il propose même l’installation d’une machine à vapeur dont la puissance serait louée aux ouvriers selon leurs besoins. Le discours est très proche de celui que l’on tient sur le phalanstère : ainsi la proximité des ateliers et des écoles permettrait « le développement (des) vocations industrielles98 ». Et l’auteur semble nourrir de grandes espérances quant à la réussite « morale » de cette association ; son succès constituerait, à l’instar de celui d’une « phalange d’essai », un précédent fondamental. Cette interprétation du modèle fouriériste classique s’accompagne (la coïncidence est intéressante) d’une réflexion sur le rôle de l’État. C’est à lui que revient le devoir de financer ces réalisations, et, à défaut aux conseils municipaux, voire à une « œuvre de bienfaisance privée ». Mais l’auteur souligne qu’« il ne s’agit plus de faire l’aumône au peuple ; ce n’est point par la charité qui donne qu’on délivrera le peuple de sa misère, c’est par la charité qui produit99 ». Toute la différence entre les cités ouvrières100 et ces réalisations repose sur cette conception globale de la résolution des problèmes sociaux. Il ne suffit pas de mieux loger l’ouvrier, il convient qu’il puisse mieux se nourrir, mieux s’éduquer, mieux se distraire, et mieux travailler : « Ce sont des institutions productives qu’il faut fonder, et non pas seulement des institutions charitables101. »
49L’architecte fouriériste César Daly102 consacre deux articles de sa Revue générale de l’architecture et des travaux publics à évoquer les divers projets, en Grande-Bretagne, en Belgique d’amélioration des conditions de vie ouvrière. Il évoque en particulier la « Metropolitan Association for Improving the dwellings of the industrious classes » et ses projets de construction103. À cette occasion, il fournit une analyse intéressante des conceptions contemporaines du logement ouvrier modèle :
« Les industriels réformateurs ont accepté le plus souvent l’ancien principe du morcellement ; autant de familles, autant de maisons. [...]
Les socialistes ont voulu profiter des économies que présente l’association ; dans ce système, les maisons isolées disparaissent ; les familles se concertent, se groupent pour habiter un même édifice, chauffé et éclairé à frais communs. [...]
Les philanthropes, les hommes charitables et bienveillants, qui veulent tout simplement secourir les malheureux, et diminuer la misère des indigents [...] empruntent des procédés, tantôt aux socialistes, et tantôt à ceux que nous avons nommé des industriels-réformateurs104. »
50Les préoccupations de cet architecte fouriériste, au milieu des années 1845, forment une synthèse de l’évolution d’une partie notable des socialistes sur les questions urbaines. La première partie de son étude reprend tous les thèmes de la dénonciation de la ville. Paris et Londres, par leur taille, « sont de monstrueuses anomalies. Dans leur sein se perdent la santé, la richesse et la morale publique105 ». L’industrie est en partie responsable de ces excès ; Daly estime qu’il aurait fallu installer à la campagne les grandes usines106...
51Pourtant, malgré ce constat négatif, malgré ces conceptions aéristes, l’auteur consacre l’essentiel de ses articles à promouvoir des améliorations urbaines concrètes. Il se situe à la charnière des deux discours concurrents et souvent enchevêtrés que tiennent les socialistes sur la ville : elle est une « erreur », la conséquence des abus et des défauts de la Civilisation et l’on construit des modèles qui la nient mais, de plus en plus, elle est le lieu où se développent les doctrines et les pratiques socialistes.
Notes de bas de page
1 Nous renvoyons, pour le mouvement owéniste, à l’ouvrage déjà fréquemment cité de J.F.C. Harrison (Robert Owen and the Owenites in Britain and America, London, Routledge and Kegan Paul, 1969, xi-392 p.). Il n’existe à notre sens pas d’équivalent sur le mouvement fouriériste ; le livre fondamental de Jonathan Beecher (Charles Fourier, the Visionary and his World, Berkeley, University of California Press, 1986, traduction française Fourier. Le visionnaire et son monde, Paris, Fayard, 1993, 618 p.) est une biographie (certes d’une qualité rare) de Fourier et n’envisage pas à proprement parler le mouvement, si ce n’est dans ses relations avec le maître. De plus, il se clôt avec la mort de Fourier. Sur Considerant, cf. Maurice Dommanget : Victor Considerant, sa vie, son œuvre, Paris, Éditions sociales internationales, 1929, 227 p. et Michel Vernus : Victor Considerant 1808- 1893. Le cœur et la raison, Dole-Saint-Imier, Canevas, 1993, 272 p.
2 On sait que, depuis 1825, le droit d’association est – au moins formellement – reconnu en Grande-Bretagne.
3 J.F.C. Harrison, Robert Owen and the Owenites, op. cit., p. 196.
4 L’organe owéniste, The Crisis, rend ainsi compte (vol. I, n° 1, saturday, april 14, 1832) du 3e congrès des « cooperative societies » où Owen et Lovett s’expriment successivement, et où le premier propose son « Exchange Labour Banks ». Owen préside d’ailleurs un meeting le 22 août de la même année qui entend le rapport du comité chargé de réfléchir à l’organisation de l’« Equitable Labour Exchange » (The Crisis, vol. I, n° 25, saturday, august 25, 1832, p. 97).
5 Après le départ d’Owen du GNCTU, il fonde à l’automne 1834, la « British and Foreign Consolidated Association of Industry, Humanity and Knowledge », qui se transforme ensuite en AACAN.
6 « Laws of the Association of All Nations », The New Moral World, vol. I, n° 19, saturday, march 7, 1835, p. 145-147 : « London or Parent Association/Provincial and Foreign Branches. »
7 Michèle Riot-Sarcey a bien montré, à partir de l’exemple français, comment la volonté de présenter les réformateurs sociaux comme des utopistes – et donc de refuser toute discussion de leurs thèses – s’accompagne d’une exagération et d’une amplification de la menace qu’ils représentent. Michèle Riot-Sarcy, Le Réel de l’utopie, op. cit.
8 Le débat que nous avons déjà évoqué (chap. VI) lors du congrès de 1840 à propos de la capitale du mouvement entre Leeds et Londres illustre lui aussi cette caractéristique urbaine de l’organisation owéniste. The New Moral World, vol. 8, n° 1, saturday, july 4, 1840, p. 10-13.
9 On la trouve, entre autres occurrences, dans le n° 4, vol. 8, saturday, july 25, 1840, p. 61 (63 adresses) ou dans le n° 14, vol. 9, saturday, april 3, 1841, p. 211 (61 adresses) : « List of the addresses of secretaries of the Universal Community Society of Rational Religionists. »
10 Ces trois villes sont Plymouth, Bath et Portsmouth. La liste des quinze plus grandes villes d’Angleterre est tirée de James Walvin : English Urban Life 1776-1851, London, Hutchinson, 1984, p. 11. Hormis Londres et les trois villes citées, on compte Manchester, Liverpool, Birmingham, Bristol, Leeds, Norwich, Sheffield, Hull, Nottingham, Newcastle, Bradford.
11 Ces trois villes n’atteignent en 1851 qu’environ 50 000 habitants, selon Paul Bairoch et alii : La Population des villes européennes de 800 à 1850, Genève, Droz, 1988, xix-337 p. Selon cet ouvrage, Plymouth avec 16 000 habitants en 1801 (Walvin le crédite de 43 000) n’appartient pas aux plus grandes villes anglaises.
12 Nous avons utilisé pour ce tableau les données chiffrées du livre de Paul Bairoch cité ci-dessus. Le recensement de 1851, dont la fiabilité est supérieure à ses prédécesseurs, révèle que l’Angleterre est devenue urbaine à 54 %. Il marque donc le résultat de la croissance urbaine lancée dans les années 1820-1830, et nous semble un bon révélateur du dynamisme démographique urbain au moment où s’installent ces sections locales, entre 1837 et 1841.
13 Il s’agit de Londres, Liverpool, Glasgow, Manchester, Birmingham, Edimbourg, Leeds, Bristol, Sheffield, Bradford, Nottingham, Newcastle, Hull, Dundee. Si la ville de Salford n’est pas sur la liste, ce faubourg de Manchester, qui relève de la même « branch », est un centre important du mouvement owéniste. Jusqu’à la construction du « Manchester Hall of Science », c’est à la « Social Institution » de Salford que se réunissaient les owénistes. Portant le numéro 1, la « branch » de Salford avec 440 membres en 1839 était la plus importante du pays.
14 La moitié des secrétaires de la liste de 1841 sont nouveaux par rapport à celle de 1840, ce qui pourrait laisser penser qu’il s’agit de responsabilités réelles, et non seulement d’une reconnaissance individuelle.
15 The New Moral World, vol. III, n° 136, saturday, june 10, 1837, p. 347-353.
16 À l’exception cependant de Derby.
17 Plusieurs noms de petites villes ne sont pas suivis de l’adresse d’un secrétaire, et pour certaines, la correspondance doit être envoyée au Hall of Science de la grande ville voisine.
18 Les six premiers sont respectivement localisés à Londres (Lloyd Jones), Birmingham (James Rigby), Manchester (Robert Buchanan), Liverpool (Alexander Campbell), Glasgow (Frederick Hollick) et Leeds (John Green). Avec Sheffield, où Isaac Ironside s’installe un peu plus tard et la région des Potteries, on retrouve ici les zones pricipales du militantisme owéniste. (Cf. J.F.C. Harrison, op. cit.)
19 Le Dictionary of Labour Biography, J. Bellamy, J. Saville (dir.), London, Macmillan, 1972-1984, en 8 volumes, comporte des notices sur un certain nombre de militants owénistes : John Francis Bray, Alexander Campbell, Abram Combe, Robert Cooper, Edward Craig, John Finch, John Gray, James Hole, George Jacob Holyoake, Isaac Ironside, Patrick Lloyd Jones, Emma Martin, John Minter Morgan, George Mudie, William Pare, Henry Travis.
20 Cette remarque est valable pour le socialisme français contemporain, à l’exception de quelques tentatives tardives, comme le Républicain des campagnes d’Eugène Sue.
21 A Young Convert, « Want of Social Missionaries in the Agricultural Districts. To the Editor of the New Moral World », The New Moral World, vol. 6, n° 40, saturday, july 27, 1839, p. 638.
22 Radical, chartiste, syndicaliste, Joshua Hobson (1810-1876) fut l’un des éditeurs les plus importants de l’owénisme, dont il partage largement les idées. Il illustre ces médiateurs par lesquels les idées coopératives, socialistes, syndicales, politiques se rencontrent ; cf. la notice que lui consacre Simon Cordery dans le volume VIII du Dictionary of Labour Biography, op. cit., p. 113-119.
23 Walker, « A New Way to Pay Old Debts. To the Editor of the New Moral World », The New Moral World, vol. 8, n° 2, saturday, july 11, 1840, p. 23.
24 « Funeral of a Socialist », The New Moral World, op. cit.. p. 20.
25 Le congrès de 1841 de l’UCSRR estime que 32 000 livres ont été investis dans les « Halls of Science », pouvant contenir 22 000 personnes.
26 J.F.C. Harrison, op. cit., décrit le modèle du « Hall of Science » comme un croisement entre un « mechanics’ Institute » (où se tiennent des cours pour adultes) et une chapelle méthodiste.
27 Par exemple, George Fleming, inaugurant le Hall of Science de Huddersfield, maginifie les progrès récents du socialisme dans cette ville qui ont permis l’érection du bâtiment ; G.A. Fleming : The Right Application of Science : an Address Delivered at the Opening of the Huddersfield Hall of Science, Leeds, J. Hobson, 1839, 24 p.
28 Cf. Edward Royle, Robert Owen and the Commencement of the Millenium, Manchester University Press, 1998, xi-274 p.
29 Robert Buchanan, A Concise History of Modern Priestcraft, from the Time of Henry VIII until the Present Period, Manchester, A. Heywood, 1840, 172 p.
30 The Crisis, vol. IV, n° 3, saturday, april 26, 1834, p. 20-21.
31 Cet épisode fameux, qui illustre la lutte du patronat britannique pour contrer le processus d’unification syndicale et l’appui que lui donne le gouvernement whig au nom de la défense de la propriété, voit six journaliers syndiqués être condamnés à la déportation à la faveur d’un recours à la législation sur les conspirations.
32 Cf. par exemple, Chushichi Tsuzuki, « Robert Owen and Revolutionary Politics », in Robert Owen, Prophet of the Poor. Essays in Honour of the Two Hundreath Anniversary of his Birth, edited by Sydney Pollard and John Salt, London, Macmillan, 1971, xi-318 p.
33 J.F.C. Harrison, op. cit., p. 231, estime que plus 50 000 personnes assistaient dans les années 1839-1841 aux conférences hebdomadaires du mouvement (« sunday lectures »).
34 Cf., l’Histoire du parti républicain en France de Georges Weill, 1re édition 1900, réimpression de l’édition de Paris, 1928, Paris-Genève, Slatkine, 1980, viii-430 p., avec une présentation de Maurice Agulhon.
35 Michel Vernus, Victor Considerant 1808-1893. Le cœur et la raison, Dole-Saint-Imier, Canevas, 1993, 272 p.
36 Maurice Agulhon, Une ville ouvrière au temps du socialisme utopique. Toulon de 1815 à 1851, Paris-La Haye, Mouton, 1970, 368 p.
37 Cf. à ce propos J. Beecher, op. cit., p. 506 et suivantes. Beecher renvoie aux travaux d’Émile Poulat sur cette question.
38 L’ouvrage de Maurice Dommanget, qu’on aurait tort de négliger, ne prend cependant pas du tout en compte cet aspect (Maurice Dommanget, Victor Considerant, sa vie, son œuvre, Paris, Éditions sociales internationales, 1929, 231 p). L’excellent petit ouvrage de Michel Vernus, Victor Considerant, op. cit., apporte cependant de très nombreux éclaircissements.
39 Goodwyn Barmby, « Journal of a social mission in France », The New Moral World, vol. 8, n° 2, saturday, july 11, 1840, p. 21.
40 Goodwyn Barmby, « Journal of a social mission in France », The New Moral World, vol. 8, n° 10, saturday, september 5, 1840, p. 155. Il insiste à plusieurs reprises sur l’existence d’un « café phalanstérien » dirigé par Confais.
41 Ainsi, un article du London Cooperative Journal, n° 1, vol. IV, january 1840, p. 3-5, intitulé « Reply to the supposed failure of cooperation », développe cet argument à propos de New Harmony, y ajoutant qu’Owen était rentré en Angleterre. L’absence du chef, dont on souligne alors systématiquement la réussite de New Lanark, constitue un leitmotiv.
42 « Lessons from the Past », The New Moral World, vol. III, n° 143, saturday, july 22, 1837, p. 313-314 et n° 144, saturday, july 20, 1837, p. 321-322.
43 Cf. J. Beecher, op. cit., chap. XXIII, « La création d’une Phalange », p. 469-485.
44 The New Moral World, vol. II, n° 102, saturday, october 8, 1836.
45 « Herald of Community », The New Moral World, vol. III, n° 111, saturday, december 10, 1836, p. 51.
46 Dans la mesure où il se dit habitant de Birmingham et où il rend compte des réunions qu’il organise, on peut penser que ce W.H.S. est William Hawkes Smith, militant important de Birmingham, cité dans la harangue de l’évêque d’Exeter parmi les principaux « agitateurs » owénistes. On connaît peu ce personnage, owéniste mais aussi membre de l’Église unitarienne, plus ou moins versé dans la phrénologie, et qui mourut en 1840.
47 W.H.S., « To the Socialists of Warwickshire and Staffordshire », The New Moral World, vol. III, n° 114, saturday, december 31, 1836, p. 73-75. Il s’agit de deux comtés des Midlands, contenant les villes de Birmingham, Coventry, Stoke-on-Trent (Potteries).
48 Ibid.
49 Edward P. Thompson, The Making of the English Working Class, trad. française, La Formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard-Le Seuil, 1988, xvi-791 p.
50 Cf. La Parole ouvrière 1830-1851, Textes rassemblés et présentés par Alain Faure et Jacques Rancière, Paris, UGE., 10/18, 1976, 447 p.
51 Michelle Perrot, « Les ouvriers, l’habitat et la ville au xixe siècle », in La Question du logement et le mouvement ouvrier français, Paris, les éditions de la Villette, 1981, p. 32. Sur cet attachement ouvrier à la ville et au centre, cf. également les analyses de la commune de Paris de Jeanne Gaillard (Paris la ville, Paris, Champion, 1976, 676 p.) et de Jacques Rougerie (Paris libre, Paris, Le Seuil, 1971, 286 p.) sur « la reconquête de la ville par la ville ».
52 Cf. Michel Verret, « les ouvriers portent plus de valeurs au logement qu’à la ville », in L’Ouvrier français. L’espace ouvrier, Paris, A. Colin, 1979, p. 153.
53 Martin Nadaud, Mémoires de Léonard, Bourgagneuf, 1895, réédition par Maurice Agulhon, Paris, Hachette, 1976, 557 p.
54 Agricol Perdiguier, Mémoires d’un compagnon, Genève, Duchamp, 1854-1855, réédition par Maurice Agulhon, Paris, Imprimerie nationale, « Acteurs de l’Histoire », 1992, 528 p.
55 Sur Charles Noiret, outre la notice du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. 3, sous la direction de Jean Maitron, Paris, Éditions ouvrières, 1966, p. 154-156, voir Jean-Pierre Chaline, L’Affaire Noiret, Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, 1986, 214 p.
56 John Burnett, David Vincent, David Mayal (ed.), The Autobiography of the Working Class : an Annotated, Critical Bibliography, Brighton, Harvester, 1984, vol. 1, 1790-1900, xxxvi-463 p.
57 « La ville est un théâtre aux mille “poulaillers” [...] La ville est un marché, une forêt où l’on peut braconner », M. Perrot, « Les ouvriers, l’habitat et la ville au xixe siècle », op. cit., p. 32.
58 G.J. Holyoake, « A visit to Harmony Hall », The Movement, vol. 1, n° 47, wednesday, october 30, 1844, p. 401-403 ; n° 48, wednesday, november 6, 1844, p. 409-413 ; n° 49, wednesday, november 13, 1844, p. 417-421. Quoique toujours plus ou moins dans la mouvance owéniste, Holyoake se préoccupe principalement de la lutte contre l’influence cléricale, à ce moment.
59 Les critiques de Holyoake s’inscrivent dans un vaste débat autour de la communauté, de sa gestion (calamiteuse), de la démocratie interne. Cf., pour une analyse s’intégrant dans une réflexion sur le rapport entre owénisme et politique (d’où la ville est malheureusement largement absente), Gregory Claeys, Citizens and Saints. Politics and Anti-Politics in Early British Socialism, Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 247-260. Cf. également Edward Royle, Robert Owen and the Commencement of the Millenium, op. cit.
60 W.C., « Social Communities – Harmony Hall », The Movement, vol. 2, n° 58, wednesday, january 22, 1845, p. 31.
61 « Communication from M. Gay, of Paris », The New Moral World, vol. 2, n° 64, saturday, january 16, 1836, p. 95.
62 Le mouvement coopératif, tant britannique que français, constitue la principale – sinon l’unique – instance qui, dans la seconde moitié du xixe siècle (voire ensuite), se réclame du socialisme dont nous parlons. Cf. parmi beaucoup d’ouvrages, les Cours sur la coopération de Charles Gide au Collège de France (Paris, éd. de l’Association pour l’enseignement de la coopération, 1921-22), ou J.F.C. Harrison, « A new view of Mr Owen », in Robert Owen, Prophet of the Poor, edited by Sydney Pollard and John Salt, London, Macmillan, 1971, xi-318 p. Cf. également André Gueslin (in L’Invention de l’économie sociale, Paris, Economica, 1987, p. 23-24), qui, soulignant que « Owen, Fourier, Cabet vont bien au-delà de la coopération qui ne les concerne pas ou même qu’ils méprisent », estime que ces auteurs appartiennent à l’histoire de l’économie sociale « parce que certains de leurs disciples, confrontés aux faits, réorienteront les pensées fondatrices dans un sens pragmatique pour aboutir à des modèles d’économie sociale ». Ce mépris ne nous semble pas toujours évident, de la part d’Owen...
63 C’est l’une des propositions formulées par William Thompson, dans ses Practical Directions for the Speedy and Economical Establishment of Communities, London, Strange, 1830, p. iii-iv.
64 Edward T. Craig (1804-1894) fut l’un des plus actifs militants owénistes de l’agglomération de Salford-Manchester. Son nom reste attaché à la communauté de Ralahine (près de Limerick), qui fonctionna de novembre 1831 à novembre 1833, avec une certaine réussite. Avant de s’intéresser à la phrénologie, et de s’éloigner du mouvement owéniste, il se consacra beaucoup aux problèmes d’éducation. Il avait créé une coopérative de consommation dans les années 1828-1830.
65 « Co operation », The Lancashire and Yorkshire Co-operator, n° 1, september 3, 1831, p. 1-3. Succédant au Lancashire Co-operator (juin-juillet 1831), ce périodique bi-mensuel survécut jusqu’en février 1834.
66 Wladimir Gagneur, Des fruitières, ou associations domestiques pour la fabrication du fromage de gruyère, Paris, Bureau de la Phalange, 1839, 16 p. Ce travail fut d’abord publié dans La Phalange.
67 Glatigny, Les Boulangeries sociétaires. Leur organisation et projets de statuts, Paris, Librairie phalanstérienne, 1847, 60 p.
68 Cf. André Gueslin, L’Invention de l’économie sociale, op. cit., p. 46-48 et 137-138, qui utilise les analyses de J. Gaumont. 11 souligne avec justesse que ces tentatives ont surtout pour origine les fouriéristes dissidents (même si Glatigny est un « orthodoxe »).
69 C’est devenu la fréquence du journal depuis août 1850.
70 Le n° 2 du 11 août 1850 comporte par exemple un article sur la boulangerie sociétaire de Nantes, mais l’on parle aussi des facteurs de piano parisiens, des corroyeurs, des marbriers, fabricants de limes et rapes, ouvriers tourneurs en chaises, menuisiers en fauteuil ; à chaque fois, la structure de l’article est semblable : description des ateliers, organisation, composition du capital, rémunérations, « histoire » de l’association. L’on évoque également des coopératives de consommation ou « associations pour la vie à bon marché ». Le propos est net : il ne s’agit pas d’associations fouriéristes mais c’est un pas en avant et une démonstration de la justesse des principes sociétaires.
71 M. Agulhon, Une ville ouvrière, op. cit., p. 320-325.
72 Charles Fourier, La Fausse Industrie, Paris, Bossange, 1836, vol. 2, réimpression anastatique, Paris, Anthropos, 1967, p. 759-760.
73 Il s’agit ici d’un des – rares – moments où Fourier évoque une éventuelle phase intermédiaire, un « progrès ». Le plus souvent – c’est la thématique de la « phalange d’essai »–, il compte sur une expérience isolée pour faire la démonstration de son système. La contradiction avec sa conception « historique » du développement urbain (cf. chap. 6, à propos de la ville garantiste), si elle apparaît patente, ne lui pose guère de problèmes...
74 « The community at New Harmony, Indiana », The Co-operative Magazine and Monthly Herald, n° 1, january 1836, p. 15 : « Afavorable site has been marked out, on which the new buildings are to be erected. »
75 The Economist, vol. I, n° 1, saturday, january 27, 1821, p. 11-16.
76 Sur George Mudie, voir la notice que lui consacrent H.F. Bing et J. Saville, dans le Dictionary of Labour Biography, t. I, op. cit., p. 249-251, pour des compléments sur cet exemple unique de communauté urbaine, cf. Dennis Hardy, Alternative Communities in Nineteenth Century England, London, Longman, 1979, p. 43-46.
77 Philo Justitia, « To the Economist », The Economist, vol. 2, n° 29, saturday, august 11, 1821, p. 55.
78 On retrouve ici l’idée fondamentale, déjà plusieurs fois évoquée, selon laquelle la « cible » de la propagande socialiste est purement urbaine.
79 Ibid., p. 51-56.
80 Cf. D. Hardy, op. cit.
81 « To the Conductors and proprietors of the New Moral World », The New Moral World, vol. I, n° 4, saturday, november 22, 1834, p. 30-32. Signée « J.C. », cette lettre fut adressée à Owen lui-même qui la transmet, avec un commentaire, pour publication dans le journal.
82 Ibid., p. 30-31. Le ton et le contenu de ce passage renvoient clairement au millénarisme dont J.F.C. Harrison (op. cit.) fait l’un des fondements de l’owénisme.
83 Ibid., p. 30.
84 Cf. par exemple l’accueil plutôt favorable fait, dans le New Moral World (vol. 8, n° 13, saturday, september 26, 1840, p. 202), au livre de William Boyd, A Patriot Fourth’s Letter. Ce radical, sans relation avec le mouvement owéniste, propose de développer des maisons communes dans les villes pour les ouvriers pauvres. L’auteur du compte rendu estime que, même si l’on est loin du projet socialiste, cette expérience va dans le bon sens.
85 J.W., « To the Editor of the New Moral World », The New Moral World, vol. I, n° 40, saturday, august 1, 1835, p. 319.
86 John Minter Morgan, Letter to the Bishop of London, London, Hurst, Chance and co, 1830, p. 26-27.
87 Il reprend cette proposition, sans rien y changer, dix ans plus tard, dans Religion and Crime ; or, the Condition of the People, London, Henry Hooper, 1840, 32 p. Le modèle proposé est alors assimilé à celui des clubs.
88 Charles Harel, Ménage sociétaire ou moyen d’augmenter son bien-être en diminuant sa dépense, Paris, Au bureau de la Phalange, 1839, x-212 p.
89 Ibid., p. vii.
90 Ibid., p. 133.
91 Ibid., p. 178.
92 « Maison sociétaire pour cent personnes », Le Nouveau Monde, n° 39, mardi 1er septembre 1840, p. 2-3.
93 Ibid., p. 2.
94 Valois, « Des hôtels d’ouvriers », La Démocratie pacifique, t. III, n° 112, dimanche 20 octobre 1844, p. 1-2 et n° 113, lundi 21 octobre 1844, p. 1. L’auteur souligne en note, n° 112, p. 1, cette nuance : « Sous ce titre : Ménages sociétaires, un de nos amis, M. Harel, a publié un projet analogue à celui dont nous nous occupons ici. Il y a toutefois cette différence que le ménage sociétaire de M. Harel s’appliquerait à 200 personnes jouissant d’une certaine aisance. »
95 Ibid., n° 112, p. 1.
96 Ibid., cela est d’autant plus vrai que les abus de l’octroi favorisent la fraude et la vente de vins frelatés.
97 Ibid., n° 113, p. 1.
98 Ibid.
99 Ibid.
100 Cf. chap. 5.
101 Ibid. Dans des conditions différentes, Eugène Sue se fait en 1848 l’avocat de ces maisons communes (dont il a présenté une ébauche dans Le Juif errant, cf. Roger-Henri Guerrand : « L’imaginaire du logement social dans le roman français au xixe siècle », in L’Haleine des faubourgs. Ville, habitat et santé au xixe siècle, textes réunis par Lion Murard et Patrick Zylberman, Recherches, n° 29, décembre 1977, p. 23 à 35. et chap. 2). Dans Le Républicain des campagnes (Paris, Gratiot, 1848, 16 p.) dont l’objectif est d’expliquer aux électeurs du Loiret la justesse de l’action républicaine, il explique en quoi ces maisons communes sont économiques, tout en soulignant qu’il ne s’agit pas d’imposer un mode de vie uniforme à tous...
102 César Daly, « Nouvelle architecture à l’usage des prolétaires anglais », Revue générale de l’architecture et des travaux publics, t. 6, n° 4, mai-juin 1845, p. 150-155 et « Nouvelle architecture domestique à l’usage des ouvriers », Revue générale de l’architecture et des travaux publics, t. 6, n° 5, juillet-août 1845, p. 210-222. Sur C. Daly, cf. Richard Becherer, Science plus Sentiment. César Daly’s Formula for Modem Architecture, Ann Arbor, Michigan, UMI Research Press, 1980-1984, 415p.
103 Comme la Society for Improving the condition of the labouring classes, plus connue (fondée en 1844, sous le patronage de Victoria et la présidence du prince Albert), la Metropolitan Association for Improving the dwellings of the industrious classes est une œuvre philanthropique, d’origine religieuse. Fondée en 1841, elle réalisa quelques constructions. Trop onéreuses pour être occupées par des ouvriers, ces dernières furent boudées par les artisans et les ouvriers qualifiés, qui leur préféraient un habitat individuel. Cf. John Burnett, A Social History of Housing 1815-1985, London, Routledge (1re édition 1978), 1986, p. 84-86.
104 César Daly, « Nouvelle architecture domestique à l’usage des ouvriers », op. cit., p. 211. Cette remarque donne un relief tout particulier au débat des années 1849- 1850 sur les cités ouvrières. L’assimilation de l’habitat collectif au socialisme explique les réticences bourgeoises à ces projets.
105 César Daly, « Nouvelle architecture à l’usage des prolétaires anglais », op. cit., p. 150.
106 On peut douter de la totale pertinence du discours de Daly ; l’industrie rurale existe, et bien des villes sont justement nées de l’installation d’industries en milieu rural.
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