Les aciéries de Saint-Étienne et les accords de 1936 : grille de qualification et émergence du social dans l’entreprise
p. 311-328
Texte intégral
1L’émergence du « social » dans l’entreprise, sous sa forme moderne, tient principalement à l’institutionnalisation des procédures de négociation entre employeurs et salariés. De ce point de vue les accords qui ont suivi les grèves de juin 1936 constituent une étape importante pour le développement de ce qui devait durablement s’imposer à partir de 1945. Grâce à eux apparaissait nettement, pour la première fois, la possibilité d’un lieu spécifique, suffisamment cohérent et raisonnable pour permettre la « négociation » entre intérêts différents. Le caractère éclaté et multiforme des relations de travail, le plus souvent marquées par le conflit -individuel et minuscule ou collectif et gréviste-, pouvait ainsi être relayé par un ensemble de procédures doublement rationnelles : d’une part dans leur prévision, d’autre part dans le jeu de discussions qu’autorisait ainsi l’existence d’un espace garanti par la loi. Employeurs et représentants des salariés étaient invités à régler, de façon explicite, par l’échange d’arguments, tout ce qui, jusque-là, obéissait à l’implicite ou, plus rarement, aux modalités spectaculaires de l’action collective.
2A cette vision linéaire et progressive du développement du « social » dans l’entreprise, qu’autorisent doublement la logique du droit et son aboutissement ultérieur, au lendemain de la guerre, dans une longue période de pratiques effectives, nous voudrions opposer l’analyse concrète et détaillée des conditions qui, dans chaque entreprise, rendent possible ou difficile ce véritable miracle où des réalités aussi antagonistes et différentes qu’une direction d’entreprise et un ensemble extrêmement diversifié d’intérêts et de modes d’être salariés sont censés se rencontrer et régler rationnellement, à la fois d’un seul coup et au jour le jour, tout ce qui les lie et les oppose.
3L’« étape » de 1936 est particulièrement intéressante, dans la mesure où elle correspond, à la fois à la première apparition, la plus globale qui soit1, des procédures de négociation entre employeurs et salariés et, à la fois, au caractère très éphémère d’une pratique contractuelle qui devait attendre près de dix ans et bien d’autres bouleversements pour prendre durablement effet et réalité.
La Compagnie des Forges, Fonderies et Aciéries de Saint-Étienne
4Il n’est évidemment pas question d’évaluer de façon précise le caractère exemplaire des Aciéries de Saint-Etienne dans l’ensemble des expériences de négociation qui affectent alors un grand nombre des entreprises françaises. De taille moyenne, avec des effectifs évoluant alors entre 1 200 et 2 000 ouvriers, les Aciéries de Saint-Etienne, créées en 1865 et plus connues sous le terme familier de « chez Barrouin », du nom du fondateur de l’usine, fournissent cependant un bon exemple des conditions d’émergence de l’espace social contractuel qui devait par la suite s’imposer dans la plupart des grandes entreprises. En effet, contrairement à beaucoup d’autres sociétés du même type, cette entreprise n’a jamais fait l’objet, dans le domaine social, d’une politique patronale de type « paternaliste ». Livrée à elle-même, la main-d’œuvre de l’usine de Saint-Etienne a connu très tôt des formes d’organisation autonome, à travers un « cercle ouvrier » dès 1876, une société de secours mutuel, à la fin des années 1880, une « amicale » au caractère très nettement syndicaliste, de 1909 à 1916, et une participation importante au mouvement syndical lié à la Bourse du travail, de 1910 à 19242.
5La direction de la société, de type familial3, plutôt débonnaire, a su plusieurs fois faire face à des formes de négociation proches de ce qu’elle connaît en 19364, avec la reconnaissance de fait du système des « délégués » et surtout d’organisations dont elle pouvait déplorer l’existence mais sans jamais leur opposer la politique de combat et la répression qui caractérisaient d’autres entreprises comparables5.
6A ces traits particuliers il faut joindre d’autres raisons plus circonstancielles. Les sources écrites disponibles, dans l’usine (archives de la direction6 et archives syndicales) comme dans le cadre plus général de Saint-Etienne, permettent de reconstituer avec relativement de précision les relations sociales dans l’entreprise sur une longue durée, de sa fondation à son histoire la plus récente. Nous disposons surtout, pour la période qui nous occupe ici, du témoignage exceptionnel du secrétaire de la section syndicale CGT de l’époque : Jean Favre. Embauché en mars 1933, ce militant est licencié en novembre 1938, au lendemain de la grève contre les décrets-lois de Paul Reynaud. Résistant et toujours militant du Parti communiste par la suite, Jean Favre connaît ainsi, en l’espace de cinq ans et demi, sa seule grande expérience syndicale, un événement ayant suffisamment marqué sa vie pour qu’il en garde un souvenir précis, indépendamment de toute carrière syndicale ou politique ultérieure. A ces conditions particulières, ce témoin ajoute enfin une mémoire exceptionnelle, faite de détails et de précisions dans les chiffres, les circonstances et les dates qui, au terme de nombreux entretiens, n’a que très rarement été démentie par les sources écrites dont nous disposons par ailleurs7.
Délégués d’atelier et grille des qualifications
7Le mouvement de grève et d’occupation d’usines qui se développe tout le long du mois de mai 1936, principalement dans la région parisienne, est relativement tardif à Saint-Etienne8. L’accord Matignon est signé le 7 juin et c’est seulement le 8 que des grèves et des occupations éclatent dans le bâtiment et les mines tout d’abord puis, à partir du 9, dans la métallurgie. Les Aciéries de Saint-Etienne ne se mettent en grève que le 12, près de huit jours après la signature nationale, et l’occupation ne dure qu’une nuit9. Si les élections des délégués sont relativement rapides10, l’établissement d’une convention collective pour la métallurgie du bassin stéphanois prend beaucoup plus de temps. La première entrevue entre les syndicats et la chambre patronale a lieu le 26 juin, deux jours après la promulgation de la loi sur les contrats collectifs11. La signature du texte d’accord12 exige vingt-deux rencontres. Applicable le 16 septembre, la convention est encore suivie, tout le long du mois d’octobre, de très nombreuses réunions des sous-commissions paritaires chargées de classer les différentes professions des métaux dans la grille officielle des qualifications.
8Dans son témoignage, Jean Favre souligne plusieurs fois comment, à ses yeux, ce ne sont ni les congés payés, ni la semaine de 40 heures, ni l’officialisation des délégués d’atelier qui ont constitué les acquis les plus importants de 1936, mais l’établissement, dans le cadre de la convention collective de la métallurgie, d’une grille de qualifications, cette grille qui a exigé des dizaines de réunions harassantes tout le long des mois de septembre et d’octobre13. Si nous laissons de côté les deux premiers avantages, pour lesquels le point de vue des ouvriers était sans doute différent, le jugement du secrétaire de la section syndicale est tout à fait justifié par ce que nous pouvons savoir par ailleurs, dans le cadre des Aciéries de Saint-Etienne tout du moins. Elus en juin, les délégués Barrouin ne font que très peu parler d’eux par la suite. Des 39 titulaires et suppléants initiaux14, 24 sont toujours là pour les élections de 1937, mais ils ne sont plus que 14 en 193815. Régulièrement convoqués par voie de presse pour une « réception » mensuelle très protocolaire avec la direction16, les délégués sont de moins en moins nombreux à s’y rendre, très tôt cinq ou six seulement17. Cette grande discrétion des délégués en 193618 est d’autant plus remarquable que leur rôle dans l’histoire sociale de l’usine a été, dans d’autres périodes, extrêmement important : de 1916 à 1919 bien sûr, mais aussi avant 1914, y compris lorsqu’il n’existait pas d’organisations syndicales dans l’entreprise19.
9Cette faiblesse relative des délégués de 1936 nous intéresse ici directement. Disposition importante du contrat de travail signé localement en septembre, ce système de représentation ne se contente pas de laisser ainsi la vedette à l’autre grande partie de l’accord, celle qui concerne les qualifications. La représentation des délégués va également manquer comme espace où pouvait être négociée l’application de cette grille des qualifications. Renvoyés au cadre routinier et espacé des réunions mensuelles, où il leur faut soumettre des desiderata souvent minuscules, et qu’ils désertent très vite, les délégués laissent à d’autres, dans d’autres réunions, le soin de négocier l’application, autrement importante, de la nouvelle grille des qualifications.
10Importante, cette application ne l’est pas seulement dans le souvenir de Jean Favre, en raison du rôle qu’il y joua, mais surtout parce que, court-circuitant tous les relais et « no man’s land » servant habituellement de trame et de replis aux réalités extrêmement hétérogènes de la vie de l’usine, elle tend, pendant quelques semaines, à exposer celle-ci aux feux de la scène sociale née des événements de 193620.
11Rappelons les données du problème qui se pose alors aux militants syndicaux. Les accords de septembre ont défini cinq grandes catégories d’ouvriers métallurgistes, léger décalque d’une nomenclature générale qui s’applique à l’ensemble des ouvriers, toutes professions confondues : les « manœuvres ordinaires », les « manœuvres adaptés » ou « à chaud » (valables en particulier pour la sidérurgie), les « ouvriers spécialisés », les « professionnels de fabrication » (avec pour ces deux dernières catégories deux échelons A et B) et les « professionnels d’outillage et de précision ». Des négociations, dans le cadre des sous-commissions régionales, se sont efforcées de ranger dans ces cinq catégories l’ensemble des métiers propres aux différentes branches de la métallurgie : pas moins de 214 pour les seuls métiers à chaud pratiqués aux Aciéries de Saint-Etienne21. Il ne s’agit plus, ensuite, si l’on peut dire, que de faire entrer dans l’espèce d’entonnoir mis en place l’ensemble des ouvriers de l’usine. Une tâche considérable et difficile qui a pour caractéristique principale d’étaler, pour une mise en ordre, sur la table des négociations, une quantité impressionnante des données hétérogènes qui font la vie de l’usine. Les « métiers » une fois classés, il s’agit de définir pour chaque ouvrier celui qui le caractérise, non seulement, pour une poignée d’entre eux, le « métier » qu’ils « possèdent » par apprentissage ou par détention d’un diplôme22, mais plus précisément, pour le plus grand nombre, le « métier » effectivement pratiqué dans l’usine, et plus exactement encore, la fonction exercée dans l’organisation du travail des différents chantiers (« leveur de porte », « preneur », « rattrapeur », « crocheteur », etc.). Dans le cadre restreint des cinq catégories définies par la convention collective, sont ainsi convoqués et mis à plat l’ensemble de l’organisation du travail et, à travers elle, l’ensemble des mille arrangements et astuces qui font la vie de travail de chaque ouvrier. Par un raccourci assez saisissant l’application de la nouvelle grille de qualification pose, dans le face à face de la direction et des syndicalistes qui y participent, la totalité de la marche de l’usine, de son fonctionnement le plus immédiat, le plus trivial, et, très souvent, le plus caché.
12A regarder les choses d’un peu plus près il ne s’agit d’ailleurs plus, très vite, dans ces négociations, de face à face ou de discussion entre syndicalistes et direction. D’acteurs, les militants syndicaux vont très souvent devenir spectateurs du dialogue entre d’une part les responsables des différents ateliers et d’autre part le directeur technique de l’usine23 découvrant avec stupeur la gabegie des chantiers dans l’utilisation de la main-d’œuvre, dans l’organisation du travail, et sa propre méconnaissance de cette organisation.
« Cholat (le directeur) se tournait vers le chef de service : “Celui-là qu’est-ce qu’il fait ?” Les chefs ne savaient pas. Il s’est aperçu qu’il y avait des nuées d’inutiles, beaucoup de vieux, de très vieux, qui ne faisaient rien. Il apprenait des choses qu’il ignorait complètement ; il piquait des colères horribles ; devant nous il aurait pu se contrôler24. »
13Effectuée dans un cadre restreint, la mise à plat du fonctionnement de l’usine se dédouble en fait, avec d’un côté les syndicalistes et leurs problèmes propres et, de l’autre, un « dialogue », plus ou moins explosif, entre la direction de l’usine et les différents échelons hiérarchiques obligés de soumettre à l’aune de la nouvelle grille de qualification, le détail de l’organisation du travail. Le paradoxe, c’est qu’au face à face, négociable finalement, du directeur et de ses adjoints immédiats avec les chefs de services, ne correspond pas, de façon symétrique, un face à face explicite comparable du côté des salariés, entre militants syndicaux et ouvriers. Et pourtant, pour être différents, le décalage et le malaise ne sont pas moins grands. Les responsables syndicaux se trouvent obligés de négocier le classement des cas souvent les plus tordus, les plus compliqués et, finalement, les plus indéfendables sur le terrain de la nouvelle grille ou de la simple logique. Il leur faut bien cependant aligner et rendre transparents les nombreux arrangements individuels qu’autorisait jusque-là (comme par la suite d’ailleurs) le fonctionnement habituel de l’usine. Jean Favre cite ainsi plusieurs exemples, comme cet ouvrier espagnol de la Cour25 qui parvenait à cumuler un très grand nombre d’heures supplémentaires, en particulier des heures de nuit, qu’en fait il n’effectuait pas, qu’il ne pouvait pas effectuer, au regard du temps des horloges. Classé comme « manœuvre » dans le cadre de la convention collective mais contraint à une définition plus raisonnable de son poste de travail, il devait accepter, en fin de compte, une nette diminution de revenus malgré la substantielle augmentation obtenue dans le cadre de la convention collective26.
14Privés d’expression propre, ou tout du moins diversifiée, au plus près des situations immédiates, en raison du faible rôle des délégués et, surtout du raccourci vertigineux qui lie leurs problèmes et leur situation concrète de travail à l’appréciation et au regard du directeur, les ouvriers de l’usine assistent en fait en spectateurs lointains, mais évidemment très intéressés, à une négociation au sommet, où la vie de travail et les accommodements, réels ou imaginaires, de chacun sont passés au crible de la nouvelle grille, où vont se décider non seulement le niveau de leur rémunération mais aussi les caractéristiques et les conditions de l’emploi qu’ils exercent ou qu’ils n’exercent pas. Ils n’ont pas la possibilité, sinon de dire leur mot, tout du moins de trouver des relais suffisamment proches d’eux pour protéger, d’une façon ou d’une autre, ce qui relevait jusque-là d’une sorte d’« intimité »27. Le paradoxe de cette situation, impensable quelques mois auparavant, c’est que les ouvriers sont ainsi à la fois présents et absents de l’action syndicale, de la scène représentative où celle-ci se trouve concentrée par l’enchaînement des circonstances28.
15Présents, ils le sont par leur adhésion massive au syndicat. Plus de 1 100 noms sont consignés dans le cahier des adhérents29, sur un effectif un peu inférieur à 1 500 salariés30, soit, si l’on écarte les mensuels, syndiqués de leur côté, un taux de syndicalisation qui dépasse sans doute 80 %. Cette adhésion se double d’une organisation effective dans l’usine. Quinze sections de chantier sont constituées avec chacune un secrétaire et un trésorier qui viennent compléter à la base, délégués et suppléants. Un conseil d’usine coiffe le tout. A ces structures proprement syndicales on peut joindre des organisations annexes, animées par le syndicat, comme le club bouliste, la section des cyclotouristes ou l’investissement dans la vieille société de secours mutuel31. L’usage systématique du journal pour la convocation aux réunions de toutes ces structures permet de suivre, après coup, la réalité de leur fonctionnement mais aussi le ralentissement de leurs activités au cours de 1937, le regroupement progressif des sections de chantiers et, surtout, le caractère volontariste d’une organisation tenue à bout de bras par une poignée de militants.
« J’étais seul, j’ai cherché d’autres militants, je n’en ai pas trouvé. J’avais trouvé un gars en 38, il a disparu ; en 1945 il était chef d’équipe au parc (à ferrailles). Il n’avait pas d’énergie. Parendelle était solide mais il ne savait pas bien s’exprimer. Guichard n’était pas militant à l’époque, il a commencé pendant l’occupation. Les sections étaient squelettiques, on se réunissait, on ne savait pas quoi se dire, j’étais le seul à savoir parler32. »
16Le témoignage du secrétaire du syndicat est d’autant plus significatif qu’il est généralement positif pour tout ce qui concerne les événements de cette période et, surtout, qu’il semble, sur ce point, en décalage constant avec ce que l’on sait par ailleurs sur la puissance du syndicat. Manque de militants, difficultés à trouver des délégués33, faible mobilisation, déception devant l’indifférence des ouvriers qui « avec les avantages obtenus (...) auraient dû se précipiter sur l’organisation »34, contrastent avec un taux de syndicalisation record. Mais c’est qu’ici l’adhésion n’est pas en cause mais bien la participation à la vie du syndicat, à son « organisation » et, dans son absence, le décalage qui a pu exister alors entre le gros des ouvriers et les militants.
17Alors que l’application de la convention collective, avec son rituel de réunions et, surtout, sa mise à plat des réalités de l’usine, ouvre des relais de discussion, même orageux, du côté de l’encadrement de l’usine, entre la direction centrale et les différents échelons hiérarchiques35, elle ne se traduit par rien de comparable du côté ouvrier. Sections de chantier et délégués ne parviennent pas à relayer, dans les deux sens, la discussion d’une application qui s’impose doublement d’en haut : d’une part comme mesure négociée au sommet, là où Lucien Cholat en personne a entrepris d’examiner l’une après l’autre, 1 500 fois, avec le secrétaire de l’organisation, la situation concrète de chacun36 ; d’autre part, et de façon beaucoup plus paradoxale, comme « victoire » aux effets positifs, sur les salaires, les congés payés, la durée du travail mais, par bien des points, tombée du ciel elle aussi37. Nous allons y revenir.
L’investissement du nouvel espace de négociation
18A l’absence de symétrie dans les « effets de discussion » que provoque l’application de la grille de qualification, dans les deux camps qui négocient, correspond une différence aussi grande dans l’investissement que les uns et les autres peuvent faire dans le nouvel espace de discussion qu’ouvrent les accords de 1936 au sein de l’entreprise. Mais dans un sens inverse cette fois.
19Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la direction est très loin d’intégrer ou de percevoir la logique propre d’une discussion dont elle semble pourtant tirer un grand nombre de bénéfices. D’une certaine façon on pourrait dire qu’elle « traverse » cet espace nouveau sans le voir, pour aller immédiatement à ce qu’elle connaît, mal le plus souvent ou de façon implicite et traditionnelle – l’organisation de l’usine, les circuits et les aléas de la production, l’utilisation toujours difficile de la main-d’œuvre –, sans même vraiment percevoir en quoi l’espace nouveau de négociation rend possible le passage, rend plus précis l’éclairage qu’il apporte. Il est loin d’ailleurs d’être certain qu’à la mise en ordre des qualifications, obéissant certes à une logique propre mais introduisant malgré tout ordre et raison dans un ensemble de statuts extrêmement hétéroclites, la direction fasse nettement correspondre une rationalisation comparable des postes de travail, de l’usage de la main-d’œuvre, de l’organisation des différents services. L’application de la grille de qualification constitue une sorte de prétexte, venu d’ailleurs – comme pour les ouvriers –, un heureux hasard, aussitôt oublié ou masqué par l’éclat de ses effets immédiats : la possibilité d’y voir un peu plus clair, une nouvelle fois, mais pour peu de temps.
20En effet, ce n’est pas la première occasion où la direction est conduite par les circonstances à mettre à plat l’organisation de l’usine. Les archives disponibles révèlent deux autres situations comparables : en 1910, lorsque la préfecture demande à la Compagnie, dans le cadre d’une vaste enquête nationale, un état détaillé des effectifs de l’usine classés par service, suivant la désignation professionnelle de chaque ouvrier38 ; et surtout, en 1924, douze ans auparavant, lorsque, au lendemain des grandes grèves de mars, sous la pression d’une main-d’œuvre, en particulier qualifiée, rare et exigeante, barèmes et modes de paiement sont entièrement révisés, chantier par chantier, catégories d’ouvrier par catégorie d’ouvriers39. L’ordre de service qui fixe les modalités de cette dernière réorganisation précise, de façon particulièrement éclairante, que les nouveaux barèmes « tiendront compte le plus possible des usages antérieurs et conduiront à un réajustement rationnel des salaires »40 (c’est nous qui soulignons). En effet, dans le contexte particulier de la grosse métallurgie, c’est très tardivement que les Aciéries de Saint-Etienne parviendront à se donner durablement des procédures rationnelles de contrôle de l’organisation du travail et des postes de travail41.
21Du côté des militants ouvriers les choses sont différentes. Lorsque J. Favre indique qu’à ses yeux l’établissement de la grille de qualification constitue l’acquis le plus important de 1936, il ne pense pas seulement, ni même d’abord, aux augmentations de salaires qui lui correspondent, mais bel et bien au caractère neutre et rationnel de cette grille, à l’espace autonome et intermédiaire qu’elle crée entre la direction et les ouvriers. Avec cette grille la direction cesse de payer les gens « à la tête du client »42, il lui faut maintenant se référer à une loi commune. L’appréciation de ce militant est d’autant plus importante qu’il est très conscient par ailleurs des bénéfices que la direction a pu en retirer :
« Ça a été pour l’entreprise, plus que pour nous, une “mise à jour” de leur fonctionnement, c’était V aggiornamento, comme Vatican II, comme pour toutes les grosses boîtes ; ça leur a permis d’avoir une vue exacte du fonctionnement de leur entreprise, des différents services43. »
22Il faut bien remarquer ici que pour un militant comme J. Favre cette utilisation de la grille de qualification par la direction pour rénover et moderniser l’usine, la rendre plus rationnelle, n’a évidemment rien de choquant, au contraire. D’une certaine façon il s’agit là encore d’une sorte de « victoire » de 1936, une victoire ambiguë44 mais une victoire quand même dans la mesure où, pour lui, si les organisations syndicales ont raison le plus souvent, c’est aussi parce que la « raison » est de leur côté. A un mode de fixation des rémunérations enfin logique, général, rationnel, conquis de haute lutte sur l’individualisation arbitraire qui prévalait jusque-là, correspond très logiquement, comme dans bien d’autres domaines, une possibilité de rationalisation comparable pour ce qui concerne le fonctionnement de l’usine, une rationalisation progressiste que les événements « imposent » également à la direction, contre la gabegie et l’incurie qui, jusqu’ici, caractérisaient sa gestion. S’il fallait faire une critique factuelle à la position de J. Favre ce serait sans doute moins d’avoir par trop voulu ranger la raison du côté ouvrier mais plutôt d’avoir surestimé ses capacités de contagion du côté patronal, d’avoir fait preuve d’un excès d’optimisme en pensant que la direction des Aciéries de Saint-Etienne pouvait effectivement réaliser un aggiornamento de l’usine et rationaliser de façon durable son fonctionnement.
23La position de J. Favre n’est évidemment pas isolée. On en trouve des traces nombreuses dans les textes et les interventions des militants qui, comme lui, dirigent alors les organisations syndicales45. Elle correspond bien par ailleurs au décalage que nous avons pu observer, d’une part entre le gros des ouvriers et la poignée de militants qui négocie, d’autre part, et plus paradoxalement, entre ceux-ci et la direction des Aciéries de Saint-Etienne.
Représentations et profils des militants
24Comme on va le voir le grand décalage entre les militants qui investissent le nouvel espace de négociation et la masse des ouvriers de l’usine qui l’observent de loin sinon avec crainte tout du moins avec passivité, tient en grande partie aux circonstances des événements de 1936, à leur enchaînement ; mais pas uniquement cependant. Le témoignage de J. Favre et les sources écrites dont nous disposons font apparaître un autre facteur important qui, dans un autre contexte, n’aurait pu produire tous les effets dont il était porteur : le profil et les représentations propres au petit noyau militant qui anime le syndicat.
25J. Favre entre chez Barrouin en mars 1933. Il a 23 ans et il est détenteur d’un CAP d’ajusteur obtenu dans une école professionnelle. D’abord embauché, en 1929, chez Leflaive, une grosse usine de mécanique, il en a été licencié, pour incompatibilité d’humeur avec le service des plans qui prévoyait les opérations à réaliser et fixait le prix du travail exécuté. Pendant plusieurs années, le plus souvent chômeur, il circule dans les milieux politiques de la ville, de la Libre Pensée aux groupements anarchistes en passant par le Parti communiste auquel il adhère. Lorsqu’il est embauché chez Barrouin, c’est à la fois parce que l’entreprise, qui vient de bénéficier d’importantes commandes pour la marine de guerre, cherche de jeunes ouvriers, à la fois par souci d’engagement militant au sein de la CGTU qui renaît quelque peu de ses cendres46, mais aussi, en partie, en désespoir de cause, pour trouver du travail. J. Favre est un « mécanicien » qui se retrouve dans un usine à feux. Il n’est pas véritablement employé dans sa spécialité mais comme « raboteur » de plaque (professionnel de fabrication) au blindage, un des rares (mais essentiels) ateliers de mécanique de l’usine. Les salaires des Aciéries de Saint-Etienne sont plus bas qu’ailleurs. L’usine fonctionne à partir d’une main-d’œuvre vieillie, très peu qualifiée, composée pour plus du quart d’immigrés essentiellement polonais. Dans son témoignage J. Favre revient sans cesse sur l’impression déplorable que lui a laissée l’usine, une impression où l’on retrouve bien tout ce qui peut séparer la mécanique du travail à chaud : « une usine de vieux, de très vieux »47 où « les gens restaient parce qu’ils ne savaient pas faire grand-chose d’autre » ; une mentalité « apathique » ; « un niveau culturel très bas, comme dans toutes les usines à feux d’ailleurs »48 ; « un rythme de travail lent », « des cadences insignifiantes », un état de chômage endémique régulé par l’usine elle-même grâce au service de « la cour » où vieux et ouvriers au chômage technique dans leur atelier étaient payés comme manœuvres, à un tarif très bas, pour des petits travaux.
26Une anecdote que raconte J. Favre, à propos de l’occupation de l’usine, traduit bien le décalage entre le jeune ajusteur et les modes d’être ouvrier propres à la sidérurgie de l’époque. A la nuit tombante, un militant du syndicat49 lui demande d’aller voir comment les choses se passent à l’aciérie, un équipement moderne, construit à 800 mètres des autres ateliers. Ecoutons J. Favre :
« Les gars tournaient en rond devant le gros four, derrière un type qui jouait de l’accordéon et un autre du tambour. Ils tapaient sur des bidons, des bouts de ferrailles, plusieurs étaient torse nu, d’autres complètement nus. A la lueur des feux on aurait dit une tribu d’indiens50. »
27Au-delà de la totale exactitude des faits rapportés, l’intéressant ici réside dans l’impression qu’en conserve J. Favre, une impression d’étrangeté qui rend bien compte de tout ce qui pouvait à la fois séparer l’ajusteur du travail à chaud et à la fois le fasciner51.
28La petite équipe de militants qui se rassemble autour de lui, à partir de 1933, est hétéroclite professionnellement, quelques ouvriers très qualifiés comme lui (un chaudronnier, deux autres ajusteurs), mais aussi des professionnels de fabrication liés au travail à chaud (deux machinistes, un soudeur, deux chauffeurs de four) et de simples manœuvres (trois). Tous sont emportés dans une pratique militante qui à la fois les réunit et les sort des seules relations de travail, les entraîne dans une représentation plus large et plus abstraite de la réalité de travail, trouvant un support concret ailleurs, dans les activités semi-clandestines du syndicat.
29Faisant feu de tout bois, au-delà d’un déterminisme professionnel grossier, le noyau militant de l’usine tire à lui tout ce qui pouvait contribuer à sortir de la vie ordinaire de l’usine : Paul Richard, quelque temps manœuvre à la cour, est un ancien secrétaire parisien du syndicat des jockeys. Quittant l’usine il devient secrétaire de l’Union syndicale des métaux du bassin stéphanois. Jacques Arrizi, soudeur à la chaudronnerie, est un ancien militant anarchiste et il a joué un rôle de premier plan au cours des grèves de 1918, au sein du syndicat des métaux de Saint-Etienne dont il était le délégué au congrès fédéral puis confédéral de 191852. Masse et Rozier, élus délégués de la fonderie, sont des mouleurs, l’un socialiste, l’autre socialisant, etc.
30C’est au cœur du lien, à la fois imaginaire et réel, unissant la poignée de militants de l’usine avec le reste des ouvriers qu’il faut chercher d’une part quelques-unes des raisons du décalage ou du fossé qui les sépare, d’autre part la capacité de ces militants à faire leur la scène sociale qui s’ouvre à eux en 1936. L’articulation entre la négociation au sommet avec la direction et les aspirations concrètes et diverses des ouvriers était d’autant plus difficile que les principaux négociateurs non seulement ne partageaient pas ou plus toutes ces aspirations mais tendaient également à porter sur elles un jugement très négatif.
31Lorsque, mi-amusé et mi-scandalisé de ses colères, J. Favre regarde le directeur découvrir ce que lui savait déjà : l’existence d’« une nuée d’inutiles, beaucoup de vieux, de très vieux », « les cadences insignifiantes » de tel ou tel atelier, la navette des « gamins » dont la tâche essentielle était surtout d’alimenter les fondeurs en litres de rouge, les combines et l’absentéisme, il le laisse en discuter avec ses contremaîtres et ses chefs de service, il défend pied à pied chaque cas examiné, il ne participe en rien à la volonté de remise en ordre de l’usine. Sauf que, fondamentalement, il n’en pense pas moins. Il tend à partager finalement le même point de vue que lui sur l’usine, y compris en pensant que le directeur n’est pas totalement innocent d’un état de fait consacrant la passivité et l’absence de combativité des ouvriers, puisque celui-ci ne manque pas de penser, de son côté, symétriquement, que les communistes ont également tout à gagner à pouvoir « manipuler » une masse aussi peu instruite et compétente. Adversaires sans aucun doute irréductibles, le directeur et J. Favre, que l’on retrouve à la fois face à face et côte à côte, face aux ouvriers, dans d’autres circonstances, au moment de la grève de novembre 1938, par bien des points se retrouvent et se reconnaissent sur cette scène de représentation et de négociation qu’ont créée les événements et les accords de 1936.
32Que cette représentation militante, tenant à la fois au profil professionnel, à l’histoire individuelle, à la pratique syndicale et, surtout, aux circonstances de 1936, ne constitue qu’une face de l’expérience et des réalités vécues par les militants, le témoignage de J. Favre permet de le montrer. Pendant deux ans et demi, ce militant travaille sur une raboteuse, associé à deux ouvriers polonais. L’entente entre les trois hommes est excellente53 et le contremaître se garde bien de se mêler de leurs arrangements. C’est ainsi que le secrétaire de la section syndicale a pu, pendant plus deux ans, ne pas effectuer le poste du soir, ses « associés » le remplaçant pour qu’il puisse assurer ses écrasantes tâches syndicales dans l’usine et auprès des autres établissements du quartier. En échange, ou plutôt de la même façon, dans le cadre de leur « association »54, J. Favre était toujours là lorsque régulièrement, tous les quinze jours, le jour et le lendemain de la paie, un de ses deux camarades de travail, ivre mort, cuvait son vin derrière la raboteuse55.
33Le jugement négatif que J. Favre porte sur l’usine est lui même plus ambigu qu’il pourrait sembler tout d’abord. C’est celui d’un jeune professionnel, sûr de sa compétence. Mais c’est aussi le jugement du militant qui s’identifie à la fois à ceux qu’il juge sévèrement et, à la fois, au regard que la direction porte sur ceux à qui il s’identifie et dont, d’une certaine façon, il a honte, comme on peut avoir honte de sa propre famille :
« Les patrons dédaignaient les salariés qui se conduisaient d’ailleurs de façon méprisable, pas de revendications, avachissement complet, pas d’esprit de classe56. »
34En accédant à la scène militante et à la table de négociation, au contact de la direction, cette entité collective abstraite qu’à travers le syndicalisme et l’engagement politique ils affrontent de façon globale et générale, les militants ne font que rendre plus visibles les attitudes pédagogiques et passablement moralistes qui ont toujours été la caractéristique du mouvement syndical : ces attitudes propres au passé récent de leur activité militante, lorsqu’à une poignée ils ont créé un « syndicat unique » distinct de la CGTU, lorsqu’ils s’interdisaient d’aborder d’autres problèmes que ceux de l’entreprise, lorsqu’ils confectionnaient un journal adapté aux ouvriers qu’ils voulaient toucher ; celles aussi qu’ils projetteront dans l’avenir lorsqu’ils espéreront en vain ouvrir près de l’usine un lieu de réunions et de distractions, avec un terrain de boules, un gérant dépendant du syndicat. Il est significatif, dans le témoignage de J. Favre, d’observer comment son jugement, catégoriquement réprobateur lorsqu’il est général, sur l’usage immodéré de l’alcool dans l’usine, change de tonalité, se teinte d’amitié et de solidarité lorsqu’il parle du compagnon de travail polonais qu’il devait régulièrement cacher et suppléer. Vingt-cinq ans après Benoît Liothier, un militant anarchiste de l’usine et de la Bourse du travail, principal animateur du mouvement anti-alcoolique sur Saint-Etienne avant 19 1 457, J. Favre, renouant naturellement avec son combat, parvient, malgré les réticences du conseil d’usine, conscient du caractère impopulaire de la mesure, à faire interdire l’existence dans l’usine du petit débit de boissons que tenait Jean Degas, contremaître à l’expédition des tôles.
Force collective et représentation syndicale
35Décalage avec les ouvriers de l’usine et appropriation immédiate des représentations correspondant à l’espace social qui émerge dans l’usine ne tiennent pas uniquement ni même principalement à l’histoire et au profil des militants syndicaux. De façon sans doute beaucoup plus déterminante, ils dépendent du contexte de 1936, des circonstances très particulières ayant conduit à l’émergence de ce nouvel espace social, de type contractuel.
36Lorsque J. Favre manifeste déception et amertume vis-à-vis du gros des ouvriers, ces ouvriers qui courbent l’échine, délégués et militants compris, au moment de son arrestation et de son licenciement, en novembre 1938, lorsqu’il leur reproche de ne pas avoir investi fortement le syndicat et l’action syndicale qui venaient pourtant de leur apporter des avantages impensables quelques semaines auparavant, il souligne bien la spécificité de la situation qui, pendant quelque temps, donne droit de cité à l’organisation CGT dans l’entreprise. Si les manœuvres et les ouvriers de fabrication, l’écrasante majorité de l’usine, « ne s’aperçoivent même pas »58 de l’augmentation de leur salaire, ou plus précisément, s’ils n’en créditent pas la section syndicale au point de la soutenir activement, c’est que celle-ci n’y est effectivement pour rien.
37L’augmentation de salaire, comme la semaine de 40 heures ou les congés payés ne sont pas le résultat d’un processus collectif qui aurait lié, même sur une courte durée, la masse des ouvriers au syndicat59 mais l’effet d’une négociation départementale et nationale extérieure, qui sans doute n’aurait pas été possible sans le vaste mouvement de grèves et d’occupations d’usines, mais sans lien direct, immédiat, perceptible avec l’action des ouvriers de l’entreprise. Avant 1936 la présence syndicale aux Aciéries de Saint-Etienne n’était pas négligeable. C’est elle qui devait fournir l’essentiel des cadres de l’organisation au cours des mois suivants60. Mais elle ne regroupait qu’une centaine d’adhérents, tout au plus, et surtout elle était clandestine. Elle n’avait pas la possibilité, faute d’un minimum de reconnaissance de la part de la direction, de tisser les liens que créent toujours l’action et la négociation immédiates, la défense au jour le jour des uns et des autres. Lorsque les Aciéries de Saint-Etienne se mettent en grève en juin 1936, c’est tardivement, on l’a vu, mais c’est aussi pour très peu de temps. En vingt-quatre heures tout est terminé. Les sources écrites disponibles61 et le témoignage de J. Favre montrent comment ce bref mouvement, par bien des points extraordinaire, s’opère, comme dans beaucoup d’autres entreprises, dans une sorte de bonne humeur récréative, qu’autorise la situation générale, mais sans véritables revendications propres, sans « esprit revendicatif » dit J. Favre, dans la seule attente d’obtenir localement les avantages promis par les accords Matignon62.
38Semaine de 40 heures, congés payés et augmentations des salaires tombent du ciel, comme est également tombé du ciel ce qui les a provoqués : la victoire électorale du Front populaire bien sûr, mais aussi le vaste mouvement de grève qui a suivi cette victoire, un mouvement tellement vaste qu’il en est devenu miraculeux, extérieur, étranger, sans liens directement perceptibles, dans ses effets, avec les enjeux de travail propres aux ouvriers de chez Barrouin. Par bien des points tout s’est passé comme dans un rêve, par contagion, par effet de masse et de nombre63, sans qu’il y ait de relation tangible entre ce qui a produit un résultat inimaginable un mois auparavant et les modalités concrètes, les enjeux immédiats de la vie de tous les jours dans l’usine.
39Venus sans eux ou à travers un processus tel que leur propre action ne leur a pas été sensible, ou très peu, les accords de juin 1936, sur le terrain des salaires et de l’organisation du travail, comme pour le reste, vont s’appliquer également sans eux, sans que le syndicat qui les représente n’ait eu le temps et la possibilité de devenir leur expression. En effet, ce qui ne s’est pas fait en amont ne s’opérera pas plus en aval. La section d’entreprise ne négocie pas les augmentations de salaires ; elle se contente d’en négocier l’« application » et ceci non pas directement mais à travers le filtre très particulier de la mise en place d’une grille de qualification générale, uniforme, qui court forcément le risque d’être en grande partie perçue par les ouvriers comme une abstraction menaçante où direction et syndicat apparaissent finalement au même niveau, « là-haut », « là-bas », là où est censé se décider leur sort individuel.
40En grande partie coupés des réalités, des modes d’être et des préoccupations immédiates des ouvriers de l’usine, par l’absence d’un mouvement propre à celle-ci, d’une pratique revendicative collective qui n’a pas eu le temps et la possibilité de « prendre corps », les représentants syndicaux des Aciéries de Saint-Etienne tirent en fait leur existence, leur pouvoir de représentation, d’une tout autre réalité. Leur force n’est pas dans l’usine, elle vient d’ailleurs : de la reconnaissance par la loi du fait syndical, de la valeur juridique de la convention collective. La propension des militants à développer une représentation générale des choses plus abstraite et, surtout, extérieure à la vie de l’entreprise, élargie aux espaces du syndicat, aux questions qu’il débat et qu’il rend concrètes, trouve ainsi, en 1936, un point d’application dans l’usine elle-même, dans la négociation avec la direction, dans cet espace social très particulier que créent, dans l’usine, les accords de 1936. Sans doute les problèmes les plus concrets, les plus à même de rappeler les réalités de l’usine ne manquent-ils pas, chez Barrouin comme ailleurs. Mais tout désaccord singulier sur les grands acquis de 1936 (grille de qualification, salaires, congés payés, 40 heures) tend à rebondir vers le haut, à retourner hors de l’usine, vers le syndicat puis, surtout, vers les commissions d’arbitrage prévues par la loi64.
41Grâce à la loi du 24 juin 1936 sur les conventions collectives le commentaire du programme minimum de la CGT de 1927 trouve sa concrétisation : « Les syndicats ouvriers sont en mesure de mettre en valeur pour l’amélioration des conditions de vie des travailleurs toute la force des masses ouvrières qu’ils représentent »65, mais cette concrétisation est, paradoxalement, éminemment abstraite. La force légale et juridique qui fonde la position des représentants syndicaux de chez Barrouin, qui lui donne « force de loi », est bien fondée, en dernier lieu, par l’explosion sociale de juin 1936 ; mais elle est alors séparée, pour l’essentiel, de la diversité concrète des forces qui l’ont d’abord permise. Elle est « généralisée », rendue abstraite par la loi, avant de revenir ensuite, concrètement cette fois, s’appliquer, presque sans intermédiaires ni écrans protecteurs, dans la vie immédiate et diverse de l’entreprise. Le principal rapport concret entre les ouvriers de l’usine et les militants syndicaux sur lequel ceux-ci peuvent accrocher leur action locale est, en fait, un rapport de « retour », un rapport d’« application » et non un rapport de départ ou de fondement. Relais d’une vaste scène représentative brusquement constituée, les militants des Aciéries de Saint-Etienne ne parviennent pas à trouver dans leur entreprise le ressort concret capable d’appuyer leur représentation. Ils se retrouvent suspendus en l’air, livrés aux aléas d’un espace juridique et législatif relativement nouveau dont le discours et la rationalité propres étaient d’autant plus trompeurs qu’ils laissaient complètement dans l’ombre ses raisons d’être et sa fragilité, comme devait le montrer, deux ans plus tard, l’effondrement total du mouvement syndical dans l’usine.
42Paradoxalement, et nous conclurons sur ce point, l’absence de ressort, collectif et revendicatif, interne à l’usine, peut expliquer en partie le relatif désintérêt de la direction pour l’espace contractuel qui émerge dans l’entreprise, la facilité avec laquelle elle le traverse. Au-delà de ses propres représentations, déterminantes sans aucun doute, et dans le contexte de 1936, seule l’existence d’une force collective propre à l’usine, mais extérieure à l’espace de négociation, pouvait sans doute arrêter son attention et fonder, plus durablement, les réalités sociales qui émergeaient alors.
Notes de bas de page
1 Si l’on excepte les procédures mises en place, mais en temps de guerre, au cours du premier conflit mondial.
2 Sur cette période, voir D. COLSON, « Bourse du travail et syndicalisme d’entreprise avant 1914 : les Aciéries de Saint-Etienne », Le Mouvement social, n° 159, avril-juin 1992.
3 La famille Cholat dirige la société de 1876 à 1952, moment où celle-ci est absorbée par Marine puis intégrée dans la Compagnie des aciéries et forges de la Loire (CAFL). C’est Joseph Cholat qui, très longtemps après cette fusion, continuera d’être le directeur des « affaires sociales » de la nouvelle société. Sur la CAFL, voir Ph. MIOCHE et J. ROUX, Henri Malcor, un héritier des maîtres de forges, Paris, Editions du CNRS, 1988.
4 En particulier au printemps 1914, où elle négocie pendant plusieurs semaines avec les délégués des différents ateliers.
5 La direction de l’usine ne licencie que rarement des militants syndicaux, avant 1914 parce qu’elle tolérait une présence syndicale du type de celle de l’Amicale, après parce qu’elle n’en eut que rarement l’occasion. Signalons cependant le licenciement de Léonce Granjon, futur secrétaire national des Jeunesses communistes, en 1929, pour avoir, seul, participé à une grève nationale (tém. Jean Favre). Sur Granjon, voir J. VARIN, Jeunes comme J.C., sur la jeunesse communiste, Paris, Editions Sociales, 1975, p. 200, 208, 210 et 262. Signalons également le licenciement de Jean Favre, secrétaire de la section CGT, au lendemain de la grève du 30 novembre 1938, mais il est le seul licencié alors que la quasi-totalité des ouvriers de l’usine avait fait grève ce jour-là. Lucien Cholat, le directeur, confie un jour, en aparté, à Jean Favre, au cours des négociations de l’hiver 1937, qu’il connaissait l’existence et le nom des participants aux réunions clandestines du redémarrage syndical dans l’usine, dès ses débuts, en 1933.
6 Nous utiliserons principalement les procès-verbaux du conseil d’administration (CA) et les ordres de service (OS).
7 Nous ne donnerons ici qu’un exemple. Jean Favre raconte heure par heure les péripéties de l’occupation de l’usine les 12 et 13 juin 1936. Nous disposons par ailleurs (archives du syndicat) du texte écrit le lendemain même des événements, par le délégué des mensuels, pour se justifier, dans le détail là aussi, auprès de ses mandants, sur les circonstances qui l’ont conduit à se retrouver toute la journée aux côtés des délégués ouvriers. Ce texte confirme en tout point le récit de Jean Favre. On pourrait ainsi multiplier les exemples. Précisons que Jean Favre n’a pratiquement jamais eu l’occasion, en dehors de notre rencontre avec lui, de développer ce récit des événements de 1936 aux Aciéries de Saint-Etienne.
8 Les vallées de l’Ondaine et du Gier seront touchées plus tôt, pour ce qui concerne la métallurgie tout du moins, dans la première semaine de juin. (Voir principalement La Tribune des 4, 9, 10 et 11 juin.)
9 Voir La Tribune et le rapport récapitulatif du commissaire central du 22 juin (Archives départementales de la Loire, désormais ADL Msup 481).
10 Elles ont lieu le 27 juin chez Barrouin.
11 La Tribune du 26/6/36.
12 Le 12 septembre.
13 Le livret de la Convention, édité par l’union des métaux de la Loire, en septembre, avant les réunions des sous-commissions, porte en couverture, en gros caractères : « Cette Convention Collective de Travail a été établie au cours de vingt-deux entrevues où participaient délégués patronaux et délégués ouvriers, ces derniers tous membres de la CGT. » L’annexe des sous-commissions, publiée un mois plus tard, porte une mention identique, avec cette fois dix-neuf réunions, soit trente-neuf au total.
14 Voir leur liste dans La Tribune du 27/6/36.
15 Voir LOS n° 829 du 25 novembre 1938 (archives de l’usine).
16 Voir l’ensemble des communiqués parus dans La Tribune. La convention collective prévoyait que les délégués devaient être reçus individuellement, au moins une fois par mois. Ils pouvaient être également reçus sur leur demande en cas d’urgence : une règle et une possibilité qui, à notre connaissance, ne sont pas utilisées chez Barrouin au cours de cette période, la réception collective mensuelle (également prévue par la convention) étant seule pratiquée.
17 Tém. J. Favre.
18 Il faudrait bien sûr pouvoir apprécier leur rôle effectif dans les ateliers, en particulier par rapport aux contremaîtres. Nous sommes prisonniers des sources disponibles, les plus officielles, y compris, d’une certaine façon, dans le cas de J. Favre. Mais la modestie de leur rôle en 1936 est également établie ici en grande partie par rapport à d’autres périodes de l’histoire de l’usine pour lesquelles nous utilisons des sources identiques.
19 Pratiquement absents des archives de la direction en 1936 les « délégués » sont repérables très tôt, y compris par leur signature au bas de notes de services très officielles comme en 1906 (notes 246, 246 bis, 246 ter des 12 et 14 mai 1906, archives de l’usine).
20 Commencées la dernière semaine d’octobre les négociations sont achevées début décembre (OS n° 804 du 4/12/36).
21 Voir l’annexe à la convention collective élaborée par les différentes sous-commissions au cours du mois d’octobre (Saint-Etienne, sans date). Les Aciéries de Saint-Etienne comptent également quelques ateliers de mécanique, comme le blindage où travaillait J. Favre.
22 Encore ceux-ci sont-ils eux-mêmes dépendant des postes occupés pour la qualification qui leur est reconnue dans l’usine. Voir plus loin le service de la Cour et la situation de J. Favre.
23 Lucien Cholat, le frère de Pierre Cholat, administrateur délégué et président de la Compagnie.
24 Tém. J. Favre.
25 Il s’agit d’un service qui servait de réservoir de main-d’œuvre à l’usine, où, comme manœuvres, étaient employés un grand nombre de vieux ouvriers mais aussi tous ceux qui subissaient l’arrêt ou le ralentissement de la production dans tel ou tel atelier. Ils perdaient alors leur salaire initial.
26 De 2,35 F l’heure les salaires des manœuvres passent à 3,70 F (convention collective) ; sur l’évolution des salaires chez Barrouin au cours des années précédant les événements de 1936, voir CA des 6/10/31,30/3/36 et 6/6/36.
27 Tout le jeu de la « représentation » ouvrière de l’après-guerre consistera justement à protéger, avec une relative efficacité, cette « intimité » du travail ouvrier, à travers des procédés exigeant une expérience et, surtout, des conditions générales pratiquement inexistantes en 1936.
28 Nous examinerons plus loin les raisons de cette situation. Contrairement à ce que l’on pourrait croire et comme on vient de le dire dans la note précédente, elle n’a rien ni de « normal » ni d’« évident » ni d’inévitable. Signalons enfin que cette passivité propre aux Aciéries de Saint-Etienne de 1936 n’est pas générale dans le bassin stéphanois d’alors. Malgré la convention collective qui prévoit un délai de huit jours avant de déclencher un mouvement de grève (article 26), malgré les appels fréquents des responsables syndicaux à respecter ces délais et à se méfier des « provocateurs » (voir La Tribune des 16/9/36, 10/12/36 et 12/12/36). Plusieurs mouvements de grève avec parfois occupation seront déclenchés en décembre 1936, en particulier chez Mimard (Manufrance) (La Tribune du 10/12/36) et aux établissements Haubtmann (La Tribune du 9/12/36).
29 Archives syndicales.
30 1487 au début de 1937 (chiffre fourni par la direction au cours du CE du 28/5/53).
31 Sur ces activités, voir les communiqués parus dans la presse et pour ce dernier point le communiqué de J. Favre dans La Tribune du 21/7/37.
32 Tém. J. Favre.
33 « Pour trouver des gars c’était pas commode, dès qu’on demande du volontariat on ne trouve pas grand monde. L’atelier se réunissait, on démarrait : “Qui est assez courageux pour faire le délégué, le secrétaire ou le trésorier” ? Tout le monde était muet » (tém. J. Favre).
34 Ibid.
35 On imagine facilement qu’au dialogue entre Lucien Cholat, le directeur, et les chefs de service, devait suivre des dialogues tout aussi colorés entre ces derniers et les différents responsables d’ateliers ou d’équipes. Mais nous n’en avons aucune trace.
36 Une anecdote rapportée par J. Favre rend bien compte de l’impression extraordinaire qu’a dû provoquer l’examen par le directeur en personne de la situation de chacun. A la sortie d’une réunion, Furet, rectificateur de cylindre, lui « attrape » le bras pour avoir des nouvelles ; J. Favre lui explique ce qui s’est dit et Furet change de visage : « Vous avez dit non à monsieur Lucien ? Il était complètement bouleversé » (tém. J. Favre).
37 Parlant des augmentations de 1936, J. Favre explique ainsi la réaction d’un grand nombre d’ouvrier : « C’est le bon Dieu qui avait fait ça ! Un personnage imaginaire » (Ibid.).
38 Voir l’état récapitulatif ADL 92M170, rapport de l’usine du 1/8/10 et, sur les effets de cette mise à plat pour l’organisation des rémunérations, Archives de l’usine, OS n° 319 du 1/8/10 et OS n° 321 du 10/8/10.
39 Sur cette réorganisation, voir l’important ordre de service n° 664 du 1/8/24 et sur le contexte qui l’a provoqué principalement les CA des 8/3/24, 26/5/24 et 6/12/24. A ces deux grandes occasions, il faudrait sans doute joindre une troisième, en 1917, lorsque l’application des bordereaux de salaires (sous l’égide des autorités militaires) oblige la direction à reconsidérer l’enchevêtrement des avantages et autres systèmes de primes pratiqués jusqu’ici. Sur ce point, voir D. Colson, op. cit., p. 78.
40 Ibid.
41 II faut attendre l’absorption de la compagnie au sein de la CAFL. Comme l’usine elle-même, les postes et les salaires obéissent très longtemps à une sorte d’« empilement » d’habitudes, de traditions et d’avantages acquis. Signalons encore, à titre d’exemple, la note de service n° 808 du 22 février 1937 sur un complément de salaire prévu pour les ouvriers des tôleries en cas de chômage : « Ces compléments ont été accordés il y a plus de trente ans aux anciens ouvriers de la tôlerie n° 1 qui avaient quinze ans de service à cet atelier au moment où la tôlerie n° 1 chômait fréquemment (...). Le principe en a été étendu aux autres tôleries à une époque non déterminée et sans ordre écrit (et pour une raison manifestement oubliée elle aussi). Cette mesure n’ayant plus sa raison d’être est supprimée. Toutefois, les ouvriers qui ont jusqu’à présent bénéficié de cette mesure en bénéficieront encore tant qu’ils seront titulaires de leurs emplois actuels. »
42 Tém. J. Favre.
43 Ibid.
44 Une ambiguïté que traduit le « plus que pour nous ».
45 Signalons à titre d’exemple, outre les très nombreux appels à la « discipline », à ne pas suivre les « provocateurs », à ne pas déclencher des grèves intempestives, le texte du secrétaire de l’Union départementale, Marcel Thibaud, paru dans La Tribune du 24/10/36 citant, de façon très positive, l’exemple d’un employeur pour qui, l’application de la convention collective avait permis une augmentation de la production. Dans tous les cas il s’agit de militants communistes, le plus souvent à peine sortis de la clandestinité, qui vont y retourner très vite et pour certains, comme J. Ramier, secrétaire du syndicat de Saint-Etienne, y mourir. La dénonciation des soi-disant « provocateurs » n’est pas abstraite. La CGT se heurte en fait, en particulier dans le secteur du polissage, aux militants de la CGTSR exclus de la représentation dont bénéficie sa grande rivale et qui, animée par des anarchistes, pousse les ouvriers à agir immédiatement et directement. Sur ce point, voir le long communiqué de J. Ramier secrétaire des métaux de Saint-Etienne et de P. Richard, secrétaire de l’Union régionale, paru dans La Tribune du 3/4/37, qui défend la CGT contre ceux qui l’accusent d’être « du côté des patrons ». Le thème des « anarcho-syndicalistes » revient très souvent dans le témoignage de J. Favre, d’une façon sans aucun doute disproportionnée à leur nombre et à leur influence au cours de cette période mais dans la mesure où leur position constitue bien une « alternative » présentant en permanence une critique possible des positions d’alors de la CGT.
46 Sur la faiblesse du mouvement syndical dans la métallurgie au cours de cette période, voir D. COLSON, Anarcho-syndicalisme et communisme, Saint-Etienne 1920-1925, université de Saint-Etienne, Atelier de création libertaire, 1986.
47 Dans un projet de lettre de 1929 adressée à l’inspection du travail (OS n° 651), la direction donne le détail des plus de 60 ans : ils sont au nombre de 201 dont 36 de plus de 70 ans. On peut estimer alors à 1 200 ou 1 300 le personnel de l’usine qui traverse une période très difficile, économiquement, et, de plus, manque de main-d’œuvre (qu’elle paie mal). Les plus de 60 ans constitueraient ainsi entre 15 et 17 % du personnel Juste au moment où commence l’arrivée massive des Polonais il est vrai.
48 Cette expression revient fréquemment dans son témoignage. Nous reprenons entre guillemets les paroles de J. Favre.
49 Ce militant était à la fois secrétaire de la cellule communiste de l’usine, secrétaire du club de boule, responsable des cyclotouristes et secrétaire de l’association de défense du quartier.
50 Tém. J. Favre.
51 Dans son témoignage J. Favre raconte longuement le détail des différentes opérations du travail à chaud qui font manifestement fortement impressionné.
52 Sur ces deux militants, voir J. MAITRON (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Arrizi est élu délégué de son atelier en 1936.
53 En mars 1987 J. Favre continuait, cinquante ans plus tard, d’aller voir un de ses anciens « associés », François Kolakowski, alors âgé de 81 ans.
54 Le terme est de J. Favre.
55 L’intérêt du témoignage de J. Favre est double, par les faits qu’il rapporte et que nous n’avons aucune raison de mettre en doute, par le fait qu’il le rapporte.
56 Tém. J. Favre.
57 Sur ce militant, voir J. MAITRON, op. cit.
58 Ce sont les termes de J. Favre.
59 Comme c’est le cas, pour les salaires, au moment des grèves de mars 1914.
60 Nous ne pouvons pas développer ici l’histoire passionnante de cette renaissance du mouvement syndical aux Aciéries de Saint-Etienne, de 1933 à 1961. Voir, outre le témoignage de J. Favre, la presse et, aux Archives départementales, les cotes M sup 763 et M sup 767.
61 Essentiellement le bref historique (4 pages 21x29) écrit par un délégué mensuel le lendemain des événements déjà cités (archives du syndicat).
62 L’important ici ne réside pas dans ce manque de revendications ni même d’« esprit revendicatif » (plus intéressant mais difficile à établir). On sait combien, quel que soit le type de grève, les revendications viennent souvent après, des militants et des leaders justement. L’important c’est le côté « après coup » d’un mouvement qui naît en grande partie de l’extérieur, par un phénomène de contagion.
63 Le « nombre » est ici abstrait comme celui des résultats électoraux, c’est un nombre statistique que répercute la presse, doté d’une charge imaginaire propre. Il n’a rien à voir avec le « nombre » des débrayages en masse, des cortèges et des déplacements qu’ont connus fréquemment, à d’autres moments, les usines métallurgiques du bassin stéphanois.
64 Voir, pour ce qui concerne les salaires LOS n° 810 du 31/3/37 et, pour les classifications, le communiqué de J. Ramier du 15/12/36. Le secrétaire du syndicat de Saint-Etienne adjure les sections syndicales de régler elles-mêmes les très nombreux litiges qui éclatent, d’arrêter de les transmettre au syndicat. Il y en a trop. C’est seulement en cas d’échec total des négociations dans l’entreprise que le syndicat transmettra à la commission des litiges. Déjà le 10 décembre le syndicat avait publié un communiqué commun avec la chambre patronale (dans le contexte d’un redémarrage des grèves et des occupations d’usines il est vrai, voir plus haut) invitant patrons et ouvriers à régler eux-mêmes les conflits, les deux chambres syndicales ne pouvant pas « matériellement » s’occuper de tous (La Tribune du 10/12/36). Remarquons qu’au même moment le problème des classifications est entièrement réglé chez Barrouin, cela depuis huit jours déjà (voir plus haut).
65 Cité par R. GOETZ-GIREY dans La Pensée syndicale française, militants et théoriciens, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, n° 3, 1948, p. 119.
Auteur
Maître de conférences à l’université de Saint-Etienne, chercheur au CRESAL.
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