La ville moderne en France. Essai d’histoire immédiate
p. 173-207
Texte intégral
1Les tableaux historiographiques et les guides de voyage ont tout en commun. Dans un paysage au premier abord peu différencié et foisonnant, ils indiquent des points de vue, dessinent des parcours, signalent monuments ou curiosités et ordonnent le monde en utilisant, avec des pondérations différentes selon le public qu’ils espèrent atteindre, les critères du remarquable et de l’utile. Partant, historiographes et cicérones occupent une position semblable : pour le visiteur étranger, ils jouent un rôle d’intermédiaire culturel avec une société locale d’abord peu compréhensible. Depuis quinze ans, j’ai déjà trop souvent rempli cette fonction, dressant un état des lieux de la recherche urbaine française pour des chercheurs qui y étaient étrangers, qu’ils appartiennent soit à une autre discipline soit à d’autres traditions historiographiques nationales. L’entreprise est sans grand risque et ses effets peuvent être supposés bénins : comme certains guides, ces tableaux ont pour seule fonction d’inciter le lecteur au voyage pour prendre une connaissance directe des monuments décrits.
2 La position que j’occupe aujourd’hui est différente. Elle me parait plus difficile à tenir, et sans doute presque ridicule puisque, historien des villes, je suis censé expliquer à d’autres historiens des villes avec qui je partage le même langage et les mêmes références, ce qu’est l’histoire urbaine. Ce travail de traduction du même au même risque bien de s’apparenter à l’effort du Pierre Ménard de Borges, occupé sa vie durant, pour un résultat admirable mais limité, à réécrire au mot près le Quijotte. Pour me tirer d’affaire, il m’a semblé que je ne pouvais qu’adopter le parti inverse de celui de Ménard. J’ai donc renoncé à toute visée d’exhaustivité, plus que jamais illusoire dans ce cas, au profit d’un choix très sélectif de travaux de recherche très peu nombreux : la bibliographie du sujet peut être supposée connue. Deux critères ont guidé mes choix. D’une part, les travaux retenus l’ont moins été pour leur représentativité par rapport à la production globale que pour leur capacité démonstrative. D’autre part, j’ai souvent préféré des recherches aux marges d’une histoire urbaine moderne française strictement définie, soit qu’elles concernent des sites étrangers, soit qu’elles émanent de chercheurs étrangers ou qu’elles aient été élaborées dans d’autres champs disciplinaires : manière de renouer, s’il en était besoin, avec les invitations au voyage. Enfin, dernier trait de la solution que j’essaie, je me placerai à l’extrême bord des développements historiographiques récents, pour une sorte d’histoire immédiate qui commencerait à la toute fin des années quatre-vingt, pour s’achever avec des travaux à peine entrepris aujourd’hui. C’est bien entendu s’exposer à tous les dangers de l’absence de distance interprétative et à tous les risques d’un démenti apporté dès les prochains mois par l’évolution réelle de la recherche. C’est espérer, surtout, la mise en discussion d’une analyse qui affiche sa subjectivité1.
Hier. La ville comme système
3Trois livres me serviront à caractériser le moment historiographique des dernières années de la décennie précédente. Rédigés sans relation les uns avec les autres mais à peu près en même temps, ils abordent la question urbaine selon des démarches et des grilles analytiques dont je m’efforcerai de démontrer la parenté dans trois champs traditionnellement disjoints : l’économie, la société, la culture. On rappellera d’abord brièvement l’argument des trois livres2.
4Lorsqu’elle entreprend l’étude des corporations de métiers à Turin aux XVIIe et XVIIIe siècles, Simona Cerutti aborde un sujet en apparence rebattu. Le problème nait d’un étonnement devant le caractère tardif de « l’explosion corporative »3 dans la capitale du Piémont. Datée de 1730 environ, elle inaugure une période de prospérité sociale de l’institution, à contre-courant de la conjoncture européenne admise. La question est donc de savoir, puisque les choses ne vont pas de soi et que les explications par les contraintes des structures générales de la production ou d’une atmosphère idéologique caractéristique de l’Ancien Régime se trouvent disqualifiées, dans quel contexte les acteurs donnent vie et sens à des regroupements et à des différenciations auparavant en sommeil. « Le vrai problème » est « de comprendre comment des individus dont les histoires et les expériences sont différentes peuvent décider de se réunir et, plus encore, de se reconnaitre à travers une identité sociale commune ». Ainsi, à l’articulation de la rationalité individuelle et de l’identité collective, le projet de l’auteur est d’éclairer « le rapport entre les modes d’éclosion des alliances et des solidarités et les modes d’institutionnalisation des groupes urbains »4.
5L’épisode qui fait l’objet du second ouvrage retenu est étroitement circonscrit. À la fin de l’hiver et au début du printemps de 1750, le bruit se répand à Paris que la police ne se borne plus à débarrasser les rues de la capitale des vagabonds, mais qu’elle enlève aussi des enfants. Dans les milieux populaires de l’artisanat et de la boutique, la défense s’organise : c’est l’époque où le jeune Jacques-Louis Ménétra ne se rend plus à l’école qu’accompagné de quelque solide compagnon de son père5. En mai, la révolte éclate et pendant deux jours plusieurs affrontements graves affectent divers quartiers de la ville. Parce qu’on soupçonne le Lieutenant Général de Police de faire disparaître les jeunes parisiens pour peupler les colonies ou encore pour les vider de leur sang afin de guérir un prince malade, le pacte tacite qui unit le monarque et ses sujets se trouve brisé. Dans le développement de la rumeur et dans le déroulement de l’émeute, grand jeu social, une modification de l’opinion publique se fait : la désaffection gagne à l’égard de la Monarchie. Derrière les logiques de la révolte, il s’agit de « reconnaître les contours d’un savoir social »6 et le mouvement de sa mise en forme.
6Le dernier livre s’efforce d’acclimater dans la période antérieure à la révolution de l’industrie et des transports ferroviaires une notion qui lui parait d’abord étrangère, celle de système urbain. Modeste coup de force : une ville, à l’époque moderne, ne peut se concevoir sans l’existence d’un espace qui l’environne et d’où elle tire l’essentiel de sa subsistance, une bonne part de sa population et les plus fermes de ses revenus ; aussi, dans l’économie faiblement progressive du temps, tout prélèvement supplémentaire qui accompagne et soutient ici une croissance particulière se paie, dans les cités voisines, de ressources plus chichement mesurées qu’auparavant. Même si les villes n’avaient entretenu entre elles aucune relation, elles n’en auraient pas moins été dans la dépendance les unes des autres. Il s’agit alors de comprendre comment évolue, dans son organisation et son fonctionnement, une formation économique de ce type. L’allocation de ressources nouvelles, avec la politique routière d’aménagement du territoire, ou la réallocation de ressources anciennes, avec les effets sociaux ou administratifs de la Révolution, en fournissent l’occasion. La partie qui se joue entre les villes est un jeu à somme faiblement croissante : les positions antérieurement acquises, la nature et la distribution nouvelle des atouts signalent comment un tel système est à l’origine de son propre devenir.
7L’hypothèse que je voudrais défendre ici est que ces trois travaux, malgré la diversité de leurs thématiques et la différence de leurs échelles, constituent un prolongement de certaines des suggestions fondamentales du livre de Jean-Claude Perrot, Genèse d’une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle, et comme des tentatives d’évitement des difficultés non résolues qu’il présente7. Une étude plus précise de ce livre fondateur du moment historiographique que je décris est nécessaire pour l’établir.
8À consulter la longue liste des titres des chapitres, l’ouvrage semble s’inscrire dans l’un des courants dominants de l’histoire économique et sociale, placé sous l’influence d’Ernest Labrousse et qui met en œuvre une histoire quantitative attentive à dégager des structures de durée séculaire les mouvements alternés de la conjoncture. Pourtant, à la différence de toutes les monographies d’histoire urbaine publiées un peu plus tôt, le livre ne comporte aucune étude particulière des structures sociales. La critique du débat sur la nature des sociétés d’Ancien Régime, que l’auteur avait publiée quelques années avant, conduisait évidemment à y renoncer. Mais la solution qu’il adopte en 1975 est différente de celle qu’il suggérait sept ans plus tôt. En 1968, considérant que l’analyse des structures était évidemment plurielle et nécessairement tautologique, il préconisait d’étudier les relations sociales. Les cérémonies publiques, les formes associatives, les lieux de rencontre, les manifestations de la violence constituaient les dimensions d’une sociabilité citadine dont la description permettait d’accéder à la connaissance des sociétés du passé. Le quartier, la rue, le cabaret étaient les lieux où se révélaient des façons d’être ensemble8.
9En 1975, Perrot tient pour réductrice l’attitude qui consiste à croire qu’on a compris une société après avoir décrit les groupes qui la composent et leurs relations. « Une lecture perspicace doit sentir que les comportements de la population, la pratique médicale, les processus qui règlent la production, les échanges, l’aménagement des quartiers, décrivent efficacement les fondements de l’histoire sociale »9. La ville, ainsi, n’a pas de nature propre : elle relève tout entière du social dont elle est comme une « scorie »10. Il en découle une conséquence méthodologique. La simple juxtaposition de plusieurs études (démographie, économie, société, culture) aboutirait à faire tomber le sujet en ruine : « La première démarche consistait donc à croiser les sources entre elles puisqu’on admet qu’elles parlent de la même chose », c’est-à-dire de la ville moderne. La primauté et l’évidence de l’archive sont remises en cause au profit de l’identification et de la construction d’un objet.
10Le livre, en ce sens, est un modèle, une « copie théorique », une représentation simplifiée et abstraite de la réalité qu’il envisage, construite à partir d’un système de relations qui répond à des principes de cohérence interne et n’entre pas en contradiction avec les données empiriques disponibles. Le premier impératif de la recherche est donc d’établir, en se développant, que son objet existe au moment où elle l’étudie. Caen, au XVIIIe siècle, devient une ville moderne, ce qui veut dire, pour reprendre une définition du dictionnaire, qu’elle appartient au temps de celui qui parle, l’historien du XXe siècle. Deux traits définissent ici la modernité urbaine qui constitue le principe unificateur du livre : le passage d’une économie stationnaire à une économie de mouvement et l’invention des pratiques et de l’idéologie du fonctionnalisme. L’un et l’autre amènent à disqualifier le lien auparavant établi entre l’industrialisation et l’urbanisation, entre la prolétarisation du XIXe siècle et les problèmes urbains : « L’invention de la question urbaine surplombe d’un siècle celle de la question sociale »11.
11Les principes de ce renouvellement épistémologique de l’histoire urbaine ne restaient cependant pas sans coût. D’une part, affirmer la modernité de la ville du XVIIIe siècle, c’est installer le chercheur dans une considérable proximité avec son objet. En apparence, il s’agit d’un avantage : s’il est relativement facile de trouver dans la documentation du XVIIIe siècle les réponses aux questions que le chercheur du XXe siècle se pose, c’est d’abord parce que les questions des deux époques à propos de la ville sont les mêmes. Mais cette facilité est un piège. La proximité rend difficile, sinon impossible, la remise en cause critique de l’analyse fonctionnelle qui appartient elle-même à la classe des idéologies : toute une part de l’analyse urbaine d’aujourd’hui en reste imprégnée. « Connaître le flou de nos propres lunettes », assurer un « va-et-vient continuel entre les techniques de maintenant et l’horizon des Lumières »12, jouer de la distance temporelle qui nous sépare du XVIIIe siècle : l’approche herméneutique fournit les solutions pour organiser une tension créatrice de sens entre la ville d’hier et les catégories qui la donnent aujourd’hui à voir.
12Mais postuler d’autre part que « tout le sens est dans le rapport entre les différents niveaux »13 de l’organisation sociale, c’est proposer aux chercheurs des difficultés autrement redoutables. Si la saisie séparée des différents niveaux de la réalité semble n’opposer que des problèmes traditionnels, comment appréhender les rapports entre ces niveaux ? Comment étudier ce phénomène socio-culturel total où les risques de rencontrer des causalités circulaires abondent ? Le degré de complexité auquel était située l’ambition scientifique comportait en lui-même des risques pour l’entreprise. Bien peu de choses, y compris à l’époque préindustrielle, ne touchent pas par un côté ou par un autre à la ville ; la diversité et la dilatation du champ de recherche deviennent extrêmes. En même temps, faute d’une réflexion accumulée sur la nature des liens et sur les médiations qui assurent de passer d’un niveau à l’autre de la réalité, comment croire qu’on enserrera aisément dans un ensemble contrôlable de définitions les fils qui forment la toile citadine : la maîtrise d’une question urbaine à peine inventée dans la discipline historique semble échapper.
13Problématisation, modélisation, constructivisme : la même grille analytique me semble pouvoir, sans difficulté, s’appliquer aux trois recherches que j’ai retenues. Pour les caractériser ensemble, je retiendrai quatre traits que j’illustrerai chacun d’un exemple. Toutes, d’abord, marquent une double rupture avec l’histoire labroussienne telle qu’elle fut pratiquée dans les années cinquante et soixante. Contre une approche objectiviste qui faisait des groupes sociaux ou des organismes urbains des catégories « naturelles », reconnaissables par des séries d’indicateurs structurels, les auteurs développent une approche davantage intéressée par les processus que par les situations postulées stables. Pierre Goubert et Simona Cerutti, par exemple, ne parlent pas le même langage scientifique et la seconde consacre précisément les premiers paragraphes de son livre à disqualifier l’usage des codes socio-professionnels qui forment la base de la sociologie du premier. Ni l’irréductibilité des situations locales diverses à des catégories trop générales, ni la négligence à l’égard des codes des citadins d’Ancien Régime ne constituent pour elle des arguments négatifs décisifs. L’essentiel est ailleurs, dans le refus des histoires qui génèrent et modèlent les regroupements : « Au lieu de tenir pour évidente l’appartenance des individus à des groupes sociaux, il s’agit de renverser la perspective et de s’interroger sur la façon dont les relations créent des solidarités et des alliances, créent à terme des groupes sociaux »14.
14Contre des analyses qui inscrivent les variations conjoncturelles dans l’enveloppe durable et résistante des structures longues des « sociétés d’Ancien Régime » ou des « économies d’ancien type », les recherches des années quatre-vingt décrivent les mouvements d’actualisation sociale qui modifient le sens et les usages de structures, anciennes ou nouvelles, apparemment impérieuses. Voyez, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, deux innovations structurantes qui s’imposent dans l’espace économique français : les routes royales et la nouvelle carte des chefs-lieux et des ressorts administratifs. Équipement nouveau, la route dessert plus tôt, et mieux, les villes les plus importantes : elle renforce ainsi les structures anciennes du territoire. Mais en même temps, elle accélère les échanges, facilite la diffusion des innovations, uniformise la surface économique, met en place un fonctionnement neuf, plus moderne, de l’espace. La carte administrative révolutionnaire et impériale s’inscrit au contraire en parfaite rupture avec la précédente : elle produit une hiérarchie moins contrastée, une distribution spatiale plus régulière et assure une assez grande égalité des chances entre les villes lorsqu’il s’agit de localiser les chefs-lieux. Mais elle aboutit aussi à la concentration dans les petites capitales administratives des rentiers de la terre, anciens ou nouveaux, qui développent sur place, à plus petite échelle, des modèles anciens de consommation aristocratique. Elle assure la prédominance généralisée d’un modèle passé de fonctionnement des systèmes urbains. Ainsi, pour partie sans le savoir et sans le vouloir, les sociétés font du vieux avec du neuf et du neuf avec du vieux. C’est à ce « jeu » (qu’on pourrait d’ailleurs entendre pour chacun d’entre eux dans un sens différent du terme) que les trois ouvrages sont attentifs. L’histoire y est moins définie comme l’analyse des formes passées de l’organisation économique ou sociale que comme l’étude des modalités de son changement.
15Second trait commun, qui dérive du premier : qu’il s’agisse du réseau urbain, de l’identité citadine ou de l’opinion publique, l’objet n’y est pas admis d’emblée comme une évidence, mais résulte d’un double travail de construction. Les acteurs passés, qui actualisent des systèmes de représentation, leur donnent sens, dans autant de situations particulières, à travers des pratiques qui modifient en retour les interprétations du monde. Plus que de l’anthropologie culturelle développée par Clifford Geertz et acclimatée en histoire par Robert Darnton15, les analyses se rapprochent ici des modèles d’historicité proposés par la micro-histoire italienne dont Jacques Revel est le principal introducteur en France16, ou des dernières propositions de Marshall Sahlins17. Le travail d’interprétation et d’aménagement du monde auquel se livrent les acteurs s’opère dans le cadre des catégories apprises et actualise ainsi du passé. Mais dans son déroulement même, il ne laisse indemne ni le monde ni les catégories qui le donnaient à voir et qui permettaient d’y assurer des prises. Il modèle ainsi un futur perpétuellement différent et peu prévisible. L’analyse des émeutes de 1750, par exemple, est attentive à la scénographie du conflit. Chacun semble y jouer un rôle à la manière d’une improvisation sur une situation familière. La logique de la foule est de même nature que les règles de la commedia dell’arte. Chacun (l’émeutier, l’espion de la police, le propriétaire de maison, le commissaire) reste fidèle aux codes de comportement qui sont ceux de son personnage. La situation, pourtant, progresse. Les règles admises du fonctionnement politique et les figures du jeu social ne sont plus les mêmes à l’issue du fait divers tragique qu’ils l’étaient à l’origine. La scénographie des émeutes dues à la libéralisation du commerce des grains, celle de la Guerre des Farines ou des journées d’octobre 1789 actualiseront selon des figures partiellement inédites des codes de comportement renouvelés.
16L’attention pragmatique ne touche pas seulement le contenu des modèles proposés. Elle se redouble d’un travail très apparent de construction de la recherche. Les citadins du XVIIIe siècle ne sont pas seuls à être engagés dans une action dont il suffirait de s’efforcer de donner un reflet. L’historien aussi est à l’œuvre et le modèle qu’il propose est le produit d’une élaboration qui se donne constamment à voir. Les configurations narratives de chacun des livres diffèrent. Logiques de la foule s’organise en cercles concentriques pour suivre jusqu’à la plus large d’entre elles (qui touche aux fondations de la monarchie) les ondes d’une émeute d’abord décrite au plus près de son déroulement. Les cinq chapitres de La ville et les métiers correspondent chacun à une phase d’une recherche qui renouvelle à chaque étape ses sources, ses méthodes et ses échelles d’analyse et guide le déroulement narratif du texte. Les villes dans la France moderne, dans l’abus des métaphores du cheminement, souligne les modalités d’une progression : y franchir une étape, c’est établir une hypothèse et examiner la manière dont les données empiriques la corroborent ou non ; ces premières réponses orientent les interrogations suivantes et dictent la formulation de nouvelles hypothèses dont l’examen forme un nouveau degré. Le plan de chacun des livres, qui prive de sens une lecture fragmentaire, se veut très concerté : tous racontent, autant qu’un épisode d’histoire urbaine, la construction quasi-expérimentale de leur objet. La fonction d’un tel déploiement des procédures n’est pas d’en permettre le contrôle : toute cité savante s’organise selon ce principe. À définir dans l’écriture et la progression narrative les contours d’un objet, il s’agit de manifester que celui-ci n’existe qu’au terme de la démonstration.
17Ces trois livres ont encore en commun de fonder le statut d’histoire problème que l’analyse urbaine possède dans une conception systémique de la ville. Ce postulat est susceptible d’être développé à deux échelles. D’une part, chaque ville est un élément d’un système qui l’englobe (on ne reviendra pas sur ce point évoqué plus haut). D’autre part, chaque ville forme un système dont les éléments prennent sens les uns par rapport aux autres. On pourrait en faire la démonstration à propos des figures sociales mobilisées dans l’émeute parisienne, mais la démarche turinoise est la plus riche et la plus aboutie. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la municipalité joue dans la ville un rôle central et unificateur dans la représentation de la population. Au début du XVIIIe siècle, on assiste à une mutation brutale des rituels civiques : la municipalité n’apparait plus que comme le premier des corps urbains et la population citadine est fractionnée en une multitude de petits groupes correspondant à autant de corps de métiers. Qui rechercherait une explication interne à l’espace du travail de cette mutation se trouverait démuni. Elle ne prend sens en effet qu’à condition de considérer l’ensemble de l’espace social de la capitale piémontaise et des ressources, particulièrement institutionnelles, qu’il offre aux protagonistes. La guerre civile qui déchire Turin entre 1637 et 1642 marque une étape importante de cette histoire. La victoire finale de la régente Christine est celle de la Cour sur les grands marchands, qui avaient pris le parti opposé. De lieu d’intégration des élites citadines et d’organe de la régulation sociale de la ville qu’elle était, la municipalité devient une étape dans le cursus honorum des nobles turinois et des élites curiales. Son rôle régulateur (résolution des conflits entre marchands, promotion des mesures de police urbaine) est confié à des institutions nouvelles contrôlées par la monarchie. La désaffection des marchands à l’égard de la municipalité en résulte. Ils investissent alors dans des institutions en sommeil, les corps de métier, qui leur permettent d’assurer par d’autres voies le contrôle des circuits économiques, d’échapper aux institutions de l’État central piémontais dont la juridiction ne s’étend pas aux corporations d’artisans, d’investir enfin, en l’affichant, une structure de représentation et d’identification.
18L’analyse confirme que les institutions et les formes du regroupement social n’ont de sens que celui dont les pratiques des acteurs les dotent. Les efforts, évidemment inégaux selon les individus et les groupes, pour s’approprier des ressources de forte valeur sociale s’opèrent au sein d’un système topologique. Chacune d’entre elles – tel office, telle association jurée, telle institution d’État – tire sa valeur de sa position relative vis-à-vis de toutes les autres. Manière de traduire dans un autre langage, sans aucun doute plus maniable, la proposition fondatrice du Caen au XVIIIe siècle : le sens n’est pas dans la relation entre les différents niveaux, mais se situe dans l’agencement des positions relatives que l’ensemble des ressources sociales occupent. Dans les deux cas, le système urbain trouve l’origine de sa propre histoire dans les effets de combinaison qu’il comprend.
19Le maintien de la spécificité de l’histoire urbaine s’opère cependant dans les trois travaux analysés au prix d’un changement d’échelle. Celui-ci ne touche pas les échelles géographique ou chronologique, fort variables on l’a vu d’un livre à l’autre, mais concerne l’échelle problématique. La modification du style des titres peut être pris pour symptôme. Beauvais et le Beauvaisis, Amiens capitale provinciale, Lyon et les Lyonnais : voici ceux des années soixante18 ; Logiques de la foule, La ville et les métiers, mais aussi Morphologie sociale et lutte de factions, notabilité et éthique sociale ou encore Protestants et catholiques19 : voici ceux des générations suivantes. Ainsi se manifeste l’abandon d’un horizon de la recherche : celui de l’histoire totale de la ville dans l’une de ses manifestations particulières (Amiens, Lyon, Caen...). Qu’il s’agisse de l’aménagement du territoire, de la constitution des identités sociales ou de la formation de l’opinion publique, on renonce à saisir la ville dans la totalité de ses dimensions pour poser, dans leurs dimensions multiples, des questions partielles. On pourrait voir dans cette stratégie de recherche plus prudente la reconnaissance de ce que la question urbaine n’émerge comme telle, et n’est donc un objet d’étude historique pertinent, qu’à certains moments (à dire vrai, on n’a trouvé nulle part une telle assertion). On peut l’imaginer aussi comme l’oubli, pas obligatoirement regrettable (la sociologie urbaine par exemple n’a que très rarement progressé à coups de monographies totalisantes), d’un modèle historiographique dominant qui attendait un renouvellement de l’histoire de France d’une série d’études localisées (une région, un département, une ville...). Mais on peut voir encore dans ce repli une conduite d’évitement, destinée à ramener une question urbaine trop complexe à l’une ou l’autre de ses composantes. La connaissance historique progresse moins en résolvant les problèmes qu’en modifiant la manière de les poser.
Aujourd’hui. La communauté en question
20Pourquoi ne pas partir, pour suggérer les caractéristiques du « moment historiographique urbain » d’aujourd’hui, d’un texte qui n’appartient en rien à la production historiographique, mais qui peut être tenu pour l’expression d’un mixte de connaissance commune et d’inquiétude étatique : l’histoire, on le sait depuis Lucien Febvre au moins, est fille de son temps. Du débat consacré en 1993 à la politique de la ville à l’Assemblée Nationale, on peut extraire quelques mots prononcés par le ministre, Madame Veil. Rhétorique oblige, c’est en dénonçant les manières de faire de ses prédécesseurs qu’elle dessinait le champ des interventions nécessaires. Selon elle, la politique de la ville « s’est enlisée dans une approche catégorielle, parcellaire, alors que la vie d’un jeune dans la cité dépend de l’harmonie de sa famille, des conditions de logement, de l’accès aux soins, de l’éducation et des possibilités de loisirs »20. Voici résumé un savoir social : en termes de connaissance comme en termes d’action, la ville nécessite non seulement des approches coordonnées mais une appréhension synthétique ; la ville et la société sont deux réalités cœxtensives : la question urbaine et la question sociale successivement inventées se recouvrent maintenant parfaitement. La ville est un euphémisme pour toutes les difficultés du moment prises ensemble. D’ailleurs, la polysémie du mot « cité » employé dans le discours ministériel l’indique assez, qui désigne à la fois le quartier défavorisé en termes d’emplois, de revenus, de logement, d’équipements collectifs et la communauté sociale citadine tout entière dans sa cohésion et son harmonie (fussent-elles utopiques).
21Je souhaiterais suggérer ici que l’histoire des villes de la France moderne opère le même repliement : la question urbaine s’y ramène à la question sociale. Les interrogations sur la nature du lien social et de l’identité (non pas celle des villes, dont les colloques et tables rondes des années soixante-dix ont copieusement débattu, mais des individus et des groupes qui y résident) occupent les premières lignes de son programme de recherche. Les interrogations ne sont pas neuves, bien entendu, mais je prétends qu’elles ont envahi presque tout le champ (comme il est difficile de faire la preuve d’un déficit dans les autres secteurs, je me contenterai d’attendre des objections sur ce point) et qu’elles sont posées dans des termes renouvelés qui en transforment le sens. Je partirai pour essayer de l’établir d’un corpus à nouveau très sélectif composé de deux livres publiés respectivement en 1990 et 1993, et de deux colloques tenus à Paris en mars 1992 et octobre 1993, dont ni les sites étudiés ni les les chercheurs concernés ne sont tous cantonnés dans les frontières de la France moderne21.
22Vieille donnée, les sociétés urbaines sont des sociétés mêlées. Les taux élevés de la mortalité citadine et les modalités du fonctionnement du marché de l’emploi sont tels que la croissance ou même simplement le maintien du niveau de leur population supposent l’existence de flux migratoires permanents. L’importance des flux de nouveaux arrivants, les premiers repérés par les travaux historiques compte-tenu de la documentation disponible, dépendent pendant toute l’époque moderne de la taille de la ville et de ses activités. Les flux de départ, dont l’importance peut être calculée par différence mais qui ne peuvent être saisis dans leur composition et dans leur direction, paraissent davantage liés à la conjoncture économique courte. Au croisement de ces trajets multiples, la ville moderne est un carrefour où se rassemblent des populations plus stables et des populations plus mobiles aux parcours et aux projets variés. Par simple effet démographique et par pure nécessité économique, les sociétés urbaines sont des sociétés plurielles où la question des identités et des identifications se pose de manière plus aigüe que dans les sociétés villageoises plus majoritairement enracinées. « Il y a dans Paris une foule d’états indéfinissables » souligne, sous Louis XVI, le Tableau... de Louis-Sébastien Mercier.
23L’historiographie a successivement abordé la question de deux manières. En projetant sur les sociétés urbaines du passé des catégories analytiques pré-déterminées, ordres ou classes, l’approche structurale la réglait d’un coup. Approche objectiviste, elle faisait des groupes sociaux des catégories naturelles, reconnaissables par une série d’indicateurs aisément cumulables puisque concordants : avoir le même niveau de fortune et la même occupation ou se marier dans le même monde, c’était majoritairement (la majorité faisant à la fois nombre et loi) avoir les mêmes croyances et les mêmes comportements. L’assignation identitaire était aisée puisqu’il suffisait qu’un individu possède les critères prescrits pour qu’il puisse être affecté à un groupe. L’estime ou bien le statut socio-professionnel constituant les principes alternatifs fondamentaux du rangement, la mobilité ou l’enracinement local disparaissaient de l’image : on était officier ou négociant et non pas parisien, picard ou bien suisse, forain ou natif du lieu.
24Dans un second moment, l’écart fut pris en compte, mais conduisit comme spontanément à considérer les populations stables comme seules porteuses d’une « identité citadine ». Le postulat n’était guère affiché, mais il peut se déduire de l’orientation des questionnaires. À l’étranger plus souvent qu’en France, peut-être parce que dans le royaume ce type de contrôle relevait plus souvent de l’État que des autorités municipales, plusieurs recherches étaient conduites sur le contrôle des flux d’immigrants, sur les politiques restrictives d’intégration, sur les modalités d’acquisition d’un droit de bourgeoisie assimilé à l’identité urbaine. En France plus souvent qu’à l’étranger, peut-être du fait de l’importance donnée chez nous à l’histoire des mentalités, l’analyse des écarts de comportement (démographique souvent grâce aux facilités offertes par les registres paroissiaux) s’accompagnait d’une étude de leur réduction menée en termes d’acculturation, c’est-à-dire d’assimilation par les populations immigrées des valeurs et des habitudes des citadins. Une rencontre organisée en 1982 à Göttingen signalait les premières limites d’une telle conception dichotomique du monde urbain22. Quelle peut être cette norme locale supposée constituer l’horizon de tout processus d’acculturation lorsqu’une proportion toujours considérable (et parfois majoritaire) de nouveaux venus vient s’agréger aux populations citadines ? Et quelle est l’unité de la ville ? Le travail, le mariage, le voisinage, les institutions de sociabilité forment autant de canaux par lesquels le migrant s’insère dans la cité. Mais leur signification est ambivalente : beaucoup d’entre eux redoublent pour une bonne part les réseaux migratoires. Aussi, autant que des normes citadines, ne sont-ils pas susceptibles de véhiculer et de reproduire des comportements antérieurs à la migration ? Comment, alors, supposer un mouvement à sens unique (téléologique dans sa tendance à assimiler urbanisation, urbanité et progrès) de diffusion des normes sociales ? Peut-on, enfin, supposer une « identité migrante » quand diffèrent les systèmes de référence, les aspirations et les projets, la mémoire familiale, la nature de l’espace urbain d’insertion de chacun des parcours individuels et familiaux ? Dans sa globalité, le concept d’immigration est bien peu opératoire.
25C’est précisément le caractère du livre d’Etienne François, qui fut auparavant l’initiateur du colloque qu’on vient d’analyser, de rencontrer dans son cheminement les limites de ce type d’approche structurale. J’en rappellerai en quelques phrases la problématique. Du fait du dualisme confessionnel d’une part, et du morcellement politique extrême d’autre part, les citadins allemands de la période moderne ont une expérience alors très particulière de l’altérité : « L’autre était moins l’étranger inconnu, inaccessible et fantasmatique que le voisin proche, fréquenté et égal bien que différent »23. La question est donc de savoir ce qui, dans tous les sens du verbe, fait la différence entre les catholiques et les luthériens qui peuplent, animent et gouvernent ensemble Augsbourg. Dans le prolongement de l’histoire sociale des années précédentes, des critères objectifs de différenciation sont d’abord recherchés. Mais les comportements démographiques donnent à voir, pour ce qui concerne les rythmes saisonniers des mariages, les taux de fécondité ou les niveaux atteints par l’illégitimité « trois exemples d’indifférenciation confessionnelle ». L’analyse socio-professionnelle aboutit aux mêmes résultats apparemment décevants : la distribution des métiers exercés par les protestants et les catholiques fait apparaître « des différences sans opposition », et « l’imbrication des niveaux de fortune » ne redouble d’aucun écart de richesse les oppositions confessionnelles. Dans leur diversité même, les deux groupes sont plus semblables que différents. Résumant la situation, peut-être, l’observation de la localisation géographique des contribuables souligne « le refus des ghettos » et la prédominance des situations d’interpénétration. La nécessité d’un changement de perspective, qui « renverse l’approche initiale », en résulte. Elle conduit à se demander « comment catholiques et protestants vivaient ensemble dans et malgré la différence »24. Poser la question, c’est passer d’une approche objectivante à une approche subjectiviste, d’une analyse de type structural à une analyse phénoménologique. Plutôt que de rechercher les critères qui établissent des écarts entre les deux communautés, il convient de prêter attention aux pratiques et aux imaginaires qui fabriquent et perpétuent de la différenciation.
26La rencontre consacrée en 1992 à l’histoire sociale des villes d’Europe médiévale et moderne appelait avec les mêmes mots – « inverser la perspective » – au même renouvellement historiographique. Le texte de l’appel d’offres, resté inédit, partait d’une constatation. Il existe, dans la ville d’Ancien Régime (comme dans la ville d’aujourd’hui évidemment, même si les items différeraient en partie), une longue liste de références possibles pour la constitution des identités citadines : le sexe, le groupe d’âge, la famille, le « pays » (pour les migrants originaires d’un même lieu), le quartier, le métier, l’ordre, les institutions du pouvoir citadin (civil, militaire ou religieux), la confession, les confréries diverses... Un article peu connu de Philippe Ariès fournissait l’amorce d’une hypothèse pour aborder une telle diversité25. Dans ce texte, aux villes d’aujourd’hui, si dominées par la ségrégation et par l’assignation identitaire que « tout espace intersticiel a disparu », est opposée la cité d’Ancien Régime. Dans celle-ci, chacun possèderait moins une place qu’un « domaine » où le public et le privé se recouvrent mais autour duquel la communauté reconnaîtrait l’existence d’un espace de liberté qui permettrait aux individus de jouer plus librement leur partie et à la société de bénéficier d’une régulation sans crise. Il n’est pas nécessaire de partager la nostalgie de l’auteur pour un monde traditionnel idéalisé pour tirer de ses propositions une hypothèse générale : la multiplicité des identifications possibles constitue pour les acteurs une palette de ressources mobilisables suivant les circonstances et assure à la société un jeu qui lui permet de s’adapter presque en permanence sans brisure aux variations de la conjoncture. Plusieurs études avaient d’ailleurs déjà mis en lumière la variabilité des agrégats de rattachement possibles. Vers 1400, à Florence, les Ricordi de Morelli distinguaient selon la conjoncture les stratégies matrimoniales : en situation favorable, il convient de développer à une échelle géographique élargie la politique d’alliance ; au contraire, en situation précaire, les mariages doivent être conclus au plus près. À Turin, en 1630, quand la peste hache les réseaux familiaux et professionnels de solidarité et déjoue brutalement les stratégies qui s’y adossaient, le tout proche voisinage dessine pour les artisans l’espace rétréci des possibles26. Le texte de l’appel d’offre enfin, proposait une méthode : s’intéresser aux réseaux, aux stratégies, aux situations par lesquels les acteurs, sous contrainte, activent et donnent une signification à leurs identités multiples. Il n’est pas nécessaire d’insister ici sur la parenté de ces propositions avec celles de la sociologie des réseaux, de la sociologie goffmanienne des rôles ou de la pragmatique sociale27.
27On trouve dans la conclusion du livre d’Etienne François, intitulée « L’étranger de l’intérieur » et élaborée sans interférence avec le colloque, l’une des meilleures réponses à son programme de travail. Sans doute de manière plus réaliste, ses analyses sont plus sensibles aux contraintes qui pèsent sur les agents qu’à la gamme des possibles qui leur est offerte. Il est utile d’en reprendre les principaux éléments. À Augsbourg, une identité domine évidemment toutes les autres : elle est de nature confessionnelle. Le motif ne tient pas à ce qu’elle commande les vérités éternelles ou les fins dernières de l’homme. Au contraire, sa force tient à ce qu’elle se duplique dans deux sphères identitaires mondaines : l’espace public d’une part, et l’espace familial. Du fait de la parité, cette particularité institutionnelle qui place depuis 1648 catholiques et luthériens sur un pied de parfaite égalité de droits et de pouvoirs, l’appartenance confessionnelle est l’élément essentiel de l’identité publique, c’est-à-dire de la participation aux affaires, de chaque habitant de la cité. Du fait de l’extrême rareté des mariages mixtes, qui participe des pratiques de groupe destinées à perpétuer la différence, et de la séparation nette des réseaux familiaux (fortement augsbourgeois et endogames pour les luthériens ; d’origine rurale, plus instables et moins soudés pour les catholiques), identité familiale et identité confessionnelle se redoublent.
28Cette forte appartenance identitaire des deux communautés face à face s’exprime dans la surenchère démonstrative. Les cérémonies religieuses constituent autant d’expressions collectives et extériorisées de la frontière entre les deux groupes dans l’espace public. Dans ce cadre, la forte tradition de mise en scène théâtrale des affrontements (qui ne dégénèrent en émeute sanglante qu’une seule fois, en 1718) perd progressivement la signification religieuse qui était la sienne à l’origine pour ne plus avoir d’autre sens que celui de l’affirmation identitaire. La multiplication des signes de distinction ne se limite pas à la sphère sacrée mais concerne, de l’aménagement des logements au décor des façades en passant par le vêtement féminin, de nombreux aspects de la quotidienneté profane et témoigne de l’intériorisation par la majorité des catholiques et des protestants de leur identité spécifique. À Augsbourg, pour reprendre le mot d’un voyageur allemand des années 1780, on est papiste ou luthérien « à la puissance trois »28. Pour autant, les guerres de religion sont terminées. Il existe à celà plusieurs motifs qu’on a déjà suggérés. L’appartenance identitaire religieuse ne se trouve pas reproduite dans toutes les sphères de la vie sociale : il n’existe ni métiers, ni quartiers confessionnels qui viendraient renforcer la frontière en la redoublant d’exclusions territoriales ou économiques. À l’inverse, il est une autre identité que catholiques et protestants partagent, celle que la parité organise et que la faible différenciation socio-professionnelle des deux groupes laisse attendre dans l’ordre des intérêts matériels : la communauté urbaine elle-même. Manière de réintégrer contre les degrés de liberté des rapports sociaux le déterminisme des structures institutionnelles ? Sans aucun doute, non. Le principe paritaire de régulation de l’espace civique oblige bien les deux confessions à cohabiter dans l’égalité et donc à se définir en permanence l’une par rapport à l’autre : elle renforce les appartenances identitaires. Mais elle assure dans le même temps le maintien du jeu alternatif « de liens d’intérêts et de dépendance réciproque, de services rendus et de solidarités de voisinage, marqués par des générations de pratique paritaire antérieures à l’institution officielle de la parité »29. Elle reconnaît et perpétue la pluralité des mondes dans lesquels les citadins agissent30.
29La différence des solutions proposées par les participants au colloque de 1992 n’en ressort que mieux. Peu de stratégies individuelles ou de groupes, peu de réseaux de famille, de voisinage ou de métier, peu d’espaces de choix malgré les incitations des organisateurs de la rencontre : les communications marquent le retour des structures. On peut s’en tenir pour le montrer aux textes publiés dans les Annnales sous le titre : « Identités urbaines ». Elles ne concernent pas seulement la France, mais aussi les Pays-Bas et l’Angleterre, mais sont représentatives des principales discussions qui s’étaient déroulées quelques mois plus tôt. Les auteurs reconnaissent la multiplicité des configurations sociales dès lors qu’il existe des citadins de sexe, d’âge, de position familiale, de milieu, de quartier, de métier, de rang, d’appartenance religieuse ou de statut politique différents. Mais l’urgence historiographique leur parait être de « définir d’abord les paramètres fondamentaux de l’identité urbaine »31.
30On partira ici de ce que les auteurs récusent pour définir cette identité. Contre l’historiographie britannique dominante, Jonathan Barry refuse d’y voir une identité de classe. L’identité urbaine ne renvoie ni à une position économique (l’équivalent pour l’époque moderne de « l’entrepreneur individualiste mâle » du XIXe siècle), ni à une position sociale (qui se définit en Angleterre par rapport à l’aristocratie terrienne), ni à un trait de mentalité (l’individualisme bourgeois). À vrai dire, l’identité citadine n’est pas pour lui de nature civile : on n’en trouve pas les éléments dans les modèles de sociabilité mis en œuvre, à l’imitation du West End londonien, par l’élite des propriétaires terriens, des rentiers et des membres des professions libérales des villes de la province anglaise. L’identité urbaine ne résulte ni d’une assignation identitaire déterminée par une position dans le champ social, ni de la diffusion descendante de modèles de rapports sociaux. Robert Descimon, quant à lui, suggère que la création d’un sentiment communautaire urbain ne saurait résulter de pratiques sociales quotidiennes. Il va contre les analyses consacrées par David Garrioch aux quartiers populaires parisiens de la seconde moitié du XVIIIe siècle qui fait du sentiment d’appartenance collective le produit auto-entretenu des relations interindividuelles dans un espace urbain très densément occupé. Après avoir cité l’historien américain (« Ainsi la communauté locale se reproduit elle-même : par leurs paroles et leurs actes, ses membres renforcent continuellement son autorité et réaffirment ses valeurs »), Descimon conclut sur une litote : « On pourrait reprocher à cette analyse convaincante la spontanéité qu’elle prête à l’ordre communautaire »32. L’idée de communauté n’est pas familière à la vie parisienne d’Ancien Régime. Pire, sa nécessité même est peut-être douteuse. Voyez à Bois-le-Duc, à titre de symptôme, le règlement municipal de lutte contre les incendies de 1739. La ville était divisée en trois districts d’incendie pour lesquels les corporations choisissaient 36 personnes affectées aux pompes. Le matériel des brigades (seaux, échelles, lanternes) était fourni, en quantité variable que l’arrêté précise, par 38 corps constitués différents. La municipalité assurait la contribution la plus importante, mais sa place au milieu de la liste ne reflète pas son rôle. Aussi, constatant que la ville du XVIIIe siècle se présente « comme une société essentiellement fragmentée » sans principe d’organisation hiérarchique entre ses parties, Maarten Prak pose la question de l’identité urbaine de manière radicale : « Qu’est-ce donc qui empêchait la désintégration totale de la société urbaine de la période moderne ? »33
31Les réponses apportées à ces questions formulées finalement de manière angoissée sur la nature de l’identité citadine et sur l’existence du lien social sont toutes de même type. La communauté urbaine est une communauté civique. Dans les villes anglaises, « l’identité civique et bourgeoise s’est forgée dans la volonté d’établir un dialogue au sein de la bourgeoisie, précisément parce que celle-ci devait affronter les menaces posées par l’instabilité urbaine et par la fragmentation économique et politique ». L’ensemble des structures associatives à forte coloration institutionnelle, l’administration locale dans ses divers échelons, l’église paroissiale, les corps de métiers étaient seuls à même de transcender les divergences d’intérêts, de combattre les effets des flux de mobilité géographique, de « promouvoir une série de valeurs tenues comme fondamentales pour la survie de la société urbaine ». Leur renaissance au XVIIIe siècle après les crises de la Réforme et de la Guerre Civile résulte d’une logique sociale interne ; mais empruntées en bloc à des organisations plus anciennes, elles « reflètent la force de la tradition civique et d’un code établi de formes associatives »34 : en d’autres termes, le lien social prend sa force et se trouve modelé dans un réseau institutionnel hérité. L’ordre chronologique suggère ici sinon la logique d’une genèse mais l’importance relative des facteurs institutionnels et des facteurs sociaux.
32À Paris, c’est la milice bourgeoise qui remplit cette fonction intégratrice. En confiant aux bourgeois la police des armes, l’institution « légitime le pouvoir au sein des habitants » et leur fait subir une « propédeutique » (on aura noté la force du mot) telle que « l’identité bourgeoise s’alimentait à cet apprentissage »35. L’importance attribuée à ce rôle conduit Robert Descimon à proposer une chronologie inverse de celle que suggérait Garrioch. Loin de se renforcer avec le temps dans les mille batailles quotidiennes menées par les parisiens pour être reconnus et respectés par leurs pairs, le sentiment d’appartenance communautaire est sous l’Ancien Régime peau de chagrin. Le silence de l’institution, passé le XVIe siècle, réduit l’identité bourgeoise à sa plus simple expression et conduit à l’aliénation du peuple citadin : « Civiquement, sinon religieusement, l’histoire de la Ligue n’est pas l’histoire d’un peuple aliéné, histoire qui sera celle du peuple parisien des Lumières ». À Bois-le-Duc, Maarten Prak voit s’incarner dans la figure du bourgeois la spécificité urbaine de l’identité sociale. L’ensemble des rôles qu’il joue au sein d’une série d’institutions, les corporations, les milices locales, les institutions de secours, renvoient tous à un statut, inné ou acquis mais légal, de citoyen urbain : « La force de ce personnage provenait en dernier ressort de son caractère général et légal, c’est-à-dire du fait qu’il englobait de larges catégories dans un cadre juridique clairement défini »36. Le droit et l’institution assurent la parfaite adéquation entre un espace (la ville) et une communauté d’appartenance (les bourgeois), qui fondent la division entre « the established and the outsiders », pour reprendre une expression de Norbert Elias, et règlent les rapports interindividuels.
33Ainsi, les normes (dans leur définition juridique) et les institutions (dans leur définition juridique encore, plus que de sociabilité ; dans leurs contenus formels plus que dans des pratiques informelles) constituent pour cette gerbe de travaux à la fois la matrice des identités et le ciment qui fait tenir ensemble les sociétés. On pourrait s’interroger sur les motifs d’un tel retour (sous une figure nouvelle qui n’entend pas contribuer à l’histoire administrative mais à l’histoire sociale) de l’analyse des institutions et des règles de droit. Sans doute s’inscrivent-ils dans un mouvement plus général d’attention des sciences humaines au droit et dans les débats de la cité d’aujourd’hui. On se contentera ici de suggérer qu’il ne s’agit pas en histoire urbaine moderne d’un fait isolé. Deux exemples y suffiront. Le colloque organisé à Paris en 1993 sur le droit de bourgeoisie était fondé sur deux hypothèses. D’une part, toute ville forme une entité plurielle au sein de laquelle « la bourgeoisie est une communauté qui réunit d’autres communautés ». D’autre part, « l’idée de communauté sous-jacente aux pratiques bourgeoises renvoie à des stratifications reposant sur les capacités différentes de certains groupes à mettre en œuvre le droit commun »37. La pratique d’un droit localisé, la définition légale d’un statut et la « communauté » constituent en ville des niveaux superposés d’une même réalité, fondateur des distinctions sociales et des appartenances.
34On peut lire sous le même éclairage le livre consacré par Philippe Guignet aux institutions municipales des grandes villes du nord au XVIIIe siècle. Elles ne sont pas de simples rouages administratifs ou le lieu de déploiement du cursus honorum ou de la supériorité des élites : une histoire administrative des municipalités ou une sociographie des corps de ville passeraient à côté du sujet. Les institutions municipales sont la clé de voûte d’une forme particulière (à la région et à l’époque) de civilisation urbaine, définie par des modalités de gouvernement, d’organisation de l’économie, de relation sociale, de participation communautaire à la sphère du religieux. Les magistrats, c’est-à-dire les corps de ville, sont « les principes unificateurs de toutes les pratiques »38. En conséquence, l’institution municipale ne peut être comprise indépendamment des équilibres sociaux spécifiques de la ville : elle en est la matrice, le garant et l’expression. Dans une société contrastée, elle assure non seulement l’ordre mais la permanence du lien social et définit une identité citadine partagée. D’ailleurs, le développement de la lutte des classes suivra, selon Philippe Guignet, l’implosion de ces institutions à la fin du XVIIIe siècle. On peut ne pas être totalement convaincu par la couleur idyllique dont l’auteur peint son tableau : l’essentiel n’est pas là, mais dans le rôle conféré ici aussi au sens social des institutions pour résoudre l’incertitude des définitions communautaires.
Demain. Le sens du territoire
35Comme toute problématique, le recherche des principes et des structures qui assurent que la société urbaine puisse tenir ensemble peut être évaluée en termes de coûts et d’avantages. Parmi ces derniers, assurément, figure le renouvellement de l’analyse institutionnelle. Disqualifiant toute histoire autonome, la recherche urbaine s’attache à établir le sens social des institutions. Contre une analyse fonctionnelle prompte à verser dans la rationalisation a posteriori ou dans la tautologie, elle se montre attentive (dans des soulignements variables selon les auteurs) aux aptitudes des institutions à modeler la société et à la capacité des acteurs engagés dans un système social global à les activer et à les doter de sens. Au chapitre des coûts, on inscrira l’oubli des lieux39. Le droit, les institutions et les groupes sont bien localisés, mais l’opération de localisation réduit la ville à un point, comme si prendre en compte l’espace revenait à accroître, avec le nombre des dimensions, la complexité de l’objet.
36Je ne suis pas sûr que cette réduction analytique puisse valablement subsister, pour des motifs très différents mais concourants. La ville, d’abord, est faite de pierres et de mortier, c’est-à-dire qu’elle dispose d’une matérialité, qu’elle constitue une forme qui se déploie dans l’espace. Ainsi, ce qui vaut pour la société (la cité est un lieu où les différenciations se trouvent accrues) vaut aussi pour l’espace : la ville est une place de contraste et de disposition valuée des hommes et des choses. Ensuite, les questions urbaines d’aujourd’hui sont aussi des questions d’aménagement du territoire social : même si, pour l’heure, le problème du sous-emploi emporte tout avec lui, la politique de la ville s’efforce d’opérer par sériation à l’intérieur de l’espace très fortement différencié des agglomérations. Enfin, d’une durable formation partielle à la géographie, les historiens français gardent, plus que dans d’autres traditions nationales, une attention à l’espace. Je voudrais donc suggérer pour finir les modalités et l’utilité d’un déplacement des problématiques spatiales de l’histoire urbaine homologue à celui qui a pu être repéré dans l’ordre des analyses des institutions. Partir d’exemples permettra dans un premier temps de comprendre pourquoi une histoire punctiforme semble d’abord possible.
37« Une ville, c’est une foule, et bien des aspects de l’existence urbaine s’expliquent par là » : les violences dans lesquelles Louis Chevalier voit la caractéristique principale de Paris pendant la première moitié du XIXe siècle n’ont pas pour lui d’autres causes que les fortes densités humaines40. L’afflux des nouveaux immigrants a provoqué l’entassement des corps et la détérioration des conditions et des genres de vie. La fatigue, les déséquilibres alimentaires, le délabrement de la santé ne trouvent leur origine ni dans les modalités de l’organisation du travail, ni plus généralement dans le système d’exploitation économique. L’histoire sociale a des fondements biologiques et c’est l’espace des grandes métropoles qui sécrète la misère physique et morale. Les quartiers de plus forte mortalité sont aussi les quartiers de plus forte criminalité : par une brève chaine de déterminations, les comportements sociaux et les rapports entre les groupes trouvent leur origine dans une écologie. Du flux migratoire aux comportements criminels et à la peur sociale, un déterminisme fort assure la coïncidence entre l’agencement d’un territoire urbain et les caractéristiques de la société qui s’y loge. C’est là, en forme de manifeste, l’un des points extrêmes atteints par l’historiographie en matière de relation entre la configuration des villes et celle des sociétés citadines.
38Le Journal de Jacques-Louis Ménétra permet de dresser un autre tableau, en restituant les lieux d’enracinement, les repères et les parcours d’un citadin ordinaire. L’espace de l’enfance et de l’adolescence se limite aux vieux quartiers centraux de la rive droite, densément peuplés et actifs, où se déroule l’activité artisanale : à ce moment, c’est par exception que le jeune garçon franchit la Seine. Tout change après que le compagnon ait effectué son tour de France, et la ville de sa jeunesse a des allures très différentes : sept adresses en trois ans, au rythme des embauches successives, et les parcours de loisir éclatent à l’échelle de l’agglomération entière. Marié, Ménétra se réenracine dans le centre, ouvre une seconde boutique à deux cents mètres de la première, cantonne dans un étroit rayon sa vie professionnelle et amoureuse : l’espace urbain de l’âge mûr et de la vieillesse se rétrécit à nouveau. Aux époques successives de son existence, l’artisan vitrier, par ses pratiques, délimite les contours et définit les contenus d’un espace urbain pertinent. Il en est de la ville comme de la nature : à suivre Lucien Febvre, le seul problème est celui de l’utilisation de ses possibilités41.
39Voici un dernier modèle, qui concerne la définition religieuse du territoire lyonnais au XVIe siècle. L’espace catholique n’est pas homogène : des lieux consacrés forment autant de repères dans un paysage structuré de plus par un grand nombre de cérémonies publiques. D’église en église, des déambulations générales soulignent de leurs parcours longs et complexes l’unité d’une ville séparée en deux par la Saône. Les protestants, au même moment, ont des pratiques différentes de marquage du territoire urbain qu’il n’est pas nécessaire ici de détailler42. Les catholiques sont majoritaires, mieux enracinés, mais se rencontrent dans tout le spectre socio-professionnel. De cette diversité et de cette structuration, il découle qu’ils donnent d’eux mêmes l’image d’une combinaison organique de groupes divers. Cette image trouve une correspondance parfaite dans la manière dont les parcours processionnaires et la distribution des lieux consacrés donnent à lire l’espace urbain. La religion modèle et confère un sens à la fois aux valeurs citadines et au territoire urbain : le catholicisme est un langage « which among many uses could describe, mark and interpret urban life, and in particular urban space, urban time and the urban community ». Le monde est représentation et, dans l’ordre des métaphores, la question de l’articulation des deux configurations, celle de la société citadine et celle de la ville de pierres, se résout dans un parfait recouvrement.
40Les trois analyses qu’on vient d’évoquer brièvement partagent un point commun : elles établissent une correspondance directe entre l’espace social et l’organisation matérielle de la ville. Le sens et les modalités de la relation diffèrent : les individus et les groupes peuvent subir les effets de l’écologie urbaine ou au contraire savoir mobiliser les ressources que le milieu leur offre ; ils peuvent se glisser dans la ville comme dans une coquille ou bien conférer à l’espace des structures symboliques homologues aux leurs propres. Mais quelle que soit la signification du mot territoire, une société (ou tout au moins un groupe) s’y inscrit parfaitement. Cette idée a quelque chance d’aller de soi tant domine le paradigme fonctionnaliste qui établit une relation unilinéaire entre chaque activité et l’espace qui l’accueille. Il s’agit pourtant d’une invention qu’on sait aujourd’hui approximativement datée du XVIIIe. Tout ce siècle est attaché à montrer l’influence de la configuration spatiale sur le bonheur ou le malheur des hommes en société. Architectes, ingénieurs, médecins hygiénistes par exemple se montrent particulièrement sensibles aux enchaînements qui mènent de la disposition des bâtiments et de la largeur des rues à la circulation de l’air et de celle-ci à l’état des habitants. La disciplinarisation des classes inférieures, où Michel Foucault et les chercheurs qu’il a inspirés ont vu un projet qui court depuis le grand renfermement des pauvres jusqu’à l’invention des prisons panoptiques, passe par une intervention sur l’espace urbain : la multiplication des équipements du contrôle social (prisons, hôpitaux, casernes) et la mise au clair de l’espace public (numérotation des maisons, diffusion de l’éclairage des rues) concourent à un assujettissement plus efficace. Une vision plus optimiste, que la Révolution incarne, souligne la vertu éducatrice de l’espace. Les parcours cérémoniels, des projets de dénomination nouvelle des rues ou des plans de jardins métaphores du bon ordre civique ambitionnent de doter la ville d’un sens renouvelé. Leur efficacité est si peu douteuse qu’on explicite à peine les relais par lesquels l’espace pourra former les esprits. Toute la gamme des pratiques réformistes affirme la coïncidence entre le territoire et la communauté qui l’occupe : aménager l’un, c’est ordonner l’autre ; penser l’un, c’est penser l’autre.
41Aujourd’hui, les limites du fonctionnalisme se rencontrent aussi bien dans le champ de l’action que dans celui de la connaissance. D’un côté, hors des périodes conjoncturelles fastes, la capacité d’une intervention sur l’espace à régler la question sociale devient douteuse. De l’autre, le mouvement de l’histoire, dans ses discontinuités, rend improbable l’immédiateté postulée des relations entre espace et société. (On peut voir, par exemple, dans les modèles d’auto-organisation développés par la géographie urbaine une manière de sauvegarder en géographie la notion de fonction en se démarquant de l’anhistoricité du fonctionnalisme). C’est donc à partir du postulat inverse d’un décalage chronologique entre les fonctions exercées, des plus matérielles aux plus symboliques, et les espace où elles prennent place qu’on peut espérer entreprendre un déplacement des problématiques.
42Un exemple éloigné peut servir de point de départ. Soit la place des Trois Cultures réalisée au début des années soixante dans le quartier de Tlatelolco à Mexico. L’intention du projet était explicite : en juxtaposant les ruines exhumées d’une pyramide aztèque, une église et un couvent du XVIe siècle restaurés, et un petit gratte-ciel d’architecture moderne internationale édifié pour abriter le ministère des Affaires étrangères, il s’agissait de démontrer la continuité de la nation mexicaine au-delà des ruptures de l’histoire. La place donne à voir une image du passé où les racines indigènes, la période coloniale et le Mexique moderne s’inscrivent dans la continuité. La place est décalée par rapport au vieux centre historique et longée sur l’un de ses côtés par l’une des larges voies de circulation rapide qui quadrillent la capitale. Du sol, il est presque impossible d’en prendre une vue globale et il n’y a pas de point haut public qui permettrait d’apercevoir d’un coup les trois éléments symboliques de l’identité mexicaine. La fonction démonstrative de la place ne vise pas le touriste. Ses intentions ne s’affichent totalement que pour les habitants des barres du grand ensemble de Tlatelolco qui l’entourent. Construites au même moment, elles sont destinées à accueillir la nouvelle classe moyenne sur laquelle le régime prétendait s’appuyer, et qui trouvait ainsi à ses pieds, inscrite dans la pierre, une page d’histoire officielle censée lui donner à voir son destin43. Maîtrisé, le projet d’urbanisme définissait une forme parfaitement adéquate à son intention.
43On connait peut-être la suite de l’histoire. En 1968, des manifestations d’étudiants qui se déroulent à Mexico comme dans plusieurs autres points du monde sont très durement réprimées. Le pouvoir fait tirer sur ces jeunes presque tous issus des classes moyennes et plusieurs centaines de morts tombent, précisément sur la place de Tlatelolco. Ce premier traumatisme se redouble d’un second : en 1985, le tremblement de terre qui secoue la capitale touche très durement le quartier, provoque un millier de morts au moins et rend provisoirement inhabitables la moitié des immeubles. Les deux événements sont venus doter la place d’un sens nouveau : destinée à symboliser l’inscription dans la durée de la grandeur nationale, la place des Trois Cultures se trouve associée à l’affrontement, aux brisures, à la mort. Nulle commémoration publique, à l’exception du cortège chaque année plus maigre qui la prend pour point de départ d’une marche conduisant les manifestants à réclamer sous les fenêtres du palais présidentiel la vérité sur le nombre des victimes des fusillades de 1968 ne vient réapproprier l’espace par un travail de deuil. Seuls s’y attardent quelques visiteurs étrangers désorientés par un espace qui n’a pas été conçu pour leur déambulation.
44D’un tel projet, on dira qu’il a échappé aux intentions de ses promoteurs. Mais la ville, construite par fragments mais inscrite dans la durée, échappe pour presque tout aux intentions de ses promoteurs. Organisés d’abord pour aller ensemble (j’emploie à dessein une formule aussi vague), un espace et son usage, à terme, se désaccordent : toute l’histoire des murailles qui enserrent les villes pourrait être écrite, à l’époque moderne, à partir de ce point de vue par exemple44. L’analyse soigneuse des modalités et des conséquences de ce désaccord, entreprise par un groupe de sociologues influencés par l’herméneutique et la phénoménologie, offre un point d’appui pour progresser. Ils proposent de nommer « traces » ces morceaux désaccordés dont les villes sont faites45.
45La trace, donc, résulte d’un écart entre des rythmes d’évolution différents. Tant que la place de Tlatelolco offre à lire aux classes moyennes qui habitent en surplomb l’idéologie d’un régime qu’elles appuient, ce fragment de ville n’est pas considéré comme une trace. Forme et fonction y ont (brièvement) évolué selon des chronologies semblables. Le bâti pourrait bien être ancien (et il l’est pour partie dans ce cas de figure), il n’y aurait pas là de passé mais un présent de formes et d’usages. La trace commence avec l’inadaptation, avec la fin des possibilités d’ajustement. À Nîmes par exemple, tant que les murailles qui enserrent la ville sont la marque d’une prééminence citadine sur les campagnes et qu’elles servent de point d’appui au contrôle militaire de l’espace, elles restent en parfaite conformité, quelle que soit la date à laquelle elles furent édifiées, avec les pratiques sociales du moment. Puis, les pratiques changent. D’un côté, la construction de la citadelle et des casernes, à l’extrême fin du XVIIe siècle, donne corps à une nouvelle conception de la défense. De l’autre, la dualité ville-faubourg s’efface après 1730, avec le développement de l’industrie de la soie, au profit d’une organisation complémentaire de l’espace productif. Le mur, qu’on a d’abord cessé d’entretenir, se fait obstacle et des requêtes sont envoyées au roi demandant de l’abattre : « Les vœux communs des citoyens de la ville et de ceux des faubourgs leur font désirer depuis longtemps d’avoir la libre faculté de pouvoir communiquer tant la nuit que le jour, moins pour l’agrément qu’ils y trouveraient que pour l’utilité de leurs fabriques... Tel habitant aurait besoin de conférer avec des ouvriers du dehors pour la perfection de certaines opérations de fabrique ou pour accélérer les expéditions qu’il ne peut rien ordonner, la communication étant interceptée, ce qui cause un préjudice considérable au commerce »46. La différenciation spatiale entre la ville et les faubourgs et le mur qui la marquait jusque-là existent encore dans le même temps. Mais tout à coup, parce qu’un rapport de complémentarité a remplacé une situation d’exclusion, ils n’ont plus le même âge : la pratique économique vient de renvoyer dans un passé dont le présent s’est détaché la muraille qui entourait la ville. L’évolution des usages se prolonge dans une redéfinition idéologique et un réaménagement de l’espace.
46Réaménagement : le terme est volontairement imprécis car, concernant la destinée de la trace, plusieurs cas sont envisageables. La décision peut être prise d’effacer du présent les objets indexés au passé : en 1785, les murs de Nîmes, dont la ruine matérielle n’empêchaient pas qu’ils restreignent à des passages trop étroits les lignes de la chaîne de production, sont rasés. Même dans ce cas extrême, on peut s’interroger sur la radicalité de l’effacement : combien de boulevards circulaires viennent-ils inscrire, pour longtemps, la trace au sol dans le tissu urbain d’anciennes défenses ? Inscrit dans les choses, l’ordre spatial d’hier reste pourtant inaperçu. Sa lecture relève du déchiffrement et d’une posture réflexive : se souvenir que les villes étaient murées ; repérer sur les plans d’aujourd’hui les ruptures dans la continuité du tissu urbain ; les rapprocher des vues et des plans anciens. Elle échappe à l’immédiateté des pratiques urbaines et joue dans un rapport antiquaire à la ville la réaffectation au présent du souvenir des formes. Hors de cette attention particulière, la trace, effacée dans sa matérialité, a été l’objet d’un déni de réalité.
47La réaffectation de la trace au présent peut pourtant s’opérer selon d’autres modalités. Que faire, par exemple, d’un ancien palais désaffecté ? Transformer les communs en manufacture de piques puis en atelier textile avant d’en faire un hôpital militaire. Utiliser les écuries comme casernement, puis comme dépôt d’archives ou comme lieu d’enseignement pour une école d’architecture. Faire de l’une des ailes du château un musée. Croit-on que ces mutations d’usages de formes héritées ne touchent que quelques hauts-lieux ? Elles sont légion au contraire. Que la menace militaire disparaisse et les empiètements sur les glacis, les chemins de ronde ou les fossés du système de défense de Caen se multiplient : au début du XVIIIe siècle, plus de deux cents propriétaires occupent sans titre le domaine public dont ils ont fait des caves, des celliers, des jardins ou des terrasses. À Louviers, un peu plus tard, sous la pression de l’industrie, d’anciennes auberges ou des bâtiments d’habitation sont utilisés, sans mutation majeure de l’organisation de l’espace, comme manufactures drapières. À Paris, il n’est pas nécessaire d’attendre la Révolution pour voir des hôtels aristocratiques tout occupés de bureaux, et il ne faut guère plus de deux générations, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, pour voir les modalités d’usage et les valeurs sociales de la Seine, de ses quais et de ses ponts radicalement modifiés47.
48Que se passe-t-il, dans ce mouvement perpétuel, concernant les formes anciennes ? Précisément dans le moment de leur réaffectation, elles échappent à leur statut de trace pour être remises, dans une nouvelle coïncidence entre une forme, un usage et une valeur, dans le circuit du sens social. Cette réaffectation ne reprend qu’une partie des dimensions de l’objet : un emplacement, une forme, une valeur symbolique, une valeur économique... pour les faire jouer autrement, et à d’autres fins. Mais elle permet à la ville, dont presque tous les éléments proviennent de passés dont la profondeur diffère, d’être toujours tout entière contemporaine à elle-même. Ainsi, le présent des villes résulte d’un travail poursuivi de réinterprétation des lieux. À ce titre, la ville est, pour reprendre une expression de Marcel Roncayolo, « une catégorie de la pratique sociale »48. Plusieurs motifs aboutissent à ce que ce processus soit à la fois déterminé et peu prévisible. D’un côté, il s’inscrit dans des conflits d’interprétation qui ont pour enjeu la valorisation différentielle de l’espace urbain et il enregistre ainsi les rapports sociaux du moment49. Mais les caractères précédents de l’objet (non seulement de sa forme, mais de sa valeur) dessinent, avec les représentations du monde, la gamme des réaffectations possibles : il faut des circonstances bien exceptionnelles pour qu’un palais soit transformé en caserne quand ses communs deviennent musée. Enfin, parce que l’espace urbain forme un système dont chaque élément prend son sens dans la position relative qu’il occupe par rapport aux autres, la modification d’usage d’un lieu s’inscrit dans une série de mutations antérieures affectant d’autres lieux et contribue à son tour à en infléchir la destinée. À Nantes, à la fin du XVIIIe siècle, par exemple, le changement de valeur de la place du Commerce, autrefois simple dépôt enclavé, tient à la reconstruction de la Bourse, à la destruction de l’enceinte et au comblement des fossés de la citadelle proche, à l’édification de la place Royale ; devenue nœud urbain majeur, la place du Commerce contribue au siècle suivant à doter de sa structure le réseau communal des transports publics50. Ainsi, à partir des conditions du moment de leurs équilibres et de l’ensemble des « valeurs dormantes » (l’expression est de Fernand Braudel) que les espaces citadins contiennent, les sociétés urbaines sont engagées, au présent, dans un processus de réaffectation et de revalorisation de leurs espaces d’hier, qui engage pour partie l’avenir des formes, des pratiques, des valeurs citadines.
49On peut voir dans cette grille analytique l’ébauche d’un programme de travail. On pourrait plaider les similitudes qu’il présente avec l’histoire sociale des institutions telle qu’on vient de la décrire. On voudrait seulement souligner qu’il supposera de prêter une plus grande attention aux outils que les historiens des villes modernes françaises n’ont pas nécessairement l’habitude de manier. Plutôt que de revenir aux propositions de la sémiologie urbaine des années soixante-dix, on se montrera attentif aux suggestions de l’analyse herméneutique telle que la pratique Paul Ricoeur lorsqu’il se préoccupe de définir les processus d’appropriation et de dotation de sens que toute lecture – d’un texte, mais aussi d’une action – comporte, et d’en essayer la transposition aux sociétés citadines et aux espaces urbains. On se montrera attentif encore aux études de Maurice Halbwachs, soit qu’il s’attache à suivre les phénomènes de formation sociale de la valeur dans l’espace, soit qu’il établisse par la médiation du temps et de la mémoire des relations subtiles entre les groupes sociaux et leurs territoires51. Plus qu’aux cartes mentales chères à la psycho-géographie, enfin, on cherchera des analogies analytiques du côté de l’anthropologie des objets52. À terme, le rapport fonctionnaliste des sociétés à l’espace, aujourd’hui paralysant dans l’ordre de l’action comme dans celui de la connaisssance, n’apparaitra plus que pour ce qu’il est : un cas particulier, historiquement, culturellement et socialement situé, des opérations sociales de dotation de sens des lieux.
Notes de bas de page
1 – Comme toutes les contributions qui figurent dans cet ouvrage, les propositions qui suivent ont d’abord pris la forme d’un séminaire, présenté celui-ci en mars 1994. À la réflexion, j’ai préféré conserver le même ton au texte écrit. Il correspond bien aux choix que j’ai faits (subjectivité affichée, schématisme des hypothèses générales) pour tenir compte de ce que, s’agissant de l’historiographie française, le peintre et les spectateurs étaient ensemble dans le tableau. La première partie, qui décrit les caractères de l’histoire urbaine d’hier (fin des années quatre-vingt) reprend certains éléments d’un texte publié en anglais : LEPETIT (B.) et PINOL (J.-L.), « France », in RODGER (R.) éd., European Urban History. Prospect and Retrospect, Leicester et Londres, 1993, pp. 76-108.
2 – CERUTTI (S.), La ville et les métiers. Naissance d’un langage corporatif (Turin, XVIIe-XVIIIe siècles), Paris, 1990 ; FARGE (A.) et REVEL (J.), Logiques de la foule. L’affaire des enlèvements d’enfants, Paris 1750, Paris, 1988 ; LEPETIT (B.), Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, 1988.
3 – CERUTTI (S.), op. cit., p. 195.
4 – CERUTTI (S.), op. cit., p. 14 pour les deux citations qui précèdent.
5 – MÉNÉTRA (J.-L.), Journal de ma vie, éd. par D. ROCHE, Paris, 1982 (l’épisode est rapporté p. 34).
6 – FARGE (A.) et REVEL (J.), op. cit., p. 10.
7 – PERROT (J.-C.), Genèse d’une ville moderne. Caen au XVIIIe siècle, Paris, 1975.
8 – PERROT (J.-C.), « Rapports sociaux et villes au XVIIIe siècle », Annales ESC, 1968, pp. 241-268.
9 – PERROT (J.-C.), ... Caen..., op. cit., p. 944.
10 – Id., ibid., p. 947, comme la citation suivante.
11 – Id., ibid., p. 9.
12 – Id., ibid., respectivement p. 11 et p. 13 pour les deux citations qui précèdent.
13 – Id., ibid., p. 947.
14 – CERUTTI (S.), La ville et les métiers..., op. cit., p. 12.
15 – GEERTZ (C.), Savoir local, savoir global, Paris, 1986 (éd. originale américaine 1983) ; DARNTON (R.), Le grand massacre des chats, Paris, 1985 (éd. originale américaine 1984).
16 – Voir son introduction à G. LEVI, Le pouvoir au village. Histoire d’un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, Paris, 1989.
17 – SAHLINS (M.), Des îles dans l’histoire, Paris, 1989 (éd. originale américaine 1984).
18 – On aura reconnu GOUBERT (P.), Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, Paris, 1960 ; DEYON (P.), Amiens capitale provinciale, étude sur la société urbaine au XVIIe siècle, Paris, 1967 ; GARDEN (M.), Lyon et les Lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, 1970.
19 – En plus des ouvrages précédents, j’évoque ici KAYSER (W.), Marseille au temps des troubles. Morphologie sociale et luttes de factions, 1559-1596, Paris, 1992 ; GUIGNET (P.), Le pouvoir dans la ville au XVIIIe siècle. Pratiques politiques, notabilité et éthique sociale de part et d’autre de la frontière franco-belge, Paris, 1990 ; FRANÇOIS (E.), Protestants et catholiques en Allemagne. Identité et pluralisme à Augsbourg, 1648-1806, Paris, 1993.
20 – Cité par Le Monde du 8 novembre 1993.
21 – GUIGNET (P.), Le pouvoir dans la ville..., op. cit. ; FRANÇOIS (E.), Protestants et catholiques..., op. cit., 1993. Le colloque de mars 1992 intitulé « L’histoire sociale des villes d’Europe du XIIIe au XVIIIe siècle : nouvelles tendances » était organisé par P. Clark et B. Lepetit dans le cadre de l’Association Européenne d’Histoire Urbaine. Les communications les plus représentatives ont été publiées en deux livraisons : « Identités urbaines », Annales ESC, juillet-aout 1993, pp. 819-933, et « Les sociabilités urbaines au Moyen-Âge », Annales ESC, septembre-octobre 1993, pp. 1113-1143. Le colloque d’octobre 1993 organisé dans le cadre du Centre de Recherches Historiques de l’EHESS par S. Cerutti, R. Descimon et M. Prak s’intitulait « Le droit de bourgeoisie dans les villes d’Europe occidentale entre le XVe et le XVIIIe siècle ». La publication des actes est en projet et seul le texte dense de l’appel d’offres est aisément accessible : « Le droit de bourgeoisie dans l’Europe moderne », Cahiers du Centre de Recherches Historiques, n° 11, octobre 1993, pp. 87-90.
22 – FRANÇOIS (E.) dir., Immigration et société urbaine en Europe occidentale (XVIe-XXe siècles), Paris, 1985.
23 – FRANÇOIS (E.), Protestants et catholiques..., op. cit., p. 15.
24 – Id.. ibid., p. 33. Les citations précédentes sont des intertitres du livre.
25 – ARIÈS (P.), « The Family and the City », Daedalus, 1977, pp. 227-235.
26 – KLAPISCH-ZUBER (C.), « Parents, amis et voisins » (1976), in La maison et le nom. Stratégies et rituels dans l’Italie de la Renaissance, Paris, 1990, pp. 59-80 ; CERUTTI (S.), « Matrimoni del tempo di peste. Torino nel 1630 », Quaderni Storici, 1984, pp. 346-383.
27 – BARTH (F.), Process and form in social life, Londres, 1980 ; MITCHELL (J.-C.), Social network in urban situation, Manchester, 1969 ; GOFFMAN (E.), Encounters. Two studies in the sociology of interaction, Indianapolis, 1961.
28 – Cité par FRANÇOIS (E.), Protestants et catholiques..., op. cit., p. 246.
29 – Id., ibid., p. 246.
30 – Sur la pluralité des mondes dans lesquels chaque acteur social est engagé, on tirera profit de BOLTANSKI (L.) et THEVENOT (L.), De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, 1991.
31 – BARRY (J.), « Identité urbaine et classes moyennes dans l’Angleterre moderne », Annales ESC, 1993, pp. 853-883 (citation p. 854).
32 – DESCIMON (R.), « Milice bourgeoise et identité citadine à Paris au temps de la Ligue », Annales ESC, 1993, pp. 885-906 (citation p. 906) ; (D.) GARRIOCH, Neighbourhood and Community in Paris, Cambridge, 1986.
33 – PRAK (M.), « Identité urbaine, identités sociales. Les bourgeois de Bois-le-Duc au XVIIIe siècle », Annales ESC, 1993, pp. 907-933 (citations pp. 923 et 924).
34 – BARRY (J.), « Identité urbaine... », op. cit., pp. 866 et 870 respectivement pour les trois citations qui précèdent.
35 – DESCIMON (R.), « Milice bourgeoise... », op. cit., p. 906 comme la citation suivante.
36 – PRAK (M.), « Identité urbaine... », op. cit., p. 924.
37 – Cahiers du Centre de Recherches Historiques, 1993, p. 87.
38 – GUIGNET (P.), Le pouvoir dans la ville..., op. cit., p. 499.
39 – Les études de R. DESCIMON, attentives à inscrire les pratiques politiques et les identités communes dans l’organisation de l’espace urbain, font exception.
40 – CHEVALIER (L.), Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris dans la première moitié du XIXe siècle, Paris, 1958.
41 – MÉNÉTRA (J.-L.), Journal..., op. cit.
42 – DAVIS (N.Z.), « The sacred and the body social in sixteenth century Lyon », Past and Present, n° 90, 1976, pp. 40-70 (citation p. 41).
43 – MONNET (J.), La ville et son double. Images et usages du centre : la parabole de Mexico, Paris, 1993.
44 – DE SETA (C.) et LE GOFF (J.) éd., La citta e le mura, Bari, 1989.
45 – COLSON (D.), NIZEY (J.) et ROUX (J.), Un quartier industriel à Saint-Etienne. Le Marais entre histoire et planification, Lyon, 1993.
46 – TEISSEYRE-SALLMANN (L.), « Urbanisme et société : l’exemple de Nîmes aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales ESC, 1980, pp. 965-986 (citation p. 980).
47 – PERROT (J.-C.), ... Caen..., op. cit. ; CHAPLAIN (J.-M.), La chambre des tisseurs. Louviers, cité drapière, 1680-1840, Seyssel, sd (1984). Travaux en cours sur Paris de N. COQUERY et J. BACKOUCHE.
48 – RONCAYOLO (M.), La ville et ses territoires, Paris, 1990 (citation p. 33).
49 – L’analyse anthropologique de l’évolution de la ville de Rethymnos en constitue un bon exemple : HERZFELD (M.), A Place in History. Social and Monumental Time in a Cretan Town, Princeton, 1991. En histoire, voir les travaux récents de P.-Y. SAUNIER en partant de : « Haut-lieu et lieu haut : la construction du sens des lieux. Lyon et Fourvières au XIXe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, avril-juin 1993, pp. 202-227.
50 – DARIN (M.), MEILLERAIS (O.), SAUDRAIS (P.), Transformation des places à Nantes depuis deux siècles, École d’Architecture de Nantes, 1991 (multigraphié).
51 – RICOEUR (P.), Essais d’herméneutique, Paris, 1969 et 1986, 2 t. De M. Halbwachs, on retiendra les deux livres les moins souvent cités : Les expropriations et le prix des terrains à Paris, 1860-1900, Paris, 1909 ; La topographie légendaire des Évangiles de Terre Sainte, Paris, 1941. Pour une première ébauche de traduction de ces textes à des fins de recherche urbaine, on pourra se reporter à LEPETIT (B.), « La formation de la valeur dans la ville moderne (XVIe-XIXe siècles) », Histoire, Économie, Société, 1994 (à paraître) et « Une herméneutique urbaine est-elle possible ? », in LEPETIT (B.) et PUMAIN (D.), Temporalités urbaines, Paris, 1993, pp. 287-299.
52 – Dans une très abondante bibliographie, on citera seulement, parce qu’ils sont récents, deux courts ouvrages suggestifs : LEMONNIER (P.), Elements for an Anthropology of Technology, Ann Arbor, 1992 ; « Les objets dans l’action. De la maison au laboratoire », textes réunis par B. CONEIN, N. DODIER et L. THEVENOT, Raisons Pratiques, 4, Paris, 1993. Voir aussi, plus ancien et dans une direction différente : APPADURAI (A.) éd., The Social Life of Things. Commodities in Cultural Perspective, Cambridge, 1986.
Auteur
-
Bernard Lepetit
Directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales
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